République et canton de Genève

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M 2468-A
Rapport de la commission de l'économie chargée d'étudier la proposition de motion de Mmes et MM. Caroline Marti, Jocelyne Haller, Jean-Charles Rielle, Roger Deneys, Christian Frey, Thomas Wenger, François Lefort, Christian Dandrès, Romain de Sainte Marie, Delphine Klopfenstein Broggini, Marion Sobanek, Nicole Valiquer Grecuccio, Frédérique Perler, Salima Moyard, Pierre Vanek, Olivier Baud, Delphine Bachmann : L'Etat doit promouvoir le principe de l'égalité de traitement entre femmes et hommes auprès des entreprises
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IV des 12 et 13 septembre 2019.
Rapport de majorité de M. Jean-Marc Guinchard (PDC)
Rapport de minorité de M. Thomas Wenger (S)

Débat

Le président. Nous poursuivons avec la M 2468-A, qui est classée en catégorie II, quarante minutes. Le rapport de majorité est de M. Jean-Marc Guinchard, à qui je passe la parole.

M. Jean-Marc Guinchard (PDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, celles et ceux d'entre vous qui ont lu ce rapport auront pu constater que le traitement de la M 2468 - comme celui de la M 2460, d'ailleurs, qui a été étudiée en parallèle, mais qui a fait l'objet d'un rapport distinct - a donné lieu à l'audition de toutes les entités ou associations susceptibles de nous apporter un avis éclairé sur la situation. Les partenaires sociaux, l'office cantonal de la statistique, l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail - l'OCIRT - le bureau de promotion de l'égalité et de prévention des violences - le BPEV - l'office du personnel de l'Etat et finalement le service juridique de la chancellerie ont permis aux commissaires de se faire une idée concrète et réelle du terrain, notamment au moyen de chiffres statistiques précis, puis d'analyser correctement les notions de base légale et de droit fédéral ou supérieur. L'ensemble des personnes auditionnées ont fait valoir que le domaine traité relevait du droit fédéral et non cantonal, et que seule une révision de la loi fédérale sur l'égalité était susceptible de rejoindre ou d'atteindre les objectifs et invites de ce texte.

Même s'il s'agit d'une motion - dont les invites ne sont pas contraignantes, comme tout le monde le sait - certains députés ont relevé l'ampleur du travail à fournir par les services de l'Etat ou les associations concernées pour traiter d'un texte qui, finalement, fera dire au Conseil d'Etat qu'il est inapplicable. Promouvoir le principe de l'égalité de traitement entre femmes et hommes auprès des entreprises est certes une belle intention, mais en l'absence de possibilités d'agir au niveau cantonal, ce sont des actions volontaristes qui doivent être engagées - comme elles le sont déjà en matière de formation et de sensibilisation en particulier - actions menées par les partenaires sociaux ensemble ou chacun de leur côté et/ou, c'est important, en collaboration avec le BPEV. Les projets pilotes développés dans ce cadre, notamment entre l'Union des associations patronales genevoises et le BPEV, démontrent bien l'intérêt manifeste que les entreprises portent à ce problème. Chacune d'entre elles est bien consciente que la recherche de talents, la fidélisation des collaboratrices et collaborateurs ainsi que la nécessité de se positionner clairement quant à des rémunérations correctes au regard du marché du travail ne peuvent se réaliser que par l'équité salariale et la transparence des rémunérations.

Sur cette base, et en invoquant essentiellement la non-conformité des dispositions de cette motion avec le droit fédéral, je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à la refuser avec la même majorité que celle qui a prévalu à l'issue des travaux de notre commission. Je vous remercie.

M. Thomas Wenger (S), rapporteur de minorité. Mesdames les députées, Messieurs les députés, chers collègues, quand on parle dans cet hémicycle de l'égalité femmes-hommes ou hommes-femmes, on entend malheureusement toujours un peu les mêmes arguments à droite. En l'occurrence, il y a là une majorité de droite, avec tout le respect que j'ai pour mon collègue Jean-Marc Guinchard... (Remarque. Rire de l'orateur.) C'est vraiment déprimant, parce qu'il s'agit d'un sujet éminemment important, mais les réponses sont chaque fois semblables: «Non, il ne fallait pas faire comme ça !» Ou alors, comme l'a dit M. Guinchard: «Oui, mais là c'est inapplicable !» On nous répond aussi que le texte est trop ou pas assez contraignant, etc.

