République et canton de Genève

Grand Conseil

IN 117-C
Rapport de la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil chargée d'étudier l'initiative populaire 117 "Oui à la région"
Rapport de M. Alain Charbonnier (S)
Rapport du Conseil d'Etat: Mémorial 2001, p. 282.
Rapport de la commission législative: Mémorial 2001, p. 5877.

Débat

M. Alain Charbonnier (S), rapporteur. La majorité de la commission de droits politiques, en refusant cette initiative, n'a pas dit non à la région. Le titre de l'initiative est trompeur. Cette dernière ne propose en fait que la fusion de notre canton avec le canton de Vaud. La région, toute la commission est unanime sur ce point, existe, mais ses frontières ne sont pas figées et se modifient selon les domaines concernés. En effet, au niveau des institutions, de multiples accords et concordats réunissent tous les cantons romands et aussi parfois le canton de Berne, mais aussi les collaborations dépassent la frontière et se tournent vers la France. Faut-il le rappeler ? Ce ne sont pas moins de 30 000 frontaliers qui travaillent à Genève aujourd'hui. Du côté vaudois, l'exemple de la fusion avec Neuchâtel des services de promotion économique démontre aussi un besoin de collaboration avec d'autres cantons.

Selon les initiants, la fusion Vaud-Genève donnerait un poids politique plus important par rapport à d'autres cantons. Au niveau fédéral, ce serait précisément le contraire qui se produirait, puisque ce nouveau canton n'aurait que deux sièges au Conseil des Etats. La région perdrait ainsi deux sièges par rapport à la situation actuelle.

La région ne se limite donc pas à deux seuls cantons et la réaliser selon les modalités proposées par l'initiative serait totalement réducteur. Enfin, je terminerai en disant que le débat sur la régionalisation ne peut pas commencer par la fusion de deux cantons, mais par un débat plus large au niveau fédéral, de façon à ne pas déstabiliser l'équilibre institutionnel du pays.

M. Jean-Michel Gros (L). Les auteurs comme les partisans de cette initiative populaire vivent de bien mauvais moments. Non pas parce que, suivant la décision du Grand Conseil vaudois notre assemblée recommandera sûrement aux Genevois de voter non, mais parce qu'ils voulaient surtout, grâce à cette initiative, lancer un grand débat sur la régionalisation dans notre pays. Or ce débat n'a pas eu lieu. Il n'a lieu que modestement aujourd'hui et ne fera probablement que de timides apparitions lors de la campagne précédant le vote populaire.

Pourquoi ce triste état des lieux ? Parce que selon nous, ce genre de débats théoriques n'intéresse pas grand monde, parce que la région doit tout d'abord se vivre sur des faits concrets et parce qu'enfin la question qui sera posée aux peuples vaudois et genevois n'est pas la bonne. Au mois de juin en effet, les populations vaudoise et genevoise devront simplement dire si elles veulent que Genève et Vaud ne forment plus qu'un seul canton. Reconnaissons aux initiants le mérite d'avoir soulevé la question de la région, mais reprochons-leur d'avoir tenté de le résoudre par cet artifice. 14 mois après avoir, sans doute avec beaucoup de difficultés, récolté le nombre de signatures nécessaires dans le canton de Vaud pour une initiative qui s'intitulait franchement Vaud-Genève - je remarque d'ailleurs que quand je tape Vaud-Genève avec un trait d'union sur mon ordinateur, il m'indique que je fais une faute - 14 mois donc après la récolte de signatures vaudoises, on a fait signer aux Genevois, pour les amadouer sans doute, une initiative qui s'intitule «Oui à la région !» Dès lors qu'il s'agit du même texte, on peut se poser la question du caractère douteux de ce double titre. Les libéraux sont favorables à la collaboration régionale et même à l'intensification de celle-ci, mais ils pensent qu'une fusion entre Vaud et Genève n'est pas la bonne réponse à ce souhait. Ces collaborations doivent en effet rester à géométrie variable, en fonction des problèmes à résoudre. Toutes jusqu'ici n'ont pas été de grands succès, pensons au RHUSO. D'autres ont réussi, les HES de Suisse occidentale, la fiscalité des frontaliers, les divers concordats, etc. Des organismes sont déjà en place, tels le Conseil du Léman, le comité régional franco-genevois, et d'autres encore. Ces exemples montrent qu'en fonction des sujets c'est avec Vaud qu'il faut s'entendre, d'autres fois avec la France voisine, d'autres fois encore avec la Suisse occidentale, en y incluant parfois Berne et quelquefois même le Tessin, dans le domaine pénitentiaire par exemple.

