République et canton de Genève

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PL 11928-A
Rapport de la commission des finances chargée d'étudier le projet de loi de Mmes et MM. Roger Deneys, Christian Frey, Salima Moyard, Romain de Sainte Marie, Caroline Marti, Jean Batou, Jean-Charles Rielle, Cyril Mizrahi, Irène Buche modifiant la loi sur la gestion administrative et financière de l'Etat (LGAF) (D 1 05) (Pour un véritable contrôle parlementaire de la constitution de provisions)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session XI des 25 et 26 janvier 2018.
Rapport de M. Jacques Béné (PLR)

Premier débat

Le président. Nous traitons maintenant le rapport de la commission des finances sur le PL 11928, classé en catégorie II, trente minutes. Je donne la parole au rapporteur, M. Jacques Béné.

M. Jacques Béné (PLR), rapporteur. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, ce projet de loi a été déposé suite à la création de provisions liées aux risques financiers de la CPEG. Il se trouve que certains députés n'ont pas accepté ces provisions et ont proposé ce projet de loi pour donner au Grand Conseil la compétence de l'acceptation des provisions dans les comptes de l'Etat, puisque actuellement le Grand Conseil ne peut pas modifier les comptes dans le sens qu'il souhaite.

On peut résumer les arguments de la minorité - qui n'a pas déposé de rapport - comme suit. Tout d'abord, le Conseil d'Etat nous danse sur le ventre - c'est ce qui a été dit en commission - et utilise les provisions pour maquiller les comptes et aboutir à un résultat positif ou négatif selon son bon vouloir. Ensuite, en tant que députés, on peut déroger aux normes comptables appliquées internationalement et décider de présenter des comptes comme cela nous arrange - car pour la minorité, le droit supérieur, c'est la politique ! (Remarque.) On peut donc faire ce qu'on veut moyennant une loi, et c'est au Grand Conseil de fixer le montant des provisions.

La position de la majorité est bien évidemment différente et s'appuie sur les éléments suivants. Premièrement, le Conseil d'Etat n'a jamais utilisé la constitution de provisions pour maquiller les comptes. Les provisions créées, notamment pour les risques de la CPEG, ont toutes été validées par le réviseur - donc à l'époque, le service d'audit interne, le SAI. Les provisions n'ont pas été calculées par l'administration, mais bien par des actuaires indépendants de la CPEG. Deuxièmement, comme je l'ai dit, le SAI et la Cour des comptes qui ont validé ces provisions ainsi que le Conseil d'Etat sont totalement défavorables à ce projet de loi.

S'il était accepté, il empêcherait malheureusement de présenter des comptes qui seraient conformes aux normes comptables. En effet, si des provisions étaient justifiées et validées par les différents organes, puis refusées, le cas échéant, par le Grand Conseil, les comptes ne seraient plus conformes. Si on veut aller jusqu'au bout du raisonnement, il faudrait alors aussi que le Grand Conseil valide chaque année les hypothèses qui permettent de calculer les rentrées fiscales. Puisque la transparence et la sincérité des comptes ne seraient malheureusement plus assurées, la majorité vous invite à refuser d'entrer en matière sur ce projet de loi. Je vous remercie.

Mme Caroline Marti (S). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, comme le rapporteur de majorité l'a rappelé, le Conseil d'Etat, dans le cadre des comptes, peut créer des provisions. Un simple regard sur les derniers comptes publiés par le gouvernement nous montre que ces provisions peuvent s'élever à plusieurs dizaines voire centaines de millions, ce qui peut avoir des conséquences politiques majeures, notamment quand ces provisions ont pour résultat que les comptes de l'Etat auparavant bénéficiaires repassent dans le rouge.

Je donnerai deux exemples pour illustrer les conséquences politiques que la constitution de provisions peut engendrer. Premièrement, lorsque nous avons trois exercices comptables déficitaires, nous basculons dans un mécanisme de frein au déficit, et un certain nombre de mesures politiques sont prises. Deuxièmement, il est arrivé certaines années que le Grand Conseil, dans le cadre de ses débats budgétaires, décide d'accorder une annuité sous réserve que les comptes de l'année précédente soient bénéficiaires. Il est donc possible pour le Conseil d'Etat de constituer des provisions qui peuvent parfois sembler discutables afin de faire basculer les comptes dans le rouge et ainsi de ne pas verser l'annuité aux collaborateurs et collaboratrices de l'Etat, quand bien même cela leur est garanti par la loi. Il y a donc une possibilité - M. Béné le contestait - de maquiller quelque peu les comptes comme cela arrange le Conseil d'Etat, par exemple, lorsqu'ils sont très largement bénéficiaires, comme cela a été le cas certaines années, de les rendre beaucoup moins bénéficiaires de manière à pouvoir justifier par la suite la réduction de certaines dépenses.

