République et canton de Genève

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M 2551-A
Rapport de la commission de l'économie chargée d'étudier la proposition de motion de Mmes et MM. Isabelle Pasquier, Romain de Sainte Marie, François Lefort, Cyril Mizrahi, Jocelyne Haller, Jacques Blondin, Thomas Wenger, Jean-Marc Guinchard, Yvan Rochat, Delphine Klopfenstein Broggini, Yves de Matteis, David Martin, Alessandra Oriolo, Pierre Eckert, Frédérique Perler, Adrienne Sordet, Mathias Buschbeck, Paloma Tschudi, Jean-Luc Forni, Jean-Charles Rielle, Marion Sobanek, Diego Esteban, Grégoire Carasso, Salima Moyard, Olivier Baud, Nicole Valiquer Grecuccio, Pierre Vanek pour restreindre l'affichage de publicité pour le petit crédit
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session III des 25 et 26 juin 2020.
Rapport de majorité de M. Thierry Cerutti (MCG)
Rapport de première minorité de M. Edouard Cuendet (PLR)
Rapport de deuxième minorité de M. André Pfeffer (UDC)

Débat

Le président. Nous passons à la M 2551-A dont le débat est classé en catégorie II, trente minutes. Je donne d'abord la parole au rapporteur de majorité, M. Thierry Cerutti.

M. Thierry Cerutti (MCG), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, la commission de l'économie a examiné cette proposition de motion dont le sujet nous revient par la petite porte puisque, dans un premier temps, cette même commission avait refusé à la quasi-unanimité pour des raisons juridiques un projet de loi similaire, ce qui n'a pas été le cas avec ce texte. En effet, celui-ci ne revêt qu'un caractère incitatif: il propose aux communes d'être beaucoup plus proactives quant aux publicités qu'elles autorisent ou pas sur leur territoire. Le modèle qui a été suivi est celui de la Ville de Vernier qui, lorsqu'elle a renégocié ses emplacements publicitaires, a souhaité interdire les affiches pour le petit crédit, l'alcool, le tabac et autres.

Cette proposition de motion n'est absolument pas contraignante, je vais d'ailleurs me faire un plaisir de vous en lire l'invite: elle appelle tout simplement le Conseil d'Etat «à ajouter dans son programme de lutte contre le surendettement» - je rappelle que le surendettement représente un vrai problème pour notre jeunesse, c'est un réel problème sociétal parce que nous vivons aujourd'hui dans une société de surconsommation et de paraître, donc il s'agit de lutter là contre - «une mesure de prévention à l'attention des communes, afin qu'elles soient incitées à ajouter, lors du renouvellement du contrat d'affichage public, une clause pour interdire la publicité sur le petit crédit».

Vous n'êtes pas sans savoir qu'avec la crise du covid, le pouvoir d'achat des uns et des autres va diminuer drastiquement; or les gens vont toujours être tentés par le dernier iPad, le dernier iPhone, et les annonceurs vont s'en donner à coeur joie pour les inciter à contracter des crédits. Pour rappel, les taux d'intérêt actuels sont très bas: lorsque vous faites un emprunt pour un achat immobilier, ils avoisinent 1% ou 0,8%, voire sont négatifs, alors que pour les crédits à la consommation, on est à 12% ou 13% ! C'est juste énorme et ça peut mettre les gens dans des situations extrêmement difficiles, les entraîner dans la précarité, et ce plus rapidement que ce que l'on peut imaginer.

Pour le groupe MCG... Enfin, plutôt pour la majorité des membres de la commission de l'économie, il s'agit d'une bonne solution et nous vous invitons à voter cette proposition de motion afin que le Conseil d'Etat puisse prendre des mesures ad hoc. Merci.

