République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1360-A
Rapport de la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil chargée d'étudier la motion de M. Michel Halpérin contre la délation anonyme
Rapport de M. Alain Charbonnier (S)
Proposition de motion: Mémorial 2000, p. 8101

Débat

M. Alain Charbonnier (S), rapporteur. Je rappelle tout d'abord que la commission a refusé cette motion à l'unanimité, mais il a été décidé d'adjoindre au rapport la réponse qui nous a été donnée par le Conseil d'Etat.

Dans un article d'un journal de notre canton, le 16 août dernier, le député Michel Halpérin, disait espérer créer un débat sur sa motion contre la délation anonyme. Les commissions ne serviraient-elles à rien ? Au sein de la commission des droits politiques - les commissaires libéraux en général - nous disent que trop de débats sont faits en plénière et que ceux-ci devraient avoir lieu en commission... Il serait bon d'avoir un peu de cohérence !

De son côté, la commission des droits politiques a donc effectué son travail sur cet objet. Elle a pu constater la confusion induite par le titre de la motion. Une délation anonyme n'est pas une dénonciation anonyme, et ce n'est pas à M. Halpérin que je vais l'apprendre.

Je vais tout de même prendre le temps de vous lire la définition du Petit Robert de la délation: la délation est une dénonciation inspirée par des motifs méprisables. La première question est donc de savoir si la dénonciation anonyme est automatiquement inspirée par des motifs méprisables. La réponse de la commission est claire: c'est non. Plusieurs exemples ont été donnés en commission, en particulier par le Conseil d'Etat, comme celui de la protection des enfants. En cas de maltraitance d'enfants, on peut bien comprendre l'embarras d'un membre de la famille ou même d'un voisin de dénoncer le fautif sous son identité à la Protection de la jeunesse.

Je crois qu'il serait malvenu de soutenir - et je cite le député Halpérin - que de telles attitudes sont contraires à la plus élémentaire dignité et qu'elles sont celles d'un lâche.

La deuxième question est celle de la défense de l'intérêt public et de la sécurité. L'exemple que j'ai cité auparavant en est aussi la démonstration. La dénonciation anonyme d'employées de maison engagées sans permis de travail citée par l'auteur de la motion en est aussi une bonne démonstration. Les personnes sans papiers en règle sont exploitées par des employeurs qui ne leur offrent ainsi aucune protection sociale. L'intérêt général et la sécurité s'en trouvent donc affectés.

La délation qu'elle soit anonyme ou pas est intolérable, mais elle est difficilement identifiable pour l'administration. Le Conseil d'Etat nous a rassurés quant aux suites des démarches administratives lors des dénonciations anonymes. Il est attentif dans ces cas au droit de chacun, notamment le droit d'être entendu de la personne mise en cause.

M. Michel Halpérin (L). Cette modeste motion m'a permis d'apprendre beaucoup de choses. Et rien que pour cela, de mon point de vue très égoïste, je suis content de l'avoir déposée.

La première chose que j'ai apprise, c'est que les sujets éthiques n'intéressent réellement personne, notamment dans cette assemblée. J'ai déposé ce texte il y a deux ans, dans un silence d'une indifférence absolue, ce qui prouve au moins qu'il y a des sujets éthiques qui suscitent l'animation et d'autres qui suscitent le silence. Celui-ci fait partie de la deuxième catégorie.

La deuxième chose que j'ai apprise dans le cadre de cette motion, c'est que l'été les feuilles de la presse sont vides et que, si par hasard, on trouve un moyen de les remplir, tout est bon pour cela, y compris les motions qui n'intéressent personne en temps ordinaire. C'est ainsi que la presse cantonale s'est intéressée cet été, parce qu'il n'y avait rien de mieux à se dire ce jour-là et qu'il fallait remplir un peu de papier, à cette motion en bout de course - je ne dis pas qu'elle était essoufflée car son auteur ne l'est pas, lui. Dès lors, elle a commencé à susciter l'intérêt, tardivement, bien après que la commission s'y fut penchée.

La troisième chose que j'ai apprise, c'est qu'à partir du moment où elle intéressait la presse, elle intéressait le public. Et voilà que j'ai commencé à recevoir, bien plus que dans aucune de mes autres propositions, beaucoup de correspondance cet été et cet automne de citoyens qui avaient des opinions sur le sujet. Je voudrais les partager avec vous, parce que je sais que l'opinion de nos concitoyens vous intéresse.

La plupart de ceux qui m'ont écrit l'ont fait pour me dire qu'ils étaient favorables à la dénonciation, voire, Monsieur le rapporteur de majorité et d'unanimité, à la délation, mais pas anonyme... Ils m'ont expliqué qu'ils étaient fâcheusement impressionnés par certains abus dans le secteur administratif. Des abus, paraît-il, commis ou à l'encontre de la Caisse de chômage, m'ont écrit les uns, ou au détriment de l'Hospice général, m'ont écrit les autres, qui justifiaient, selon eux, que l'on se fâchât et que l'on dénonçât. Mais tous mes correspondants ont admis qu'il n'était pas nécessaire d'être anonyme pour dénoncer.

Un autre type d'intervention m'a été communiqué et m'a beaucoup intéressé qui provenait de fonctionnaires. J'ai eu le privilège de recevoir des confidences plurielles de fonctionnaires me remerciant de ma motion, me disant qu'il serait heureux qu'elle soit adoptée par cette assemblée parce qu'elle les mettrait à l'aise... Parce que figurez-vous, Mesdames et Messieurs les députés, certains fonctionnaires ne sont pas à l'aise, lorsqu'ils donnent suite à des dénonciations ou à des délations anonymes !

