République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 7230-A
Projet de loi de MM. Pierre-François Unger, Philippe Schaller et Bénédict Fontanet modifiant la loi concernant la constatation des décès et les interventions sur les cadavres humains (K 1 19). ( -)PL7230
Rapport de M. Gilles Godinat (AG), commission de la santé
PL 7237-A
Projet de loi du Conseil d'Etat modifiant la loi concernant la constatation des décès et les interventions sur les cadavres humains (K 1 19). ( -)PL7237
Rapport de M. Gilles Godinat (AG), commission de la santé
PL 7403
b) Projet de loi de la commission de la santé sur les prélèvements et les transplantations d'organes et de tissus (K 1 19,5). ( )PL7403
M 1043
c) Proposition de motion de Mmes et M. Micheline Spoerri, Barbara Polla, Janine Hagmann, Claude Howald et Henri Gougler concernant l'information relative au don d'organe. ( )M1043

24. a) Rapport de la commission de la santé chargée d'étudier les objets suivants :

Suite au débat de préconsultation le 4 mai 1995, le Grand Conseil a confié à la commission de la santé l'étude de ces deux projets de lois. Sous les présidences successives de M. Jean-Philippe De Tolédo et de M. Andreas Saurer, la commission a consacré onze séances, du 12 mai au 17 novembre 1995, au délicat sujet du don d'organe. L'importance accordée par la commission à cette problématique répond au souhait exprimé par plusieurs députés en préconsultation.

Le présent rapport est divisé en quatre parties: un rappel du contexte actuel, quelques repères historiques, un résumé des auditions et une synthèse des débats en commission.

Le contexte actuel

La problématique du don d'organe s'inscrit dans le cadre plus général du droit de la santé, de l'éthique médicale, du développement de la biotechnologie et des recherches dans ce domaine.

En Suisse, la sensibilité à ces questions s'est, entre autres, exprimée à l'occasion de la votation fédérale du 17 mai 1992 au sujet du contreprojet de l'Assemblée fédérale du 21 juin 1991 relatif à l'initiative populaire «Contre l'application abusive des techniques de reproduction et de manipulation génétique à l'espèce humaine». La nette acceptation populaire du contreprojet a donné compétence à la Confédération pour légiférer en matière de génie génétique. La législation d'application en cours de préparation devra par exemple réglementer en matière de thérapie génique (thérapie par les gènes), alors que le débat international est loin d'être clos. Le Comité international de bioéthique de l'UNESCO vient de recommander de ne pas interdire formellement la thérapie génique germinale (touchant les cellules germinales, transmettant l'hérédité génétique). L'exemple de cette problématique illustre la méfiance populaire à l'égard de nouvelles biotechnologies pouvant ouvrir la voie à des abus (nouvelles formes d'eugénisme, patrimoine génétique humain sous contrôle privé, etc.).

Ce débat concernant la recherche clinique montre la nécessité de critères éthiques et du contrôle juridique. C'est dans ce contexte que, le 13 avril 1994, le Conseil d'Etat genevois a adopté un règlement concernant les recherches cliniques comportant des interventions relevant du génie génétique humain.

D'une manière générale, le cadre légal des recherches biomédicales se renforce. On constate, comme le relève Dominique Sprumont dans sa contribution aux Cahiers médico-sociaux consacrés à ces questions («De l'éthique au droit: la réglementation des recherches sur l'être humain dans l'ordre juridique suisse», in Vol. 39, no 2, 1995) que «L'intervention croissante du droit en matière d'expérimentation humaine, mais aussi dans d'autres domaines comme la transplantation d'organes, la procréation médicalement assistée, les tests génétiques, diminue d'autant la portée et l'utilité des directives de l'Académie suisse des sciences médicales, du moins dans leur état actuel». Ce passage de l'éthique au droit tend en effet à redéfinir le rôle de cette Académie dans le sens d'un observateur critique, ce qui est confirmé par les récentes directives et principes d'éthique pour l'expérimentation animale à des fins scientifiques, adoptées au printemps 1994 par cette Académie. Le rôle du législateur dans le domaine biomédical tend donc à occuper une place nettement plus importante.

Le domaine de la bioéthique, comme le souligne Jacques Testart, biologiste, directeur de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale à Paris (Monde diplomatique, novembre 1995) ne saurait se soumettre au seul jugement scientifique et technique, confié aux débats d'experts. Le respect de la dignité et des droits humains sont l'affaire de chacun.

La question posée par les projets de lois concernant le don d'organe, sur la nécessité ou non de légiférer en la matière est donc centrale, et s'inscrit dans ce contexte plus général de la scène bioéthique et des technosciences.

Repères historiques

Un rappel des grandes étapes qui ont marqué l'évolution de la transplantation d'organes d'une part, et les considérations d'ordre éthique et juridiques d'autre part, ainsi que leur traduction dans différentes législations nationales, permet également de mieux situer le débat soulevé par ces deux projets de lois.

1933: Première greffe rénale à partir d'un donneur décédé.

1945: Le Tribunal international de Nuremberg formule dix règles fondamentales concernant la recherche sur l'être humain (Code de Nuremberg).

1952: Première greffe rénale à partir d'un donneur vivant.

1963: Première greffe hépatique et première greffe pulmonaire. Première xéno-greffe (rein de chimpanzé sur l'homme)

1964: Déclaration d'Helsinki de l'Association médicale mondiale en matière d'éthique médicale. Première greffe rénale en Suisse.

1966: Première greffe pancréatique.

1967: Première greffe cardiaque. Loi italienne sur la transplantation de rein de donneur vivant.

1968: Première greffe cardio-pulmonaire.

1969: Premières «Directives pour la définition et de diagnostic de la mort» de l'Académie suisse des sciences médicales ( ASSM).

1973: Première greffe de moelle osseuse allogénique en Suisse.

1975: Déclaration d'Helsinki II à Tokyo. Loi italienne sur les transplantations d'organes.

1981: Premières directives pour la transplantation de l'ASSM.

1982: Loi autrichienne sur la transplantation d'organes.

1984: Postulat Dirren au Conseil national pour une législation dans le domaine de la bioéthique.

1985: Création de Swiss Transplant.

1986: Loi belge sur la transplantation d'organes.

1987: Directives sur les transplantation d'organes formulées par le Conseil de l'Europe.

1988: Première greffe hépato-intestinale.

1990: Postulat Jelmini pour une réglementation fédérale en matière de transplantation d'organes.  Une vingtaine de pays édictent des dispositions pour une bonne pratique clinique (BPC) reprises par l'OMS.

1991: Directives sur la transplantation d'organes adoptées par l'OMS.

l992:  Commission suprarégionale d'éthique créée par l'ASSM.

1993: Rapport Schwarzenberg au Parlement européen sur l'existence d'un commerce clandestin d'organes. Motion Onken chargeant le Conseil fédéral de prendre des mesures contre le commerce d'organes.

1994: Lois françaises sur les greffes d'organes. Motion Huber demandant au Conseil fédéral de légiférer en matière de transplantation.

1995: Projet d'arrêté fédéral sur le contrôle du sang, des produits sanguins et des transplants. Nouvelles directives médico-éthiques pour les transplantations d'organes de l'ASSM.

Cette brève revue démontre l'évolution conjointe des techniques de transplantation et des adaptations médico-éthiques devenues nécessaires. Elle révèle également les carences législatives fédérales.

Auditions

Professeur Philippe Morel, président du comité exécutif de Swiss Transplant

Swiss Transplant, fondé en 1985, est un organisme qui fonctionne actuellement de façon très satisfaisante. Son conseil de fondation regroupe le comité exécutif et des groupes de travail. La répartition des tâches est opérationnelle. Les règles établies dépendent de l'entente de dix personnes. Swiss Transplant souhaite l'existence de bases légales, au-delà des dispositions que l'organisme a dû prendre de façon autonome. Sur le plan médical, la situation est bonne. Six centres procèdent aux transplantations: Genève, Bâle, Berne, Zurich, Lausanne et Saint-Gall. La Suisse est un des pays les mieux équipés et les plus performants. Ces dernières années, le nombre de transplantations y a augmenté. Toutefois, le manque de donneurs pose un problème de taille: 20 à 25% de personnes meurent en liste d'attente, 20% en 1994. Pour améliorer les échanges d'organes en Suisse, une centrale de coordination nationale a été créée en 1992. Les patients en attente d'une transplantation sont inscrits sur une liste nationale. Le système est informatisé. Afin de préserver l'anonymat de chaque donneur, un numéro de code est substitué à son identité, les règles de répartition sont strictes.

En 1994, 442 organes ont été attribués par la centrale de coordination nationale aux centres de transplantation suisses et aux organisations de transplantation étrangères. Un organe est offert à l'étranger que lorsqu'aucun receveur n'est trouvé dans notre pays. On assiste actuellement à un nombre plus important de prélèvements d'organes multiples. Le rapport annuel d'activité de Swiss Transplant fournit des informations détaillées. Selon le rapport 1994, cette année-là en Suisse ont été greffés 49 coeurs, 24 poumons, 60 foies, 1 pancréas, 15 greffes reins-pancréas, 194 greffes rénales de cadavres, ainsi que 154 greffes de moelles. En Suisse, on plafonne entre 110 et 120 donneurs par année, avec 15 donneurs par million d'habitants pour 42 donneurs par million en Autriche en 1993, 30 par million en Espagne et 18 par million en France.

Il faut également souligner que Genève est à la pointe technique des greffes de foie en Europe, mais que, par manque de donneurs, trois enfants sont morts en 1994. En Belgique, en Espagne et en Autriche, pays où existe une législation basée sur le consentement présumé, il y a davantage de donneurs. L'établissement d'une loi genevoise aurait un impact important au niveau fédéral. Sur le plan pratique, le médecin qui transplante n'est pas celui qui demande à la famille ou aux proches de pouvoir prélever l'organe. Avant que le transplanteur soit appelé, la mort du donneur doit être légalement déclarée et l'autorisation de prélever obtenue. Les médecins demandeurs sont les médecins des urgences et des soins intensifs. Le don d'organe d'un donneur vivant ne pose pas de problème car son consentement est explicite et il doit faire preuve de discernement.

Dans les situations après décès, actuellement l'accord est obtenu si le donneur potentiel détenait sa carte de donneur ou avait laissé des consignes claires à ses proches. Le consentement des proches pose un réel problème et dans la pratique, s'il y a un doute ou que l'un des proches est opposé au prélèvement, les médecins ont pris l'habitude de respecter le refus. Pour éviter le malaise d'une demande médicale à une famille qui vient de perdre un proche, et qui n'a souvent pas la disponibilité pour prendre une décision dans des conditions sereines, l'existence d'une loi autorisant le don d'organe avec le consentement présumé soulagerait les proches d'une confrontation trop directe à cette délicate question.

Pour M. Morel, la tendance actuelle est d'aller vers le consentement présumé.

Les indications médicales pour les transplantations sont réglées au niveau international par des conférences de consensus. Sur le plan financier, la transplantation est une mesure économique compte tenu des coûts liés à une médecine de conservation. Le don est évidemment gratuit, seuls les coûts liés au prélèvement et mesures annexes sont facturés L'Etat prend en charge ce que les assurances ne remboursent pas. Le geste médical du chirurgien transplanteur d'organe doit également rester gratuit pour éviter les abus possibles. Swiss Transplant condamne les transplantations dans les cliniques privées ou les divisions privées des hôpitaux. Il faut des équipes compétentes qui ont acquis une expérience. Les transplantations restant une activité médicale réduite par rapport à l'ensemble de la pratique médicale, il faut limiter le nombre de centres qui transplantent. M. Morel dénonce la pratique de la clinique Im Schachen en Argovie qui ne respecte pas l'éthique médicale. Tous les donneurs doivent figurer sur le registre des donneurs, mais cette clinique refuse de les communiquer et semble suspecte de commerce d'organe avec l'Inde. Le commerce d'organe est inacceptable. Cela est également valable pour les tissus,

Pour la clarté de la discussion, il faut distinguer les organes des tissus. Un organe est une partie bien individualisée du corps, destinée à remplir une fonction déterminée (coeur, poumon, foie, pancréas, rein, intestin grêle, etc.). Un tissu est un ensemble de cellules d'un organisme vivant qui ont la même fonction et représentent la même différenciation morphologique. Plusieurs tissus différents entrent dans la constitution d'un organe (cornée, os, valve cardiaque, vaisseau, peau, moelle osseuse, sang). Les greffes de tissus ne sont pas sous le contrôle de Swiss Transplant. Pour M. Morel, les greffes de tissus ne posent pas les mêmes problèmes que les greffes d'organe et sont facilement réalisables en privé.

Quant à l'information, il faut distinguer les campagnes large public, qui restent indispensables, et l'information des proches. L'information des proches au moment du décès pose un réel problème. et l'expression contenue dans le projet de loi 7230 «dûment informé» prête à confusion et malentendu. Beaucoup de gens ne sont pas opposés à la transplantation; une récente enquête menée en Suisse par l'université de Zurich a révélé que 80% des personnes interrogées sont favorables au don d'organe, mais seulement 7% des habitants portent sur eux une carte de donneur. Le problème majeur reste celui de l'information, mais une information à des proches qui sont confrontés au deuil reste problématique. Il n'y a pas de solution pratique et simple. Une loi sur le consentement présumé qui respecte la volonté de chacun facilitera la possibilité du don d'organe.

Professeur Peter Suter, doyen de la faculté de médecine, médecin-chef aux soins intensifs de chirurgie et professeur Jean-Claude Chevrolet, médecin-chef des soins intensifs de médecine interne à l'HCUG

Pour les deux médecins qui se trouvent en amont du processus éventuel de transplantation, dès qu'un patient est dans un état critique, son entourage est informé de la situation. Après le décès ou le diagnostic de mort cérébrale (voir annexe), un médecin extérieur au service fait le constat de décès. La mort cérébrale reste un diagnostic souvent mal compris par la famille ou les proches. Les proches sont considérés en fonction de la définition du professeur Bernheim: «les personnes les plus touchées par la perte du patient». Le processus d'information des proches dans cette situation est long et demande beaucoup de soins lorsqu'il s'agit d'aborder le don d'organe. Un support peut être trouvé par la famille auprès du médecin de famille ou d'un ecclésiastique. Cette demande de la part de l'équipe soignante reste toutefois éprouvante et dans ce contexte, l'intervention du médecin traitant est toujours positive. Actuellement, le taux de refus est supérieur à 50% et tend à augmenter, soit par méfiance envers le corps médical, soit par incompréhension de la mort cérébrale, soit par conviction religieuse ou idéologique, soit en exprimant des pensées du type: «il a assez souffert, laissez-le tranquille», dans l'idée du respect du défunt. Le temps pour la décision reste assez bref, vu le temps techniquement nécessaire pour que la transplantation puisse se réaliser (prélèvement, conservation de l'organe, transport éventuel et enfin transplantation proprement dite).

Les directives actuelles de l'ASSM obligent les médecins à informer mais ne parlent pas du consentement. Selon le professeur Chevrolet, le projet de loi 7230 va trop loin en donnant la possibilité aux proches de s'opposer au don d'organe. Il souligne que les mêmes directives font mention du droit du receveur à recevoir un organe. Les deux médecins pensent qu'une loi basée sur le consentement présumé inverserait la situation et soulagerait bien des familles qui pourraient se sentir aidée par la légitimation dans la loi du don d'organe. Ils soulignent également que les critères d'indication à la greffe d'organe sont formels et d'ordre strictement médical (compatibilité immunologique prioritairement) à l'exclusion de tout autre critère. L'information de type large public devrait être démédicalisée.