La création d'un canton lémanique d'un million d'habitants n'apporte aucune réponse à la nécessaire collaboration régionale. Pire, connaissant la mentalité suisse, cette démarche ne pourrait paraître qu'arrogante vis-à-vis de nos autres partenaires. Et que l'on ne vienne pas nous parler, au sujet de cette initiative de la nécessité de construire l'Europe des régions, ou même de taille critique. A ce niveau-là, c'est la Suisse entière qui pourrait constituer une région européenne. Rappelons, et cela figure dans le rapport de M. Charbonnier, qu'un Land allemand compte en moyenne 5 millions d'habitants.

Le groupe libéral pense également que l'initiative fait peu de cas de l'identité des habitants des deux cantons. Forgée par une longue histoire, cette identité est réelle et ne se résout pas par un nouvel article constitutionnel.

L'impression prévaut que l'intention des initiants était avant tout lémanique, laissant de côté toute une partie du canton de Vaud. S'il est vrai en effet qu'une certaine communauté d'intérêt lie Genève aux districts vaudois proches du lac, les régions les plus excentrées semblent avoir été un peu négligées. Je n'ai pas la statistique de la récolte de signatures dans le pays d'En-Haut, dans la Broye ou le gros de Vaud, mais celle-ci doit être parlante. Même si ceci concerne davantage les Vaudois que nous, lorsqu'il s'agit d'accepter un projet de fusion, il est utile de se poser ce genre de questions. Si l'initiative devait réussir entre Genève et Montreux mais échouer ailleurs, je vous laisse imaginer l'imbroglio politique qui s'ensuivrait.

Une question que l'on peut se poser, c'est de savoir si l'initiative va dans le sens de l'histoire. Les libéraux n'en sont pas certains. L'histoire récente aurait plutôt tendance à nous prouver le contraire. Passons rapidement sur l'éclatement de l'URSS et de la Yougoslavie en plusieurs Républiques dont certaines sont fort petites, mais plus proche de nous, on observe que la dernière modification départementale en France a consisté à séparer la Corse en deux départements, la Haute-Corse et la Corse du sud. En Suisse, à part quelques fusions de minuscules communes, le dernier grand événement a été la création du canton du Jura. A Genève même, les dernières modifications de communes ont consisté en divisions: Genthod, Bellevue, Corsier, Anières, Soral, Laconnex, etc. (Commentaires.)Le projet de l'ancien Conseil d'Etat sur la relation Ville-Etat accueilli très fraîchement par le parlement prévoyait la recréation de plusieurs communes en Ville de Genève. On assiste ainsi davantage à des processus de scission, plutôt que de fusion, et ceci pour le principal motif que les populations apprécient d'être proches de leur centre de décision. Tout ceci n'empêche nullement une fructueuse collaboration. Je crois que l'on n'a jamais vu le Jura aussi proche de Berne depuis qu'ils sont séparés.

