République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 12905-A
Rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le projet de loi de Sandro Pistis, François Baertschi, Ana Roch, Patrick Dimier, André Python, Florian Gander, Thierry Cerutti, Daniel Sormanni, Francisco Valentin, Françoise Sapin, Christian Flury modifiant la loi sur l'organisation judiciaire (LOJ) (E 2 05) (Pour une justice qui ne soit pas soupçonnée de corruption !)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session III des 31 août et 1er septembre 2023.
Rapport de majorité de M. Charles Poncet (UDC)
Rapport de première minorité de M. Sandro Pistis (MCG)
Rapport de deuxième minorité de M. Murat-Julian Alder (PLR)

Premier débat

La présidente. Nous passons au PL-12905-A, que nous traitons en catégorie II, quarante minutes. Le rapport de majorité de M. Charles Poncet est repris par M. Yves Nidegger, à qui je donne la parole pour quatre minutes.

M. Yves Nidegger (UDC), rapporteur de majorité ad interim. Merci, Madame la présidente. Le rapport de Charles Poncet se lit très bien; je vais néanmoins vous en parler. La majorité n'a pas voulu entrer en matière sur ce projet, par 10 voix contre 5. Chaque fois qu'une loi demande à être changée, on se pose la question de savoir s'il y a un besoin de légiférer ou pas. Le sous-titre - «Pour une justice qui ne soit pas soupçonnée de corruption !» - disant tout, la seule question qui a intéressé la majorité a été de déterminer si la justice suisse est soupçonnée de corruption. La réponse est non: ce n'est pas du tout l'image qu'ont les justices suisse et genevoise. Par conséquent, s'il n'y a pas de besoin de légiférer, il n'y a pas besoin de légiférer. C'est relativement simple: «Pas de palais... pas de palais», comme le dit une célèbre réplique de film.

La question que pose la pratique est de savoir si c'est une bonne ou une mauvaise idée que les juges remercient par une obole leur parti de les avoir présentés aux élections - car dans les systèmes suisse et genevois, ce sont principalement les partis politiques qui font le travail de négociation, de présentation, de sélection des juges, et un petit peu le syndicat qui les accompagne dans leur carrière lorsqu'ils en ont besoin. Faut-il accepter qu'il y ait une contre-prestation pour cela ou ne le faut-il pas ? Si le PLR considère que ses juges doivent jouir sans entrave de l'intégralité de leur rémunération, grand bien fasse au PLR. Si le parti socialiste, à l'inverse, considère qu'il est sain de racketter ses propres juges pour remplir les caisses du parti, grand bien fasse au parti socialiste. D'ailleurs, si c'était un argument pour que de bons juristes ne deviennent pas adhérents du parti socialiste, maintenir cette pratique serait un bien pour la république ! Je n'y vois donc absolument rien à redire. Du reste, pour une fois que les socialistes ne sont pas d'accord avec une interdiction, il faut le célébrer; il ne faut surtout pas faire ce que fait le PLR, qui se dit: «Si les socialistes ne veulent pas interdire, alors nous, nous allons le faire», oubliant au passage qu'ils étaient autrefois un parti libéral et qu'une société ou une civilisation n'est pas grande par le nombre de ses interdictions, elle a plutôt tendance à être rabougrie par ce nombre, la liberté étant le meilleur moteur jamais inventé sur cette planète pour le progrès, la créativité et le PIB.