Voilà pour les premières leçons.

Ensuite, il y a eu une leçon intéressante sur la difficulté de s'entendre quand on n'est pas sourd... (Rires.)En quoi consistait-elle ? Oh, c'était très simple ! L'invite de la motion consiste à demander que l'on classe verticalement, c'est-à-dire en les mettant à la poubelle, les dénonciations anonymes dans les affaires de procédure administrative... Et voilà qu'on m'a objecté, comme tout à l'heure M. le rapporteur d'unanimité: «Que fait-on lorsque des enfants sont victimes de mauvais traitements ?» Ou bien, «Imaginez, Monsieur Halpérin, qu'un hold-up soit en train de se préparer au Rondeau de Carouge et qu'on ne tienne pas compte de la dénonciation anonyme qui annoncerait l'arrivée des malfaiteurs en cagoule et en pistolet !» J'ai répondu sur tous les tons, d'abord très calme et très pédagogique, comme vous me savez, ensuite légèrement plus ému, pour dire que ces cas relevaient du droit pénal, de la police judiciaire et qu'il ne fallait donc pas se faire de souci, car ma motion ne s'appliquait pas à ces cas. Mais voyez-vous, il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre... Deux ans après mes explications, le rapporteur d'unanimité continue à se boucher les oreilles à l'émeri ! Tant pis pour lui !

Et puis, la vraie question, la seule, c'est de savoir ce que vous jugez extrêmement important... La commission a en effet eu ce mot inoubliable, sous la plume de son rédacteur, je cite: «Concernant l'esprit de la motion, un député ne doute pas que M. Halpérin soit animé par de nobles sentiments - merci, Monsieur, ou Madame, le député ! - Il estime toutefois que cet esprit est une chose et ses effets une autre. - j'en conviens - Il engage la commission à se concentrer - concentre-toi, commission ! - uniquement sur l'invite, qui stipule clairement qu'en cas de dénonciation anonyme la procédure administrative n'est pas engagée. Il estime que cela a de graves conséquences.» Voilà qui est bien dit ! Je tourne donc la page à la recherche des conséquences, et je ne les trouve pas. Et je compte sur le rapporteur d'unanimité pour m'expliquer quelles seraient les graves conséquences pour la République si la dame portugaise, qui travaille dans un bistro ou qui fait des ménages sans permis de séjour, n'est pas dénoncée par sa voisine d'en face qui a un compte à régler avec l'employeur de la malheureuse ou est sa rivale en amour, et que de ce fait elle n'est pas expulsée... Où sont les dangers majeurs pour la République ? J'attends votre réponse, Monsieur Charbonnier, et je m'en réjouis déjà !

C'était tout l'objet de ma motion, alors, je suis content, Monsieur le rapporteur d'unanimité de vous entendre - vous, surtout - nous expliquer qu'il n'y a vraiment que des dangers pour la République à ne pas expulser les clandestins, compte tenu du fait que, comme ils sont déjà exploités par leur patrons, c'est bien la moindre des choses qu'il leur arrive un malheur supplémentaire !

Quant au Conseil d'Etat, Mesdames et Messieurs les députés, il est à l'origine du choix de la commission. Il y a une très belle lettre du Conseil d'Etat qui figure en annexe, et dont je vous recommande la lecture.

Que nous dit le Conseil d'Etat qui ait emporté l'adhésion unanime de la commission ? Il nous dit d'abord - est-ce vrai, est-ce faux ? - que selon lui: «Dans la plupart des services concernés, la proportion des délations anonymes est inférieure à 10% des causes de procédure administrative.» Je dis «est-ce vrai, est-ce faux ?» parce qu'il se trouve qu'un député - anonyme lui aussi, membre de la commission, mais ancien conseiller d'Etat en charge du département des travaux publics... (Rires.)- a expliqué, selon le rapport de la commission, que dans son département les dénonciations représentaient à peu près 50%, ce qui est bien plus que 10%. Mais il est vrai que dans certains départements on dénonce moins que dans d'autres, et la moyenne est peut-être exacte.

La deuxième remarque du Conseil d'Etat est la suivante: lorsque l'intérêt essentiel de l'Etat n'est pas menacé, lorsque les enjeux ne sont pas «vitaux» - pour reprendre l'expression du Conseil d'Etat - celui-ci n'entre pas en matière sur les dénonciations anonymes... Et là, à mon grand regret, car j'ai beaucoup d'affection pour tous les membres du Conseil d'Etat - passés et actuels - je dois dire que c'est un mensonge absolu ! (Rires.)Il n'y a pas d'exemple qu'une dénonciation anonyme ne soit pas suivie d'effet par l'administration, notamment dans les domaines qui, selon moi, ne mettent pas en danger la sécurité de l'Etat et pas davantage ses intérêts vitaux. A moins, naturellement qu'on considère - comme M. Charbonnier - que l'expulsion de la dame portugaise dont je parlais soit un intérêt vital et que sa non-expulsion mette en danger l'intérêt de l'Etat.

Voilà, ce que nous disait le Conseil d'Etat qui ajoutait - troisième curieuse prise de position - que, de toute façon, les intérêts de la personne visée par la dénonciation anonyme sont préservés, car celle-ci est entendue... J'en conviens, au bénéfice du doute.

