République et canton de Genève

Grand Conseil

IN 109-D
4.  a) Rapport de la commission ad hoc IN 109 «Genève, République de paix» chargée d'étudier la prise en considération de l'initiative populaire «Genève, République de paix». ( -) IN109
 Mémorial 1997 :  Page, 267. Rapport du Conseil d'Etat, 267.
  Renvoi en commission, 314. Divers, 5784. Rapport, 5802.
  Irrecevabilité, 5897. Lettre, 5911.
 Mémorial 1998 : Lettre, 1170. Recevabilité, 1696.
  Renvoi à la commission ad hoc, 1696. Lettres 2665, 3129.
  Rapport, 4293. Recevabilité. 4372.
  Renvoi à la commission ad hoc, 4372. Rapport, 7452. Adoptée, 7515.
  Divers, 4463. Lettres, 4463, 5078, 5579, 7370.
 Mémorial 1999 : Lettres, 1059, 1855, 4763. Renvoi en commission, 6534.
Rapport de majorité de M. Pierre Froidevaux (R), commission ad hoc IN 109 «Genève, République de paix»
Rapport de minorité de Mme Jeannine de Haller (AG), commission ad hoc IN 109 «Genève, République de paix»
PL 8134
b) Projet de loi constitutionnelle de Mmes et MM. Michel Balestra, Jacques Béné, John Dupraz, Pierre Froidevaux, Nelly Guichard, Janine Hagmann et Catherine Passaplan modifiant la constitution de la République et canton de Genève (A 2 00) (contre-projet à l'IN 109). ( )PL8134

RAPPORT DE LA MAJORITÉ

Rapporteur: M. Pierre Froidevaux

A la demande unanime du Bureau du Grand Conseil, la commission ad hoc, présidée par Mme Reusse-Decrey, s'est réunie le 17 septembre 1999 afin de prendre position sur l'IN 109 amputée des lettres b et c, alinéa 4 de l'article 160D. En effet, le traitement de cette initiative a connu quelques accrocs, liés à la difficulté de la rendre compatible tant avec la volonté des initiants qu'avec notre ordre juridique. Ces nombreuses péripéties nous obligent, pour des questions de délais constitutionnels, à nous prononcer déjà dès la rentrée parlementaire d'automne. Ainsi s'explique cette décision de saisir la commission ad hoc avant que lui soit renvoyée formellement, par notre Conseil, cette initiative populaire.

Historique succinct du traitement de cette initiative

Le Conseil d'Etat a constaté l'aboutissement de cette initiative, appelée ";Genève, République de paix ", codée alors IN 109, par un arrêté du 16 octobre 1996 publié dans la Feuille d'avis officielle du 23 du même mois.

Le 18 décembre 1996, le Conseil d'Etat publiait son rapport au Grand Conseil, rendant attentif celui-ci que la constitutionnalité de cette initiative n'était pas complètement établie. Il proposait l'invalidation dans l'article 160D nouveau aliéna 2, de sa lettre b et dans son aliéna 4, des lettres b et c. De plus, Il nous rendait attentif qu'il existait de nombreuses difficultés d'interprétation, notamment dans le rôle que les initiants voudraient voir jouer à notre République et canton de Genève auprès des institutions internationales, les prérogatives fédérales n'y étant pas clairement définies. Le débat politique qui s'en est suivi n'a pas permis d'obtenir un consensus protégeant la volonté populaire exprimée par la voix des initiants tout en respectant les différents objectifs politiques qui se sont alors exprimés au sein de notre Conseil.

Ceci a abouti à ce que celui-ci déclare totalement irrecevable cette initiative lors de sa séance du 27 juin 1997. Le Tribunal Fédéral (ci-après TF) est saisi, et donne raison au recourants, reprochant à notre Conseil de n'avoir pas suffisamment motivé sa décision de refus d'entrée en matière sur cette initiative.

Le 23 avril 1998, notre Conseil déclare l'initiative entièrement recevable. La majorité de gauche de notre parlement entend traiter cette initiative sur le fond estimant que le TF la considérait lui aussi comme entièrement recevable. Un nouveau recours au TF nous rappelle à l'ordre en estimant que nous nous n'avions pas jusqu'ici suffisamment motivé nos décisions.

Ainsi, le 26 juin 1998, notre Conseil considérait et motivait majoritairement cette initiative comme entièrement recevable. Un nouveau recours contre la décision de notre Conseil est alors interjeté auprès de notre plus haute Cour. Sans attendre sa décision, la majorité de notre Grand Conseil poursuivait ses travaux et se prononçait le 17 décembre en faveur de cette initiative sans contre-projet.

Le 21 avril 1999, le TF rendait public son arrêt, invalidant les lettres b et c de l'alinéa 4 de l'article 160 D. Cette décision a annulé aussi le dernier vote de notre Grand Conseil et imposait la reprise des travaux parlementaires. Nous retournions donc à ";la case départ ".

Le Conseil d'Etat a alors sollicité un avis de droit à la Direction des affaires juridiques de la Chancellerie d'Etat afin de s'assurer du meilleur traitement possible de cette initiative. Celui-ci a conclu, notamment, que la ";commission ad hoc reprenne ses travaux afin de se prononcer sur la prise en considération de cette initiative en en abordant le fond, mais dans la teneur amputée des deux dispositions annulées par le TF et en tenant compte des réserves et précisions émises par le TF ". Ce même avis nous propose différentes solutions afin de respecter les délais légaux du traitement d'une initiative

Cf. annexe

Cette procédure est ainsi conforme à l'esprit du jugement du TF qui a annulé notre décision du 17 décembre 1998 et entérine le fait que nos travaux en commission n'aient, en fait, jamais été interrompus.

Prise de position des initiants

Les initiants, par la voix de leur représentant en commission, M. Luc Gilly, a précisé que son groupement n'entendait pas retirer cette initiative malgré les retranchements du TF et ses réserves sur la compréhension de certains articles.

Les remarques du TF 2

En dehors de l'invalidation des lettres b et c de l'alinéa 4 de l'article 160D, notre plus haute Cour nous recommande une relecture de l'ensemble de l'initiative. Aussi le rapporteur vous invite-t-il à la lecture de l'arrêt qui figure à la fin de son rapport. Le TF y a notamment rappelé que le principe énoncé au début de l'alinéa 1 ";Dans la limite du droit fédéral " s'étend à l'ensemble de l'initiative. Ainsi les moyens décrits dans l'alinéa 2 sont soumis à cette disposition. Ils ne peuvent en aucun cas entraver l'action de notre Confédération ni même constituer un mandat impératif aux représentants politiques de notre canton. En cas d'acceptation par le peuple, le TF rappelle que ";la nouvelle disposition fera encore l'objet d'une concrétisation législative propre à assurer le respect du droit fédéral ".

Débat de commission

Les représentants de l'Alternative, présents en commission, se sont déclarés favorables à l'initiative tronquée selon l'arrêt du TF du 21 avril 1999. Ils ont ainsi souhaité qu'elle soit présentée au peuple sans contre-projet.

Les représentants de l'Entente, soucieux d'une présentation au suffrage populaire d'un texte moins controversé qui puisse obtenir un large soutien pour un sujet d'une telle importance, ont soutenu l'idée d'un contre-projet. En effet, la relecture de certains articles par notre plus haute Cour rend cette initiative constitutionnelle bien peu compréhensible pour l'ensemble de nos concitoyens. Ces nouvelles dispositions de notre Constitution cantonale pourraient devenir source de confusion, donc de dysharmonie entre tous, ce qui serait le comble d'un article constitutionnel s'engageant fermement pour la paix !

Le principe de l'exclusion de l'armée dans un processus de paix est un des fondements de l'initiative. Ceci est en contradiction avec la finalité de notre armée qui ne peut, en cas de conflit, qu'oeuvrer au rétablissement de la paix. Cette assertion est confirmée par notre Histoire. Aujourd'hui encore, comme toujours, des drames violents ensanglantent notre planète. La communauté internationale se mobilise, y compris par la force pour les contenir. Lors du récent conflit dans la République fédérale de Yougoslavie, de nombreux Etats ont mobilisé des forces armées pour rétablir la paix dans la contrée. La majorité des pays belligérants avaient à leur tête un gouvernement de gauche. Certains éminents politiciens socialistes suisses ont aussi appelé, à cette occasion, à l'envoi de troupes confédérées dans cette région. Le rôle humanitaire de notre escadrille d'hélicoptères a été reconnu comme très bénéfique pour alléger les souffrances de ces populations.

Le problème de la violence ou du pacifisme ne se limite donc pas aux habituels clivages politiques : en fait, personne ne détient le monopole ni la clef du pacifisme.

Aussi, la majorité de la commission vous propose-t-elle un nouvel article constitutionnel, contre-projet à l'IN 109, ainsi libellé :

TITRE X E POLITIQUE DE PAIX

Art. 160 D (nouveau)

1 Dans la limite du droit fédéral, le canton développe et applique une politique de sécurité fondée sur la mise en oeuvre de moyens pacifiques, aptes à résoudre tout conflit au niveau local et international. Il encourage activement la recherche et la promotion de mesures de prévention des conflits à travers le développement d'une véritable culture de paix. Cette politique est réalisée en collaboration avec les autorités fédérales.

2 Dans ce but, le canton soutient toute démarche visant à la prévention de la guerre, la coopération et la solidarité entre les peuples et le respect des droits de la personne. A de telles fins, il peut soutenir ou créer des institutions de droit public ou privé ou encore s'y associer. De plus, le canton encourage la mise à disposition des installations et des équipements de l'armée pour des mesures de promotion de la paix internationale.

Cet article a été repris du PL 7909. Son exposé des motifs figure à la page 7487 du Mémorial 1998.

La majorité de la commission a ainsi souhaité que soit inscrit un article constitutionnel qui tienne compte de la volonté des signataires de l'initiative tout en évitant la codification des détails de l'action à mener. En effet, notre ordre juridique nous impose d'avoir une constitution généraliste et de voter des lois plus spécifiques selon l'évolution du droit. Le texte de l'initiative, par son imposant libellé devient un ";catalogue " non conforme à l'esprit de notre Constitution.

Vote final

Aussi, la majorité de notre commission souhaite-t-elle faire partager à l'ensemble de notre Grand Conseil son enthousiasme pour une Genève qui s'ouvre toujours davantage à la compréhension des difficultés dépassant le cadre cantonal. Elle vous encourage ainsi à apporter votre soutien au contre-projet et à refuser l'initiative.