Qui ne se rappelle pas, Mesdames les députées, Messieurs les députés, l'incroyable mobilisation du 14 juin 2019 ? Celle-ci a réuni, dans toutes les villes suisses et les campagnes, environ 500 000 personnes qui se battaient pour une véritable égalité entre femmes et hommes, dont à peu près 50 000 personnes - voire un peu plus, selon les estimations - à Genève. L'égalité femmes-hommes n'est pas un principe qu'on aimerait bien établir, ce n'est pas un concept qu'on imagine et qu'on transpose simplement dans une motion. Non, c'est un principe ancré à l'article 8 de notre Constitution fédérale depuis trente-huit ans, Mesdames et Messieurs ! Et cet article 8 doit être mis en oeuvre par la loi fédérale sur l'égalité entre femmes et hommes, qui est entrée en vigueur non pas il y a deux ou trois ans, mais en 1995. Cela fait donc maintenant vingt-cinq ans ! En outre, notre nouvelle constitution genevoise, qui date de 2012, stipule à son article 15 que l'égalité entre femmes et hommes doit être réalisée - l'égalité de manière générale, mais aussi l'égalité salariale, bien entendu.

Qu'a-t-on vu et entendu en commission, notamment dans le cadre de la présentation édifiante que nous a faite le directeur de l'office cantonal de la statistique ? Eh bien que dans le canton de Genève, Mesdames et Messieurs, le salaire moyen des femmes est inférieur à celui des hommes de 12% dans le secteur privé et de 8,5% dans le secteur public - ce sont les chiffres de 2016. La part inexpliquée de l'écart salarial entre le revenu mensuel moyen des femmes et celui des hommes oscille entre 59% et 63% dans le secteur privé et entre 31% et 51% dans le secteur public, ce qui prouve bien que cette inégalité est en grande partie inexplicable. Voici encore un chiffre significatif, Mesdames et Messieurs: dans notre canton, 60% des salaires inférieurs à 4000 francs sont perçus par des femmes - 60% ! Tous ces éléments vous montrent l'ampleur de la tâche, l'ampleur de la problématique.

Il est aussi très intéressant de citer les chiffres relatifs aux différentes branches économiques à Genève. Les écarts salariaux se montent par exemple à 24,1% dans les services financiers, à 16,5% dans l'horlogerie, l'électronique et l'optique et à 12% dans le commerce de détail. Même dans l'administration publique les écarts s'élèvent à 15,9%.

Cette motion socialiste, déposée par ma collègue Caroline Marti, est par conséquent urgente et vitale. Elle invite le Conseil d'Etat à vérifier systématiquement, lors des contrôles effectués notamment par l'inspection paritaire des entreprises et l'OCIRT, le respect de ce principe d'égalité et à adresser des recommandations aux entreprises qui ne le respecteraient pas. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Mesdames les députées, Messieurs les députés, il s'agit donc de vérifier le respect d'un principe et d'adresser des recommandations, il n'est même pas encore question de sanctions, alors prétendre que cette motion va trop loin ou serait inapplicable, c'est vraiment se moquer du monde. Le minimum qu'on puisse demander aujourd'hui, c'est de procéder à cette vérification et d'émettre des recommandations. Le parti socialiste espère aussi qu'à terme on arrivera à des incitations claires, voire à des sanctions, parce que l'égalité n'est pas négociable: nous voulons l'égalité femmes-hommes, nous voulons l'égalité salariale femmes-hommes, dans le secteur privé comme dans le secteur public, et que nous soyons de gauche ou de droite, nous devons enfin passer de la parole aux actes. Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)

Des voix. Bravo !