M. Edouard Cuendet (PLR), rapporteur de première minorité. Comme l'a rappelé le rapporteur de majorité, cette proposition de motion constitue la suite d'une longue saga qui avait commencé avec un projet de loi visant à interdire la publicité pour le petit crédit, projet de loi dont le caractère non conforme au droit fédéral a été souligné à maintes reprises, notamment par le Conseil d'Etat. Pour montrer que je ne suis pas toujours négatif, je reconnais que cette proposition de motion a une vertu: elle indique expressis verbis que la compétence de légiférer sur le petit crédit dépend exclusivement de la Confédération. En tant que juriste ayant passé la première année de droit, je m'en suis beaucoup réjoui; certains fins juristes l'ayant signée ont enfin admis que le droit relatif au petit crédit relève de la seule compétence fédérale, c'est une source de satisfaction et je tiens à le souligner.

Sur le fond, en revanche, le texte rate totalement sa cible. En effet, les travaux de commission ont démontré que les principales causes de l'endettement des ménages ne sont pas les crédits à la consommation, mais plutôt les primes d'assurance-maladie et évidemment les impôts qui, nous l'avons mis en avant durant toute cette journée de discussion sur les comptes, sont beaucoup trop élevés à Genève. Je le répète: les principaux domaines d'endettement sont l'assurance-maladie et les impôts. En 2015, par exemple, 58% des foyers endettés étaient en retard dans le paiement de leurs primes d'assurance-maladie, et ce chiffre est passé à 62% en 2017. Et seuls 4% des jeunes adultes endettés le sont pour des questions de crédit à la consommation, le prêt n'est donc pas du tout la principale raison de l'endettement des gens.

Ensuite, la proposition de motion fait totalement fi du système d'autoréglementation qui a été mis en place pour lutter contre la publicité agressive. En commission, nous avons eu le temps d'auditionner les personnes chargées de ce système qui, je le rappelle, a été validé par les Chambres fédérales et le Conseil fédéral. Une fois de plus, le canton de Genève se croit plus intelligent que la Confédération et veut se distinguer en adoptant un régime particulier.

Mais surtout, ce texte doit nous déranger, parce qu'il constitue une entorse à l'autonomie communale. La Ville de Vernier, qui est majeure et vaccinée, a, lors de la négociation de ses espaces publicitaires, indiqué aux prestataires qu'elle ne souhaitait pas de publicité pour le petit crédit; grand bien lui fasse, mais cela relève de sa compétence exclusivement. Je ne vois pas pourquoi l'Etat de Genève viendrait se mêler de cette politique, les communes sont assez grandes pour agir par elles-mêmes.

Ce qui m'a particulièrement choqué dans le débat que nous avons eu en commission, c'est que...

Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe, Monsieur.

M. Edouard Cuendet. Qui me le laissera volontiers, oui ! (L'orateur rit.) Ce qui m'a beaucoup choqué dans le débat que nous avons eu, c'est que cette commission de l'économie qui a tendance à auditionner la terre entière sur n'importe quel projet a refusé d'entendre, ce qui aurait été la moindre des choses, l'Association des communes genevoises, pourtant concernée en première ligne puisqu'on parle d'ingérence dans la gestion de celles-ci. Les débats ont été précipités, il s'agit d'une incursion de l'Etat dans les compétences municipales et nous devons combattre cette fâcheuse tendance dans un canton où les communes ont déjà très peu de prérogatives. Pour tous ces motifs, Mesdames et Messieurs, le groupe PLR vous invite à refuser cette proposition de motion. Merci.

M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de deuxième minorité. Le surendettement constitue un grave problème, aucun parti ne le conteste. Cela étant, cette proposition de motion n'apporte aucune solution. Le petit crédit, comme cela vient d'être dit, est très rarement un facteur déterminant de l'endettement. Les statistiques à Genève le montrent clairement: chez les 18-24 ans, par exemple, seul un jeune sur vingt a contracté un prêt à la consommation; plus largement, si on considère toutes les catégories de la population parmi les personnes endettées, une sur huit seulement a souscrit à un petit crédit. En fait, le surendettement concerne essentiellement des gens submergés par des impayés d'impôts, de primes d'assurance-maladie, de loyers ou, ce qui est étonnant, de dettes familiales.