Mais je vous ferai observer que la seule question que posait ma motion était de savoir s'il était bien convenable que des dénonciations, dont quelques-unes sont calomnieuses, restent impunies, puisque leurs auteurs restent dissimulés. A cela il n'y a pas de réponse du Conseil d'Etat, et pour cause...

Et voilà comment la commission unanime, suivant le Conseil d'Etat, rend une décision qui mérite - vous me pardonnerez de prolonger de quelques instants ma prise de position - qu'on s'y arrête ! Que vous dit la commission dans son rapport ? Probablement me mettant au bénéfice de la noblesse des sentiments, elle dit: «sur le principe, Halpérin a raison». Mais, comme sur la réalisation, ce n'est pas praticable, elle imagine de refuser la motion, en joignant la lettre du Conseil d'Etat, afin - pense-t-elle - d'envoyer un signal fort à la population et décourager les personnes qui utiliseraient la délation... Alors, ça, Mesdames et Messieurs les députés, je dois vous dire que je reçois, depuis un an que la décision a été prise par la commission, un nombre de confidences des médecins qui soignent les députés membres de cette commission sur la difficulté qu'ils ont à se remettre des courbatures que ces contorsions leur ont occasionnées... (Rires.)...qui est fabuleux ! Encore aujourd'hui, il en est dans cette salle - et je soupçonne le rapporteur d'unanimité d'en être - qui souffrent de douleurs musculaires non maîtrisées du fait des contorsions auxquelles ils ont dû se livrer pour parvenir à ce résultat.

Mesdames et Messieurs les députés, je conclus. La question qui vous est posée est celle-ci: de quelle Genève rêvons-nous ? D'une Genève qui fonctionnerait comme l'ancienne République de Venise où il y avait la «Bocca della verita» dans laquelle on pouvait enfoncer les dénonciations anonymes et avec elles ceux qui étaient visés ou bien d'une autre manière qui soit plus conforme à ce qu'un certain nombre d'entre vous affirment sur tous les tons, et généralement les plus pathétiques, en matière d'éthique.

Je pose la question et je vous invite à vous rappeler le premier vers du chant des partisans de Joseph Kessel: «Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?». (Applaudissements.)

M. Rémy Pagani (AdG). Il est un peu facile, Monsieur Halpérin, de donner des leçons, en se servant de l'exemple des clandestins alors qu'en général vous ne les défendez guère...

Je voudrais simplement dire que notre société n'est pas égalitaire et chaque personne ne peut pas s'exprimer librement, Monsieur Halpérin, sans en subir des conséquences qui sont parfois dramatiques. Je prends l'exemple le plus important, je veux parler des rapports de subordination. Notre société met au pinacle le rapport salarial: eh bien, un ouvrier, un employé, ne peut pas s'exprimer avec son employeur sur un pied d'égalité, cela est évident.

Je prends un autre exemple. Les locataires, qui sont très majoritaires dans notre canton, n'ont pas un rapport égalitaire avec leur propriétaire. Ils ne peuvent pas dénoncer d'éventuels abus de celui-ci sans encourir des représailles, comme l'expulsion de son logement sous un prétexte ou sous un autre... (Exclamations.)...qu'il justifiera à un moment ou à un autre, voire un an ou deux ans après... Toujours est-il que les rapports de subordination existent !

Monsieur Halpérin, vous m'expliquerez comment notre société pourrait être gérée, si chacun d'entre nous devait voter à main levée face à son patron ou face à son régisseur ! De fait, le suffrage universel et la confidentialité et le secret du vote existent précisément pour entériner ce rapport de subordination que la majorité de nos concitoyens ont avec une minorité d'autres citoyens... De ce fait, et bien que vous vous drapiez dans vos conceptions éthiques de la société, il y a beaucoup d'injustices et certains de nos concitoyens, qui n'ont pas la connaissance de leurs droits ou qui n'ont pas un rapport égalitaire avec d'autres citoyens, doivent tout de même pouvoir dénoncer des abus.

J'en veux pour preuve les constructions illégales... Comme vous l'avez dit, c'est le département qui reçoit le plus de dénonciations. Et je dois dire que je ne vois pas comment des travaux illégaux pourraient être dénoncés autrement que de manière anonyme si c'est justifié. Il en est de même pour un ouvrier qui constaterait que son patron puise dans la caisse, mettant l'entreprise en péril, ou produit des matières dangereuses ou toxiques pour la collectivité. Il est nécessaire de préserver cette possibilité - non pas ce droit, Monsieur Halpérin - que donne la société pour garantir un minimum d'égalité, même si cela vous paraît complètement aberrant. Toujours est-il que la majorité de nos concitoyens...

Une voix. C'est de la lâcheté !

M. Rémy Pagani. Ce n'est pas de la lâcheté ! Quand on risque de perdre son travail ou son logement, je ne trouve pas qu'il est lâche de dénoncer de façon anonyme: c'est faire preuve de civisme... (Exclamations.)Oui, parfaitement ! C'est faire preuve de civisme de dénoncer - je ne parle pas de la délation - certains abus tout en se préservant des foudres de ceux qui ont le pouvoir aujourd'hui !

J'entendais vous dire cela, Monsieur Halpérin ! Je ne suis pas pour la société idéale que vous prônez, parce que cette société idéale que vous prônez est une société où les riches ont tout le pouvoir !

