République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1307
10. a) Proposition de motion de Mmes et MM. Rémy Pagani, Anita Cuénod, Elisabeth Reusse-Decrey, Pierre Vanek, Bernard Clerc, Gilles Godinat, Jeannine de Haller, Marie-Paule Blanchard-Queloz, Dolorès Loly Bolay, Christian Grobet, Jean Spielmann, Chaïm Nissim, Luc Gilly, René Ecuyer, Christian Brunier, Fabienne Bugnon, Salika Wenger et Myriam Sormanni relative aux employés de l'entreprise Pico travaillant au montage de 8 imposants stands destinés à Telecom 99. ( )M1307

 b) Déclaration du Conseil d'Etat

EXPOSÉ DES MOTIFS

La situation peut paraître incroyable, mais il y a actuellement à Genève, sur le site du futur salon Telecom 99, au moins 140 travailleurs employés par une entreprise malaise (siège Européen Pico Group Ltd basé en Grande-Bretagne, dont le directeur est originaire de France) à des conditions salariales totalement indécentes (de 1.50 à 5.- Fr. de l'heure). Les conditions d'entrée en Suisse et d'attribution de permis de travail de ces employés restent obscures, mais il est certain qu'elles ne répondent pas aux prescriptions en vigueur. Or, le travail se poursuit sur le site concerné, au vu et au su de tous.

Le Conseil d'Etat tente de temporiser en cherchant des responsables du côté du Conseil fédéral, de l'entreprise, et en déclarant abusivement qu'il n'appartient pas aux autorités cantonales d'établir les normes définissant les salaires des travailleurs étrangers. Cette argumentation est inadmissible et contraire aux dispositions suisses qui imposent, au contraire, aux entreprises qui détachent des travailleurs, l'application des conditions de travail en usage sur le lieu où s'effectuent les travaux. Plus encore par la voix de M. le conseiller d'Etat Lamprecht, on tente de rattraper le coup affirmant que l'entreprise Pico payerait les salaires en usage dans notre région. Il faut alors se poser une question : Quel avantage cette entreprise trouverait-elle à payer des salaires conventionnels à ces ouvriers en prenant en compte les difficultés d'organiser le déplacement de 140 personnes (avion et cars), de trouver des logements, de la nourriture, l'habillement, ainsi que le payement d'une taxe consulaire pour l'obtention d'un visa alors que la main-d'oeuvre qualifiée existe dans la région et qu'elle peut se rendre en toute liberté sur ce lieu de travail sans engendrer la moindre complication ?

Nul besoin d'insister longuement sur les conséquences de cette concurrence déloyale : dumping salarial et chômage. Notons simplement que le salaire du personnel local travaillant dans le même secteur a baissé par rapport à la précédente exposition, alors que le nombre de stands confiés à la société de montage Pico a augmenté (aujourd'hui 8 sur l20 des énormes stands, certains valant plus de 10 millions de francs suisses).

Nous avons ici affaire à ce qu'il faut bien se résoudre à appeler par son nom : de la traite de travailleurs, voire de l'esclavage moderne. La tradition des générations qui se sont succédées dans notre région bannissait ces pratiques d'un autre âge et voilà que le néolibéralisme les remet au goût du jour, à tel point que le Conseil d'Etat lui emboîte le pas en n'y trouvant rien à redire. La déclaration de la présidente du Conseil d'Etat devant les caméras du Téléjournal est affligeante. Notre communauté, les hommes et les femmes qui la composent sont vivement préoccupés de telles dérives et, s'il le faut, mettront légitimement tout en oeuvre pour faire cesser ces agissements.

Compte tenu de ce qui précède, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à faire bon accueil à cette motion.

Déclaration du Conseil d'Etat

Mme Martine Brunschwig Graf. Le Conseil d'Etat fait en ouverture du débat sur la motion 1307 la déclaration suivante. Elle est distribuée sur vos tables et remise à la presse simultanément :

« Désireux de voir respectées de façon globale les conditions de travail en usage dans notre canton pour les travailleurs étrangers occupés provisoirement ou durablement ;

Conscient de l'importance que revêtent pour Genève et la Suisse des manifestations d'importance mondiale telles que Telecom, le Conseil d'Etat a rencontré hier les partenaires sociaux, à savoir la Communauté genevoise d'action syndicale et l'Union des associations patronales genevoises, afin d'établir et de vérifier de façon concertée les conditions de travail offertes par une entreprise occupant des travailleurs asiatiques, entreprise mise en cause à réitérées reprises par voie de presse. La discussion qui a eu lieu le mercredi 22 septembre avec les partenaires sociaux a permis de dégager les éléments suivants :

afin de certifier que les conditions de travail en usage sont respectées globalement par l'entreprise et pour chacun de ses collaborateurs directs ou occupés par l'intermédiaire de sous-traitants, l'Office cantonal de l'emploi (OCE) établit la liste détaillée des conditions faites à chacun (salaire de base, montant forfaitaire journalier, prise en charge du logement, de la nourriture, des assurances usuelles, des déplacements locaux) ;

les inspecteurs des commissions paritaires procéderont pour leur part aux contrôles qui relèvent de leur mission et compléteront ainsi la démarche de l'OCE. Les données ainsi récoltées feront l'objet d'une vérification commune afin de lever tout doute quant à la situation réelle prévalant sur le chantier ;

la conformité aux usages locaux des conditions de travail devra être vérifiée en appréciant à la fois le salaire contractuel versé, mais aussi les indemnités journalières ainsi que les autres composantes déjà énumérées (prise en charge par l'employeur du logement, des repas, des transports locaux et des assurances notamment).

Pour le surplus, le Conseil de surveillance du marché de l'emploi, comme il l'a décidé le 17 septembre dernier, poursuivra les travaux déjà commencés visant à établir les règles générales à appliquer à l'avenir dans des cas similaires.

Le Conseil d'Etat tient ici à souligner qu'un consensus régnait depuis 1991 entre autorités et partenaires sociaux quant aux modalités appliquées lors de Telecom. L'ouverture des marchés, mais aussi la pratique de plus en plus généralisée de la sous-traitance impliquent l'élaboration de nouvelles règles agréées par tous les partenaires.

Quant aux premières constatations faites, suite aux informations faisant état de salaires inacceptables, le Conseil d'Etat, par le biais de l'OCE, a déjà réuni un certain nombre d'informations - transmises aux partenaires sociaux - et notamment les éléments suivants établis sur la base des documents fournis par l'entreprise et d'interviews effectués par l'office auprès de travailleurs sur place :

les salaires de l'entreprise s'échelonneraient entre Fr. 12,40 et 19,70 de l'heure, à quoi s'ajoutent les prestations en nature relatives au logement, aux repas, aux transports et aux assurances ;

tous les travailleurs seraient au bénéfice d'une indemnité journalière de 100 $ Singapour par jour, soit Fr 91,10 par personne et environ 2 300 francs par mois.

Compte tenu de ces éléments, les contrôles permettront de mettre en adéquation les engagements annoncés par l'entreprise et la pratique appliquée à chaque collaborateur.

En ce qui concerne les prochaines démarches engagées, une séance entre la délégation du Conseil d'Etat et les partenaires sociaux est d'ores et déjà agendée au mercredi 29 septembre. Elle aura pour objectif, comme convenu, de prendre acte des rapports d'inspection et, le cas échéant, d'arrêter les décisions adéquates avec tous les partenaires concernés.

Enfin, s'agissant des visas, et surtout des autorisations de séjour et de travail attribuées de façon erronée par des représentations suisses à Shanghai et Beijing, le gouvernement a écrit en date du 15 septembre au chef du département fédéral des affaires étrangères afin de connaître les raisons pour lesquelles a été adoptée cette procédure inhabituelle et pour le moins inadéquate. Le conseiller fédéral Joseph Deiss a d'ores et déjà réagi et informé le Conseil d'Etat qu'il procède aux recherches nécessaires et informera le gouvernement dans les plus brefs délais.

Enfin, indépendamment des cas dénoncés, la rencontre entre le Conseil d'Etat et les partenaires sociaux a été l'occasion pour ceux-ci de réitérer leur attachement unanime à la tenue d'une manifestation telle que Telecom et au projet de construction de la nouvelle halle 6.

En conclusion, le gouvernement - qui remercie les partenaires sociaux pour leur soutien - rappelle ici quels enjeux importants représente la décision que doit prendre l'Union internationale des télécommunications dans les jours qui viennent quant au lieu où se tiendra Telecom 2003 ».

Telle est la déclaration du Conseil d'Etat, qui est en tout point pareille à celle faite hier oralement au point de presse.  

Débat

M. Christian Brunier (S). En entendant la déclaration du gouvernement, nous devons avouer que le Conseil d'Etat s'améliore sur ce dossier. Il faut cependant bien reconnaître qu'il n'a pas été fameux jusque-là.

Lorsque le mouvement syndical a soulevé l'affaire, le Conseil d'Etat s'est tout d'abord réfugié dans une interprétation pseudo-juridique qui affirmait dangereusement que ce type de travaux était couvert par les conventions de travail du pays d'origine des travailleurs. Concept naturellement inacceptable qui précariserait l'ensemble des conditions de travail des travailleuses et des travailleurs de ce pays et anéantirait nombre d'entreprises de la région.

Dans un premier temps, pas un mot du gouvernement sur les aspects éthiques, économiques et politiques de cette affaire. Pas une phrase pour souligner que le Conseil d'Etat n'acceptera pas ce dumping social si les faits se confirmaient. Ce manque de clarté politique a provoqué un profond malaise à Genève. La situation a été condamnée tant par les syndicats que par plusieurs représentants des milieux patronaux, tant par la gauche que par certaines personnalités de droite. Même M. Froidevaux affirmait voici quelques jours dans la presse qu'il était prêt à voter la motion de la gauche. C'est tout dire !

