République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1448
Proposition de motion de Mmes et MM. Françoise Schenk-Gottret, Albert Rodrik, Thierry Apothéloz, Christian Bavarel, Christian Brunier, Jeannine De Haller, Laurence Fehlmann Rielle, Anne Mahrer, Rémy Pagani, Sami Kanaan, Ariane Wisard visant à introduire la "Vision zéro" en matière de prévention des accidents

Débat

Mme Françoise Schenk-Gottret (S). Je ne vais pas reprendre les considérants ni les invites de cette proposition de motion...

Le président. Excusez-moi, Madame ! Mesdames et Messieurs les députés, je vous prie d'écouter Mme Schenk-Gottret ! Ceux qui veulent parler peuvent aller à la salle des Pas-Perdus ou à la buvette. Je vous remercie. Madame Schenk-Gottret, vous avez la parole.

Mme Françoise Schenk-Gottret. Je ne vais pas reprendre les considérants ni les invites de cette proposition de motion, ni encore moins m'étendre sur l'exposé des motifs: vous êtes censés l'avoir lu...

Je vais vous dire d'autres choses qui ne figurent pas dans ce texte, et je crois que cela ne sera pas superflu étant donné les réflexions surprenantes que j'ai pu glaner au hasard des réactions que cette motion a suscitées.

L'ONU et l'Union européenne inscrivent la «Vision zéro» dans leurs préoccupations et dans leur programme d'action. Voici deux attitudes qui devraient nous faire réfléchir, nous Genevois qui nous piquons d'ouverture au monde et aux Nations Unies et d'une ouverture à l'Europe. Il y a encore peu de temps, on acceptait, parce que l'on considérait cela comme inéluctable, un certain nombre de tués et de blessés graves dans la circulation routière.

On arrive aujourd'hui à des moyens et à des mesures proposés plus créatifs pour accroître la sécurité. Je cite la phrase de l'ingénieur en chef de la Société américaine des ingénieurs automobiles, Arlan Stahny, qui déclare: «Les accidents de voiture sont non seulement évitables, mais, vu l'état actuel de la technique, ils sont totalement aberrants.» Cette citation montre que «Vision zéro» est plus près d'aboutir techniquement que d'être acceptée par le public.

Le but de la sécurité routière n'est pas de réduire la mobilité, mais d'éliminer les accidents. Le système «circulation routière» se base en fin de compte sur une mobilité admettant une importante liberté d'action et la «Vision zéro» ne signifie pas que l'on doive limiter le système. Nous devons le rendre plus sûr. Les routes et les véhicules doivent être conçus de manière que la liberté d'action nécessaire soit garantie, tout en évitant les victimes. Parmi toutes les composantes du système, l'être humain est l'élément le plus faible. Il s'agit donc de construire un système humain véhicule/route qui tienne compte des usagers de la route actifs et passifs.

M. José Ferrer, directeur de la division transport de la Commission économique des Nations Unies pour l'Europe a asséné des chiffres chocs: «chaque année l'équivalent de la population de Lausanne est tuée sur les routes des pays occidentaux, la population totale de la Suisse est blessée gravement...». A-t-on le droit de banaliser ces chiffres effrayants ? Peut-on accepter ces millions de blessés et de tués chaque année dans nos pays dits développés ?

Si l'on se réfère à l'Office fédéral de la statistique, pour avoir des chiffres à l'échelon de notre pays, on apprend qu'il y a un accident toutes les six minutes, un blessé toutes les dix-neuf minutes et un mort toutes les quinze heures. En d'autres chiffres cela donne le décompte suivant: chaque année en Suisse ont lieu près de quatre-vingt mille accidents entraînant vingt-sept mille blessés et près de six cents morts. 20% des personnes tuées dans un accident de la route sont des piétons, une proportion élevée par rapport aux autres pays voisins : 12% en France, 13% en Italie, 14% en Allemagne.

Les coûts pour la collectivité sont considérables. L'Office fédéral de la statistique indique que les accidents de la circulation ont coûté 6,1 milliards de francs en 1997, soit l'équivalent de 1,6% du produit intérieur brut.

L'Europe a mis au point un livre blanc. Le gouvernement français récemment élu s'attaque à l'hécatombe routière.

En Suisse, un groupe d'experts mandaté par l'Office fédéral des routes et le Bureau suisse de prévention, a fait ressortir, sur la base d'une analyse de la situation actuelle, la nécessité d'agir et de formuler des mesures d'amélioration: au moyen de quels objectifs intermédiaires on devrait parvenir à la «Vision zéro», quelles mesures et conditions sont nécessaires à la réalisation de ces objectifs, quels sont les besoins légaux et financiers pour les mesures individuelles.