M. Olivier Guillod, professeur de droit à l'université de Neuchâtelet fondateur de l'Institut suisse du droit de la santé.

En préambule, M. Guillod rappelle que la situation suisse du point de vue législatif est un véritable imbroglio. Une législation fédérale est nécessaire, mais l'avant-projet qui est en cours est insuffisant. Selon lui, une nouvelle disposition constitutionnelle est nécessaire. Même si Swiss Transplant donne aujourd'hui satisfaction, cela ne représente pas une garantie suffisante pour l'avenir. Il est favorable, dans l'attente d'une législation fédérale, au projet de loi 7230 car le consentement présumé encouragerait le don d'organe actuellement trop faible en regard de l'attente des receveurs. Il n'est pas simple de mettre sur pied un registre des gens opposés au don, comme cela se fait en Belgique avec une efficacité problématique. L'expression «par l'entremise des proches» lui semble, d'autre part, discutable juridiquement. Le texte du projet de loi 7230 ne fait pas ressortir l'articulation entre la disposition du défunt et la décision des proches. La décision du défunt doit primer celle de la famille, et les proches ne doivent pas pouvoir s'y opposer. Il soulève le problème du lieu d'origine du défunt, car le droit genevois pourrait entrer en contradiction avec le droit du lieu d'origine. Pour revenir au consentement présumé, le fait de connaître son droit d'opposition et de ne pas l'utiliser peut légitimement faire penser que le prélèvement est accepté. Les droits des receveurs ne sont pas prépondérants mais le droit des proches pose problème. Le droit de consentir découle du droit de la personnalité et n'est pas transmissible. Les proches ne peuvent l'utiliser pour s'opposer. L'absence de décision claire du défunt dans un régime de consentement présumé favorise la présomption positive mais l'interprétation reste ouverte. Le Tribunal fédéral a considéré que le droit des proches devait être respecté, sans que la notion de proche ne soit définie de façon claire. Enfin, il n'est pas souhaitable de mélanger deux droits dans un même texte (le droit autonome de la personnalité et le droit référé).

En ce qui concerne le projet de loi 7237, la loi ne peut ni tout prévoir ni tout résoudre en matière de commerce. L'interdiction du commerce n'est pas forcément la meilleure solution, par contre la surveillance accompagnée de sanctions professionnelles et administratives peut être efficace. En matière de transplantation, il faut éviter qu'un élément économique n'entre en jeu. Par contre, les établissements privés bénéficient de conditions nécessaires pour effectuer des transplantations. L'égalité de traitement économique pour tous doit être garantie.

M. .

Sur le projet de loi 7237, M. Thévod voit plutôt des problèmes techniques qu'éthiques. Par exemple, le texte laisse entendre par une absence de clarté que les transfusions sanguines, qui sont une forme de greffe de tissu, ne pourraient être réservées qu'aux hôpitaux universitaires. La commercialisation et le trafic doivent être interdits, mais le fait de limiter les transplantations aux divisions communes lui paraît étrange. Il s'agit plutôt d'un problème d'organisation que de justice et d'équité. Quant au projet de loi 7230, il voit une contradiction entre la formulation qui vise à écarter les proches et le commentaire qui donne la possibilité aux proches de s'opposer. L'expression «dûment informé» est ambiguë, d'autant que l'accès à la décision du défunt par l'équipe médicale est loin d'être clair.

M. Thévod exprime des doutes sur les moyens d'augmenter le nombre potentiel d'organes à transplanter par l'entremise du projet de loi 7230. Passer du consentement explicite au consentement présumé et court-circuiter la décision des proches tout en les laissant porteurs d'une décision du défunt pose plusieurs problèmes. On ne peut pas interpréter un silence. On ne peut présumer d'une position que si on est sûr que la personne est ou a été bien informée. Accepter que «qui ne dit mot consent» est un peu rapide. Aux Etats-Unis par exemple, le consentement ou non est exprimé par une coche sur son permis de conduire. Faire basculer les indécis ou ceux qui n'ont pas dit oui dans le camp des donneurs est éthiquement critiquable et peut ressembler à une manipulation, comme dans un sondage. L'information intensive et régulière est indispensable pour pouvoir accepter le consentement présumé, or le projet de loi ne comprend pas d'incitation à l'information. Un registre facile d'accès serait également indispensable. Le don exclut l'idée de rapport de force et de violence. En cas de doute, s'il n'y a pas d'avis du défunt, il faut respecter l'avis des proches, leur croyances et leur deuil. Se passer de l'avis des proches est moralement inadmissible. Il ne peut y avoir de hiérarchie dans l'éthique, la société étant pluraliste dans ses valeurs.

MM. Jean-Marc Guinchard, François Ricou et Vladimir Vélébit, représentants de l'Association genevoise des médecins (AMG)

La position de l'AMG figure en annexe. Le problème du manque de donneurs reste crucial. La loi sert à faciliter la décision de la famille lorsqu'il y a un doute. Il faut mettre, selon le Dr Ricou, une famille qui refuse le don dans une situation d'opposition à la loi, plutôt que dans une simple situation de don comme aujourd'hui. Le don d'organe doit apparaître aux familles comme légitime. Dans tous les cas, l'information reste primordiale. Le Dr Vélébit donne l'exemple de prélèvements multiples, opérations qui peuvent durer parfois jusqu'à plus de dix heures; dans de telles situations le soin d'informer les familles doit être assuré le mieux possible. Techniquement, le temps de prélèvement varie selon les organes de même que le temps pour la réimplantation (quelques heures pour le coeur, le foie et les poumons, 24 à 36 heures pour le rein, 3 à 10 jours pour une cornée).

L'AMG souhaite deux modifications dans le projet de loi 7230: un alinéa qui met en relation le prélèvement à des fins de transplantation avec l'existence d'un besoin légitime, et un alinéa qui explicite l'opposition au prélèvement. Avec ces réserves, l'AMG est pour l'adoption du projet de loi 7230. Pour le projet de loi 7237, l'AMG s'oppose au commerce lié à la transplantation d'organes. Les établissements privés ne sauraient être écartés de la possibilité de transplanter des organes s'ils peuvent garantir la qualité et le nombre suffisant de transplantations. Les greffes de peau, d'os, de cornée se pratiquent déjà avec succès en milieu privé. L'Etat doit garantir un contrôle et une sécurité nécessaires, mais ne pas pénaliser l'évolution de la médecine.

Le Dr Vélébit rappelle que dans d'autres pays les transplantations se font également dans le secteur privé. Aux Etats-Unis par exemple, un organe central de gestion pour une région avait un rôle de vérification. A Genève, les premières transplantations ont été réalisées en cliniques privées. Avec l'évolution technologique (xéno-greffes par exemple), il serait absurde de mettre des entraves à des possibilités offertes par les milieux privés. En ce qui concerne la facturation, le Dr Vélébit reconnaît que le problème existe. Mais selon lui, le geste du chirurgien doit être rémunéré selon un tarif établi en accord avec les différentes instances. Toutefois, il lui paraît juste de limiter le nombre de centres.

MM. Glatz, Hügli et Rufenacht, représentants de l'Association des cliniques privées (ACPG)

Au nom de leur association, les représentants tiennent à se prononcer sur le projet de loi 7237, car le projet de loi 7230 ne leur pose pas de problème. Ils soulignent le préjugé que les cliniques privées ne peuvent pas faire ces transplantations. Selon eux, ce sont les règles qui sont déterminantes et non pas le lieu. La commercialisation des tissus et des organes peut être évitée, comme cela se fait pour le sang en Suisse. Il faut respecter l'égalité de traitement en posant des règles devant être respectées par tous. Le Dr Hügli donne l'exemple de la banque d'os créée par la Clinique de la Colline en 1993, banque sans but lucratif. Un consentement éclairé et écrit est nécessaire tant du donneur que du receveur. L'HCUG a décidé de créer une banque d'os sur le modèle de la Colline. La commercialisation doit être interdite, cela sur le plan fédéral.

En ce qui concerne les greffes de cornées, le Dr Cyrus Tabatabay a tenu à communiquer à la commission ses réflexions (voir annexe). Le taux de succès actuel est de 90%. La banque des yeux de Zurich coordonne la pratique des greffes de cornée au niveau suisse. Les praticiens indépendants participent à part égale avec les hôpitaux cantonaux à cette activité. Les tissus cornéens sont remboursés par les assurances fédérales (CNA, AI), et les opérations sont remboursées de manière précise selon les contrats d'assurance-maladie.

M. .

Le président du département de l'action sociale et de la santé a été auditionné à deux reprises par la commission en fonction de l'évolution des travaux. M. Segond, président de la fondation Swiss Transplant, a donc suivi de près les activités de cet organisme. Compte tenu de l'évolution actuelle, et de l'état de la législation internationale, l'expérience faite avec le système de consentement présumé lui paraît le plus favorable. En Suisse, la loi va vers le consentement présumé. Avec le projet de loi 7230, en inversant la situation actuelle où il s'agit de dire oui pour autoriser le prélèvement d'organe, il faudra dorénavant dire non pour refuser le prélèvement.

En proposant le projet de loi 7237, le Conseil d'Etat a voulu un réel débat politique suite aux pratiques en division privée à l'HCUG. Accepter des transplantations en division privée revient à accepter la possibilité de rémunération incompatible avec les règles de Swiss Transplant. La facturation des transplantations pour le chirurgien transplanteur n'est pas acceptée par la fondation. D'autre part, l'ordre sur la liste nationale des receveurs potentiels ne pourrait être modifié comme l'ont été par le passé des programmes opératoires à l'HCUG pour favoriser la clientèle privée de certains. L'existence de Swiss Transplant est issue du constat de mauvaises organisation et coordination des transplantations dans notre pays, alors dernier pays européen en matière de transplantations. L'initiative de créer Swiss Transplant doit beaucoup à Genève et M. Segond y a contribué activement. La commercialisation des organes ne peut être en aucun cas acceptable.

Les directives éthiques actuelles sont claires. En attendant une loi fédérale, les deux projets de loi concernant la même problématique permettent d'établir à Genève la même législation que dans les autres cantons universitaires.

Débats en commission

Les différents thèmes ayant été débattus tout au long des travaux en commission, une présentation par thème simplifie la présentation.

a) Légitimité du don d'organe

La proposition de l'AMG d'insister sur la légitimité du don d'organe a été bien accueillie. Toutefois la notion de besoin légitime n'apporte rien de concret si les organes des donneurs ne sont pas en nombre suffisant. Le fait de légiférer en entrant en matière sur les deux projets de loi est de fait une reconnaissance de cette légitimité.

b) Consentement présumé ou explicite

C'est évidemment le point le plus débattu en commission. Au regard de la législation des différents cantons et des principaux pays concernés, le présent rapport ne peut prétendre à une comparaison législative exhaustive. Les travaux de l'Institut du fédéralisme de l'université de Fribourg et de l'Institut du droit de la santé de l'université de Neuchâtel nous ont servi de guide («Transplantation d'organes. Etude de droit comparé et de droit suisse» avril 1994); d'autre part, l'ouvrage de MM. Marco Borghi et Dominique Sprumont, «La transplantation d'organes. Repères pour une législation fédérales», ed. Publication de l'Institut du fédéralisme, 1995, constitue une référence précieuse pour la discussion. Le rapport sur les législations concernant la transplantation d'organe présenté en l994 au Conseil de l'Europe a également été consulté. La situation internationale peut être résumée ainsi:

 Consentement présumé: Finlande, Portugal, Autriche.

 Consentement présumé mais proche de l'explicite en pratique: Espagne, France, Italie, Grèce, Belgique, Luxembourg.

 Consentement explicite: Royaume-Uni, Irlande, Danemark, Suède, Etats-Unis, Pays d'Amérique latine.

L'Allemagne et les Pays-Bas n'ont pas de législation. De fait, ils pratiquent le consentement explicite.

Dans la discussion, de nombreuses références à ces différents pays ont été citées. Il est évident que le système du consentement explicite ne laisse en principe pas de doute sur les volontés du sujet. Il faut également rappeler ici qu'il existe une jurisprudence complète pour le don d'organe de son vivant. Le problème se pose lorsqu'il y a décès sans trace de la volonté du défunt. Il semble que la tendance au niveau international se dirige vers le consentement présumé.

En Suisse, la situation est la suivante:

Cantons sans législation: FR, GL, SH, SZ, VS, ZG, NE.

Cantons avec consentement présumé: BS, ZH, VD.

Plusieurs cantons renvoient aux directives de l'ASSM. Les dispositions relatives au consentement varient d'un canton à l'autre et ne prévoient pas de règles en cas de conflit entre la volonté du donneur et celles des proches

En commission, les partisans du consentement présumé ont fait valoir l'argument du devoir éthique fondamental de solidarité humaine au-delà d'une simple transaction interhumaine. La grande majorité des Suisses est favorable au don d'organe. Le faible taux de détenteurs de carte de donneur peut s'expliquer par le fait que la confrontation directe à sa propre finitude et à la possibilité du don d'organe est le plus souvent évitée. La rédaction d'un testament entre 20 et 40 ans doit être également plutôt le fait d'une minorité. Faire une démarche active en faveur du don de ses organes va encore au-delà d'un simple testament. Penser à son corps mort n'est pas aisé et ne fait pas partie de la conversation quotidienne. Prévoir le consentement présumé dans la loi revient à considérer l'absence d'opposition explicite comme un accord tacite ou implicite.

Le groupe libéral a exprimé ses plus grandes réserves sur le consentement présumé. D'une part, pour des raisons éthiques, car le droit de se taire ne présume pas d'un avis. Le don n'a de valeur que s'il est explicite. Il ne peut y avoir de hiérarchie de valeur entre le droit du donneur et le droit du receveur. D'autre part, sur un plan pragmatique le consentement présumé n'amènerait que peu de modifications à la situation actuelle. Le risque d'aller à des fins contraires aux buts visés par le projet de loi 7230 ne peut être sous-estimé. Le consentement présumé aurait probablement pour effet de diminuer l'information plutôt que de la maximaliser.

c) La participation des proches à la décision

Ce point a également fait l'objet de longs débats. L'idée que l'avis des proches ne pouvait être mis sur les même plan que l'avis exprimé ou non du défunt était largement acceptée. Toutefois. l'expérience de conflits entre les équipes soignantes et les familles en cas d'absence de consentement explicite du défunt amène à penser qu'il est nécessaire de respecter l'avis des proches. C'est d'ailleurs dans ce sens que le Tribunal fédéral a tranché, allant jusqu'à dire que la volonté des proches contraire à celle résultant des dispositions du défunt doit prévaloir. Un avis radicalement opposé a été exprimé par une Cour civile du Tribunal fédéral. Ces considération de droit civil ou privé du Tribunal fédéral ne reposent en fait que sur une fragile jurisprudence en l'absence de normes clairement établies. L'insécurité juridique en découle. Dans une telle situation, il a paru préférable d'accepter le principe d'une opposition des proches. Notre commission s'est ralliée à cet avis. De nombreuses législations tant sur le plan suisse qu'au niveau international vont dans ce sens. Il paraît évident que la solution du problème est à chercher du côté de l'information.

d) L'information

Ce point fait l'unanimité dans la commission. Mais la rédaction dans le projet de loi 7230 n'a pas été estimée satisfaisante, l'expression «dûment informé» pouvant être différemment interprétée. Un effort important doit être consenti pour faire connaître de façon très accessible le don d'organe. Il semble préférable de ne pas médicaliser l'information. Une première Journée nationale a été réalisée avec succès le 11 septembre 1994 à Berne. Une vaste campagne nationale d'information a été mise sur pied à la suite de cette journée. Les médias sont plus sensibles à la problématique du don d'organe. Une émission de TV, «Justice en marche», a récemment été consacrée à ce thème et la commission en a pris connaissance. Une information soignée, précise dédramatisant le don d'organe tout en respectant les valeurs de chacun, en particulier sur le plan religieux, mais en signalant par exemple que les principales religions de notre continent sont favorables au don d'organe, peut entraîner une adhésion plus grande à l'acceptation du don. Même si du point de vue médical, la définition de la mort est claire, le concept de mort cérébrale doit être rendu accessible à chacun. Le partage de l'information est une des clés du succès.