Mme Caroline Marti (S). Mesdames et Messieurs les députés, les chiffres ont été rappelés: aujourd'hui, les salaires des femmes à Genève sont inférieurs de 7,5% en moyenne à ceux des hommes, et près de 60% de ces écarts de revenus sont dits inexpliqués, ce qui signifie qu'ils sont en réalité exclusivement imputables au genre de l'employé. Si on se base sur le salaire médian genevois, on constate qu'avec le même emploi, le même temps de travail, les mêmes qualifications et la même expérience, une femme gagnera 6800 francs de moins qu'un homme à la fin de l'année. Cela veut dire aussi que les femmes travaillent environ trois semaines gratuitement chaque année ! Comme l'a rappelé Mme Stoll en commission, c'est purement et simplement de la sous-enchère salariale. Pourtant - le rapporteur de minorité l'a mentionné - un nouvel alinéa consacrant l'égalité salariale entre hommes et femmes a été introduit dans la Constitution fédérale en 1981, complété ensuite par la loi sur l'égalité en 1995. Cela fait donc des décennies qu'on a inscrit le principe de l'égalité salariale dans la loi et qu'on attend sa concrétisation, or force est de constater que les mesures incitatives comprises aujourd'hui dans le droit fédéral ne suffisent pas et ne permettent pas de répondre aux attentes des femmes - pourtant légitimes - quant à l'égalité salariale. On l'observe une fois de plus, il ne suffit pas de décréter l'égalité pour qu'elle soit effective.

C'est pour réagir à cette situation que nous avons déposé cette motion, qui propose un contrôle systématique de la part de l'OCIRT auprès des entreprises. L'idée est la suivante: quand l'OCIRT se rend dans une entreprise pour effectuer un contrôle - contre le dumping salarial ou le travail au noir, par exemple - il pourrait en profiter pour vérifier également le respect du principe de l'égalité salariale et émettre des recommandations ciblées. Cela permettrait de faire connaître et de valoriser les employeurs qui jouent le jeu et qui respectent ce principe, mais aussi de détecter les cas d'inégalités salariales et de déclencher alors le mécanisme prévu à l'article 7 de la loi sur l'égalité. Celui-ci offre la possibilité aux organisations de prendre à leur charge des poursuites judiciaires pour faire respecter l'égalité salariale entre hommes et femmes, afin que le poids et le fardeau d'une action judiciaire ne pèsent plus uniquement sur les épaules des femmes. Mais pour cela, ces organisations - qu'il s'agisse de syndicats ou d'associations de promotion de l'égalité entre hommes et femmes - doivent avoir connaissance des cas d'inégalités salariales, et c'est justement l'une des avancées que propose cette motion par le biais de contrôles systématiques, car c'est ainsi qu'on arrivera à faire progresser l'égalité salariale.

Un dernier mot, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés: après des décennies de lutte en faveur de l'égalité salariale entre hommes et femmes, il est purement et simplement injurieux de répondre aux femmes qu'on est désolé mais qu'on ne peut rien faire. On se doit aujourd'hui de prendre des mesures concrètes pour une égalité concrète ! Je vous remercie. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

M. André Pfeffer (UDC). Comme plusieurs motions traitées aujourd'hui, la M 2468 est contraire au droit supérieur et inapplicable. (Exclamations.) La démarche suggérée par les initiants relève du droit fédéral. La première invite, qui propose une vérification systématique par l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail, est tout simplement irréalisable. La directrice de cet office l'a déclaré elle-même. Je le répète: la directrice de l'OCIRT l'a déclaré elle-même ! La base légale manquerait. Par ailleurs, l'OCIRT effectue des contrôles ciblés en fonction des risques; un contrôle systématique est donc irréalisable.

L'intention de promouvoir l'égalité entre femmes et hommes n'est pas contestée. La plupart de nos entreprises savent ou prennent conscience que l'équité salariale favorise la recherche des talents et la fidélisation des collaborateurs. Il est aussi intéressant de relever - comme on peut le lire à la page 71 du rapport - que les fonctionnaires femmes de moins de 50 ans possèdent un revenu médian supérieur à celui de leurs collègues hommes, tandis que les fonctionnaires femmes de plus de 50 ans, qui ont un revenu médian de 120 421 francs par année, gagnent environ 5000 francs de moins que leurs collègues masculins. Dans la fonction publique genevoise, l'égalité entre femmes et hommes est pratiquement atteinte, et Genève est un bon élève en ce qui concerne le secteur privé.