Une large part des citoyennes et citoyens de ce canton a considéré, à tort ou à raison, que le Conseil d'Etat était capable de fermer les yeux sur n'importe quelle situation liée à Palexpo afin que Genève soit choisie comme lieu pour les prochaines éditions de Telecom.

Comme vous, Mesdames et Messieurs les conseillers d'Etat, les socialistes souhaitent vivement que Genève continue à être le site des prochaines éditions et expositions de Telecom. Comme vous, nous connaissons l'apport économique de cette foire consacrée à des technologies high-tech. Mais votre conduite initiale a davantage terni notre candidature qu'une prise de position qui aurait pu être transparente et éthique et qui aurait cherché à établir rapidement la vérité comme vous êtes maintenant, mais seulement maintenant, en train de le faire.

Pour en arriver là, les syndicats ont dû batailler ferme et les pressions, tant populaires que politiques, ont dû être fortes. Or, face à l'intolérable, seules la transparence, la négociation, la fermeté et la recherche rapide de la vérité ont leur place. Il aura fallu deux semaines et des pressions considérables pour qu'une enquête approfondie et surtout tripartite soit déclenchée. Il aura fallu quatorze jours, durant lesquels Genève a donné une image internationale pitoyable, quatorze jours pour que le Conseil d'Etat admette enfin que les usages locaux en matière de conditions de travail s'appliquent aussi à ce genre d'activités.

Aujourd'hui, le dossier prend enfin une tournure convenable. Mais les questions de fond restent nombreuses. Nous voulons désormais que ce dossier soit traité ouvertement et dans la concertation, comme Mme la présidente du Conseil d'Etat vient de le dire. Nous demandons des réponses claires à nos questions et une communication limpide des résultats de l'enquête qui a débuté ce jour, afin que l'on ne puisse pas avoir dans notre République, sur ce chantier comme dans d'autres, des cas qui pourraient s'apparenter à des formes d'esclavagisme.

Nous pensons en conséquence que le débat que nous avons aujourd'hui est éminemment utile et que l'acceptation de notre motion reste d'actualité.

M. Rémy Pagani (AdG). Cette affaire est éminemment indigne de notre République. J'aimerais juste citer quelques éléments au sujet desquels j'ai subi des pressions à gauche et à droite, notamment lors de ma venue sur ce chantier. Cela m'est égal, je pense en effet que mon intervention relève de la liberté syndicale. Quant aux réactions, elles font aussi partie du jeu démocratique que nous vivons. On a prétendu que je mentais, Monsieur Lamprecht, en ce qui concerne l'information divulguée sur les salaires horaires de 1,25 F. Je persiste et je signe, Monsieur Lamprecht ! Cela fait aussi partie de ma liberté d'expression. Je ne me plains pas, au contraire : je trouve que nous avons un privilège de pouvoir tenir des positions contradictoire et d'être garantis par la liberté d'expression.

On a aussi dit de moi que je m'opposais sournoisement à cette fameuse Halle 6 et que je me préparais à lancer un référendum. Ce qui est complètement stupide, car le débat qui a lieu ce soir ne porte de loin pas sur des questions d'aménagement, mais sur des questions de condition humaine. On a aussi contesté les chiffres, on a promis de déposer plainte. Tout cela m'est bien égal, parce que je trouve que nous avons un privilège, c'est la liberté !

J'aimerais à présent me faire le porte-parole de l'un de ces travailleurs, car ils n'ont pas la liberté d'expression : ils vivent à côté de nous, aux Pâquis, ils travaillent pour nous, mais ils n'ont pas de liberté d'expression. M. Nasir, vient du Bengale, plus précisément du Bangladesh et j'aimerais exprimer ici son désarroi par rapport à la manière dont on le traite. Il faut savoir qu'on leur enlève d'abord leur passeport. Il ne faut donc pas venir me dire que ces travailleurs ont la liberté de circuler alors qu'on leur donne un visa qui ne leur permet d'aller nulle part. C'est d'ailleurs pour cela qu'on les promènera à Zermatt, ou au Mont-Blanc pour ceux qui sont en France. On leur fait par ailleurs signer au Bangladesh un contrat calculé dans la monnaie du pays, avant de les mettre dans un avion. On les fait ensuite travailler, je le répète, sept jours par semaine, Mesdames et Messieurs, et non pas cinq jours comme vous l'avez calculé pour déterminer un salaire de 12,50 F. Sept jours par semaine, c'est-à-dire septante heures, y compris les jours fériés. Ils ont travaillé le Jeûne genevois, alors que l'ensemble de la profession oeuvrant à Palexpo ne travaillait pas ce jour-là.

Cette personne, ce M. Nasir, revient chaque soir à 22 h 00, puisqu'il travaille dix heures par jour, à la Cité universitaire, locaux de l'Etat, ou à l'Auberge de jeunesse. Il doit en plus se faire à manger dans un dortoir où séjournent huit à trente travailleurs. Je vous mets au défi, Mesdames et Messieurs, de tenir deux jours dans un local de trente personnes après avoir accompli chaque jour des travaux de force ! C'est complètement inadmissible !

Ensuite de cela, on le renvoie chez lui en avion et c'est seulement à ce moment qu'il touche quelque chose. Il ne faut donc pas me faire croire, nous faire croire et faire croire à la population qu'il toucherait cash 100 F par jour, ce qui augmenterait de manière conséquente son salaire. Car même après nos actions syndicales, on ne leur a offert qu'une demi-journée de congé, d'ailleurs en désaccord complet et en contradiction complète avec le droit suisse du travail qui impose un jour et demi de congé par semaine. On leur a donc offert une demi-journée de congé et, pour les «distraire», comme ils n'avaient pas les moyens, on leur a offert un petit Kodak Instamatic pour aller photographier le Jet d'eau. Je trouve déplorable et indigne de soutenir ce genre de pratique. Ce n'est qu'à ce moment-là que ce M. Nasir retrouve sa liberté et peut disposer de son corps. Je trouve que cela s'apparente à de la traite de travailleurs, voire à de l'esclavage moderne. Je ne vois pas comment on pourrait appeler cela autrement !

Ces dérives, Mesdames et Messieurs, sont portées idéologiquement par les libéraux que nous avons en face. Le néolibéralisme, la libre circulation des personnes, le fait de considérer les travailleurs comme des marchandises, le libre commerce du boeuf aux hormones qu'évoquait Chaïm Nissim tout à l'heure, tout cela revient exactement à la même chose. L'entreprise Pico se cache derrière cette libre circulation en expliquant que ses travailleurs sont des charpentiers professionnels et que les travailleurs de Palexpo ne sont pas ses travailleurs puisqu'elle sous-traite. On a appris d'ailleurs qu'ils n'étaient pas 140 mais 185 et que cette entreprise Pico n'a réellement qu'une vingtaine de travailleurs directs. Tous les autres sont effectivement des sous-traitants. Pico a donc beau jeu de dire et de faire croire à la population qu'elle respecte l'ensemble des conditions - encore qu'il faille discuter de la question du salaire, car il ne viendrait pas à l'idée d'un patron d'intégrer dans le salaire le déplacement et le coucher. Qui oserait aujourd'hui envoyer l'un de ses employés travailler à Paris deux jours et lui dire que sont compris dans son salaire son logement et ses repas, ainsi que ses habits de travail ?

Je trouve que nous devons nous protéger d'une telle dérive néo-libérale. C'est pour cela que je continue, que je persiste et que je signe. Nos informations sont complètes, précises. Elles proviennent de travailleurs et, jusqu'à preuve du contraire, de ces travailleurs-là. J'ai cité l'exemple de M. Nasir. Ce n'est cependant pas M. Nasir qui m'a renseigné, mais ses collègues de travail qui sont opprimés, voire soumis à l'esclavage, et qui se sont confiés à d'autres travailleurs. La solidarité existe en effet aussi parmi les travailleurs.

Nous revendiquons aujourd'hui non seulement le paiement du salaire, mais nous réclamons aussi - parce que nous avons affaire à des situations de quasi-esclavage - que ces travailleurs reçoivent un contrat en main propre, comme d'ailleurs tous les employés de notre République, qu'ils puissent contacter les syndicats et faire part de leur mécontentement par rapport au salaire touché. Nous n'avons pas cette preuve aujourd'hui. J'espère l'obtenir, comme j'espère qu'il ne viendra pas à l'idée du patron de Pico de faire disparaître ses manoeuvres payés à 1,25 F avant que nous ayons pu établir les faits. Nous réclamons aussi que les salaires soient payés, comme pour vous et moi, tous les mois. Cela fait aussi partie des droits des salariés de ne pas être soumis aux aléas et aux diktats des employeurs.

Ceci étant dit, je trouve effectivement, comme M. Brunier l'a dit, que le Conseil d'Etat s'est comporté de manière ultralégère. Mais cela ne m'étonne pas : le doute s'était aussi insinué en nous. La première fois que l'on m'a parlé d'un salaire de 1,25 F, je ne l'ai pas cru. Lorsqu'on m'a expliqué que ces travailleurs vivaient dans les conditions d'esclavage que je viens de vous décrire, je ne l'ai pas cru non plus. Il n'empêche que le Conseil d'Etat, censé représenter les valeurs de notre République, s'est comporté, je le répète, de manière indigne dans cette affaire. 

Mme Myriam Sormanni (S). Quel ne fut pas mon étonnement lorsque j'ai reçu le point de presse par lequel j'ai pu prendre connaissance des déclarations du Conseil d'Etat au sujet de l'accord 136 -accord qui n'a, à ma connaissance, jamais été ratifié par la Suisse - en ce qui concerne la façon de payer les ouvriers de Pico au tarif en vigueur dans leur pays d'origine.