Mme Anne-Marie Von Arx-Vernon (PDC). Si le PDC vous invite à rejeter cette motion nonobstant la bonne foi de son auteur, c'est parce que c'est une mauvaise réponse à une bonne question.

La dénonciation anonyme est une méthode abjecte dans la majorité des cas, et dans certaines situations - nous le savons - d'abus ou de maltraitance, par exemple, sur les enfants, elle a du sens.

Puisque le Conseil d'Etat a assuré la commission de sa vigilance dans ce domaine, nous pouvons estimer que cette motion a rempli sa tâche de signal d'alarme. Nous pouvons donc la rejeter en sachant que ce signal sera entendu, du moins nous y veillerons.

M. Jean-Michel Gros (L). Lorsque l'automne dernier je suis arrivé à la commission des droits politiques comme nouveau député, j'ai été surpris, voire choqué, que la commission à l'unanimité ait décidé de refuser la motion de notre collègue Halpérin.

Il faut sans doute mettre cette touchante unanimité sur le compte des nombreux égarements qui ont émaillé la précédente législature...

Permettez-moi de vous dire que je continue de penser que les termes «dénonciation anonyme», «délation», «corbeau», etc., ne sont pas jolis jolis... Ils sont mêmes détestables ! L'état d'esprit dans lequel agissent ces lâches dénonciateurs n'est pas sans rappeler celui qui animait certains citoyens au-dessus de tout soupçon, qui, pendant la dernière guerre, indiquait discrètement à l'autorité la confession du locataire du dessus, parce que son appartement semblait plus confortable...

Certes, les conséquences ne sont plus les mêmes, mais les motivations sont-elles vraiment différentes ? Encore que les conséquences peuvent être parfois dramatiques... Pensons à ces femmes de ménage, cueillies à l'arrêt de bus pour être embarquées immédiatement à l'aéroport !

En rejetant cette motion, vous donnez, contrairement aux conclusions du rapport unanime de la commission, un très mauvais signal à la population. Vous encouragez nos concitoyens à donner cours à leurs sentiments les plus vils ! Vous leur dites: «Allez-y, dénoncez sans donner votre identité; vous ne risquerez rien; l'autorité enquêtera et prendra les mesures nécessaires !» Votre voisin fait du bruit avec sa tondeuse à gazon, téléphonez vite pour dire que sa femme de ménage a la peau un peu trop foncée pour être au bénéfice d'un permis ! Votre petit ami vous a plaqué : un petit contrôle fiscal ne lui fera pas de mal ! Et si l'on venait contrôler la cabane à outils de celui qui vient de me bousculer à la Migros... A-t-il vraiment obtenu toutes les autorisations requises ?

Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, le message que vous allez transmettre si vous refusez cette motion. Je vous demande donc de l'accepter pour donner l'occasion au Conseil d'Etat de nous donner des explications plus claires que celles figurant dans sa lettre du 26 février 2001 et qui est jointe en annexe du rapport de la commission. Cette lettre qui a joué un rôle déterminant dans la décision de la commission fourmille de malentendus et probablement d'omissions.

Deux exemples. Le Conseil d'Etat nous déclare que les dénonciations anonymes constituent une faible proportion de l'ensemble des dénonciations avec deux exceptions notables: le département des finances et l'office cantonal de la population. Fort bien ! Le phénomène se limiterait donc aux femmes de ménage et aux déclarations fiscales... Mais alors, et notre collègue Halpérin l'a déjà souligné, que penser de la déclaration d'un commissaire, ancien conseiller d'Etat, qui signale que la moitié des infractions liées à des constructions sont dénoncées anonymement au département des travaux publics ? «Il fait observer - je cite le rapport - que si celui-ci devait vérifier lui-même toutes les constructions, il ne faudrait pas dix mais cinq cents inspecteurs.» !

Alors, de deux choses l'une, soit le département actuel a engagé cinq cents inspecteurs soit il compte encore sur les dénonciations anonymes. Or, il n'est nullement fait mention du département de l'aménagement dans la lettre du Conseil d'Etat.

Plus loin, le gouvernement craint qu'une interdiction de poursuivre sur la base d'une dénonciation anonyme aille à l'encontre de la sécurité et de l'intérêt public, citant même l'exemple, à l'instar de Anne-Marie von Arx-Vernon, de la protection des enfants... Alors, là, je crois que le Conseil d'Etat s'égare ! M. Halpérin ne parle que d'enquêtes administratives - il l'a encore dit tout à l'heure - et non d'enquêtes pénales ! Il va de soi qu'une dénonciation fût-elle anonyme de préparation d'attentat, ou de meurtre, ou de mauvais traitements infligés à des enfants, mérite enquête. Le Conseil d'Etat est donc totalement hors du sujet.

Je vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, d'accepter cette motion, de l'envoyer au Conseil d'Etat, afin de cesser d'encourager ces pratiques malsaines.

Et pour conclure, je citerai un éditorial de Jean-Noël Cuénod dans la «Tribune de Genève» du 28 août dernier. Je cite: «Avec les meilleures intentions du monde, nous pouvons concocter un monde invivable, irrespirable, où chacun devient le suspect de son voisin, où chacun se mue en flic de son prochain.» Et de conclure son édito ainsi: «Il est temps d'ouvrir la chasse aux corbeaux, avant qu'il ne soit trop tard.» (Applaudissements.)

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, il y a encore cinq orateurs inscrits. Le Bureau vous propose de clore la liste.

