République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 7582
10. Projet de loi du Conseil d'Etat concernant la Chambre de conciliation et d'arbitrage (J 1 15). ( )PL7582

LE GRAND CONSEIL,

vu les articles 30, 31, 33 à 35 de la loi fédérale sur le travail dans les fabriques, du 18 juin 1914;

vu l'article 72, alinéa 2, lettre b, de la loi fédérale sur le travail dans l'industrie, l'artisanat et le commerce, du 13 mars 1964;

vu les articles 319 à 362 du code des obligations,

Décrète ce qui suit:

CHAPITRE I

Organisation et compétences dela Chambre de conciliation et d'arbitrage

Article 1

1 La présente loi institue une Chambre de conciliation et d'arbitrage (ci-après: la chambre) en qualité d'organe officiel chargé de :

a)  prévenir et concilier, dans la mesure du possible, les différends d'ordre collectif qui peuvent s'élever sur les conditions de travail, y compris en application de la loi fédérale sur l'égalité, du 24 mars 1995, ainsi que sur l'interprétation et l'exécution de conventions collectives ou de contrats-types de travail, notamment entre :

1o un employeur et ses travailleurs,

2o un employeur et une ou des associations de travailleurs,

3o plusieurs employeurs ou associations d'employeurs et une ou plusieurs associations de travailleurs;

b)  provoquer la conclusion de conventions collectives de travail entre intéressés (art. 356 CO);

c)  rédiger des contrats-types de travail (art. 359 CO);

d)  trancher les différends d'ordre collectif par une sentence arbitrale.

2 La chambre est indépendante de l'administration.

Art. 2

Les compétences de la chambre s'étendent à toutes les entreprises soumises ou non à la loi fédérale sur le travail dans l'industrie, l'artisanat et le commerce, du 13 mars 1964.

Art. 3

1 La chambre est composée :

a)  d'un juge à la Cour de justice;

b)  de 4 juges assesseurs (2 employeurs et 2 travailleurs) et de leurs suppléants (4 employeurs et 4 travailleurs) nommés par les conseils de prud'hommes.

2 Elle est présidée par le juge à la Cour de justice ou par son suppléant, assisté d'un fonctionnaire du greffe de la chambre pour tenir le procès-verbal.

3 Les limites d'âge concernant l'éligibilité des juges assesseurs sont fixées selon la loi sur l'organisation judiciaire, du 22 novembre 1941.

Art. 4

1 Tous les 6 ans, au début de chaque législature prud'homale, la Cour de justice désigne celui de ses membres qui fait partie de la chambre et en assume la présidence. Les autres juges de la Cour de justice peuvent suppléer le président ainsi nommé en cas d'absence ou d'empêchement de ce dernier et pendant les féries judiciaires.

2 Les juges assesseurs et leurs suppléants sont désignés de la manière suivante :

a)  aussitôt après la prestation de serment qui suit leur élection, les employeurs et les travailleurs des conseils de prud'hommes sont réunis en assemblées générales distinctes par les soins du greffe des prud'hommes, selon la loi sur la juridiction des prud'hommes, du 21 juin 1990;

b)  chacune de ces assemblées nomme ses deux délégués et ses quatre suppléants. L'ordre des suppléants est donné par le nombre de voix obtenues par chaque candidat et, en cas d'égalité de suffrages, par l'âge;

c)  les suppléants remplacent dans l'ordre de leur nomination les délégués en cas d'absences (notamment maladie, vacances, récusation motivée) annoncées à la chambre en temps utile;

d)  si, dans l'intervalle des élections de prud'hommes, le nombre de postes vacants de juges assesseurs et de suppléants atteint la moitié du chiffre total pour les employeurs ou pour les travailleurs, une assemblée générale doit être convoquée afin de pourvoir aux remplacements.

3 Les mandats du président, des juges assesseurs ainsi que de leurs suppléants sont renouvelables.

Art. 5

Le greffe de la chambre est réglé selon la loi instituant un service des relations du travail, du 6 octobre 1943.

CHAPITRE II

Conciliation et arbitrage

Art. 6

1 La chambre intervient soit d'office, soit à la requête d'autorités ou d'intéressés. Le règlement d'exécution détermine la procédure applicable.

2 En cas de conciliation, les transactions auxquelles les parties ont acquiescé ont le même effet que les jugements rendus par les tribunaux ordinaires du canton.

3 A défaut de conciliation, la chambre émet une recommandation à l'intention des parties.

4 Le Conseil d'Etat peut également, s'il le juge opportun ou si les parties le lui demandent, tenter une nouvelle et dernière conciliation ou encore désigner un médiateur.