La constitution de provisions est en réalité un crédit supplémentaire qui n'est pas prévu dans le budget. Pour des montants aussi importants que des provisions de quelques dizaines ou centaines de millions, qui ont des conséquences politiques d'envergure, le groupe socialiste considère qu'il est légitime que le Grand Conseil ait un droit de regard. Le projet de loi est somme toute relativement modéré, puisqu'il laisse une marge de manoeuvre au Conseil d'Etat en prévoyant que les provisions de moins de 10 millions restent de sa compétence et que le Grand Conseil puisse discuter démocratiquement de toutes les provisions supérieures à ce montant et se positionner sur celles-ci. Je vous remercie.

M. Jean Batou (EAG). Il faut rappeler, comme le rapporteur de majorité l'a fait, que ce débat s'inscrit dans les événements de la fin de l'année 2015 et ce qui s'est passé en 2016. Vous vous souvenez qu'à l'automne 2015, le Conseil d'Etat avait annoncé des déficits records; que, sur cette base, il avait pris des mesures d'économies extrêmement énergiques et que les comptes 2015 s'étaient finalement conclus par un excédent de 186 millions, qui était devenu un déficit suite à la constitution de la provision de 207 millions pour la CPEG. On avait donc un déficit limité de 21 millions, qui s'est réduit comme peau de chagrin suite à des corrections introduites par le service d'audit interne: 17,5 millions de revenus non comptabilisés. Le déficit n'était alors plus que de 3,5 millions. Et même, par la suite, on a vu qu'une provision avait été exagérée et qu'on aurait normalement dû être dans le vert pour 300 000 francs.

Vous allez me dire: «Mais qu'est-ce que c'est que cette pagaille ?» Eh bien, cette pagaille tournait autour de deux enjeux: le Conseil d'Etat avait signé avec la fonction publique un accord indiquant que si les comptes devenaient positifs, il verserait l'annuité 2016, même avec retard. Il fallait donc absolument que les comptes soient négatifs - ils l'étaient de très très peu. Croyez-moi, nous étions un certain nombre à la commission des finances à être convaincus que le curseur avait été poussé légèrement du côté du déficit. Bien sûr qu'il y a des règles comptables ! Mais enfin, personne ne croira qu'on ne peut pas modifier une provision à la marge pour rendre le compte déficitaire. C'est dramatique, parce qu'un accord n'a pas été respecté. Malgré le vote du Grand Conseil, il a fallu une action en justice pour que les annuités soient versées pour 2016. Et surtout, bien sûr, le compte déficitaire: cela signifie trois années de comptes déficitaires et les mesures qui doivent être introduites par le mécanisme du frein au déficit.

Voilà donc pourquoi le groupe Ensemble à Gauche est favorable à un certain contrôle des provisions par le parlement et votera ce projet de loi, mais cela me paraissait utile de rappeler dans quel contexte il avait été introduit, parce que nous ne voudrions pas que ce contexte de la fin 2015 se reproduise. Peut-être qu'avec ce contrôle du parlement, nous pourrions l'éviter. Merci.

M. Yvan Zweifel (PLR). Je voudrais revenir sur un certain nombre de points qui ont été évoqués. Mme Marti disait tout à l'heure qu'une provision peut avoir une conséquence politique. C'est vrai, une provision est une charge du compte de fonctionnement de l'Etat. Comme n'importe quelle charge, elle a bien sûr, potentiellement, une conséquence politique. En revanche, est-ce qu'une provision est issue d'une décision politique ? La réponse est non ! Une provision est une charge, un poste comptable, qui a une base légale extrêmement claire. Ce sont des normes comptables. Cela peut être le code des obligations - article 958 et suivants; cela peut être, pour ce qui concerne l'Etat, les IPSAS, les IFRS, les RPC ou n'importe quoi d'autre. Il s'agit d'un élément décidé et accepté d'un point de vue légal.

