République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 22 mars 2019 à 16h
2e législature - 1re année - 10e session - 61e séance -autres séances de la session
La séance est ouverte à 16h, sous la présidence de M. Jean Romain, président.
Assistent à la séance: MM. Serge Dal Busco et Mauro Poggia, conseillers d'Etat.
Exhortation
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.
Personnes excusées
Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: Mmes et MM. Antonio Hodgers, président du Conseil d'Etat, Anne Emery-Torracinta, Pierre Maudet, Nathalie Fontanet et Thierry Apothéloz, conseillers d'Etat, ainsi que Mmes et MM. Jean Batou, Jennifer Conti, Eric Leyvraz, Vincent Maitre, Philippe Morel, Ana Roch, Nicole Valiquer Grecuccio, Georges Vuillod et Yvan Zweifel, députés.
Députés suppléants présents: Mmes et MM. Jacques Apothéloz, Olivier Baud, Natacha Buffet-Desfayes, Christina Meissner, Eliane Michaud Ansermet, Youniss Mussa, Vincent Subilia et Helena Verissimo de Freitas.
Annonces et dépôts
Néant.
Questions écrites urgentes
Le président. Les questions écrites urgentes suivantes vous ont été transmises:
Question écrite urgente de Mme Stéphanie Valentino : Remplacement du personnel absent aux HUG (QUE-991)
Question écrite urgente de M. Murat Julian Alder : Quo vadis Xenope ? (QUE-992)
Question écrite urgente de M. Murat Julian Alder : Frais judiciaires en matière de contrats conclus avec des consommateurs (art. 32 CPC) : quelles sont les statistiques pour l'année 2018 ? (QUE-993)
Question écrite urgente de M. Murat Julian Alder : Flambée de rougeole : quelle est la situation actuellement à Genève ? (QUE-994)
Question écrite urgente de M. Murat Julian Alder : Vacance à la tête de la police judiciaire (QUE-995)
Question écrite urgente de Mme Ana Roch : Voyages de la chancelière d'Etat ? (QUE-996)
Question écrite urgente de M. Romain de Sainte Marie : L'armement des agent-e-s de la police municipale devient-il une priorité pour le Conseil d'Etat ? (QUE-997)
Question écrite urgente de M. Patrick Dimier : Notes de frais du pouvoir judiciaire (QUE-998)
Question écrite urgente de M. Simon Brandt : Respect des règlements par le Conseil administratif de la Ville de Genève (QUE-999)
Question écrite urgente de M. Simon Brandt : Protection des données personnelles au sein de l'Etat de Genève (QUE-1000)
Question écrite urgente de M. Simon Brandt : Nouvelle patinoire : quo vadis ? (QUE-1001)
Question écrite urgente de M. Christo Ivanov : Poursuite des infractions à l'art. 11A de la loi pénale genevoise (mendicité) et utilisation du système RIPOL (QUE-1002)
Question écrite urgente de M. Sylvain Thévoz : Impôts : et si l'Etat devenait pédagogue ? (QUE-1003)
Question écrite urgente de Mme Alessandra Oriolo : Limitation des produits en plastique à usage unique au sein du petit et du grand Etat : où en est-on ? (QUE-1004)
Question écrite urgente de M. Alberto Velasco : Transparence exigée pour toutes les campagnes politiques (QUE-1005)
Question écrite urgente de M. Alberto Velasco : Transparence sur l'entourage des conseillers et conseillères d'Etat (QUE-1006)
Question écrite urgente de Mme Christina Meissner : Embouteillage des eaux de la Divonne, répondre aux inquiétudes (QUE-1007)
Question écrite urgente de Mme Jocelyne Haller : Durée des procédures d'adoption (QUE-1008)
Question écrite urgente de M. Pablo Cruchon : L'ancien chef de cabinet de Pierre Maudet loge-t-il dans un HBM du canton de Genève et a-t-il bénéficié de facilitateur(s) pour se loger ? (QUE-1009)
Question écrite urgente de M. Alberto Velasco : A qui profitent les miles des compagnies aériennes à l'Etat ? (QUE-1010)
Question écrite urgente de M. Olivier Baud : Quelle prévention contre les discriminations LGBTI est-elle réellement mise en place dans les établissements scolaires genevois ? (QUE-1011)
Question écrite urgente de Mme Anne Marie von Arx-Vernon : Réintégration d'un policier antisémite et raciste ? (QUE-1012)
Question écrite urgente de Mme Katia Leonelli : La 5G et ses dangers sur la santé : quelles précautions décide de prendre l'Etat de Genève ? (QUE-1013)
Question écrite urgente de M. Olivier Baud : Feu clignotant orange le dimanche : n'est-il pas temps de réévaluer cette mesure ? (QUE-1014)
Question écrite urgente de Mme Isabelle Pasquier : Pour un air pur en classe (QUE-1015)
QUE 991 QUE 992 QUE 993 QUE 994 QUE 995 QUE 996 QUE 997 QUE 998 QUE 999 QUE 1000 QUE 1001 QUE 1002 QUE 1003 QUE 1004 QUE 1005 QUE 1006 QUE 1007 QUE 1008 QUE 1009 QUE 1010 QUE 1011 QUE 1012 QUE 1013 QUE 1014 QUE 1015
Le président. Ces questions écrites urgentes sont renvoyées au Conseil d'Etat.
Questions écrites
Le président. Les questions écrites suivantes vous ont également été transmises:
Question écrite de M. Murat Julian Alder : Résolutions adoptées par le Grand Conseil à l'attention de l'Assemblée fédérale (Q-3820)
Question écrite de Mme Céline Zuber-Roy : Les femmes ne sont-elles que « le conjoint » du contribuable pour l'administration fiscale ? (Q-3821)
Le président. Ces questions écrites sont renvoyées au Conseil d'Etat.
Premier débat
Le président. Chers collègues, nous allons présentement examiner le PL 11760-A, qui fait partie de la série d'urgences que nous avons votées hier. Il s'agit d'un objet classé en catégorie II, quarante minutes. Madame Bidaux, vous avez la parole.
Mme Patricia Bidaux (PDC), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, en guise d'introduction à notre discussion de cet après-midi, je me permets de citer un bref passage du préambule de notre constitution cantonale: «Le peuple de Genève [...] attaché à l'ouverture de Genève au monde, à sa vocation humanitaire et aux principes de la Déclaration universelle des droits de l'homme [...] adopte la présente constitution».
La commission des Droits de l'Homme a travaillé sur ce thème à treize reprises. La complexité de la problématique de la traite des êtres humains vous a été expliquée dans le préambule de mon rapport, mais je tiens à souligner les défis liés au système parallèle mis en place par les auteurs de traite des êtres humains, le premier - et non des moindres - étant de maintenir l'invisibilité des victimes. Actuellement, divers articles de journaux relèvent cette difficulté grâce à des témoignages des plus parlants, et ce depuis plusieurs semaines. La traite des êtres humains, même dans notre canton, est une réalité, une réalité cachée. Pour la rendre visible, Genève, cité des droits de l'Homme, ne peut se satisfaire d'un mécanisme de coordination administrative uniquement. Contrairement à ce qui vous sera probablement présenté, puisque c'était le principal reproche formulé par ceux qui se sont opposés à ce texte - finalement, tout était une question d'argent - ce projet tend à ancrer dans une loi la lutte contre la traite des êtres humains, qui n'est pas acceptable. On ne parle pas de faire croître sans fin la législation, mais au contraire de vies humaines qui méritent la protection qui leur est due. Le PL 11760 offre au mécanisme un ancrage en vue des changements à venir au sein du Conseil d'Etat grâce à la nomination d'une personne-ressource choisie par ledit Conseil d'Etat. Il ne s'agit pas d'engager des dépenses en créant de nouveaux postes, mais bien plus de valoriser les compétences déjà en place pour les pérenniser. Le choix de demander un rapport régulier aura certes une implication financière, mais étant donné ce que j'ai dit précédemment, ce qu'on lit dans les journaux et la situation de la traite des êtres humains à Genève, je pense qu'il est très important que l'on dispose d'un rapport régulier faisant état de ce qui se passe. Cela permettra en outre de rendre une visibilité à cette problématique. Pour ce qui est de la formation des intervenants, tant du côté judiciaire que de la police, il me semble qu'il s'agit là d'une opportunité pour rendre le système déjà en place efficient, cohérent et surtout - je le rappelle - pérenne.
Les amendements apportés par la commission des Droits de l'Homme prennent en compte les remarques des auditionnés, notamment celles du Conseil d'Etat. Ainsi, le projet de loi proposé garde son sens, corrige le manque soulevé par le service de coordination contre la traite d'êtres humains et le trafic de migrants, le SCOTT - à travers la nomination d'une personne assurant la pérennité du mécanisme de coordination administrative - et assure le développement de la formation de tous les acteurs en lien avec la problématique de la traite des êtres humains, ce qui constituait aussi une exigence du groupe d'experts nommé GRETA.