Dans les situations de deuil proche, la qualité des relations entre les équipes soignantes et les proches déterminera la qualité du partage d'information. A ce stade, le rôle du médecin traitant est à souligner.

e) La commercialisation

La gratuité du don d'organe va de pair avec la gratuité de l'acte du médecin transplanteur. Ce principe de base implique également l'absence de commerce possible avec les organes. Swiss Transplant a établi ces principes à la base de son fonctionnement. Les révélations sur certains trafics d'organes ont mobilisé la presse à grand public ces dernières années. La pénurie d'organes a malheureusement encouragé de telles pratiques. Après toutes les auditions, la commission n'a retenu aucune intervention favorable à la commercialisation.

Pour des organes ou des tissus qui nécessitent des techniques d'entretien ou de préparation particulière, comme l'os ou la cornée par exemple, il est admis de facturer ces frais. Des règles ont été établies avec les caisses-maladie. Il faut rappeler que les donneurs de spermes sont rétribués et qu'il existe une jurisprudence pour les compensations en perte de salaire ou frais d'hospitalisation pour les donneurs vivants. Toutes ces exceptions doivent faire l'objet de règles précises et transparentes, accessibles à tous. Swiss Transplant ne s'occupe que des organes et pas des tissus. En ce qui concerne les tissus, le récent scandale dit du sang contaminé a abouti au rapport du professeur J. Voyame et au projet d'arrêté fédéral sur le contrôle du sang, des produits sanguins et des transplants. La nécessité d'une base légale est devenue évidente.

f) La législation nécessaire

Un point de désaccord est apparu à ce sujet entre le groupe libéral et le reste de la commission. Du point de vue libéral, il est préférable d'attendre une législation fédérale plutôt que de légiférer de façon isolée. Tous les députés de la commission reconnaissent la nécessité d'une législation sur le plan fédéral. Il faut rappeler ici que l'Etat de droit implique la sécurité juridique. Dans le domaine biomédical, elle est loin d'être acquise en Suisse. Les travaux entrepris soit en matière de transplantation d'organe, soit de procréation assistée ou de génie génétique, n'aboutiront vraisemblablement pas avant le XXIe siècle. Il s'agit d'établir un droit civil fédéral durable.

Pour le moment, les cantons ne peuvent qu'aménager leur droit public, de modeste portée. Il n'est pas imaginable non plus qu'à des institutions non étatiques soit attribuée la tâche de régler exhaustivement tous les problèmes éthiques, juridiques et institutionnels que la transplantation d'organes pose, ainsi que l'a souligné dans son ouvrage M. Marco Borghi, professeur à la faculté de droit de l'université de Fribourg. La Conférence des directeurs cantonaux des affaires sanitaires (CDS) a également exprimé cet avis le 2 novembre l994, suite au rapport relatif à une réglementation globale de la transplantation d'organes en Suisse, issu de l'Institut suisse de la santé publique (ISP). Le besoin d'agir sur le plan législatif est reconnu par le comité directeur de la CDS. Les législations cantonales sont insuffisantes et néanmoins nécessaires.

Conclusion

La commission a travaillé sur différentes versions modifiant la loi concernant la constatation des décès et les interventions sur les cadavres humains (K 1 19), à partir des propositions contenues dans les projets de loi 7230 et 7237, pour arriver à la conclusion qu'il était préférable de proposer à notre Grand Conseil un nouveau projet de loi intégrant les deux projets de loi et apparaissant comme complément de la K 1 19, mais distinct de cette dernière. En effet, la teneur de la K 1 19 permet difficilement d'aborder le don d'organe dans son ensemble, ne serait-ce que pour tenir compte des donneurs vivants. La majorité de la commission a choisi cette formule étant donné que la problématique du donneur vivant a donné lieu à une jurisprudence et peut donc facilement être intégrée dans une loi sur le don d'organe.

Le groupe libéral a préféré conserver sa position initiale en proposant de joindre à ce nouveau projet de loi une motion sur le point précis de l'information relative au don d'organe, réservant ainsi son soutien au nouveau projet. Cette motion sera présentée conjointement au projet de loi en plénière. Le présent rapport a développé les principaux différents aspects liés au don d'organe. Dans ce sens, les cinq articles du nouveau projet ne seront pas commenté de façon détaillée.

En commission, le vote d'entrée en matière sur le texte était le suivant:

pour: 8

contre: 5

abstention: 0

Art. 1:

accepté à l'unanimité

Art. 2:

pour: 10

contre: 3

abstention: 2 (le décompte des voix est modifié par l'arrivée de commissaires en retard)

Art. 3:

pour: 8

contre: 4

abstention: 3

Art. 4:

pour:  8

contre: 3

abstention: 4

Art. 5:

pour: 8

contre: 4

abstention: 3

Vote final sur l'ensemble du projet de loi:

pour:  8 (AdG, PS, Ve, PDC)

contre: 4 (Lib.)

abstention: 3 (Rad., Lib.)

En conséquence, Mesdames et Messieurs les députés, la majorité de la commission de la santé vous propose d'accueillir favorablement ce projet de loi en complément de la loi K 1 19.

(PL 7403)

PROJET DE LOI

sur les prélèvements et les transplantations d'organes et de tissus

(K 1 19,5)

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

Article 1

Interdiction

Le commerce d'organes et de tissus humains est interdit.

Art. 2

Etablissements agréés

1 Les prélèvements en vue de transplantation et la transplantation d'organes en provenance d'êtres vivants ou de cadavres humains se déroulent dans les établissements médicaux qui satisfont aux exigences des organismes faîtiers suisses tant de la transplantation que de l'éthique médicale.

2 Le médecin cantonal exerce le contrôle et la surveillance dans le secteur privé.

3 Dans les établissements publics médicaux, ils se déroulent dans les divisions communes.

Art. 3

Consentement présumé

1 Toute personne peut, de son vivant, s'opposer au prélèvement d'organes ou de tissus sur son corps, après décès.

2 Si tel n'est pas le cas, les proches du défunt peuvent s'opposer à un tel prélèvement dans les six heures qui suivent le décès. La mort se détermine selon les dernières directives de l'Académie suisse des sciences médicales en la matière.

3 La présente disposition s'applique en cas de décès de toute personne ayant son domicile légal dans le canton au moment de sa mort. A défaut, la législation du lieu de domicile du défunt s'applique.

Art. 4

Contraventions

Les contrevenants aux dispositions de la présente loi sont passibles des peines de police.

Art. 5

Modification à une autre loi

  (K 1 19)

La loi concernant la constatation des décès et les interventions sur les cadavres humains, du 16 septembre 1988, est modifiée comme suit:

CHAPITRE V (abrogé)

Prélèvements d'organes et de tissus (abrogé)

Art. 14 (abrogé)

ANNEXE

(PL 7230)

PROJET DE LOI

modifiant la loi concernant la constatation des décès et les interventions sur les cadavres humains

(K 1 19)

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

Article unique

La loi concernant la constatation des décès et les interventions sur les cadavres humains, du 16 septembre 1988, est modifiée comme suit:

Art. 14, al. 1 (nouvelle teneur) al. 2 (abrogé)

Opposition

1 Toute personne peut, par déclaration écrite de son vivant ou, après son décès, par l'entremise de ses proches dûment informés, s'opposer au prélèvement d'organes ou de tissus sur son corps après décès.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Les greffes d'organe représentent l'un des progrès les plus spectaculaires que la médecine a enregistré au cours de ces vingt dernières années. Non seulement ces greffes permettent de sauver un nombre croissant de vies humaines, et particulièrement d'individus jeunes ou d'enfants, (greffes de coeur, de foie, de poumons par exemple), mais elles permettent également, dans certaines circonstances (greffes de rein par exemple), d'augmenter significativement la qualité de vie des patients qui en bénéficient tout en diminuant les coûts induits par leur prise en charge en l'absence de greffe (d'environ 80 000 F par an par personne à moins de 20 000 F par an par personne).

La Suisse dispose en outre depuis plusieurs années d'une organisation remarquable, Swiss Transplant, permettant une coordination nationale unanimement reconnue et totalement opérationnelle en matière de prélèvement/transplantation d'organes. Enfin, Genève est, en Suisse, probablement le centre le mieux organisé en matière de transplantation comme en témoigne son Unité de transplantation qui regroupe l'ensemble des greffes d'organes. Cette unité est d'ailleurs dirigée par l'actuel président du Comité exécutif de Swiss Transplant, le Dr P. Morel.

Le nombre de transplantations en Suisse a certes discrètement augmenté au cours de ces dernières années. Mais ce constat positif n'est lié qu'à l'augmentation du nombre de donneurs multi-organes et aux progrès des équipes de prélèvement. A l'inverse, le nombre total de donneurs est, lui, en nette baisse. Après avoir culminé à 151 en 1986, il n'a depuis lors cessé de diminuer pour arriver au chiffre de 111 en 1994.

Pourquoi le don d'organes est-il en recul en Suisse? Les Suisses sont-ils égoïstes dans le domaine du don d'organes, la législation est-elle trop contraignante, l'information est-elle insuffisante?

Le premier constat qui s'impose est que le nombre de donneurs potentiels a considérablement diminué ces dernières années en raison de l'efficacité des mesures de prévention, s'agissant particulièrement des accidents sur la voie publique, et des progrès importants enregistrés grâce au développement de la médecine d'urgence. Ce fait est évidemment des plus réconfortants.

Une seconde constatation est fournie par une récente étude conduite par le professeur Gutzwiller, de Zurich, qui a montré que 80% de nos concitoyens accepteraient le don d'organes, après une information adéquate, alors qu'actuellement seuls 7% de la population suisse était porteuse d'une carte de donneur. Cette générosité remarquable contraste singulièrement avec les chiffres enregistrés dans les cantons comme le nôtre où le taux de refus des proches au prélèvement est de l'ordre de 50%.

Une des causes de ce phénomène est sans doute liée à la législation cantonale genevoise qui soumet le prélèvement d'organes soit à la déclaration de volonté du défunt de son vivant (carte de donneur ou équivalent), soit au consentement d'un proche. Il est aisé de comprendre que le consentement de proches se heurte souvent à la souffrance ou au déni de ces proches, s'agissant de la perte d'un être cher dans des circonstances généralement brutales et dramatiques. L'annonce du décès d'un être cher et la demande presque simultanée de l'autorisation de procéder à un prélèvement d'organes constitue une épreuve que peu de gens sont en mesure de supporter. Il n'est d'ailleurs pas rare que certaines familles, après avoir pu faire face au deuil qui les frappe, expriment leur regret de n'avoir consenti au don d'organes.

Enfin, d'autres éléments, et particulièrement la nécessité d'une information encore plus large, peuvent aussi être évoqués pour remédier à la situation que nous venons de décrire.

Cela étant dit, la baisse du nombre de donneurs, bien réelle, a eu pour conséquence d'entraîner une augmentation du nombre des patients en liste d'attente (concernant la transplantation rénale: 270 en 1987, 386 en 1993) mais surtout elle a occasionné de nombreux décès de patients en attente d'un organe vital (coeur et foie en particulier).

Au-delà de ces considérations déjà tragiques, il faut également signaler que la diminution du nombre de greffons disponibles contribue sans aucun doute à faire courir à notre société un risque qui nous paraît inacceptable: inciter les patients les plus aisés à recourir à un tourisme médical ignoble vers les pays où la transplantation est plus «facile», là où le risque de commerce d'organes représente un dérapage «médico-économique» intolérable.

Le présent projet de loi n'entend évidemment pas régler l'ensemble des problèmes relatifs au don d'organes. En revanche, il se propose d'introduire, en matière de prélèvement d'organes, la notion de consentement présumé tout en respectant bien évidemment la liberté de chaque individu de s'opposer, de son vivant ou après son décès, par l'entremise de proches, au prélèvement d'organes. Une telle législation est déjà en vigueur dans d'autres pays (Espagne, Belgique par exemple) et dans d'autres cantons ( Vaud, Zurich et, depuis peu, Neuchâtel par exemple).

Ce projet de loi, tout en affirmant le respect impératif de la volonté de la personne vivante ou décédée ou de ses proches après décès, assouplit néanmoins la législation actuelle, considérant la possibilité de sauver un certain nombre de vies humaines et d'améliorer significativement la qualité de vie d'autres malades.

Voici les raisons pour lesquelles nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, d'accueillir favorablement le présent projet de loi.

ANNEXE

(PL 7237)

PROJET DE LOI

modifiant la loi concernant la constatation des décès et les interventions sur les cadavres humains

(K 1 19)

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

Article unique

La loi concernant la constatation des décès et les interventions sur les cadavres humains, du 16 septembre 1988, est modifiée comme suit:

Art. 14 A (nouveau)

Service public

Le prélèvement aux fins de transplantation et les transplantations elles-mêmes, avec des organes ou tissus provenant soit de cadavres, soit de personnes vivantes, ne peuvent se dérouler que dans les divisions communes des établissements hospitaliers publics à caractère universitaire.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Les transplantations d'organes font partie des grands succès de la médecine de ce siècle. De très significatifs progrès techniques ont permisdes greffes qui paraissaient pendant très longtemps impossibles, voire inconcevables.

Les espoirs suscités sont également à la mesure de ces progrès. Les journaux évoquent, à intervalles réguliers, le cas de personnes en attente de dons concernant l'un ou l'autre des organes que la médecine a appris à greffer.

Malheureusement, la presse évoque aussi, à intervalles réguliers, tous les dangers et dérapages résultant de la conjonction de la rareté, de la haute technicité et des grands espoirs.

En effet, la rareté, c'est-à-dire l'attente d'organes que l'on puisse trouver et greffer avec succès, est également un sujet d'angoisse, d'espérance et de multiples dérapages.

La question de la rareté est au centre du projet de loi émanant de trois députés et ayant pour but de substituer le consentement présumé au consentement explicite. Sous ces vocables techniques se cache aussi un problème difficile: celui de la disponibilité de tissus et d'organes greffables en quantité suffisante.

Le présent projet de loi aborde deux problèmes: celui du cadre dans lequel ces interventions doivent s'effectuer et, comme corollaire, ce qu'il y a lieu d'éviter à cet égard.

Notre Conseil n'insistera pas sur tout l'équipement, l'encadrement et le haut niveau scientifique indispensable à de telles interventions. Ces conditions sont réunies dans nos hôpitaux publics à caractère universitaire, mais elles peuvent difficilement être réunies dans un établissement privé, quelles que soient sa valeur et la qualité de ses prestations. C'est pourquoi, dans toute la Suisse, les transplantations s'effectuent à ce jour exclusivement dans des hôpitaux publics et universitaires.

La préoccupation fondamentale qui sous-tend ce projet s'appelle commercialisation. Très récemment, notre collègue chargé du département de l'action sociale et de la santé, en sa qualité de président de Swisstransplant, a montré les risques qu'une «privatisation» des transplantations faisait courir.

