République et canton de Genève

Grand Conseil

R 674-A
Rapport de la commission de l'énergie et des Services industriels de Genève chargée d'étudier la proposition de résolution de MM. Pascal Spuhler, Mauro Poggia, Roger Golay, Thierry Cerutti, Jean-François Girardet, Sandro Pistis, Henry Rappaz, André Python, Guillaume Sauty, Jean-Marie Voumard, Florian Gander : Fibre optique, des millions pour Swisscom et les SIG
Ce texte figure dans le «Recueil des objets déposés et non traités durant la 57e législature».
Rapport de majorité de M. Hugo Zbinden (Ve)
Rapport de minorité de M. Christophe Andrié (MCG)

Débat

Le président. Nous passons maintenant à la R 674-A. Le rapport de majorité est de M. Hugo Zbinden, remplacé par M. François Lefort, et celui de minorité de M. Christophe Andrié, remplacé par M. André Python. Nous sommes en catégorie II, quarante minutes. Monsieur Lefort, vous avez la parole.

M. François Lefort (Ve), rapporteur de majorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, voici une très gentille résolution des membres du MCG - vous l'avouerez, la gentillesse n'est pourtant pas tellement leur style, d'habitude ! Mais on ne va tout de même pas leur reprocher de nous proposer une gentille résolution ! Et que nous propose-t-elle, cette gentille résolution ? Ni plus ni moins que de demander au Conseil d'Etat d'intervenir auprès de Swisscom et des SIG pour que ces deux entreprises installent gratuitement la fibre optique à tout propriétaire qui en ferait la demande, ceci sous prétexte d'égalité des chances et du droit de tout un chacun d'obtenir les mêmes possibilités d'accès à la fibre optique. Si on connaît le concept d'égalité des chances - c'est l'un des fondements de la théorie de la justice - on ne comprend pas très bien son application au domaine de la fibre optique. Quant au droit de tout un chacun d'obtenir les mêmes possibilités d'accès à la fibre optique, c'est tout simplement un nouveau droit, Mesdames et Messieurs les députés ! En fait, ce que le MCG nous propose en définitive, c'est une subvention indirecte aux propriétaires pour installer la fibre optique - mais je doute que ç'ait été là l'idée initiale. Je sais, ce n'est pas très gentil de se moquer d'une telle gentille résolution, alors venons-en au fond.

Aussi bien la présentation en commission que le rapport de minorité circonscrivent curieusement cette résolution à la Fondation immobilière de droit public, alors que son invite parle de «tout propriétaire». Le rapport de minorité allègue même, je cite: «Swisscom et les SIG menacent les propriétaires avec des montants exorbitants si le propriétaire ne signe pas les contrats». Vous voyez donc qu'il y a une menace grave, le sujet est grave ! Pour en avoir le coeur net, la commission a écouté les SIG, Swisscom et la Fondation immobilière de droit public. Il apparaît que les SIG et Swisscom ont investi 380 millions dans la fibre optique à Genève afin de distribuer téléphonie, internet et télévision, pour un réseau d'une durée de vie d'environ cinquante à quatre-vingts ans. S'agissant maintenant du coût, sa plus grande partie concerne en fait la colonne montante des bâtiments dans laquelle va passer la fibre. C'est en effet le poste de dépense le plus important, puisque l'installation dans une colonne montante représente à elle seule 40% du coût. Or la collaboration entre Swisscom et les SIG a justement permis de réduire les nuisances et d'optimiser les coûts.

Que s'est-il passé à l'époque de ce texte, en 2012 ? Les infrastructures réalisées par Swisscom dans le centre-ville et par les SIG dans la périphérie étaient déjà installées. Cette installation de la distribution dans le centre-ville et la périphérie était donc quasiment terminée lorsque cette résolution a été déposée. Cela signifie que la fibre optique est disponible dans la rue et que les colonnes montantes qui, elles, ne relèvent pas de la compétence des SIG ou de Swisscom, puisqu'elles sont la propriété des régies et des propriétaires, attendent simplement d'être équipées si les propriétaires en font la requête. A la demande des associations de propriétaires, Swisscom a financé les travaux dans ces colonnes montantes et installé les prises dans tous les appartements moyennant une participation allant de 200 F à 500 F par logement sur un coût total moyen de 1750 F, c'est-à-dire que l'installation était déjà financée, pour la plus grande part, par les installateurs. La réalité, c'est que 95% des propriétaires ont accepté cet accord avec Swisscom et les SIG et que la situation était déjà réglée lorsque nous avons déposé les rapports sur cette résolution.