L'Office fédéral des routes élabore ces bases de travail avec l'appui d'experts externes, en collaboration avec des autorités et des organisations qui connaissent bien le sujet. Il s'agit notamment d'étudier les possibilités et limites des mesures légales, les améliorations à apporter à l'infrastructure et à la mise en oeuvre de la télématique routière, sans négliger toutes les problématiques liées à l'aspect médical, en accidentologie et biomécanique, aussi bien dans l'acheminement des secours que dans le traitement hospitalier.

Il n'est plus acceptable de considérer les morts et les accidentés sur les routes comme une fatalité «naturelle» - je mets naturelle entre guillemets. A Genève, un groupe dépendant de l'OTC travaille déjà sur le sujet. Il serait bon que nous ayons un bilan de la situation genevoise, de l'état des travaux de ce groupe et des mesures envisagées. L'Office fédéral des routes, lui, s'est engagé à réunir tous les intervenants dans un processus de concertation, une fois le processus de consultation terminé et son bilan achevé, afin d'obtenir le plus large consensus possible sur le choix des mesures à prendre et leur calendrier. Il serait appréciable que le canton s'inspire de cet exemple pour engager le même processus de concertation.

C'est pourquoi je vous prie, Mesdames et Messieurs les députés, d'accepter que cette proposition de motion soit renvoyée au Conseil d'Etat.

Mme Ariane Wisard-Blum (Ve). Qui oserait prétendre que les maladies cardiovasculaires sont le prix à payer pour notre vie de citoyens de pays riches ? Ou que le cancer est une fatalité ? Les accidents aériens ou ferroviaires qui défraient la chronique débouchent systématiquement sur une analyse minutieuse des causes, afin d'améliorer encore la sécurité de ces moyens de transports.

Comment ne pas s'étonner, alors, de l'incroyable tolérance, voire complaisance, de notre société face aux accidents de la route qui tuent ou handicapent lourdement ? Pourtant, en 2001, encore dix-sept personnes ont perdu la vie sur les routes genevoises et six cents en Suisse. On a également dénombré pas moins de six mille accidentés graves en Suisse, et, selon les statistiques de la police de notre canton, les accidents ayant entraîné des lésions corporelles ont augmenté de 30% en 2001. Pratiquement toutes les semaines, quelques lignes dans les journaux nous annoncent un polytraumatisé ou même parfois un mort dû à un accident de la circulation. On se dit résigné, que c'est bien triste, et on tourne la page. Certains pensent même que les statistiques suisses sont satisfaisantes en comparaison de celles de nos voisins et que ces accidents sont malheureusement le prix à payer, rançon de la sacro-sainte liberté de mobilité... Mais quelle mobilité ?

Pour les Verts, la mobilité des enfants, des personnes âgées, des piétons et des cyclistes, est actuellement fortement restreinte par les usagers de la route motorisés, et nous estimons que des mesures au profit des plus faibles doivent être une priorité. Il faut se rappeler que les accidents de la route sont la première cause de mortalité chez les jeunes. Ce seul argument devrait être suffisamment éloquent pour que nous adhérions tous au principe de «Vision zéro».

L'an dernier à Genève ce ne sont pas moins de quatre-vingt un enfants de 5 à 13 ans qui ont été victimes d'accidents de la circulation. Chiffres plus inquiétants encore, les accidents dont sont victimes les adolescents ont augmenté de 23% en 2001. Ces chiffres sont intolérables ! «Vision zéro» a des objectifs ambitieux: éduquer tous les usagers de la route - je dis bien tous; aménager les routes pour rendre les comportements dangereux pratiquement impossibles; améliorer techniquement les véhicules pour les rendre moins dangereux, pas seulement pour les conducteurs mais aussi pour les autres; optimiser le système de secours, tout en admettant que les humains commettent des erreurs: nous adhérons à ces principes. Toutefois, nous aimerions rappeler que nous pourrions actuellement faire mieux respecter les diverses lois régissant la circulation routière. Un sondage paru cet été nous apprenait que 93% des conducteurs n'ont jamais fait l'objet d'un contrôle de vitesse et que ce chiffre grimpe à 98% pour les contrôles d'alcoolémie... La même étude relevait que 76% des Romands estiment nulle ou rare la probabilité d'un contrôle de vitesse et 93% celle d'un contrôle d'alcoolémie. Pour les usagers de la route, la peur du gendarme n'existe plus. Actuellement, à Genève, sur la route, sans la présence des responsables du maintien de l'ordre sur le terrain, nous sommes trop souvent confrontés à des situations de non-droit où prévaut le principe du «chacun pour soi». Il serait grand temps de donner un signal politique fort pour que cesse cette anarchie routière.