Comme l'a mentionné le rapporteur de majorité, la commune de Vernier a pris des mesures à cet égard, donc rien n'empêche les autres communes de faire pareil. Vernier, lorsqu'elle a renouvelé son contrat d'affichage, a tout simplement interdit la publicité pour le petit crédit. Ce qui est également dérangeant, c'est que l'affichage représente seulement une toute petite part de la publicité dans ce secteur, l'immense majorité se faisant sur internet et par d'autres biais.

Pour résumer, cette proposition de motion n'apporte vraiment rien: elle est inutile et ne tient pas compte des efforts déployés et des règles très strictes appliquées par les acteurs du domaine, elle constitue une ingérence dans les compétences municipales et surtout - surtout ! - elle ne change rien, parce que la majeure partie de la publicité est faite à travers d'autres vecteurs. Pour ces raisons, Mesdames et Messieurs, je vous recommande de refuser ce texte. Merci de votre attention.

M. Jean-Marc Guinchard (PDC). Mesdames les députées, Messieurs les députés, il me semble qu'un petit historique sur l'origine de cette proposition de motion est nécessaire. A la base, ce thème a fait l'objet d'un projet de loi déposé par notre collègue Jean-Luc Forni. La commission a mené des travaux approfondis, auditionné passablement de personnes susceptibles de nous renseigner, un examen de fond a été réalisé. Au bout d'un certain temps, le groupe démocrate-chrétien a néanmoins dû constater que le droit fédéral l'emportait dans ce domaine et c'est pourquoi il a retiré son projet de loi, lequel a été repris par le parti socialiste. Après un certain nombre de nouvelles séances et auditions, la majorité de la commission a transformé, si je puis dire, ce texte en la présente proposition de motion.

Je rappelle à cet égard que celle-ci ne revêt qu'un caractère incitatif et je ne vois pas en quoi elle pourrait constituer une ingérence absolument inadmissible dans la gestion des communes, puisque précisément elle n'est que d'ordre incitatif. Il s'agit de déterminer si, en la matière, on ne fait rien du tout en se basant sur des chiffres certes réels, que la plupart des commissaires ont d'ailleurs engrangés avec satisfaction, ou bien si, sur le modèle de Vernier, on fait un petit pas en avant dans la sensibilisation des communes s'agissant d'un domaine qui demeure en effet sensible. Le groupe démocrate-chrétien vous invite à suivre la majorité de la commission et à accepter cette proposition de motion. Je vous remercie.

Mme Jocelyne Haller (EAG). On a entendu beaucoup de choses aujourd'hui, notamment les opposants à cette proposition de motion l'accuser d'ingérence dans l'autonomie des communes. A ce propos, Mesdames et Messieurs, j'aimerais vous lire l'unique invite de cet objet pour que vous puissiez juger par vous-mêmes à quel point l'Etat se permettrait d'intervenir dans les affaires municipales. Le texte appelle le Conseil d'Etat «à ajouter dans son programme de lutte contre le surendettement une mesure de prévention à l'attention des communes, afin qu'elles soient incitées à ajouter, lors du renouvellement du contrat d'affichage public, une clause pour interdire la publicité sur le petit crédit». Je répète: les communes sont uniquement encouragées à introduire cette clause lors du renouvellement de leur contrat. Voilà pour la prétendue immixtion.

Quant à ceux qui minimisent le rôle du crédit à la consommation dans le surendettement, permettez-moi de leur répondre que si les instituts de prêt dépensent du temps et de l'argent pour diffuser de la publicité par voie d'affichage, on peut supposer que ce n'est pas tout à fait inutile et qu'ils espèrent en tirer un bénéfice.