Tout ce qui fonctionne aujourd'hui doit être rendu pérenne, vous l'aurez compris. En conclusion, permettez-moi de citer les observations finales du Comité des droits de l'homme des Nations Unies concernant le quatrième rapport périodique de la Suisse, datées du 22 août 2017. A la page 7, où il est question de la traite des êtres humains, il est dit ceci au point 40: «Le Comité accueille avec satisfaction l'ordonnance sur les mesures de prévention des infractions liées à la traite des êtres humains entrée en vigueur le 1er janvier 2014, la mise en place du Service de coordination contre la traite d'êtres humains et le trafic de migrants, et la mise en place, quoique tardive et ayant impliqué l'absence de plan pendant trois ans, du deuxième plan d'action national contre la traite des êtres humains 2017-2020. Il demeure toutefois préoccupé par les informations indiquant un manque de ressources humaines et financières allouées à la mise en oeuvre de ce plan. Il est également inquiet des difficultés rencontrées pour l'identification des victimes dues à l'absence de processus unifié entre les cantons et au manque de formation des autorités policières et judiciaires en la matière [...].» En acceptant ce projet de loi, notre parlement marquera sa volonté de rendre durable le système en place et surtout de défendre le plus faible, celui qui n'est même pas visible et envers lequel notre responsabilité est totalement engagée. La majorité de la commission des Droits de l'Homme vous remercie donc de bien vouloir soutenir ce texte. (Applaudissements.)
M. Charles Selleger (PLR), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, il est toujours très difficile d'être le seul parti à s'opposer à un projet de loi, surtout lorsqu'il concerne un sujet aussi dramatique que la traite des êtres humains. En raison de cette position, on pourrait nous assimiler à des gens désintéressés de la misère humaine, voire prêts à soutenir les exploiteurs et les esclavagistes, mais il n'en est rien, bien entendu ! Notre position procède uniquement de la constatation que ce texte est inutile et redondant par rapport à la législation existante et sa mise en application. Dans sa version initiale, ce projet de loi était de plus coûteux - cet aspect est accessoire - contrairement à ce que nous avait affirmé son premier auteur en préambule à son audition. C'est ce point qui est remarquable ! Elle avait en effet déclaré qu'il ne coûterait pas un sou à l'Etat, alors qu'elle proposait la création d'un poste de délégué à la traite des êtres humains.
L'essentiel n'est pas là. Ce qui est important, c'est que ce projet de loi n'amène strictement rien par rapport à ce qui existe déjà en matière de lutte contre la traite des êtres humains. Des structures, des lois, des règlements, des soutiens associatifs et des moyens de communication sont déjà en place, et ils fonctionnent parfaitement bien, de l'aveu même de l'auteur de ce texte - vous en trouverez confirmation dans le rapport de majorité. Ces éléments ont été corroborés entre autres par le procureur général et le conseiller d'Etat chargé de la sécurité, deux personnages qui ne sont évidemment pas négligents s'agissant des atteintes aux droits de l'Homme. Tout cela est connu et reconnu, y compris par la rapporteuse de majorité - je le disais à l'instant - qui le détaille dans son excellent rapport.
Alors pourquoi légiférer ? On veut légiférer pour donner un signal, comme l'affirme le premier auteur de ce projet de loi. Mais, je le répète, ce dernier ne changera strictement rien à ce qui se pratique déjà, que ce soit en matière de soutien - c'est l'article 3 - de coordination - c'est l'article 4 - ou... Non, je me suis trompé ! Enfin bref... (Rires. Commentaires.) Il ne s'agissait pas de la coordination... Je pensais à l'article 4 ou 6 ! Vous vous y référerez, puisque mes notes sont inexactes ! La seule nouveauté réelle de ce texte, c'était la création d'un poste de délégué, qui a finalement été supprimé par la majorité de la commission, car elle le jugeait à la fois inutile et coûteux. Ainsi, Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi est purement déclamatoire et ne fait que participer à l'inflation d'une législation déjà pléthorique. C'est pour ces raisons que le PLR, seul peut-être, aura le courage de refuser l'entrée en matière de cet objet à caractère strictement émotionnel.
Le président. Je vous remercie. La parole est à Mme von Arx-Vernon pour une minute cinquante-six.
Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, je vais être brève, mais je tenais beaucoup à remercier les cosignataires de ce projet de loi, ainsi que les commissaires de la précédente législature, bien sûr. Merci également à M. Maudet d'avoir créé la BTPI, la brigade de lutte contre la traite des êtres humains et la prostitution illicite - la première en Suisse - et d'avoir lancé notamment l'opération Papyrus, qui a été un outil fantastique pour lutter contre la traite des êtres humains. Les membres de l'actuelle commission ont en outre enrichi ce projet de leurs amendements, ce dont je les remercie tout particulièrement.
Oui, c'est un signal fort. Il est d'une importance majeure pour Genève que ce projet de loi soit largement soutenu et voté, parce que si la coordination est effectivement possible, elle doit être absolument renforcée. En effet, les institutions sont ce qu'elles sont, les gens qui les représentent sont ce qu'ils sont, mais il faut que ce soit également incarné dans une loi pour être pérenne. Il ne suffit pas d'avoir simplement des intentions, il faut pouvoir les formaliser. De plus, soutenir ce projet de loi, c'est délivrer un message qui devrait être suivi par d'autres cantons et enfin par la Confédération, parce que c'est rendre justice aux victimes de la traite des êtres humains, qui sont invisibles, comme le rapport de majorité l'a remarquablement bien expliqué, et en leur nom, moi qui suis à leurs côtés depuis vingt ans, je vous dis merci ! (Applaudissements.)
M. Marc Falquet (UDC). Mesdames et Messieurs, ce projet de loi contre la traite des êtres humains est une idée louable mais, vous le savez, l'enfer est pavé de bonnes intentions. Pour les professionnels de la sécurité ainsi que pour l'UDC, il est totalement illusoire de penser qu'un délégué, un haut fonctionnaire, même détenteur de quelque titre que ce soit, puisse être la personne adéquate pour traiter cette problématique criminelle. En effet, il faut être clair, nous sommes face à une problématique criminelle, qui n'a pas à être traitée par un fonctionnaire. A notre connaissance, jusqu'à présent c'est toujours à la police qu'on a confié les problématiques criminelles. De plus, il faut quand même rappeler que les criminels sont en guerre et qu'ils se battent avec acharnement et détermination pour maintenir une position de domination. Le crime est donc leur gagne-pain ! Il ne suffit pas de faire des déclarations pour lutter contre la criminalité, il faut envoyer des guerriers. Ces criminels doivent effectivement être combattus par des professionnels qui connaissent leurs méthodes et qui savent surtout comment les mettre hors d'état de nuire. Il ne sert à rien d'établir des statistiques si la problématique perdure. On parle évidemment ici des brigades spécialisées de la police judiciaire, dont les membres sont des professionnels organisés et capables d'infiltrer le milieu, de récolter des renseignements, d'interpeller, d'arrêter et de faire condamner les criminels afin de les mettre définitivement hors d'état de nuire. La police n'a pas besoin d'un haut fonctionnaire qui lui explique comment elle doit travailler. En conclusion, comme l'a dit le procureur général, je crois qu'on est en train de gaspiller de l'argent, d'en jeter par la fenêtre, pour se donner bonne conscience. Seule la police peut agir efficacement. Il vaudrait donc mieux mettre des moyens pour engager deux policiers au sein d'une brigade spécialisée, ce serait bien plus efficace. Merci beaucoup.
M. Jean Rossiaud (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, il n'est évidemment pas possible, pas justifiable - et je pense que personne dans ce parlement ne peut le justifier - qu'il y ait sur le territoire de Genève, qui se targue d'être la capitale des droits de l'Homme, des êtres humains victimes de traite et en situation d'esclavage. Il est important, même essentiel, de passer d'un mécanisme de coordination administrative - tel que c'est le cas aujourd'hui avec le SCOTT, on vous l'a expliqué - à une loi, c'est-à-dire de donner une base légale au mécanisme de coordination qui existe déjà, et il ne s'agit pas d'une posture politique ou humanitaire: c'est offrir des moyens à l'administration afin qu'elle accomplisse un travail dans un cadre juridique.
Que propose ce cadre juridique ? Eh bien de faire de la prévention, d'identifier les victimes, de les sortir de leur invisibilité et de leur apporter un soutien, toutes ces choses essentielles que ne fera jamais une police judiciaire. La police judiciaire doit être renforcée dans sa lutte contre la criminalité, tout comme l'Etat doit être renforcé dans son souci de protection et de prévention du crime. Il n'y aura pas de nouveau poste, soit ! Pourtant, l'ajout d'un poste ou deux en lien avec cette problématique ne serait pas un drame pour Genève, dans la mesure où elle est particulièrement grave et importante. Il n'y a rien de plus grave que la traite des êtres humains, Mesdames et Messieurs les députés !