Mise aux voix, cette proposition est adoptée.

Le président. Bien, M. Halpérin s'est inscrit in extremis, ce qui fait six orateurs.

Monsieur Pierre Schifferli, vous avez la parole.

M. Pierre Schifferli (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, notre parti est attaché à une société de liberté et de responsabilité individuelle.

Nous ne comprenons pas comment les députés de ce Grand Conseil pourraient refuser d'inviter le Conseil d'Etat à introduire dans le corps législatif cantonal une interdiction d'initier des enquêtes sur la base de dénonciations anonymes. La loi qui sera édictée permettra de faire des réserves dans certains cas exceptionnels comme des crimes ou des actes graves.

En revanche, la dénonciation ou la délation anonyme est un acte méprisable. Et il est incompréhensible que les autorités puissent agir sur la base de tels comportements. Le groupe UDC vous demande d'appuyer cette proposition de motion sans aucune réserve.

La dénonciation anonyme est méprisable, pas la dénonciation. Le citoyen qui constate un acte illicite peut le dénoncer, mais pourquoi craindrait-il de signer, de donner son identité ? Nous avons une police et des tribunaux qui protègent les citoyens de ce pays, de ce canton. La protection des locataires est assurée, la protection des salariés est assurée en cas de représailles du patron qui pourrait réagir de la manière qui a été indiquée sur les bancs d'en face. Et la sanction pourrait être très dure pour ce patron.

Si une personne donne des indications à la police pour un crime qui est en train d'être commis, celle-ci peut agir sans interroger cette personne. La police a ses indicateurs, elle les connaît. Il ne s'agit donc pas d'une dénonciation anonyme. Le but de cette invite est de lutter contre la petite dénonciation méprisable, minable ! Et c'est cela qu'il convient d'interdire, ou, plutôt, les autorités sont invitées à ne pas donner suite à ce genre de comportement méprisable que l'on a pu voir dans toutes les sociétés totalitaires, au cours du siècle dernier. C'était effectivement durant la Deuxième Guerre mondiale dans les territoires occupés ou dans les sociétés communistes de la période d'après-guerre que l'on a trouvé le plus de dénonciations de ce type.

Alors, si l'on veut sauvegarder la liberté et encourager la responsabilité individuelle, il ne faut pas promouvoir ou protéger la dénonciation anonyme. (Applaudissements.)

M. Christian Grobet (AdG). Bien sûr dans une société idyllique il serait normal que chacun puisse porter à la connaissance des autorités des infractions ou des faits qui devraient faire l'objet d'une enquête de la part de l'administration. Malheureusement, et c'est une constatation bien triste, de moins en mois de personnes osent intervenir, contrairement à ce que vous affirmez.

Vous dites, Monsieur Schifferli, que le personnel, les travailleurs, les locataires, sont protégés, vous savez que ce n'est pas le cas, et je pourrai vous donner maints exemples. Je suis, comme avocat, certainement comme vous-même, consulté par des gens - je ne parle pas du secteur privé - qui travaillent dans l'administration. Eh bien, je suis le premier à les dissuader, la plupart du temps, à vouloir porter devant des autorités supérieures de l'administration des cas de mobbing. Je les pousse plutôt à trouver des solutions.

En effet, que se passe-t-il ? La personne qui dénonce un supérieur hiérarchique - je peux vous le dire - c'est le pot de terre contre le pot de fer, et c'est toujours le supérieur hiérarchique qui l'emporte. Au niveau des locataires, c'est la même chose. Je crois savoir qu'il y aura une conférence de presse un de ces prochains jours de l'Asloca sur les pressions de plus en plus fortes qui sont exercées sur les locataires. J'ai vu M. Muller sourire tout à l'heure. Moi, cela ne me fait pas sourire d'apprendre que, suite à une contestation d'une augmentation de loyer par un locataire - ce qui est son droit le plus strict, pour reprendre vos termes - le régisseur téléphone au patron du locataire en lui disant qu'il ne lui donnerait plus de travail... Alors, évidemment, le patron intervient auprès du locataire pour qu'il retire son opposition à une augmentation de loyer...

Malheureusement, je peux vous dire que ce type de cas sont de plus en plus fréquents. Et les citoyennes et les citoyens ne sont pas tombés de la dernière pluie... Ils savent que le fait d'intervenir comporte des risques, en tout cas pour celles et ceux qui ont des positions de subordination - bien entendu, ce n'est pas le cas de Me Halpérin, ni le mien, ni le vôtre, Monsieur Schifferli.

M. Gros a fait allusion à un ex-magistrat du département des travaux publics... C'est moi ! (Exclamations.)A moins qu'il n'y ait quelqu'un d'autre... Voyez, cela ne m'aurait pas gêné que vous me nommiez ! Je n'ai pas considéré votre intervention comme une délation anonyme, mon cher collègue, même si je me sentais directement visé ! De toute façon, je voulais intervenir ! Je ne me souviens plus des termes exacts, mais je ne conteste pas ce que vous avez dit.

Que faut-il entendre par «délation anonyme» ? Monsieur Schifferli, vous avez fait une distinction, tout à l'heure, entre la personne qui dénonce de façon anonyme sur des affaires mesquines... Il me semble que la réponse du Conseil d'Etat est claire à cet égard: il n'y a pas lieu d'entrer en matière.