Par ailleurs, nous aimerions souligner que les Verts militent depuis longtemps dans le but de réduire le nombre des morts et des blessés graves sur la route, en préconisant une diminution drastique du trafic motorisé individuel au profit de la mobilité douce et des transports publics, ainsi qu'en diminuant la vitesse à 30 km/h dans les localités. Ces mesures, nous en sommes convaincus...

Le président. Il est temps de conclure, Madame !

Mme Ariane Wisard-Blum. ...permettraient d'observer une diminution importante des accidents entraînant des blessures graves ou la mort. Je conclus, Monsieur le président !

Zéro mort, zéro blessé grave sur la route... «Soyons réalistes, exigeons l'impossible !» déclarait Che Guevarra. S'appuyant sur ce principe révolutionnaire, les Verts pensent que «Vision zéro» est un combat qui mérite d'être mené. (Brouhaha.)A ce titre, cette motion mérite notre soutien !

M. Jean-Marc Odier (R). Cette motion parle de sécurité, et tout le monde, me semble-t-il, est favorable à l'amélioration de la sécurité sur nos routes. Cependant, cette motion comporte quelques défauts.

Si les règlements en matière de circulation routière étaient appliqués, la sécurité serait déjà largement améliorée. Vous pouvez réduire encore les vitesses autorisées: si elles ne sont pas respectées, cela n'améliorera pas la situation.

Cette motion part d'une philosophie scandinave qui repose sur quelque chose de très ancien, et il ne faut pas comparer ce qui se fait en Scandinavie à ce qui se fait chez nous. Les terrains sont totalement différents.

La proposition qui nous est faite se comprendrait dans un contexte très différent du nôtre, mais elle me semble très prématurée dans nos pays, voire provocatrice à l'égard des automobilistes. En outre, le texte est trop vague pour être voté ainsi, car il pourrait être interprété par la suite d'une façon que nous n'aurions pas souhaité. Par contre, le titre est tout à fait clair: il fait allusion à la «Vision zéro» que l'OFROU, l'Office fédéral des routes, a adopté, qui se traduit par des propositions très concrètes.

Accepter cette motion ce soir donnerait un signal très clair à Berne du soutien inconditionnel que Genève apporte à «Vision zéro», ce qui n'est pas le cas. Un autre point de cette motion me déplaît: si on peut être d'accord avec la sécurité on pourrait entrer en matière sur «vision zéro accident», mais j'ai l'impression que, pour une partie de ce parlement, cette vision se réduit essentiellement à une «vision zéro voiture»... Cet après-midi, M. Hodgers qui s'est exprimé sur la «journée sans voiture» l'a bien dit: dans dix ou vingt ans, il faudra bien qu'on n'ait plus de voitures ici.

Cette motion va être renvoyée en commission où elle sera transformée pour rendre les invites tout à fait claires et sur lesquelles tout le monde sera d'accord, puisque tout le monde est, en fin de compte, favorable à ce qu'il y ait davantage de sécurité.

La motion telle qu'elle est rédigée ne peut pas être acceptée. Si cette motion ne devait pas être renvoyée en commission, nous la refuserons.

M. René Desbaillets (L). En préambule, je précise que, comme tout le monde dans cette salle, je souhaite que le nombre des morts diminue que ce soit sur les routes, en montagne, à cause de la drogue, à cause du cancer, etc.

Mais ce n'est pas le moment de rêver: «Vision zéro»: est-ce l'intitulé d'une motion ou la qualification des motionnaires ? Je me pose la question... En effet, autant les motionnaires que les grands penseurs du BPA, Bureau pour la prévention des accidents, doivent avoir des oeillères ou les yeux bandés pour rêver de la sorte !

Voilà, Mesdames et Messieurs, quelques exemples de propositions du BPA, pour abaisser le nombre des morts sur les routes, qui laisseront certainement songeurs les automobilistes normalement constitués. Je cite:

- système obligatoire d'enclenchement automatique des phares: - moins quarante-cinq morts;

- péages sur certains tronçons de route: - moins sept morts;

- âge minimum fixé à 18 ans pour conduire les deux roues: - moins six morts... Pourquoi ne pas repousser l'âge minimum à 90 ans, comme cela il n'y aurait plus de morts du tout !