Avant de conclure, j'aimerais rendre hommage à tous ceux qui se sont investis dans le domaine de la protection des victimes - qu'il s'agisse de fonctionnaires ou de personnes dans la société civile. Je souhaite également rendre hommage à l'ex-directrice de l'office des droits humains, Fabienne Bugnon, pour tout le travail qu'elle a accompli à ce poste mais aussi dans la coordination administrative dont on a parlé tout à l'heure. Du reste, je pourrais même demander s'il ne serait pas temps aujourd'hui de faire renaître l'office des droits humains tel qu'il existait avant que M. Maudet ne le supprime. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Christian Flury (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, dans un pays civilisé tel que le nôtre, il n'est plus admissible que des êtres humains puissent continuer à faire l'objet de traite, qu'il s'agisse de travailleurs détachés, d'employés de maison ou de travailleuses et travailleurs du sexe. Ce projet de loi demande que l'Etat soutienne les institutions publiques ou privées actives dans la lutte contre la traite des êtres humains, qu'il encourage, soutienne et développe la formation et la recherche dans le domaine de la traite des êtres humains et qu'il participe au financement d'institutions oeuvrant contre la traite des êtres humains ou à des projets de formation ou de recherche en la matière. Mais l'Etat le fait déjà, chers collègues ! L'arsenal juridique actuel permet de poursuivre les auteurs de tels actes et les victimes trouvent aide, secours et soutien auprès de la police, de la structure LAVI, du Centre social protestant, d'Aspasie ou du Coeur des Grottes, des associations qui sont toutes soutenues par l'Etat. La police n'a pas attendu ce projet de loi pour adapter ses formations et créer la BTPI - la brigade de lutte contre la traite des êtres humains et la prostitution illicite - une brigade spécifiquement dédiée à cette problématique. Aux yeux de notre groupe, ce projet de loi n'apporte donc pas de plus-value significative à l'existant, une position soutenue par le Conseil d'Etat. D'ailleurs, connaissez-vous une association qui ne peut fonctionner par manque de moyens ? Ne créons pas de nouvel arrosoir, ne fabriquons pas d'usine à gaz et, s'agissant de la coordination, les services de l'Etat peuvent l'améliorer en parfaite autonomie. Pour toutes ces raisons, le Mouvement Citoyens Genevois vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, à rejeter ce texte. Je vous remercie.
M. Cyril Mizrahi (S). Mesdames et Messieurs les députés, au nom du groupe socialiste, qui soutiendra bien sûr ce projet de loi, j'aimerais ajouter quelques éléments. Il s'agit simplement d'ancrer dans une loi le dispositif de coordination qui existe déjà actuellement. Pourquoi faut-il l'ancrer dans une loi ? Je citerai au minimum deux raisons. La première est d'ordre juridique - je suis désolé, on ne se refait pas ! Comme vous le savez - ce genre de notion figure probablement au programme de première année des étudiants en droit, et je rends ici hommage à un collègue député qui se reconnaîtra - toute activité étatique doit se fonder sur une base légale, et je vous renvoie à ce titre à l'article 5, alinéa 1, de notre Constitution fédérale, qui consacre le fait que le droit est la base et la limite de l'activité étatique. J'imagine que c'est un principe assez cher au groupe PLR, qui pourtant change tout à coup d'avis et nous dit aujourd'hui qu'en réalité une base légale n'est pas nécessaire. Contrairement à ce qu'a indiqué le rapporteur de minorité... Enfin, je n'ai pas très bien compris s'il a dit qu'il existait déjà une base légale à l'heure actuelle, mais en tout cas ce qui est clair, c'est qu'il n'y en a pas, voilà pourquoi il est proposé ici d'en créer une. La deuxième raison est plus politique: il s'agit de garantir cet ancrage et cette politique en matière de traite des êtres humains dans la durée. Cet ancrage légal se justifie aussi pour ce motif.
C'est vrai, il y a une petite nouveauté, à savoir l'établissement d'un rapport. Du point de vue de la majorité de la commission, c'est indispensable, notamment pour que la transparence de l'action de l'Etat dans ce domaine soit assurée, parce qu'aujourd'hui il n'existe pas de rapport à ce sujet et qu'il n'est donc pas facile d'obtenir des informations sur ce qui se passe.
J'ajouterai un dernier élément: il n'est pas question de créer un nouveau poste ou de dire - comme on l'a entendu - qu'une personne seule devrait s'occuper de cette problématique, qu'il s'agirait uniquement d'un haut fonctionnaire et que la police serait, entre guillemets, «dépossédée» de ses prérogatives en la matière. Ce n'est bien entendu pas le cas ! Mais on ne peut pas non plus dire, Mesdames et Messieurs, chers collègues, comme certains l'ont fait, que c'est une tâche qui reviendrait exclusivement à la police. En réalité - et je vous invite à relire la formulation de l'article 6, qui est très clair - il s'agit d'une personne dont l'une des tâches, car elle pourrait aussi en avoir d'autres, consisterait à coordonner le mécanisme de coopération administrative. Et si je me réfère à cet article 6... (Brouhaha.)
Le président. Une seconde, Monsieur ! Mesdames et Messieurs, s'il vous plaît, je ne peux pas vous laisser faire autant de bruit !
M. Cyril Mizrahi. Il y en a visiblement que la problématique intéresse un peu moins...
Le président. Si, si ! La problématique intéresse ! Le député en question est en train de montrer son intérêt en faisant le tour de la salle... (Exclamations.) Vous pouvez poursuivre, Monsieur.
M. Cyril Mizrahi. Merci, Monsieur le président. L'article 6, alinéas 1 et 2, est très clair à ce sujet: «1 Le Conseil d'Etat désigne la personne chargée de la coordination, de l'évaluation et de l'information dans le domaine de la traite des êtres humains. 2 Cette personne pilote le mécanisme de coopération administrative de lutte contre la traite des êtres humains, constitué par le Conseil d'Etat et composé de représentants des pouvoirs publics, de la police» - mais pas seulement ! - «des magistrats du pouvoir judiciaire, des représentants des HUG, des institutions d'aide aux victimes et de personnes expérimentées provenant de milieux privés.» (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) On voit bien qu'il existe une multiplicité d'acteurs et qu'une personne de référence au sein de l'Etat va assurer la pérennité et la coordination de ce mécanisme. Le groupe socialiste vous encourage donc à adopter cet ancrage légal qui est vraiment nécessaire à mon sens. Et si vous le permettez, Monsieur le président, je reprendrai la parole très brièvement au deuxième débat pour dire deux mots sur l'amendement formel que j'ai déposé. Merci. (Applaudissements.)
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, depuis un certain temps la lutte contre la traite des êtres humains commence à être mieux comprise et à retenir l'attention du monde institutionnel et politique. Cela reste toutefois un phénomène éminemment complexe, dont la nature même fait qu'il échappe trop souvent aux moyens mis en oeuvre pour le combattre. Il faut donc mieux coordonner le travail de ceux qui sont actifs dans ce domaine, il faut catalyser toutes les potentialités et, comme le requiert le projet de loi, améliorer la coordination de toutes ces activités et renforcer le dispositif. Enfin - et surtout - il faut donner à ces personnes les moyens d'exercer leur mission afin que l'on puisse répondre aux besoins de cette population particulièrement précaire. Si notre groupe est convaincu de la nécessité d'organiser cette coordination, de fédérer tous ces acteurs et de les amener à mieux travailler ensemble, il reste persuadé que nous n'avons pas besoin d'une tête d'affiche; ce dont nous avons besoin, c'est de quelqu'un de fédérateur, qui puisse rassembler toutes ces personnes et qui soit capable d'allier toutes les compétences pour les mettre au service de la cause de la lutte contre la traite des êtres humains. C'est pour cela que nous soutiendrons ce projet de loi. Cela étant, nous souhaitons quand même souligner un fait, celui de la précarité des personnes impliquées dans ce genre de situations, qui nécessitent indubitablement que leur statut soit renforcé et qu'on puisse leur donner les moyens de rester ici le temps que leur cause soit entendue et que le dispositif de protection soit mis en place. Dans cette optique, nous reviendrons plus tard avec un autre texte.
Pour finir, j'aimerais répondre à la question de M. Flury, qui demandait à notre Grand Conseil s'il connaissait des associations qui ne peuvent pas accomplir leur travail faute de moyens. Eh bien oui, Monsieur Flury, il y en a pléthore dans notre canton depuis que ce parlement a développé une politique d'austérité ces dernières années. Beaucoup d'associations sont bien en peine de remplir la mission qui leur est dévolue, il faut donc que l'on s'assure - en leur en donnant les moyens, et non en leur rognant les ailes - que celles-ci, lorsqu'on les charge d'une tâche, soient en mesure de l'exécuter. Pour toutes ces raisons, je vous invite à veiller à ce que les moyens soient garantis non seulement aux associations qui oeuvrent dans le domaine de la traite des êtres humains, mais également à toutes celles qui sont chargées par ce parlement d'exercer un certain nombre de tâches dans notre canton. Et finalement je vous appelle à voter ce projet de loi, parce qu'il est indispensable pour mieux faire connaître la lutte contre la traite des êtres humains et mieux agir contre cette dernière. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
M. Charles Selleger (PLR), rapporteur de minorité. Je vais prendre quelques instants sur le temps qui reste à mon groupe pour rectifier d'abord un élément, puisque j'avais mal inscrit les références dans mes notes: je voulais parler de l'article 3 «Soutien», de l'article 4 «Coordination et évaluation» et de l'article 6 «Organisation». Ce projet de loi ne change rien à la pratique actuelle !