Comment décide-t-on d'une provision ? Au petit bonheur la chance, d'après ce que je comprends des propos de M. Batou et de Mme Marti ? Bien sûr que non ! Il y a trois critères extrêmement clairs pour savoir si on a le droit de comptabiliser une provision ou non. Le premier de ces critères est que cela doit correspondre à une charge de l'exercice en cours ou à une charge qui concerne le passé. On ne peut pas constituer de provision pour quelque chose dans le futur. Le deuxième critère, c'est qu'il faut qu'il y ait une probabilité d'occurrence de décaissement de la provision - c'est-à-dire de devoir effectivement sortir de l'argent pour payer cette dépense dans le futur, pour une charge qui était dans le passé - qui soit supérieure à 50%. Enfin, il faut qu'on puisse estimer clairement le montant de cette provision. Là non plus, on n'agit pas au petit bonheur la chance. Ce sont des critères extrêmement clairs que connaît n'importe quel comptable, et c'est sur cette base-là que l'on décide ou non de comptabiliser une provision, et non pas pour faire plaisir à l'un ou à l'autre. En ce sens, ce projet de loi est une aberration.

Une aberration également parce que les charges et les comptes sont de la responsabilité du Conseil d'Etat et de l'administration et en aucun cas du parlement. Si on peut décider quelle provision on met, alors on peut décider de n'importe quelle charge que l'on met dans les comptes ! On peut décider de ce qu'on inscrit dans le budget: c'est un acte politique fort, nous décidons quelles sont les priorités en matière de dépenses. Mais les comptes reflètent simplement ce qui a effectivement été réalisé par l'administration et par le Conseil d'Etat. On n'est pas là pour décider si c'est juste ou pas ! Il y a un réviseur dont le travail est justement d'établir si ces comptes sont corrects ou non. C'est son travail, ce n'est pas le nôtre.

D'ailleurs, Mesdames et Messieurs, que se passerait-il si, par hypothèse, on disait: «Dans ces comptes, cette provision de 3 millions, ce n'est pas assez, je vais l'augmenter à 10 millions !», alors que cela ne respecte pas une norme comptable et que cela ne respecte donc pas la loi ? Quelles seraient les conséquences ? Le réviseur devrait alors dire que ces comptes ne sont pas justes. Que devrait-on faire ? On devrait les refuser. Mesdames et Messieurs, cette proposition est totalement aberrante.

Que dire aussi en matière de dissolution ? Ce projet de loi propose qu'on se prononce sur les constitutions de provisions, mais pas sur les dissolutions de provisions, qui ont pourtant les mêmes conséquences politiques que leur constitution, comme l'évoquait Mme Marti. Mesdames et Messieurs, ce projet est une aberration, il faut évidemment le rejeter.

M. Christian Bavarel (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, j'ai cette chance d'avoir fait l'intermittent de la politique à certains moments de ma vie, donc d'avoir siégé il y a très longtemps dans cette enceinte ainsi qu'à la commission des finances. J'ai connu cette époque un peu curieuse où, lorsqu'on faisait les comptes à l'intérieur de ce parlement, on passait une journée complète à savoir comment on allait compter l'addition. Personne n'était d'accord. Ce parlement a fait un immense travail en introduisant des normes comptables, d'abord les normes IPSAS, IFRS, et toute une série d'autres normes. Effectivement, nous nous sommes retrouvés avec des réviseurs, et aujourd'hui, nous ne discutons plus de l'addition, mais de la gestion du Conseil d'Etat, et puis nous commençons à nous occuper de politique. A l'époque, quand on n'était pas d'accord sur l'addition, on passait son temps à bouger les chiffres, et l'endroit où généralement on les bougeait, c'étaient bel et bien les provisions. On provisionnait un peu plus, un peu moins, et c'était une action politique.

Ce qui est demandé aujourd'hui, c'est de revenir à une discussion politique et non plus technique sur cette histoire de provisions. On a des normes, des normes qui sont utilisées au niveau international. Il existe des gens dont c'est le métier, qui savent s'y référer. On a un réviseur, qui est un peu particulier à l'Etat de Genève, la Cour des comptes, mais ce réviseur applique bien des normes. Il les applique de manière extrêmement stricte et il nous dit si on est dans les clous ou si on est en dehors. Après, que l'addition nous fasse plaisir ou non n'a aucune importance, on sait qu'elle est calculée de cette manière-là, on connaît tous ce référentiel. A partir de là, on peut faire de la politique, ce qui est notre job à nous, on est élus pour cela. Mais si on commence à trafiquer l'addition en se demandant si on va en mettre un peu plus ou un peu moins à cet endroit et qu'une année sur deux on ne compte jamais de la même manière, ça ne va pas fonctionner.