Mais, Monsieur Schifferli, quand le maire d'une commune vient dénoncer une infraction à la loi sur les constructions sur le territoire de sa commune au chef du département, en lui disant: «Je te signale qu'il y a une construction non autorisée dans le village, mais ce n'est pas moi qui te l'ai dit.»... Que faites-vous en tant que chef du département ? S'agit-il d'une délation anonyme, oui ou non ! Vous faites la distinction entre celui qui écrirait de manière anonyme et l'indicateur de police, je suis désolé, mais l'indicateur est bel et bien quelqu'un qui fait une délation anonyme, parce qu'il a la garantie de la part de l'agent de police avec lequel il traite que son identité ne sera pas révélée !

En ce qui me concerne, Monsieur Schifferli, je préfère recevoir une lettre anonyme d'un citoyen d'une commune me signalant une construction non autorisée que d'avoir l'information de la bouche d'un maire qui me demande de ne pas divulguer son identité... En tant que magistrat dans l'exercice de mes fonctions, vous ne pouvez pas savoir le nombre de personnes, y compris dans cette salle, qui sont venues me faire des confidences... (Exclamations.)Il n'y a rien d'étonnant, et l'Alliance de gauche a démontré sur toute une série de sujets qu'elle recevait beaucoup d'informations très diverses. Je peux vous le dire - c'est un secret de polichinelle - nous sommes peu nombreux dans notre formation politique et ce sont des personnes de l'extérieur qui nous donnent toutes ces informations, la plupart du secteur public mais aussi du secteur privé. Il s'agit même souvent de personnes qui ne sont pas de notre bord, figurez-vous ! On les écoute, mais on ne demande pas les noms. Car j'estime, en tant que député, Monsieur Gros, que, quand une infraction m'est signalée et qu'elle est réelle, il est de ma responsabilité de député d'intervenir. Et peu importe, en fin de compte, de connaître l'identité de celui qui m'a informé.

Monsieur Schifferli, vous avez évoqué certaines dénonciations anonymes durant la dernière guerre, qui, j'en conviens avec vous...

Le président. Monsieur Grobet, il est temps de conclure !

M. Christian Grobet. Je termine. ...sont épouvantables. Moi, je fais confiance au Conseil d'Etat et à l'administration pour savoir trier entre le grain et l'ivraie... Je suis navré, mais il y a trop de choses sérieuses... Une députée est intervenue tout à l'heure pour évoquer les problèmes qui préoccupent la population, comme la pédophilie, etc. On ne peut vraiment pas se contenter d'écarter ce genre d'informations, et je ne vois pas comment il est possible de tenir compte des informations uniquement dans les cas exceptionnels, Monsieur Schifferli !

Le président. Monsieur Grobet, s'il vous plaît, vous voulez bien terminer !

M. Christian Grobet. Il ne faudrait effectivement pas refuser cette motion mais, plutôt, la renvoyer en commission pour donner un signal positif à l'administration sur la manière dont elle doit traiter ce genre d'informations. Les écarter, c'est tout simplement irresponsable pour toute une série de cas !

M. Pierre Kunz (R). M. Halpérin nous parle de morale, d'éthique... M. Pagani et M. Grobet nous parlent des locataires !

Montaigne disait: «Entre mon honneur et ma conscience, je choisis toujours ma conscience.» Qu'aurait-il pensé de ces députés, représentants du peuple, censés être des exemples pour le peuple, qui, aujourd'hui, nous invitent à privilégier la délation anonyme, celle qui peut conduire aux pires abus, notamment aux abus de la technocratie ? Et tout cela parce que, selon nos collègues, il y aurait des citoyens incapables d'avoir de la conscience, d'avoir du courage.

Comment se fait-il que ces députés, représentants du peuple, soi-disant exemples pour le peuple, puissent nous enjoindre de recommander aux Genevois d'adopter un comportement méprisable, vil, plutôt que l'engagement du citoyen courageux ?

Refuser cette motion, c'est reconnaître qu'il y aurait dans notre population deux sortes de citoyens, ceux qui assument leur rôle d'être humain sur cette terre et les autres, ces inaptes, ces sous-hommes, incapables de s'occuper d'eux-mêmes et d'affronter les exigences de leur existence, des hommes qui ne peuvent tout simplement pas assumer leur rôle de citoyens parmi nous.

Eh bien, Mesdames et Messieurs, moi je refuse cette vision et j'accepte cette motion !

M. Michel Halpérin (L). Je serai très bref. Je vous dirai trois choses.

La première, c'est que je ne suis pas vraiment étonné de voir l'Alliance de gauche faire son fonds de commerce de la délation anonyme. En jouant au dénonciateur masqué tout à l'heure, Monsieur Pagani, vous avez précisément fait tomber les masques...

A partir d'aujourd'hui, Monsieur Pagani, je sais que vous n'êtes pas sérieux quand vous parlez de morale et de conduite convenable. Je sais aussi que vous encouragez la couardise et la lâcheté et je sais que vous considérez que les gens qui dénoncent les autres sous prétexte qu'ils ont peur de s'afficher sont des gens honorables. Eh bien, moi, je considère que quand ce qu'on dit est vrai on doit avoir le courage de le dire et d'en assumer les conséquences. C'est ça, la dignité élémentaire !