En conclusion, on l'a dit, cette motion ne respecte pas le droit supérieur et est inapplicable. Pour toutes ces raisons, l'UDC la refusera. Merci.

M. Vincent Subilia (PLR). Aux yeux du PLR, l'équité salariale est une exigence qu'il importe naturellement de respecter dans les rapports de travail et à laquelle on ne saurait déroger. Il est dès lors essentiel que celle-ci puisse être mise en oeuvre. Chacun conviendra en effet - et le rapporteur de majorité l'a relevé à juste titre - que cette équité salariale constitue un levier de performance ainsi qu'un outil de fidélisation et qu'elle est bénéfique en matière d'identification de talents pour nos entreprises. Elle s'inscrit qui plus est, au même titre que le développement durable, dans une tendance de fond qui devient une exigence absolue des générations futures et qu'il convient là aussi de respecter. A cet égard, je le répète, il s'agit de veiller à ce qu'elle soit respectée. On peut donc se réjouir, à la lecture du rapport, de voir Genève bon élève dans ce domaine. Dans le secteur privé, notre canton affiche un écart salarial de 5,3%; certes, ce pourcentage devrait être ramené à zéro, mais il est très largement inférieur à celui qu'on obtient sur le plan fédéral. En outre, l'égalité est atteinte dans la fonction publique - notre conseillère d'Etat Nathalie Fontanet s'y emploie - comme cela a été rappelé à l'instant.

Mesdames et Messieurs, si nous sommes toutes et tous sensibles au postulat de cette motion, celle-ci se heurte toutefois, on l'a entendu, à une double difficulté. La première est de nature pratique et concerne sa mise en oeuvre, les différents intervenants auditionnés durant la longue phase de traitement de ce texte l'ont souligné. Le PLR estime aussi qu'elle ne s'inscrit pas vraiment dans les mécanismes d'autorégulation qu'il appelle de ses voeux. En effet, au sein de notre famille politique nous croyons, à tort - mais en réalité à raison, j'en suis convaincu - que les entreprises ont intégré cette responsabilité et qu'il s'agit dès lors de leur faire confiance. Ainsi, un mécanisme que l'on pourrait qualifier d'intrusif, avec un dispositif coercitif... (Brouhaha.) Je vois que ça intéresse peu de monde dans cette enceinte; l'enjeu est pourtant important, me semble-t-il ! ...ne s'inscrit probablement pas dans l'ADN des mesures volontaristes que notre famille politique souhaite.

Le deuxième obstacle - cela a été souligné - est quant à lui de nature juridique. On peut le déplorer, mais c'est ainsi. Il existe une hiérarchie des normes et chacun des Etats fédérés doit respecter le droit supérieur. A ce titre nous sommes effectivement limités, et l'ensemble des juristes auditionnés - j'ai relu avec beaucoup d'attention l'excellent rapport qui a été rédigé - sont parvenus à cette conclusion. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Malheureusement, les leviers dont nous disposons sur le plan cantonal sont extrêmement limités, et on peut le regretter, je le dis de façon sincère. J'engage toutefois nos amis socialistes à se servir de leurs relais bernois pour faire en sorte que la législation fédérale épouse cette nouvelle donne et dote les instances cantonales - selon des formes à définir - des outils nécessaires à la mise en oeuvre de cette équité, dont je crois pouvoir dire que nous l'appelons toutes et tous ici de nos voeux.

En conclusion, laissez-moi tout de même relever qu'en déposant des motions dont on peut imaginer qu'un effort de base nous aurait permis d'identifier comme potentiellement contraires au droit fédéral...

Le président. Il vous faut terminer, Monsieur Subilia !

M. Vincent Subilia. ...nous accréditons la thèse que nous sommes décorrélés de la réalité fédérale. Genève vit un peu en isolation clinique et il conviendrait d'y remédier et de s'abstenir d'agir ainsi. Je vous remercie.