La raison d'être de ce projet est fédérale, on en a longuement débattu aux Chambres. J'ai été seize ans à la commission judiciaire, qui fait le même travail. Les deux Chambres ont en effet une commission mixte dont le travail consiste précisément à sélectionner les candidats, comme ça se fait à Genève - mais sans base légale - avec la commission interpartis; on fait exactement la même chose à Berne, mais avec base légale. Il m'a été donné, en tant que membre de cette commission pendant de nombreuses années, de recevoir les représentants du GRECO, qui venaient s'enquérir des recommandations qu'il convenait de faire à la Suisse. Le GRECO, qui s'est choisi comme nom Groupe d'Etats contre la corruption, fonctionne sur la base du système de rapports par les pairs. Tous les deux ou trois ans, lorsque le GRECO fait de nouvelles recommandations, on vient voir comment vous avez mis en oeuvre les recommandations qu'on vous a faites la dernière fois et on vous juge là-dessus. Alors si vous êtes une république d'Asie centrale et que vous avez un peu moins assassiné de juges dans les rues, on vous félicitera et on vous proposera d'aller à l'étape supérieure, qui sera peut-être d'éviter les valises de cash trop fréquentes à l'intérieur des prétoires. Si l'on s'adresse à la Suisse, on prend un microscope, on recherche la corruption et on n'en trouve pas vraiment. Ne l'ayant pas trouvée, on recherche les impressions théoriques de corruption que pourrait donner telle ou telle pratique. La revue par les pairs vous oblige, comme cela est prévu par la loi, à faire chaque fois des recommandations. Donc plus vous êtes haut dans le respect des normes dont il est question, plus les recommandations qu'on doit vous faire seront sévères, et parfois stratosphériquement éloignées des véritables problèmes.

Il se trouve que le GRECO a trouvé choquant qu'en Suisse, les juges viennent de la base, mais cela est inhérent à notre système: nous n'avons pas d'école de la magistrature ni de carrières pilotées par des ministères qui déplacent les juges là où ça leur plaît, ce qui génère pas mal de corruption dans les pays des deux rapporteurs dont le texte a servi de base aux dernières recommandations, soit l'Italie et la France, où l'on déplace des juges là où l'on veut et où le ministère statue sur leurs carrières en fonction du fait qu'ils plaisent ou qu'ils déplaisent à l'Etat. Ce n'est pas le cas en Suisse: on a un système d'élection et de réélection des juges; périodiquement, les juges doivent repasser devant ceux qui les ont élus, à savoir les parlements cantonaux ou le Parlement fédéral, pour se voir dire qu'ils continuent dans la fonction - on ne les «désélit» jamais. Tous ces mécanismes forment un système de «check and balance» du Pouvoir judiciaire, avec, en plus, le souci que ce pouvoir reflète la répartition politique au sein des parlements, parce qu'on pense en Suisse que c'est une bonne chose que toutes les tendances politiques du pays soient représentées, afin qu'il y ait des juges de gauche, mais aussi de droite, du centre ou d'ailleurs, indépendamment du parti au pouvoir - d'ailleurs, on ne connaît pas en Suisse la notion de parti au pouvoir, ce qui tient peut-être aussi à ce système.

Très honnêtement, ces recommandations du GRECO, que certains voudraient absolument reprendre - parce qu'ils adorent le droit international et détestent la souveraineté nationale -, ont conduit à toutes sortes de propositions, dont celles qui ont été faites au niveau fédéral. Pendant les seize ans que j'ai passés au sein de la commission à m'occuper de juges, on a, croyez-moi, trois fois en tout cas, ouvert de grands chantiers pour se demander si le système en Suisse ne devait pas être revu, selon certains pour plaire au GRECO, ou simplement pour l'améliorer. On reconnaît évidemment que ce système n'est pas parfait: il a les inconvénients de ses qualités. Et après avoir débattu de cela pendant longtemps, une fois, deux fois, trois fois, sur les seize ans que j'y ai passés, on est toujours arrivé à la conclusion que, finalement, malgré ses défauts, le système actuel est le moins mauvais possible, compte tenu de ce que nous sommes: des Suisses. C'est la raison pour laquelle la majorité a décidé de ne pas entrer en matière, ce que je vous recommande de faire également.