Ces travailleurs ont été importés dans notre pays, dans une ville riche comme Genève. Comment peuvent-ils dès lors vivre décemment dans de telles conditions de précarité ? Madame Brunschwig Graf, vous nous parlez de 2 300 F de salaire. Mais si nous divisons ce salaire, je viens de le faire à l'instant, par 30 jours, puisque ces personnes travaillaient tous les jours, cela nous donne 76,66 F par jour. Divisé par dix heures, cela nous donnerait au mieux 7,66 F de l'heure. Alors, 1,25 F ou 7,66 F, je suis désolée, mais c'est quasiment du pareil au même. On a aussi pu lire dans les journaux une autre information qui parlait de 3 600 F par mois.

Je ne suis pas allée sur place. J'ai suivi l'émission à la télévision et j'ai vu toutes les difficultés rencontrées par notre camarade Pagani pour pouvoir ne serait-ce qu'approcher les ouvriers. On lui disait qu'il ne pouvait pas filmer et qu'il ne pouvait pas s'adresser à eux. Je trouve que c'est effectivement une atteinte à la liberté syndicale et à la démocratie à laquelle nous sommes fidèles.

Quelles sont les conditions de logement de ces travailleurs ? Je m'étais effectivement interrogée sur cet aspect. Les choses sont à présent claires, puisque j'ai entendu qu'il y avait entre huit et trente personnes par chambre. Leurs déplacements sont par ailleurs limités, on le sait. Je souhaite cependant savoir qui leur paye le bus pour se rendre à leur travail et le montant minimum d'argent de poche qu'ils reçoivent.

Je trouve pour ma part inadmissible que ces travailleurs touchent un salaire dans leur pays d'origine. Je crois que l'on doit vous demander là, Mesdames et Messieurs du Conseil d'Etat, de faire preuve d'humanité, et pas de vous conduire en patrons abuseurs. 

Mme Fabienne Bugnon (Ve). Je ne reparlerai pas du fond de cette affaire. Je crois que M. Pagani, qui est celui qui la connaît le mieux, s'est exprimé de manière très claire. J'aimerais parler uniquement de la réponse que nous venons d'entendre du Conseil d'Etat.

La valse des discours contradictoires, dont nous avons pu prendre connaissance ces jours dans la presse, a montré à quel point il existait un déficit d'information. Elle nous a incité à déposer cette motion et à demander à ce qu'elle soit traitée en urgence. La déclaration dont nous venons d'avoir la lecture par la présidente du Conseil d'Etat comporte cependant beaucoup trop de conditionnels pour que nous nous en contentions.

Par ailleurs, Madame la présidente du Conseil d'Etat, il aurait été risible d'entendre, dans une autre affaire, le Conseil d'Etat remercier les syndicats pour leur soutien, alors qu'en fait de soutien on peut dire que les syndicats ont fait dans cette affaire le travail que l'on pourrait attendre du département de l'économie.

Ensuite, la dernière phrase concernant l'attachement à Telecom et à la halle 6 apparaît parfaitement indécente dans cette déclaration. Mesdames et Messieurs les conseillers d'Etat, vous traitez un problème humain avec des considérations économiques. Ce n'est pas acceptable. Nous attendons autre chose de vous et nous attendons une réponse à toutes les autres questions posées par cette motion. (Applaudissements.) 

M. Pierre Vanek (AdG). Beaucoup de choses ont été dites par Mme Bugnon, par mon collègue Pagani ou par Christian Brunier que j'aurais pu dire ici. Je salue bien sûr le progrès constitué par cette déclaration du Conseil d'Etat. J'ai cependant surtout demandé la parole au moment où mon collègue Pagani intervenait sur la réaction initiale du Conseil d'Etat et la manière déplorable - je crois qu'il y a un consensus là-dessus ou qu'il devrait y en avoir un - dont cette affaire a été traitée.

J'aimerais donc revenir sur les déclarations de Mme Martine Brunschwig Graf - qui n'est pas n'importe qui dans cette République, mais qui est la présidente du Conseil d'Etat - déclarations reprises par de nombreux journaux, à moins qu'une hallucination collective n'ait frappé les journalistes. On a effectivement retrouvé ces déclarations dans toute la presse. Je cite simplement un article du «Temps», déclarant qu'il est tout à fait normal que ces ouvriers soient rémunérés selon les normes de leurs pays d'origine, de la même manière qu'un Suisse engagé en Asie s'attendra à une rémunération conforme aux normes suisses. Cet article constatait aussi - je cite, toujours dans le «Temps», l'article de quelqu'un qui n'est pas forcément de mon bord, en l'occurrence M. François Longchamp - constatait donc aussi que le problème ne se posait pas en termes de dumping salarial, puisqu'il s'agit d'une foire et d'occupations temporaires, et expliquait - c'est une déclaration qui intéressera les entreprises de ce canton et de Suisse - que les entreprises de la place n'étaient de toute façon pas en mesure d'effectuer ce travail-là.

Les premières déclarations du Conseil d'Etat apparaissent en contradiction complète avec la déclaration de ce jour. C'est d'ailleurs plutôt cette dernière déclaration qui entre en contradiction avec les prises de positions initiales du Conseil d'Etat. Rémy Pagani l'a relevé. C'est le grave danger de cette dérive ultralibérale un peu délirante qui ronge la tête et les cerveaux de certains dans cette République, en l'occurrence la tête et le cerveau de la présidente du Conseil d'Etat qui a confondu son rôle de présidente du gouvernement et d'élue du parti libéral. Il est légitime qu'elle fasse des déclarations politiques ultralibérales, comme celles que fait par exemple Carlo Poncet dans les colonnes du «Nouveau Libéral» ou dans le «Temps», où il dit que la démocratie représente le cumul et l'addition des égoïsmes, que tout cela est bien normal, ainsi que des choses de cet ordre-là.

Il s'agit cependant de respecter un certain nombre de règles et de lois de cette République. Or, il y a eu quelque chose de très grave. J'aurais donc voulu entendre un minimum de la part du Conseil d'Etat. C'est certes bien d'en être arrivé là, mais il y a encore toutes sortes de choses à dire.

Je suis d'accord avec vous, Madame Bugnon, par rapport à cette déclaration, notamment sur les conditionnels utilisés, sur les salaires qui sont payés ou qui seraient payés - excusez-moi, je dois moi aussi utiliser le conditionnel ! Nous avons certes une indication sur le fait qu'enfin, enfin aujourd'hui, l'on mènera l'enquête qui s'impose et que l'on vérifiera un certain nombre d'allégations. Mais peut-être aurait-il fallu mener l'enquête plus rapidement, de manière à pouvoir diffuser des éléments qui ne soient pas écrits au conditionnel. Quinze jours après l'émergence de cette affaire, le Grand Conseil aurait pu s'attendre à disposer, si les autorités avaient agi comme elles auraient dû le faire, de faits et de faits avérés, et pas seulement de conditionnels.

Je suis aussi intervenu pour relever les propos que M. Béné a tenus tout à l'heure, lorsque Rémy Pagani parlait. Il a dit que nous étions des nuls. Non, Monsieur Béné ! Prenez cette affaire très au sérieux ! Ce sont des dérives inadmissibles, ce sont des dérives que nous ne laisserons pas passer, ce sont des dérives - un éditorialiste le relevait dans l'un des quotidiens de la place - qui s'inscrivent au moment où la Suisse signe des accords bilatéraux et où il est justement question des problèmes liés à la libre circulation des personnes et à la prévention, dans ce pays, du dumping salarial par des mesures d'accompagnement. Vous ne pouvez pas vous permettre de traiter ceci avec la légèreté qui a été la vôtre et celle de vos milieux dans cette affaire jusqu'à maintenant.

J'aimerais encore relever une dernière chose. Le Conseil d'Etat passe rapidement dans sa déclaration sur sa demande d'explications à Deiss - à M. le conseiller fédéral Joseph Deiss, pardonnez-moi ! Nous devrons là aussi y revenir lorsque nous aurons reçu ces explications. J'ai entendu dire que 25 visas seulement auraient été délivrés pour plus d'une centaine de travailleurs, visas évidemment délivrés dans des conditions parfaitement illégales. Tout ceci, nous aurons, au-delà du débat sur la motion que je vous invite évidemment à voter, nous aurons à y revenir.

J'aimerais dire enfin un mot de conclusion concernant le travail effectué par mon collègue Rémy Pagani, parce qu'il a été épinglé dans un certain nombre d'articles de presse - on parle encore aujourd'hui d'une volonté de faire un coup médiatique, d'un semeur de zizanie, etc. J'aimerais dire ici ma conviction que ce qu'a fait Rémy Pagani constitue le minimum de ce que peut faire quelqu'un qui est secrétaire syndical et qui agit pour défendre - comme le relevait M. Dupraz dans la «Tribune» - l'ensemble des travailleurs salariés de ce canton, mais aussi le respect des normes, des lois et des règlements de ce canton en la matière, qui sont particulièrement importants, et pour défendre un certain nombre de libertés fondamentales auxquelles ont droit aussi les personnes que l'on fait venir ici, à des conditions qui ne sont certes pas établies, mais dont la liberté personnelle est fortement restreinte, ceci est avéré. M. Pagani a aussi fait son travail de député - parce que c'est de cela qu'il s'agit, lorsque nous prêtons serment de respecter les lois et de les faire appliquer - et tout simplement son travail de citoyen. Je tenais personnellement à le dire ici et à lui rendre hommage, parce que, sans lui, cette affaire n'aurait pas éclaté au grand jour.

On a appris que les choses s'étaient, paraît-il, déjà passées un peu comme cela en 1995, mais personne ne s'en est occupé à l'époque. J'aimerais donc, Mesdames et Messieurs, que l'on vote cette motion et que ce Conseil rende hommage par ce biais-là, non pas à la personne de mon collègue, qui a ses défauts et ses qualités, mais à ce type de démarche d'opposition à la machine économique, au nom d'un certain nombre de principes de liberté syndicale et tout simplement au nom des droits de l'homme ! (Applaudissements.) 