D'ailleurs, les exemples qui ont été donnés par M. Grobet - c'est ma deuxième remarque - vont parfaitement dans ce sens. Vous avez parlé de mobbing... Je peux vous dire, Monsieur Grobet - vous nous faites vos confidences d'avocat, permettez m'en une - que j'ai eu quelques affaires de mobbing à traiter ces dernières années, et je sais comment cela marche. Les adversaires sont nécessairement face à face: il faut bien que le mobbé dise au mobbeur ce qu'il pense de lui, et, par conséquent, il n'y a pas d'anonymat dans ces affaires-là. Au demeurant, s'il y avait des problèmes de préservation de la relation de force au sein d'une hiérarchie, il n'y aurait rien d'anormal à ce que l'administration protège l'identité du dénonciateur tout en la connaissant. La presse ne fait pas autre chose, qui connaît parfaitement ses sources et ne les révèle pas.

Par conséquent, lorsque M. Grobet nous invite, en ouverture de son oraison, à penser qu'il serait bien de suivre mes recommandations dans une société idyllique, mais que, malheureusement, notre société ne l'étant pas, il convient de plonger les mains dans la boue tous ensemble, permettez-moi de ne pas être d'accord avec lui !

Mesdames et Messieurs les députés, la question est simple: «Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?».

M. Rémy Pagani (AdG). S'il y a lieu de le préciser, je n'ai pas du tout défendu la délation, Monsieur Halpérin... Ou alors, vous m'entendez mal ! Une fois de plus, je vous renvoie la balle pour ce qui est des critiques et des mauvaises intentions que vous prêtez à la commission.

Cela étant dit, je vais vous citer un exemple tout bête, Monsieur Halpérin. Il y a une vingtaine d'année - j'étais jeune syndicaliste, et je m'occupais des vendeuses du centre commercial de M. Kunz - alors que je distribuais des tracts dans les magasins de ce centre, j'ai vu arriver M. Kunz me coursant - me coursant, oui ! - m'interdisant de continuer et me menaçant d'appeler la police pour me chasser du centre commercial... (Rires.)Je donne un exemple concret pour montrer à M. Halpérin que la réalité n'est pas la société idyllique dont il parle. Et la réalité, en l'occurrence, c'est que M. Kunz ne supporte pas qu'un droit élémentaire soit exercé dans ses magasins: je veux parler du droit d'expression syndical... C'est cela la réalité ! Je n'ose pas imaginer ce qui arriverait si une de ses vendeuses avait pris la liberté de le critiquer sur les normes salariales qu'il appliquait à ce moment-là...

Le président. Merci, Monsieur Pagani ! Vous vous asseyez, et vous arrêtez de mettre les gens en cause !

M. Rémy Pagani. Quand même ! Non, mais ça va !

Le président. Vous arrêtez de discuter !

M. Rémy Pagani. Non, mais ça va !

Le président. M. Kunz m'a demandé la parole. Vous vous adressez au président ! Monsieur Pagani, vous n'avez plus la parole !

M. Rémy Pagani. Je m'adresse au président ! Je suis désolé, mais j'ai été diffamé par M. Halpérin... (Le président agite la cloche.)...et j'ai le droit de répondre autant que je veux...

Le président. Non !

M. Rémy Pagani. Oui ! Ça suffit ! (Exclamations.)C'est n'importe quoi ! C'est n'importe quoi ! (Huées.)

Le président. Maintenant, Monsieur Pagani, vous vous asseyez !

M. Rémy Pagani. Non, vous me laisserez terminer, Monsieur le président !

Le président. Non, vous n'avez plus la parole !

M. Rémy Pagani. Ce n'est pas grave, je continue !

Le président. Vous avez été mis en cause, mais vous tenez des propos inadmissibles !

M. Rémy Pagani. C'est la réalité ! Je termine, Monsieur le président. Tant que M. Halpérin, pour couvrir...

Le président. Vous n'avez plus la parole ! Vous n'êtes pas de bonne foi !

M. Rémy Pagani. ...la fraude fiscale, pour couvrir des travaux illégaux...

Des voix. Il faut lui couper le micro !

Le président. Je ne peux pas, Messieurs, je n'ai pas le bouton !

M. Rémy Pagani. ...se permettra d'agir ainsi, je m'opposerai à ses conceptions !

Le président. J'aimerais maintenant que les députés s'adressent au président, comme le veut le règlement et cessent de s'interpeller, que ce soit sur les bancs de droite ou sur les bancs de gauche ! Vous devriez prendre exemple sur le parlement anglais qui ne cite jamais nominalement leurs contradicteurs.

M. Kunz ayant été mis personnellement en cause, je lui donne une minute pour répondre.

M. Pierre Kunz (R). J'aimerais simplement dire que les affirmations de M. Pagani sont un mensonge éhonté. Je n'ai jamais «troussé» M. Pagani... (Eclat de rire général.)Je n'ai jamais coursé M. Pagani, et d'ailleurs je n'en aurais pas eu l'autorisation, parce que les commerçants de Balexert sont totalement responsables, autonomes et libres d'agir dans leur commerce. Peut-être qu'il s'est fait courser par ces personnes, mais pas par moi ! (Exclamations.)

J'aimerais encore dire qu'il y a dans cette salle des députés qui savent qu'en tant que directeur du centre commercial de Balexert j'autorise des gens de milieux qui ne me sont pas du tout proches, Monsieur Pagani, qu'il s'agisse des Verts, des socialistes, et d'autres, à avoir des activités que je considère comme faisant partie de la démocratie même si elles ne me plaisent pas. Et il y a des députés ici qui peuvent en témoigner ! (Applaudissements.)