Art. 7

1 La chambre peut, sur demande des parties ou avec leur approbation, se constituer en tribunal arbitral.

2 La procédure arbitrale est librement déterminée par les parties. L'article 24 du concordat intercantonal sur l'arbitrage, du 27 mars 1990 (ci-après: le concordat), est au surplus applicable.

3 L'adoption et l'exécution des sentences arbitrales sont réglées par le concordat.

4 Les sentences arbitrales sont susceptibles de recours en nullité et en révision conformément aux articles 36 à 43 du concordat.

CHAPITRE III

Dispositions communes

Art. 8

Les débats devant la chambre ont lieu à huis clos.

Art. 9

1 Pendant toute la durée de la procédure, les parties sont tenues de s'abstenir de toute publicité et de toutes mesures de représailles telles que suspension générale ou partielle du travail, grève, lock-out, boycott.

2 Si elle le juge opportun, la chambre renseigne le public par voie de communiqué de presse sur le résultat de son intervention.

3 Celui qui enfreint l'alinéa premier sera puni des peines de police, conformément aux dispositions de la loi pénale genevoise, du 20 septembre 1941, sans préjudice des autres peines prévues par les lois pour des infractions déterminées.

Art. 10

1 La procédure est en principe gratuite pour les parties.

2 Selon les circonstances, la chambre peut toutefois mettre tout ou partie des frais et débours à la charge des parties.

Art. 11

Les requêtes et autres pièces, les procès-verbaux, recommandations, transactions conciliatoires et sentences sont conservés en original au greffe de la chambre.

Art. 12

Les personnes désignées à l'article 3 de la présente loi, ainsi que le médiateur, sont tenus de garder le secret absolu sur les renseignements, documents et pièces dont ils ont connaissance dans les fonctions que la présente loi leur confère.

Art. 13

Les membres de la chambre reçoivent des jetons de présence suivant le tarif fixé par le Conseil d'Etat pour les commissions judiciaires.

Art. 14

1 Les personnes citées par la chambre sont tenues, sous peine d'amende, de comparaître, de prendre part aux débats et de fournir tous renseignements.

2 En cas d'infraction, elles sont passibles d'une amende pouvant s'élever à 1 000 F et 5 000 F en cas de récidive. Cette amende est prononcée par la chambre.

CHAPITRE IV

Dispositions finales

Art. 15

Le Conseil d'Etat édicte les dispositions d'exécution de la présente loi.

Art. 16

Sont abrogées :

a)  la loi sur les salaires et les conflits collectifs, du 26 mars 1904 (J 1 15);

b)  la loi instituant à titre temporaire une commission de conciliation en matière de salaires, du 23 janvier 1915 (J 1 17);

c)  la loi concernant l'institution d'un office permanent de conciliation et suspendant provisoirement l'application de la loi du 26 mars 1904 sur les salaires et les conflits collectifs, du 21 septembre 1918 (J 1 19).

Art. 17

Le Conseil d'Etat fixe l'entrée en vigueur de la présente loi.

Art. 18

La loi s'applique aux requêtes dont l'office cantonal de conciliation était saisi au moment de son entrée en vigueur.

Art. 19

1 La loi pénale genevoise, du 20 septembre 1941, est modifiée comme suit :

Art. 37, al 1, 54o (nouveau)

54o ceux qui ont contrevenu à la loi concernant la Chambre de conciliation et d'arbitrage et à son règlement d'application.

*

* *

2 La loi instituant un service des relations du travail, du 6 octobre 1943, est modifiée comme suit :

Art. 4 (nouvelle teneur)

Le service fonctionne comme greffe et secrétariat de la Chambre de conciliation et d'arbitrage en préparant les audiences et en fournissant un secrétaire qui tient le procès-verbal.

Art. 5, al. 1 (nouvelle teneur)

1 Le service reçoit et examine toutes les réclamations qui lui parviennent et qui sont de la compétence de la Chambre de conciliation et d'arbitrage.

Art. 5, al. 2 (nouvelle teneur)

2 S'il s'agit de différends d'ordre collectif, il constitue le dossier, réunit la documentation nécessaire et transmet le tout à la Chambre de conciliation et d'arbitrage.

Art. 5, al. 3, dernière phrase (nouvelle teneur)

3 ... Sur la base de cette enquête et pour autant qu'entre-temps un accord ne soit pas intervenu, il soumet un rapport à la Chambre de conciliation et d'arbitrage.

Art. 5, al. 4 (nouvelle teneur)

4 Lorsqu'il résulte d'un rapport du service que les conditions de travail et de salaires dans un établissement ou dans une profession donnée sont réellement insuffisantes, la Chambre de conciliation et d'arbitrage peut intervenir d'office.