M. Pierre Froidevaux (R). M. Brunier a rappelé que j'étais quelqu'un qui pouvait voter cette motion. C'est vrai, Monsieur Brunier, je peux parfaitement voter cette motion. Je m'imagine cependant bien que vous ne rédigez pas une motion pour savoir si je vais la voter ou non, vous ne la faites pas non plus contre moi. J'imagine par contre que vous la faites pour quelqu'un ou pour quelque chose. Vous la faites en l'occurrence, Monsieur Brunier, je l'ai compris, pour les droits des travailleurs. J'accepte dès lors votre motion avec plaisir. Mais si vous aviez correctement lu ce que le journaliste a rapporté de mes propos, vous auriez su que j'approuverais cette motion si les droits des travailleurs n'étaient pas respectés, et que j'attendrai des explications du Conseil d'Etat pour me prononcer sur ce grave problème.

Car n'imaginez pas que vous avez le monopole de la conservation des droits des travailleurs, gens de gauche ! Nous sommes, nous, à droite, tout aussi intéressés à ces droits. Ce qui se passe ou ce qui s'est passé à Palexpo crée une grave distorsion de concurrence que tout le monde doit craindre. Nous n'avons donc aucune raison de soutenir un tel décalage des salaires. Alors, ne venez pas nous dire que nous soutenons nécessairement un salaire à 1,50 F et que nous sommes pour l'esclavagisme. Ceci est parfaitement odieux et je ne puis pas l'accepter !

J'en viens au problème posé par Palexpo et plus particulièrement par l'exposition Telecom. Celle-ci est une exposition extraordinaire et j'invite chacun d'entre vous à aller la voir, même si elle est techniquement tellement extraordinaire qu'elle s'avère parfois peu compréhensible. On construit de véritables maisons dans Palexpo. On charge des tonnes de matériaux par m2 qui sont assemblés en un temps record. Les entreprises genevoises ne se révèlent toutefois pas capables de réaliser ce tour de force dans ce temps-là. Il existe un véritable problème à ce sujet qu'il faut bien mentionner. Les entreprises ont tellement peur de la situation économique qu'elles n'ont pas réengagé. Tous les travaux entrepris à Genève en sont retardés.

Je vous en prie, ne faites donc pas reproche à ceux qui préparent Telecom de devoir faire appel à des travailleurs étrangers !

Nous sommes dans un problème de droit des travailleurs et notamment de droit des travailleurs internationaux. Est-ce que nous sommes un tribunal pour faire appliquer le droit ? Faut-il nécessairement politiser le travail, ou le donner au Conseil d'Etat pour qu'il s'assure que notre législation est respectée ? C'est ce que nous attendons du Conseil d'Etat ce soir. Mais nous n'avons pas besoin de nous ériger en justiciers du monde. L'entreprise Pico vient de Singapour, les ouvriers viennent de Singapour. Il existe là un droit pour lequel nous attendons des explications. Nous avons reçu de la présidente du Conseil d'Etat des explications qui nous apparaissent satisfaisantes. Le Conseil d'Etat travaille à la résolution de ce problème. Tout ce que vous faites maintenant avec cette motion, c'est de vouloir imposer votre droit, c'est de vous ériger en juges, c'est de vous substituer à notre ordre constitutionnel. Dans ce cadre-là, nous ne pouvons que nous opposer fermement à une dérive du parlement ! 

Mme Barbara Polla (L). J'aimerais de façon tout à fait exceptionnelle réagir à l'intervention de M. le député Rémy Pagani ou, selon les termes de Mme Sormanni, du camarade Pagani. Exceptionnellement parce qu'en général je subis en silence. Mais trop, c'est trop ! Et surtout, M. Pagani a parlé d'un sujet qui m'est particulièrement cher, puisqu'il a parlé de liberté !

J'aimerais rappeler à M. Pagani que la liberté, pour les libéraux, qu'ils soient tenants du néolibéralisme, du paléolibéralisme ou simplement du libéralisme, que la liberté des uns s'arrête là où commence la liberté des autres. J'aimerais par exemple rappeler à M. Pagani que les travailleurs de la Chambre de commerce sont eux aussi des travailleurs qui ont droit à leur liberté.

La liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres et la liberté d'expression là où commence le respect des autres.

Sur le fond, nous adhérons à l'excellente déclaration du Conseil d'Etat, de sa tête, de son cerveau et de son corps, puisqu'il s'agit bien du Conseil d'Etat in corpore.  

M. Christian Grobet (AdG). Cette affaire est grave. Elle est grave, car des travailleurs ont été traités de manière totalement indécente dans notre pays, qui est fier d'un certain nombre d'acquis au niveau des droits des travailleurs. Cette affaire est grave parce que ceux qui sont responsables de veiller à ce que nos lois, Monsieur Froidevaux, soient respectées dans le domaine du travail ont de toute évidence fermé les yeux sur une exploitation scandaleuse. Elle est surtout grave, Mesdames et Messieurs les conseillers d'Etat, et c'est à vous que je m'adresse, parce qu'au lieu d'exprimer votre indignation à l'égard de pratiques honteuses, vous avez tenté de couvrir et d'excuser ces pratiques. J'en veux pour preuve le communiqué du 15 septembre 1999 par lequel vous indiquez noir sur blanc que les salaires ne relèvent pas des problèmes concernant le pays d'accueil et que les salaires restent les salaires de base des pays d'origine où ils sont généralement versés.

Or, vous deviez savoir, avant même de recevoir hier un avis de droit, que c'était totalement faux. Comme il était totalement faux d'invoquer à tort le contenu d'une convention de l'OIT, dont vous n'avez manifestement pas compris la portée et qui n'était même pas signée par la Suisse !

Il y a cependant, au Conseil d'Etat, un certain nombre de magistrats qui s'occupent de près des accords bilatéraux que nous sommes actuellement en train de discuter aux Chambres fédérales, n'est-ce pas, Monsieur Lamprecht ? Vous connaissez donc les mesures d'application qui sont présentement discutées aux Chambres fédérales et qui sont largement relatées par la presse. Et vous connaissez par conséquent le projet de loi d'application sur les conditions minimales de travail et de salaire applicables aux travailleurs détachés en Suisse et sur leurs mesures d'accompagnement.

Il existe donc une loi spéciale, que nous sommes en train de voter et qui porte sur les travailleurs détachés, c'est-à-dire les travailleurs qui sont actuellement en train de travailler à Palexpo. Le Conseil fédéral, dont on connaît le caractère timoré lorsqu'il s'agit de légiférer en matière de droit du travail, n'a fait que reprendre, vous le savez, les règles applicables dans ce domaine. Cette loi précise bien, en ce qui concerne les conditions minimales de travail, qu'elles comportent les salaires, qui doivent être conformes aux lois, aux conventions et aux usages du pays, c'est-à-dire de la Suisse !

Je dois donc dire que les bras m'en tombent que le Conseil d'Etat ait pu écrire une chose aussi fausse dans son communiqué du 15 septembre 1999. Je pense que vous devriez au moins faire amende honorable sur ce point. Car ce communiqué a été reproduit dans la presse, Mesdames et Messieurs les députés et Mesdames et Messieurs les conseillers d'Etat. Il est quasiment apparu comme quelque chose d'officiel, alors qu'il s'agit de quelque chose qui s'avère en fait totalement faux. Une rétractation s'impose évidemment !

Mais en dehors de cette question des salaires, c'est celle de la présence même de ces travailleurs qui se pose et qui est totalement occultée. Vous savez, Monsieur Lamprecht, que si vous voulez demander à une entreprise qui travaille de l'autre côté de la frontière de vous livrer quelque chose et de le monter ici, une procédure rigoureuse, parfaitement correcte, est appliquée, au cours de laquelle on demande au requérant de justifier qu'il n'y a pas de main-d'oeuvre qui puisse faire le travail sur place, qu'il n'y a pas de main-d'oeuvre disponible. Il faut le préavis de la commission tripartite. Il y a donc une protection réelle et bienvenue.

Certaines personnes ont voulu cacher ce qui se passait à Palexpo. Je pars de l'idée que les propos de M. Huser ont été correctement relatés aujourd'hui dans la «Tribune» de Genève. Ils sont édifiants. M. Huser ne voit au fond rien de mal. Il ne voit même pas de concurrence avec le marché local, dit-il ! Alors qu'il y a 17 000 personnes à la recherche d'un emploi à Genève, alors que l'on entend les représentants du secteur de la construction, lors de chaque séance du Grand Conseil et même dans des annonces diffusées à l'occasion de la présente votation, se plaindre de la détresse dans laquelle se trouve le secteur de la construction à Genève et du fait qu'ils manquent de travail. Et l'on n'aurait pas les 180 travailleurs pour faire ce travail ? Mais enfin ! Ce que dit M. Huser est invraisemblable !

Mais ce qu'il dit est aussi intéressant. M. Huser dit, et c'est un des points de notre motion, car notre motion, que M. Froidevaux ne veut tout d'un coup plus voter en prétextant qu'elle serait inconstitutionnelle et autres fadaises... (L'orateur est interpellé.) J'ai déjà eu l'occasion de le dire, Monsieur Froidevaux, vous êtes un excellent médecin, j'irais vous voir n'importe quand, mais ne faites pas du droit ! Notre motion ne fait que poser un certain nombre de questions et nous attendons pour notre part des réponses précises de la part du Conseil d'Etat.

Nous voulons tout particulièrement savoir comment le directeur de Palexpo, M. Huser, qui s'occupe d'un bâtiment qui s'avère être un équipement public, fait en sorte de respecter les lois. M. Huser reconnaît qu'il rend attentifs les exposants quant aux démarches à suivre lorsqu'ils amènent de la main-d'oeuvre de leur pays. Nous aimerions cependant bien savoir comment M. Huser procède, s'il s'assure effectivement que les recommandations qu'il donne aux exposants sont respectées. Vous conviendrez avec moi que ce serait une sacrée hypocrisie que de remettre des formulaires aux exposants leur disant ce qu'il faut faire, puis surtout ne pas se soucier si ceux-ci respectent ces prescriptions. Ce serait absolument intolérable. Il convient dès lors que l'on sache maintenant clairement si Palexpo s'assure, oui ou non, que les prescriptions, sur lesquelles l'attention des exposants est attirée, sont respectées. Nous aimerions bien voir, Monsieur Lamprecht, les documents que M. Huser remet aux exposants et savoir de quelle manière ils sont remis, si c'est au moment de la signature des réservations de stands ou s'ils sont distribués comme cela. Nous voulons le savoir de manière précise pour que ce genre de situation ne se reproduise plus.