Projet de loimodifiant la Constitution de la République et canton de Genève (A 2 00) (contre-projet à l'IN 109)

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :

Article unique

La Constitution de la République et canton de Genève, du 24 mai 1847, est modifiée comme suit :

Art. 160D (nouveau)

1 Dans la limite du droit fédéral, le canton développe et applique une politique de sécurité fondée sur la mise en oeuvre de moyens pacifiques, aptes à résoudre tout conflit au niveau local et international. Il encourage activement la recherche et la promotion de mesures de prévention des conflits à travers le développement d'une véritable culture de paix. Cette politique est réalisée en collaboration avec les autorités fédérales.

2 Dans ce but, le canton soutient toute démarche visant à la prévention de la guerre, la coopération et la solidarité entre les peuples et le respect des droits de la personne. A de telles fins, il peut soutenir ou créer des institutions de droit public ou privé, ou encore s'y associer. De plus, le canton encourage la mise à disposition des installations et des équipements de l'armée pour des mesures de promotion de la paix internationale.

ANNEXE

INITIATIVE POPULAIRE

";Genève, République de paix"

Les soussignés, électrices et électeurs dans le canton de Genève, en application des articles 64 et 65A de la constitution de la République et canton de Genève, du 24 mai 1847, et des articles 86 à 93 de la loi sur l'exercice des droits politiques, du 15 octobre 1982, appuient la présente initiative constitutionnelle formulée, qui propose le projet de loi suivant, modifiant la constitution de la République et canton de Genève, du 24 mai 1847.

La constitution de la République et canton de Genève, du 24 mai 1847, est modifiée comme suit:

Article unique

Art. 127 (abrogé)

TITRE X E

POLITIQUE DE PAIX

(nouveau, comprenant l'art. 160D)

Art. 160D (nouveau)

1 Dans la limite du droit fédéral, le canton développe et applique une politique de sécurité fondée sur la mise en oeuvre de moyens pacifiques, aptes à résoudre tout conflit au niveau local et international. Il encourage activement la recherche et la promotion de mesures de prévention des conflits à travers le développement d'une véritable culture de paix. Cette politique est réalisée par les autorités cantonales et communales, l'administration et les institutions publiques dans le cadre de leurs attributions.

2 Dans ce but, le canton soutient toute démarche visant le désarmement global, la coopération et la solidarité entre les peuples et le respect des droits de l'homme et de la femme. Il intervient dans ce sens auprès des institutions nationales et internationales compétentes. En particulier, le canton encourage:

a) la réduction des dépenses militaires;

b) la restitution à des usages civils des terrains affectés à l'armée dans le canton en intervenant auprès de la Confédération;

c) la conversion civile des activités économiques, financières et institutionnelles en relation avec le domaine militaire.

3 Le canton oeuvre pour la prévention des conflits et le développement d'une culture de la paix, notamment par:

a) l'encouragement de la recherche pour la paix et le soutien des actions de la société civile pour la solution non violente des conflits;

b) la participation à la création et au financement des activités d'un institut de recherche pour la paix;

c) le développement d'un programme d'éducation à la paix dans le cadre de l'instruction publique aux niveaux primaire et secondaire;

d) l'accueil des victimes de la violence, dans la mesure des moyens du canton;

e) la promotion du service civil, à travers la diffusion de toute information utile et le développement de projets et d'activités permettant la réalisation de ce service. L'accès volontaire à ceux-ci est ouvert à toute personne établie dans le canton;

f) le renoncement à toute manifestation de promotion de l'institution et des activités militaires dépassant le cadre strict des obligations cantonales et commu-nales en la matière.

4 Le canton met en oeuvre et développe des moyens non militaires pour garantir la sécurité de la population:

il encourage la prise en charge de toutes les tâches concernant la sécurité dans le canton par des organismes civils;

La loi règle tout ce qui concerne l'exécution du présent article.

ANNEXE A FILMER

1

2

3

45678Arrêt du Tribunal fédéral

123456789101112131415161718192021222324252627282930313233343536373839

RAPPORT DE LA MINORITÉ

Rapporteur: Mme Jeannine de Haller

C'est avec regret que les initiants ont pris connaissance de l'arrêt du Tribunal fédéral qui invalide à l'alinéa 4 les lettres b et c de l'article 160D. Mais ils se réjouissent aussi que l'initiative n'ait de loin pas été invalidée dans sa totalité comme le souhaitait le dernier recourant. Le retrait des lettres b et c ne saurait à lui seul remettre en question l'entièreté du contenu de l'IN 109, "; Genève, République de Paix ".

La nécessité pour Genève d'inscrire dans sa Constitution un article en faveur d'une culture de paix garde plus que jamais sa pertinence. Il s'agit donc d'enrichir la Constitution genevoise, mais surtout que cette initiative et son contenu puissent être mis en pratique.

Le débat parlementaire, la malveillance de l'ancienne majorité de droite et les batailles juridiques qui en ont découlé n'ont que trop duré. Déposé voici plus de trois ans (le 28 août 1996 !), l'initiative 109 soit être remise le plus vite possible devant le peuple pour que celui-ci exprime par son vote un geste positif et un changement, certes modeste, dans la recherche de la paix.

C'est aux citoyennes et aux citoyens de décider, tel est le désir de la minorité de la commission.

Contre-projet à l'IN 109

La minorité de la commission refuse ce projet de loi constitutionnelle (contre-projet à l'IN 109). Nous l'avons déjà dit dans ce parlement, ce projet - qui se voudrait rassembleur -, dilue et vide complètement de son sens les objectifs concrets de l'initiative. Au lieu d'être citoyenne, elle devient trop institutionnelle, en remettant à la Confédération et à l'armée des pouvoirs que nous ne voulons pas !

Conclusion

Nous refusons donc ce contre-projet généraliste, mauvaise copie de l'initiative et laissons les citoyennes et les citoyens s'exprimer par vote dès que possible.

Débat

M. Pierre Froidevaux (R), rapporteur de majorité. Je suis heureux de constater qu'il y a tout de même une quinzaine de députés qui sont intéressés à ce travail parlementaire, qui est soumis à une votation cantonale et qui représente un grand enjeu, puisqu'il s'agit de définir un article constitutionnel qui permet... (Le président agite la cloche.) Eh oui, je sais bien qu'il y a un perturbateur dans la salle... Bien que nous ne soyons que quinze, M. Hausser se croit obligé de se manifester... C'est une manière d'exprimer son opposition à la paix, puisqu'il manifeste au moment où j'allais évoquer l'article constitutionnel, sur la paix précisément !

Le rapport de majorité, tel qu'il vous a été envoyé par messagerie et tel qu'il figure sur votre bureau, comprend une petite erreur en page 3. Il faut savoir, en fait, que, malgré ce que notre distinguée présidente nous avait dit en commission, ce n'est pas le Bureau du Grand Conseil qui a sollicité un avis de droit pour savoir comment on allait traiter cette initiative mais bien le Conseil d'Etat. Je voulais apporter cette précision.

Nous nous sommes réunis vendredi dernier, et j'ai effectivement dû rédiger ce rapport très rapidement - dans l'après-midi - ce qui explique les quelques fautes de syntaxe. Je transmettrai les corrections qui, de toutes façons, ne changeront pas le sens du texte.

Tout d'abord, je rappelle que nous avions pris en considération cette initiative le 17 décembre 1998. Or, un recours au Tribunal fédéral contre notre décision prise le 27 juin 1997 était pendant. Le Tribunal fédéral s'étant opposé à cette décision, estimant que cette initiative n'était pas entièrement recevable, a, en fait, annulé notre décision du 27 juin et du 17 décembre. Nous pouvons donc estimer que les travaux en commission n'ont pas été interrompus et que nous nous sommes réunis régulièrement malgré cette procédure un peu particulière imposée par le Bureau hier soir : cet objet a en effet été renvoyé en commission hier soir et il revient aujourd'hui. Malgré cette petite pirouette, donc, ce rapport est bien constitutionnel. Les conclusions données aujourd'hui sont celles de la commission chargée de traiter l'initiative 109 sur le fond.

Les prises de position politiques sont assez claires : un certain nombre de députés entendent soumettre à l'approbation du peuple une initiative, telle que proposée par les initiants et écrite par le GSsA, et d'autres députés - ceux de l'Entente - souhaiteraient un texte beaucoup plus consensuel qui permette de réunir l'ensemble des citoyens sur un article constitutionnel plus clair, sans toutes ces dispositions qui ressemblent à un catalogue et qui rendent notre constitution plus difficile à lire. En effet, la loi qui concrétisera ce nouvel article devra comporter les dispositions telles que prévues par les initiants. Aussi, en tant que rapporteur de majorité, je souhaite que le peuple puisse se déterminer très clairement entre le travail parlementaire effectué et la volonté des initiants, et vous recommande d'adopter le projet de loi, contre-projet à cette initiative, tel qu'il figure à la page 6 de mon rapport. 

Mme Jeannine de Haller (AdG), rapporteuse de minorité. Je voudrais juste redire très clairement quelle est la position de ce qui était la minorité de la commission et qui sera, j'en suis sûre, la majorité ce soir, soit notre soutien total à l'initiative 109, malgré le retrait des lettres b) et c) de l'article 160 D, à l'alinéa 4 et notre opposition totale également au contre-projet formulé par la droite. 

M. Luc Gilly (AdG). Je sais que nous devons passer rapidement au vote, mais je voudrais tout de même faire une constatation : après trois années de travaux, nous allons enfin voter ce soir, mais je ne peux que m'étonner de l'intérêt de la droite pour cette initiative... Je les remercie de leur absence, mais je dirai tout de même ce que j'avais à dire !

Je serai très bref. Cette initiative, Monsieur Froidevaux, n'a plus rien à faire devant le parlement. Elle doit être rendue aux citoyennes et aux citoyens. Voici donc bientôt trois ans, voire plus, que le parlement garde celle-ci en otage. Malgré deux tentatives d'invalidation totale, une fois par la majorité de droite de la dernière législature et une fois par le citoyen capitaine Gioria, cette initiative n'a pas été «fusillée» par le Tribunal fédéral !

«Genève, République de paix» garde donc toute son actualité et sa pertinence, parce que la recherche pour la paix doit être un objectif permanent. Seul le député Froidevaux, capitaine sur son vaisseau en train de couler, continue et s'obstine, depuis trois ans, à regarder mon doigt, alors que je lui montre la lune... Et de nous ressortir de son tiroir un contre-projet qui torpille complètement l'intention des initiants ! En retirant les lettres b) et c) de l'alinéa 4 de l'article 160 D, le Tribunal fédéral aurait dû combler de bonheur les ATAA, c'est-à-dire les «amis très attachés à l'armée», mais tel n'est pas le cas. Aussi, comme je le disais au début de cette intervention, l'initiative doit quitter au plus vite le parlement pour être proposée rapidement au peuple.