Art. 6, al. 2 (nouvelle teneur)

2 En cas de défaut non excusable, elles peuvent être citées à leurs frais devant la Chambre de conciliation et d'arbitrage.

EXPOSÉ DES MOTIFS

La situation économique actuelle, et les tensions qui en découlent, rendent indispensables les instruments permettant de prévenir et régler les conflits collectifs de travail.

Depuis le début de ce siècle, la concertation ainsi que la conciliation de tels conflits ont été placées dans les mains de l'office cantonal de conciliation qui a su, à de nombreuses reprises, trouver des solutions satisfaisantes dans des situations où la paix sociale se trouvait menacée.

Un examen attentif des dispositions légales et réglementaires en vigueur en ce domaine révèle toutefois une situation juridique peu satisfaisante. En effet, l'office cantonal de conciliation a été créé le 21 septembre 1918 par une loi provisoire. L'adoption d'une base légale formelle et durable, accompagnée d'un rafraîchissement des dispositions régissant cet office, s'avère dès lors nécessaire. En outre, compte tenu de l'entrée en vigueur, le1er juillet 1996, de la loi fédérale sur l'égalité, et du fait que le Conseil d'Etat a confié à l'office cantonal de conciliation les litiges relatifs aux conflits collectifs de travail découlant de l'application de cette loi, l'adoption d'une base légale incluant cette nouvelle compétence est d'autant plus pressante. En pratique, il se révèle également indispensable de préciser la portée juridique des transactions conciliatoires passées devant la chambre.

C'est pourquoi, nous soumettons aujourd'hui à votre attention un projet de loi-cadre énonçant les principes applicables et abrogeant l'ancienne réglementation en la matière.

Il est à noter que le caractère informel de la procédure suivie par l'office sera largement maintenu. La pratique a en effet démontré que c'est précisément cet aspect informel qui a garanti le succès de cette institution. Outre la conciliation et l'arbitrage, ce projet prévoit la possibilité de faire appel à un médiateur.

Quant au changement de nom de l'office, il se justifie par le fait qu'au cours des années s'est révélée une certaine tendance à confondre l'office de conciliation avec une entité administrative. En s'appelant dorénavant Chambre de conciliation et d'arbitrage, une telle confusion ne sera plus possible.

Avant d'aborder les commentaires article par article, il est à souligner que les modifications proposées n'entraînent aucun coût supplémentaire au budget de l'Etat.

Commentaires article par article

Article 1 - Constitution et tâches

A l'exception de modifications rédactionnelles mineures, cette disposition reprend l'article premier du règlement J 1 19.03. Elle inclut également la compétence de la chambre de connaître des conflits collectifs découlant de l'application de la loi fédérale sur l'égalité.

Il est à noter que la chambre est indépendante de l'administration.

Article 2 - Compétences

Cette disposition est également reprise du règlement J 1 19.03 (art. 2). Elle fixe les compétences de la chambre dans une base légale claire.

Article 3 - Composition

Là encore, peu d'innovations, à l'exception toutefois d'une précision à l'alinéa 3 concernant les limites d'âge pour l'éligibilité en tant que juge assesseur. Celles-ci sont en effet fixées en référence à la loi sur l'organisation judiciaire, du 22 novembre 1941. Pour le reste, cette disposition reprend l'article 3 du règlement J 1 19.03.

Article 4 - Désignation du président et des juges

L'alinéa premier de cet article prévoit dorénavant une périodicité de six ans pour la désignation du président et des juges de la chambre, au lieu de trois ans comme c'était le cas jusqu'à présent. Ce changement est motivé par un souci d'harmonisation avec la durée du mandat des juges assesseurs selon la législation sur les prud'hommes et par souci de stabilité, gage de confiance pour les partenaires sociaux.

Pour le reste, cet article reprend l'article 4 de l'ancien règlementJ 1 19.03, à l'exception de quelques modifications rédactionnelles mineures.

Article 5 - Greffe de la chambre

Cet article renvoie à la loi sur le service des relations du travail. Il ne s'agit là que de la confirmation d'une situation existante.

Article 6 - Conciliation

Alinéa 1

Cet alinéa maintient le principe selon lequel la chambre intervient soit d'office, soit à la requête d'autorités ou d'intéressés. Ce principe figure dans les mêmes termes à l'article 5, alinéa 1, du règlement J 1 19.03.

Alinéa 2

Cette disposition est nouvelle. Elle exprime clairement que les transactions conciliatoires ont valeur de jugement et sont susceptibles d'exécution forcée.

Alinéa 3

Cette disposition, bien que nouvelle, correspond à la pratique de l'office qui, en cas d'échec de la conciliation, émet une recommandation à l'intention des parties.