M. Sandro Pistis (MCG), rapporteur de première minorité. N'en déplaise au rapporteur de majorité, le GRECO est une institution reconnue dont l'objectif est d'améliorer la capacité des Etats membres à prévenir la corruption et à lutter contre elle. N'en déplaise au rapporteur de majorité, la Suisse, comme d'autres pays, est membre du GRECO. Ça, c'est une réalité.

Le GRECO, dans l'un de ses rapports, recommande de supprimer la pratique qui consiste, pour les juges et les procureurs, à verser une partie de leurs revenus aux partis politiques qui ont permis leur élection. Ça, c'est une réalité également.

Vous n'êtes pas sans savoir que les juges et les procureurs ont une coloration politique: sans vous affilier à un parti politique, techniquement, vous ne pouvez pas être juge ou procureur. Vous l'aurez compris, à Genève, la désignation des magistrats est un marché juteux. Et je me réfère à un article publié sur Heidi.news, daté du 20 avril 2021, qui décrit à quel point la ponction qu'opèrent les partis politiques à Genève varie de manière drastique d'un parti à l'autre. Prenons l'exemple du groupe des Verts: ce dernier a 31 juges et procureurs et encaisse 112 000 francs par année. Nous avons Le Centre, avec ses 30 juges et procureurs, qui encaisse 43 000 francs par année. Et reste le parti socialiste, qui encaisse 55 000 francs par année. Vous constaterez donc l'écart entre le groupe des Verts, qui encaisse 112 000 francs par année grâce à ses juges et ses procureurs, et le PS, ou plutôt Le Centre, qui encaisse, lui, 43 000 francs, c'est-à-dire le montant le moins élevé.

Mesdames et Messieurs les députés, cette pratique est archaïque. Dans quel pays peut-on accepter que des juges, que des procureurs versent de l'argent à leur parti politique ? Malgré vos propos, c'est une pratique qui doit être abolie: on doit pouvoir évoluer, et ce dans le bon sens. La commission judiciaire a eu l'occasion d'entendre également les représentants des magistrats et des juges, et les intéressés nous ont clairement indiqué que ça posait un problème s'agissant de la transparence et de la séparation des pouvoirs. Mesdames et Messieurs, le MCG a déposé ce projet de loi visant à supprimer cette pratique selon laquelle des juges, des procureurs paient leur parti politique, ce qui n'est pas acceptable dans un monde démocratique, en Suisse notamment. Merci.

M. Murat-Julian Alder (PLR), rapporteur de deuxième minorité. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, je vais vous demander de ne pas vous laisser aveugler ni étouffer par le nébulogène que le rapporteur de majorité remplaçant a déposé dans cette salle. On cherche à nous enfumer ! Mesdames et Messieurs, l'enjeu ici, c'est l'indépendance des magistrats du Pouvoir judiciaire, et jusqu'à présent, dans le cadre des travaux sur cet objet, personne dans la majorité n'a été capable de nous expliquer en quoi le fait de permettre à des partis politiques de contraindre des magistrats à leur verser une partie de leur rémunération représenterait une plus-value: elle est où, cette plus-value ? Ça sert à quoi ?

C'est quand même très intéressant, on nous parle de beaucoup de choses, mais on ne va pas à l'essentiel. L'essentiel, Mesdames et Messieurs, c'est qu'il y a des partis politiques, dans notre canton comme dans d'autres, et même sur la scène fédérale, qui ont besoin d'argent et qui préfèrent faire passer à la caisse leurs juges que de chercher d'autres solutions pour financer leurs campagnes électorales.

Alors la nuance propre au PLR par rapport à la position du MCG, c'est que nous, nous proposons que les partis politiques puissent demander aux juges, avant qu'ils soient élus, une contribution qui dépasse le cadre du symbolique afin qu'ils participent financièrement aux frais générés par l'élection à laquelle ils ont pu se porter candidats et qu'ils ont remportée. C'est pour cette raison que lors d'une récente plénière, nous avons déposé un amendement en ce sens.

