République et canton de Genève

Grand Conseil

Chargement en cours ...

M 2454-A
Rapport de la commission des affaires sociales chargée d'étudier la proposition de motion de Mmes et MM. Marko Bandler, Jean-Charles Rielle, Marion Sobanek, Thomas Wenger, Salima Moyard, Lydia Schneider Hausser, Caroline Marti, Christian Frey, Salika Wenger, Jocelyne Haller, Magali Orsini, Emilie Flamand-Lew, Frédérique Perler, Mathias Buschbeck, Boris Calame, Romain de Sainte Marie, Guillaume Käser, Delphine Klopfenstein Broggini, François Lefort, Yves de Matteis, Esther Hartmann pour une mise en oeuvre immédiate de la loi relative à la politique de cohésion sociale en milieu urbain (LCSMU) (A 2 70)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session XI des 12 et 13 mars 2020.
Rapport de Mme Véronique Kämpfen (PLR)

Débat

Le président. Nous traitons à présent la M 2454-A, classée en catégorie II, trente minutes. Je passe la parole à Mme la députée Sylvie Jay, qui remplace Mme la rapporteure Véronique Kämpfen.

Mme Sylvie Jay (PLR), rapporteuse ad interim. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, la motion 2454 ne comprend qu'une seule invite que je vous lis: «à mettre en oeuvre sans délai la loi relative à la politique de cohésion sociale en milieu urbain». La loi à laquelle l'invite fait référence a été adoptée par le Grand Conseil le 19 avril 2012; cette loi ainsi que son règlement d'application sont entrés en vigueur le 27 mars 2013.

Sur le plan opérationnel, cette loi prévoit, en son article 3, une collaboration active entre le canton et les communes concernées. A l'article 6, il est précisé que cette collaboration est formalisée par la signature de conventions entre les parties définissant le territoire concerné, les objectifs poursuivis, le programme d'action, les projets, les modalités de mise en oeuvre, les délais ainsi que les ressources allouées pour chacune des parties.

Au moment du dépôt de la M 2454, le 27 février 2018, aucune des conventions n'avait été signée et aucune commune n'avait été approchée pour la mise en oeuvre de la loi. En substance, le Conseil d'Etat n'a pas fait appliquer la loi. La motion demande que ce soit le cas. Le principe qui veut que les textes votés soient appliqués étant à la base de notre démocratie, la majorité de la commission des affaires sociales vous propose de voter cette motion.

M. Sylvain Thévoz (S). Mesdames et Messieurs les députés, il est quand même incroyable que durant six ans, la loi sur la cohésion sociale en milieu urbain soit restée en friche et n'ait pas été mise en oeuvre. Ce texte a pourtant des objectifs extrêmement louables: cerner les inégalités à Genève et y mettre fin en identifiant les poches de précarité, pour ensuite développer une action publique spécifique afin de donner à chacun les mêmes opportunités scolaires, sanitaires et sociales.

Cette loi mettait en oeuvre l'activité du CATI-GE, le Centre d'analyse territoriale des inégalités. Le centre a publié un rapport en 2014, en 2017 puis, récemment, en janvier 2020, que nous ne pouvons que vous inviter à lire. Il s'agit d'une sorte d'état des lieux des inégalités à l'échelle du canton. Le CATI-GE utilise des indicateurs comme le taux d'obésité, le taux de caries ou le taux de non-accès au logement afin de pouvoir identifier ces poches. Comme l'a très bien exprimé la rapporteuse de majorité, il ne s'est rien passé. On a laissé cette loi en friche. Heureusement, lors de l'arrivée du magistrat Apothéloz en 2018, celui-ci nous a promis de réactiver cette loi ainsi que ce centre d'analyse territoriale des inégalités. Dont acte.