Alinéa 4

Cet alinéa reprend le principe contenu à l'article 13 du règlementJ 1 19.03 en réservant au Conseil d'Etat le pouvoir d'intervenir, s'il l'estime nécessaire ou si les deux parties le lui demandent, pour une ultime tentative de conciliation. Il est à relever que cette procédure a déjà souvent été sollicitée et a fait la preuve de son efficacité. Le Conseil d'Etat disposera également de la possibilité de désigner un médiateur. Il s'agit en effet de n'écarter aucun moyen permettant de trouver, même dans les cas les plus délicats, une solution amiable satisfaisant les parties.

Article 7 - Arbitrage

Conformément à l'article 16 du règlement J 1 19.03, l'office cantonal de conciliation peut d'ores et déjà rendre des sentences arbitrales. Le présent article 7 maintient cette procédure. Il précise en outre que c'est sur demande des parties ou avec leur approbation que la chambre peut se constituer en tribunal arbitral. Au surplus, cette disposition renvoie à l'application du concordat intercantonal sur l'arbitrage.

Article 8 - Huis clos

Cet article constitue une codification de la pratique, le principe du huis clos étant largement appliqué.

Article 9 - Interdiction de publicité et mesures de représailles

Cette disposition est reprise de l'article 20 du règlement J 1 19.03. Il est, en effet, essentiel que pendant toute la durée de la procédure devant la chambre, aucune publicité ou mesures de représailles n'interviennent. L'alinéa 2 de cet article est nouveau. Il s'inspire de dispositions similaires rencontrées dans d'autres lois cantonales et donne compétence à la chambre de renseigner le public par voie de presse, si elle le juge nécessaire.

Article 10 - Gratuité de la procédure

Cette disposition confirme le principe selon lequel la procédure est gratuite. Toutefois, le règlement peut préciser que certains frais relatifs à l'administration des preuves peuvent être mis à la charge des parties.

Article 11 - Conservation des actes de procédure

Article 12 - Secret de fonction

Bien que ne figurant pas dans l'actuel règlement, ces deux dispositions constituent également une codification de la pratique devant la chambre.

Article 13 - Indemnités

Cette disposition reprend l'article 17 du règlement J 1 19.03 en précisant que le tarif applicable est celui fixé par le Conseil d'Etat pour les commissions judiciaires.

Article 14 - Personnes citées et pénalités

Cette disposition figurait à l'article 18 du règlement J 1 19.03.

* * *

Compte tenu de ce qui précède, nous vous recommandons, Mesdames et Messieurs les députés, d'accepter le présent projet de loi.

Préconsultation

Mme Fabienne Blanc-Kühn (S). Le groupe socialiste est quelque peu déçu par ce projet de loi qui nous propose, en quelque sorte, un «rafraîchissement». Le problème est que ce rafraîchissement porte sur une loi datant de 1918. Nous aurions pu espérer une modification des structures de l'actuel office cantonal de conciliation un peu plus offensive.

Vous voyez dans le commentaire, article par article, qu'en fait les modifications proposées par le Conseil d'Etat ne sont que des formalisations d'articles actuels.

Par contre, le Conseil d'Etat fait une avancée qui me laisse assez perplexe : elle consiste à confier à la Chambre de conciliation et d'arbitrage la tâche de tenter de concilier les conflits relatifs à la loi sur l'égalité. Je suis un peu étonnée, M. Ramseyer ayant beaucoup tardé à nous présenter un projet de loi relatif à la conciliation en regard des conflits liés à la loi sur l'égalité. Peut-être savait-il que M. Maitre allait proposer la résolution des conflits liés à la loi sur l'égalité par la Chambre de conciliation et d'arbitrage, mais c'est peut-être aller un peu trop vite en besogne.

Je ferai un petit commentaire sur ce qui nous est proposé. Par exemple, il est recommandé une interdiction de publicité et de mesures de représailles, à l'article 9 de ce projet de loi. C'est là aussi aller trop vite en besogne. Il est vrai que lors d'un conflit collectif les parties doivent s'abstenir de toute publicité sur les affaires qui sont soumises à l'office cantonal de conciliation, mais s'il y a interdiction de publicité et de mesures de représailles, il serait également utile de convenir aussi d'une suspension de toutes les mesures qui sont avancées par le patronat, telles que les menaces de licenciement. (Brouhaha. La présidente agite la cloche.) Ainsi cet article n'aurait pas ce caractère unilatéral un peu préoccupant.

Nous soutiendrons, malgré tout, évidemment, le renvoi de ce projet de loi en commission judiciaire.

Ce projet est renvoyé à la commission judiciaire.