République et canton de Genève

Grand Conseil

I 1986
9. Interpellation de M. René Longet : Renouvellement du poste de l'archéologue cantonal. Procédures. Orientations. Moyens. ( )I1986

M. René Longet (S). A certains moments de nos débats, nous avons évoqué l'histoire. L'archéologie est un outil indispensable à la connaissance du passé, connaissance du passé elle-même indispensable à la connaissance du présent. L'archéologie est un domaine scientifique qui a toujours intéressé les Genevois, qui a toujours eu droit de cité chez nous : cela est heureux et doit continuer.

Comme vous le savez, l'archéologue cantonal actuel, M. Bonnet, est en train de préparer sa retraite - elle sera certainement très active - et j'aimerais saisir cette occasion pour lui rendre hommage pour son immense travail et ses réussites. Il a restitué des sites, rénové la connaissance de notre passé, réhabilité un certain nombre de notions et de monuments, et son passage dans cette fonction aura des effets durables.

Monsieur Joye, j'aimerais savoir comment va se passer sa succession et comment va se faire la suite du programme et de la gestion du patrimoine. Patrimoine important, loin d'être complètement exploré et qui manque encore cruellement de moyens. M. Bonnet est actuellement à la tête du service cantonal d'archéologie qui compte une bonne douzaine de collaboratrices et de collaborateurs. C'est un service qui fait un travail excellent et efficace, mais, comme vous le savez, l'archéologie comprend en gros trois époques différentes : le médiéval - domaine représenté par M. Bonnet; l'antiquité - Genève, cité romaine avec son centre-ville, ses routes, ses villas, etc.; la préhistoire - avec le patrimoine de sites exceptionnels sur les rives du Léman et des alentours. Certains ont été découverts voici cent vingt ou cent trente ans déjà et d'autres attendent encore de l'être.

Ma première question, Monsieur Joye, est de savoir si l'on va veiller à un juste équilibre entre ces trois époques pour lesquelles des approches différentes s'imposent. En effet, certaines de ces époques ne connaissaient pas l'écriture, donc la seule source de recherches est le terrain. Par contre, d'autres sont plus riches en sources variées. Les approches sont naturellement fonction de ces possibilités.

Je souhaite que l'équilibre soit respecté entre ces trois domaines et qu'aucune époque ne soit négligée. Par exemple, la spécialisation du titulaire ne doit pas être une raison de mettre la priorité sur l'une ou l'autre de ces trois époques.

Ma deuxième question, Monsieur Joye, porte sur la manière dont vous allez définir le cahier des charges du nouveau titulaire. Sera-ce le même ? Sera-t-il lié à une fonction de recherche universitaire ? Sera-t-il uniquement «administration cantonale» ? Des restructurations sont-elles envisagées ou non ? (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)

Ma troisième question est la suivante : quelles sont, dans les grandes lignes, les intentions du Conseil d'Etat par rapport à une planification à plus long terme ? En effet, ces recherches ne peuvent pas être menées sur une année; ce sont des programmes relativement longs, qui ont du mal à être financés, car ils sont liés aux possibilités de crédits de recherche fédéraux, universitaires et autres. Pouvez-vous me donner des éléments quant à l'envergure de l'enveloppe financière envisagée par le Conseil d'Etat pour les prochaines années ?

Un dernier point me paraît être très important. Je me tourne plus spécialement vers la discipline préhistorique. Tout récemment, la thèse d'un archéologue bien connu de notre canton - la relève dans ce domaine - a été présentée à Genève. Il y fait état non seulement de l'extraordinaire richesse du patrimoine archéologique lacustre mais aussi des très gros risques de destruction. En effet, certains sites ne sont pas explorés; et d'autres, pas entretenus. J'aimerais savoir si le Conseil d'Etat est conscient de ces risques. S'il l'est, que compte-t-il entreprendre ? Sinon, de quelle manière serait-il d'accord de se laisser informer par les experts qui, eux, sont très en souci, car ce patrimoine sera perdu à jamais. Ce patrimoine, ce sont autant de bibliothèques qui disparaissent dans les sables mouvants des bords du lacs...

Voilà les questions que je voulais vous poser, Monsieur Joye, en vous précisant que ce domaine n'est pas du tout accessoire. C'est véritablement la garantie pour nous d'accéder aux sources de notre passé.

Une dernière question me vient à l'esprit : elle demande un regard sur la Ville de Genève. Les musées étant municipaux, encore que cela pourrait être rediscuté, comme vous le savez, j'aimerais savoir dans quelle mesure on peut aider à une meilleure exposition et une meilleure visibilité de ces découvertes. Malheureusement, beaucoup de ces découvertes sont entreposées dans des hangars, le musée d'histoire de Genève n'ayant pas suffisamment d'espace pour exposer.