Aujourd'hui, bien évidemment, il faut renvoyer cette motion au Conseil d'Etat, afin qu'il mette en oeuvre cette loi, mais nous ne pouvons que rester, devant la réalité des faits, extrêmement inquiets quant à l'effet concret de cette loi et à la volonté politique de l'appliquer. Nous écouterons avec attention le magistrat Apothéloz sur les effets de la LRT - la loi sur la répartition des tâches entre le canton et les communes - et sur l'impact que pourrait avoir l'application de ce texte sur les cofinancements canton-communes destinés à faire face à la précarité sociale, au moment où, on l'a dit hier, la caserne des Vernets va fermer, rejetant cent personnes à la rue, la Ville se tournant vers le canton en disant: «On a fait ce qu'on a pu, on a mis 7 millions depuis le début de la crise du covid, on ne peut pas faire plus, on s'arrête là !», et le canton semblant dire: «On ne peut pas s'impliquer à ce moment-là».

Il y a ainsi une succession d'enjeux sociaux extrêmement graves et importants, où canton et communes se renvoient la balle, où l'ACG se tourne vers le canton, qui se tourne vers la Ville, qui se retourne vers l'ACG. Nous plaçons nos espoirs dans la politique du Conseil d'Etat à travers cette loi, dont le but est de mettre fin à ce jeu de patate chaude, de renvoi de balle et à cette politique de l'impuissance qui laisse finalement une partie de notre population dans une précarité inacceptable aujourd'hui. Merci de votre attention.

Mme Jocelyne Haller (EAG). (Le début de l'intervention n'a pas pu être enregistré.) ...politique de cohésion sociale en milieu urbain, il ne suffit pas d'en parler, il ne suffit pas de voter une loi à cet effet; encore faut-il une réelle volonté politique de mettre un tel dispositif en application ou que l'exécutif applique ce que le législatif décide. En l'occurrence, cela n'a pas été le cas. Le Conseil d'Etat de l'époque et son successeur se sont assis sur cette loi. Celle-ci, adoptée en avril 2012, n'a pas été mise en oeuvre. Il est affligeant et inquiétant de constater à cet égard que nous votons des lois qui ne sont pas appliquées. Cela pourrait nous amener à nous interroger sur notre vocation.

On ne peut dès lors qu'évoquer un déni démocratique et un manquement à leurs devoirs des conseillers d'Etat précédents chargés de cette politique de cohésion sociale en milieu urbain. Cela est d'autant plus dommageable que cette loi énonce, en son article premier, le but suivant: «La politique de cohésion sociale en milieu urbain a pour but de promouvoir la cohésion sociale en garantissant à la population un cadre de vie social, économique et environnemental de qualité sur l'ensemble du territoire cantonal.» Un objectif pour le moins louable. Son article 2 précise quant à lui: «La politique de cohésion sociale en milieu urbain comprend: les orientations stratégiques et opérationnelles tendant à faire converger les politiques publiques vers la réalisation du but de la présente loi; les actions menées conjointement par l'Etat et les communes, ciblées sur les territoires conjuguant des inégalités, en particulier sociales, économiques et urbaines, en vue de réduire les écarts de développement.»

Je tenais simplement à rappeler ces objectifs pour mieux souligner à quel point il est absurde, face à l'augmentation de la pauvreté, de la précarité et des inégalités que nous connaissons dans notre canton depuis plusieurs années, de se passer d'un tel instrument. Comment, dans un tel contexte, peut-on occulter délibérément la possibilité offerte par cette loi d'identifier et de mesurer les inégalités à Genève et les poches de précarité pour lesquelles il est nécessaire de développer une action publique spécifique afin de donner à chacun les mêmes opportunités scolaires, sanitaires et sociales ? Comment peut-on négliger de surcroît le principe de collaboration communes-canton qui est inscrit dans la loi ? C'est un non-sens, une aberration gouvernementale, que cette motion vous demande de corriger.

Le groupe EAG prend acte de l'intérêt manifesté par l'actuel conseiller d'Etat chargé du département de la cohésion sociale et des démarches qu'il a entamées en ce sens. Toutefois, notre groupe considère qu'il est temps que ce parlement donne au Conseil d'Etat le message politique clair que, d'une part, il entend voir effectivement mise en oeuvre une politique de cohésion sociale en milieu urbain, et, d'autre part, il lui enjoint d'appliquer les lois votées par ce parlement. C'est pourquoi notre groupe vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à accepter cette motion et à la renvoyer au Conseil d'Etat.