Il y aurait d'autres arguments à développer à l'encontre de cette initiative, mais je souhaite encore évoquer l'alinéa 9 de l'article 180 qui est proposé par les initiants. C'est la possibilité donnée aux cantons limitrophes du canton commun de se joindre à ce processus de fusion. Mesdames et Messieurs les députés, c'est l'élément le plus dangereux de cette initiative, car il crée le risque de fonder à terme une Romandie, terme honni des libéraux, qui sonnerait le glas de la Suisse dans sa diversité culturelle. Notre pays existe de par ses cultures, ses traditions et par la volonté de les unir pour le bien commun. Si l'on en venait à créer une Romandie, une Alémanie et une Suisse italienne toutes trois bien distinctes parce qu'organisées en région, ce serait la fin de la cohésion de notre pays. Les libéraux se refusent à poser la première pierre de ce tombeau. Nous serons toujours aux côtés des initiants pour renforcer la coopération intercantonale, pour inciter les cantons, mais aussi les régions voisines à mieux collaborer, mais nous refusons la solution simpliste qui nous est proposée aujourd'hui. (Applaudissements.)

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, je salue la présence à la tribune de notre ancienne collègue Barbara Polla qui est venue assister à nos débats. (Applaudissements.)Elle peut se rendre compte qu'on n'est jamais aussi bien lâché que par les siens. Avant de suspendre nos travaux, je donne la parole à M. Christian Grobet.

M. Christian Grobet (AdG). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe de l'Alliance de gauche est également défavorable à cette initiative qui nous est présentée sous un titre trompeur comme le rapporteur l'a relevé à juste titre.

S'il ne s'agissait que d'être en faveur du développement de la région et d'une meilleure collaboration au sein de celle-ci, bien entendu nous serions les premiers à souscrire à cette initiative. (L'orateur est interpellé.)Je vais revenir au RHUSO, Monsieur Dupraz, si vous me laissez parler ! Est-ce qu'on s'arrête à 19h, Monsieur le président ?

Le président. Il vous reste cinq minutes, Monsieur le député.

M. Christian Grobet. Les initiants eux-mêmes, si vous lisez le rapport, ont indiqué, dans l'exposé des motifs de leur initiative, en gras, les deux objectifs principaux de ce texte dont le second est, je cite: «permettre aux cantons voisins de se joindre à l'opération et de faire partie d'un canton commun en élisant 50 députés à l'assemblée constituante». En réalité, il s'agit de créer dans un premier temps, un canton commun entre Vaud et Genève. Il me semble, Monsieur le président, que nous devrions faire en sorte que, au moment où cette initiative sera mise en votation populaire, le titre en soit rectifié. Il y a une jurisprudence du Tribunal fédéral au terme de laquelle l'autorité est en droit de corriger des titres d'initiatives qui ne correspondent pas à la réalité et qui sont trompeurs. Je pense, pour le moins, qu'il faudrait compléter le titre actuel par la mention: création d'un canton Vaud-Genève. C'est de cela qu'il s'agit et il ne faudrait pas que les électrices et les électeurs soient trompés.

Maintenant sur le fond, j'aimerais relever l'extrême difficulté d'une telle opération. Je me souviens, lorsque j'étais au Conseil d'Etat en 1981... (Commentaires.)...nous discutions déjà depuis un certain nombre d'années d'une très modeste réforme fiscale qui devrait permettre d'établir une certaine équité en ce qui concerne la perception des impôts. Aujourd'hui, vingt ans plus tard, on est toujours en discussion sur ce sujet avec les Vaudois. Le problème n'a pas avancé d'un iota. Or, Mesdames et Messieurs les députés, le point de base de n'importe quel Etat ce sont les impôts, les recettes de celui-ci. Je ne vois donc pas comment on pourrait créer un Etat commun Vaud-Genève, alors que nous sommes dans l'incapacité la plus totale de résoudre ce problème fondamental d'une fiscalité commune.