M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. Il m'appartient maintenant d'intervenir au nom de ce Conseil d'Etat qu'on a beaucoup cité dans ce débat. Tout d'abord pour vous dire que cette proposition est assurément adroite... (Rires.)Elle est habile - en ce sens le motionnaire a été aidé par la commission unanime à le désavouer - puisque celui-ci a obtenu un rapport, alors même que la motion n'a pas été renvoyée au Conseil d'Etat... En effet, la commission a jugé nécessaire d'interpeller le Conseil d'Etat, et ce dernier, respectueux de ce parlement, lui a répondu par écrit. Le rapport, vous l'avez. Il est en annexe à la motion.

Je pourrais m'arrêter là - parce qu'au fond à quoi sert-il d'aller plus loin dans le débat dès l'instant où vous avez la réponse à votre interrogation ? - mais je me dois d'aller un petit peu plus loin, car j'ai entendu un certain nombre de choses dans ce débat sur lesquelles je tiens à revenir.

Tout d'abord, la délation est assurément choquante dans un contexte où l'Etat n'est pas respectable, où l'Etat est indigne, où l'Etat est arbitraire et où le droit que l'on applique est le droit nazi... On y a fait beaucoup allusion ici: ce n'est pas le droit qui est appliqué dans notre canton ! Nous appliquons ici le droit de la République et canton de Genève qui est édicté par votre parlement. Et je pense que ceux qui se sont laissés aller à cette comparaison se sont laissés entraîner par un certain nombre d'images qui sont immédiatement associées au mot délation mais qui n'ont assurément strictement rien à voir avec nos institutions.

On a pris comme exemple, pour soutenir cette proposition de motion, le cas qui, assurément, nous touche le plus: le cas où l'objet de la dénonciation est un misérable, quelqu'un qui est venu chercher du travail ici et qui se trouve dans une situation de fragilité. Un travailleur clandestin, qui, à tout moment, effectivement, peut être victime d'un contrôle de police, d'une dénonciation, et qui peut se trouver sanctionné par un renvoi - qui est assurément la sanction la plus douloureuse que l'on puisse infliger dans un cas pareil. En outre, une amende peut être infligée à son employeur. Mais, dans le même temps, je trouve qu'il y a en filigrane derrière cette comparaison quelque chose, dans le fond, d'assez peu acceptable.

Moi, j'aurais souhaité que l'on prône la régulation de la situation des travailleurs clandestins et non de mettre en place des instruments juridiques qui permettent de faire perdurer une telle situation. Finalement, cela revient à autoriser à une partie peu digne de notre population d'exploiter la détresse humaine. Il y a d'autres exemples. Il en est un dont on a très peu parlé, à savoir la fraude fiscale. Eh bien, figurez-vous, Mesdames et Messieurs les députés, que je ne trouve pas honorable de frauder le fisc ! Je ne trouve pas honorable de vivre aux crochets des gens qui payent leurs impôts et il me semble qu'il n'y a rien de déshonorant, quel que soit le moyen par lequel l'Etat l'apprend, de stigmatiser les gens qui trichent, qui refusent de s'acquitter de ce devoir de solidarité que nous avons toutes et tous dans cette société, devoir de solidarité qui est fondé sur des lois que nous avons adoptées et qui sont automatiquement soumises à la censure du peuple parce que nous l'avons voulu.

Il y a encore d'autres cas où il faut dénoncer des situations de contraintes, des situations de brutalité, des situations de maltraitance à l'égard d'enfants et de proches.

Bien sûr, le procureur général peut recevoir des plaintes pénales anonymes... Mais pensez-vous vraiment que son rôle est de se substituer au service du Tuteur général ? Pensez-vous vraiment que c'est son rôle d'accueillir des enfants qui font l'objet de mauvais traitements dans les foyers ? La procédure administrative est assurément un des instruments qu'a trouvés notre Etat pour arriver à répondre à ces situations, et les dénonciations se justifient de façon évidente dans des cas pareils.

Je vous redirai la conclusion des propos que j'ai tenus en commission et que je vous transmets au nom du Conseil d'Etat, puisque nous avons eu la possibilité de discuter de votre proposition. Ce qui est important, ce n'est pas tant la façon dont l'autorité prend connaissance de telle ou telle situation... Ce qui est important, c'est la façon dont elle la traite. Ce qui est important, c'est la procédure qui va s'ensuivre. Ce qui est important, c'est de savoir si, dans le cadre de cette procédure, la personne qui est mise en cause aura la possibilité d'être entendue - et cela, honnêtement - qu'elle pourra faire valoir tous ses arguments et si, dans le même temps, on demandera à l'administration de s'expliquer totalement et de rapporter la preuve des accusations qu'elle porte.

C'est cela qui est important, et, pour ma part, je suis tout à fait confiant en la qualité des procédures suivies, puisque, Mesdames et Messieurs les députés, ce sont les procédures de la République, celles que vous avez voulu instaurer. (Applaudissements.)

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons voter sur la motion. Nous ne votons pas sur les conclusions du rapport, mais je vous rappelle que la majorité de la commission demande le rejet de la motion. M. le député Halpérin a demandé le vote nominal. J'imagine qu'il est soutenu. Il l'est. (Appuyé.)

Nous votons donc à l'appel nominal sur la motion.

Mise aux voix à l'appel nominal, la motion 1360 est adoptée par 34 oui, contre 29 non et 5 abstentions.

Appel nominal