Une voix. Bravo Vincent !

Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, s'il est vrai, comme vient de le dire M. Subilia, que toutes et tous appellent de leurs voeux l'égalité, je constate quand même que certains l'appellent à voix très basse.

On nous parle ici de politiques d'incitation à respecter la loi et la Constitution fédérale, comme s'il s'agissait d'une option et qu'on pouvait le faire ou non. Pour d'autres lois, nous n'avons pas le choix ! Elles s'appliquent ! La loi est dure, mais c'est la loi. En l'occurrence, la loi sur l'égalité n'est pas très dure et on ne l'applique pas.

La première invite de ce texte demande que, lors des contrôles effectués par l'inspection paritaire des entreprises et l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail, le respect du principe d'égalité soit aussi vérifié, et on a l'air de penser que ce n'est pas normal, que ce n'est pas acceptable, comme si des organes comme l'IPE et l'OCIRT pouvaient procéder à des contrôles dans les entreprises et fermer les yeux sur le non-respect de la Constitution fédérale ou de la loi sur l'égalité. Cette manière de concevoir le respect des lois est quand même un peu particulière !

L'un des principaux arguments invoqués par toutes les personnes opposées à ce texte concerne la question du droit supérieur, qui irait à l'encontre de ce qui est demandé ici. J'invite donc tous les députés présents à consulter les pages 22 et suivantes du rapport de commission, qui relatent notamment la position exposée par M. Mangilli, directeur des affaires juridiques à la chancellerie d'Etat. Celui-ci a en effet indiqué que les cantons disposaient d'une certaine marge de manoeuvre. Il faut la chercher, mais elle existe ! Alors s'il est vrai que tous ici nous voulons l'égalité hommes-femmes, allons chercher cette marge de manoeuvre. Je vais vous lire un extrait du rapport: «Dans le domaine de l'égalité salariale, il - c'est-à-dire M. Mangilli - rappelle que la loi fédérale sur l'égalité salariale poursuit un objectif de protection des travailleurs et travailleuses et qu'elle règle donc déjà exhaustivement cette question. Il explique que dans le débat sur la résolution genevoise, qui a été examinée par le Conseil des Etats le 20 mars 2019 (n°18.313), la rapporteuse de commission Mme Anne Seydoux-Christe a fait écho à une note de l'Office fédéral de la justice qui retiendrait qu'il y a une certaine marge de manoeuvre pour les cantons dans la mesure où ces normes de mise en oeuvre poursuivent un autre but d'intérêt public que la protection des travailleurs. Il indique qu'il pourrait s'agir, par exemple, de mesures visant à lutter contre la pauvreté ou à promouvoir l'égalité en tant que but de politique sociale.» Ainsi, Mesdames et Messieurs, la fameuse incompatibilité avec le droit supérieur que vous invoquez n'est pas aussi absolue que vous voulez bien le dire ! Il existe une marge de manoeuvre, et si vous êtes sincères dans votre volonté de promouvoir l'égalité hommes-femmes, eh bien il ne vous reste plus qu'à l'exploiter, ce que je vous invite résolument à faire. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

M. Jacques Blondin (PDC). J'aimerais rappeler à cet hémicycle que j'ai eu le plaisir d'aller à Berne avec Mme Haller afin de défendre une résolution que nous avions renvoyée l'année dernière à l'Assemblée fédérale, et nous nous sommes rendu compte de la difficulté qu'il y avait à passer au stade supérieur pour la défense de ce type de questions.

Il est certes dommage de discuter d'une problématique qui devrait être réglée depuis très longtemps, car cela fait vingt ans que ça dure, mais le souci que l'on rencontre avec cette motion - et la directrice de l'OCIRT l'a clairement dit - c'est que les bases légales actuelles ne permettent pas l'application de ces normes. On court donc le risque de renvoyer aujourd'hui un texte au Conseil d'Etat - en effet, compte tenu de la thématique, qui peut être contre ? - et de recevoir dans trois mois une réponse du gouvernement qui ne nous satisfera pas parce qu'elle dira la même chose. Le rapporteur de majorité l'a mentionné ! On renverra alors ce rapport en commission ou au Conseil d'Etat, et on n'aura pas avancé.