Nous avons également déposé un amendement à la page 18 du rapport, qui porte sur le titre: l'idée est de reprendre la suggestion qui nous avait été faite par le Conseil supérieur de la magistrature. Le projet de loi s'intitule «Pour une justice qui ne soit pas soupçonnée de corruption !», or le CSM nous explique que «le versement d'une contribution ou rétrocession par un magistrat judiciaire ne correspond pas à la définition légale d'un acte corruptif» - ce qui est parfaitement exact -, raison pour laquelle nous vous proposons un amendement sur le titre du projet de loi, qui se lit comme suit: «Pour des juges indépendants des partis politiques».

Voilà, Mesdames et Messieurs, les raisons pour lesquelles le groupe PLR vous invite à voter l'entrée en matière et à soutenir les deux amendements qu'il a déposés. Je vous remercie de votre attention.

Mme Dilara Bayrak (Ve). Je commencerai par dire, Monsieur Nidegger - vous transmettrez, Madame la présidente -, que vous avez un don: vous avez un don, non seulement parce que ceux qui vous écoutent n'ont pas compris de quoi traitait ce projet de loi, mais aussi parce que vous avez confondu la tâche de rapporteur de majorité avec une plateforme qui permet d'attaquer vos adversaires politiques, notamment le parti socialiste. Je tiens à dire que s'il y a de bons juristes dans tous les partis, y compris à l'UDC, c'est bénéfique pour le fonctionnement de la justice. Je me désole donc de la position que vous avez tenue tout à l'heure.

J'en reviens à ce texte. Que propose-t-il ? D'interdire aux juges une quelconque rétribution ou contribution aux partis politiques. Là où ce texte a un réel intérêt, c'est qu'il pose une question fondamentale sur la justice et son indépendance. Est-ce que la justice genevoise, vu que c'est le sujet de ce texte, est indépendante ? Nous avons pu poser cette question aux différents interlocuteurs, vous le verrez dans le rapport. Est-ce qu'il y a un problème quant à l'indépendance de la justice genevoise ? Est-ce que les partis politiques vous donnent une quelconque instruction, comme a pu le faire le groupe UDC ? Je ne reviendrai pas là-dessus, mais à Genève, les juges ne prennent pas d'instructions de la part des partis politiques; aujourd'hui, c'est un fait, tout le monde nous l'a dit, même ceux qui étaient en faveur de ce projet de loi.

Maintenant, là où les Verts voient un intérêt à ce genre de texte, c'est qu'effectivement, il y a un problème qui est celui de la transparence. Si M. Pistis - vous transmettrez, Madame la présidente - a pu citer les rétributions faites à différents partis, c'est parce que ces chiffres sont publics. Et ça, c'est parce que certains partis ont volontairement fait la démarche d'être transparents sur les montants qu'ils reçoivent, quelle qu'en soit la source. Mais ce n'est pas le cas de tous les partis. C'est pourquoi les Verts avaient proposé en commission de trouver un consensus et de travailler ensemble sur un texte qui créerait d'abord une obligation de transparence, pour que tout le monde soit au courant des montants versés par les juges aux différents partis; mais ça ne ressort pas du rapport, et je le regrette. Pour cette raison, ni le texte actuel ni l'amendement ne sont satisfaisants, puisqu'on n'arrive pas réellement à en saisir le contenu. Ils proposent de mettre un terme à un pan de la situation que les auteurs jugent néfaste; en réalité, l'indépendance n'est pas touchée, mais il y a un réel intérêt de transparence.