Que peut-on faire pour montrer de manière moderne et dynamique un certain nombre d'éléments qui seraient autant d'images vivantes du passé ? La muséographie d'aujourd'hui permettant des mises en scène tout à fait extraordinaires, cela engendrerait des retombées pédagogiques, touristiques et culturelles non négligeables. Je trouve dommage que beaucoup de ces richesses restent dans des caves et des placards, tout simplement parce qu'aucune politique de valorisation n'est menée dans ce domaine et par manque de moyens financiers. C'est une coopération qu'il faut instaurer entre l'Etat, qui a la haute main sur le service de l'archéologie et qui, via l'université, maîtrise le côté recherche et la Ville de Genève qui, elle, dispose d'une bonne partie des collections dans son musée.

Je vous remercie d'avance d'une réponse circonstanciée.

M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. Si vous êtes d'accord, je vais d'abord traiter... (L'orateur est gêné par les bavardages.) Monsieur Marti, vous m'excuserez, mais je ne peux pas parler dans ce bruit !

La présidente. Monsieur le député Marti !

M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. Cette question sur l'engagement du successeur de M. Bonnet est très délicate. En préambule, je dirai que je ne suis pas certain qu'il soit de très bon goût de parler de sa succession, alors qu'il ne doit partir qu'au mois de septembre de l'année prochaine. Néanmoins, je tenterai de répondre du mon mieux à cette question.

J'aborderai auparavant la question sur «le regard sur la Ville de Genève ou comment aider à une meilleure visibilité des découvertes». Des quantités de pièces seraient entreposées dans les caves des musées. A mon avis, cette affaire concerne surtout la Ville de Genève qui, je vous le rappelle, compte trente-trois musées, si je ne me trompe pas. La qualité de ses expositions - prenez le Musée des sciences, le Musée de l'horlogerie, le Musée de l'Ariana - est admirable. Très peu de villes peuvent se targuer d'avoir autant investi par habitant pour leurs collections que Genève. Ce sont des montants faramineux, rien que du point de vue des transformations immobilières. Je suis d'accord avec vous, Monsieur Longet, ce n'est pas la garantie d'une grande qualité muséographique, mais il faut souligner tout de même que la Ville de Genève a déployé ces vingt dernières années de gros efforts pour ses musées, comme aucune collectivité au monde ne l'a jamais fait.

Je reviens à l'affaire de M. Bonnet. Vous avez fait la distinction entre les trois principales époques : le médiéval - représenté par M. Bonnet - l'antiquité romaine - vous n'avez pas cité de nom - et la préhistoire - vous vous êtes un peu «mouillé» au point 4 de votre question... Le patrimoine préhistorique est effectivement exceptionnel. Par exemple, en cas de projet, une servitude de 500 000 F est prévue pour faire des recherches au port de Corsier. Les trois domaines précités, me semble-t-il, ont été largement pris en compte.

Il est nécessaire, comme vous le dites très justement, de respecter l'équilibre entre ces trois domaines - plus récente, l'archéologie n'en fait pas partie - et je pense que vous avez tout à fait raison de mentionner les différentes méthodes d'approche.

La spécialisation du titulaire semble vous inquiéter. A la quatrième question, vous vous référez à la thèse d'un auteur sur les richesses archéologiques en voie de disparition. D'une part, vous dites qu'il faut veiller à ce que la spécialisation du titulaire n'ait pas une influence, tout en mentionnant que M. Bonnet s'occupe des questions médiévales, et, d'autre part - si je lis entre les lignes - qu'il faudrait engager l'auteur de cette thèse.

Là ne réside pas le problème. A mon avis, le problème est de trouver un homme qui soit un leader. Et dans ce domaine, Charles Bonnet l'a incontestablement été. Si nous trouvons un homme - ou une femme, vous avez raison, Madame Calmy-Rey - de son gabarit, je vous assure que nous serons garantis que les efforts seront poursuivis. M. Bonnet a en effet fourni des efforts incroyables dans tous les domaines touchant à l'archéologie.

Pour ce qui est du cahier des charges, je puis vous assurer que nous l'élaborerons de façon aussi large que possible, précisément pour ne pas tomber dans une querelle de clocher entre les préhistoriens, les médiévistes et les romanisants. Mais je ne suis pas en mesure de vous dire si nous allons lier ce cahier des charges à une fonction universitaire ou à une fonction de recherche.

Si nous avons la chance d'avoir une personne du gabarit de M. Bonnet - il suffit de se référer à ses activités au Soudan - dont le programme de recherche est captivant ou si elle a une fonction universitaire intéressante ou une fonction au Fonds national de la recherche scientifique - M. Bonnet a été vice-président de ce fonds - nous n'aurons pas de problème, et le cahier des charges sera large.

S'agissant de votre troisième question concernant les intentions du Conseil d'Etat sur le programme de recherches, je vous avoue que je ne suis pas en mesure d'y répondre maintenant. Je parlerai certainement du cahier des charges de l'archéologue avec mes collègues du Conseil d'Etat, et je vous assure que nous tiendrons compte de tous les éléments le plus intelligemment possible.