D'autre part, à entendre certaines interventions, en particulier celle de M. Rossiaud, je me demande s'il sous-entend que la police ne fait pas son travail, mais en même temps il la remercie de le faire... Il faudrait savoir: elle le fait ou pas ?
Je me pose encore une question: vu que ce projet de loi est censé - de l'aveu même de son auteur - ne pas coûter un franc au contribuable, que va-t-on pouvoir ajouter en matière de soutien aux associations, d'organisation, etc., si les moyens ne sont pas augmentés ?
Enfin, M. Mizrahi semble s'étonner qu'on n'ait pas de base pour décliner la constitution. Comme je ne suis pas juriste, je voudrais lui demander si, en l'état actuel du code pénal, il n'existe pas de mécanisme prévoyant la condamnation des personnes qui se livrent à la traite des êtres humains.
M. Jean Rossiaud (Ve). J'aimerais juste rectifier un point: il est bien entendu que la police fait très très bien son travail, mais il faut malgré tout peut-être la renforcer ! C'était l'idée de mon propos. Par ailleurs, que la police fasse son travail dans le domaine de la recherche et de la poursuite des criminels est une chose, que l'on dispose d'un mécanisme de coordination pour l'identification des victimes et le soutien à ces dernières en est une autre, ces deux éléments n'étant bien sûr pas contradictoires, mais complémentaires. En conclusion, il est évident que tout le monde ici remercie la police pour son travail ! (Applaudissements.)
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, vous le savez, le Conseil d'Etat et le Ministère public n'appuient pas ce projet de loi, non pas parce qu'ils considèrent que les motivations de ses auteurs ne doivent pas être soutenues, mais parce qu'ils estiment - comme certaines voix qui se sont exprimées dans ce parlement - que l'Etat a largement pris la mesure de cette problématique et y répond de manière efficace. Cela dit, le phénomène n'est pas éradiqué, et nous pouvons malheureusement dire sans trop de pessimisme qu'il ne le sera hélas jamais totalement. C'est donc un combat qui doit être sans cesse renouvelé.
Ce qu'il faut relever, Mesdames et Messieurs, c'est que ce projet de loi n'apporte rien de fondamental par rapport à ce qui existe aujourd'hui. Je rappelle que le dispositif cantonal actuel est l'un des plus étoffés de Suisse, et ce n'est évidemment pas un gouvernement qui se gargarise de ses propres actions qui le dit, mais les experts du GRETA, soit le groupe d'experts sur la lutte contre la traite des êtres humains, lequel est chargé de veiller à la mise en oeuvre par les parties de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains. Ce sont donc des experts extérieurs à la Suisse, qui viennent contrôler le travail des parties à cette convention et qui constatent que Genève effectue un travail certainement remarquable par rapport à ce que font tous les autres. Est-ce assez ? Bien sûr que non, mais nous travaillons pour être de plus en plus forts. Depuis maintenant dix ans, le Conseil d'Etat oeuvre d'arrache-pied pour renforcer l'ensemble des dispositifs dans ce domaine - suite notamment à l'entrée en vigueur pour la Suisse du protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes - et cela de plusieurs manières. A l'automne 2010, un comité de pilotage a été mis en place avec deux sous-groupes de travail dès 2011, l'un sur la sensibilisation, la formation et l'information, l'autre sur le volet concernant l'exploitation de la force de travail. Il s'agit là de l'activité de sensibilisation, sur le terrain, de l'ensemble des acteurs potentiels de cette exploitation. Il existe bien sûr aussi un volet répressif, puisqu'une brigade dédiée à la lutte contre la traite des êtres humains et la prostitution illicite - la BTPI - a été mise sur pied au sein du corps de police en janvier 2016.
Voilà ce que le Conseil d'Etat avait à vous communiquer, Mesdames et Messieurs. Cette loi n'apporte rien, et il y a dans le discours que je viens d'entendre quelque chose d'antinomique: on nous annonce d'une part que cela ne va rien changer ni rien coûter, surtout, alors qu'on nous dit d'autre part qu'il faut absolument accorder davantage de moyens. Soyons clairs: si ce projet de loi demande des financements supplémentaires de la part de l'Etat, il faut le dire sans détour, pour que celles et ceux qui le soutiennent sachent ce que cela va coûter. Et si effectivement cela ne coûte rien, je ne vois pas ce que l'on peut faire de plus que ce qui a été indiqué voici un instant.
Je remarque tout de même que l'article 3 prescrit que l'Etat soutient les institutions publiques ou privées actives dans la lutte contre la traite des êtres humains, ce que celui-ci fait aujourd'hui; est-ce à dire que c'est insuffisant au point qu'il faille ancrer ce principe dans la loi pour pouvoir ensuite revendiquer un droit à un subventionnement ? Le projet de loi ne le dit pas. En ce qui concerne l'article 6 «Organisation», il est écrit que le Conseil d'Etat désigne la personne chargée de la coordination, de l'évaluation et de l'information, ce qui existe déjà, on vous l'a indiqué, dans le cadre du sous-groupe de travail. Encore une fois, on nous dit qu'il n'est pas nécessaire d'engager quelqu'un, puisqu'il suffit de nommer une personne au sein de l'Etat. Alors soit on considère que ce travail est inutile et ne prend pas de temps, auquel cas on peut effectivement donner ce titre à un collaborateur de l'Etat, soit on estime qu'il y a véritablement une activité à mener qui ne le serait pas encore, et à ce moment-là il est bien évident qu'il faudrait engager quelqu'un. Aux yeux du Conseil d'Etat, ce travail est aujourd'hui effectué. Nous avons bien compris dans quel sens se dessinent les majorités, mais il n'en demeure pas moins que le gouvernement considère que cette loi n'apportera rien de plus par rapport à la détermination actuelle qui est la sienne pour lutter contre ce phénomène répréhensible. Je vous remercie.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. La parole n'étant plus demandée, nous passons au vote d'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 11760 est adopté en premier débat par 52 oui contre 34 non et 6 abstentions.
Deuxième débat
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que l'art. 1.
Le président. A l'article 2, nous sommes saisis d'un amendement de M. Mizrahi, à qui j'accorde trente secondes pour qu'il nous le présente rapidement. Le voici:
«Art. 2, al. 1 (nouvelle teneur)
1 Par "traite des êtres humains", la loi désigne les situations prévues à l'article 182 CPS, ainsi que les situations définies à l'article 4, lettre a, de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains.»
M. Cyril Mizrahi (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, chers collègues, cet amendement est d'ordre purement formel et rédactionnel. Il vise d'une part à apporter une rectification, car il s'agit de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte «contre» - et non «de», comme indiqué dans le projet issu de commission - la traite des êtres humains, et d'autre part à préciser que la définition de la notion de «traite des êtres humains» a son siège plus particulièrement à la lettre a de l'article 4 de cette convention. Je vous remercie, Monsieur le président.
Le président. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite à vous prononcer sur l'amendement de M. Mizrahi, qui est projeté sur l'écran situé devant vous.
Mis aux voix, cet amendement est adopté par 49 oui contre 45 non.
Mis aux voix, l'art. 2 ainsi amendé est adopté.
Mis aux voix, l'art. 3 est adopté, de même que les art. 4 à 7.
Troisième débat
Mise aux voix, la loi 11760 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 51 oui contre 45 non. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)
Premier débat
Le président. Nous passons au traitement de notre prochaine urgence, le PL 12053-A, en catégorie II, quarante minutes. Le courrier 3816 est associé à ce projet de loi, Mme Moyard va nous en donner lecture.
Le président. Je vous remercie, Madame. Le rapport de majorité est de M. Sandro Pistis, à qui je cède la parole.
M. Sandro Pistis (MCG), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, nous avons étudié ce projet de loi à la commission de la santé durant quasiment onze séances et avons eu l'occasion d'entendre les différents intervenants. Après réception du courrier qui vient de vous être lu, la commission a souhaité, dans le but d'apaiser certaines inquiétudes et de lever des doutes, que le rapport lui soit retourné.
Cela étant, quelle n'a pas été ma surprise, à la lecture de ce courrier, d'apprendre que l'association a pu se procurer les procès-verbaux de la commission ! Il est en effet indiqué dans la lettre: «Sachez que nous avons parcouru l'ensemble des procès-verbaux des différentes séances.» Dans la mesure où ces procès-verbaux sont confidentiels et non consultables par le public, je ne peux m'empêcher de me demander de quelle manière certaines et certains travaillent. Il me semble inacceptable que nos procès-verbaux aient été transmis à une association; lors des prochains travaux, il faudra à tout prix veiller à ce qu'ils ne soient pas remis à des personnes extérieures à la commission.
Pour le surplus, Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite à soutenir la demande de la commission de la santé de lui renvoyer ce projet afin que nous puissions lever les doutes quant à la manière dont la loi a été formulée par le Conseil d'Etat. Je vous remercie, Mesdames et Messieurs.