Je voudrais maintenant revenir sur un point que l'on a étonnamment passé sous silence, à savoir le projet de loi qui est censé se trouver sur le bureau de Mme Nathalie Fontanet et qu'on nous avait promis pour l'automne dernier. Il devrait a priori être à bout touchant et j'espère qu'on va nous en parler, parce que si vous relisez le rapport, vous verrez que Mme Fry, la directrice du BPEV, a clairement dit que ce projet - je cite - «vise à lutter contre les discriminations à raison du sexe, de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre de façon complète» et «couvrira les différents lieux où il peut y avoir des discriminations». Je trouve donc dommage d'adopter une motion qui est contestable - même si on peut effectivement forcer la porte - alors qu'un projet de loi à bout touchant devrait prochainement nous être soumis. Je rappelle en outre que Mme Bocquet a elle aussi déposé une motion sur cette question.

Pour toutes ces raisons - et ce n'est pas pour gagner du temps ou éviter la problématique, mais simplement pour avancer - le parti démocrate-chrétien vous propose de renvoyer ce texte à la commission de l'économie, pour autant qu'on puisse bientôt intégrer au débat le projet de loi en cours de rédaction qui est censé se trouver sur votre bureau, Madame Fontanet. Merci.

Une voix. Bravo !

Le président. Merci. Je passe la parole à M. Jean-Marc Guinchard, rapporteur de majorité, sur cette demande de renvoi en commission.

M. Jean-Marc Guinchard. Merci, Monsieur le président, mais c'est au rapporteur de minorité de s'exprimer en premier !

Le président. Dans ce cas je cède le micro à M. Christo Ivanov. (Exclamations.) Non, pardon, à M. Thomas Wenger !

M. Thomas Wenger (S), rapporteur de minorité. Je ne le prends pas personnellement, Monsieur le président ! (Rire de l'orateur.) La minorité va dans le sens de mon préopinant et acceptera le renvoi en commission de cette motion afin qu'elle puisse être étudiée en même temps que le projet de loi.

M. Jean-Marc Guinchard (PDC), rapporteur de majorité. Dans la mesure où nous avons l'occasion et l'opportunité d'étudier un projet de loi portant sur le même thème... (Commentaires.) Il n'y a pas de prise de parole après les rapporteurs ! ...je pense qu'il serait tout à fait judicieux de renvoyer cette motion à la commission qui l'a traitée. Je vous remercie.

Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Il va m'être difficile d'élaborer un discours conséquent en m'exprimant uniquement sur le renvoi en commission. A ce propos, Mesdames et Messieurs, le projet de loi que je vous promets et qui est effectivement à bout touchant ne va pas être renvoyé à la commission de l'économie ! C'est un projet de loi sur l'égalité, l'égalité de genre, la lutte contre les discriminations, lequel intègre très spécifiquement - cela a été dit durant l'audition de Mme Fry du BPEV - la situation des entreprises privées, mais aussi subventionnées, parce qu'il se veut extrêmement large. Je vous en parlerai tout à l'heure si la demande qui vient d'être formulée est refusée, mais vous ne pouvez pas imaginer traiter conjointement les deux textes, à moins que vous ne renvoyiez cette motion à la commission des Droits de l'Homme qui sera chargée d'étudier notre projet de loi.

Quoi qu'il en soit, cela ne change rien au fait que cette motion n'est malheureusement pas conforme au droit supérieur. Je me réjouis de vous l'expliquer, car je pense que ce combat en faveur de l'égalité, nous devons le mener ensemble et non pas les uns contre les autres en déposant des textes qui ne correspondent pas au droit supérieur. Nous devons avancer ensemble !

D'autre part, s'il vous est possible de reprocher éventuellement à la magistrate de droite que je suis de ne pas soutenir autant que vous le souhaitez ce type d'objet, vous ne pouvez en aucun cas le reprocher au Bureau de promotion de l'égalité et de prévention des violences, qui m'a suggéré lui-même de ne pas m'opposer au refus de cette motion.