C'est pourquoi l'Alliance de gauche vous demande de soutenir l'initiative «Genève, République de paix» et de rejeter le contre-projet sans arrière-pensée. 

M. Pierre Froidevaux (R), rapporteur de majorité. Monsieur le président, je renonce pour le moment !

M. Bénédict Fontanet (PDC). Il convient que le réformé Fontanet vienne à l'aide du capitaine Froidevaux... (Rires.)

Une voix. Militaire !

M. Bénédict Fontanet. Les bancs ne sont pas complètement vides, mais paraît-il que chez Lipp, où je n'ai pas eu l'honneur de manger ce soir, il était difficile de se faire servir rapidement, et comme les démocrates-chrétiens ne réussissent pas à réfléchir s'ils n'ont pas l'estomac plein... (Rires.) (L'orateur est interpellé par M. Hiler.) Non, ce n'est pas un lieu que j'affectionne particulièrement, cher Monsieur Hiler !

Pour en revenir à cette excellente initiative, je dois vous dire, Monsieur Gilly, que trois ans pour traiter une initiative me semble un délai tout à fait bref, compte tenu de celles qui ont traîné dans ce parlement pendant une bonne dizaine d'années, dont l'IN 4, vous vous en souviendrez, Monsieur Ferrazino... Ce délai n'est donc pas scandaleux, loin s'en faut ! Votre initiative n'est qu'un catalogue inepte qui n'a pas de contenu. Le contre-projet du capitaine Froidevaux est, quant à lui, un document tout à fait sérieux que nous soutenons et qui est magnifique de concision, d'une part, et de contenu, d'autre part.

C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs, au nom du parti qui est le mien, même si je suis très seul ce soir avec Mme Guichard - en tout bien tout honneur... (Rires.) ...je vous invite à soutenir dans la joie, la bonne humeur et la conviction, l'excellent rapport de M. Froidevaux et le contre-projet qui vous est soumis ! 

M. Jacques Béné (L). Je voudrais revenir sur l'audition de M. Andreas Gross qui a été effectuée en commission. Cette personne est plutôt proche de vos milieux, Messieurs de la gauche - en tout cas pas des nôtres...

Des voix. Et les dames ?

M. Jacques Béné. Oui, Mesdames et Messieurs de la gauche... Excusez-moi ! Je pense que vous avez tous lu l'article dont M. Gross a accepté la parution, suite à une interview dans «l'Hebdo» du mois d'avril 1999. Je vous en rappelle quelques passages, juste pour vous montrer que même dans vos milieux, Messieurs...

Des voix. Dames !

M. Jacques Béné. ...Mesdames, Messieurs... (Commentaires.) Excusez-moi de généraliser, Mesdames, Messieurs ! Je veux juste vous montrer que M. Andreas Gross, tout en étant très attaché à la neutralité de notre pays et à une république de paix, estime - il l'a dit en commission - que non seulement cette initiative ne correspond pas à son idée de la paix... (L'orateur est interpellé par M. Gilly.) Si, il l'a dit, Monsieur Gilly ! Et c'est aussi une des raisons pour lesquelles il a préféré quitter le GSsA que vous représentez, Monsieur Gilly !

Je reviens donc rapidement sur quelques passages de l'interview de M. Gross, à propos de la neutralité de la Suisse et de l'éventualité d'une adhésion à l'OTAN ou à l'ONU, je cite : «Ne lançons pas un débat que nous ne pouvons pas gagner ! Les discours élitistes offensants ne servent à rien ! Mieux vaut s'inscrire dans la durée et prendre acte que les mentalités changent lentement. Il faut d'abord adhérer à l'ONU, puis convaincre que, si la Suisse décide d'envoyer des soldats suisses à l'étranger dans des missions humanitaires, ces soldats devront être armés. Dans certaines régions de l'ex-URSS et des Balkans, envoyer des soldats sans moyen d'autodéfense est irresponsable !». C'est également notre position, Mesdames et Messieurs !

Je continue... A la question suivante : «Que diriez-vous le jour où il faudra accueillir à Cointrin le corps du premier soldat suisse tué à l'étranger ?», Andreas Gross répond : «C'est le prix de la solidarité : se partager les tâches, c'est aussi accepter de partager les risques.»

Une voix. C'est pour meubler !

M. Jacques Béné. Non, ce n'est pas pour meubler, je suis désolé, c'est préparé ! (Exclamations.) Il y a des choses qu'il faut dire !

Je continue : «Juridiquement, l'intervention de l'OTAN est illégale, mais elle est légitime dans la mesure où elle permet d'éviter le pire. Depuis dix ans, de telles erreurs ont été commises que le recours aux armes pour essayer de détruire la machine de guerre de Milosevic est la moins mauvaise solution, face à un système «fascistoïde» qui n'a plus d'autre valeur que le totalitarisme, et, lorsque toutes les occasions politiques ont été manquées, il faut se résigner à essayer le recours à la violence pour faire la paix.» Et il conclut, en disant : «C'est Milosevic qui a ruiné le Kosovo, pas les frappes de l'OTAN.»

Nous partageons cette analyse de M. Andreas Gross qui est contre l'initiative que vous semblez soutenir ce soir et à laquelle nous nous opposons pour lui préférer le contre-projet présenté par M. Froidevaux.

M. Michel Balestra (L). Le feuilleton de l'initiative 109 semble trouver ce soir sa conclusion. Après de nombreux débats parlementaires sur la conformité au droit supérieur ou non de cette initiative, je crois que nous pouvons affirmer, ce soir, que nous sommes renvoyés dos à dos, puisque personne n'avait totalement raison.

Il n'empêche que l'article 160 D, alinéa 4, lettre b) et l'article 160 D, alinéa 4, lettre c) doivent être retirés du texte de l'initiative. En plus de ce retrait, l'interprétation qu'en donne le Tribunal fédéral la vide de la substance qui était la sienne, lorsqu'elle a été déposée. Car il faut appeler les choses par leur nom : cette initiative «Genève, République paix» était une initiative antimilitariste... Eh bien, le Tribunal fédéral a rappelé que Genève ne saurait échapper au droit constitutionnel fédéral et à ses obligations militaires quelles qu'elles soient.

Alors, maintenant, il y a deux solutions :

La première est de se dire : votons quand même cette initiative, parce que nous en avons la paternité, même si nous savons qu'elle est vidée de sa substance et qu'elle n'a plus aucun sens.

La deuxième : chaque Etat devrait mener, dans la mesure de ses possibilités, une politique de paix ; Genève doit mener une politique de paix et pour donner une chance à cet objectif louable, nous soumettons au peuple l'initiative, avec un préavis négatif de notre parlement, et le contre-projet qui vise strictement à poursuivre cette politique de paix, mais une politique de paix avec une forte volonté de défense.

Mesdames et Messieurs les députés - et les médecins qui sont dans cette salle ne me contrediront pas - quel est l'individu qui, sous prétexte qu'il fait du vélo régulièrement, un petit peu de musculation deux fois par semaine, ne fume pas, ne boit pas trop - et lorsqu'il boit ne boit que du bon alcool : du bon vin de Bordeaux - peut se passer d'une assurance-maladie ? Eh bien, Mesdames et Messieurs, aucun ! Et un Etat démocratique, même s'il mène une politique de paix ne peut pas se passer de volonté de défense et de l'instrument de sa volonté de défense, c'est-à-dire l'armée.

Voilà, Mesdames et Messieurs, quelle est la position du groupe libéral : soumettre au peuple l'initiative «Genève, République de paix», parce que constitutionnellement nous sommes obligés de le faire, mais de l'assortir d'un contre-projet qui est plus fort, à mon sens, pour défendre une vraie politique de paix, avec une forte volonté de défense.

C'est pourquoi je vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, de renoncer à l'orgueil de la paternité pour prendre le chemin de la réalpolitik en votant non à l'initiative et en soutenant le contre-projet. 

M. Pierre Froidevaux (R), rapporteur de majorité. Effectivement, je ne suis pas opposé à l'initiative, puisque celle-ci est admise constitutionnellement et qu'elle sera de toute façon soumise au peuple. Nous souhaiterions simplement mieux travailler, et c'est l'enjeu du débat de ce soir.

Je suis, pour la première fois, représentant de l'Entente, rapporteur de majorité, et quelle que fût la majorité dans ce Grand Conseil c'est la première fois que je suis ce rapporteur-ci... Vous vous étiez du reste glosé, lors du dernier débat, de ma relative solitude à présenter ce dossier. Si ce soir je devais être minorisé... (Rires.) C'est possible, j'en conviens ! Mais puisque vous êtes si persuadés que je resterai minoritaire au sein de la population, j'ose faire le pari suivant : aurez-vous le courage... (L'orateur est interpellé par M. Vanek.) Oui, Monsieur Vanek, aurez-vous le courage, vous, de soumettre le contre-projet au peuple, ce qui démontrerait qui est majoritaire et qui est minoritaire dans la population ? (Rires et exclamations.) Je prends les paris ! Et pour faire les choses sérieusement, je demande l'appel nominal, Monsieur le président, pour savoir quels sont les députés qui sont d'accord de prendre ce pari !

M. Pierre Vanek (AdG). Je me suis laissé emporter... Je n'aurais pas dû demander la parole... Ça ne mérite pas de réponse, Monsieur Froidevaux ! Ce n'est pas sérieux. Evidemment, si on vote un contre-projet, c'est qu'on est opposé à l'initiative, et, en l'occurrence, j'y suis favorable... Je suis favorable à cette initiative «Genève, République de paix», je le répète. Je voterai donc oui à l'initiative et je voterai non à votre contre-projet. On verra bien ce que dira le peuple genevois, qui, par ailleurs, a voté une initiative bien autrement ambitieuse puisqu'elle proposait l'abolition de l'armée suisse. Vous devez vous en rappeler... Nous étions majoritaires à ce moment-là ! 

M. Régis de Battista (S). Je serai très bref, je ne tiens pas à donner d'opportunité à la droite...

Les auteurs de cette initiative ne sont pas du tout déçus que le Tribunal fédéral ait enlevé deux articles au texte initial. Au contraire, ils sont satisfaits qu'un débat se soit instauré sur ce sujet, alors que la droite essaye de le tronquer, mais, grâce aux efforts de la gauche, le Tribunal fédéral a donné des réponses sur cette question. Une initiative est maintenant lancée, nous verrons bien ce qui se passera lors du prochain vote sur ces deux objets dans quelques années. Il est vrai que voter le contre-projet de M. Froidevaux est tout à fait absurde, car son texte est une récupération du texte de l'initiative originale...