M. Bertrand Buchs (PDC), rapporteur de minorité. La minorité rejette la demande de renvoi. Durant les débats, on a demandé à de multiples reprises que ce projet de loi soit à tout le moins rejeté, au mieux retiré par le Conseil d'Etat qui doit revenir avec un nouveau projet. Ça ne sert à rien de retourner en commission pour mettre des sparadraps sur ce texte qui ne correspond absolument pas à la réalité.
Comme c'est indiqué dans la lettre qui nous a été lue, cette loi doit être complètement reprise, donc il vaut mieux poursuivre le débat maintenant, puis refuser l'entrée en matière afin que le Conseil d'Etat nous propose un nouveau texte. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur. Chers députés, je vous prie de vous prononcer sur la demande de renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12053 à la commission de la santé est adopté par 78 oui contre 13 non.
Premier débat
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous examinons maintenant notre avant-dernière urgence, soit le PL 12148-A, en catégorie II, trente minutes. Le rapport est de M. Sandro Pistis, remplacé par M. Thierry Cerutti... qui a oublié sa carte, mais à qui je passe tout de même la parole. On va essayer comme ça ! Vous avez la parole, Monsieur Cerutti.
M. Thierry Cerutti (MCG), rapporteur ad interim. Merci beaucoup, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous avons opéré un petit changement de rapporteur pour une raison technique: ce projet de loi date de l'ancienne législature, et les titulaires de l'époque avaient été remplacés par des suppléants lors du vote à la commission d'aménagement. La position du MCG n'est donc pas celle qui figure dans le rapport, puisque nous soutenons ce déclassement, et ni mon groupe ni moi-même ne serons vraiment objectifs sur la question.
Nous avions communiqué notre changement de position à ladite commission et demandé que quelqu'un d'autre se charge du rapport, mais vu qu'aucun commissaire n'était prêt à le reprendre, on nous a imposé sa rédaction. C'est ce que nous avons fait, mais je vous dis simplement que le groupe MCG ne se trouve plus dans la majorité qui correspond à ce rapport; nous avons rejoint la minorité qui devient aujourd'hui majoritaire. (Commentaires. Un instant s'écoule.)
Le président. Eh bien si c'est tout, je vous remercie.
Une voix. Si on pouvait quand même avoir un éclairage sur l'affaire... (Brouhaha.)
Le président. S'il vous plaît ! Y aurait-il un membre de la majorité de la commission pour remplacer le rapporteur, de façon qu'on nous présente aussi le contenu de ce projet de loi ? (Commentaires.) Bon, alors je passe la parole à M. le député Stéphane Florey.
M. Stéphane Florey (UDC). Merci, Monsieur le président. Comme vous l'aurez compris, Mesdames et Messieurs, il n'y a pas de rapporteur de minorité. Ce qu'a dit M. le rapporteur est parfaitement juste: les majorités ont changé...
Une voix. Comme d'habitude !
M. Stéphane Florey. ...donc il va falloir faire avec les interventions de chacun pour s'y retrouver... (Exclamations.) ...et ne plus se fier à ce qui est mentionné dans le rapport. En ce qui concerne l'UDC, nous sommes divisés sur la question: une moitié votera pour, l'autre contre ce projet de loi. Pour ma part, je défendrai la position favorable.
En effet, il s'agit d'un excellent projet, mesuré et qui s'intègre parfaitement dans la commune. Cela ne devrait pas dénaturer le périmètre, comme les opposants le prétendent, d'autant que nous serons au maximum de la densité permise en zone villas par dérogation, à savoir 0,6. Ce ne sera donc pas de la surdensification, comme le disent également les opposants.
Au final, ce projet répond aux attentes de la commune: un plan de site a été élaboré et les accès routiers vont dans le sens de ce qui avait été demandé par les habitants et par l'OFROU. Nous sommes convaincus par ce projet et, de notre point de vue, il vaut toujours mieux un déclassement en zone 4A que l'horrible zone de développement 3 que la majorité vote d'habitude dans cet hémicycle. Je vous remercie.
M. Rolin Wavre (PLR). Chers collègues, je m'attendais à intervenir après un rapporteur représentant la majorité, donc je vais quelque peu modifier ma présentation. (Rires.) Je connais bien ce dossier, puisque je préside la commission d'aménagement du territoire de la commune qui a examiné le projet à plusieurs reprises et procédé à des auditions. J'y suis favorable pour toute une série de raisons.
D'abord, les bâtiments situés sur le périmètre, soit une maison de maître et des corps de ferme, sont en état de décrépitude et se dégradent de plus en plus, parce que le projet est bloqué depuis une quinzaine d'années suite à des péripéties communales. Je rappelle ensuite que le secteur concerné est très proche de la halte CEVA, qui aura son train au quart d'heure - enfin, il l'a déjà, mais ce sera encore plus intense à la fin de l'année. Le projet est donc tout à fait conforme au plan directeur cantonal et contribue à un développement rationnel et maîtrisé du territoire.
De plus, il est encadré par un plan de site prévoyant de sauvegarder la valeur de cet emplacement qui est en effet très beau. La vue sera maintenue - du lac sur la maison de maître et de la maison de maître sur le lac - tandis que les bâtiments seront construits le long de la ligne CFF et sur les côtés, de manière à ne pas prétériter le panorama. Quant aux cordons boisés qui existent actuellement, ils seront également préservés, ce qui est très important.
Mais surtout, il y a l'accès public qui est important pour beaucoup d'entre nous. A l'heure actuelle, il n'y en a pas, c'est une propriété privée qui n'est accessible à personne. Dans le plan de site, les promoteurs se sont engagés à l'ouvrir au public, et le parc devrait occuper environ les quatre cinquièmes de la propriété, puisque les constructions seront concentrées dans les zones que je vous ai décrites.
Je rappelle enfin que ce projet a fait l'objet de quatre années de discussions entre les services de l'Etat, la commune et les promoteurs, que même la CMNS n'y trouve rien à redire. Si on laisse le blocage perdurer, les promoteurs et propriétaires actuels, après quinze ans d'attente, risquent de s'en désintéresser, de revendre la propriété, voire de la parcelliser, et on pourra dire adieu à cette belle étendue qui peut être préservée par le projet, le parc ne sera plus accessible.
Mesdames et Messieurs, si vous voulez tout à la fois préserver le patrimoine historique de ces corps de ferme, assurer un accès public à cet emplacement, avoir un projet sous le contrôle de la municipalité et garantir la bonne utilisation d'une parcelle proche d'une station du Léman Express, alors vous ne pouvez qu'accepter ce projet de loi et déclasser la zone. Merci. (Applaudissements.)
M. François Lance (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, il faut reconnaître que le contexte autour de ce projet de modification de zone est complexe et rappeler que celui-ci a été sollicité par le propriétaire, non par le département. Voilà plus de quinze ans que la société immobilière a acquis cette propriété et durant toutes ces années, plusieurs projets ont été étudiés, mais aucun n'a été accepté lors des demandes de renseignements.
Le présent projet de loi concerne un périmètre situé entre la gare de Pregny-Chambésy et la route de Suisse, au niveau du Vengeron. Le bâti actuel est constitué d'une maison forte et de deux dépendances datant du XVIIIe siècle qui sont protégées et que le projet prévoit de restaurer. Cette parcelle bénéficie d'un large dégagement sur le lac, d'une arborisation de grande valeur ainsi que de jardins recensés de valeur patrimoniale. Le périmètre à déclasser appartient à un seul propriétaire, hormis une parcelle léguée à la commune qui ne fait pas partie du projet de construction, mais qui doit être conservée en l'état.
L'objectif est de créer une zone 4A destinée à un établissement hôtelier, à des activités administratives et à de l'habitat. Parallèlement au projet, un plan de site a été initié ainsi qu'une modification des rives du lac qui permettra de passer d'un indice d'utilisation du sol de 0,2 à 0,6. Je rappelle que le secteur est actuellement en zone villas. Selon les plans, la disposition des bâtiments reprendra les caractéristiques du site, ce qui préserve la vue latérale et la vue directe sur le lac. Un petit bâtiment administratif sera construit qui servira d'écran aux voies CFF.
Il faut tout de même souligner qu'une partie du Conseil municipal n'était pas favorable à ce projet de modification de zone et qu'une association de propriétaires voisins s'y oppose, craignant son ampleur, les problèmes de circulation qu'il engendrerait, mais aussi la personnalité du propriétaire qui, selon leurs dires, ne respecte pas les lois en vigueur. Le département a rappelé que ce projet n'est pas de son initiative, mais admet qu'il permet de densifier le périmètre tout en assurant la préservation d'un site proche d'une gare du Léman Express. Au vu de ce qui précède, le groupe PDC votera ce projet de loi. (Applaudissements.)
M. Christian Dandrès (S). Je remercie M. Lance d'avoir rappelé quelques aspects factuels. Vous me permettrez maintenant, Mesdames et Messieurs, de revenir sur la question plus politique, puisque le parti socialiste était dans la majorité... Bon, il ne l'est plus suite à la volte-face du MCG qu'on peine évidemment à comprendre. Pourquoi ?