En ce qui concerne les principaux motifs d'endettement, on a cité les impôts et l'assurance-maladie. Il n'est peut-être pas inutile de rappeler, même si vous le savez très bien, que les primes d'assurance-maladie sont devenues une charge extrêmement lourde pour les ménages, ce qui explique pourquoi, dans un canton où la pauvreté augmente de manière drastique, la caisse maladie figure en tête de liste des causes de surendettement. Pour ce qui est des impôts, c'est un défaut structurel, et vous en êtes parfaitement au fait, puisque nous exprimons régulièrement cette critique: le paiement des impôts n'est pas pris en considération dans le minimum insaisissable, donc quand vous vous acquittez de vos dettes fiscales, vous contractez simultanément une nouvelle dette d'impôts ! A n'en pas douter, les dettes liées aux impôts caracolent aux premières places dans la liste des problèmes à l'origine de l'endettement.

La mesure proposée dans cette motion est aussi raisonnable que minime; elle délivre par ailleurs une forme de message en signalant qu'il ne faut pas banaliser le phénomène du petit crédit et qu'on peut éviter d'alimenter l'endettement des personnes en ramenant les choses à plus juste proportion. C'est pourquoi le groupe Ensemble à Gauche vous invite à soutenir ce texte.

M. Pierre Eckert (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, je rappelle en préambule que cette proposition de motion est issue du groupe des Verts et a été soutenue par un certain nombre d'autres partis. La première chose que j'aimerais indiquer, c'est qu'on peut faire dire tout et n'importe quoi aux statistiques. A mon avis, il n'est pas vraiment intéressant de savoir qu'un vingtième des jeunes seulement contractent un petit crédit; il y a effectivement des familles où ce n'est pas nécessaire.

Malheureusement, ce sont probablement les franges les plus précarisées de la population qui ont recours au crédit à la consommation, c'est donc parmi ces gens-là qu'il faudrait établir des statistiques, je suis sûr qu'on y trouverait des proportions nettement plus élevées. Les effets du petit crédit sont dévastateurs pour ces catégories de personnes, qu'elles y fassent appel pour s'acquitter de leurs impôts ou d'autres assurances; parfois, c'est simplement pour acquérir certains biens ! Des effets dévastateurs, donc. Encore une fois, je suis certain que si les statistiques étaient réalisées au sein des ménages les plus fragilisés, les chiffres seraient nettement plus importants.

Je ne reviendrai pas sur le caractère extrêmement modéré, voire minime, de l'invite, il a déjà été souligné. Certaines personnes parlent d'ingérence dans les affaires communales; écoutez ce que vous dites, enfin ! Il ne s'agit en aucun cas d'ingérence, personne n'est forcé, ce n'est pas un projet de loi, on ne demande pas de légiférer. Il se trouve que les communes ont la possibilité de négocier des contrats d'affichage avec un certain nombre de sociétés actives dans ce domaine, et on les incite simplement, comme ça a été fait sur le territoire de Vernier, à renoncer aux publicités pour le petit crédit en introduisant une clause dans ce sens. Il est possible de le faire, on ne parle que de donner cette information, c'est une mesure d'incitation. Ça ne va pas très loin, c'est extrêmement modeste, Mesdames et Messieurs, et je vous recommande très vivement d'accepter cette proposition de motion.

M. Romain de Sainte Marie (S). Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de motion concerne un problème bien réel. Le surendettement, notamment chez les jeunes, est en effet très préoccupant. On sait que 80% des personnes qui ont contracté des dettes l'ont fait avant 25 ans. D'ailleurs, cette question avait été prise au sérieux par une ministre PLR de l'époque, Isabel Rochat, puis par François Longchamp au travers de différents programmes de prévention. Avec ce texte, on veut aujourd'hui agir par le biais d'une incitation aux communes, ce qui n'est absolument pas contraignant, ce qui ne constitue pas du tout de l'ingérence.

Vous transmettrez, Monsieur le président, aux rangs PLR et UDC, qui prônaient tout à l'heure la suppression de la taxe professionnelle - laquelle, rappelons-le, représente en matière de fiscalité l'un des seuls moyens, voire l'unique en dehors du centime additionnel, d'agir au niveau municipal - et qui nous parlent maintenant d'ingérence lorsqu'il s'agit juste d'encourager les communes à interdire la publicité pour le microcrédit, qu'il leur faut être plus cohérents dans leur discours politique, merci !