En conséquence et avec la clarté et la force de la loi, nous vous demandons de bien vouloir adopter ce projet de loi qui assurera l'égalité de traitement et de choix basés sur des critères exclusivement scientifiques.

Le nouvel article que nous vous proposons d'adjoindre à la loi concernant la constatation des décès et les interventions sur les cadavres humains (K 1 19) prolonge la problématique du prélèvement d'organes et de tissus qui est la raison d'être du chapitre V de cette loi.

Au bénéfice de ces explications, nous vous prions, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir réserver rapidement un accueil favorable à ce projet de loi.

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(M 1043)

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- que la nécessité d'augmenter la disponibilité d'organes à transplanter est manifeste;

- que ni le consentement explicite, dans sa forme actuelle, ni le consentement présumé ne semblent pouvoir apporter de réponse satisfaisante à cette nécessité;

- qu'il existe un risque, induit par le consentement présumé, de banalisation du don d'organe;

- que la meilleure information est indispensable à la prise de décision dans un domaine aussi sensible,

invite le Conseil d'Etat à

- mettre en place un système d'information destiné aux donneurs potentiels, aux receveurs et aux soignants, permettant d'optimaliser les prises de décisions des sujets, de leurs proches, et du personnel soignant; cette information est conçue comme une aide à la décision; elle tient également compte du fait que le don d'organe est un geste exceptionnel de solidarité sociale et d'altruisme et s'attache à la valorisation de ce don;

- dégager les fonds nécessaires à une telle information (régulière, efficace, objective et contrôlable);

- examiner les moyens de contrôler l'efficacité de l'information donnée;

- envisager la mise en place d'un système informatique permettant de prendre en compte la volonté des donneurs et des non-donneurs dans le plus strict respect de la protection des données.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Le projet de loi 7237 soulève le problème du nombre insuffisant d'organes à transplanter par rapport aux malades qui attendent une transplantation, laquelle représente souvent pour eux la seule voie de survie. Trop souvent encore, ces patients décèdent avant d'avoir pu bénéficier d'un don d'organe. Nous sommes, groupe libéral, très préoccupés par cette situation et très désireux de travailler à y apporter les solutions les plus adéquates.

Le projet de loi 7237 propose une solution à ce problème sous forme du consentement présumé, ce qui signifie, pratiquement, qu'en l'absence d'opposition formelle du défunt ou de ses proches, on peut procéder au prélèvement d'un ou de plusieurs organes du défunt, alors que le consentement formel du défunt ou de sa famille n'est plus requis.

Dans la mesure où nous estimons qu'une opposition non exprimée formellement ne peut être considérée comme équivalent à un consentement présumé que si le sujet a été parfaitement informé des effets de la non-expression de son opposition, nous proposons d'axer notre action, en terme de solution au problème susmentionné, davantage sur l'information que sur le consentement présumé, auquel nous sommes d'ailleurs, et cela pour plusieurs raisons, tant d'ordre éthique que d'ordre pragmatique, opposés.

Le don d'organe est une des preuves maximales d'altruisme et de solidarité et doit être compris dans ce sens. Un tel sentiment de solidarité ne peut être présumé, il doit être clairement exprimé, et notre rôle, en tant que politique préoccupé du manque d'organes à transplanter, est davantage d'amener la population à formuler clairement la question du don d'organe et à l'amener à se prononcer, individuellement, sur le sujet, cela tout en sachant que certains préféreront, probablement toujours, ne pas s'exprimer. Cette non-expression est de leur droit et ne nous permet pas de conclure au consentement, si tant est que le droit de se taire est un des droits fondamentaux de l'individu et ne présume pas de son avis.

Il nous paraît, de plus, essentiel pour le receveur lui-même, que ce dernier puisse avoir la certitude, et non seulement la présomption, que l'organe reçu provenait réellement d'un don voulu par le donneur.

Par ailleurs, le risque de présumer d'une façon erronée ne peut être négligé.

D'une part, un tel risque ne nous paraît ici en aucun cas justifiable. Cela est particulièrement vrai pour les enfants, qui, s'ils représentent un groupe à part, sont malheureusement fréquemment concernés par cette situation.

Nous ne souhaitons pas opposer les droits du défunt potentiellement donneur aux droits du receveur, et nous estimons qu'il n'est pas possible d'établir une hiérarchie des droits entre le défunt (à peine défunt) et le malade en attente de transplantation. En ce qui nous concerne, nous estimons que le droit du receveur est essentiellement celui à une répartition équitable des organes disponibles, mais qu'il n'y a pas de droit spécifique à une augmentation du nombre d'organes disponibles.

D'autre part, le risque d'aller à fins contraires des buts poursuivis ne peut être sous-estimé: la population, si elle se sentait abusée, ne serait-ce que dans un seul cas dans lequel le consentement présumé aurait été erroné, pourrait devenir globalement extrêmement réticente au don d'organe.

Il n'est pas envisageable de forcer de quelque manière que ce soit la décision. La valorisation, par l'information, du don d'organe, auprès des donneurs potentiels et de leurs proches, nous paraît une approche plus adéquate éthiquement que le consentement présumé.

En ce qui concerne les considérations d'ordre pragmatique, il nous paraît important de souligner que la grande majorité des personnes auditionnées ont conclu que le consentement présumé amènerait peu de modifications à la situation actuelle concernant la transplantation. Nous sommes persuadés, de même que de nombreux membres de la commission d'ailleurs, que la modification de la loi telle que proposée sera sans effet majeur. Il nous paraît donc d'autant plus inacceptable de prendre le risque de la présomption.

Finalement, le consentement présumé aurait probablement pour effet de diminuer l'information plutôt que de la maximaliser. Or, nous estimons que dans un domaine aussi sensible seul le consentement informé et éclairé est acceptable.

Premier débat

M. Gilles Godinat (AdG), rapporteur. Tout d'abord, j'aimerais apporter quelques commentaires aux questions soulevées par les deux projets de lois ayant abouti à un nouveau projet que la commission de la santé, dans sa majorité, vous soumet ce soir.

La problématique du don d'organes met en relief des références aux valeurs essentielles que sont, par exemple, le respect de la dignité humaine, les libertés individuelles et la solidarité. Dans le domaine de la bioéthique et de l'éthique médicale en particulier ces questions de valeur sont éminemment sensibles et soulèvent des réactions émotionnelles intenses. Le don d'organes soulève également des questions de principe liées au droit de la santé, pour guider les pratiques de transplantation elles-mêmes au-delà du principe du don, point sur lequel la commission a porté une attention toute particulière.

Légiférer dans un domaine où l'émotionnel et le subjectif sont particulièrement prééminents est une opération pour le moins délicate. Nous aurons l'occasion de l'observer ce soir au cours de différents débats. Le don d'organes nous touche, sur l'essentiel, aux relations que nous entretenons avec notre propre corps, le corps d'autrui, notre mort, la mort des autres. Toutes les représentations individuelles et sociales codifiées dans les traditions culturelles, religieuses, diverses, nous renvoient, au-delà de ces représentations collectives, à nos représentations intimes, voire secrètes. Et c'est bien dans cet ordre de l'intimité qu'il est parfois périlleux de légiférer.

L'histoire récente des atrocités nazies, dans le domaine de l'expérimentation humaine, a conduit le Tribunal de Nuremberg à énoncer des règles et des principes éthiques en matière d'interventions sur le corps humain, et l'acte de légiférer puise ici toute sa légitimité.

La problématique du don d'organes peut, toutes proportions gardées, être comparée, par analogie, au don du sang : forme la plus banale de la solidarité inter humaine dans ce domaine. Plus récemment, le don du sperme a connu une relative banalisation tout en soulevant des problèmes éthiques tout à fait fondamentaux. Le don d'organes du donneur vivant, qui s'est également développé ces dernières années, est actuellement bien codifié tant sur le plan éthique que sur le plan législatif.

Ce soir, il s'agit essentiellement de nous prononcer sur des questions qui nous confrontent à la mort et aux informations que nous voulons transmettre une fois que nous aurons disparu de ce monde.

Un des enjeux essentiels du projet de loi que nous vous soumettons ce soir est le passage du consentement explicite au consentement présumé inversant la démarche active face au don d'organes. Actuellement, il faut activement faire don de ses organes avec une carte de donneur ou une information explicite aux proches.

Avec ce nouveau projet, il faudra activement refuser de donner ses organes pour exprimer clairement de son vivant son choix explicite concernant le don d'organes; sinon, le choix sera considéré comme implicite, c'est-à-dire que nous présumerons de l'accord du consentement du donneur. Pour pondérer ce changement, la commission a cherché une formulation la plus proche du consentement explicite, afin de respecter au plus près de notre conscience la volonté non seulement du défunt mais également de ses proches.

Cette formule est pratiquée dans le canton de Vaud, en France, en Espagne, en Italie, en Belgique et en Grèce, par exemple. La tendance au niveau international est au consentement présumé, afin d'encourager et de faciliter le don d'organes dans une période où les progrès de la médecine permettent de sauver davantage de patients.

Hélas, comme les faits le confirment, les dons d'organes ne sont pas suffisants face à l'évolution du nombre de receveurs potentiels et les risques de la commercialisation des organes sont devenus bien concrets.

La commission a trouvé l'unanimité pour interdire la commercialisation des organes. La conséquence logique est donc d'encourager le don d'organes, et le consentement présumé est l'un des moyens d'encourager le don, de le rendre légitime et naturel. Nous avons débattu de la nécessité impérieuse d'une information idoine non médicalisée, répondant aux préoccupations de la population sur le don d'organes, en particulier dans le domaine religieux. On souhaite, par exemple, une information avec une description de la position des Eglises qui sont présentes dans notre champ culturel, sur la définition de la mort cérébrale ou sur d'autres aspects importants du don d'organes.

Autre point du débat relatif aux principes généraux : la gratuité du don implique la gratuité du geste de la transplantation, l'acte chirurgical proprement dit. Ce point a été réglé par l'article 2, qui pourra encore être précisé par certains amendements qui vous seront soumis ce soir et dont nous aurons l'occasion de discuter tout à l'heure.

Ainsi la commission de la santé, dans sa majorité, vous recommande d'accueillir avec bienveillance ce nouveau projet de loi en complément de la loi actuelle et espère obtenir la faveur de votre soutien.

M. Pierre Froidevaux (R). Je ne puis que louer le député Godinat pour son excellent rapport très complet, empreint d'une précision fidèle et d'une sensibilité pénétrante de nos travaux en commission, à propos de cette nouvelle mise en forme de la loi sur les dons d'organes.

Comme remarque liminaire, vous avez sans doute constaté que la commission n'a pas été unanime au moment du vote final sans pour autant proposer un rapport de minorité. Cela indique, à mon sens, à quel point les commissaires de tout bord ont tous collaboré avec ferveur à l'élaboration de ce projet de loi, même si certains se sont finalement opposés ou effacés. Ce fut notamment le cas des radicaux. Cette abstention est le reflet strict de leur prise de conscience personnelle, mais non partisane.

Ce projet de loi ne présente en aucune manière un enjeu pour nos partis politiques. Notre vote ne devrait que refléter nos consciences individuelles, ne devenant collectives qu'à l'instant même du vote. Devons-nous passer d'un consentement explicite à un consentement présumé ? Autrement dit, faut-il que le don d'un organe après notre mort soit un événement naturel, le dernier signe de solidarité que nous pouvons faire individuellement, ou faut-il que cela reste un geste exceptionnel réservé à des êtres à part ? Parler de l'utilité du don, c'est aussi évoquer l'utilité des greffes. Or, l'utilité des greffes n'est remise en cause par personne. Il serait donc vain de remettre en cause l'utilité des dons.

Ce projet de loi ne fait que consacrer cela. En l'adoptant, le médecin devra demander à la famille si elle s'oppose à un don d'organes d'un de ses proches, alors que, jusqu'à maintenant, le médecin devait demander à la famille si elle acceptait ce don. En approuvant ce projet de loi, nous ne faisons que consacrer l'évolution de la société devenue plus familière avec les greffes, donc aussi avec les dons.

Pour ma part, je vous recommande de soutenir sans réserve l'entrée en matière de ce projet de loi et la motion qui l'accompagne. Cependant, je reste bien conscient que certains puissent avoir une vue personnelle différente. A eux aussi va toute ma considération, car je ne puis critiquer ceux et celles qui expriment leur propre perception de l'infinitude.

M. Christian Grobet (AdG). L'Alliance de gauche est favorable à ce projet de loi, considérant qu'il faut faciliter le don d'organes. Je désire qu'il n'y ait aucune ambiguïté à cet égard.

A nos yeux, ce projet de loi mérite d'être, non pas modifié dans son esprit, mais d'être précisé, afin que cette loi soit concrètement applicable. Nous avons déposé un amendement à l'article 2, alinéa 1, afin que les prélèvements d'organes se déroulent dans des établissements médicaux agréés.

«1Les prélèvements en vue de transplantation et la transplantation d'organes en provenance d'êtres vivants ou de cadavres humains se déroulent dans les établissements médicaux agréés par le Conseil d'Etat qui satisfont aux exigences des organismes faîtiers suisses tant de la transplantation que de l'éthique médicale.»

En effet, si l'on veut respecter l'éthique, il faut que cette intervention puisse se faire dans des établissements spécialisés, sinon je vous rappelle que l'agrément peut être retiré.

Le deuxième amendement porte sur une question plus délicate. Comme M. Froidevaux l'a indiqué, ce projet de loi suit l'évolution de la société en tendant à faciliter le don d'organes. Le rapporteur prétend que s'il n'y a pas d'opposition, il existe un accord présumé, ce qui constitue un changement notable sur le plan juridique. Et, en quelque sorte, pour éviter des abus, la commission a prévu à l'article 3, alinéa 1, que toute personne peut, de son vivant, s'opposer au prélèvement d'organes ou de tissus sur son corps après décès.

Si je ne fais pas partie des opposants au prélèvement d'organes, je comprends que des gens puissent s'y opposer. Par contre, il ne suffit pas de proclamer que l'on est contre. Encore faudrait-il indiquer comment cette opposition pourrait être portée à la connaissance de ceux qui procéderaient au prélèvement.

A cet égard, le groupe libéral a déposé une motion qui comporte d'excellentes idées, dont la création d'un registre. Mais une motion reste un voeu, et il semble normal qu'une personne voulant s'opposer de son vivant à un prélèvement d'organes puisse le faire. Pour cela, il est indispensable d'instituer un registre accessible par les établissements agréés. La création de ce registre n'implique pas qu'une personne opposée aux dons d'organes ait l'obligation de s'y inscrire, et le fait de ne pas y être inscrit ne veut pas dire non plus qu'un prélèvement soit possible, car la famille, lorsqu'elle sera consultée, pourra toujours s'opposer au prélèvement.

Par rapport à l'amendement que nous avions déposé, Monsieur le président, et pour tenir compte des remarques qui m'ont été transmises par certains députés, nous proposons, en reprenant le début de l'alinéa 1, à l'article 3, sans changement, soit :

«1Toute personne peut, de son vivant, s'opposer au prélèvement d'organes ou de tissus sur son corps, après décès.»

et d'ajouter la phrase suivante :

«Elle peut faire inscrire son opposition dans un registre accessible à chaque établissement agréé. L'absence d'inscription ne constitue pas une présomption d'accord à un prélèvement d'organes.»

Grâce à ces précisions, on donne la possibilité à des personnes opposées au prélèvement d'organes d'enregistrer leur opposition sur un registre qui sera donc accessible aux établissements agréés. Cela laisse la possibilité à la famille, le cas échéant, de s'y opposer selon les modalités prévues à l'alinéa 2, de l'article 3.