Je terminerai sur ce point: aujourd'hui, on demande aux partis de choisir les différents membres qui seront présentés à la commission interpartis, qui, ensuite, se retrouveront au Pouvoir judiciaire. Cette façon de fonctionner peut être critiquée, mais on ne peut pas uniquement empêcher la contrepartie de ce fonctionnement, soit la rémunération des personnes, enfin, la contribution des juges aux différents partis pour le travail qui est fourni et la garantie qui est donnée dans la sélection des candidats. Si l'on veut véritablement mener cette réflexion, on doit le faire de manière plus large; c'est explicité par le rapport de majorité de M. Poncet, qui, malheureusement, ne reprend pas tous les propos qui ont été tenus en commission. Mais il faudrait d'abord travailler sur le fonctionnement de la justice en tant que tel ainsi que sur la sélection des candidats, et seulement dans un deuxième temps, nous concentrer sur les questions de rémunération. Ce projet de loi et cet amendement mou ratent donc leur cible, et je vous invite à les refuser. (Applaudissements.)

Mme Masha Alimi (LJS). Quels sont les objectifs que nous voulons atteindre avec ce projet de loi ? Renforcer le recrutement du magistrat et le rendre plus efficace en en améliorant la qualité et l'objectivité.

Le GRECO, créé par le Conseil de l'Europe, veille au respect des normes anticorruption. Il a publié en 2017 un rapport d'évaluation portant sur la prévention de la corruption des magistrats, dans lequel il a relevé la nécessité de l'indépendance du magistrat et indiqué que celle-ci se qualifie par son engagement sans aucune couleur politique préalable et en mettant davantage ses compétences en exergue. Or, le but de ce projet de loi est de supprimer l'obligation de rétribution des magistrats, qui n'est finalement qu'une conséquence et non une fin en soi.

En effet, si nous allons vers le coeur du problème, modifier le processus de recrutement des magistrats permettrait de ne plus passer par l'intermédiaire d'un parti; la contribution n'aurait plus de raison d'exister et l'impartialité des magistrats serait acquise. Il faut donc prendre cette question de manière plus globale et ne pas l'aborder exclusivement sous l'angle de la contribution.

LJS est favorable à l'indépendance des magistrats vis-à-vis de leur parti, mais notre groupe est également favorable au fait de voter utile. Ce projet de loi est en l'occurrence inutile et n'aura pas pour résultat l'amélioration du système, puisqu'il vise uniquement à supprimer l'obligation de contribution des magistrats à leur parti, contribution par ailleurs minime, qui est uniquement une conséquence de leur nomination via ce parti. Ce n'est donc pas, Mesdames et Messieurs, une porte d'entrée, mais bien une porte sans serrure.

Néanmoins, ce projet de loi a un mérite, c'est de souligner que nous devons avoir une réflexion sérieuse afin de supprimer cette pratique et de modifier le processus de recrutement pour obtenir le résultat escompté, demandé par le GRECO: les magistrats doivent être nommés uniquement en fonction de leurs compétences et de leur expérience professionnelle. Cette pratique garantirait l'indépendance et l'impartialité des magistrats, qui, par ailleurs, ne seraient pas contraints pour certains d'adhérer à un parti pour être élus. Merci, j'en ai terminé. (Applaudissements.)

La présidente. Je vous remercie. Monsieur Lussi, vous avez un peu plus d'une minute. Je précise qu'il y a eu une erreur de chronométrage, il faut donc enlever trente-six secondes au temps qui s'affiche.

M. Patrick Lussi (UDC), député suppléant. Merci, Madame la présidente. Ce sera pleinement suffisant, parce que l'essentiel a déjà été dit, et surtout très bien décrit dans le rapport de majorité - et, n'en déplaise à ma préopinante, aussi très bien relaté par le rapporteur de majorité suppléant. La seule chose que vous avez dite, chère collègue, qui est vraie, c'est que nous ne sommes pas face à des actes corruptifs et que la magistrature ainsi que la justice fonctionnent très bien à Genève. J'ai l'impression qu'on se met une poutre dans l'oeil en essayant de ne voir que cette rémunération, qui certes est discutable, mais j'ai participé un peu aux débats, et - comme vous l'avez rappelé - personne n'est venu dire qu'elle gênait l'indépendance de la justice.