Enfin, concernant la Fondation immobilière de droit public, nous avons invité M. Bertrand Reich, son président, qui est venu nous expliquer que les négociations avec Swisscom et les SIG avaient abouti à un compromis selon lequel Swisscom et les SIG équipaient une partie des appartements gratuitement à la condition que le locataire s'abonne ensuite. A l'heure où nous traitons ce texte, le centre-ville et les communes périphériques sont équipés, 95% des propriétaires ont accepté l'installation de la fibre optique dans leur appartement; voilà donc la situation. Cette proposition de motion, qui avait comme conséquence bien involontaire de financer les propriétaires pour la pose de la fibre optique, était de toute façon déjà périmée lorsque nous l'avons traitée, et la majorité de la commission de la précédente législature vous recommandait déjà de la rejeter, ce que nous ferons aujourd'hui - pas cette motion, excusez-moi, cette résolution ! Nous vous invitons donc à la refuser.

M. André Python (MCG), rapporteur de minorité ad interim. Voici une résolution ancienne, pleine de bon sens à l'époque, qui demandait la gratuité de la fibre optique pour les immeubles à but social. L'idée était que l'installation de la fibre optique devait être gratuite, comme l'est celle de l'eau et de l'électricité. Actuellement, comme l'a dit mon préopinant, tous les câbles sont tirés partout, sauf à la campagne, cette résolution n'a donc en effet plus de raison d'être. Je vous remercie, Monsieur le président.

M. Alberto Velasco (S). Tout d'abord, j'aimerais dire aux signataires du texte, Monsieur le président, que ce n'est pas une question d'égalité des chances, car avoir la fibre optique n'est pas une chance; je crois qu'on devrait plutôt parler d'égalité de traitement, c'est autre chose. De nos jours, tout le monde peut avoir accès à internet en disposant simplement d'une connexion téléphonique, on n'a pas besoin de passer par la fibre optique pour se connecter à internet et à tout le réseau - il y a juste un débit plus important, mais c'est tout.

Deuxièmement, comme l'a dit le rapporteur de majorité, M. Reich, président de la Fondation immobilière de droit public, a fait une déclaration très intéressante en précisant qu'il s'agirait de 3 millions supplémentaires à investir rien que pour les logements sociaux; si la fondation paie ces 3 millions supplémentaires, Mesdames et Messieurs, vous savez ce qui se passera: l'augmentation se répercutera sur les loyers, donc sur les locataires, et votre motion...

Une voix. Résolution !

M. Alberto Velasco. ...votre résolution qui vise à faire un cadeau aux locataires se retournera contre eux, en réalité ! Le seul aspect intéressant aurait été que le Conseil d'Etat accepte d'octroyer une subvention aux SIG et à Swisscom afin que tous les locataires des HLM et HBM puissent bénéficier gratuitement de la fibre optique. Mais, ainsi que le disait aussi M. Reich, c'est un petit luxe, donc on ne va pas aller dans cette direction-là.

Le véritable projet intéressant à l'époque était celui de Guy-Olivier Segond, qui voulait que le canton entier soit câblé afin que tout un chacun puisse avoir accès à ces informations. C'était il y a vingt ou vingt-cinq ans, il était visionnaire ! Seulement voilà, ce projet a été refusé, il coûtait 500 millions à l'époque. Cela aurait pourtant donné à Genève une primauté sur pratiquement tout le reste du monde, c'était un excellent projet, mais les SIG l'ont refusé, ce Grand Conseil l'a refusé, et aujourd'hui on en arrive là. Mesdames et Messieurs, je crois qu'il n'est nullement nécessaire de faire dépenser 3 millions - et encore, au bas mot ! - aux fondations immobilières. Je considère, et c'est un élément très important, que les locataires qui veulent obtenir la fibre optique peuvent l'avoir s'ils s'abonnent à Swisscom ou aux SIG. Par conséquent, Mesdames et Messieurs, en ce qui nous concerne, nous refuserons cette proposition de résolution.