J'arrête là cette énumération car on pourrait me reprocher de confondre la salle du Grand Conseil avec celle du Petit Music-Hall ! Oui, arrêtons de rêver et revenons à la réalité ! Cette réalité qui nous montre que, grâce aux progrès techniques des automobiles et à l'amélioration du réseau routier, le nombre de morts sur les routes est passé de mille sept cent septante-trois à cinq cent quarante-quatre en trente ans, malgré un quasi triplement du trafic. Derrière les propositions du BPA et des motionnaires, il y a surtout la volonté de supprimer le trafic privé ! Alors, Mesdames et Messieurs les députés, ne tombons pas dans le piège de la «sécuritaiguë» avec complications et mettons cette motion «Vision zéro» aux oubliettes, qui effectivement est nulle !

M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. La sévérité du dernier intervenant est bien imméritée au regard de cette motion... En réalité, votre Conseil a adopté, il y a quelques heures, les principes de l'Agenda 21 qui parlent en particulier d'un certain nombre de choses s'agissant de la sécurité routière. Je trouve que la motion telle qu'elle est formulée est parfaitement acceptable, puisqu'en réalité le rapport qui pourra lui être assorti est pratiquement déjà écrit.

Nous avons pris un certain nombre de décisions au niveau du Conseil d'Etat, non pas, Monsieur le député Desbaillets, pour appliquer comme cela, la tête dans un sac, les directives du BPA... Beaucoup de choses ont été inventées pour améliorer la sécurité qui se sont révélées néfastes, ce n'est pas pour autant, Monsieur le député, qu'il faut renoncer à améliorer la situation ! Et c'est vrai, la mortalité sur les routes a diminué: il n'en reste pas moins que dix-sept morts pour un territoire aussi petit que celui du canton de Genève, c'est trop, car on peut améliorer les choses.

Les conseillers d'Etat d'ailleurs - si vous les croisez de temps à autre dans leur voiture privée - mettent régulièrement leurs phares, car il est prouvé que cela diminue le nombre des accidents, en particulier les accidents mortels.

Cette motion ne fait rien d'autre que nous demander comment nous appliquons les mesures de l'Agenda 21, que vous avez accepté. Nous y répondrons bien volontiers. C'est un problème de santé publique, mais c'est, plus généralement, un problème de développement durable auquel votre parlement a manifesté son attachement à réitérées reprises. (Applaudissements.)

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons voter en deux temps. D'abord sur la prise en considération de cette motion, puis sur le renvoi au Conseil d'Etat. Si celui-ci est refusé, elle sera renvoyée à la commission des transports.

Monsieur Jean-Marc Odier, vous avez la parole.

M. Jean-Marc Odier (R). Je renonce, Monsieur le président. Je voulais m'exprimer sur la procédure, mais vous venez de dire ce que je voulais dire.

Le président. Je mets donc tout d'abord aux voix la prise en considération de cette motion.

Mesdames et Messieurs les députés, je pense qu'il y a doute, aussi je vous propose de procéder au vote électronique. Comme cela, chacun sera assis à sa place. Il y a des gens en grappe, à gauche, à droite... Ce n'est pas possible de se rendre compte s'il y a une majorité dans ces conditions !

M. Jean-Marc Odier. Monsieur le président, il me semblait plus logique de voter d'abord sur le renvoi en commission !

Le président. Ça n'a aucune importance !

M. Jean-Marc Odier. Non, ce n'est pas pareil !

Le président. Si cette motion n'est pas renvoyée au Conseil d'Etat directement, elle sera renvoyée en commission. (Exclamations.)

Bien, puisque vous le désirez, nous procéderons d'abord au vote sur le renvoi en commission. Pour l'instant, je vous prie de vous prononcer sur la prise en considération de cette motion.

Mise aux voix, cette proposition de motion est rejetée par 40 non contre 33 oui.

Le président. Cette motion n'est pas prise en considération. (Le président est interpellé.)Monsieur le député, j'ai dit, expressis verbis,que nous procédions au vote en deux temps, d'abord, sur la prise en considération de la motion, puis, ensuite, sur son sort: commission ou Conseil d'Etat ! Dans ces conditions, la motion n'est pas prise en considération. Nous passons aux points à traiter en urgence.