Au vu de ce qui précède, Mesdames et Messieurs, je vous recommande de ne pas renvoyer en commission ce texte, car il n'est pas conforme au droit fédéral, malgré la tentative de Mme Haller de se servir d'un avis de droit rendu dans un contexte totalement différent, puisqu'il s'agissait d'une résolution soumise à l'Assemblée fédérale. Ce problème-là a été réglé ! En définitive, les invites de cette motion - du moins la première - ne permettent pas de se conformer au droit fédéral et ne disposent pas d'une base légale suffisante. Je vous assure que je me sens extrêmement concernée par l'égalité - pas seulement de façon déclarative, mais bien dans mes actes - et j'entends vous le démontrer, mais ce n'est pas cette motion qui nous permettra d'atteindre ce but. Merci, Mesdames et Messieurs. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

Le président. Merci. Monsieur Blondin, c'est à la commission de l'économie ou des Droits de l'Homme que vous souhaitez renvoyer cette motion ?

M. Jacques Blondin (PDC). J'ai parlé de la commission de l'économie, mais il est évident qu'il faut la renvoyer là où elle devrait être traitée !

Une voix. Nulle part ! (Rires. Exclamations.)

M. Jacques Blondin. Eh bien si c'est nulle part, c'est nulle part, mais a priori ce serait la commission des Droits de l'Homme !

Le président. Parfait. Je mets donc aux voix le renvoi de cet objet à la commission des Droits de l'Homme.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur la proposition de motion 2468 à la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne) est rejeté par 48 non contre 43 oui et 2 abstentions.

Le président. Le débat continue et je passe la parole à M. Pierre Eckert.

M. Pierre Eckert (Ve). Merci, Monsieur le président. Je n'avais pas forcément envie de parler à la fin du débat, mais c'est arrivé comme ça ! Vous savez que pour nous, les Vertes et les Verts, l'égalité est un sujet important. Dans le monde du travail, on l'a dit tout à l'heure, il existe des inégalités expliquées - c'est notamment le fait que certains postes de cadres sont plutôt réservés aux hommes qu'aux femmes, un phénomène sur lequel on va travailler - mais il y a aussi toutes celles qui sont inexpliquées, je pense aux emplois qui ne sont pas rémunérés de façon identique alors que le travail et les qualifications sont les mêmes. Pour nous, les Vertes et les Verts, c'est parfaitement inacceptable.

On a parlé de non-conformité au droit supérieur. De quoi s'agit-il ? Il faut citer l'article de la Constitution fédérale concernant l'égalité, mais d'après ce que j'ai pu comprendre le Parlement fédéral a également voté récemment une loi d'application qui demande un autocontrôle pour les entreprises de plus de cent employés. Vous vous rendez compte à quel point c'est une mesure forte ! Je veux dire par là qu'elle ne comporte rien d'extrêmement restrictif ! Voilà ce qu'on est censé respecter dans le monde du travail à Genève.

Mme Haller a mentionné l'existence de plusieurs considérations juridiques sur le respect du droit supérieur, qui n'occupent pas une page, mais bien six pages du rapport. Eh bien pour les avoir lues, je peux vous dire que les conclusions ne sont pas d'une totale limpidité et que nous disposons d'une certaine marge de manoeuvre, comme cela a été relevé.

Mais au fond que demande cette motion ? Finalement pas grand-chose ! Etant donné que certaines vérifications sont déjà effectuées dans les entreprises, il s'agit simplement d'y ajouter le paramètre du contrôle de l'égalité salariale. Ce n'est quand même pas la mer à boire ! La deuxième invite propose en outre que des recommandations soient adressées à ces entreprises. Ce n'est pas non plus extrêmement contraignant ! En définitive, j'aurais envie de paraphraser mon collègue Jean Burgermeister en disant que ce n'est pas assez fort et qu'il faudrait aller beaucoup plus loin; les mesures devraient être bien plus contraignantes ! Je pourrais même être tenté de voter contre cette motion parce qu'elle n'est pas assez contraignante, mais je ne le ferai pas, car on essaie de se conformer au droit supérieur. Pour toutes ces raisons, je vous recommande d'accepter cet objet. (Applaudissements.)