M. Bernhard Riedweg (UDC). Il faut être conscient que la gratuité de la fibre optique pour une certaine catégorie d'immeubles à but social entraînerait une augmentation des redevances pour l'ensemble des autres consommateurs bénéficiant de ce service, avant tout des frais fixes d'infrastructure. La fibre optique, qui augmente les besoins d'énergie, est un produit de confort haut de gamme puisqu'elle concerne la télévision à haute définition, qui présente grâce à elle une meilleure qualité d'image. La fibre optique n'est pas un besoin primaire essentiel, contrairement à l'eau, l'électricité ou le gaz. En outre, il existe d'autres moyens de télécommunication, peut-être légèrement de moins bonne qualité mais tout aussi efficaces et spectaculaires.

Ce texte a été déposé en octobre 2011; entre-temps, les SIG ont fait de très mauvaises expériences et ont d'ailleurs signalé en ce début d'année une perte sur la fibre optique de l'ordre de 45 millions comptabilisés sur l'exercice 2013. Les SIG nous ont dit que la durée pour rentabiliser ces investissements serait de plusieurs décennies d'exploitation - je rappelle que la part de leurs investissements s'élève à 200 millions. Cablecom, Sunrise ou Orange n'ont pas été intéressés à participer aux investissements dans cette technologie, certainement pour des questions de rentabilité.

Mesdames et Messieurs les députés, celui qui consomme doit payer le service, surtout s'il se situe dans la catégorie confort. Dans le cas qui nous est soumis, il est hors de question que la Fondation immobilière de droit public prenne en charge le coût des travaux dans les colonnes montantes à l'intérieur de ses immeubles, coût qui s'élève à 500 F par logement et se répercutera sur les loyers. Il a été dit que l'Etat ne doit pas s'immiscer dans le domaine de la fibre optique, d'autant plus qu'il s'agit d'une relation privée entre fournisseurs et consommateurs. Ce n'est ni l'intérêt ni le devoir de l'Etat, ce service ne mérite donc pas de subvention. Cette proposition part d'une bonne intention mais n'est pas équitable pour les consommateurs et, pour cette raison, l'UDC vous demande de la refuser. Merci, Monsieur le président.

M. Pascal Spuhler (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, bien du temps est passé entre le dépôt de cette proposition de résolution et aujourd'hui. D'aucuns prennent la parole, prétendent des choses qui n'ont pas été dites ni même proposées dans le texte - je parle en l'occurrence du rapporteur de majorité. Il est dommage, Mesdames et Messieurs, qu'un certain nombre d'intervenants qui n'étaient même pas là durant les travaux de la commission n'aient pas vraiment lu ni compris la résolution. Au moment où l'installation de la fibre optique commençait à se faire - il y avait une répartition du canton entre Swisscom, qui s'occupait du centre-ville, et les SIG, qui équipaient plutôt la campagne - une réelle urgence s'imposait d'amener la fibre optique dans certains appartements quand les travaux étaient entrepris devant les immeubles. La méthode de Swisscom était de téléphoner aux propriétaires et de leur dire: «Nous sommes devant chez vous, dites oui ou non tout de suite, faute de quoi ça coûtera 500 F par appartement.» C'était un peu le langage tenu, et vous avez beau dire ce que vous voulez, c'est quand même ce qui a été fait. Le réseau a été installé de cette manière, Swisscom tordant un peu les bras de certains propriétaires qui ont dit oui ou non selon leur envie.

L'idée de cette résolution était que le Conseil d'Etat intervienne spécifiquement pour les logements sociaux, parce qu'il n'y avait pas de raison que des propriétaires plus aisés puissent se permettre l'installation moyennant finances alors qu'on ne va évidemment pas dépenser inutilement des sous pour des logements sociaux, car ces frais risquent de se répercuter sur les locataires et représenteraient alors une inégalité de traitement, comme le soulignait M. Velasco en corrigeant le terme tout à l'heure. C'était bien ça, le problème, à savoir cette inégalité de traitement entre des propriétaires privés qui bénéficieraient d'un réseau de fibre optique et des propriétaires sociaux qui ne pourraient pas en profiter.