Parce que, à mon avis, ce petit projet illustre un travers du Conseil d'Etat que nous avons déjà cinglé à plusieurs reprises: en gros, il laisse le Conseil administratif s'entendre avec le promoteur, aucun arbitrage n'est fait. En l'occurrence, il a été rappelé ici que le Conseil municipal était opposé au projet, et le Conseil d'Etat le reprend tel quel et le dépose devant le Grand Conseil alors qu'il s'agit d'un déclassement parfaitement incongru, dans un périmètre protégé, en zone ordinaire, sans aucune obligation de construire du logement. On foule aux pieds tous les principes d'aménagement du territoire initiés par feu le parti radical, qui se retrouvent aujourd'hui à devoir être défendus par le parti socialiste, hélas minoritaire sur ce projet de loi.
Le Conseil d'Etat, au lieu d'amener le Grand Conseil à prendre conscience d'un certain nombre de principes élémentaires qui ont été défendus ici - avec la zone de développement, on aurait eu un plan localisé de quartier, une protection quant aux loyers abusifs, des dispositions de la loi Longchamp contre la spéculation sur les propriétés par étage - que nenni, rien du tout, il laisse la commune faire ce qu'elle veut ! Cela nous rappelle la nécessité absolue de voter l'initiative 162 que le Tribunal fédéral a validée et qui prévoit que le Conseil d'Etat doit faire des propositions de déclassements en zone de développement pour éviter cette pantalonnade grotesque à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui.
Bien évidemment, le parti socialiste refusera ce projet. J'aimerais simplement revenir sur deux arguments qui ont été avancés en sa faveur - je crois que ce sont les seuls - à commencer par la question de l'accessibilité du site. Laissez-moi rire: on va construire un hôtel cinq étoiles et des bureaux, donc l'accessibilité se limitera aux personnes qui auront les moyens de se payer une chambre dans pareil établissement, et je peux vous garantir que ce ne sera pas la majorité de la population genevoise.
Quant au plan de site qui serait de nature à préserver l'intérêt patrimonial et paysager, eh bien la meilleure façon de protéger l'intérêt patrimonial et paysager de ce secteur, c'est de ne pas le déclasser, puisqu'il est aujourd'hui soumis à la protection des rives du lac. Certes, un petit effort a été fait par rapport au projet d'il y a quinze ans, mais on est quand même très loin de ce qu'il faudrait pour maintenir cette protection. On nous a expliqué que cette protection était mal fichue, car la loi prévoit un décrochement; or si elle prévoit un décrochement, c'est parce qu'on est sur une butte, et pour préserver le paysage depuis les deux rives, on ne peut pas construire, c'est l'un des aspects fondamentaux de la protection du paysage à Genève ! Honnêtement, il faut renvoyer ce projet en commission pour que raison revienne dans les rangs du MCG, et si le renvoi en commission est refusé, je demanderai le vote nominal. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs, nous sommes donc saisis d'une demande de renvoi en commission... (Commentaires.) A la page 3 du rapport, il est indiqué: «La procédure d'opposition en juillet-septembre 2017 a donné lieu à cinq oppositions.» Or nous n'avons pas le résultat de ces cinq oppositions, aucune annexe à ce projet de loi n'indique où en est le processus. (Remarque.) Ah ! Oui, Monsieur Pagani, je vous passe la parole.
M. Rémy Pagani (EAG). Monsieur le président, il faudrait rejeter les oppositions s'il y en a, mais puisque nous n'en avons pas connaissance, de fait, nous devons renvoyer le projet en commission. C'est une question de procédure légale ! Je vous demande d'appliquer la procédure légale.
Le président. Je crois que vous avez raison. Nous venons de découvrir cet élément et nous ne trouvons pas de document nous indiquant où en est le processus. Aussi, chers collègues... (Commentaires.) Nous allons voter ! Il y a maintenant une demande de renvoi en commission qui n'est pas seulement politique, mais aussi technique, puisqu'il nous manque apparemment des pièces. Je vais donc mettre aux voix... (Brouhaha.) S'il vous plaît ! Je vais mettre aux voix la demande de renvoi... (Remarque.) Oui, Monsieur Pagani ?
M. Rémy Pagani (EAG). J'ai oublié de préciser, pour celles et ceux qui s'apprêtaient à accepter ce projet de loi, que le vote risque d'être annulé si notre Conseil ne respecte pas la procédure usuelle; on va perdre du temps, des recours administratifs seront lancés... Je vois notre sautier opiner du chef. Ce serait une erreur de voter ce texte, il faut prendre acte de la situation et le renvoyer automatiquement en commission; c'est en tout cas ce que j'encourage à faire les députés conscients de leurs responsabilités.
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, ce qui est dit est exact: puisque l'entrée en matière de ce projet de loi a été refusée en commission, c'est comme si les oppositions avaient été implicitement acceptées. Si les majorités changent aujourd'hui et que vous entrez en matière sur le projet, vous devrez inscrire dans la loi que les oppositions sont rejetées. Or vous ne pouvez pas faire cela en séance plénière, vous devez le faire en commission afin de respecter le droit d'être entendu qui ne peut pas être garanti lors du plénum. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. J'invite l'assemblée à voter sur ce renvoi en commission raisonnable et argumenté.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12148 à la commission d'aménagement du canton est adopté par 89 oui et 2 abstentions.
Le président. Merci, chers collègues, de vous être montrés raisonnables !
Débat
Le président. Nous passons à la dernière urgence, que nous traiterons en catégorie II, trente minutes. Il s'agit de la M 2489-A; le rapport est de Mme Léna Strasser, qui prend place et à qui je cède immédiatement la parole.
Mme Léna Strasser (S), rapporteuse. Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, la M 2489, soutenue par la majorité de la commission des affaires sociales, invite le Conseil d'Etat à renoncer à la construction et à l'ouverture, en 2022, d'un centre fédéral d'attente et de départ pour les requérantes et les requérants d'asile sur la commune du Grand-Saconnex, aux abords de l'aéroport. (Brouhaha.)
Des voix. Chut !
Mme Léna Strasser. Contrairement aux centres de procédure, le centre genevois serait destiné à accueillir les femmes, hommes et enfants devant être renvoyés soit, pour les cas dits Dublin, dans un autre pays d'Europe afin que leur demande d'asile y soit traitée et qu'ils obtiennent le statut de réfugié, soit dans leur pays d'origine si ce statut ne peut pas leur être accordé.
La commission des affaires sociales a entendu les départements concernés ainsi que la Coordination asile et Amnesty International Genève. Elle a aussi pris connaissance de la position de la commune du Grand-Saconnex tout comme de l'avis de droit publié par la Commission fédérale contre le racisme, qui dénonce les restrictions illégales à la liberté de mouvement dans les centres fédéraux d'asile.
Si la majorité de la commission s'est montrée favorable à soutenir cette motion, c'est que le centre prévu dans notre canton incarne le pire visage de la politique d'asile de notre pays, la dimension sécuritaire prenant le pas sur l'encadrement social, l'accueil disparaissant au profit du contrôle et de la restriction de liberté.
Aux yeux de la majorité de la commission, les conditions de réalisation de ce centre d'attente et de départ sont insatisfaisantes. Celui-ci se situera sur une parcelle exposée aux nuisances générées par la proximité de l'aéroport et de l'autoroute. Les conditions de vie dans ce centre, régies par l'ordonnance fédérale relative, comprennent une restriction de la liberté d'aller et venir, des horaires de sortie et de rentrée réduits, des fouilles systématiques à l'entrée et une limitation des visites et des contacts avec la société civile - même pour les enfants, qui recevront un enseignement à l'intérieur du centre.
Le centre, bien que dit ouvert et destiné à des requérants d'asile, réfugiés probables, et non à des personnes condamnées pour un délit, aura l'allure d'un lieu de détention, vraisemblablement orné de barbelés comme celui de Zurich. Sur la même parcelle, il est prévu de construire un bâtiment de la police internationale, le centre de déminage et le commissariat de la police douanière, ainsi que cinquante cellules de détention administrative en vue d'incarcérations avant les renvois. A nos yeux, ces conditions risquent fortement d'engendrer un stress supplémentaire pour ces femmes, hommes et enfants, avec très probablement un impact négatif sur leur santé physique et psychique.
Est-ce ainsi que nous souhaitons accueillir, à Genève, des femmes, des hommes et des enfants demandant l'asile ? La majorité de la commission répond que non ! Accueillir, oui, mais pas en déshumanisant l'accueil et les procédures. Accueillir dignement ! C'est pourquoi nous vous remercions de soutenir cette motion. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie. La parole est à M. le député André Pfeffer. (Un instant s'écoule.) Monsieur Pfeffer, c'est à vous.
M. André Pfeffer. Je renonce. C'est sur l'objet précédent que je voulais m'exprimer.
Le président. Je vous remercie. La parole échoit à M. François Lance. (Remarque.) Non, non plus. Je passe donc la parole à M. Marc Fuhrmann.
M. Marc Fuhrmann (UDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, comme il y a eu un petit problème de communication, mes propos feront office de rapport de minorité.