Maintenant, pour en revenir à la motion, nous posons un certain nombre de questions, je l'ai dit tout à l'heure, pour lesquelles nous attendons des réponses précises, notamment en ce qui concerne les salaires de tous les travailleurs. M. Lamprecht a cité l'exemple de quatre salaires de Singapour. Ecoutez, vous êtes quand même assez féru, en tant que représentant chargé de l'économie publique, pour savoir que le petit Etat de Singapour est l'Etat le plus prospère d'Asie, dans lequel des syndicats fortement représentés et un gouvernement progressiste pendant de nombreuses années ont permis au niveau de vie d'être beaucoup plus élevé dans ce pays que dans le pays d'origine d'un certain nombre d'autres travailleurs qui se trouvent aussi sur le chantier de Palexpo et pour lesquels le Conseil d'Etat a considéré qu'il était parfaitement normal qu'ils soient rémunérés à hauteur du salaire de ces pays-là.

Nous voulons donc connaître en détail ces salaires. Mais surtout, mises à part toutes les questions que nous posons, il y a une ou deux demandes qui nous apparaissent importantes, dont une nous tient particulièrement à coeur, à savoir que les intéressés soient payés avant de quitter ce pays. J'en finirai par là, Monsieur le président, je ne veux pas abuser de mon temps de parole, mais ce sont des choses tellement graves que nous devons nous y arrêter trente secondes. J'imagine que vous avez aussi eu connaissance du scandale des travailleurs sud-africains du tunnel du Gothard, qui ont été exploités d'une manière éhontée, scandale au sujet duquel le Conseil fédéral est intervenu et pour lequel les marchands de travailleurs ont été condamnés à payer à ces travailleurs de courte durée les salaires suisses.

Il s'agissait du même truc ! Les travailleurs sud-africains, les mineurs du tunnel étaient payés selon les barèmes sud-africains. Vous deviez donc connaître cette jurisprudence, vous deviez savoir que les exploitants ont été condamnés à payer des salaires suisses ! Le malheur, c'est que la plupart de ces pauvres travailleurs n'ont jamais reçu les sommes auxquelles leur patron a été condamné. Il s'est en effet avéré impossible de les retrouver en Afrique du Sud. Nous ne voulons donc pas que le salaire légitime, auquel les travailleurs qui sont exploités ici ont droit, ne leur soit pas versé une fois de retour dans leur pays. Cela doit être pour vous un point d'honneur, Monsieur Lamprecht, de veiller à ce que ces travailleurs ne quittent pas ce pays sans avoir reçu leur traitement intégral ! (Applaudissements.) 

M. Alberto Velasco (S). Je profite de l'occasion pour attirer l'attention sur d'autres travailleurs, qui ne travaillent pas pour l'entreprise Pico, mais pour les ambassades. Ces travailleurs sont soumis aux mêmes conditions que les travailleurs de Pico. Ils touchent des salaires extrêmement faibles, ils ne bénéficient d'aucune assurance-maladie et n'ont même pas la possibilité de sortir de chez eux. Or, ces travailleurs résident chez nous et l'on n'en parle pas. Je profite donc de la parole qui m'est donnée pour attirer l'attention sur ces esclaves.

J'aimerais par ailleurs faire part à M. Froidevaux de mon étonnement par rapport aux propos qu'il a tenus. Vous vous mobilisez dans cette affaire à cause des distorsions de marché et non pour l'inhumanité de la situation ou pour les questions d'éthique et de morale que cette affaire soulève. C'est vraiment décevant. La gauche doit malheureusement, je dis bien malheureusement, assumer seule ce genre de débat et ce genre de défense. J'utilise l'adverbe malheureusement, car si vous pouviez nous donner un coup de main, nous avancerions beaucoup plus vite ! 

M. Pierre Meyll (AdG). Les propos de M. Froidevaux, aussi bien que ceux de Mme Polla, m'attristent, car je ne vois pas la situation comme ils la dessinent. Les propos du Conseil d'Etat m'accablent de doutes et je suis navré de constater qu'un Conseil d'Etat qui représente Genève puisse tenir de tels propos.

Je comprends que le Conseil d'Etat ait mal pris la situation, puisqu'il est en fait tributaire de certains accords qui demandent à être signés. On ne voit pas comment Genève pourrait repousser l'engagement d'ouvrir complètement ses frontières et interdire aux entreprises étrangères de venir chez nous exécuter des contrats de construction, notamment avec leurs ouvriers payés à des tarifs étrangers.

Ce point est scabreux. Peut-être explique-t-il à lui seul pourquoi nos autorités ont préféré se défiler. L'importation temporaire de travailleurs asiatiques, ou de mineurs noirs sud-africains il y a quelques mois, les uns et les autres payés au lance-pierres, montre en effet crûment que, malgré les mesures antidumping salarial qui accompagneront le traité bilatéral entre la Suisse et l'Union européenne, certaines entreprises helvétiques pourront utiliser demain la nouvelle mobilité de circulation pour délocaliser plus aisément encore une partie de leur production hors du pays, ou faire importer par des sous-traitants des travailleurs étrangers à titre temporaire de manière à payer au bout du compte des salaires inférieurs à ceux stipulés par les contrats collectifs suisses.

Vous voyez ainsi que l'écheveau se dévide tout seul ! Partant d'un problème de travail bizarre, localisé et temporaire, on est conduit à douter de l'efficacité des mesures antidumping salarial, puis à redécouvrir cette vérité de vaudeville qu'une porte ne peut être à la fois ouverte et fermée, un marché à la fois libéralisé et protégé. Pour prendre conscience enfin que la Suisse, si elle n'y prend garde, va non seulement perdre ce qui reste de sa réputation ancienne de sérieux et de correction, mais surtout se faire une réputation de riche odieux qui pratique le vice tout en prêchant aux pauvres la vertu. Une telle réputation serait particulièrement dommageable pour notre pays. Sa taille ne lui donne en effet, dans la tourmente actuelle, que peu de moyens de se défendre, comme il en fait chaque jour la désagréable expérience.

Que M. Claude Monnier veuille m'excuser d'avoir prolongé ici les propos q u'il tenait. Ce ne sont manifestement pas des propos de gauchistes. Encore toutes mes excuses de vous avoir infligé un texte qui vous met face aux réalités que l'on retrouvera certainement si l'on ne fait pas attention et si l'on n'y prend pas garde. Et cela ne prête pas à sourire, Mesdames et Messieurs les députés ! 

M. Bernard Annen (L). En ma qualité de partenaire social, longuement cité dans le rapport du Conseil d'Etat, mais aussi dans vos différentes interventions, ne comptez pas sur moi pour polémiquer. Je souhaite simplement vous dire que, si je ne partage pas du tout les propos, l'exposé des motifs, la manière, la forme de cette motion, j'en voterai par contre les invites. Je les voterai et je ne serai pas le seul à le faire. Un certain nombre de mes amis députés libéraux également, car ils ont souci de suivre l'ensemble des décisions prises par les partenaires sociaux. Aujourd'hui, l'UAPG est partie prenante et le parti libéral souscrit pour plusieurs raisons à ces actions.

Qui donc aujourd'hui, malgré les propos outrageants de notre collègue Rémy Pagani, peut vouloir couvrir, sous quelque forme que ce soit, l'esclavagisme à Genève ? Personne ! Mais utiliser des propos aussi outrageants et virulents que ceux-ci donne une portée plus ou moins insignifiante à cette problématique. C'est la raison pour laquelle je tiens plutôt à me concentrer sur le fond de votre motion pour dire que nous désirons nous aussi obtenir des renseignements précis. Nous souhaiterions aussi que le conditionnel soit supprimé. Mais pour qu'il puisse l'être, il faut laisser du temps au Conseil d'Etat pour pouvoir faire les vérifications nécessaires.

En ce qui concerne ce cas et les pratiques qui ont cours aujourd'hui lorsqu'une entreprise étrangère vient travailler à Genève, il faut savoir que l'entreprise Pico est en marge de ce qui se passe à Palexpo. Elle est en marge puisque, quelle que soit l'entreprise qui vient travailler à Genève, elle doit demander un préavis économique sur lequel les partenaires sociaux se prononcent. Ils contrôlent en outre les salaires et les conditions sociales des travailleurs venant de l'étranger. C'est dire que les procédures existent. Et si elles existent, elles doivent être appliquées. Je puis vous dire, en ma qualité de partenaire social et au regard de métiers directement touchés à Palexpo, que nous avons tout simplement été pris de vitesse. Tout simplement pris de vitesse parce que les autorisations, les visas, ont été délivrés par les consulats sans passer par la procédure habituelle.

Qui plus est, comment pourrions-nous, en tant que partenaires patronaux, refuser les principes mêmes qui sont acceptés par la norme européenne ? Car ce que vous voulez aujourd'hui par votre motion, ce que nous souhaitons tous, est également prévu par la norme européenne, selon laquelle des monteurs en déplacement doivent obtenir les conditions sociales du lieu du chantier. Nous allons encore plus loin à Genève, en tenant compte de l'extension du champ d'application des conventions collectives. Une entreprise de Bümpliz qui viendrait ainsi travailler à Genève doit également appliquer les conditions sociales stipulées par les conventions genevoises. C'est dire que les milieux patronaux adoptent, et vous en êtes quand même témoin, Monsieur Pagani - vous auriez peut-être pu le dire pour apaiser l'ensemble des propos que vous avez tenus - que la partie patronale des partenaires sociaux soutient aussi l'ensemble de ces principes.