Je vous demande donc de le rejeter et de voter le rapport de minorité.

M. Pierre Froidevaux (R), rapporteur de majorité. Monsieur de Battista, il ne s'agit pas d'une récupération ! Nous avions expliqué que le texte de l'initiative était limitatif et ne permettait pas d'utiliser tous les moyens pour agir de manière adéquate pour préserver la paix ! Nous vous avons proposé un texte beaucoup plus souple qui permet non seulement de contenir tous les éléments de l'initiative - ils y sont tous : vous ne pouvez pas trouver dans le texte constitutionnel que je soumets le moindre élément négatif qui irait contre cette initiative - mais aussi de ne pas se priver des moyens militaires. Nous sommes donc plus complets, et cela correspond bien aux débats qui ont eu lieu le 17 décembre.

Monsieur Vanek, vous êtes sorti du bois ! Vous avez bien dit que votre but était l'abolition de l'armée suisse, en conformité avec l'esprit du GSsA.

M. Pierre Vanek. Ce n'est pas ce que j'ai dit !

M. Pierre Froidevaux, rapporteur de majorité. Vous avez entendu ?

M. Pierre Vanek (hors micro). Le canton de Genève a voté pour l'abolition de l'armée suisse...

Le président. Monsieur Vanek, s'il vous plaît, vous pouvez demander la parole, mais, pour l'instant, vous ne l'avez pas ! Monsieur Froidevaux, poursuivez !

M. Pierre Froidevaux, rapporteur de majorité. Monsieur le président, je suis extrêmement content qu'il ait précisé sa pensée...

M. Pierre Vanek (hors micro). Monsieur Froidevaux, écoutez ce qu'on vous dit ! Je peux parler fort, même sans micro...

Le président. Monsieur Froidevaux, poursuivez ! Monsieur Vanek, vous n'avez pas la parole !

M. Pierre Froidevaux, rapporteur de majorité. Monsieur Vanek, vous avez un sens aigu du débat démocratique... Vous aimez bien pouvoir vous imposer, même quand les autres essayent de s'exprimer, comme si vous n'aviez pas envie de les entendre ! C'est un problème qui vous est tout personnel, Monsieur Vanek, mais vous l'étalez publiquement. Alors, débrouillez-vous avec votre problème, mais ne perturbez pas le parlement avec vos dispositions particulières !

Monsieur Vanek, je reconnais que le peuple genevois a voté cette initiative, mais alors expliquez-moi comment le même peuple genevois, deux ans plus tard, a soutenu à une large majorité - c'est le seul canton en Suisse - la possibilité d'avoir des casques bleus qui puissent intervenir comme soldats de la paix... Expliquez-le moi ! C'est la dernière votation qui a eu lieu à Genève ; elle exprime ainsi la volonté d'avoir une armée, une armée qui oeuvre pour la paix. Et vous, Monsieur Vanek, vous voulez proposer dans un article constitutionnel ce que le peuple a refusé, et vous le faites avec une majorité véritablement de circonstance, car le peuple ne la suivrait pas !

C'est la raison pour laquelle je vous recommande de proposer au peuple les deux textes, de l'initiative et du contre-projet. Ayez ce courage, Monsieur Vanek, et nous verrons qui a raison ! 

M. Bénédict Fontanet (PDC). Messieurs les députés des bancs d'en face, vous avez manifestement peur du verdict populaire !

Qu'aurions-nous à perdre de soumettre deux textes au peuple, l'excellent contre-projet élaboré par M. Froidevaux et l'initiative qui n'est, à mon sens, qu'un catalogue de bons principes et qui a à peu près autant d'effet que du bouillon pour les morts, comme le dirait Claude Blanc, mon excellent collègue député... En effet, tout le monde souhaite ce catalogue de mesures - cela figurera dans notre constitution cantonale - mais nous verrons comment les appliquer dans les textes législatifs, qui devraient en principe concrétiser les dispositions constitutionnelles. En tant que juriste, cela ne manquera pas de m'intéresser.

Je demande donc à ceux qui nous font face d'être plus démocrates qu'ils ne semblent l'être en offrant au peuple une véritable alternative, à savoir le projet de l'initiative tel qu'il existe, et le contre-projet élaboré par la commission. Faites donc acte d'un peu de démocratie ! Ouvrez-vous ! Il faut savoir donner le choix ! Puisque vous semblez y être attachés, cela vous permettrait de faire une brillante démonstration des principes auxquels vous prétendez vous référer... (Remarques.)

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, je me permets simplement de vous rappeler l'article 67 de la constitution qui prévoit qu'on ne peut présenter un contre-projet que si l'initiative est refusée. Alors, je ne vois pas comment il est possible de voter pour les deux...

Vous avez la parole, Monsieur Béné.

M. Jacques Béné (L). Monsieur le président, il ne s'agit pas de voter pour les deux... Il s'agit de voter sur les deux : contre l'initiative telle qu'elle nous est présentée et pour le contre-projet, ce qui vient d'être dit par M. Froidevaux et par M. Fontanet.

Je veux revenir sur un point, Mesdames et Messieurs... (Exclamations.)

Une voix. On fait des progrès !

M. Jacques Béné. En effet, M. Gilly et ses acolytes - de Battista et compagnie - nous ont toujours dit en commission qu'il ne s'agissait pas d'un débat pour ou contre l'armée, et la première chose dont vous nous avez parlé, Monsieur Vanek, c'est de l'initiative du GSsA qui date de quelques années pour expliquer le projet d'aujourd'hui et montrer quelle est la volonté du peuple genevois à cet égard !

C'est dans l'optique des casques bleus évoquée par M. Froidevaux que nous devons appréhender ce contre-projet. Nous sommes aussi pour la paix - je l'ai dit ; Andreas Gross l'a dit aussi ; il est contre cette initiative, car il estime que ce n'est pas la bonne manière d'aborder le problème. Alors, à partir du moment où nous sommes tous pour la paix, je ne vois pas en quoi ce contre-projet vous dérange ! Bien sûr, je sais que, vous qui êtes sur les bancs d'en face, vous faites souvent preuve d'idéologie totalitaire... (Rires.) ...mais, nous, hier soir, nous avons eu une autre attitude au sujet du problème Pico, alors même que nous aurions très bien pu - M. Pagani l'a dit - nous laisser aller à une idéologie néolibérale, comme vous nous soupçonnez de l'avoir... (Exclamations.)

Des voix. Mais non ! (Le président agite la cloche.)

M. Jacques Béné. En toute bonne foi, même si les arguments que vous avez développés, Monsieur Pagani, ne sont pas forcément les nôtres, nous avons accepté vos conclusions et nous les cautionnons. Alors pourquoi, ce soir, dans un élan de sagesse, n'accepterions-nous pas d'avoir une vraie République de paix, selon le contre-projet qui a été présenté par M. Froidevaux, qui rencontrera certainement l'assentiment d'une majorité de la population et qui évitera qu'un débat stérile ne se déroule à propos de l'initiative qui serait présentée seule au peuple ? Je vous en conjure, pour une fois que nous avons l'occasion de parler vraiment de paix, tâchons de le faire avec sagesse et votons ce contre-projet tel qu'il est présenté ! 

M. Michel Balestra (L). Mesdames et Messieurs les députés, le président de notre Grand Conseil a raison de nous rappeler que nous ne pouvons pas opposer un contre-projet sans avoir préalablement refusé l'initiative... Mais il n'empêche que l'initiative est proposée devant le peuple avec un préavis négatif du Grand Conseil, le contre-projet, en parallèle, et que les groupes constitués de défense de ceci ou de cela peuvent recommander le double oui, partant du principe que celui qui peut le plus peut le moins.

S'agissant de l'initiative, pourquoi ce parlement doit-il voter contre ? A mon sens, pour deux raisons :

La première a été effleurée par M. Fontanet en bon juriste qu'il est. N'étant pas juriste, je vais essayer d'aller un tout petit peu plus loin... (Exclamations.) L'avantage, lorsqu'on n'est pas juriste, c'est que l'on peut prendre des risques juridiques !

Le Tribunal fédéral a eu une interprétation restrictive de ce qui n'était pas conforme au droit supérieur et large de ce qui l'était. Mais, par contre, l'arrêt qu'il a rendu comporte de telles limites aux différents articles de l'initiative que le travail législatif pour son application sera quasiment impossible.

Or, Mesdames et Messieurs les députés, si un groupe de pression a le droit de dire qu'il faut voter une initiative, un parlement doit donner des conseils réalistes à sa population. Il doit lui dire que l'idée de cette initiative est bonne, puisqu'il s'agit de la paix, mais qu'elle n'est pas formulée dans des termes qui la rende utile et efficace, et que le contre-projet pallierait cet inconvénient. Ainsi, nous serions cohérents. Nous ne mentirions pas à la population genevoise et nous inscririons Genève dans la politique qui est la sienne depuis des générations, c'est-à-dire une politique de la paix.

Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, la première raison pour laquelle vous devez refuser cette initiative, voter le contre-projet et demander à la population de le voter avec vous.

Mais il y a une deuxième raison pour laquelle vous devez refuser cette initiative. Vous êtes ici par délégation de «la suprême autorité du peuple» en les représentant, avec pour mission d'être le législatif de notre canton. Vous n'avez donc pas le droit de faire n'importe quoi ! Lorsque vous êtes entrés dans ce cénacle, vous avez prêté serment et dit, je cite : «Je jure ou je promets solennellement de prendre pour seuls guides dans l'exercice de mes fonctions les intérêts de la République selon les lumières de ma conscience...» - Virgule, Monsieur Vanek ! Mais, vous, vous vous arrêtez aux lumières de la conscience, alors que le serment dit encore : «...de rester strictement attaché aux prescriptions de la constitution et de ne jamais perdre de vue que mes attributions ne sont qu'une délégation de la suprême autorité du peuple ; d'observer tous les devoirs qu'impose notre union à la Confédération suisse et de maintenir l'honneur, l'indépendance et la prospérité de la patrie...» !

Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés, lorsque nous devons «observer tous les devoirs qu'impose notre union à la Confédération suisse», l'idée même de fournir un corps d'armée genevois, fût-il destiné à promouvoir la paix dans le monde, fait partie de ces devoirs. Vous avez accepté de prêter serment lorsque vous avez été élus. Pourtant, vous aviez le loisir de refuser en disant que vous vouliez une Genève libre, complètement autonome, et qui ne soit pas subordonnée à la Confédération. Dans ce cas, Monsieur Vanek, vous auriez pu dire que la population de Genève ayant voté majoritairement elle était contre l'armée... Mais, en l'occurrence, pour supprimer l'armée, il faut la majorité du peuple suisse et la majorité des cantons ! Ces deux conditions n'étant pas remplies et puisque nous respectons les devoirs vis-à-vis de l'union à la Confédération, vous comprendrez bien que la volonté de défense de la Suisse est intacte, constitutionnellement parlant ! Mesdames et Messieurs, si vous vouliez une Genève libre qui ne fasse pas partie de la Confédération, il ne fallait pas prêter serment ; il ne fallait pas accepter votre mandat et il fallait que vous soyez majoritaires dans un parlement qui ne réponde pas à la constitution fédérale !

M. Dominique Hausser (S). Quand il y a deux juristes, on dit souvent qu'il y a trois avis... Quand il y a deux députés de deux bords différents, il y a en général deux lectures du même texte !

Des voix. Trois !

M. Dominique Hausser. Deux ! Une de chaque côté !

Une voix. Une mauvaise et une bonne !

M. Dominique Hausser. J'ai lu très attentivement l'arrêt du Tribunal fédéral et je ne l'ai pas compris comme M. Balestra. Le Tribunal fédéral dit clairement que cette initiative est conforme au droit supérieur ; il dit clairement que les moyens proposés sont en lien direct avec le but et qu'il y a donc bel et bien unité de la matière - vous le trouverez en page 10, dans les «aspects généraux» traitant de cette initiative. Le Tribunal fédéral a procédé à une analyse extrêmement fouillée sur chacun des alinéas, ce qui ne laisse aucun flou, contrairement à ce qu'a dit M. Balestra.

Il accepte la quasi-totalité de cette initiative puisque deux lettres seulement sont retirées. Les initiants ont accepté la décision du Tribunal fédéral, mais en retirant ces deux lettres ce dernier dit, en page 37, en particulier pour la lettre c), je cite : «Ces considérations conduisent à l'admission du recours sur ce point et à la suppression de l'art. 160D, al. 4, let. c du texte de l'initiative 109. Cette suppression n'empêche nullement le canton, en vertu de la lettre a) de cette disposition - qui conserve comme telle toute sa raison d'être - d' «encourager», dans la mesure de ses moyens, la prise en charge par des moyens civils de la sécurité des conférences internationales convoquées sur le territoire du canton de Genève.» Alors je crois qu'il est clair que le Tribunal fédéral conclut, même s'il retire la lettre c), que le canton de Genève peut se donner les moyens d'encourager d'autres formes pour assurer la sécurité que le recours à l'armée. Par conséquent, il est évident que nous devons proposer au peuple l'initiative, mais l'initiative seule. En effet, en lisant correctement le mauvais projet de M. Froidevaux, on se rend parfaitement compte qu'à part dans le titre et dans la dernière ligne on parle de sécurité, de politique de sécurité, d'armée et de tout autre chose que de la promotion d'une politique de paix.

M. René Koechlin (L). Ce Grand Conseil parle avec légèreté et dans un esprit un peu infantile d'un sujet extrêmement grave... Il est question, Mesdames et Messieurs, de tout ce qui touche à la sécurité, et, lorsqu'on parle de sécurité, on évoque le risque que courent des citoyens, des citoyens qui sont mis en danger.

Mais, à l'évidence, vous dites tout cela sans vraiment croire qu'elle puisse jamais être menacée, parce que nous avons le privilège dans ce pays d'avoir vécu non seulement des décennies mais pendant des siècles sans que la violence nous envahisse, sans que la violence vienne jusque chez nous, jusque dans notre chair... Et aussi longtemps que l'on n'a pas vécu cela, Mesdames et Messieurs, on parle avec légèreté du sujet de la sécurité et des mesures qu'il conviendrait de prendre pour la garantir. Vous me faites penser un peu à des personnes qui parlant, par exemple, des risques d'incendie se disputent sur les moyens, les uns estimant qu'ils ne sont pas si énormes et qu'il suffit de se doter de seaux d'eau... C'est un peu votre manière de traiter le problème, Mesdames et Messieurs des bancs d'en face !

M. Claude Blanc. Ils n'ont pas d'eau, ils n'ont que les sots ! (Rires.)

M. René Koechlin. D'autres pensent qu'il faut être un peu plus sérieux et qu'il faut se doter de motopompes et de lances, avec des corps de pompiers. Et tous continuent à se disputer. Evidemment, aussi longtemps que personne ne croit que le danger d'incendie existe, on peut continuer à discuter ; cela reste un débat purement académique. Nous pourrions en rester là. Mais nous ne sommes pas seuls à décider, nous appartenons à la Confédération ; les questions qui touchent à l'armée ne dépendent donc pas du seul canton de Genève mais de la Confédération. Nous sommes donc bien obligés de maintenir l'armée, même si ça déplaît à certains d'entre vous, parce que, pour d'autres, elle constitue une garantie de la sécurité.

Ce qui me dérange, dans ce débat, c'est, comme je l'ai dit pour commencer, qu'on en parle avec légèreté ; parce que, finalement, on ne croit pas vraiment à l'insécurité ; on ne croit pas vraiment à la violence ; ce sont des choses qui paraissent très éloignées ; alors on se contente de lancer des barouds d'honneur concernant les mesures à prendre : on fait de la démagogie, et chacun a la sienne.

Pardonnez-moi de vous répéter, mais je vous rappellerai que, en ce qui me concerne, j'ai vécu la violence de tout près, jusque dans ma chair. Et c'est à ce moment-là que les personnes se révèlent véritablement, et certainement pas dans un débat comme celui de ce soir. J'attends tous ceux qui veulent supprimer l'armée - je les attends... - lorsque la violence sera chez eux et qu'elle les touchera dans leur chair, jusqu'au plus profond d'eux-mêmes... Je les attends à cet instant ! Et je leur rappellerai, si je peux le faire, qu'ils ont plaidé contre tout ce qui pourrait les prémunir contre cette violence-là ! Et c'est tout ; le débat se situe seulement autour de ce genre de circonstances !

Alors, on peut le poursuivre, mais, quelle qu'en soit l'issue et quel que soit le sort et de cette initiative et de ce contre-projet, ça ne changera rien, parce que, si par malheur un jour la violence pénétrait véritablement dans ce canton, dans ce pays, jusque dans nos foyers et qu'elle nous terrasse, à ce moment-là, je vous l'assure, la question se posera en des termes beaucoup plus cruels, beaucoup plus cruciaux, qu'elle ne se pose ce soir dans ce parlement - un peu infantile, malheureusement ! (Applaudissements.)

M. Pierre Froidevaux (R), rapporteur de majorité. Après ce témoignage extrêmement prenant de M. René Koechlin, les explications données par M. Béné et M. Balestra, je crois que nous pouvons résumer la position de ceux qui préconisent un contre-projet ainsi :

Nous sommes prêts à défendre le droit de la personne jusqu'aux conditions ultimes, soit jusqu'à notre propre sacrifice. J'aurais souhaité, de la part de ceux qui nous donnent des leçons systématiquement dans ce parlement à propos de droits qui ne seraient pas respectés, qu'ils puissent s'exprimer aujourd'hui avec la même ferveur que les députés de l'Entente. Je reste fortement surpris de constater qu'il m'est fait reproche, à moi, qui ne fais que remplir mes devoirs, d'être officier dans l'armée suisse. Je ne puis que vous reprocher, à vous, qui voulez m'outrager d'avoir rendu et de continuer de rendre ce service à la patrie, de prôner la désobéissance civile et de ne pas vouloir participer à cet effort de sécurité. J'ai même le sentiment, à vous entendre, que vous aimez bien parler de ce que vous ne connaissez pas et que vous voulez justifier ainsi une attitude égoïste en ne voulant pas participer à l'effort commun. Vous me décevez - ce n'est pas la première fois... J'ai l'impression que cela va encore durer deux ans, mais cela n'ira pas au-delà !

Monsieur Hausser, il n'y aura heureusement ni interprétation socialiste ni interprétation de droite : il n'y aura que l'interprétation du Tribunal fédéral. Je vous en rappelle les termes qui sont très clairs : les moyens que vous envisagez ne peuvent qu'être soumis à la Constitution fédérale et pour s'assurer qu'il n'y ait pas de dérapage, la loi d'application qui doit concrétiser l'article constitutionnel aura une valeur de test. Monsieur Hausser, vous ne faites que tromper en pensant que le texte est clair. Le Tribunal fédéral dit qu'on allait respecter au mieux... (L'orateur insiste sur ces deux dernier mots.) ...la pensée, la signature des initiants, tout en attendant de la part de ce parlement une attitude beaucoup plus conforme à l'esprit de notre Constitution et de notre droit supérieur.

C'est la raison pour laquelle je vous confirme qu'il faut refuser cette initiative pour pouvoir concrétiser l'esprit des initiants dans un nouveau texte constitutionnel, bien plus à même de régler l'ensemble des problèmes de notre canton. (L'orateur est interpellé par un député.)

Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Comme cela a été dit, nous débattons depuis bientôt trois ans dans ce Grand Conseil de l'initiative «Genève, République de paix»...

Une voix. Trois ans et trois quarts d'heure !

Mme Elisabeth Reusse-Decrey. Permettez à la présidente de la commission de dire à quel point les débats ont été de fait bien loin des thèmes traités : que d'agressivité et que d'incompréhension tout au long des travaux de la commission ! Et ce soir s'ajoute encore un sentiment de culpabilité, que l'on essaye de nous donner. Je comprends votre discours, Monsieur Koechlin, et c'est justement pour cela que nous aimerions proposer autre chose. Cette initiative dit qu'il faut encourager activement la recherche et la promotion de mesures de prévention des conflits. N'est-ce pas ce que vous voulez ? (Exclamations.) Elle dit que le canton soutient toute démarche visant le désarmement global, la coopération, la solidarité entre les peuples. Et c'est ce que veut notre initiative.

J'aimerais revenir sur la vraie question que pose cette initiative et redire l'espoir qu'elle représente pour nous, pour éviter, précisément, d'avoir à entendre des discours de souffrance, tel que celui de M. Koechlin. Notre espoir est de parvenir, enfin, à faire progresser la paix dans le monde, dans la limite de nos possibilités bien sûr. Nous ne sommes pas simplement de doux rêveurs... C'est chose difficile, mais il est temps, Mesdames et Messieurs les députés, de chercher, d'innover et, surtout, de trouver des solutions à la prévention des conflits, car les méthodes utilisées jusqu'à aujourd'hui - vous me l'accorderez - ont démontré qu'elles ne menaient ni à la paix ni à la sécurité que vous invoquez !