Quand on regarde ce qui se passe dans d'autres pays... J'aimerais bien que M. Murat Alder, qui est tellement virulent et attentif, observe ce qui se passe pas très loin de chez nous, en France. (La présidente agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Certes, chez nous, la commission interpartis décide, mais nous avons un pluralisme de partis parmi nos juges. Le pluralisme favorise l'indépendance; mis à part peut-être cette obole qui est discutable, mais pour laquelle on n'a pas trouvé de solution, ils sont indépendants.

La présidente. Il vous faut conclure.

M. Patrick Lussi. La France a un ministère de la justice, les juges sont tous inféodés, et ils ont même, vous l'avez vu encore récemment, un syndicat puissant qui s'appelle le syndicat de la magistrature, qui n'est pas très à droite, je crois, puisqu'il a réussi à faire ce «mur des cons» qui était sorti dans la presse.

La présidente. Merci !

M. Patrick Lussi. Compte tenu de tous ces éléments, je pense que les travaux de commission ont été bien menés, le rapport est bien fait, mais on n'a pas trouvé de solution, raison pour laquelle je crois qu'il faut absolument refuser l'entrée en matière, et si quelqu'un veut faire quelque chose de mieux... (Le micro de l'orateur est coupé.)

Mme Alia Chaker Mangeat (LC). Mesdames et Messieurs, cette proposition, vous l'aurez compris, prétend mettre au centre du problème l'indépendance des juges, mais en réalité, elle rate complètement sa cible. Je dis qu'elle le prétend, parce que quand on parle d'indépendance du juge et des préoccupations du citoyen - cette proposition vise en effet à répondre au citoyen qui penserait que la justice n'est pas impartiale -, il faut se demander ce qui, en fait, préoccupe le citoyen quand il parle de justice et d'indépendance des juges. Il se soucie d'abord de ce que le juge garantisse des débats judiciaires équitables ainsi que de l'intégrité des magistrats et de leurs compétences. Il veut avoir des garanties quant au fait que le juge est impartial et qu'il ne subit pas de pressions extérieures. Voilà les préoccupations du citoyen. Il n'en a rien à cirer - pardonnez-moi de le dire comme ça - de savoir que les magistrats paient des centaines de francs aux partis politiques auxquels ils sont affiliés.

La question essentielle, bien sûr, c'est l'affiliation aux partis politiques, l'obligation d'affiliation et la procédure de nomination. Et ça, c'est une préoccupation légitime du citoyen, parce qu'on a vu que les juges ne sont pas tout à fait indépendants. Il y a un juge au Tribunal fédéral qui n'a pas été reconduit parce qu'il a rendu un arrêt qui ne plaisait pas au parti politique dont il était membre. On voit qu'il y a donc un problème d'indépendance. Mais cette indépendance n'a rien à voir avec ces contributions de quelques centaines de francs payées aux partis. Alors, à mon sens, ce système doit être revu, mais ce n'est pas du tout la question de la contribution, qui, je le rappelle, est volontaire. Nous n'avons pas connaissance d'un problème qui serait survenu; nous avons reçu la position du Conseil supérieur de la magistrature, nous avons également entendu l'association des magistrats: il n'y a jamais eu de problème concernant un juge qui n'aurait pas été reconduit parce qu'il n'aurait pas payé sa contribution.