C'est dire, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, que si nous refusons aujourd'hui la virulence de ces propos, nous pouvons tout de même admettre que ceux-ci font partie d'un débat, d'un débat politique passionné. Nous soutiendrons cette motion pour la plupart d'entre nous, en soulignant cependant le fait qu'il est relativement inacceptable d'être montré du doigt comme nous l'avons été tout à l'heure. Nous pouvons donc dépasser intellectuellement ces insultes et annoncer que nous voterons aujourd'hui ce texte de motion. Par cela, nous défendons aussi les entreprises genevoises. Car, dans un certain nombre de cas, il peut y avoir, et il y a concurrence déloyale. C'est dire que l'on ne peut pas non plus pénaliser nos propres entreprises.

Alors, Monsieur Froidevaux, je suis assez d'accord avec vous et avec les propos que j'ai entendus tout à l'heure. J'aurais plutôt envie de refuser cette motion. Mais j'essaie d'aller un peu plus loin, dans l'intérêt de l'image que l'on a de Genève et pour être sûr que l'exposition Telecom puisse venir chez nous avec la tête haute, fière d'exposer à Genève. J'essaie de faire en sorte que nous soyons suivis et que l'ensemble de ce parlement vote cette motion afin que toute la lumière soit faite ! (Applaudissements.)

Le président. Ont encore demandé la parole MM. Blanc, Clerc, Froidevaux, Vanek et Balestra. Le Conseil d'Etat s'exprimera après. Plus personne n'étant inscrit, je vous propose de clore ici la liste des orateurs.

M. Claude Blanc (PDC). Il est évident que les faits qui nous sont rapportés ici doivent nous interpeller. Et ils nous interpellent !

Je voudrais d'abord remercier le Conseil d'Etat pour sa déclaration d'aujourd'hui, tout en relevant que cette déclaration comporte un certain nombre d'affirmations au conditionnel. Il conviendrait évidemment - le Conseil d'Etat le dit d'ailleurs - d'effectuer des contrôles permettant de mettre en adéquation les engagements annoncés et la pratique appliquée.

Je pense que c'est cela l'important. Parce que l'on a d'un côté des accusations extrêmement graves, dont je suis personnellement incapable de vérifier l'authenticité, et d'un autre côté les affirmations de l'entreprise qui apparaissent quant même largement différentes, en ce qui concerne notamment les salaires. Je vous avoue que je ne connais pas la vérité. J'espère que le Conseil d'Etat arrivera à l'établir, parce qu'il est absolument nécessaire que nous soyons sûrs de ce que nous avançons. Il est donc évident que nous ne pouvons pas en rester là et qu'une enquête devra se faire.

En ce qui concerne la motion et ses invites, sachant d'où elle vient, il est normal qu'elle soit largement excessive. Lorsqu'on affirme que ces gens-là sont payés 1,25 F l'heure, je n'en ai pas la preuve. Cela signifie qu'en votant la motion, j'accepterai cette affirmation sans en avoir la preuve, mais on ne va toutefois pas s'arrêter là. Je pense que l'on va voter cette motion de manière que le Conseil d'Etat puisse continuer son enquête et nous dire exactement les conditions dans lesquelles ces gens ont travaillé.

Je me pose pour ma part une autre question. On apprend tout d'un coup en 1999 que des conditions inacceptables sont faites aux travailleurs participant au montage de Telecom 99. Je vous rappelle qu'il y a eu Telecom 95 et Telecom 91. Or, le Conseil d'Etat nous affirme, mais cela mérite aussi d'être vérifié, qu'un consensus régnait depuis 1991, Monsieur Grobet ! Le Conseil d'Etat nous affirme qu'un consensus régnait depuis 1991. Alors, lorsque je vous ai entendu tout à l'heure vous montrer extrêmement sévère envers le gouvernement actuel, qui n'était pas au courant ou qui n'a pas voulu être au courant des conditions inacceptables faites à ces travailleurs, et que je lis d'un autre côté que ce consensus régnait depuis 1991, je pense que le Conseil d'Etat de 1991... (L'orateur est interpellé.) ... connaissait le consensus entre les autorités locales et les partenaires sociaux ! Le Conseil d'Etat a peut-être tort, il faudra qu'il prouve ce qu'il avance, afin que l'on sache si c'est seulement en 1999 que des conditions inacceptables ont été faites à ces travailleurs, ou si ces conditions inacceptables étaient en vigueur depuis 1991 et, avec un peu de chance, encore avant sans que l'on ait eu un consensus. Il faudra alors faire la part des choses et bien établir les responsabilités, sans charger le gouvernement actuel des péchés des gouvernements d'hier et d'avant-hier ! 

M. Bernard Clerc (AdG). Mon collègue Rémy Pagani a dit, s'agissant des travailleurs de Pico, qu'ils étaient considérés comme une marchandise. C'est exact, mais cela n'a malheureusement rien d'exceptionnel.

L'ensemble des salariés sont, par définition, des marchandises. Si ce n'était pas le cas, nous ne vivrions pas dans une société où règne le chômage, nous ne connaîtrions pas des baisses de salaires lorsque le chômage se développe. En effet, c'est le fondement même de l'économie capitaliste telle que nous la connaissons, qui fait que les salariés doivent par définition vendre leur force de travail. Ils cherchent, lorsque les conditions sont favorables, à la vendre le plus cher possible. Lorsque les conditions sont défavorables, ils doivent malheureusement la vendre très bon marché.

Lorsque Mme Polla nous parle de liberté, en disant que la liberté des uns s'arrête au moment où elle rencontre la liberté des autres, c'est très beau, c'est très joli, mais la liberté dont vous nous parlez est une liberté formelle, apparente, de type juridique. De quelle liberté dispose un salarié se trouvant dans un de ces pays d'Asie du sud-est, qui n'est justement pas salarié, mais qui vit de petits boulots ou de travaux intermittents ? Quelle liberté a-t-il d'accepter ou de refuser d'être payé, et finalement bien payé au regard des salaires versés dans son pays, 1,25 F l'heure ?

Tout cela ne peut se produire que parce que nous vivons dans un monde où les inégalités de développement s'accentuent et que le système repose lui-même sur ces inégalités de développement. Ce qui lui permet de continuer à survivre.

Je crois donc que la situation des travailleurs de Pico ne constitue pas une dérive particulière. Ce n'est pas un cas isolé. Je suis assez d'accord avec M. Blanc lorsqu'il dit que cette situation s'est probablement déjà produite en 1995 et en 1991. Je ne vais pas critiquer les patrons, mais les syndicats. Un certain nombre de syndicats ou de syndicalistes ont fermé les yeux, parce que, mon Dieu, la manne de Telecom - on parle de 400 à 600 millions - a un poids autrement plus important que 140 travailleurs.

Constater que ce ne sont pas des dérives partielles ou momentanées, c'est aussi regarder autour de nous et sortir du canton. Cette pratique se manifeste à grande échelle. Prenons un exemple, les zones franches au Mexique ! Vous avez des dizaines et des dizaines de milliers de travailleurs se trouvant dans des conditions du même type. C'est une logique qui va dans le sens de la libéralisation maximale que préconisent certains.

Il faut à présent regarder l'avenir. Je le vois malheureusement sombre. Je pense que ce type de pratiques continuera à se développer, que le mouvement de libéralisation - nous allons d'ailleurs parler plus loin dans l'ordre du jour de l'Accord multilatéral sur les investissements - ne peut que conduire de plus en plus au développement de ce type de pratiques.

Voilà ce qu'il me paraissait important de dire à partir de l'exemple Pico. Je terminerai par la question de Telecom. Il y a une quasi-unanimité dans ce canton pour dire qu'il faut à tout prix garder Telecom. Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi de ne pas être d'accord avec cette affirmation ! L'exposition Telecom ne peut pas être gardée à tout prix, elle ne peut pas être gardée si les droits des travailleurs ne sont pas respectés. (Applaudissements.) 

M. Pierre Froidevaux (R). Avec la déclaration de Bernard Annen, de Claude Blanc et de M. Clerc, nos débats montrent qu'après une prise de position politique, une prise de position purement gauche-droite nous arrivons enfin à nous exprimer sur la défense du droit des travailleurs. Lors de ma prise de parole, j'avais d'emblée rendu attentive l'assemblée au fait que je soutenais de façon impérative le droit des travailleurs. Pour cette raison-là et vu la qualité des débats, où l'on reconnaît que des fautes ont été commises de tous les côtés, que ce soit par les représentants de gauche ou par les représentants de droite, je recommande l'adoption de cette motion. Je soutiendrai cette motion... et le groupe radical avec moi, me fait signe le chef du groupe !

Je me permets quant même de faire une remarque, parce que M. Grobet a l'art de me faire monter la moutarde à des endroits qui me dérangent. (Rires.) Lorsque M. Grobet relira le Mémorial, il se rendra compte que je n'ai en aucune circonstance parlé d'anticonstitutionnalité de cette motion. Je vous ai simplement dit, Monsieur Grobet, tant j'ai l'habitude que vous vous érigiez en juge, que je ne voulais pas que nous soyons le tribunal de droits locaux et de droits internationaux. C'est tout ce que j'ai dit. Je sais qu'il faut malheureusement souvent vous répéter les arguments qui sont cités ; tous les présidents de commissions savent qu'il faut recommencer le travail une demi-heure après. Je suis désolé, Monsieur le président Spielmann, de devoir le répéter ici, mais je vous prie, Monsieur Grobet, d'être un peu plus attentif lorsque je parle et de ne pas vouloir me mettre toujours dans un drôle d'état ! Je vous remercie donc du soutien à cette motion. 

