République et canton de Genève

Grand Conseil

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PL 12190-A
Rapport de la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne) chargée d'étudier le projet de loi constitutionnelle de Mme et MM. Pierre Gauthier, Magali Orsini, Carlos Medeiros modifiant la constitution de la République et canton de Genève (Cst-GE) (A 2 00) (Pour une égalité de traitement des organisations religieuses relativement à leur patrimoine immobilier)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session III des 29 et 30 août 2019.
Rapport de majorité de Mme Céline Zuber-Roy (PLR)
Rapport de minorité de M. Marc Falquet (UDC)

Premier débat

Le président. Nous abordons le PL 12190-A, classé en catégorie II, trente minutes. La parole échoit à la rapporteure de majorité, Mme Céline Zuber-Roy.

Mme Céline Zuber-Roy (PLR), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. Le projet de loi 12190 vise à modifier l'article 218 de la constitution genevoise consacré aux édifices ecclésiastiques. Pour rappel, la propriété de ces biens dits incamérés a été transférée aux Eglises par les communes en 1907. Le texte propose de supprimer l'actuelle interdiction faite aux organisations religieuses d'en disposer à titre onéreux, à laquelle la loi peut prévoir des exceptions.

Il se trouve que cet objet a été déposé en octobre 2017, c'est-à-dire avant l'adoption par notre Grand Conseil, en avril 2018, de la nouvelle loi sur la laïcité. Celle-ci a fait l'objet d'un référendum, puis a été acceptée en votation populaire en février 2019. Son article 9, alinéa 2, statue justement sur les possibles dérogations à l'impossibilité pour les Eglises de disposer de leurs bâtiments cultuels. La solution contenue dans cette disposition est l'aboutissement de longs travaux de commission; elle convient aux organismes ecclésiastiques et n'a pas fait l'objet de critiques lors de la campagne référendaire contre la loi sur la laïcité.

Ainsi, la majorité de la commission des Droits de l'Homme considère qu'il est pour le moins prématuré de rouvrir ce dossier, voire totalement inutile. Pour ces raisons, elle vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à rejeter ce projet de loi.

M. Patrick Lussi (UDC), rapporteur de minorité ad interim. Mesdames et Messieurs les députés, sur ce sujet, un petit retour dans l'histoire vaut sans doute mieux que de retracer les méandres par lesquels est passée la commission des Droits de l'Homme, qui a eu pour mission d'élaborer le projet de loi sur la laïcité, ainsi que toutes les circonstances annexes à l'affaire - référendum et autres.

En fait, nous nous trouvons dans une situation particulière, et le prêche de Saint-Antoine n'y a rien changé: il fut un temps - il y a un siècle ou deux - où, pour des raisons qu'il ne s'agit pas de discuter aujourd'hui, on a décidé de séquestrer, de s'approprier les édifices de nos Eglises - protestante et catholiques. Puis, en 1907, suite à certains événements, on les leur a rendus sous la condition qu'elles ne puissent pas en disposer, sachant que l'entretien, s'il devenait par trop onéreux, serait assumé par les communes ou le canton. C'est précisément à cet aspect que l'Union démocratique du centre, sous la plume de M. Marc Falquet qui a rédigé le rapport de minorité, voulait arriver.

En définitive, quand on observe ce qui se passe maintenant... Ce que je trouve le plus paradoxal, c'est la position des auteurs du projet de loi. Ce ne sont pas particulièrement des grenouilles de bénitier, si vous me passez cette mauvaise expression, mais plutôt de bons libres penseurs, donc c'est étrange qu'ils viennent avec cette proposition, qu'ils veuillent redonner aux organisations religieuses la possibilité de bénéficier de leurs biens incamérés.

Je signale que dans nos régions, dans nos pays - on le voit de plus en plus -, d'autres confessions construisent des bâtiments avec des fonds privés, et on ne peut rien dire, on n'a pas le droit, on a de la peine à s'y opposer. Là, il s'agit simplement de rendre aux Eglises la possibilité de gérer leurs propriétés au vu des moyens financiers plus que modestes qu'elles possèdent.

Je vais citer un exemple, si vous le permettez, Mesdames et Messieurs les députés, même si comparaison n'est pas raison. Dans la commune où j'habite, à savoir Lancy, la municipalité versait des dons, certes modestes - de l'ordre de 3600 francs, d'après ce que j'ai pu lire -, aux six paroisses situées sur son territoire; eh bien dernièrement, elle a supprimé ce geste. Cela montre très clairement, Mesdames et Messieurs, que nous évoluons dans une société où les institutions spirituelles sont toujours plus dénigrées.

Mon propos n'est pas de dire si cela est juste ou faux, mais eu égard à ces biens qui, à une époque, leur ont été confisqués, puis rendus mais sans qu'elles puissent en faire quoi que ce soit, mon Dieu, dans le siècle où nous vivons, il serait peut-être normal de leur redonner le droit d'en disposer. Que je sache, ce ne sont pas des organisations qui construisent des casinos au centre-ville ! C'est la raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs les députés, afin d'opérer ce petit changement, l'Union démocratique du centre vous demande d'accepter l'entrée en matière sur ce projet de loi, puis de voter celui-ci. Merci, Monsieur le président.