Si l'on prétend créer un registre, comprenant les oppositions au prélèvement d'organes accessible aux établissements agréés, il ne suffit pas d'indiquer ces modalités d'exécution dans la loi. C'est pourquoi - et ce n'est pas du juridisme - nous indiquons l'article 5, de la manière suivante :

«Le Conseil d'Etat édicte le règlement d'application de la présente loi.»

Dans ce règlement, il ne s'agit pas de donner des instructions au corps médical, mais d'indiquer la procédure administrative à suivre dans le règlement d'exécution pour obtenir l'agrément du Conseil d'Etat concernant un établissement, et connaître l'organisation de ce registre.

L'Assemblée fédérale a voté vendredi dernier un arrêté fédéral sur le contrôle du sang, des produits sanguins et des transplants, et, à mon humble avis, la loi proposée ce soir est conforme à ce nouvel arrêté fédéral, d'autant plus qu'un amendement apporté par le Conseil des Etats voulant l'accord exprès en cas de prélèvement d'organes a été supprimé et, par voie de conséquence, la loi que l'on nous propose, ce soir, me paraît conforme à cette loi fédérale qui vient d'être votée par le parlement.

Mme Barbara Polla (L). Le PL 7230 traitant du consentement présumé soulève donc le problème du nombre insuffisant d'organes à transplanter par rapport aux malades qui attendent une transplantation, laquelle transplantation représente souvent pour eux la seule voie de survie. Trop souvent encore, ces patients décèdent avant d'avoir pu bénéficier d'un don d'organe.

Nous sommes, groupe libéral, très préoccupés par cette situation, et extrêmement désireux d'y apporter les solutions les meilleures et les plus adéquates pour toutes les parties. Nous sommes conscients du drame que vivent les adultes, et plus encore les enfants en attente de transplantation. Ce drame est partagé par leurs proches, par leurs parents, tous comme suspendus à un appel qui pourrait finalement signifier la vie.

Quant aux motifs, nous sommes donc parfaitement d'accord avec les initiants de ce projet. Tout comme eux, nous voulons, nous aussi, trouver des solutions à ce problème particulièrement délicat. Cependant, nous ne pouvons adhérer à la solution proposée, à savoir le consentement présumé et ceci pour deux types de raisons : les premières, d'ordre éthique, et les secondes, d'ordre pragmatique, comme M. Godinat l'a souligné dans son excellent rapport - je me rallie aux félicitations de M. Froidevaux - et je développerai chacun de ces deux aspects.

Dans la mesure où nous sommes opposés au consentement présumé, je n'entrerai pas dans les détails de l'application du consentement présumé, tels qu'ils viennent d'être discutés par M. Grobet.

En préambule, j'aimerais tout d'abord insister sur le fait que les commissaires libéraux à la commission de la santé, pour lesquels je m'exprime ce soir, ont retenu - comme je viens de le dire - des motifs éthiques et pragmatiques pour rejeter le projet de loi. Par contre, ils n'ont pas retenu de motifs strictement politiques. Cependant, il est vrai que le respect des décisions et des choix personnels est en harmonie avec l'idéologie libérale, alors que la prise de décisions des uns pour les autres, et surtout sur un point aussi extraordinairement délicat, ne l'est pas. Quoi qu'il en soit, nous proposons la liberté de vote pour ce projet de loi, car il implique des choix plus profondément personnels que politiques.

Venons-en donc maintenant tout d'abord aux raisons éthiques. Les adeptes du consentement présumé se basent, entre autres, sur l'existence d'un droit du receveur qui serait le droit du vivant, et qui serait à mettre en balance avec les droits du donneur, qui lui, est mort. Mais, en ce qui nous concerne, nous estimons que, pour des raisons éthiques, il n'est pas possible d'établir une hiérarchie des droits entre le défunt - à peine défunt - et le malade en attente de transplantation. Selon nous, le corps du défunt reste du domaine de la privauté. Il doit être respecté même après le décès. Le défunt n'est pas un objet dont on peut disposer; il n'existe pas de prérogative sur le corps, qui ne correspond pas à un héritage. Le rapport de l'homme avec sa mort, avec son corps, avec ceux qui l'ont aimé, est infiniment trop individuel et trop complexe pour pouvoir être «présumé».

Le don d'organes - comme l'a dit M. Godinat - est une des preuves maximales d'altruisme et une manifestation profonde de solidarité qui ne peut donc pas être présumée. Un tel altruisme doit être clairement exprimé. En aucune manière, ce don ne peut pas être rendu systématique, voire presque obligatoire. Le consentement présumé qui amène, comme l'écrivait Pascale Zimmerman, au don automatique, vide alors le don de son sens. Peut-on encore parler de don, si celui qui donne n'a pas dit qu'il souhaitait donner ?

Tout à l'heure, M. Godinat faisait l'analogie avec le don du sang. Mais dans ce cas, le sujet est bien sûr toujours vivant, le consentement forcément explicite. Dans le cas du don d'organes, afin que l'on puisse vraiment parler de don, et que ceux qui en ont besoin puissent aussi le recevoir comme tel, le groupe libéral propose, entre autres, une motion, qui vous sera présentée tout à l'heure par Mme Spoerri, et dont le but est d'amener chacun d'entre nous à nous prononcer sur notre volonté propre.

J'aimerais encore développer ce que j'appellerai le droit à l'indécision, ainsi que le risque inhérent de présumer de façon erronée. Il nous semble que le droit à l'indécision, ou le droit de se taire, ne peut pas être remplacé par le consentement présumé, et que la non-expression ne nous permet pas de conclure au consentement. Seul un consentement explicite peut permettre le prélèvement et le don d'organes dans les meilleures conditions pour toutes les parties. C'est la raison pour laquelle nous voulons absolument amener chacun d'entre nous à se prononcer explicitement.

Par ailleurs, le risque de présumer de façon erronée ne peut pas être négligé. Un tel risque, même minime, ne nous paraît pas justifiable, même par rapport à la souffrance des patients en attente de transplantation. Ce point me permet, maintenant, de faire le lien et m'amène à considérer les raisons pragmatiques qui nous conduisent, elles aussi, à rejeter ce projet de loi.

Tout d'abord, il nous semble extrêmement important, pour le succès à long terme de la greffe, que le patient, qui bénéficie de la transplantation, ait la réelle conviction que le donneur voulait ce don. D'autre part, le risque de présumer de façon erronée, dont je viens de parler, et d'aller, ne serait-ce qu'une fois, à l'encontre de la volonté réelle du défunt, pourrait profondément remettre en cause le don et le prélèvement de l'organe. Nous ne le souhaitons pas.

Autre point pragmatique : l'efficacité. L'efficacité du consentement présumé en termes d'augmentation du nombre de transplantations est un but, je le rappelle, que nous poursuivons tous. M. Godinat a dit qu'une loi similaire au projet dont nous débattons est en vigueur dans le canton de Vaud. Alors prenons cet exemple proche de nous. Lorsqu'on analyse, au mieux des données actuelles à disposition, les effets du consentement présumé dans le canton de Vaud, on constate qu'il n'y a pas d'augmentation du nombre de transplantations, parce que, semble-t-il, le respect du défunt prévaut, en fin de compte, sur une loi souvent considérée comme étant inapplicable à la lettre.

Là encore l'efficacité, et pas seulement l'éthique, exige que les donneurs potentiels, c'est-à-dire nous tous, s'expriment clairement, en toute autonomie et entière connaissance de cause, afin d'accroître ainsi, et ainsi seulement, le nombre de greffes et permettre qu'elles soient réalisées dans les meilleures conditions pour tous.

Je vous remercie de votre patience et de votre attention. J'espère que je me suis exprimée clairement, à savoir en faveur de l'augmentation des transplantations et, pour ce faire, en faveur d'un consentement éclairé et explicite.

M. Dominique Hausser (S). Les interventions précédentes ont démontré à quel point ce sujet est sensible et délicat, qu'il ne saurait être traité sans que nous ayons discuté de la forme et de l'expression que nous entendons donner au projet de loi qui nous est soumis ce soir.

Le projet, tel qu'il ressort de la commission de la santé, n'est certes pas révolutionnaire, mais c'est un bon projet parce qu'il a le mérite de clarifier la législation en matière de dons d'organes, laquelle n'était abordée que dans la loi sur les cadavres humains qui négligeait partiellement l'aspect du don du donneur potentiel de son vivant. Ce projet de loi marque un premier pas important.

Egalement essentielle est la précision des conditions dans lesquelles se pratiquent le prélèvement d'organes et leur transplantation, parce que répondant au souci des initiants des projets de lois de limiter considérablement les risques de trafic d'organes.

Avec l'introduction de la notion de consentement présumé, par rapport à la notion de consentement explicite, ce projet - comme l'a relevé M. Froidevaux - ne fait qu'inverser la forme de la question que les médecins auront à poser. Précédemment, il fallait répondre oui à la question «Etes-vous en faveur d'un don d'organe ?». Maintenant, il faudra répondre non à la question «Vous opposez-vous à un don d'organe ?».

Nous sommes à mi-chemin du consentement explicite signifié par le donneur potentiel lui-même et du don automatique. Je comprends certaines réticences de Mme Polla, surtout quand elle dit que le transplanté doit être certain de la volonté personnelle du donneur.

Avec ce projet de loi, nous nous trouvons dans une situation médiane qui, effectivement, correspond à une certaine évolution de la société dans sa compréhension de l'utilisation thérapeutique d'organes humains.

Il nous faut donc accepter le projet de loi proposé. Je reviendrai très rapidement, en fin d'exposé, sur les amendements proposés par l'Alliance de gauche.

Demeure un dernier point, celui de l'information. Nous aurons l'occasion d'y revenir lors du débat sur la motion libérale. Ce point a suscité une importante discussion en commission, laquelle est fort bien résumée dans le rapport. Différence est faite entre l'information générale et l'aide à la décision, et cette distinction est très importante, car il est nécessaire de séparer ces deux aspects.

La motion libérale ne va que partiellement dans ce sens en ne précisant pas que l'aide à la décision relève, à mon avis, du dialogue instauré entre le médecin praticien, le patient et ses proches.

Pour ne pas allonger mon intervention, je reviendrai, au cours du deuxième débat, sur les amendements de M. Grobet, dans l'ordre de leur présentation.

Une voix. Oh, mon Dieu !

M. Philippe Schaller (PDC). Le groupe DC est tout à fait favorable à ce projet de loi qui concrétise, effectivement, les propositions du projet de loi 7230. Je n'ai rien à ajouter à l'excellent rapport de M. Godinat.

Cependant, je voudrais dire à Mme Polla que le consentement éclairé et explicite ne suffit pas aujourd'hui. En effet, rares sont ceux qui prennent la peine de s'imposer ce pensum, car il n'est pas agréable d'évoquer sa propre mort. Mieux vaut parler d'autre chose !

J'ai des chiffres différents de ceux émanant du canton de Vaud. J'ai repris des statistiques, notamment françaises et belges, qui prouvent que les transplantations ont augmenté.

Ce qui nous importe, dans ce projet de loi, c'est que les proches du défunt peuvent s'opposer au prélèvement, mais que l'on intensifie aussi l'information pour inciter à se prononcer de son vivant. Il faut informer sur la transplantation, le respect du corps et sa non-mutilation, et dire ce qu'est la mort cérébrale.

Les propositions de M. Grobet précisent certains éléments favorables à la législation qui nous est présentée. Nous en discuterons donc par la suite.

M. Andreas Saurer (Ve). Comme certains de mes préopinants, je tiens à préciser qu'il s'agit, en fait, d'un débat éthique et, dans ce sens-là, chacun de mon groupe va voter selon sa conscience.

J'aimerais également remercier M. Godinat pour la qualité de son rapport.

En ce qui concerne le projet de loi qui nous est soumis, nous pouvons choisir entre une démarche pragmatique et une démarche basée sur des principes d'éthique fondamentale. La commission de la santé a choisi la démarche pragmatique et j'y reviendrai tout à l'heure.

Cela étant dit, je tiens à développer un certain nombre de considérations d'éthique générale pour illustrer la très grande complexité de ce projet de loi.

Tout d'abord, tout le débat éthique concernant la biologie moléculaire, concernant un certain nombre de démarches médicales, montre bien que la question qui se pose est : «Faut-il simplement canaliser la recherche médicale ou ne faut-il pas plutôt la bloquer ?». Les avis sont partagés à ce sujet.

Je vous signale que des positions très intransigeantes ont été prises, à un certain moment, en ce qui concerne la transformation des cellules germinales; même en ce qui concerne ce problème-là les positions ne sont plus tellement tranchées.

Le débat à ce sujet est donc extrêmement complexe et en mouvement. Il a lieu au niveau suisse, et encore davantage au niveau international. Pour le moment, aucun consensus ne s'est dégagé en raison, évidemment, de la très grande complexité du sujet.

En relation avec cette complexité, il faut également tenir compte des enjeux économiques extrêmement importants qui sont sous-jacents à ces débats. Ça, c'est une première remarque !

Une deuxième remarque concerne le droit ou le soi-disant droit de recevoir un organe, voire le droit à la santé. Personnellement, je suis tout à fait opposé à ce genre de droits. Il est aberrant de vouloir avoir le droit à la santé ou le droit à la vie éternelle. Dans ce sens-là, je ne crois pas qu'il soit juste ou éthiquement défendable de dire que chaque personne qui en a besoin a droit à un organe.

Je crois que la société ne peut offrir que ce qui est médicalement et économiquement possible. Quand nous ne pouvons pas offrir à tout le monde ce qui est médicalement possible, on doit évidemment opérer un certain choix.

Il faut donc abandonner cette notion du droit de recevoir un organe ou un droit à la santé. On a certainement droit à des soins de qualité sans considération sociale. C'est un autre problème et force est de constater que ce droit commence à être battu en brèche, y compris en Suisse, et c'est regrettable. En revanche, nous n'avons pas un droit à la santé.

Une dernière remarque. J'aimerais aussi attirer votre attention sur le fait que les transplantations d'organes sont des gestes extrêmement compliqués, extrêmement coûteux, mais aussi extrêmement spectaculaires et médiatisés. On peut, raisonnablement, se poser la question de savoir s'il est vraiment nécessaire, indispensable, d'investir de telles sommes pour un geste qui profite, finalement, à une infime minorité. Il ne s'agit évidemment pas de négliger une vie qui peut être sauvée, mais il y a peut-être des gestes moins spectaculaires, moins médiatiques, qui peuvent sauver plus de personnes. J'aimerais bien que l'on ne réduise pas l'activité médicale ou la politique médicale à la nécessité absolue de s'occuper essentiellement d'une médecine de pointe, si utile et justifiée soit-elle par ailleurs.

Ces considérations de type général étant faites, j'aimerais revenir sur la démarche de la commission qui était fondamentalement pragmatique, limitée géographiquement et limitée dans le temps, ce projet de loi ne concernant que le canton de Genève.

Deuxièmement, nous savons qu'il y a des débats très importants au niveau national pour réglementer et trouver une réponse à cette problématique au niveau suisse. Chaque canton ne va pas avoir sa propre réglementation. Donc, la loi que nous votons est une loi qui est limitée dans la durée.