Enfin, s'il est vrai que l'antiquité préhistorique - c'est le sentiment de beaucoup de personnes dans le domaine de l'archéologie à Genève - est très intéressante, nous avons également énormément à faire dans des zones où les risques d'ensablement, comme vous le dites, en particulier dans le domaine médiéval et de l'antiquité romaine, sont très grands.

Je voudrais souligner encore l'excellente qualité des expositions archéologiques et, en particulier, celle des fouilles sous la cathédrale, toujours citées en exemple.

En conclusion, M. Bonnet a été nommé membre-associé - il faut être français pour être membre direct - de l'Institut de France. Il va être intronisé officiellement à cette charge prochainement; une épée doit être réalisée à cet effet. Monsieur Longet, je vous propose de faire un don pour acheter son épée, de même qu'à nous tous ici. C'est un tribut minimum envers M. Bonnet qui est un homme en excellente santé et a encore beaucoup de choses à faire. Je ne voudrais pas manquer de le féliciter pour l'ensemble de son action.

M. René Longet (S). Je vous remercie, Monsieur Joye, de certaines de vos réponses, mais il semble que vous ayez entendu une partie de mes propos et pas l'autre. Loin de moi l'idée de faire des projections sur des personnes. J'ai simplement voulu rendre un hommage appuyé - je ne doutais d'ailleurs pas que vous fassiez de même - à M. Bonnet. Je sais parfaitement qu'il est encore en fonctions et que sa retraite sera fort active. Nous sommes tous d'accord sur ce point; aucun Genevois ne manquera de gratitude à son égard, car c'est effectivement un homme exceptionnel.

Il n'est pas question de le remplacer avant terme, mais de prévoir. Il me semble d'ores et déjà important de savoir que l'excellent travail qui s'est fait - souvent aussi à contre-courant et avec des moyens fragiles - puisse se poursuivre. J'ai donc mis le doigt sur certains éléments par rapport à l'avenir, totalement indépendants de qui que ce soit. Nous sommes bien d'accord, du reste, sur les qualifications souhaitables requises.

Monsieur Joye, j'ai cité un article relatif à la préhistoire, parce que je voulais vous rendre attentif au risque de disparition de certains sites. C'est précisément sur ce point que vous ne m'avez pas répondu, et ce silence m'inquiète dans la mesure où je sais que ces sites disparaissent de manière irréversible. Ce sont quelques milliers d'années d'histoire qui s'envolent, parce qu'il nous manque les 10, 20, 50 ou 100 000 F nécessaires pour des programmes de repérage et de sauvetage, qu'il s'agisse de sites préhistoriques - ceux du bord du lac - ou de sites médiévaux, sur le reste du territoire. C'est tout aussi dommage pour les uns que pour les autres.

Monsieur Joye, je tiens simplement à sortir l'archéologie du statut précaire dont elle souffre encore. J'aimerais qu'elle soit une science et une activité reconnue, à Genève, à sa juste valeur. Après l'hommage rendu à l'homme - M. Bonnet - je souhaite que la structure mise en place permette à toutes ces activités une stabilité à long terme. On ne peut pas encenser les personnes et ne pas se rendre compte qu'elles ont dû se battre toute leur vie pour avoir le minimum pour fonctionner. M. Bonnet a donné énormément dans des conditions dont nous ne devons pas être fiers. Nous le sommes de son action, mais pas des moyens que nous lui avons donnés. J'aimerais que cela soit différent à l'avenir.

M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. Tout d'abord, c'est le Grand Conseil qui fixe le montant qu'il entend allouer à un service plutôt qu'à un autre. Quant à moi, je suis tout à fait partisan que l'on inscrive au budget d'importantes sommes pour l'archéologie.

Ensuite, le service archéologique de l'Etat de Genève est un service modeste peut-être, mais, si l'on compare ses moyens par habitant à ceux d'autres services - je ne parle même pas de la France ou des autres pays, car là c'est la catastrophe totale - c'est un service dans lequel ont été investis des centaines de milliers de francs, pour ne pas dire des millions, compte tenu de tout ce qui a été fait en parallèle à la rénovation d'églises telles que Saint-Pierre ou Saint-Gervais. Des efforts énormes sont donc effectués.

Par ailleurs, la tâche de l'archéologue, quel qu'il soit, est toujours délicate, et M. Bonnet a toujours su bénéficier d'un certain sponsoring privé. Il y a longtemps, dans ce domaine, que des opérations sont effectuées avec des particuliers. Mais M. Bonnet ne s'en vante pas.

Enfin, vous avez raison, M. Bonnet a donné de sa personne, de son énergie et peut-être même de ses moyens pour aider l'archéologie genevoise. Mais le financement alloué à l'archéologie genevoise est à un niveau décent, je tiens à le dire. On peut toujours souhaiter plus, et si vous voulez plus je suis tout à fait d'accord de souscrire au projet de loi que vous présenterez, mais il faudra faire un arbitrage.

Cette interpellation est close.