Gardons notre rôle de politiciens, à savoir, une fois que cette analyse est réalisée et qu'elle est certifiée par des gens qui sont des techniciens et qui s'occupent de cela d'un point de vue purement technique, indiquer ce qui est souhaitable en essayant de voir quelle est notre vision de la société, les uns avec des points de vue différents des autres. Certains sont des chefs d'entreprises, d'autres sont des employés avec des responsabilités syndicales, d'autres ont des soucis environnementaux et une vision à long terme - on connaît ces débats, c'est ce qui fait la richesse du monde politique. Mais de grâce, ne recommençons pas, dans ce parlement, à discuter de la manière dont on fait l'addition, parce qu'alors on ne va jamais s'en sortir ! Ce serait une perte de temps phénoménale. Les Verts n'entreront donc pas en matière sur ce projet de loi.

Mme Françoise Sapin (MCG). Ce projet de loi est né parce qu'en 2014 et 2015, des provisions avaient été constituées par le Conseil d'Etat et que cela avait fait basculer le résultat, comme l'a très bien expliqué le rapporteur. Mais c'était pour respecter une loi, en l'occurrence la loi sur la CPEG. La manière de procéder proposée par le PL 11928 est totalement inapplicable. Par essence, comme l'a expliqué mon collègue, M. Zweifel, une provision est une estimation faite pour tenir compte de charges qui n'auraient pas été enregistrées et qui concernent le passé ou des risques avérés. De plus, cette manière de faire, ce sont des éléments qui concernent l'exécutif et non le législatif. Enfin, comment voulez-vous, lors du bouclement des comptes effectué par l'Etat de Genève entre janvier et mars d'une année, préparer un projet de loi sur ces provisions, l'envoyer en commission, le traiter, le voter et revenir vers l'Etat pour qu'il soit enregistré dans les comptes et que le Conseil d'Etat puisse présenter les comptes en mars ? C'est absolument impossible. Pour toutes ces raisons, le MCG refusera ce projet de loi.

M. Olivier Cerutti (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, brièvement, j'aimerais rappeler qu'au moment des comptes, on est là pour vérifier si la politique mise en place par le Conseil d'Etat se retrouve effectivement dans ces comptes, sous l'angle du budget voté l'année précédente. C'est le véritable travail de la commission des finances et du parlement. Au-delà de ce travail, il faut rappeler que ces comptes tels qu'ils sont donnés aujourd'hui sont vérifiés par la Cour des comptes, soit une entité externe au parlement. C'est aussi un élément qui nous permet d'avoir une véritable appréciation.

Cela étant dit, pour revenir à la CPEG, on a pu lire aujourd'hui les résultats de fin octobre, qui sont très provisoires. On voit qu'avec la baisse du taux technique à 1,75%, on se retrouve aujourd'hui avec un taux de couverture de 53%. Mesdames et Messieurs, que dire aujourd'hui des provisions établies par le Conseil d'Etat en son temps ? Eh bien, il faut se féliciter ! Parce que le Conseil d'Etat avait véritablement raison de prendre ces dispositions au moment du bouclement. C'est pourquoi on peut encore remercier le Conseil d'Etat de l'avoir fait et on doit surtout ne pas accepter ce projet de loi. Je vous remercie.

Une voix. Bravo !

Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Le Conseil d'Etat vous invite évidemment à ne pas entrer en matière sur ce projet de loi, qui comporte certains côtés délirants: comme si le Conseil d'Etat pouvait décider seul des provisions qu'il constitue et que cela pouvait avoir uniquement une signification politique ! Cela a été rappelé par les différents députés, en particulier par M. Zweifel, la constitution d'une provision est soumise à des conditions extrêmement strictes. Nous avons des réviseurs de comptes. C'était tout d'abord le SAI, c'est maintenant la Cour des comptes. A chaque fois que nous évoquons les comptes avec elle, nous devons justifier la provision, tant sur son montant que par rapport à l'événement concerné. Alors, Mesdames et Messieurs, inclure un oeil politique dans la constitution d'une provision alors qu'il s'agit d'un acte comptable... Je vous invite vivement à refuser cette proposition. Vous avez le budget pour faire de la politique, ce que vous faites manifestement - vous vous en donnez à coeur joie. Laissez-nous les comptes, laissez-nous nous assurer que ceux-ci sont audités par des experts, et que les députés, qui, pour la plupart, n'ont pas les compétences en la matière, ne viennent pas mettre le nez là-dedans ! Merci, Mesdames et Messieurs. (Commentaires. Applaudissements.)

Le président. Merci. Nous passons au vote d'entrée en matière sur ce projet de loi.

Mis aux voix, le projet de loi 11928 est rejeté en premier débat par 65 non contre 23 oui et 1 abstention.