Abordons maintenant le problème sous l'angle pratique. Comme M. Godinat l'a écrit dans son rapport, nous savons qu'il y a environ un quart des receveurs potentiels qui décèdent faute d'organes. Evidemment, tout le monde est sensible à cette problématique et se pose la question : «Que pourrions-nous faire pour remédier à cette situation ?». Nous savons aussi, et nous y reviendrons tout à l'heure, que 7% environ de la population suisse seulement portent la carte de donneur. En même temps, toute une série de sondages ont montré que 80% de la population seraient d'accord de donner des organes en cas de décès. Nous constatons donc un très grand hiatus entre les donneurs officiels et les donneurs potentiels. Au moment du prélèvement de l'organe, selon les informations que j'ai reçues, on peut dire qu'environ un quart des proches est d'accord que l'on prélève un organe sur la personne décédée. Un quart s'y oppose et environ la moitié ne veut pas se prononcer. En fait, notre projet de loi concerne justement cette partie des proches qui ne se sentent pas en mesure de donner leur accord. Il est infiniment plus difficile, pour un proche, de donner son accord de prélever un organe d'une personne proche décédée que de le refuser, parce qu'il y a toujours un certain doute : la personne aurait-elle réellement été d'accord ou pas ? On peut parfaitement comprendre, si l'on s'identifie à ses proches, qu'il est extrêmement difficile d'assumer cette responsabilité et de dire : «Oui, je suis d'accord que l'on prélève un organe sur mon fils, sur ma fille, sur ma mère ou sur quelqu'un d'autre de proche.»

Il faut bien voir que nous nous trouvons dans cette situation, et l'effet d'une telle loi sera, en pratique, certainement très limité. On ne va pas se lancer des chiffres à la tête en disant que dans tel canton cela a permis de progresser ou pas. Soyons honnêtes, l'effet réel de cette loi sera très limité. Mais, selon moi, l'effet n'est pas nul. Dans ce sens-là, je vous encourage vivement à appuyer et à soutenir ce projet de loi.

Mme Micheline Spoerri (L). C'est intentionnellement, comme l'a dit Barbara Polla, que nous n'avons pas constitué un rapport de minorité à propos du projet 7403, considérant qu'il ne relevait pas que d'une composante politique, mais aussi de convictions personnelles qui se sont fait jour dans cette enceinte.

Nous avons orienté notre réflexion sur l'objectif central, à savoir l'encouragement au don d'organes. Nous sommes définitivement convaincus, quoi qu'on dise, quoi qu'on pense, que l'effort d'information est parfaitement insuffisant, d'où la pénurie d'organes. C'est pourquoi nous vous soumettons notre motion 1043 qui invite le Conseil d'Etat à prendre des mesures concrètes.

Plutôt que de revenir sur l'exposé des motifs que tout le monde aura lu, permettez-moi d'utiliser mon temps de parole pour susciter, j'espère, une ultime réflexion et relever quelques contradictions dans le travail néanmoins excellent de la commission.

A propos de l'information, on lit à la page 14 du rapport de M. Godinat qu'à l'unanimité la commission a reconnu, je cite que : «Un effort important doit être consenti pour faire connaître de façon très accessible le don d'organe.» En revanche, on ne trouve nulle trace de la notion d'information dans le projet 7403. Ce n'est pourtant pas faute, Mesdames et Messieurs les commissaires, de vous y avoir invités, à de nombreuses reprises, lors de nos travaux.

Avez-vous songé à ce que peut entraîner un déficit d'information, en particulier pour nos enfants, dans le cadre du consentement présumé ? Alors que nous déplorons l'appropriation du sort des enfants en divers endroits du monde, nous serions, nous, prêts à admettre que l'on dispose de leur corps, six heures après leur décès, sans qu'ils aient pu vraisemblablement s'exprimer avant de disparaître. En êtes-vous conscients ?

Il ressort également du rapport de M. Godinat que les partisans du consentement présumé font valoir l'argument du devoir éthique fondamental de solidarité humaine. Pensez-vous sincèrement que vous rendrez les gens plus solidaires si leur niveau de conscience n'est pas augmenté ? En ce qui nous concerne, nous craignons les effets inverses.

Quant à la cohérence de la responsabilité politique, le droit de se taire, dans notre propre parlement, est un droit fondamental et reconnu que l'on exerce par l'abstention lors des votes. Les députés trouvent cela tout à fait légitime, et je partage leur avis.

Or le consentement présumé ne reconnaît pas le droit de se taire. Dès lors comment pouvons-nous considérer, en tant que responsables politiques, que certains droits sont valables pour nous, mais pas pour nos concitoyens ?

Permettez-moi d'imaginer ce que serait notre réaction ce soir si notre président du Grand Conseil procédait à un appel nominal au cours duquel tous les députés seraient invités à montrer leur carte de donneur. Le résultat serait probablement riche d'enseignement. J'ai tendance à penser que beaucoup d'entre nous, devant une telle contrainte, se sentiraient atteints dans leur liberté individuelle, considérant que leur choix d'être donneur ou non leur appartient intégralement.

Notre véritable responsabilité politique consiste, aujourd'hui, à donner aux Genevois tous les moyens de se déterminer eux-mêmes. Cela me conduit, avant de conclure, au problème de la décision, largement discuté dans la commission. Qu'il s'agisse des familles ou des médecins, l'immense difficulté consiste à décider au moment du drame. Le professeur Morel estime que le consentement présumé enlèvera le poids de la décision en allégeant la responsabilité de la famille.

Nous, au contraire, sommes convaincus que, premièrement, la décision doit appartenir à l'individu et que tout doit être mis en oeuvre pour permettre, en tout temps, une prise de décision dans le respect de la volonté et de la liberté personnelles; deuxièmement, que l'entrée en vigueur du consentement présumé, plus précisément le passage du consentement explicite au consentement présumé, ne serait tout simplement pas envisageable sans d'importantes mesures informatives d'accompagnement.

Quelle que soit l'issue du vote qui aura lieu tout à l'heure, le groupe libéral vous invite à entrer en matière sur cette motion et, par souci de gain de temps, à l'adresser directement au Conseil d'Etat.

M. Bernard Annen (L). Si le consentement présumé n'est pas la bonne solution, comme l'ont expliqué Mmes Polla et Spoerri, il n'en demeure pas moins que ce projet de loi est le moins mauvais. Oui, il préconise la moins mauvaise solution pour sauver des vies et soulager la souffrance. Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Les députés qui s'opposeront à ce projet de loi désirent, comme nous tous, sauver des vies ou soulager la souffrance. Mais pour nous, le projet apportera un léger plus, et c'est la seule raison pour laquelle nous le soutiendrons.

Mme Claire Torracinta-Pache (S). Autant le projet de loi, tel qu'il est ressorti des travaux de la commission de la santé, recueille notre approbation parce que nous nous retrouvons dans l'esprit qui l'inspire, autant la motion libérale a suscité les réserves de notre groupe, que ce soit au niveau de certains considérants et de certaines invites, ou même au niveau de certains passages de l'exposé des motifs.

J'ai l'impression que cette motion vient freiner les effets potentiels de l'application du projet de loi qui lui, je le répète, remporte notre adhésion. Elle ne s'inscrit pas du tout dans la même approche, et c'est tout à fait le droit de ses auteurs d'avoir une autre conception du don d'organes. Il n'y a pas là un combat gauche-droite, comme déjà dit par d'autres.

Voyons le deuxième considérant. Personnellement, je pense, à l'instar de M. Schaller, que même si le consentement présumé ne va pas multiplier par cent le nombre des donneurs, il permettra une certaine amélioration dans ce sens. Il donnera un signal, et nous pouvons au moins tenter l'expérience.

Si j'examine le troisième considérant et partiellement la première invite, je souhaiterais personnellement - et c'est là que je diverge fondamentalement d'avec vous - que le don d'organes devienne une pratique courante, logique, normale, au moment du décès. Si c'est cela que vous appelez la banalisation du don d'organes, alors oui, j'avoue y être favorable, ce qui ne veut pas dire qu'il doive devenir automatique.

Je ne peux pas non plus vous suivre quand vous parlez de geste exceptionnel de solidarité sociale ou d'altruisme et de valorisation de ce don. En ce qui me concerne, j'y vois un acte légitime - que je voudrais plus fréquent - un geste normal de solidarité entre les hommes.

En revanche, nous sommes d'accord avec vous pour qu'une meilleure information soit donnée à tous les acteurs potentiels de ce type de décision, c'est-à-dire à tout le monde, puisque chacun peut être concerné, un jour ou l'autre, par ce problème. Mais là aussi, l'ambiguïté de vos termes m'a gênée, comme «l'aide à la décision» qui peut être comprise comme des conseils en vue d'une décision, ce qui lui fait perdre tout sens objectif.

C'est pour cela que notre groupe propose des amendements à cette motion. S'ils étaient acceptés, nous pourrions alors tous voter votre motion haut la main !

M. Michel Halpérin (L). Vous me pardonnerez peut-être de retenir encore quelques minutes votre attention sur ce projet de loi et le projet de motion qui l'accompagne. Je crois que ces temps-ci nous avons des débats d'une importance rare au sein de ce Grand Conseil. Celui d'aujourd'hui s'inscrit dans une perspective qui transcende assez largement les questions matérielles, économiques ou éducatives, que nous avons habituellement à traiter. Nous sommes en train, et le débat de ce soir le montre bien, de toucher aux domaines de la philosophie et, pourquoi pas, de la théologie, donc de placer la cible très haut, en termes de référence et de réflexion.

Il me semble que le débat que nous avons entamé est consacré tout entier à une seule question que j'oserais résumer en disant : qu'est-ce un homme, au sens de l'être humain ? Pour répondre à cette question, on peut commencer par rappeler qu'il y a probablement dix mille ans que nos prédécesseurs se la posent, en y apportant difficilement, génération après génération, un essai de réponse. Cela a été l'effort des philosophes et des théologiens depuis la nuit des temps. Je me souviens, par exemple, qu'au XVIIIe siècle, au moment où les encyclopédistes de Diderot commençaient leur travail, s'est développée, au grand dam de l'époque, la théorie mécaniste du corps humain présenté, par certains, comme une sorte d'usine composée d'éléments et d'organes assez indépendants les uns des autres, et dont la globalité faisait l'homme. A partir de cette idée sont nées d'autres idées - notamment sur l'existence ou l'inexistence de l'âme humaine - qui ne sont pas dépourvues d'intérêt parce que, pour ceux qui se sont penchés sur cette partie de notre histoire des idées, savoir si nous avions une âme, si elle était logée dans le corps plutôt que dans le cerveau ou dans les nerfs ou dans tel ou tel autre organe, n'étaient pas des questions aussi insolites qu'elles peuvent apparaître aujourd'hui. Je n'ai pas la prétention, bien sûr, d'y répondre, mais il me semble qu'à certains égards le projet de loi, lui, fait cet effort de réponse. Que nous dit-il en substance ?

Il nous dit d'abord que le fait de consentir, par présomption, suppose que nous admettons l'idée que ces organes, dont nous sommes prêts à faire le don par consentement présumé, sont indépendants les uns des autres et que, par conséquent, la théorie mécaniste commence à l'emporter, explicitement, sur les autres. Il me semble aussi que d'un point de vue philosophique le fait de dire que le silence est assimilable à un consentement est tout simplement faux. Et nous le savons. Tout à l'heure, M. Froidevaux disait justement que le véritable débat oppose ceux qui donnent explicitement et ceux qui refusent explicitement ou implicitement. Dire, comme l'a fait quelqu'un à l'instant : «Refuser n'est pas se taire et se taire n'est pas refuser», est une contrevérité. D'ailleurs, c'est si vrai que nous achoppons maintenant sur la motion libérale au sujet du droit ou du devoir d'information. Nous ne sommes pas sûrs, et M. Schaller le rappelait tout à l'heure, que notre public soit suffisamment informé pour prendre des décisions explicites. Nous sommes même convaincus du contraire.

Je suis un peu étonné que nous en venions au remède avant même d'avoir pris la mesure du mal. Si nous avions déjà mis la motion en oeuvre, en l'état ou amendée comme le proposait Mme Torracinta-Pache - au fond peu importe ! - si nous avions fait l'exercice, avec échec, d'une large promotion qui n'aurait pas donné ce petit manquement rattrapé sur les organes en défaillance pour combler les attentes de ceux qui les espèrent, alors nous pourrions, peut-être, nous poser la question de savoir s'il faut, en quelque sorte, violenter les silencieux. Et voilà que nous voulons violenter les silencieux avant d'être tout à fait sûrs qu'ils aient été complètement informés et, d'un point de vue moral et philosophique, cela ne convient pas.

Demeure aussi la question non négligeable de savoir si, véritablement, nous pouvons, aujourd'hui, décider que ce qui est impossible, lorsqu'un représentant en aspirateurs, en polices d'assurance ou en encyclopédies vient frapper à notre porte, est possible pour un sujet aussi majeur et complexe que celui dont nous débattons. Notre régime juridique fait qu'on ne peut pas m'obliger à acheter une encyclopédie par consentement présumé; mieux, si j'ai signé mon acte d'achat, j'ai encore cinq jours pour revenir sur ma décision, et voilà qu'en matière de don d'organes j'ai six heures pour dire non ! Et six heures dans des conditions où le système du refus présumé signifie culpabiliser celui qui va refuser, parce que le consentement présumé c'est la possibilité de dire oui avec la générosité que cela implique. Le consentement présumé, lui, c'est la nécessité pour celui qui refuse d'éprouver le fardeau de culpabilité de dire non là où il pourrait sauver une vie. C'est un choix douloureux pour celui qui refuse le don et pour celui qui en bénéficierait dans de telles conditions. Suis-je prêt à survivre au dépit de la volonté de l'autre, avec son coeur ou son rein ? Je n'en suis pas du tout convaincu.

Je voudrais ajouter à cette réflexion que mon information personnelle a été suffisante, puisque passant dans une pharmacie, il y a trois ou quatre ans, j'ai vu ces cartes de Transplant. J'en ai pris une, je l'ai signée, j'en ai parlé à ma famille. Mes enfants ont accepté cette idée avec un tel enthousiasme qu'ils se sont procuré des cartes à leur tour. Cela me convient donc, mais il ne me conviendrait pas du tout, si un de mes enfants - Dieu m'en préserve - avait un accident mortel, que l'on puisse procéder à un prélèvement contre sa volonté et en violant la mienne.

Il n'y a pas que le problème idéologique de savoir si nous pouvons aujourd'hui, à l'occasion de ce projet de loi, décider d'une collectivisation de nos corps, car c'est tout de même de cela qu'il s'agit. Je vous rappelle l'exemple atroce, mais révélateur, qu'en Chine, après les exécutions publiques qui ont lieu à des dates fixes - les gens sont condamnés à recevoir une balle dans la nuque - les receveurs et leurs familles se pressent à proximité pour bénéficier des organes que l'on va prélever sur ces morts récents. C'est insoutenable, mais cela se passe, chaque 1er mai, dans les environs de Shanghai et de Canton. Je crois qu'il faut que nous y réfléchissions, parce que c'est aussi une incitation à nous demander, et le rapporteur de majorité l'a fait avec délicatesse tout à l'heure, jusqu'où nous voulons aller.

Si nous voulons répondre à la question initiale «Qu'est-ce une femme, qu'est-ce un homme», la seule réponse historique, à peu près satisfaisante, est qu'ils sont un avatar, dans l'ordre des mammifères, qui a commencé le jour où un individu, dont on ne sait pas grand-chose, a éprouvé le besoin de donner une sépulture à son prochain, c'est-à-dire à transformer en acte d'humanité la prise de conscience du respect dû aux morts. C'est l'acte fondateur de notre civilisation et, pour ma part, je ne peux pas accepter aujourd'hui que par un vote, animé de bonnes intentions, ce soit tout ce mécanisme initiateur de la civilisation dont nous nous réclamons qui soit mis à néant, parce que nous n'avons pas assez philosophé et un peu trop polémiqué.