En somme, cette proposition vient d'un parti politique qui n'a pas beaucoup de juges et qui estime que nous recevons trop de contributions de la part des magistrats élus par notre parti. Alors merci, Monsieur Pistis, de rappeler les chiffres, parce que si je compte, 49 000 francs avec 30 juges, ça veut dire que la contribution est de 1433 francs en moyenne par juge. Soupçonner un manque d'indépendance à cause d'une contribution de 1400 francs, ça me semble complètement irréaliste. Nous proposons donc évidemment de rejeter cette proposition. (La présidente agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)

Je voulais dire aussi que si le PLR ne souhaite plus que les juges paient une contribution à leur parti - dans PLR, il y a le mot liberté -, il me semble que vous êtes tout à fait libres... D'ailleurs, je suis étonnée, Monsieur Alder, que vous n'ayez pas encore fait cette proposition à votre parti et que vous attendiez de siéger en plénière pour cela; il suffisait de changer le règlement de votre parti, ça aurait été beaucoup plus rapide et on aurait perdu moins de temps. (Rires. Commentaires.)

La présidente. Il vous faut conclure.

Mme Alia Chaker Mangeat. Par ailleurs, si on parle vraiment de transparence du financement des partis, je tiens à dire que le PLR et le MCG-UDC, je ne sais pas comment vous appeler...

La présidente. Vous avez terminé.

Mme Alia Chaker Mangeat. ...eh bien à Berne, vous pourrez défendre... (Le micro de l'oratrice est coupé. Applaudissements.)

M. Diego Esteban (S). Mesdames et Messieurs les députés, en Suisse, nous avons un certain nombre de fonctionnements atypiques, à tout le moins en comparaison européenne, voire internationale, le plus célèbre d'entre eux étant la politique de milice, qui étonne parfois beaucoup nos voisins, dans la mesure où travailler tout en étant élu dans un parlement pose la question du conflit d'intérêts. Comment est-ce qu'on règle ce problème ? On y arrive malgré tout, pas besoin de l'expliciter; tout le monde pratique en tout cas ce mélange des genres d'une manière qui, à mon avis, témoigne quand même d'un certain équilibre.

Le système de nomination des juges étonne aussi à l'étranger, notamment le GRECO, qui - en tout cas c'est ce qui ressort du rapport qui sert de fondement à ce projet de loi - ne comprend pas trop le système suisse, mais constate néanmoins qu'il fonctionne, même s'il relève un certain nombre de risques. Je ne connais aucun système qui ne comporte aucun risque. Le groupe socialiste partage les doutes exprimés sur le besoin de réglementer et, en tout cas, est opposé à l'approche de ce projet de loi, parce qu'effectivement, on peine à nommer un seul cas de figure dans lequel l'enjeu de la contribution financière de juges au parti qui les a présentés aurait pu déboucher sur des pressions exercées à leur endroit.

Ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas entrer en matière sur des réflexions quant au système de nomination des juges, mais c'est justement l'ensemble du système qui doit être revu. Or, ce n'est pas du tout l'objectif de ce projet de loi, et on le constate assez rapidement à la lecture des rapports de minorité: cet objet a été taillé sur mesure pour accuser tous les groupes parlementaires de vouloir profiter du système, ce qui est quand même un peu fort de café venant de partis politiques connus pour reposer, dans le cadre de leur financement, sur des dons externes, ce qui n'est pas le cas de la plupart des partis politiques représentés ici. (Rires. Exclamations. Commentaires.) Mentionnons que le MCG est connu pour présenter extrêmement peu de candidatures au Pouvoir judiciaire, et que finalement, il a fonctionné toutes ces années en se passant de ces rémunérations. Le PLR est bien sûr un des plus grands partis à Genève et n'a aucunement besoin de contributions de ses différents élus. Je pense qu'on peut citer un certain nombre de catégories de ses représentants qui ne contribuent absolument en rien, alors que le rapport est vu bien différemment dans quasi toute la sphère démocratique genevoise.

C'est pour ces raisons que ce projet de loi ne peut absolument pas bénéficier d'une entrée en matière. En revanche, il pourrait en être tout à fait autrement de textes qui viseraient à réfléchir globalement au système de nomination des juges, sans isoler de petites questions, comme si elles pouvaient être déconnectées du reste de la problématique. Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste refusera l'entrée en matière. (Applaudissements.)