J'en viens à l'argument juridique avancé par M. Cuendet. Nous avons eu l'occasion d'en débattre longuement, il sait parfaitement que je n'ai pas fait d'études de droit, mais de sciences politiques. Par conséquent, quand je constate un problème au sein de la population tel que celui du crédit à la consommation, du surendettement que cela entraîne chez les jeunes, eh bien je ne me réfugie pas dans le droit, j'essaie d'oeuvrer au niveau politique.

Mais à ce propos, que nous dit la législation ? L'article 36a de la loi fédérale sur le crédit à la consommation indique, à son alinéa 1: «La publicité pour le crédit à la consommation ne doit pas être agressive.» Bon, regardez les affiches pour le microprêt, on ne peut pas dire qu'elles soient particulièrement peu agressives; généralement, une bonne publicité vous pousse à la consommation, et là, en l'occurrence, elles donnent envie de contracter un crédit. Quant à l'alinéa 2, il stipule ceci: «Les prêteurs agissant par métier définissent la publicité agressive de manière appropriée dans une convention de droit privé.»

La convention en question commence par la phrase suivante: «La publicité ne doit pas susciter chez les consommateurs l'impression que des crédits à la consommation peuvent être obtenus particulièrement rapidement, sans examen détaillé de la capacité de contracter un crédit.» Or lorsqu'on se penche sur des publicités par exemple pour CREDIT-now, société bien connue de tous, c'est exactement l'inverse: ces réclames mettent précisément en avant la rapidité et la facilité pour obtenir un prêt, c'est le contraire de ce que dit la réglementation en la matière ! Il y a donc véritablement un problème juridique, je le confirme.

Il est bien malheureux que le projet de loi visant à interdire la publicité pour le crédit à la consommation, qui provenait à l'origine du PDC - celui-ci n'a pas eu le courage d'aller jusqu'au bout - et qui a ensuite été repris par le groupe socialiste - les Verts non plus n'ont pas eu le courage d'aller jusqu'au bout et se sont abstenus - ait été rejeté, ç'aurait été finalement la mesure la plus contraignante. Cette proposition de motion ne l'est pas, on ne peut pas le nier, et ce serait un moindre mal que de l'accepter. Nous espérons qu'elle aura un impact important au niveau des communes, nous espérons que celles-ci joueront le jeu. La Ville de Vernier a montré l'exemple, c'était une excellente chose, car, je vous le rappelle, il s'agit d'une problématique bien réelle, très concrète.

J'ai entendu dire que le surendettement est lié principalement aux primes d'assurance-maladie et aux impôts; c'est vrai, ce sont les premiers facteurs d'endettement, mais on parle là de factures obligatoires: personne ne peut échapper aux primes d'assurance-maladie, personne ne peut renoncer à s'acquitter de ses impôts. En revanche, personne n'est obligé de souscrire à un crédit à la consommation, et c'est bien là le problème. Le petit crédit constitue la troisième cause d'endettement, et il s'agit maintenant d'agir concrètement et efficacement là contre en interdisant la publicité dans ce domaine. Je vous remercie d'accepter cette proposition de motion.

M. Patrick Lussi (UDC). Permettez-moi d'intervenir en prenant le rôle d'un candide, Mesdames et Messieurs les députés, c'est-à-dire d'un observateur neutre, non politique, qui écoute vos discussions; il me semble que nous avons un débat, voire trois débats, de retard ! Bien sûr, le petit crédit est - ou plutôt était - un fléau, mais dites-moi, qu'est-ce qu'on vous propose encore d'acheter en cash dans les publicités à l'heure actuelle ? Partout, on vous offre de payer par mensualisation, donc le système de consommation a changé, à plus forte raison avec la crise du covid: les gens achètent davantage sur internet, ils ne paient plus en espèces et risquent aussi de s'endetter. Le crédit à la consommation a ses défauts, bien sûr, mais on en a largement discuté et je ne pense pas que cette proposition de motion apportera une quelconque solution. Encore une fois, sommes-nous réellement dans le bon débat ce soir ? J'en doute. Merci de votre attention.