M. David Hiler (Ve). La seule contrainte que j'admettrais, dans ce domaine précis, serait que l'on oblige chacun d'entre nous à exprimer son libre arbitre. C'est la solution américaine du permis de conduire et qui, chez nous, devrait plutôt l'être sous la forme de papiers officiels, émanant de la chancellerie, portant l'inscription de son choix de son vivant.

On a le droit de demander aux gens d'exprimer ce choix, et je n'ai toujours pas bien compris pourquoi une telle démarche n'a pas été prise en considération et pourquoi l'on préfère, toujours et encore, ce consentement présumé.

Pour ma part, je ne puis souscrire à ce consentement présumé, mais je tenais à dire - et je voterai donc non - en réponse à certains discours faits sur les bancs libéraux que certaines contraintes sont supportables. Il serait possible de demander à chaque individu, lorsqu'il a besoin d'un papier d'identité, de faire inscrire sa volonté d'être donneur ou pas, en lui réservant la liberté, en tout temps, de revenir sur sa décision. Je crois que nous pouvons faire cela.

C'est parce que je n'ai pas l'impression que cette formule ait été étudiée par la commission, vu sa composition relativement technocratique - excusez-moi de le dire - que je voterai non sur ce point précis.

M. Guy-Olivier Segond, président du Conseil d'Etat. J'aimerais tout d'abord remercier la commission de la santé d'avoir traité cette question de manière attentive et sensible, en abordant tous les aspects de la transplantation d'organes. Je me joins aux félicitations et remerciements qui sont allés à M. Godinat, son excellent rapport expliquant, de manière claire et convaincante, la solution retenue par la commission de la santé.

Ce projet de loi traite de la question délicate des transplantations qui vient d'ailleurs de faire l'objet de décisions prises par le Parlement fédéral. Il marque le passage du consentement explicite au consentement présumé, car nous avons, Monsieur Hiler, tenté d'autres démarches, y compris celle du permis de conduire qui a systématiquement été refusée et par le Conseil fédéral, et par les organes intercantonaux chargés de la gestion de la question du permis de conduire.

Sur le plan des principes, ce passage du consentement explicite au consentement présumé est important : il met l'accent sur la solidarité sociale et sur la solidarité humaine. En outre, il rappelle, à sa façon, que les circonstances tragiques, qui ont conduit à la mort du défunt, peuvent, dans certaines conditions, avoir néanmoins une conséquence heureuse, celle de permettre, par une transplantation d'organe, de sauver une autre vie.

Sur le plan pratique, je désire rappeler, notamment à Mme Polla, que l'entourage du défunt continuera à être consulté sur la position qu'il entend prendre. Il n'y a qu'un seul changement, d'importance il est vrai : aujourd'hui, dans le système du consentement explicite, la famille et l'entourage doivent dire qu'ils acceptent le don d'organes. Demain, dans le système du consentement présumé, ils seront toujours consultés, mais, au lieu de dire oui, ils devront dire : «Non, nous refusons le don d'organes.» Il n'y a donc pas de don automatique. Dans les deux cas, la famille est consultée pour faire part de sa position. Simplement, la question posée est différente, la réponse attendue aussi.

Les amendements proposés par M. Grobet précisent les modalités d'application de la loi. Je les accepte au nom du Conseil d'Etat. Pour le reste, je vous invite à accepter le projet de loi tel qu'il est ressorti des travaux de la commission, amendé selon les propositions de rédaction de M. Grobet. Ainsi rejoindrez-vous, Mesdames et Messieurs, les Etats occidentaux qui ont choisi le principe du consentement présumé.

PL 7403-A

Mis aux voix, ce projet est adopté en premier débat.

Deuxième débat

Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que l'article 1.

Article 2

Le président. A l'article 2, alinéa 1, M. Grobet présente l'amendement suivant :

«1Les prélèvements en vue de transplantation et la transplantation d'organes en provenance d'êtres vivants ou de cadavres humains se déroulent dans les établissement médicaux agréés par le Conseil d'Etat qui satisfont aux exigences des organismes faîtiers suisses tant de la transplantation que de l'éthique médicale.»

M. Michel Halpérin (L). A propos de l'article 2, j'ai lu attentivement le rapport et n'ai pas compris du tout le troisième alinéa ainsi libellé : «Dans les établissements publics médicaux, ils se déroulent dans les divisions communes.» On m'a dit que c'était pour être en accord avec les exigences d'éthique de Transplant ou d'autres organismes faîtiers. Je ne vois pas le rapport. Je peux comprendre que l'on souhaite qu'il n'y ait pas de commerce, comme stipulé par l'article premier, et que l'on ait des établissements agréés, au sens de l'alinéa premier de l'article 2, amendé ou non selon les idées qui ont été développées tout à l'heure par M. Grobet. Je comprends que le médecin cantonal exerce le contrôle et la surveillance, mais je ne vois pas pourquoi c'est nécessairement en divisions communes, plutôt qu'en divisions privées, que ces opérations devraient être faites. Je ne vois pas en quoi cela crée une inégalité et, si inégalité il y a, ne serait-elle pas celle, courante en matière de santé publique, de la classe d'assurance dont bénéficient les patients ?

M. Pierre Froidevaux (R). Le premier amendement présenté par l'Alliance de gauche ne pose aucun problème. Au contraire, il améliore les mesures de contrôle d'activités médicales liées aux greffes, puisqu'il nomme le Conseil d'Etat comme autorité compétente en la matière, selon l'évolution tant des techniques que des hommes.

Si cet amendement est parfaitement acceptable, je me dois de rendre attentif notre Grand Conseil à l'ensemble de l'article 2, à la mesure de ce que M. Halpérin vient d'exprimer.

Cet article 2 consacre, par le souverain, une situation de fait qui aurait pu aussi être résolue par voie réglementaire. Il est donc inquiétant que notre exécutif ait besoin de notre soutien pour éviter tout dérapage à l'avenir.

Après analyse de la situation, je crains que la perception de notre exécutif ne soit des plus correctes. Il y a lieu de rappeler les difficultés grandissantes que rencontre notre hôpital universitaire à rester universitaire. Cela devient une singularité mondiale que d'avoir un hôpital universitaire, assurant tous les services et tous les développements médico-chirurgicaux, pour quatre cent mille habitants seulement. Plus cette situation perdure, plus il devient difficile de trouver des professeurs qui veulent bien enseigner dans une université qui peine à publier des résultats de valeur internationale, en raison du faible recrutement des patients.

A l'avenir, les intérêts d'enseignement pourraient être remplacés par des objectifs moins «sains», raison pour laquelle je vous recommande de légiférer. Je ne terminerai pas sur ce sujet très délicat sans rappeler la volonté sans faille du chef du département qui a engagé tous les moyens dont il disposait pour améliorer la situation. Son militantisme pour une Suisse plus ouverte rendra à Genève son vrai destin d'influence, une ouverture maximale de l'hôpital sur le secteur privé et, maintenant, une collaboration très active avec les hôpitaux universitaires vaudois.

M. Christian Grobet (AdG). L'amendement, présenté par l'Alliance de gauche, ne concerne que le premier alinéa de l'article 2. Il est fort modeste puisqu'il consiste seulement à ajouter un adjectif après «établissements médicaux», signifiant qu'ils doivent être agréés au préalable.

Je n'ai pas dit, Monsieur Froidevaux, qu'ils devraient l'être forcément par le Conseil d'Etat, tout en supposant que tel sera le cas. On pourrait imaginer que ce soit le département de la santé publique...

Le président. Vous avez mentionné le Conseil d'Etat dans votre amendement.

M. Christian Grobet. Ah bon... Merci de me l'avoir rappelé, Monsieur le président ! Je ne me souvenais pas de cette précision. Effectivement, c'est plus logique que ce soit le Conseil d'Etat, puisque c'est lui qui, d'ordinaire, agrée les établissements médicaux, et c'est pour cette raison qu'il a été cité dans l'amendement.

Les autres problèmes soulevés par M. Halpérin n'ont, eux, rien à voir avec mon amendement. Que les choses soient claires, mon cher collègue ! Il appartient à d'autres d'expliquer le pourquoi des prélèvements en divisions communes, quoique l'on puisse, dans le contexte actuel, en comprendre la raison.

M. Gilles Godinat (AdG), rapporteur. Pour répondre à la question essentielle de M. Halpérin, à savoir pourquoi nous proposons de maintenir les transplantations en divisions communes, je dirai que cela est lié au problème des gains accessoires des professeurs et au fait que le registre des donneurs doit être strictement respecté.

Or nous savons d'expérience, malheureusement, qu'il n'est pas toujours respecté. Malgré toute la considération que je porte à nos éminents professeurs, j'affirme que certains se sont permis de changer les programmes opératoires pour faire passer leurs intérêts privés avant les intérêts généraux publics de la population.

C'est cet apanage des professeurs d'avoir une pratique privée dans les hôpitaux publics qui pose problème. On est donc obligé d'établir des règles pour éviter les dérapages.

M. Michel Halpérin (L). Je remercie M. le député Godinat de ses précisions. J'avais écouté attentivement M. Froidevaux qui a essayé de me répondre, mais cela me paraissait moins clair.

Permettez-moi une observation, Monsieur Godinat. Il me semble que l'alinéa 3 concerne moins les praticiens qui professent que les pensionnaires de l'hôpital qui sont, eux, logés en fonction de la prime d'assurance qu'ils paient ou du choix qu'ils effectuent. C'est une question d'hôtellerie, et non de médecine, que d'être en première, deuxième ou troisième division. En revanche, les salles d'opération sont ce qu'elles sont. Que l'opérateur ne puisse pas tricher avec le tournus, cela me paraît tout à fait sain. Par contre, je ne vois pas pourquoi l'on viendrait ici modifier le cours des rapports que les patients peuvent entretenir soit avec l'hôpital, soit avec leurs assureurs. Dès lors, je proposerais que nous amendions cet alinéa 3 en précisant simplement :

«Le tournus doit être respecté dans les établissements publics médicaux.»

Il n'est nul besoin de statuer sur la catégorie d'hospitalisation ou de pension hospitalière dans laquelle on se trouve, me semble-t-il.

M. Guy-Olivier Segond, président du Conseil d'Etat. Cette règle de la transplantation dans les divisions communes des établissements publics est la règle de l'ensemble des hôpitaux universitaires suisses. Elle est implicite ou elle figure soit dans des règlements, soit dans des lois.

La seule exception à ce dispositif est l'hôpital cantonal universitaire de Genève qui a accepté, ces dernières années, d'avoir des transplantations dans les divisions privées, génératrices d'honoraires privés, génératrices aussi des dysfonctionnements évoqués par M. Godinat et explicités dans le rapport Bernheim rendu à la suite de toute une série de circonstances qui avaient entraîné la démission du président du collège des chefs de service.

C'est pourquoi ce problème, réglé de façon générale dans l'ensemble de la Suisse, sauf à Genève, a été porté à la connaissance de la commission. Cette dernière a décidé, avec l'accord du Conseil d'Etat, d'introduire cet alinéa 3 qui d'ailleurs était, à l'époque, une proposition de loi du Conseil d'Etat, pour enlever toute coloration d'honoraires à ce qui doit rester un don, y compris dans la prestation faite par le corps médical et le corps soignant.

Le président. Nous nous prononçons sur l'amendement suivant :

«1Les prélèvements en vue de transplantation et la transplantation d'organes en provenance d'êtres vivants ou de cadavres humains se déroulent dans les établissement médicaux agréés par le Conseil d'Etat qui satisfont aux exigences des organismes faîtiers suisses tant de la transplantation que de l'éthique médicale.»

Mis aux voix, cet amendement est adopté.

Le président. Monsieur le député Halpérin, avez-vous quelque chose à ajouter ?

M. Michel Halpérin (L). Monsieur le président, de lumière en lumière, je finirai par y voir clair. Je crois que l'on n'a pas répondu à la question du droit de ceux qui le souhaitent, et qui sont des citoyens et pas des médecins, à être logés dans un type de chambre d'hôpital plutôt que dans un autre. Il me semble que cet article parle aussi de cela.

Si votre réponse, Monsieur le chef du département, signifie que l'opération est une chose et qu'elle se déroule sous les auspices des divisions communes, mais qu'elle n'affecte pas le droit de chacun, selon son voeu et sa catégorie d'assurance, à être logé plutôt dans une division hospitalière que dans une autre, je retire mon amendement.

En revanche, si le fait d'être opéré en division commune signifie que l'on vous loge nécessairement à la même enseigne, je ne vois pas le rapport entre une chose et l'autre. Dans ce cas, je persisterai dans mon amendement.

Alors, je vous prie, encore un petit effort et j'en saurai assez !

Le Le président. Monsieur le président du Conseil d'Etat, êtes-vous prêt à faire cet effort ?

M. Guy-Olivier Segond, président du Conseil d'Etat. Je suis prêt à faire tous les efforts nécessaires pour convaincre M. Halpérin, mais s'il demeure dans son sentiment, la majorité tranchera.

Je vous invite aussi à accepter le projet pour une question relative aux soins : une transplantation est une opération extrêmement complexe. Son suivi, le réglage biologique des défenses immunitaires qui ont tendance à attaquer le greffon, les médications qui doivent préserver l'organe transplanté, demandent une attention soutenue qui est mieux garantie dans les divisions publiques que dans le secteur privé, qui offre un meilleur confort hôtelier.

Le président. Manifestement satisfait, M. le député Halpérin retire sa proposition d'amendement.

Mis aux voix, l'article 2 ainsi amendé est adopté.

Article 3

Le président. Nous sommes saisis d'une demande d'amendement à l'article 3, alinéa 1, présentée par M. le député Grobet et libellée ainsi :

«1Toute personne peut, de son vivant, s'opposer au prélèvement d'organes ou de tissus sur son corps, après décès. Elle peut faire inscrire son opposition dans un registre accessible à chaque établissement agréé. L'absence d'inscription ne constitue par une présomption d'accord à un prélèvement d'organes.»

Mme Janine Hagmann (L). Le mot «délicat», à propos de l'article 3 du PL 7403, a été utilisé par tous les intervenants. C'est la preuve que nous sommes en face, ce soir, d'un problème qui nous concerne tous, soit en termes de receveur, soit en termes de donneur, et nous imaginons mal l'un de nos proches en attente d'un don qui n'arriverait pas.

Je répète donc ce qui a été dit par tous les intervenants de mon groupe : il faut des donneurs !

Madame Torracinta, vous avez parlé d'acte légitime. Est-ce vraiment à la communauté de décider pour l'individu ? A l'Etat de choisir ?

Si une loi imposait demain, faute de place dans les cimetières, l'incinération obligatoire pour tous et l'enterrement interdit, comment réagiriez-vous ? La mort fait partie de l'intimité de l'être humain. Il me paraît moralement difficile d'admettre que : «Qui ne dit mot consent». Il s'agit d'une affaire qui ne relève pas de la raison, mais qui met en jeu des réactions affectives et philosophiques.

Le principe de solidarité, souvent prêché en théorie, doit trouver une application pratique, et, par conséquent, le don doit avoir lieu. Mais le texte de loi a ceci de gênant qu'il entend répondre à la place des personnes concernées par un don devenu automatique.

L'amendement proposé par M. Grobet ne modifie pas l'idée du consentement présumé. C'est pourquoi, à titre personnel, je ne puis accepter ni cet amendement ni cet article.