Le débat que nous menons ce soir, se mène un peu partout, dans des lieux politiques différents et, surtout, sur fond de changement radical du cadre international des politiques de paix. Pour la Suisse officielle, malheureusement, la réflexion sur la paix et la sécurité semble se résumer à une meilleure collaboration militaire avec nos pays voisins, quasiment à une intégration dans l'OTAN. Pour nous, au contraire, le débat sur la paix et la sécurité est un chantier bien plus vaste que se limiter aux questions militaires. C'est l'ensemble des conceptions traditionnelles en matière de défense et de sécurité qui doivent être remises en cause, et politiquement et matériellement, dans un monde dont l'ordre a été totalement bouleversé ces dix dernières années.

Une voix. Qu'est-ce que vous proposez ?

Mme Elisabeth Reusse-Decrey. Une initiative... (L'oratrice est interpellée.) Non, mais c'est toujours mieux que le contre-projet de M. Froidevaux qui propose de promouvoir la paix avec l'aide de l'armée ! Nous sommes de celles et de ceux qui refusent de réduire la paix à l'absence de guerre. Nous sommes de celles et de ceux pour qui la recherche de la paix - cette initiative représente cet espoir - ne peut que tenir compte, comme autant de conditions du dépassement des conflits, des conditions socioculturelles, c'est-à-dire le respect des droits économiques et sociaux qui doivent être promus, des conditions politiques et juridiques de la paix, c'est-à-dire le respect des droits de l'homme et des libertés politiques fondamentales qui doivent être promus, la prévention des conflits et la mise en place d'instruments permanents et efficaces d'intervention de crise.

Nous sortons en Europe - il a été évoqué tout à l'heure - du conflit du Kosovo, dont nous pouvons tirer des enseignements sur les points que je viens d'évoquer, non sans avoir aussi d'ailleurs à l'esprit un autre conflit, celui du Timor. Pendant dix ans au Kosove, pendant plus de vingt ans au Timor, les droits économiques, sociaux, les droits de la personne humaine, les droits démocratiques et les droits à l'autodétermination des peuples ont été bafoués, au su et au vu de tout le monde, de la communauté internationale, de ses organismes, de ses médias et de ses dirigeants. Et c'est à cela que nous voulons travailler, et c'est à cela que notre initiative veut tenter de répondre ! Ce qui illustre ces deux exemples à l'heure actuelle - mais nous pourrions en évoquer d'autres - c'est, précisément, cette incapacité ou ce refus des principaux acteurs de l'ordre du monde de se doter de moyens et de stratégies propres à prévenir les conflits, non en les étouffant mais en faisant place aux droits fondamentaux.

C'est vrai, la paix est le vieux rêve des congrès de la paix qui se réunirent en Suisse au XIXe. Le vieux rêve d'un monde sans guerre, mais aussi sans injustice et sans oppression. Et pour cela, Monsieur Froidevaux, l'instrument militaire n'est certainement pas le meilleur outil ! Nous devons chercher et créer d'autres instruments de prévention et de formation. Nous n'avons peut-être pas, à Genève, le pouvoir d'en imposer d'autres, mais nous avons au moins la possibilité d'en chercher, d'en trouver et d'en proposer. C'est l'objectif de cette initiative qui propose des pistes concrètes.

Nous soutiendrons donc cette initiative et nous refuserons le contre-projet. (Applaudissements et bravos.)

M. Antonio Hodgers (Ve). Après votre témoignage, - qui m'a ému, je dois le dire - Monsieur Koechlin, j'aimerais apporter mon témoignage. Comme vous, j'ai vécu la violence dans ma chair étant enfant. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je me trouve parmi vous aujourd'hui, au lieu de vivre dans mon pays natal, l'Argentine.

Ma réflexion se base sur les faits suivants : comme vous le savez, durant les années 60 à 80 et même avant, tous les pays d'Amérique latine ont subi des dictatures militaires. Le seul pays qui, durant toutes ces années n'en a pas subi et a pu maintenir une démocratie avec un Etat social - pour autant qu'un Etat puisse être social dans un pays du tiers-monde - respectant au moins les droits de la population est le Costa Rica. Pourquoi ? Parce que c'est le seul pays d'Amérique latine qui n'a jamais eu d'armée ! Comme vous pouvez le voir, d'autres réalités existent qui peuvent conduire à des conclusions différentes des vôtres.

Pour en revenir à l'initiative, le groupe des Verts soutient pleinement le rapport et les conclusions de Mme Jeannine de Haller. (Applaudissements.)

M. Pierre Vanek (AdG). Monsieur Froidevaux, vous cherchez aujourd'hui à nous convaincre de voter un contre-projet qui ne contient pas le tiers du quart du contenu de l'initiative en l'état, malgré le fait que le Tribunal fédéral ait jugé qu'il fallait supprimer les lettres b) et c) de l'article 4.

Vos proclamations générales sont certes en faveur de la paix, mais, vous savez - c'est l'idée la mieux partagée du monde - aucun homme d'Etat ni politicien n'a jamais, de par le monde, dit qu'il était favorable à la guerre... Les pires dictateurs, les pires crapules de ce monde, ceux qui ont provoqué les guerres se sont toujours référés à la paix dans leurs discours. Il ne suffit donc pas de parler de la paix... L'initiative, elle, propose des mesures concrètes. C'est un de ses grands mérites, et c'est pour cette raison que je la soutiendrai, contrairement à votre contre-projet, Monsieur Froidevaux !

La réduction des dépenses militaires, par exemple, doit être encouragée par le canton. Prononcez-vous sur ce point, et nous pourrons engager un réel débat politique ! Vous avez le droit de ne pas être d'accord, mais vos plaidoyers éludent complètement les propositions de cette initiative.

Par exemple, la restitution à des usages civils des terrains affectés à l'armée dans le canton, en intervenant auprès de la Confédération.

Par exemple, la conversion civile des activités économiques, financières et institutionnelles, en relation avec le domaine militaire.

A l'alinéa 4, du texte de l'initiative sur la question de la politique de sécurité de la population, il y a une indication explicite : l'encouragement à la prise en charge de toutes les tâches concernant la sécurité dans le canton par des organismes civils.

Vous avez tout à fait le droit de ne pas être d'accord avec ces points et de refuser cette initiative, mais vous n'avez pas le droit de «vendre» votre contre-projet comme un «succédané» qui contiendrait toutes ces nobles intentions ! Non, nous devons avoir un réel débat politique sur la question des réductions militaires, je le répète. Êtes-vous favorables à continuer de dépenser des centaines de millions pour l'armement en Suisse, alors que ces sommes pourraient être affectées aux besoins criants d'une partie de la population, à la création d'emplois, aux chômeurs, à des activités socialement utiles, à la formation... mais je ne vais pas en dresser ici une liste exhaustive ?

Vous nous dites que si nous étions de vrais démocrates nous voterions contre l'initiative, pour le contre-projet, pour que le peuple ait véritablement le choix : c'est une farce ! Mesdames et Messieurs les députés... (L'orateur hausse le ton.) ... partisans, par exemple, de l'initiative démagogique du parti libéral «Baissons les impôts» dont le but est de faire des cadeaux considérables à un certain nombre de millionnaires... (Exclamations.) ...vous n'avez pas, que je sache, voté contre votre initiative pour défendre un contre-projet afin de donner le choix au peuple ! (Le président agite la cloche.) Nous nous sommes comportés en adultes. Nous avons estimé que cette initiative était mauvaise et que le peuple aurait le dernier mot. Alors montrez-vous aussi adultes que nous : dites clairement que vous refuserez cette initiative et le peuple tranchera ! (L'orateur est interpellé par M. Balestra.) Oh là là ! Comme je l'ai dit tout à l'heure, Monsieur Balestra, vous êtes en mauvaise compagnie, car dans ce monde il n'y a pas un seul tyran, un seul dictateur, un seul militariste, qui ne soit pas en paroles en faveur de la paix !

Monsieur Froidevaux, vous nous avez fait la leçon - je ne sais plus votre grade, je ne me suis pas attaché à ce détail... - en disant que vous étiez officier ou capitaine et que nous vous reprochions votre participation à l'effort sécuritaire, que nos égoïsmes se déchaînaient... Excusez-moi, Monsieur Froidevaux, mais du côté de ceux qui vous appuient - j'allais dire du gros... (Rires et exclamations.) ...de M. Balestra... Nous avons lu dans les colonnes de la presse, toujours concernant votre initiative de ce week-end, un article d'un ex élu au Conseil national, du parti libéral - M. Carlo Poncet, pour ne pas le nommer - qui disait, pontifiant, que la démocratie représentait la possibilité pour l'égoïsme de s'exprimer... Ce n'est pas du tout notre vision ! Non, Monsieur l'officier ! Nous disons simplement que les sommes destinées à l'entretien de l'armée dans ce pays sont affectées sans égard à la situation réelle... (L'orateur tousse.) ...et qu'elles devraient être affectées à des tâches sociales. Que je sache, ce n'est pas de l'égoïsme ! Par contre, votre défense mordicus de l'armée au nom de votre participation à... - j'allais dire la caste... (L'orateur est interpellé.) ...mais je ne l'ai pas dit ! - ...au groupe des officiers, eh bien, cela, Monsieur Froidevaux, peut être en effet suspecté d'égoïsme ! (M. Balestra apporte des pastilles pour la toux à M. Vanek.) Merci, Monsieur Balestra !

J'ai écouté avec intérêt et respect votre intervention, Monsieur Koechlin, disant que nous n'avions pas vécu l'insécurité et la violence dans notre chair... C'est vrai que c'est dans ce type de situations que les gens se révèlent et non dans les débats parfois un peu frivoles de ce parlement. Vous avez évoqué - à plusieurs reprises déjà - les années que vous avez passées, si j'ai bien compris, dans la France occupée, et je respecte votre expérience. Mais il faut tout de même dire que l'armée française de 40 n'a pas vraiment été un rempart...

Une voix. Qu'est-ce t'en sais, t'étais pas né !

M. Pierre Vanek. J'en sais quelque chose, parce que je connais un peu l'histoire ! ...contre le déferlement du nazisme en Europe, précisément parce qu'un certain nombre de valeurs n'étaient pas défendues au sein de celle-ci, parce que les membres de la caste d'officiers qui la dirigeaient et la «classe politique» française - pour employer une expression que je n'aime pas - pensaient que mieux valait Hitler que le Front populaire ! Et les armes ont été reprises et prises utilement en France par des gens qui avaient tenu auparavant des discours antimilitaristes et pacifistes : il faut aussi le rappeler !