M. Pierre Vanek (AdG). Je ne vais pas trop en rajouter. J'aimerais dire ceci. J'ai demandé tout à l'heure la parole au moment où M. Annen est intervenu et j'aimerais saluer sa prise de position qui, au-delà de la formulation de la motion, considère qu'il y a effectivement lieu de voter ces invites, d'obtenir ces renseignements et d'aller dans le sens du respect des normes qui devraient avoir cours dans notre canton par rapport aux droits des travailleurs, aux salaires, y compris aux droits de l'ensemble des partenaires sociaux. J'aimerais donc le remercier. C'est une prise de position que je salue. Il y a juste une chose, dans ce que vous avez dit, Monsieur Annen, sur laquelle j'aimerais revenir. Vous avez parlé des propos outrageants de mon collègue Rémy Pagani. Je ne pense pas qu'ils soient, sur le fond, outrageants, considérant qu'il y a aujourd'hui une relation assez étroite entre cette affaire-là et un courant néo-libéral dominant dans le monde et dans notre pays. Je crois que Rémy Pagani n'a pas dit autre chose. Lorsque je suis intervenu, je me suis aussi montré sévère. Si je vous ai blessé, je veux bien m'en excuser. Mais la prise de position de la présidente du Conseil d'Etat, la déclaration sur laquelle on est revenu aujourd'hui, participe d'une conception, d'une idéologie ultralibérale qui ne correspond pas à celle que vous avez mentionnée dans votre discours. Je crois qu'il n'y a rien d'outrageant à rappeler cet aspect-là, à mettre en garde contre cette dérive et à demander, y compris aux libéraux qui ont des têtes et des coeurs, de réfléchir à ces questions-là !

Un dernier mot encore sur ce que Mme Polla a dit dans une intervention qui était un peu moins claire que celles d'autres députés. Elle a évoqué les travailleurs de la Chambre genevoise de commerce et d'industrie, qui seraient des travailleurs qui auraient des droits. Ils ont bien sûr des droits, des droits comme travailleurs, des droits à l'expression, des droits à des conditions de travail décentes. Madame Polla, si ces droits n'étaient pas respectés, je crois que mon collègue Rémy Pagani serait d'accord de les défendre comme ceux de l'ensemble des travailleurs. Vous avez insisté sur ce couplet de la liberté qui s'arrête là où commence celle des autres : mon collègue Bernard Clerc est intervenu sur la différence entre des libertés formelles, qui seraient garanties dans le droit, et la liberté réelle des travailleurs.

Ce que je ressens surtout par rapport à cette affaire, et j'en terminerai là, c'est que la liberté de tous et la mienne en particulier s'arrête où s'arrête celle des autres. Lorsque je vois des gens exploités dans des conditions encore à établir, mais qui ne sont pas très propres, c'est une situation qui porte immédiatement atteinte à ma liberté et à celle de l'ensemble des citoyens de ce canton. C'est à ce titre-là, au titre d'une conception de la démocratie qui est celle-là, d'une conception de la solidarité entre les citoyens et les citoyennes de cette République que j'interviens. C'est dans ce sens-là et non dans le sens d'une démocratie qui serait selon certains libéraux, dont vous ne partagez pas forcément les avis, simplement une addition d'égoïsmes. Non, la démocratie, c'est autre chose. C'est le respect, non seulement dans la sphère du droit et dans la sphère formelle, mais aussi dans les faits, d'une égalité réelle de droits pour tous. C'est un objectif auquel il s'agit de travailler !

M. Michel Balestra (L). Le libéralisme économique implique des prescriptions visant à éviter le dumping ou l'exploitation, mais sans paralyser le progrès, visant à défendre l'individu et à lui redonner sa liberté, mais sans l'emprisonner. Alors, pour imager, je dirais que les socio-libéraux, puisque c'est un thème que Barbara Polla a oublié de mentionner tout à l'heure dans sa définition des catégories libérales, les socio-libéraux que nous sommes refusent la présence du renard dans le poulailler, mais ne souhaitent pas des élevages de poulets en batterie. Ce que nous désirons plus que tout au monde, c'est un joli élevage, bien en santé, au sol, dans un espace réservé. Alors effectivement, Monsieur Pagani, je vous félicite d'avoir levé un vrai problème. Je ne vous félicite par contre pas de l'exploitation que vous en avez faite, qui a polarisé des positions politiques dans une affaire qui se veut être une affaire de défense des intérêts d'une catégorie d'individus en train de travailler aujourd'hui à Genève.

C'est dans cet esprit, et dans cet esprit seulement, que nous rentrons avec vous dans le vote de cette motion. Parce que nous voulons, comme vous, savoir si l'Etat de droit dans lequel nous sommes et qui prévoit des réglementations visant à éviter les dérives dénoncées par M. Clerc tout à l'heure, si les principes de cet Etat de droit ont été respectés. C'est la première des questions posées par cette motion et nous voulons une réponse à cette question. Je ne le pense pas, tout comme vous. La deuxième question : est-ce que les moyens à disposition pour veiller au respect du droit sont suffisants ? Nous n'avons pas de réponse à cette question, mais tout comme vous je pense qu'ils ne sont pas suffisants. Alors, quelle sera à l'avenir la position des autorités pour éviter des dérives comme celles-ci ? voilà la troisième question à laquelle je souscris également. Mais où je me distance totalement de votre démarche politique, c'est au moment où votre vote devient un vote de défiance envers le Conseil d'Etat, laissant accroire qu'il a souhaité, qu'il a voulu ou qu'il a cautionné cette situation. Sa déclaration de ce soir est la preuve qu'il est déterminé, tout comme nous, à exiger des réponses à ces trois questions, à faire la lumière et toute la lumière afin d'établir la vérité des faits. Je suis également certain que le Conseil d'Etat est déterminé pour trouver à l'avenir des solutions qui seront conformes à la fois au droit en vigueur, à la protection des individus et à l'intérêt général, donc au développement des expositions à Genève. C'est dans cet esprit que je vote avec vous, mais pas dans l'esprit qui a présidé au début de l'explication que vous avez cru devoir faire de cette motion ! (Applaudissements.)

M. Charles Beer (S). Je prends la parole en extrême fin de débat, mais je ne serai pas long. Je ne souhaitais pas intervenir dans la mesure où, participant à des négociations avec le Conseil d'Etat sur la mise en place des choses, je trouve qu'il n'est pas toujours évident d'opérer la distinction entre un rôle professionnel de syndicaliste et un rôle de député. Cela dit, le combat est exactement identique.

Ce qui me pousse à prendre la parole, c'est le besoin de préciser un certain nombre de choses. J'ai été horrifié d'entendre M. Blanc, non pas dire, car là je partage son avis, qu'il était difficile de voter quelque chose que nous n'avions pas vérifié, mais dire, ou plutôt répéter un certain nombre d'horreurs, à savoir que les partenaires sociaux auraient couvert un accord, auraient participé à un accord... (L'orateur est interpellé.) Oui, dans la bouche de qui l'avez-vous entendu, Monsieur Blanc ?

M. Claude Blanc. Du Conseil d'Etat !

M. Charles Beer. Très bien ! Merci ! Vous avez donc entendu dans la bouche du Conseil d'Etat un certain nombre de propos qui revenaient à dire : «Attention, nous avons été complètement à côté de la plaque, nous nous sommes plantés, mais ce n'est pas uniquement de notre faute. Rassurez-vous, il y en a d'autres !» Eh bien, Monsieur Blanc, et Monsieur Clerc - puisque vous avez aussi cru bon de mettre en cause un certain nombre de syndicalistes - je tiens à dire ici, solennellement, qu'il est extrêmement grave de prétendre que des syndicats auraient accepté de couvrir certaines pratiques contraires aux usages dans la branche, c'est-à-dire contraires aux conventions collectives de travail. Ces propos sont d'une extrême gravité. Je ne pouvais pas les laisser passer et je tiens à dire qu'ils sont diffamatoires par rapport à mes collègues du bâtiment, de la FTMH et du SIB. Je ne voudrais pas qu'un tel débat puisse se terminer en laissant penser que l'incurie du Conseil d'Etat ait pu faire l'objet d'un accord quelques années plus tôt avec les partenaires sociaux.

Je le dis également au Conseil d'Etat, qui a donc cru bon de mettre en cause des partenaires sociaux. Je somme le Conseil d'Etat et les députés qui ont cru bon de relayer ce type de propos de dire sur quoi ils se basent pour mettre en cause des syndicats, des syndicalistes. Mes collègues de la FTMH et du SIB sont, via les commissions paritaires, en train d'enquêter dès aujourd'hui, vous le savez bien, avec les représentants de l'office cantonal de l'emploi. Ils font un travail énorme en matière de lutte contre le travail au noir, un énorme travail contre les dégradations des conditions de travail.

Oui, nous sommes attachés à des conditions-cadres pour l'économie. Oui, nous sommes favorables à la construction, à Palexpo, de la halle 6 sur l'autoroute. Mais cela n'autorise personne dans ce parlement à mettre qui que ce soit en cause en tant que syndicaliste sans la moindre preuve. Autrement, ces débats pourraient déboucher devant d'autres cénacles ! 

Le président. La parole est à M. Blanc qui a été mis en cause.

M. Claude Blanc (PDC). M. Beer dit que des propos inadmissibles sont tenus dans ce parlement. Je n'ai pour ma part pas tenu de propos inadmissibles, j'ai simplement lu un passage de la lettre du Conseil d'Etat. Ces propos ne sont par conséquent pas les miens. Lorsque vous me menacez... (L'orateur est interpellé.) Vous avez dit «dans ce parlement», Monsieur Beer. Vous avez dit que dans ce parlement avaient été tenus des propos inadmissibles. J'ai peut-être tenu des propos qui vous paraissent inadmissibles, mais je ne les ai pas inventés, je les ai lus dans la déclaration du Conseil d'Etat. Je demande que l'on m'en donne acte pour le cas où !