J'aimerais rappeler que le 5 juin 2016, la population a accepté une nouvelle loi sur l'asile visant à améliorer les procédures. Cette nouvelle loi doit permettre de réaliser différents objectifs, entre autres: accélérer les procédures, recrédibiliser l'asile et réduire l'attrait de la Suisse pour les requêtes non fondées. Dans ce cadre, la Suisse accepte des demandes d'asile et en refuse d'autres. Pour les personnes déboutées, il doit exister un lieu où demeurer avant leur départ de Suisse. C'est l'objet de ce futur centre.
La minorité conteste les arguments de la majorité; cette nouvelle loi sur l'asile demande des infrastructures nouvelles que la majorité de la commission refuse avec cette motion. Ce centre est destiné à des séjours courts, d'un maximum de 140 jours. A Zurich, la durée moyenne pour une installation similaire est de 66 jours seulement. Il s'agit donc d'un centre d'attente ou de départ pour requérants avant un retour dans leur pays ou dans un autre pays de l'espace Dublin.
Toute l'argumentation concernant le lieu inapproprié - proche de l'aéroport et de l'autoroute, loin des lieux de culture, air de moins bonne qualité - n'a objectivement pas de sens. De par la brièveté de ces séjours, tout désagrément n'est que passager et de courte durée - durée qui peut être très brève si la personne concernée obtempère au départ signifié. N'oublions pas non plus que des dizaines de milliers de gens vivent et travaillent de longues années d'affilée dans la région de l'aéroport, sans que les conditions liées à la qualité de l'air soient intolérables. La proximité de l'autoroute ? En quoi cette proximité est-elle néfaste, surtout pour de brefs séjours ? De nombreux habitants y sont aussi exposés à travers le canton et cela durant de longues années, voire des vies entières, pas pour un maximum de 140 jours.
Il a été question également du manque de vie culturelle, du fait que celle-ci est située trop loin de ce futur centre. En vingt minutes de bus, toute l'offre culturelle du canton est à portée; l'argument n'est pas sérieux. Il s'agit d'un centre de sortie et non de séjour ! Ensuite, je cite de nos discussions: «L'impact écologique de ce centre fut aussi abordé comme étant "catastrophique".» Il sera construit en pleine zone bâtie, regorgeant d'infrastructures en tout genre, et sans entraîner la destruction d'un quelconque biotope. Entre une piste d'aéroport et une autoroute, où est le biotope ?!
Il a également été débattu de la mauvaise image que donnerait Genève avec un tel centre. Argument incompréhensible là aussi: à ce jour, la politique d'asile suisse est l'une des plus généreuses et compréhensives au monde.
En résumé, il s'agit de mettre à exécution une demande fédérale et Genève n'a pas d'arguments conséquents pour déroger à ses obligations en la matière. La situation actuelle est finalement bien pire, les infrastructures sont insuffisantes, et ce nouveau centre offrira de meilleures conditions que celles qui prévalent à ce jour. C'est avec ces arguments que la minorité rejette cette motion et vous enjoint de la rejeter. Merci.
Mme Delphine Klopfenstein Broggini (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, la loi sur l'asile est revue régulièrement, malmenant toujours plus une population déjà largement précarisée. C'est une nouvelle fois le cas avec la dernière révision, qui prévoit le remplacement des CEP, les centres d'enregistrement et de procédure, par un nouveau concept, les centres fédéraux pour requérants d'asile, soit CFA. Mme la rapporteure de majorité l'a extrêmement bien expliqué: ces centres prévoient notamment une semi-détention.
Que les CFA soient avec ou sans tâches procédurales, c'est-à-dire des centres d'enregistrement ou des centres de départ, ils ont tous en commun la caractéristique suivante: la durée de procédure passe de 90 à 140 jours. Mais ce qui nous inquiète le plus, c'est bien le caractère carcéral de ces CFA. On parle de clôtures qui entourent les centres, de contrôles à l'entrée, de fouilles; les personnes se retrouvent en semi-détention. On assiste là à une criminalisation des personnes en exil et on bafoue littéralement leurs droits fondamentaux.
J'ajouterai à cela que le centre prévu à Genève - soit un CFA sans tâches procédurales, c'est-à-dire un centre de départ - sera consacré essentiellement aux cas Dublin. Par conséquent, des familles y seront également accueillies. Pour rappel, les cas Dublin concernent le renvoi des requérants dans le pays d'arrivée sur sol européen. La plupart du temps, la Suisse renvoie les requérants en Italie, premier pays d'arrivée en Europe, alors que l'infrastructure d'accueil - et on le sait toutes et tous ici ! - y est absolument lacunaire.
Dernièrement, j'ai connu à Genève une famille yéménite. Elle a été refoulée en France, passant ses nuits de gare en gare avant d'obtenir un rendez-vous avec l'administration pour son enregistrement. Imaginez un instant cette famille, avec deux garçons de 10 et 15 ans, transiter d'un centre semi-carcéral genevois à des gares françaises ! Est-ce un crime de fuir la guerre civile du Yémen ? Est-ce un crime de fuir l'une des pires crises humanitaires actuelles ? Est-ce cela notre seule réponse ?
Au-delà de cette criminalisation des personnes en exil, il faut ajouter un élément, et non des moindres: ce centre coûterait à Genève pas moins de 40 millions - 40 millions de francs pour Genève et 23 millions pour la Suisse. Nous ne sommes pas les seuls, à Genève, à nous élever contre ces centres: grâce à une motion des Verts, le canton de Berne vient de refuser, par voie parlementaire, l'implantation sur son territoire de l'un d'entre eux. Je vous invite, chères députées, chers députés, à en faire de même. Ces centres fédéraux pour requérants d'asile violent littéralement les droits humains; nous n'en voulons ni à Genève ni ailleurs. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe Ensemble à Gauche vous invite à accepter la M 2489, qui affiche très clairement sa vocation: s'opposer à la création, à Genève, d'un nouveau centre fédéral d'attente et de départ pour les requérants d'asile. Notre groupe est formellement opposé à la création de ce centre qui, comme ses homologues, s'inscrit dans le cadre de la réorganisation de l'asile, vaste entreprise de déshumanisation s'il en est.
Le centre fédéral d'attente et de départ vise essentiellement à accélérer le traitement d'une partie des demandes d'asile afin de hâter le départ de ceux qui n'auront pu obtenir l'ouverture d'une procédure. Il pourra désormais retenir les requérants d'asile jusqu'à 140 jours pour ce seul motif. Au contraire de ce que disait M. Fuhrmann tout à l'heure, ce n'est pas simplement un petit moment, de courte durée, à supporter: c'est une étape de plus dans le processus particulièrement dramatique du chemin de l'exil.
Ces centres, que la Commission fédérale contre le racisme a sévèrement remis en question, sont par nature l'antithèse du devoir d'hospitalité qui nous incombe. Ils sont avant tout les instruments de l'organisation du rejet des personnes qui viennent, alors qu'elles sont en péril, demander un abri dans notre pays. Quelles que soient les améliorations des directives fédérales que le canton de Genève est parvenu à obtenir, les centres se caractérisent quand même, envers et contre tout, par une sorte de régime semi-carcéral. Pourtant, ils sont destinés à des personnes adultes ou à des enfants dont le seul crime est de venir d'ailleurs et d'avoir besoin d'un asile pour préserver leur intégrité.
D'une taille surdimensionnée alors que le dispositif actuel est largement sous-employé, situé, on l'a dit, en bordure de la piste d'aéroport, près d'axes routiers, et voisin de bâtiments abritant divers services de police, le centre fédéral d'attente et de départ est voué à incarner une politique de dissuasion et de contrainte. Politique qui ne fait pas honneur à Genève, qui se plaît à se désigner comme la capitale des droits humains. A n'en pas douter, de telles conditions de détention et un tel voisinage ne peuvent qu'encourager les requérants d'asile destinés au renvoi à disparaître dans la nature pour éviter les vols spéciaux ou une pathétique errance dans les pays environnants. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)
Enfin, la vocation de ce centre affectera évidemment la répartition des requérants d'asile. De par sa présence sur le sol cantonal, Genève se retrouvera avec une certaine catégorie de requérants d'asile: il devra faire face à une concentration de personnes susceptibles d'être expulsées. Cela affectera la perception que la population aura de celles-ci et alimentera une forme de politique particulièrement discutable, prompte à manipuler l'opinion en la matière. Ce sera surtout une manière de stigmatiser et...
Le président. Voilà, Madame la députée, nous arrivons au bout.
Mme Jocelyne Haller. ...de favoriser l'exclusion sociale. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Mme Véronique Kämpfen (PLR). Mesdames et Messieurs, chers collègues, je voudrais vous rappeler, en préambule, que la réforme de la loi sur l'asile a été acceptée en 2016 par deux tiers des voix, et elle l'a été dans l'ensemble des cantons suisses. Ainsi, Genève a également accepté cette loi fédérale, qui demande justement l'institution des centres fédéraux de départ. Je voulais vous dire aussi que la commune du Grand-Saconnex ne s'est pas opposée à la création de ce centre sur son territoire.