Mesdames et Messieurs, cinq ans se sont écoulés entre le moment du dépôt de cet objet et le jour où on en discute. Evidemment, la toile d'araignée des fibres optiques a entre-temps été posée par Swisscom et les SIG, et je ne parle même pas des fibres optiques posées depuis un certain temps déjà par Naxoo voire par l'Etat et les communes, qui ont leur propre réseau de communication. Aujourd'hui, la fibre optique est primordiale, vous le savez. M. Riedweg nous disait plus tôt que ce n'est pas un besoin prioritaire. Il y a cinquante ans, on parlait du téléphone de la même manière en pensant que ce n'était pas une nécessité; pourtant, tous les logements ont un téléphone aujourd'hui, on ne conçoit pas de construire un logement sans ligne téléphonique ! Je ne parle même pas d'il y a cent ans, où on ne concevait même pas d'avoir de l'électricité ! Mesdames et Messieurs, peut-être cette résolution est-elle traitée trop tard, peut-être est-elle venue trop tôt, je ne sais pas. Mais un jour, vous aurez tous la fibre optique à la maison pour commander votre domotique, votre télévision, votre réveille-matin, votre montre et votre allume-cigare ! Merci, Monsieur le président.

M. Florian Gander (MCG). Beaucoup de choses ont été dites par mon préopinant. Quant à moi, je voudrais juste donner quelques éléments factuels relativement à ce qu'on vient d'entendre de part et d'autre. Il y a des choses qu'il faut savoir, comme le fait que les technologies ont évolué: à l'époque, on parlait de colonne montante, ce qui n'existe absolument plus aujourd'hui ou qui n'est en tout cas plus obligatoire, car les SIG et Swisscom ont trouvé d'autres solutions en utilisant le cuivre ou les installations existantes des téléphones pour remonter dans les appartements sans devoir systématiquement tirer des colonnes montantes avec un coût de 500 F par logement. C'est déjà fini, ce qui fait que cette résolution, automatiquement, n'a plus vraiment son sens aujourd'hui au niveau du coût.

Ce dont on s'est malheureusement rendu compte aussi lors des travaux de commission, c'est que les SIG, qui nous avaient vanté les mérites de l'installation de la fibre optique, ont accusé une perte financière - M. Riedweg l'a relevé tout à l'heure - qui n'est pas sur une année mais au minimum...

Le président. Il vous reste vingt secondes.

M. Florian Gander. ...sur les dix prochaines années ! Nous devons donc vraiment faire attention car c'est de l'argent qui a été investi à perte, qu'on aurait pu investir dans les énergies renouvelables ou autre chose mais en tout cas pas dans la fibre optique. Pour terminer, on nous dit que la fibre optique est installée partout; pour ma part, je travaille dans les écoles primaires...

Le président. Il vous faut conclure.

M. Florian Gander. ...et la fibre optique n'y est pas encore installée partout, alors que c'est là qu'on en aurait le plus besoin !

M. Olivier Cerutti (PDC). On parle d'égalité de traitement: parler d'égalité de traitement pour raccorder un appartement ou pour raccorder un village, ce n'est pas tout à fait la même chose ! Personnellement, je n'ai pas participé aux discussions lors de la précédente législature, mais je me souviens qu'il y a vingt-cinq ans, quand j'étais dans ma commune, la fibre optique était un sujet de très grande actualité, avant que le cuivre ne prenne le dessus. Que s'est-il passé ? Chaque fois qu'on ouvrait une route pour poser un collecteur ou autre, on prenait l'habitude d'installer des tubes vides afin de recevoir un jour cette fameuse fibre optique. Aujourd'hui, celle-ci n'est toujours pas disponible dans la grande ceinture péri-urbaine, ce qui est malheureux.

Je suis persuadé qu'en ayant confié cette mission de pilotage aux Services industriels, on trouve une meilleure répartition des charges qui amènera peut-être à une plus grande égalité de traitement entre les différents villages. Rappelons que les communes d'Aire-la-Ville et de Meinier sont actuellement raccordées à la fibre optique; ce qu'il serait intéressant de savoir, c'est comment elle est utilisée par nos concitoyens, par les résidents.

Un dernier mot, puisque quelqu'un a évoqué les écoles: de gros efforts y ont été faits, qui doivent aussi l'être dans les zones artisanales et industrielles. Mesdames et Messieurs, la fibre optique représentera de lourds investissements ces dix prochaines années, c'est pourquoi je vous encourage à soutenir l'égalité de traitement, mais pour un raccordement aux ensembles et non pas aux appartements !

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député, et cède la parole à... Ah non, vous n'avez plus de temps de parole, Monsieur Sormanni ! (Remarque.) C'est donc le moment de voter.

Mise aux voix, la proposition de résolution 674 est rejetée par 61 non contre 17 oui.