Mme Martine Brunschwig Graf. Je veux bien être régulièrement mise en cause pour les propos que je tiens, mais j'aimerais quand même que l'on relise le paragraphe tel qu'il est libellé. Ce paragraphe dit ceci : «Le Conseil d'Etat tient à souligner qu'un consensus régnait depuis 1991 entre autorités et partenaires sociaux quant aux modalités appliquées lors de Telecom.» Ce sont très exactement les propos qui ont été tenus hier, au point de presse. Je n'ai pas dit par là que régnaient des pratiques qui aboutissaient à la misère, ou à l'esclavage que vous avez dénoncé dans votre motion.

Depuis, la situation a été marquée par l'ouverture des marchés, mais aussi par la pratique de plus en plus généralisée de la sous-traitance, puisqu'il s'agissait auparavant, comme vous le savez, davantage des exposants et de leurs employés et qu'il y avait dans ce cadre-là des pratiques parfaitement identifiées par tout le monde et considérées comme étant acceptables par les uns et par les autres. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ce Conseil n'a jamais eu à débattre, ni en 91, ni en 95, de ces éléments. «La pratique généralisée de la sous-traitance implique l'élaboration de nouvelles règles agréées par tous les partenaires» : voilà ce que j'ai dit, voilà les propos qui ont été tenus hier. Il n'a été dit à aucun moment qu'il y avait des éléments indignes. Je vous rappelle à ce propos que les données qui sont énumérées ici méritent des vérifications de part et d'autre. C'est ce pourquoi nous avons mis en place tout ce dispositif.

Je tiens encore à rappeler une autre chose. C'est que l'office cantonal de l'emploi et le Conseil d'Etat n'ont pas attendu hier matin, ni hier après-midi pour donner des instructions par rapport au contrôle, mais que c'est sur la base des informations des uns et des autres que nous avons convenu que chaque situation particulière serait vérifiée de façon particulière et sur la base des modalités qui sont mises en place.

Pour terminer, en ce qui concerne les propos de la présidente et leurs aspects lapidaires, je suis la même personne qui a tenu certaines propos la semaine dernière, qui a rédigé la déclaration au nom du Conseil d'Etat et qui l'a lue. Si mes propos de la semaine dernière en tant que personne étaient maladroits, le Conseil d'Etat dans son ensemble n'a jamais divergé sur la position telle qu'elle est présentée ici ! (Applaudissements.) 

M. Charles Beer (S). Je voudrais dire, suite à l'intervention de Mme la présidente du Conseil d'Etat, que je ne vois pas, à partir du moment où la loi est respectée, à quel consensus elle fait allusion. A partir de là, ce type de propos, tenus sur la base d'aucun débat, sur la base d'aucune discussion dans aucun cénacle, sont de nature à jeter le doute sur les pratiques actuelles. C'est ce qui justifiait cette mise au point, sur laquelle je suis malheureusement encore obligé d'appuyer. 

Le président. Je vous propose de passer au vote de cette motion. Tout a été dit. Nous avons décidé tout à l'heure de clore la liste des orateurs et personne ne s'est manifesté.

Mise aux voix, cette motion est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

Motion(1307)

relative aux employés de l'entreprise Pico travaillant au montage de 8 imposants stands destinés à Telecom 99

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant:

que depuis le mois d'août, plus d'une centaine de travailleurs temporaires d'origine asiatique travaillent au montage de stands destinés à l'exposition Telecom 99, à des conditions salariales scandaleuses pour un pays comme la Suisse (de 1.50 Fr. à 5 Fr. /heure), à raison au bas mot de 60 heures par semaine sans respecter les jours fériés et le dimanche, ce jusqu'à fin novembre ;

que le montage de ces stands ne nécessite pour l'essentiel aucune qualification spéciale qui ne soit présente dans notre région, s'agissant de construire et d'aménager des "; immeubles " exigeant des professions regroupées dans le secteur du bâtiment et de la métallurgie du bâtiment ;

que l'Office cantonal de la population n'a pas été informé du séjour à Genève de ces employés, selon les procédures en vigueur ;

qu'aucun contrôle systématique des salaires versés aux employés de cette entreprise, des garanties financières, des conditions de sécurité, ainsi que des conditions de logement n'ont été effectués par les services ad hoc ;

que cet état de fait porte un préjudice considérable aux entreprises locales par une concurrence déloyale (ex. l'entreprise Mathys Expo SA qui a été évincée de ce marché) et, par voie de conséquence, à leurs salariés qui subissent de fortes pressions sur leurs salaires et leurs conditions de travail (ex. l'entreprise Panalpina qui travaille en ce moment sur le site) ;

que la situation des employés de l'entreprise Pico était similaire à l'occasion du montage de Telecom 96 (environ une cinquantaine de personnes occupées alors) ;

que, selon le règlement d'application des dispositions sur le séjour et l'établissement des étrangers du 8 février 1989 (F 2 10.03, art. 5, al. 1) et conformément à l'ordonnance limitant le nombre des étrangers (OLE), l'office cantonal de l'emploi doit "; veiller à ce que les travailleurs soient traités, pour un même travail, sur le même pied que les Suisses, notamment quant aux conditions de rémunération et de travail en usage, à Genève, dans la profession " ;

que le Conseil d'Etat par la voix de sa présidente, Mme Brunschwig Graf trouve normal que des travailleurs soit rémunérés à ce niveau, sous prétexte d'un article (art. 11) dérogatoire concernant aussi les travailleurs frontaliers de la Convention internationale de l'OIT (Organisation Internationale du Travail) No143 (1975). Texte qui impose d'ailleurs un statut similaire aux travailleurs autochtones pour tous les travailleurs migrants mais que la Suisse n'a jamais voulu ratifier, refusant ainsi aux saisonniers le logement convenable auquel ils avaient droit, les confinant pendant de nombreuses années dans des baraques ;

qu'à ce jour aucun contrôle direct et rigoureux auprès des ouvriers concernés n'a été effectué par les autorités compétentes (la police des étrangers). Le conseiller d'Etat Carlo Lamprecht se contentant d'inviter les responsables de l'entreprise Pico à lui fournir une liste exhaustive des noms de ces travailleurs ainsi que certains des contrats de ces employés, alors qu'il pouvait supposer - au vu des éléments du dossier - que les pratiques de cette entreprise sont loin d'être transparentes, notamment sur l'obtention des visas ;

que les autorités fédérales par la perception de sommes importantes au regard de ce que gagnent ces travailleurs (exemple : Fr. 750.- pour un visa du 7 août au 31 octobre) et les autorités cantonales par la mise à disposition de locaux d'hébergement aucunement destinés à cet effet (Cité universitaire par exemple, prix par travailleur pour le coucher et le petit déjeuner Fr. 22 par jour) se sont rendues complices de ce commerce de main-d'oeuvre.

qu'en tout état de cause, cette affaire relève de la traite de travailleurs voire de l'esclavage moderne. En effet, chaque travailleur de cette multinationale Pico signe un contrat dans son pays d'origine et, dès lors, n'est plus libre de ses mouvements : son temps de travail lui est imposé, tout comme son logement en dortoir, sa sécurité, sa nourriture, ses déplacements. C'est seulement à son retour qu'il sera rémunéré dans la monnaie de son pays.

invite le Conseil d'Etat,

dans les délais les plus brefs,

à lui présenter un rapport détaillé sur les circonstances qui ont permis à la multinationale Pico d'utiliser illégalement, depuis le 1er août 1999, 140 travailleurs asiatiques, payés, au tarif de 1,25 Fr. à 5 Fr. par heure, pour monter des stands à Palexpo, destinés à l'exposition Telecom, alors que l'autorité fédérale prétend n'avoir accordé que 25 visas depuis Shanghai. Ce rapport devra indiquer :

comment il se fait que la direction de Palexpo, institution de droit public, qui connaissait forcément la présence de cette importante équipe de montage, ait toléré la venue de celle-ci et n'ait pas avisé les autorités cantonales compétentes de sa présence ?

comment il se fait que la police et l'Office cantonal de la population n'aient pas décelé la présence de cette main-d'oeuvre "; clandestine ", sur la base des fiches d'hébergement que les intéressés ont dû remplir à leurs deux lieux d'hébergement non prévus pour des travailleurs migrants ?

comment le Conseil d'Etat peut-il justifier, dans le cas d'espèce, le recours à une main-d'oeuvre étrangère, au regard de sa pratique très restrictive en matière d'immigration temporaire de travailleurs, lorsque la main-d'oeuvre locale est à même d'accomplir le travail prévu.

quel rôle le comité d'organisation de Telecom a joué dans cette pratique de dumping salarial indécent?

à indiquer quelles sanctions seront prises dans cette affaire et à ordonner à la société Pico de respecter les conditions locales de travail, tout particulièrement en ce qui concerne la rémunération des travailleurs, leurs assurances et cautions, leur logement, leur nourriture, leur transport et leur sécurité sur le chantier, et à ordonner immédiatement à cette société de payer le salaire dû et ce mensuellement et sur place.

de faire cesser immédiatement toute pratique de traite de travailleurs, voire d'esclavage sur le territoire de notre canton.

M. Rémy Pagani (AdG). Maintenant que nous avons voté cette motion - je m'en félicite, comme je me félicite que ce parlement relève les valeurs de la République - j'aimerais poser la question au Conseil d'Etat du délai de la réponse, car j'estime que cette motion ne peut pas attendre six mois, huit mois même, tel qu'il est réglementairement convenu de le faire. 

Mme Martine Brunschwig Graf. Il y a bien sûr le règlement sur les motions. Ce n'est pas ce qui nous intéresse aujourd'hui. Vous étiez, Monsieur le député, présent hier. Vous savez donc pertinemment qu'un délai a été fixé et que ce délai pour faire le point et connaître les informations a été fixé à mercredi prochain. Après la rencontre avec les partenaires sociaux, nous nous mettrons d'accord ensemble sur la suite de la communication de la réponse, y compris bien entendu par écrit.