M. Mauro Poggia (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, j'ai envie de dire «bienvenue au bal des hypocrites» quand j'entends les discours qui nous sont assénés depuis un moment. Ce projet de loi, qui a été déposé par le Mouvement Citoyens Genevois, touche à l'essence même de notre démocratie. Nous le savons, la justice est un pilier de notre démocratie, son indépendance est impérative. Sans foi, sans confiance en notre justice, il ne saurait y avoir de cohésion sociale. Ce qui est important, ce n'est pas seulement de s'assurer que notre justice ne soit pas corrompue - elle ne l'est pas, et si par malheur il devait arriver qu'un magistrat le soit ou qu'il fasse l'objet de soupçons, les instances judiciaires seraient déjà là pour le poursuivre. Non, notre justice, Mesdames et Messieurs, doit être au-dessus de tout soupçon. Etre au-dessus de tout soupçon, cela ne veut pas dire être innocent, cela veut dire qu'on ne doit même pas avoir à l'esprit l'hypothèse qu'un juge puisse être dirigé dans ses décisions par autre chose que par la recherche de la justice et de l'équité, et uniquement de la justice et de l'équité.

Ce projet de loi vise tout simplement à ce que les magistrats du Pouvoir judiciaire, qui, dans notre système, sont élus par le pouvoir législatif et donc par une instance à coloration politique, ne soient pas inféodés par des liens financiers aux partis politiques qui les ont présentés. Je ne vois pas, dit comme cela, qui dans cette salle pourrait dire que ce projet de loi est absurde ! Mais évidemment, il y a des intérêts et des faux-fuyants. On vient nous dire: «Oui, mais le problème est ailleurs; c'est le mode de désignation de nos juges; il faudrait fonder une école de la magistrature.» Aujourd'hui, finalement, nos juges étant élus par le pouvoir législatif, il y a une commission interpartis, dont votre serviteur fait partie, qui déblaie le terrain, si j'ose dire, en s'assurant au moins que les candidats présentés à notre Grand Conseil aient les qualités requises pour devenir magistrats. Oui, sans doute, il faudrait réformer cela également, et au MCG, nous avons été parmi les premiers à le dire.

Cela n'empêche pas de faire déjà un bon pas dans la bonne direction. A vous entendre, l'inertie est préférable à une avancée modeste. Mais les personnes qui nous écoutent découvrent sans doute qu'il y a des magistrats du Pouvoir judiciaire, et même une large majorité d'entre eux, qui sont tenus de verser chaque année davantage que leur cotisation de membre à un parti politique, évidemment celui sur la liste duquel ils ont été présentés. Le fait qu'ils versent des cotisations, personne n'y voit d'inconvénient, et l'amendement du PLR sur ce point est tout à fait compréhensible: on ne va pas interdire à un magistrat d'être membre d'un parti politique, comme il le serait d'un club de pétanque ou de judo; c'est la liberté d'association. Mais de là à être tenu de verser des rétributions, c'est un pas que nous ne pouvons pas faire dans cette démocratie ! (La présidente agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)

Un commissaire MCG qui m'est proche avait demandé, afin que chacun puisse sortir de l'ambiguïté, qu'on présente à tout le moins les contrats que l'on demande aux futurs magistrats de signer avant qu'ils ne soient présentés, et la majorité de la commission l'a refusé. On parle de transparence, alors qu'on ne sait même pas à quoi nos magistrats sont tenus avant d'être présentés sur une liste par nos partis politiques.

La présidente. Il vous faut conclure.

M. Mauro Poggia. Cela est scandaleux ! Je vous demande de soutenir ce projet de loi. Nous ne sommes pas opposés aux amendements proposés par le PLR, que je remercie d'avoir soutenu ce projet. (Applaudissements.)

La présidente. Je vous remercie. Nous procédons au vote d'entrée en matière.

Mis aux voix, le projet de loi 12905 est rejeté en premier débat par 59 non contre 31 oui.