M. Dominique Hausser (S). Je vous remercie, Monsieur le président, d'avoir enfin vu ma main s'agiter !

La version finale de l'amendement de M. Grobet illustre un long débat qui tourne autour de la nécessité ou pas d'un registre.

Les mots : «Elle peut faire inscrire son opposition dans un registre» suivis de : «L'absence d'inscription ne constitue pas une présomption d'accord à un prélèvement d'organes» mettent en évidence la difficulté d'établir un registre fiable et utilisable. Il me semble que la proposition de M. Grobet ne change, en fait, rien à l'alinéa tel qu'il est ressorti de la commission, si ce n'est qu'il précise, dans la loi, qu'un registre serait une bonne chose.

M. Christian Grobet (AdG). Je n'ai pas compris si M. Hausser était d'accord ou pas avec mon amendement. Dès lors, mon intervention est peut-être inutile.

On ne peut pas tenir un double langage en disant, dans cette enceinte, qu'il y aura un registre pour prendre acte des oppositions, ce qui est normal, et ne pas l'instituer, car à défaut l'alinéa 1 de l'article 3 ne trouvera aucune application concrète. Il deviendra un article en forme de proclamation pour nous donner bonne conscience. En effet, si quelqu'un, de son vivant, entend s'opposer à un prélèvement d'organes, il faut pouvoir en prendre acte, sinon ledit alinéa n'a pas d'application concrète.

Tout le monde, je crois, est d'accord avec le principe du registre. Par conséquent, il doit figurer dans la loi. Il ne faut pas se contenter d'un flou à cet égard.

Le but de l'amendement est de faire apparaître qu'il y aura un registre où l'on pourra faire inscrire son opposition. Le docteur Froidevaux m'a fait remarquer, fort justement, qu'il ne faudrait pas que l'absence d'inscription d'une opposition au registre soit interprétée comme un accord tacite au prélèvement, puisque l'alinéa suivant stipule que la famille peut s'opposer même sans inscription antérieure au registre.

Avec les précisions que je viens de donner, la portée de mon amendement est claire et devrait rassurer les personnes qui s'inquiètent de la non mise en place de ces prescriptions minimales.

Cela dit, Monsieur le président, si l'amendement de l'alinéa 1 est voté, il faudra modifier le début de l'alinéa 2 : «Si tel n'est pas le cas», pour le rendre compréhensible. (Interruption de M. Guy-Olivier Segond, président du Conseil d'Etat.) Je vois, Monsieur le président du Conseil d'Etat, que vous êtes toujours aussi rapide et de bon conseil. Je me rallie à votre proposition.

Le président. Quelle est votre proposition, Monsieur Grobet ?

M. Christian Grobet. Très modestement, je me ralliais à celle du président du Conseil d'Etat, c'est-à-dire qu'à l'alinéa 2, et pour autant que mon amendement à l'alinéa 1 soit voté, on enlève les mots :

«2Si tel n'est pas le cas».

M. Michel Halpérin (L). La proposition d'amendement de M. Grobet est probablement la meilleure illustration concrète du problème auquel nous sommes confrontés. Si je veux être un donneur, j'ai une carte, je peux la montrer, on la trouve. Si je veux refuser de donner, je ne vais évidemment pas demander une carte de refus. Je n'ai donc rien sur moi, le jour où je suis victime d'un accident, pour prouver le sens dans lequel mes dernières volontés étaient orientées. Il faut soit inventer une carte de refus, soit laisser chacun exprimer - comme il l'entend - son opposition, ce que prévoit le projet de loi. Or le testament est ouvert trois jours plus tard !

La proposition de M. Grobet suppose la création d'un registre. Ainsi, les gens qui ne veulent pas faire une démarche simple chez leur pharmacien en prenant une carte à disposition sur le comptoir devront accomplir un acte complètement incroyable en se rendant dans un office de l'Etat pour y faire consigner leur refus, avec la part d'humiliation que cette attitude affichée comporte.

On ne peut donc pas accepter cette idée de registre, car rien dans l'amendement ne permet d'assurer que la protection des données sera efficace. Si nous avons un registre public de ceux qui refusent, il deviendra, un jour, celui des égoïsmes. Et cela me paraît incroyablement pervers à l'endroit de ceux qui auraient encore une opinion individuelle au sujet du devenir de leur propre corps. Je ne voterai donc pas l'article, mais je ne voterai pas non plus l'amendement de M. Grobet.

M. Christian Grobet (AdG). J'avoue ne pas comprendre l'argumentation de M. Halpérin, malgré sa dialectique extrêmement brillante. Vous avez dit, auparavant, que celui qui refusait un prélèvement d'organe sur son corps devrait pouvoir exprimer son opposition. Pourquoi s'opposer, dès lors, à une proposition qui offre cette possibilité ? Le Conseil d'Etat, dans sa grande sagesse, trouvera la formule la plus simple pour qu'un refus soit inscrit dans ce registre. Il ne faut tout de même pas se rendre chez un notaire pour authentifier sa signature, de grâce !

On peut trouver un système fort simple, et la mise en place d'un tel registre est d'ailleurs prévue dans la motion de votre groupe, Monsieur Halpérin, mais il est vrai que vous n'en êtes pas cosignataire, et on n'a pas cessé de répéter, dans cette enceinte, qu'un tel registre serait institué. La possibilité est ainsi offerte, à ceux qui attachent une réelle importance à cette question, de s'assurer que leur volonté sera clairement respectée. Et c'est un avantage non négligeable pour ceux qui s'opposent à ces transplantations.

Le président. Nous allons voter sur la proposition d'amendement.

M. Guy-Olivier Segond, président du Conseil d'Etat. On peut mettre MM. Grobet et Halpérin d'accord si l'on rédige le texte de la manière suivante :

«...peut faire inscrire son opposition dans un registre. Seul le corps médical d'un établissement agréé peut y avoir accès.»

Cela donne la garantie de secret recherchée par M. Halpérin.

Le président. Avez-vous rédigé cette proposition ?

M. Guy-Olivier Segond, président du Conseil d'Etat. Oui, elle arrive !

Le président. Manifestement, nous assistons en ce moment à un débat de commission. (Brouhaha.) La proposition d'amendement est donc la suivante :

«1Toute personne peut, de son vivant, s'opposer au prélèvement d'organes ou de tissus sur son corps, après décès. Elle peut faire inscrire son opposition dans un registre. Seul le corps médical d'un établissement agréé peut y avoir accès. L'absence d'inscription ne constitue pas une présomption d'accord à un prélèvement d'organes.»

Le président. Est-ce clair pour tout le monde ? Nous votons sur cette proposition d'amendement.

Mis aux voix, cet amendement est adopté.

Le président. Nous passons à l'alinéa 2 de article 3. L'amendement proposé consiste à supprimer :

«2Si tel n'est pas le cas, ... »

Mis aux voix, cet amendement est adopté.

Mis aux voix, l'article 3 ainsi amendé est adopté, de même que l'article 4.

Article 5 (nouveau)

Le président. M. Grobet propose d'ajouter un article 5 (nouveau), dont la teneur est la suivante :

«Le Conseil d'Etat édicte le règlement d'application de la présente loi. »

L'article 5 (souligné) devient l'article 6 (souligné).

Mis aux voix, cet amendement est adopté.

Mis aux voix, l'article 5 ainsi amendé est adopté, de même que l'article 6 (souligné) (ancien article 5 souligné).

Troisième débat

Ce projet est adopté en troisième débat, par article et dans son ensemble.

La loi est ainsi conçue :

(PL 7403)

LOI

sur les prélèvements et les transplantations d'organes et de tissus

(K 1 19,5)

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

Article 1

Interdiction

Le commerce d'organes et de tissus humains est interdit.

Art. 2

Etablissements agréés

1 Les prélèvements en vue de transplantation et la transplantation d'organes en provenance d'êtres vivants ou de cadavres humains se déroulent dans les établissements médicaux agréés par le Conseil d'Etat qui satisfont aux exigences des organismes faîtiers suisses tant de la transplantation que de l'éthique médicale.

2 Le médecin cantonal exerce le contrôle et la surveillance dans le secteur privé.

3 Dans les établissements publics médicaux, ils se déroulent dans les divisions communes.

Art. 3

Consentement présumé

1 Toute personne peut, de son vivant, s'opposer au prélèvement d'organes ou de tissus sur son corps, après décès. Elle peut faire inscrire son opposition dans un registre. Seul le corps médical d'un établissement agréé peut y avoir accès. L'absence d'inscription ne constitue pas une présomption d'accord à un prélèvement d'organes.

2 Les proches du défunt peuvent s'opposer à un tel prélèvement dans les six heures qui suivent le décès. La mort se détermine selon les dernières directives de l'Académie suisse des sciences médicales en la matière.

3 La présente disposition s'applique en cas de décès de toute personne ayant son domicile légal dans le canton au moment de sa mort. A défaut, la législation du lieu de domicile du défunt s'applique.

Art. 4

Contraventions

Les contrevenants aux dispositions de la présente loi sont passibles des peines de police.

Art. 5 (nouveau)

Le Conseil d'Etat édicte le règlement d'application de la présente loi.

Art. 6

Modification à une autre loi

  (K 1 19)

La loi concernant la constatation des décès et les interventions sur les cadavres humains, du 16 septembre 1988, est modifiée comme suit:

CHAPITRE V (abrogé)

Prélèvements d'organes et de tissus (abrogé)

Art. 14 (abrogé)

M 1043

M. Andreas Saurer (Ve). Je pense que l'objectif de cette motion est parfaitement louable. Qui pourrait être contre l'information ? Cela étant dit, il ne faut pas croire qu'il suffit de donner une information un tout petit peu plus poussée pour que tous les indécis et ceux qui n'y ont pas réfléchi jusqu'à maintenant soient d'accord de devenir des donneurs d'organes, de prendre une carte, etc. Pour preuve, moi-même. Pendant longtemps, je n'ai pas eu de carte de donneur, malgré le fait que nous discutions ce problème à la commission de la santé. J'en ai une, maintenant. Il s'agit d'un problème extrêmement délicat, difficile, et il n'est pas facile de penser, à notre âge, au décès, plus particulièrement encore à notre propre décès.

Ne croyons pas qu'il suffise de faire des campagnes de presse, de télévision, pour que toutes les personnes qui, en soi, seraient d'accord, aillent chercher cette carte ! Le processus est extrêmement compliqué. S'il est certainement utile d'améliorer l'information, ne croyons pas que ça suffise, ou que l'information changera la situation de fond ! Souvent ce sont des décisions prises en famille, ou dans des discussions à deux ou à trois personnes dans de petits groupes; c'est dans ce genre de situation que des personnes sont d'accord de faire ce choix.

Mais ne croyons pas que, dans ce cas particulier, qui soulève un problème extrêmement complexe, la simple information générale puisse changer l'attitude de la population ! Je suis d'accord d'entrer en matière sur cette motion, mais je souhaite soutenir les amendements qui ont été présentés, je crois, par le parti socialiste. Cela me semble d'autant plus indispensable, que sans les amendements cette motion entre en contradiction si ce n'est pas avec la loi en tant que telle, du moins avec l'esprit de la loi.

M. Michel Halpérin (L). Le vote sur le projet de loi étant intervenu, la motion pourrait n'avoir qu'un intérêt strictement académique. J'observe que les propositions d'amendement de Mme Torracinta-Pache portent sur les deuxième et troisième considérants, et je vois que nous pourrions tomber d'accord sur leur abandon. Ils ont moins de raison d'être, maintenant que la loi est votée, qu'ils n'en avaient avant le vote de la loi.

Les motionnaires, en revanche, ne peuvent pas accepter l'annulation des trois invites du haut de la page 2 qui sont d'une importance capitale, et je vous dirai pourquoi en un mot. J'espère encore qu'avec l'adoption de ce projet de motion, tel qu'il est dans ses invites - et si ce projet de motion adopté avec ses invites est suivi d'une mise en oeuvre diligente par le Conseil d'Etat - la politique d'information active qui en résulterait, permettrait à ce projet de loi, qui tout de même nous posera des problèmes de conscience jusqu'à la fin des temps, de rester un peu lettre morte, comme le suggérait tout à l'heure l'un des intervenants, à propos de la situation dans le canton de Vaud.

Si nous nous engageons aujourd'hui, d'une manière résolue, dans une politique d'information ferme, et si un certain nombre de dons volontaires se manifestent, nous aurons bien mieux atteint nos objectifs, que si nous devons arracher - et j'emploie ce terme à dessein - des consentements dont nous savons qu'ils n'en sont pas vraiment. Voilà pourquoi je vous demande d'adopter la motion sans rien modifier à ses invites, même si vous voulez amender ses deux considérants intermédiaires. Lorsque cette motion aura été votée, je demande au Conseil d'Etat de s'engager avec ardeur dans une politique d'information digne de ce nom car, jusqu'à présent, je n'ai pas le sentiment que cela ait été le cas.

Mme Claire Torracinta-Pache (S). Je prends acte du fait que le groupe libéral serait d'accord de retirer les considérants que je m'étais permis de remettre en cause. Je le rends quand même attentif au sujet des invites, et de la deuxième partie de la première invite en particulier. Je me suis expliquée, je n'y reviens pas. Elle ne me convient pas, mais je ne veux pas refaire une discussion de fond. Si le Conseil d'Etat met en route un véritable système d'information, il va forcément se donner les moyens pour le faire et dégager des fonds. Cette invite-là est inutile. Quant au système informatique, il me paraît très compliqué. Il me semble que l'amendement de M. Grobet, instaurant un registre où serait inscrite la volonté des gens opposés au prélèvement de leurs organes, répond en partie à cette invite. Je maintiens donc la proposition de la motion amendée, telle que je vous l'ai proposée tout à l'heure.

Le président. Par mesure de clarté, nous allons nous prononcer d'abord sur la proposition d'amendement visant à supprimer les deuxième et troisième considérants.

Mis aux voix, cet amendement est adopté.

Le président. Nous votons maintenant sur la proposition d'amendement qui consiste à supprimer la deuxième phrase de la première invite, depuis :

«...cette information est conçue comme une aide à la décision;...»

et à supprimer les trois dernières invites.

Le résultat est douteux.

Il est procédé au vote par assis et levé.

Le sautier compte les suffrages.

Cet amendement est rejeté par 42 non contre 33 oui.

Le président. Nous votons maintenant sur l'ensemble de la motion ainsi amendée.

Mise aux voix, cette motion ainsi amendée est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

motion

concernant l'information relative au don d'organe

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- que la nécessité d'augmenter la disponibilité d'organes à transplanter est manifeste;

- que la meilleure information est indispensable à la prise de décision dans un domaine aussi sensible,

invite le Conseil d'Etat à

- mettre en place un système d'information destiné aux donneurs potentiels, aux receveurs et aux soignants, permettant d'optimaliser les prises de décisions des sujets, de leurs proches, et du personnel soignant; cette information est conçue comme une aide à la décision; elle tient également compte du fait que le don d'organe est un geste exceptionnel de solidarité sociale et d'altruisme et s'attache à la valorisation de ce don;

- dégager les fonds nécessaires à une telle information (régulière, efficace, objective et contrôlable);

- examiner les moyens de contrôler l'efficacité de l'information donnée;

- envisager la mise en place d'un système informatique permettant de prendre en compte la volonté des donneurs et des non-donneurs dans le plus strict respect de la protection des données.

PL 7230-A et PL 7237-A

Le Grand Conseil prend acte du retrait de ces projets de lois. 

La séance est levée à 20 h 10.