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. La parole revient à M. Stéphane Florey pour deux minutes.

M. Stéphane Florey (UDC). Merci, Monsieur le président. J'ai une question pour le conseiller d'Etat - vous transmettrez: est-ce qu'en appliquant cette proposition de motion, il va également inclure la caisse publique de prêts sur gages ? Celle-ci, en effet, ne se gêne pas pour faire de la publicité auprès des citoyens en les incitant, à travers la photo d'une belle montre en or, à venir déposer un objet et toucher de l'argent en retour, ce qui est également à considérer comme une forme de petit crédit, mais encore pire, pire que ce que décrit la gauche: avec ce type de publicité, la caisse publique de prêts sur gages joue de manière ignoble sur la détresse de la population, elle encourage les gens à se délester d'un bijou de famille ou du souvenir d'un proche qui a une certaine valeur.

Mais disons clairement les choses: en échange de votre montre en or, on va vous donner le strict minimum, et si un jour vous n'avez plus de quoi venir la récupérer, tant pis, l'Etat la liquidera à bon compte lors d'une vente aux enchères ! Ainsi, ni vu ni connu, l'Etat touchera certainement un gros bénéfice, à l'instar des vendeurs de petits crédits qui eux, en revanche, mènent des opérations commerciales, paient des impôts, sont là pour faire tourner leur affaire. Je vous remercie.

Le président. Merci bien. A présent, je passe la parole à M. Adrien Genecand pour deux minutes.

M. Adrien Genecand (PLR). Merci, Monsieur le président. C'est toujours passionnant, les discussions sur le crédit, et c'est finalement un débat très ancien, puisqu'on fait des prêts depuis l'Antiquité, même bien avant. Ce qui est rigolo, c'est de voir l'hypocrisie de certains dans cette salle quant à l'appréciation du crédit et de son danger. Nous avons passé plus de dix heures à traiter des comptes et de la dette extrêmement importante de l'Etat de Genève que nous portons tous collectivement, et les mêmes qui, il y a quelques instants - je pense notamment à Mme de Haller et à M. Sainte Marie... (Remarque.) Mme Haller et M. de Sainte Marie, pardon, la particule n'était pas placée au bon endroit ! (Rires.) Ce qui est rigolo, c'est d'écouter ces deux personnes nous expliquer à quel point il est choquant de contracter des dettes alors que pendant les dix dernières heures, ils soutenaient que les 13 milliards que nous portons collectivement ne sont pas un enjeu et qu'on peut continuer à s'endetter pour payer le salaire des fonctionnaires. C'est fabuleux ! Il faudrait donc à tout prix protéger la jeunesse qui, de temps en temps, demande une avance sur salaire - parce que c'est de ça qu'il s'agit en réalité - pour s'offrir quelque chose qu'elle ne peut pas se permettre tout de suite, le tout contre intérêts, avec tout ce que ça a de symbolique dans la chrétienté, l'histoire du prêt comme capital productif - je vous passe l'histoire du petit crédit, parce qu'elle a beau être très intéressante, elle est aussi fort longue. Ainsi, pour les personnes qui vous expliquent pendant dix heures qu'il n'est pas utile de se préoccuper d'un Etat qui a 1 milliard de déficit - et qui va donc créer 1 milliard de dettes - il est par contre très important que nos jeunes ne voient surtout pas sur les murs de Vernier et d'autres communes suburbaines de proposition de s'endetter pour quelques dizaines de milliers de francs. Ça, c'est scandaleux, mais alors le milliard de dettes qui s'ajoute aux 13 milliards cités avant, ça, ce n'est pas grave; de toute façon, ils sont répartis collectivement, on ne les paiera pas, on s'en fiche, il n'y a aucun problème !

Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à Mme Danièle Magnin.

Mme Danièle Magnin (MCG). Je vous remercie, Monsieur le président. Pour combien de temps ?