A part cela, il y a beaucoup d'autres choses qui rendront cette fusion très difficile. En tant que Vaudois, je connais bien la mentalité de mon canton d'origine qui a vécu sous la chape de l'occupation bernoise durant de très nombreuses années au point que mes concitoyens n'ont toujours pas réussi à se libérer de cet assujettissement à l'autorité, ce qui fait que, face à celle-ci il y a une sorte de blocage. Notamment, les députés du Grand Conseil vaudois ne peuvent pas utiliser le droit d'initiative législative que nous connaissons, c'est-à-dire proposer un texte de loi en bonne et due forme qui puisse être adopté par le parlement au même titre que les projets de loi proposés par le Conseil d'Etat. Dans le canton de Vaud, en vertu du respect de l'autorité, il appartient aux députés de faire une supplique au Conseil d'Etat pour que celui-ci veuille bien rédiger une loi qui corresponde aux désirs des députés.

M. John Dupraz. C'est parce que ce sont tous des paysans !

M. Christian Grobet. Ils sont d'autant plus roublards, Monsieur le députés, vous devez en savoir quelque chose.

Une voix. Il n'y a pas que les paysans, Monsieur Grobet !

M. Christian Grobet. C'est juste. Il y a aussi des avocats roublards, des entrepreneurs roublards, etc.

Le président. Monsieur Grobet, je vous laisse encore une minute, mais rien de plus.

M. Christian Grobet. Je vous prie de m'excuser, Monsieur le président, néanmoins, vous admettrez que par ces quelques petites anecdotes, on voit à quel point l'exercice est totalement futile et qu'il vaut mieux effectivement chercher des collaborations, pas seulement avec les Vaudois, mais aussi avec les autres cantons, sur un certain nombre de sujets, comme on est en train de le faire actuellement avec les concordats. Pour autant, Monsieur Dupraz, que ces concordats ne prennent pas la mauvaise forme qui avait été celle du RHUSO lequel a du reste été balayé en votation populaire ici à Genève. Alors avant d'y faire référence, vous feriez mieux de vous rappeler ce qu'en a dit le peuple. Il n'en a pas voulu parce que, vous le savez, ce RHUSO n'avait qu'un seul but: dépouiller notre Grand Conseil et par là le peuple genevois d'un certain nombre de compétences. Sachez que ce petit jeu-là, qui consiste à réduire les droits de ce parlement et donc les droits du peuple souverain, nous n'y souscrirons jamais et ce n'est en tout cas pas dans cette voie-là qu'il faudra travailler.

Enfin, j'aimerais ajouter un point. En effet, M. Gros a totalement raison de parler du niveau fédéral et de l'équilibre qu'il convient de maintenir. Je crois que ce serait une très grave erreur de vouloir créer un grand canton romand qui reprendrait les secteurs riches de la Suisse romande, un peu à l'instar du triangle d'or créé par Zurich. Ce serait, d'une part, un fort mauvais exemple en matière de solidarité que nous devons avoir à l'égard de l'ensemble des cantons suisses et, d'autre part, une perte pour la Suisse romande par rapport à la Suisse alémanique dans le calcul du nombre des cantons, nombre qui joue un rôle notamment pour les votations constitutionnelles. Voilà une série de raisons pour lesquelles nous estimons que le projet qui nous est soumis est un mauvais projet.

Monsieur le président, je ne sais pas s'il faut le faire sous forme de résolution ou sous une autre forme, mais je demande formellement que le titre de ce texte soumis en votation populaire soit complété pour que les citoyennes et les citoyens ne soient pas trompés au moment de la votation.

Le président. Je vous suggère d'approfondir un peu cette question dans la mesure où, en ce qui me concerne, je ne crois pas que l'on puisse voter un amendement sur le titre. Peut-être est-ce possible, par le biais d'une résolution et, que sais-je, un accord du Tribunal fédéral. Je vous suggère d'examiner cette question avec Mme le sautier et d'essayer de trouver une solution s'il y en a une.

Mesdames et Messieurs, sont encore inscrits Mme Ruegsegger, M. Jeannerat, Mme Frei et M. Serex qui reprendront la parole après le point 135 que nous commencerons à 20h30.

Suite du débat: séance 23 du 22 février 2002 à 17h