Mme Christina Meissner (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, lorsque le Conseil d'Etat a déposé, fin 2015, son projet de loi sur la laïcité, il s'agissait de mettre en oeuvre l'article 218, alinéa 1, de notre nouvelle constitution. Je vous le lis: «Les édifices ecclésiastiques dont la propriété a été transférée aux Eglises par les communes conservent leur destination religieuse. Il ne peut en être disposé à titre onéreux. La loi peut prévoir des exceptions.»

Cette disposition constitutionnelle concerne les biens dits incamérés, à savoir les lieux de culte donnés ou restitués aux trois Eglises du canton par les communes après la suppression du budget des cultes en 1907. En échange, elles avaient l'interdiction de les aliéner ou de les affecter à d'autres fins que leur destination religieuse.

La loi sur la laïcité de l'Etat adoptée en 2018 règle à la satisfaction des organisations religieuses concernées cet épineux problème hérité du Kulturkampf genevois. Le changement d'affectation du bâtiment peut être autorisé pour autant que le produit des activités qui s'y déploient soit dévolu au financement de buts religieux ou à l'entretien d'autres lieux de culte; de même, l'aliénation peut être consentie pour autant que l'édifice reste dévolu à un usage d'utilité publique ou que le produit de la vente serve à financer les activités cultuelles ou l'entretien d'autres bâtiments religieux.

Le projet de loi 12190, déposé en 2017 lors des discussions autour de la loi sur la laïcité, propose que les institutions ecclésiastiques disposent librement de leurs propriétés immobilières, sans aucune contrainte étatique. Rappelons que ces biens incamérés sont peu nombreux; certains font l'objet d'une mesure de protection au sens de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites; ils font partie intégrante de notre histoire, de notre patrimoine, et il serait délicat de confier aux Eglises la possibilité de déterminer par elles seules leur changement de destination ou leur aliénation sans que l'Etat ou les communes, en tant qu'anciens propriétaires, aient leur mot à dire face au risque de leur potentielle commercialisation.

Initialement, ce texte se voulait une compensation à l'éventuelle suppression de la contribution religieuse et donc à la perte de moyens financiers destinés à l'entretien ou à la rénovation des monuments cultuels. La contribution religieuse étant maintenue, une telle compensation paraît inutile. La loi actuelle, en précisant les exceptions à l'article constitutionnel, offre la flexibilité nécessaire aux organisations religieuses. Dès lors, le parti démocrate-chrétien vous invite à refuser cet objet. Je vous remercie.

Une voix. Bravo. (Applaudissements.)

M. Yves de Matteis (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, j'ai relativement peu de choses à ajouter à ce qui vient d'être indiqué, notamment par Mme Zuber-Roy et Mme Meissner. La question est bien réglée par la loi genevoise sur la laïcité de l'Etat, qui précise que les Eglises concernées peuvent louer les édifices qu'elles possèdent, dits incamérés, sous certaines conditions. En commission, nous avons par exemple évoqué le cas d'une Eglise ayant loué l'un de ses bâtiments à une autre organisation religieuse. Ce type d'option existe d'ores et déjà, et la situation actuelle convient aux institutions ecclésiastiques.

Si celles-ci veulent revenir sur la loi et louer ou vendre leurs biens en les destinant à d'autres fonctions, y compris commerciales, nous les invitons à présenter une demande expresse dans ce sens. On a déjà vu ailleurs des couvents, églises ou chapelles connaître une deuxième vie, comme à New York où un monument cultuel a été transformé en boîte de nuit; à Nantes, une église a connu le même sort. En France, depuis 1905, plus de 277 lieux saints ont été désaffectés et sont devenus des salles de spectacle, hôtels, bars, discothèques ou résidences pour personnes âgées.

Ce n'est pas le cas dans le canton de Genève, mais qui sait ce que l'avenir nous réserve ? En l'état, le groupe des Verts vous engage à refuser ce projet de loi constitutionnelle. Merci, Monsieur le président.

M. Cyril Mizrahi (S). Mesdames et Messieurs, chers collègues, une fois n'est pas coutume, je serai bref, car tout a été dit par la rapporteure de majorité ainsi que par mes collègues Vert et PDC. Pour les raisons indiquées, le groupe socialiste estime que cette réforme est inutile et qu'il convient d'en rester à la solution trouvée dans le cadre de la loi sur la laïcité, qui, du reste, n'a pas été contestée sur ce point. Je vous invite donc à refuser l'entrée en matière sur ce projet de loi.

Mme Danièle Magnin (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, j'allais moi aussi me référer à la loi sur la laïcité de l'Etat qui, je vous le rappelle, date d'il y a trois ans à peine. Les biens incamérés ne peuvent être ni vendus ni loués, et je pense que cela doit rester ainsi, faute de quoi c'est la porte ouverte à tous les abus, à tous les excès. Le MCG votera non à ce projet de loi. Merci.

Le président. Je vous remercie. La parole n'étant plus sollicitée, nous passons au vote.

Mis aux voix, le projet de loi 12190 est rejeté en premier débat par 74 non contre 8 oui et 1 abstention.