Le président. Merci. Je passe la parole à Mme Jocelyne Haller pour trente-neuf secondes.

Mme Jocelyne Haller (EAG). Je vous remercie. J'aimerais simplement relever ceci: le passage que j'ai lu tout à l'heure se référait effectivement à la situation évoquée par Mme Fontanet, mais comme vient de le dire M. Eckert, M. Mangilli a également fait tout un exposé sur la marge de manoeuvre qui reste à disposition des cantons. Je cite: «Il explique que la jurisprudence du Tribunal fédéral a admis que, même lorsqu'il y avait une législation exhaustive dans un domaine, les cantons ne perdaient pas la faculté de légiférer pour autant qu'ils poursuivent un autre but que le but poursuivi par la législation fédérale.» Qu'on puisse au moins reconnaître cela ! Je vous remercie. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

M. Eric Leyvraz (UDC). Je serai très bref, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, il s'agit là de la troisième motion contraire au droit supérieur que l'on traite. C'est quand même assez extraordinaire, sachant que notre ordre du jour comporte 150 points ! (Exclamations. Applaudissements.)

Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, c'est tantôt un côté du parlement, tantôt l'autre qui soutient des motions non conformes au droit fédéral. Quand c'est le fait de la gauche, la droite le lui reproche, et inversement ! C'est toute la magie de ce parlement... (Exclamations.) ...une magie que vous retrouvez également de temps en temps au sein du Conseil d'Etat. (Rires. Applaudissements.)

Depuis que j'ai pris mes fonctions, je me suis engagée en faveur de l'égalité, et pas seulement par la parole. Le projet de loi dont je vous parle existe, il ne s'agit pas d'un mirage. Cela fait effectivement des mois que je vous le promets, et l'un des membres de la commission des finances me le rappelle très régulièrement. Je serais soi-disant issue du même parti que ce député, mais je vous signale que ce n'est pas le cas ! On dirait qu'il est absent aujourd'hui... Ah non, il est là ! Monsieur Burgermeister, je m'inquiétais ! (Rires. Exclamations.)

Ce projet de loi a fait l'objet d'une consultation au sein de l'ensemble des départements. Comme je vous l'ai expliqué, nous avons voulu voir large dans la rédaction de ce texte, dans le sens où nous ne nous sommes pas concentrés uniquement sur l'égalité de manière théorique. J'ai abordé la question de l'égalité et de la lutte contre les discriminations dans le domaine de la santé, de la police, de la justice, de l'économie ou encore de la formation. Vous pensez bien, Mesdames et Messieurs les députés, que tous ces secteurs ne relèvent pas de mon seul département ! Vous pouvez donc imaginer de quelle façon certains de mes collègues ont pu voir venir cette nouvelle qui, tout d'un coup, veut élaborer une loi sur l'égalité extrêmement transversale et touchant l'ensemble des dicastères. C'est la raison pour laquelle nous avons mené cette consultation départementale pour entendre et recevoir les observations et commentaires de chacun des départements. Ces remarques ont été prises en compte et nous procédons maintenant à un examen plus juridique de cette loi, sur le plan légistique, afin de nous assurer qu'elle est bien rédigée. Elle fera ensuite l'objet d'une nouvelle présentation au Conseil d'Etat et j'espère qu'il l'acceptera, parce que l'égalité est effectivement une priorité pour l'ensemble des membres du gouvernement.

En conclusion, Mesdames et Messieurs, le Conseil d'Etat ne s'opposera pas au rejet de cette motion, mais n'ayez crainte: ce n'est pas un refus qui va pénaliser l'avancée en matière d'égalité. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Le président. Merci. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons maintenant nous prononcer sur cette proposition de motion.

Une voix. Vote nominal !

Le président. Etes-vous soutenu ? (Plusieurs mains se lèvent.) Oui, c'est le cas.

Mise aux voix, la proposition de motion 2468 est rejetée par 53 non contre 42 oui et 2 abstentions (vote nominal).

Vote nominal