Monsieur Béné, vous mélangez les casques bleus de l'ONU et l'intervention de l'OTAN au Kosove... Pourtant vous devriez savoir que l'intervention de l'OTAN - Organisation du traité Atlantique nord : ce n'est pas l'ONU ! - a été effectuée en violation complète de toutes les règles du droit international... Alors, si vous voulez, parlez d'adhésion à l'ONU, parlez des casques bleus, mais pas contrôlés depuis la Maison blanche : dans le cadre d'une organisation internationale représentative comme l'ONU, mais qui soit un peu plus démocratique qu'elle ne l'est aujourd'hui et, surtout, plus démocratique que l'OTAN et ses états-majors...

M. Jacques Béné. C'est pour ça qu'il y a un contre-projet !

M. Pierre Vanek. Monsieur Béné, vous êtes à côté du sujet ! Il s'agit d'une initiative cantonale !

Monsieur Balestra, vous qui nous avez fait la leçon en disant que nous ne respections pas notre serment si nous ne refusions pas cette initiative. Ce n'est pas très très sérieux ! Nous le respectons au point que nous admettons - sans être d'accord - l'annulation de deux lettres de l'alinéa 4 de cette initiative par le Tribunal fédéral. Nous pratiquons nos droits dans cette République, tels qu'ils sont garantis par la Constitution fédérale, avec, effectivement, la surveillance du Tribunal fédéral, et c'est cette initiative qui sera soumise au vote populaire et non pas votre projet qui n'est que...

Une voix. Que ?

M. Pierre Vanek. ...de l'eau de vaisselle ! J'allais dire du bouillon pour les morts, mais n'évoquons pas les morts dans ce débat...

Une voix. Heureusement que tu as arrêté d'enseigner ! 

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, il y a plus d'une heure que nous débattons sur cette initiative. Le Bureau vous propose de clore la liste des orateurs après les personnes inscrites. Quelqu'un désire-t-il encore s'exprimer ? Prendront donc la parole, M. Froidevaux, M. Halpérin, M. Koechlin et Mme de Haller.

M. Pierre Froidevaux (R), rapporteur de majorité. Vous dites que nous débattons depuis une heure, mais le débat n'a en réalité commencé qu'au moment où Mme Reusse-Decrey a pris une position claire, suivie de M. Hodgers, puis de M. Vanek. Mais auparavant la discussion était formelle et vous avez eu beaucoup de peine à répondre à nos remarques.

Monsieur Vanek, vous dites que je fais partie de la caste des officiers, je ne puis que vous rappeler qu'au sortir de la Première guerre mondiale les socialistes s'étaient réunis et avaient fait un manifeste qui avait considérablement modifié la structure de l'armée suisse en la rendant parfaitement démocratique. Je vous le dis : l'armée suisse est une armée sans caste ; il n'y a pas d'échelle sociale, et je ne puis pas me prévaloir de faire partie d'une caste. En tant qu'officier, je suis d'abord un soldat, alors, Monsieur Vanek, vous devez parler de ce que vous connaissez, c'est la seule façon d'en parler en bien, car on parle toujours en mal de ce qu'on ne connaît pas !

Votre argumentation vous a conduit, Monsieur Vanek, à un élément fondamental qui est l'un des moteurs de l'initiative : la réduction des dépenses militaires au profit du social. On avait demandé à M. Andreas Gross si un tel transfert était porteur de paix. Il m'avait répondu - en conformité à l'esprit du Conseil national et du Conseil fédéral - que moins on a de moyens plus les armes utilisées sont des armes d'attaque. En effet, la défense coûte très cher et l'attaque est bon marché. Si vous voulez une armée suisse conforme à l'esprit de notre démocratie, c'est-à-dire défensive, nous devons impérativement pouvoir disposer de moyens.

Je vais vous donner des exemples tout simples. Lorsque les épées ont été inventées, on leur a opposé des cuirasses qui sont bien plus chères que l'épée... Lorsque les armes de jet ont été inventées, on a bâti des châteaux... Tout cela pour vous expliquer que la défense a toujours été plus coûteuse que l'attaque. Plus vous réduirez les moyens de l'armée suisse, plus elle se tournera vers des moyens offensifs.

Madame Reusse-Decrey, vous avez exprimé que la politique actuelle, au sens large, ne menait ni à la paix ni à la sécurité. C'est un constat terrible : effectivement, la moitié de la planète est en déséquilibre, et je ne peux que faire le même constat. Mais vous devez aussi reconnaître que nous avons le privilège extraordinaire, en Suisse, avec notre structure, nos institutions, de vivre en paix, au sens large. Tout changement apporté à notre Etat pourrait être un facteur de déséquilibre et, donc, un danger pour nos citoyens, car cela mettrait en péril la défense de leurs droits. En fait, vous laissez sous-entendre que celui qui fait la guerre c'est l'armée, ce qui est faux. C'est bel et bien le déséquilibre éventuel dans une population qui engendre les conflits : entre les riches et les pauvres, dans les droits non respectés par les uns, abolis par d'autres ou les défauts parlementaires. Mais n'attribuez pas aux moyens de rétablir la paix la cause de la guerre ! L'origine de la guerre proviendra toujours d'un déséquilibre que le parlement n'a pas vu venir. Alors, je vous en prie, soyons responsables et ne nous passons du moyen que vous avez qualifié de «mauvais» mais qui représente le moyen ultime de pouvoir rétablir la paix dans des situations terribles, comme l'a évoqué M. Koechlin !

Il n'est nul besoin d'armée pour faire la guerre. Des pays comme l'Algérie montrent qu'il n'est pas nécessaire d'être équipé d'armes lourdes pour pouvoir être affreusement mutilant pour une population. Vous ne pouvez pas continuer à tenir un tel discours, Madame Reusse-Decrey, vous devez reconnaître que l'armée, et notamment l'armée suisse par son caractère démocratique, est la base sécuritaire, une base ultime que je ne souhaite jamais voir réutilisée, mais cette base est nécessaire.

Monsieur Hodgers, vous nous donnez des exemples relatifs à des pays d'Amérique latine, dont la situation a toujours été extrêmement instable. Si certains se sont passés d'armée, il faut signaler que l'armée y est remplacée par une police beaucoup plus forte, ce qui n'est pas du tout souhaitable en Suisse. Nous avons la chance d'avoir cette force ultime en mains démocratiques, nous n'allons pas l'attribuer à la police qui pourrait être une force de pouvoir ! Votre argument n'est pas solide, Monsieur Hodgers ! La situation du Costa Rica n'est certainement pas enviable, car ce pays n'est pas seulement tenu par la police, il l'est par l'armée américaine !

Je suis content de constater que le débat s'installe enfin ; que les vrais sujets sont évoqués, alors qu'en commission nous n'avons pas vraiment eu l'occasion d'en débattre, en dehors de la présence de M. Andreas Gross, beaucoup plus réservé que vous ne l'êtes sur la qualité du texte que vous voulez soumettre au peuple.

M. Michel Halpérin (L). Pour un député qui, comme moi, n'a pas suivi les travaux de la commission, ni la législative ni la ad hoc, sur l'initiative 109, il y a quelque chose d'un peu étrange à suivre le débat de ce soir...

De quoi parlons-nous, au juste ? Si j'écoute avec l'attention dont je suis capable et aussi un peu avec la voix du coeur une partie du discours du côté des initiants, j'y retrouve des accents qui ne me sont pas étrangers, pas plus à moi qu'à M. Froidevaux ou qu'aux autres membres des représentants de l'Entente... C'est un discours d'idéalistes, avec ses limites mais avec sa beauté, avec son appel à la conscience, avec son appel à une illustration constitutionnelle du rôle que Genève voudrait se donner dans le concert des cités et, pourquoi pas, dans le concert des nations. Et il est difficile de n'être pas d'accord avec cela, du moins si l'on sait faire la part du souhaitable et du possible et la part proclamatoire constitutionnelle d'un état d'esprit que nous voudrions être : celui de la population genevoise au sens large, qui est un état d'esprit ouvert au dialogue - d'abord le nôtre - mais il touche assez vite ses limites, et puis, ensuite, par idée un peu arrogante de l'exemple que nous pourrions donner à l'extérieur, la propagation de ce dialogue vers les autres - ceux qui n'ont pas la chance d'être dans une République qui se prétend de paix, dans une république riche, globalement heureuse et à peu près sans histoire, et qui, par conséquent, croit qu'elle maîtrise les éléments qui permettent d'enseigner aux autres comment faire pour désamorcer leurs propres conflits par une forme de dialogue.

Comment ne pas adhérer à cette démarche, donc, avec ce distinguo subtil du souhaitable et du possible, c'est-à-dire de la proclamation d'un idéal vers lequel nous tendons, en sachant que le fait d'affirmer et de proclamer cet idéal n'est pas encore suffisant pour qu'il soit abouti !

Et puis, j'entends une deuxième voix ; une voix qui ne ressemble pas beaucoup à celle de Mme Reusse-Decrey ; une voix qui se veut beaucoup plus tonitruante que pacifique ; une voix qui n'hésite pas à enchaîner comme dans un tricot le discours subliminal au discours idéal. Je ne donnerai pas le nom dans l'immédiat du porteur de cette voix, mais je dois tout de même vous dire que mon écoute tout aussi attentive, l'oreille du coeur en moins cette fois-ci mais celle du cerveau relativement bien ouverte, me fait penser que l'on essaye de broder sur cette toile idéaliste un projet tout à fait différent. C'est un projet de politique politicienne, nationale ou genevoise étriquée, qui consiste à profiter de l'affirmation d'un idéal pour régler son compte à une institution.

Et si c'est ça la démarche, je vous avoue franchement qu'elle m'embarrasse, parce que, si mon choix c'est de soutenir l'idéal au prix d'une mise à mal de l'institution qui jusqu'ici a fait ses preuves, au moins jusqu'à un certain point, alors vous m'obligez à choisir entre l'idéal et l'institution, ce que le contre-projet nous dispense de faire, parce que le contre-projet, Mesdames et Messieurs les députés, se distingue de l'initiative, maintenant réduite à ses justes proportions par le Tribunal fédéral, du seul fait qu'elle ne propose pas un catalogue de moyens que les initiants présentent comme «le» catalogue des moyens par lesquels la confiance internationale, la pacification des conflits interviendrait...