Le président. Pour trois minutes, Madame, aucun membre du MCG n'a encore pris la parole.

Mme Danièle Magnin. D'accord, merci beaucoup. Moi aussi, je constate que l'attitude de la gauche est oxymorique: d'un côté elle invite l'Etat à dépenser et de l'autre, elle fustige les prêts !

Cela étant, je vais parler de ce que je connais, à savoir ce qui se trouve dans mes dossiers. Il y a des personnes originaires de certains pays européens qui ont une propension importante à contracter des crédits: ça commence par l'achat d'un aspirateur, puis d'une batterie de casseroles, ça continue avec une BMW pour rentrer au pays pendant les vacances, etc. Et au moment où il y a de l'eau dans le gaz, du sable dans les rouages du couple, eh bien tout explose et il reste deux solutions: soit l'un part et laisse l'autre avec les dettes - en général, Madame s'en va, Monsieur se retrouve avec les dettes... (Exclamations.) Je suis désolée, c'est ce qu'il y a dans mes dossiers ! ...soit ils ont acquis ensemble un bien immobilier qu'ils sont obligés de brader, et lorsqu'ils veulent acheter autre chose, eh bien ils souscrivent tout simplement un nouveau crédit qui va englober le premier et sera augmenté à hauteur du nouveau montant.

Si on n'attire pas l'attention de ces gens sur le fait qu'ils risquent d'hypothéquer leur avenir - ça peut concerner des jeunes, mais également des moins jeunes, des personnes qui ont des enfants, qui sont en train de construire leur vie - ou tout au moins si on ne leur restreint pas un peu l'accès à ces prêts, ils peuvent rapidement avoir des ennuis colossaux. Ainsi, je ne suis pas opposée à ce que l'on vote le texte qu'on est en train d'examiner, je n'y suis pas opposée du tout, parce que j'ai vu les conséquences du crédit sur la vie des gens pendant mes quarante-six ans de basoche. Voilà, Mesdames et Messieurs, je voulais simplement vous rappeler cette petite réalité. Merci.

Le président. Je vous remercie, Madame la députée. Madame Haller, vous avez la parole pour trente secondes.

Mme Jocelyne Haller (EAG). Je vous remercie, Monsieur le président. Visiblement, soit M. Genecand n'a pas bien compris ce que M. de Sainte Marie et moi-même disions, soit il n'a pas voulu le comprendre. Faire l'amalgame entre un ménage privé et celui de l'Etat est un raccourci qu'il assumera s'il le peut; ses effets de rhétorique ne satisfont que lui. La question qui se pose ici est celle de la banalisation des effets du petit crédit et non des emprunts pour des entités qui ont les moyens d'assumer leurs engagements. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)

Le président. Merci. Monsieur Pierre Eckert, c'est à vous pour quarante secondes.

M. Pierre Eckert (Ve). Merci, Monsieur le président. Vous transmettrez également à M. Genecand qu'il y a une grande différence entre la dette privée et la dette publique; personnellement, je ne suis pas... (Commentaires.) Personnellement... (Commentaires.) ...je ne suis pas économiste... (Commentaires.) ...mais j'ai quand même compris la différence. Maintenant, il ne faut pas exagérer: même en tant que privés, nous contractons des dettes. Nous pouvons réaliser un emprunt pour acquérir une maison, par exemple, emprunt qui peut dépasser plusieurs fois un salaire annuel, donc les dettes sont possibles aussi à titre privé. Si nous sommes d'accord sur le fait qu'il ne faut pas créer de dette sur le fonctionnement et que normalement, un budget de fonctionnement doit être équilibré, je rappelle tout de même que le budget de cette année ne l'est pas pour différentes raisons, essentiellement à cause de la baisse de fiscalité due à la RFFA...

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur.

M. Pierre Eckert. Bon, voilà. Mais nous sommes d'accord de contracter une dette pour investir.

Le président. Merci. La parole va à Mme Magnin pour quarante-neuf secondes.