M. Bertrand Buchs (PDC). Le PDC va expliquer pourquoi il a voté contre cette motion en commission. C'est simplement parce que si on vote une motion, c'est pour obtenir quelque chose. Je pense que tous les groupes ont clairement exprimé au Conseil d'Etat qui était présent qu'ils étaient fâchés du fait que cette loi n'ait pas été mise en application. Le PDC l'a dit aussi très clairement lors des débats. Mais M. Apothéloz nous a répondu que c'était terminé, que cette loi allait être mise en oeuvre, qu'il avait entendu notre message et qu'il avait entendu que tous les groupes politiques de ce Grand Conseil étaient fâchés du fait que le Conseil d'Etat ait attendu des années, alors que plusieurs rapports montrant qu'il était urgent d'intervenir avaient été publiés. Etant donné que si le rapport est accepté, le Conseil d'Etat va nous répondre qu'il va appliquer cette loi, nous pensions que cette motion pouvait être retirée, au vu de ce qu'avait indiqué M. le conseiller d'Etat en commission. Nous avons donc décidé de refuser cette motion, qui n'avait plus de raison d'être. Je vous remercie.

M. Patrick Hulliger (UDC). Inégalité, précarité, opportunités scolaires... Nous vous avons bien entendus. Aucun point négatif ou positif n'a prévalu et rien ne nous a donc incités à voter pour ou contre cette cohésion sociale en milieu urbain. C'est pourquoi l'Union démocratique du centre s'abstiendra. Merci de votre écoute.

M. Thierry Apothéloz, conseiller d'Etat. Mesdames les députées, Messieurs les députés, votre président m'a demandé d'être bref pour que vous puissiez traiter encore un point concernant mon département. Je vais m'attacher à l'être, même si je vous confirme - vu ma précédente fonction - que cette loi était très importante et qu'elle l'est toujours.

Les différents messages que vous avez adressés au Conseil d'Etat sont parfaitement entendus, mais, plus que cela, l'intérêt pour un travail transversal, profond, long avec les communes et les différents services du canton est confirmé par vos propos; je vous en remercie très sincèrement. Ce d'autant que nous n'avons pas attendu cette motion pour agir: dès le 1er juin 2018, j'ai fait en sorte, au sein de mon département, que le Centre d'analyse territoriale des inégalités, le CATI-GE, puisse être réactivé, avec à sa tête le professeur Giovanni Ferro-Luzzi. Ce centre a pu ainsi, pour la fin de l'année 2019, établir un premier rapport, faisant suite aux deux précédents de 2014 et de 2017, qui présentait une photographie des inégalités dans notre canton. Ces rapports sont d'actualité et nous devons travailler dessus.

Par ailleurs, plutôt que de vous proposer une modification de la loi relative à la politique de cohésion sociale en milieu urbain telle qu'elle avait été imaginée par votre parlement, j'ai préféré prendre le chemin de mener avec les communes intéressées - Versoix, Onex, Meyrin - des projets pilotes qui nous permettent de nous assurer que le dispositif prévu dans la loi peut être modifié pour répondre aux besoins actuels.

Clarifier la répartition des tâches entre le canton et les communes, je m'y attache évidemment aussi. C'est ainsi que le Conseil d'Etat attend, avec une certaine impatience, la suite qui sera donnée à l'avant-projet de loi qu'il a soumis à l'Association des communes genevoises concernant l'hébergement d'urgence. J'ai été invité par celle-ci à une commission sociale le 15 septembre. J'espère effectivement, Monsieur le député Thévoz, que nous pourrons aboutir à une clarification des rôles et, de cette façon, éviter ce jeu - un jeu sportif certes, mais qui n'est pas au bénéfice des personnes concernées - de ping-pong inacceptable.

En conclusion, Mesdames et Messieurs les députés, votre signal est important, il confirme que nous sommes - vous et nous - d'accord et intéressés à poursuivre ce travail de la lutte contre les inégalités dans le canton. Cela me réjouit, et je me réjouis également du bon accueil que vous réserverez à la modification de la loi relative à la politique de cohésion que nous présenterons à la fin des projets pilotes.

Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat, et mets aux voix la proposition de motion 2454.

Mise aux voix, la motion 2454 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 40 oui contre 21 non et 10 abstentions.

Motion 2454