Et ce catalogue - je ne vais pas vous en redonner la lecture, vous l'avez tous appris par coeur, j'imagine - comporte tout de même un certain nombre de curiosités... Franchement, qu'est-ce que notre République de paix a à voir, dans sa définition idéale, avec le problème de la réduction des dépenses militaires ! Je suis personnellement de ceux qui pensent que la réduction des dépenses militaires est un bien, mais je ne suis pas de ceux qui pensent que la réduction des dépenses militaires est un corollaire inévitable et nécessaire d'une politique de paix, parce que, depuis les latins, nous savons que vouloir la paix c'est aussi savoir préparer la guerre ou la défense, comme le disait le rapporteur Froidevaux tout à l'heure.

Un paragraphe suggère la renonciation de l'engagement des troupes de l'armée pour assurer le service d'ordre... Qui ne l'appellerait de ses voeux depuis 1932 à Genève ? Mais qui serait assez sot pour s'imaginer qu'en cas d'une attaque armée il ne faudrait pas disposer d'une force armée pour en découdre ?

Mesdames et Messieurs les députés de gauche, j'ai eu l'occasion ici même, il y a quelques mois, de vous rendre attentifs au caractère un peu insolent de certaines résolutions par lesquelles, pour prendre un exemple parmi cent, vous faisiez le procès des tyrans de Yougoslavie en les mettant en accusation, en apportant votre témoignage et en prononçant votre sanction dans le même texte. Et je vous ai invités à séparer les fonctions. Depuis lors - on peut dire ce qu'a dit l'un d'entre vous tout à l'heure à propos de l'OTAN - il a tout de même fallu l'intervention de forces armées pour restituer au Kosovo ce que vous appeliez «sa dignité et son droit» ! On peut le regretter ; je suis de ceux qui regrettent moins ce recours à la force que l'abandon des faibles aux mains des forts ! Et je suis persuadé que dans vos rangs il ne se trouve aujourd'hui personne pour contester le bien-fondé d'une troupe des Nations Unies armée et déterminée à tirer sur les prétendues milices hostiles à l'indépendance de cette petite demi-île du Timor et qu'il n'en est pas un pour regretter que l'ONU ait des armes pour pacifier ce mouvement indépendantiste, dont je suis convaincu que vous le soutenez de vos voeux !

Alors, Mesdames et Messieurs les députés, on ne peut pas avoir deux discours. On ne peut pas prétendre que la violence s'éradiquera toute seule par l'angélisme de quelques-uns. On peut vouloir la paix, on peut faire mieux que nos ancêtres, les socialistes de 1914 qui ont renoncé à la politique pacifique de Jaurès par nationalisme, mais on peut vouloir proclamer un idéal sans s'efforcer de le saboter immédiatement par une politique locale de médiocre qualité.

C'est la raison pour laquelle j'appelle ceux d'entre vous qui portez votre idéal en bandoulière et qui le portez sincèrement en bandoulière à voter le contre-projet ! Cela ne vous empêchera pas de voter l'initiative aussi, si vous le souhaitez. Mais au moins les jeux seront clairs ! (Applaudissements.)

M. René Koechlin (L). Je n'aurais pas repris la parole si dans son discours tout à l'heure, M. Vanek, n'avait pas escamoté l'histoire en évoquant une période douloureuse du récent passé de l'Europe : celle de la Deuxième guerre mondiale. Oui, c'est bien de cette période dont je parlais tout à l'heure.

Monsieur Vanek, il est vrai que l'armée française en 40 n'a pas été à la hauteur et n'a pas réussi à protéger sa population... C'est vrai ! Mais je vous rappelle que pendant les années 30 le Front populaire auquel participaient très activement les communistes - qui sont les pairs du groupe auquel vous appartenez, si je ne fais erreur - préconisait comme vous et avec vigueur la suppression de l'armée, le désarmement, et j'en passe...

M. Pierre Vanek. C'est ce que j'ai dit !

M. René Koechlin. Ils ont ainsi certainement contribué activement et effectivement à affaiblir non seulement l'armée française mais la volonté de résister dans le pays, notre voisin ! Ce qui est paradoxal - je tiens ici à le souligner, parce que j'y ai assisté - c'est que lorsque les troupes nazies ont occupé la France, les communistes ont été les premiers à prendre les armes - eux qui, quelques années auparavant, préconisaient le désarmement... Ils ont été les premiers à prendre les armes ! Ils ont été les premiers à constituer une armée qu'ils ne seraient jamais parvenu à constituer sans l'aide des armées étrangères, des armées alliées : anglaise et américaine notamment - il convient aussi de le souligner...

On ne peut donc avoir deux discours, car on s'aperçoit que les faits vous entraînent à vous contredire, non seulement dans le discours mais dans les actes. C'est ce qui s'est passé avec vos pairs pendant la période que nous venons d'évoquer.

Mme Jeannine de Haller (AdG), rapporteuse de minorité. De quoi parlons-nous au juste avec cette initiative ? Je me demande si vous, sur les bancs d'en face, vous avez vraiment lu intégralement le texte de cette initiative !

Une voix. Oh oui, plutôt deux fois qu'une !

Mme Jeannine de Haller, rapporteuse de minorité. Vous allez voter pour une initiative qui propose d'aller bien en amont de la problématique de l'armée. Je reprends quelques phrases ou termes employés dans cette initiative.

On dit : «Dans la limite du droit fédéral, le canton développe et applique une politique de sécurité fondée sur la mise en oeuvre de moyens pacifiques.»

On parle de «mesures de prévention des conflits à travers le développement d'une véritable culture de la paix».

On parle, aux alinéas 2, 3 et 4, des «moyens qui pourraient être utilisés pour la mise en oeuvre de cette politique de la paix».

On parle de «désarmement global» - c'est vrai - mais on parle aussi du «développement d'une culture de la paix qui serait faite à travers la création et le financement des activités d'un institut de recherche pour la paix».

On parle du «développement d'un programme d'éducation à la paix, dans le cadre de l'instruction publique» - cela concernerait déjà les élèves.

On parle de «promotion du service civil volontaire» et on demande effectivement, dans le dernier alinéa, que «pour garantir la sécurité, les moyens non militaires soient, si possible, mis en oeuvre par des encouragements du canton».

On parle seulement «d'encourager», «d'essayer de mettre en oeuvre», alors, je ne vois pas très bien où vous voulez en venir et sur quelle base vous pouvez affirmer que cette initiative est absolument antimilitariste !

Une voix. On est content !

Mme Jeannine de Haller, rapporteuse de minorité. Je ne dis pas que je suis pour l'armée... (Exclamations.) Non, je dis que cette initiative ne parle pas de cela et cela fait bientôt une heure et demie que vous ne dites que cela...

Une voix. Ça te dérange ?

Mme Jeannine de Haller, rapporteuse de minorité. Ça me dérange, car je trouve que vous êtes d'une mauvaise foi absolument énorme ! (Remarques et rires.)

Une voix. C'est vraiment un argument solide !

Une voix. Y'en a qui manquent pas de souffle !

Mme Jeannine de Haller, rapporteuse de minorité. D'ailleurs, à propos de mauvaise foi, je vais moi aussi faire preuve de mauvaise foi, et je vais lire les propos de M. Gross qui figurent dans le rapport de M. Gilly, je cite : «Il s'agit d'un projet pacifiste et non antimilitariste. Le travail pour la paix est un processus sans fin. Un tel projet ferait progresser le canton et l'ensemble de la Confédération. Développer la paix est un effort permanent et devrait être le discours de tous les politiciens : il s'agit de développer une approche visant un processus qui augmenterait les potentialités de la paix et qui réduirait la violence.» En tant qu'historien et politologue, M. Gross pense que l'initiative 109 est une chance énorme : «Il faut élaborer une philosophie de maintien et de développement de la paix en établissant des critères.» Ce sont les propos de M. Gross, lors de l'audition en commission. (Commentaires.)

Une voix. Lisez le p.-v. !

Mme Jeannine de Haller, rapporteuse de minorité. Par ailleurs, puisque nous arrivons au terme de ce long débat, je demande l'appel nominal sur l'initiative elle-même. (Appuyé.) 

M. Gérard Ramseyer. Je vous prie d'excuser l'absence de Mme Brunschwig Graf. Par souci de simple clarté je rappelle très brièvement ce qui suit :

Le 18 décembre 96, le Conseil d'Etat a dit à ce Conseil que cette initiative n'était que partiellement acceptable. Le Conseil l'a déclaré totalement irrecevable ! Suite à un recours, le Tribunal fédéral a ramené le débat ici, en disant qu'effectivement il devait être repris.

En avril 98, nous étions toujours d'avis que cette initiative n'était que partiellement recevable, mais ce Conseil a décidé qu'elle était entièrement recevable ! Suite à un nouveau recours, le Tribunal fédéral a ramené le débat une nouvelle fois.

Le 26 juin, ce Conseil a une fois encore décidé que l'initiative était totalement recevable, alors que nous étions d'un avis différent. Cette fois-ci, le Tribunal fédéral a rendu un arrêt qui a enlevé à cette initiative l'essentiel de sa portée.

Le Tribunal fédéral a dit qu'il n'était pas possible de renoncer à l'engagement des troupes de l'armée pour assurer le service d'ordre.

Le Tribunal fédéral a dit qu'il n'était pas possible de renoncer à l'armée pour la sécurité des conférences internationales.

Le Tribunal fédéral a dit qu'il était possible d'intervenir auprès de la Confédération dans différents domaines.

Nous avons évidemment constaté que votre Conseil, les autorités cantonales, ne pouvaient en aucun cas entraver l'action fédérale, et que ce n'était même pas un mandat impératif.

Le Tribunal fédéral a encore rappelé qu'une décision populaire, pour autant qu'elle soit positive, devait faire l'objet d'une concrétisation législative.

Le Conseil d'Etat constate donc qu'il a eu au sujet de cette initiative une position constante, qui a été trois fois soutenue par le Tribunal fédéral. Il va de soi que le Grand Conseil est totalement libre de son vote, mais je tenais à rappeler la position du Conseil d'Etat.

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons passer au vote. Nous voterons donc d'abord sur la prise en considération de l'initiative. Il est clair que si le Grand Conseil accepte l'initiative, les débats sont clos : il ne pourra pas y avoir de contre-projet, et l'initiative sera soumise au peuple telle que. Du résultat de ce vote dépendra la possibilité d'un contre-projet qui n'interviendra que si le Grand Conseil refuse l'initiative. Nous voterons cette prise en considération de l'initiative à l'appel nominal comme cela a été demandé.

Celles et ceux qui acceptent l'initiative répondront oui, et celles et ceux qui la rejettent répondront non.

Cette initiative est adoptée par 46 oui contre 41 non.

Ont voté oui (46) :

Ont voté non (41) :

Personne ne s'est abstenu

Etaient excusés à la séance (11) :

Etait absent au moment du vote (1) :

Présidence :