Mme Danièle Magnin (MCG). Merci, Monsieur le président. Je voudrais juste indiquer à M. Genecand que lorsqu'on ne peut pas rembourser un crédit, l'office des poursuites dresse un procès-verbal de saisie et vient saisir vos biens, une partie de votre salaire, etc. Voilà la différence entre la dette de l'Etat et celle du particulier.

M. Thierry Apothéloz, conseiller d'Etat. Mesdames les députées, Messieurs les députés, je vous laisse volontiers débattre de la question du prêt d'un point de vue historique ou économique. Ce que j'observe pour ma part, c'est que nous avons à Genève une population qui s'endette, voire se surendette, mais pas pour acquérir des biens de consommation; vous avez cité les trois ou quatre causes principales de l'endettement, mais je tiens à les rappeler pour que les choses soient claires. Il s'agit des loyers, des impôts et des primes d'assurance-maladie; ensuite seulement viennent les petits crédits. N'allez pas croire qu'avec cette proposition de motion, la situation sera réglée. En revanche, en la votant, vous contribuerez à donner des outils supplémentaires aux collectivités publiques - canton et communes - afin de faire face à un problème important pour celles et ceux qui le rencontrent.

Je ne mentionnerai qu'un seul exemple, celui de l'insertion professionnelle. Aujourd'hui, lorsque vous postulez à un emploi, que ce soit dans le nettoyage, l'administration ou d'autres domaines d'activité économique, on vous demande un état de situation de vos dettes, et avec la nouvelle pratique ordonnée par le droit fédéral, une inscription dure plusieurs années; vous pouvez donc être recalé pour cette seule et unique raison. Dès lors, travailler sur l'insertion professionnelle et sociale, c'est également aborder sans fard la question des dettes, en particulier du surendettement.

Vous l'avez dit, le débat fédéral a rapidement montré ses limites; en revanche, il existe une multitude de possibilités d'action sur lesquelles le canton a déjà travaillé et continue de le faire, par exemple en collaborant avec le CSP et Caritas dans l'accompagnement des personnes surendettées. C'est l'un des points sur lesquels j'aimerais mobiliser les communes, car nous sommes toutes et tous convaincus qu'il s'agit d'un investissement que les collectivités doivent assumer, d'un engagement qu'elles doivent prendre pour régler le problème.

Nous allons également aborder la question des dettes structurelles, comme la difficulté de plus en plus importante pour l'AFC d'accorder des rabais ou des délais de paiement. Quant à la caisse publique de prêts sur gages, vous l'avez relevé, Monsieur Florey, cela soulève des questions dont nous avons également discuté au sein du Conseil d'Etat, eu égard notamment aux grandes publicités imprimées sur les trams de notre canton.

Par ailleurs, le fait pour certains services cantonaux et certaines communes de recourir à des sociétés de recouvrement engendre des processus de surendettement catastrophiques, car des frais s'ajoutent au montant de la dette, et les frais sont généralement bien plus élevés que la dette elle-même. Je veux donc mener des réflexions sur certains éléments structurels ainsi que sur l'accompagnement des changements en lien avec le budget.

J'insiste enfin sur la volonté ferme du département de la cohésion sociale et du Conseil d'Etat d'agir en la matière: je déposerai bientôt un projet de loi-cadre - j'espère que vous le recevrez cet automne encore - sur la question du surendettement, ce qui nous permettra de mener un débat plus approfondi sur le petit crédit. J'espère obtenir votre appui plein et entier, et ainsi démontrer la volonté partagée des communes et du canton de traiter un problème social conséquent.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous procédons maintenant au vote.

Mise aux voix, la motion 2551 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 53 oui contre 28 non.

Motion 2551

Le président. Mesdames et Messieurs, je suspends la séance quelques instants, le temps que nos deux invités, à savoir MM. Michel Mayor et Didier Queloz, prix Nobel de physique 2019, s'installent.

La séance est suspendue à 18h35.

La séance est reprise à 18h43.