Le principe - voulu, donc, par ce texte accepté en 2016 - est de diviser la Suisse en six régions pour intégrer les personnes migrantes et mieux gérer les flux migratoires, y compris les départs. La Suisse romande ne sera qu'une seule région, la plus grande, avec 1290 places à disposition. Tous les cantons n'auront évidemment pas un centre de renvoi, mais Genève disposant d'un aéroport, il est logique qu'un tel centre y soit construit. Le canton sera indemnisé pour cela; contrairement à ce qui a été dit, les centres seront entièrement payés par la Confédération, qui prendra non seulement à sa charge les frais de construction mais également les frais de fonctionnement.
Le département, qui a été auditionné, nous a largement rassurés quant à la prise en compte des exigences des motionnaires relatives à la qualité de vie dans ce centre. L'expérience zurichoise a été éclairante: il a tout à fait été reconnu que c'était difficile, là-bas. Les cantons qui construiront les prochains centres pourront prendre en considération les résultats de cette première expérience zurichoise. Le département s'est donc engagé à respecter autant que faire se peut les exigences relatives à la qualité de vie formulées par les motionnaires.
Le gros problème de cette motion, c'est qu'elle n'a qu'une seule invite, qui demande de renoncer à la construction d'un centre fédéral d'attente et de départ à Genève. Cette invite va un pas trop loin. Le groupe PLR regrette que nous n'ayons pas pu la retravailler pour peut-être demander une meilleure prise en compte des exigences liées à la qualité de vie. Mais demander carrément de renoncer à la construction du centre nous semble aller beaucoup trop loin et être en opposition avec les décisions que nous avons prises au niveau fédéral. Pour ces raisons, le PLR vous demande de refuser cette motion. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Bertrand Buchs (PDC). Le groupe PDC a suivi les débats avec très grand intérêt et s'est aperçu que les critiques qui ont été faites sur la qualité de vie dans ce centre - sur sa localisation et sur ce qui devrait être fait pour les gens qui vont y vivre jusqu'à 140 jours - ne sont pas prises en compte, même si on nous a promis que les choses vont changer.
J'attire l'attention sur le fait qu'au centre de Zurich, qui est en activité, plus de 30% des personnes ont disparu de la circulation ! Ça veut dire que, vu les contraintes, les gens quittent le centre et vivent dans une illégalité complète en Suisse. Le risque, avec ce genre de structure, c'est que les gens ne s'y rendent pas, ou la quittent, ce qui entraîne de gros problèmes pour les retrouver, pour pouvoir les aider et les héberger.
Il faut naturellement se conformer à ce qui est demandé par la Confédération, mais on peut le faire différemment. C'est pour ça que cette motion est importante: on demande de réfléchir à une autre façon de concevoir ces centres. Je rappelle que les gens qui arrivent dans ces centres ne sont pas des criminels: ce sont des gens qui ont fui des situations de guerre, de stress énorme, qui souvent doivent être renvoyés en application des accords de Dublin parce qu'ils sont entrés en Europe par un autre pays avant d'arriver en Suisse. On va donc les renvoyer en Italie, en France ou en Espagne, mais ce ne sont pas des criminels.
Le minimum, pour des gens qui ne sont pas des criminels, c'est d'avoir un autre type de structure, d'arrêter de mettre des barbelés ou de filtrer et contrôler les entrées. Il faut penser aux enfants qui seront là: ils devront pouvoir bénéficier d'une scolarisation puisqu'ils peuvent rester jusqu'à quatre ou cinq mois dans ce centre. Et surtout, surtout, je le répète, il s'agit d'éviter que ces gens disparaissent de la circulation, d'éviter qu'ils entrent dans la clandestinité parce qu'ils ne voudront pas passer par ces centres.
Je demande que le Conseil d'Etat réfléchisse à autre chose qu'à faire ce genre de centre. Je rappelle que le parlement du canton de Berne a refusé à une grande majorité une telle structure sur son territoire: il n'y a donc pas que les Genevois qui sont contre. Les Zurichois aussi ont émis des critiques; il y a un problème de fond. Il faut accepter cette motion, et le PDC l'acceptera. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Sylvain Thévoz (S). Le groupe socialiste soutiendra également cette motion. La composition de la majorité qui se dessine pour la soutenir est un signal important pour ne pas construire ce centre, en bordure de l'aéroport, et cela pour les raisons qui ont été largement expliquées, qui sont avant tout humanitaires. Il est complètement schizophrénique d'avoir un tel centre - lieu d'enfermement, de détention dans des conditions totalement inacceptables - à quelques centaines de mètres des institutions internationales qui font l'orgueil et la respectabilité de notre ville.
On a parlé de couvre-feu, d'obligation de déposer les papiers à l'entrée, de rétention de matériel électronique pour les personnes détenues: cela n'est pas conforme au droit. Ce n'est pas correct pour des personnes en attente, fragilisées par des parcours traumatisants. Genève, qui se targue d'être la capitale des droits humains, qui est fière de ce bristol, doit, à un moment, faire un arbitrage en conscience. Elle ne peut pas d'un côté se gargariser, sur la scène internationale, de son engagement en faveur des droits humains et tolérer en même temps la construction d'un tel centre. Les conditions sanitaires sont inquiétantes, on l'a dit, situé comme il le serait entre une autoroute et un aéroport. Au-delà de la proximité avec l'aéroport, il y a aussi bien sûr la question de la clôture ou le fait que les personnes qui y seront détenues ne pourront pas recevoir de visites.
Le PLR et l'UDC disent que ce n'est que pour 140 jours et qu'on peut vivre avec ça. Il est évidemment facile, quand on n'est pas dans ces lieux de détention, de dire que ce n'est pas si terrible et qu'on peut y demeurer. On peut inviter chaque député à y passer ne serait-ce que quelques heures pour voir l'extrême violence de ces conditions de détention.
Il nous a également été rappelé qu'une révision de la loi sur l'asile a été acceptée au niveau suisse. Mais celle-ci n'est pas contraignante pour la construction de ce centre; c'est à bien plaire que Genève accepte cette implantation sur son territoire. Elle n'est pas obligatoire: si Genève ne construit pas ce centre, d'autres cantons auront, s'ils le souhaitent, l'opportunité de le faire.
Par conséquent, il revient entièrement aux députés de choisir s'ils veulent défendre une Genève humanitaire, qui se montre sur la scène internationale comme telle, ou s'ils choisissent la logique de l'enfermement, de la semi-détention, pour des gens dont le seul délit est d'avoir cherché asile et refuge dans notre pays et dans notre canton. Nous accepterons donc cette motion et, avec la majorité, nous vous invitons à le faire pour que ce centre ne soit pas bâti sur notre territoire. Merci. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Je passe la parole pour une vingtaine de secondes au député Fuhrmann, qui l'a redemandée.
M. Marc Fuhrmann (UDC). Merci, je serai très bref. Il faut bien faire la distinction entre la construction de ce centre et le règlement de vie à l'intérieur: ce sont évidemment deux choses différentes. La liberté, les fouilles, etc., n'ont rien à voir avec le bâtiment en tant que tel. Ici, il s'agit de la construction ou non du bâtiment. Merci.
M. François Baertschi (MCG). Pour les auteurs de cette motion, on l'aura compris, la loi sur l'asile est trop dure, il ne faut pas de centre fermé pour les requérants d'asile qui doivent être expulsés, il faut une solution ouverte. On se demande comment c'est possible ! Soyons cohérents, allons jusqu'au bout de cette logique ! Allons-y: laissons grandes ouvertes les portes du canton de Genève et accueillons toutes les personnes, du monde entier, qui le désirent. Créons une Genève sans frontières. Très vite, on aura une Genève non pas de 500 000 ou de 600 000 habitants mais une Genève de 1 million, de 2 millions ou peut-être de 3 millions d'habitants ! On sera dans l'ouverture la plus totale. Je pense que c'est ce que certains cherchent, ou ce vers quoi certains nous dirigent.
Si c'est un modèle de société que certains défendent, ce n'est en tout cas pas celui du MCG, qui veut que l'on garde certaines valeurs. Des valeurs d'accueil modérées - modérées: c'est-à-dire qu'on accueille un certain nombre de personnes du monde entier, mais avec modération, pour pouvoir bien les accueillir. Mais dans le même temps, on n'oublie pas les habitants de notre canton, qui méritent également d'être soutenus et d'avoir toute notre attention. Nous ne les négligeons pas.
La Suisse est un pays civilisé, qui n'a pas des pratiques barbares; nous ne sommes pas dans l'Etat islamique ou dans d'autres types de sociétés détestables. Nous avons certaines valeurs, qui sont respectées et qui continueront à l'être, même avec ce centre et à l'intérieur de ce centre.
Il faut donc refuser massivement cette motion. Je sais qu'elle a quelques chances de passer parce qu'il y a toujours des faiblesses de la part de gens qui se prétendent parfois de droite mais qui ne le sont pas. Nous, nous ne sommes ni de droite ni de gauche... (Rires. Commentaires.) ...mais nous avons certaines valeurs démocratiques, et l'une d'entre elles, c'est l'accueil modéré des requérants d'asile. Refusez cette motion !
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat est à vrai dire assez perplexe après avoir entendu certaines interventions dans cet hémicycle. Que certains bords politiques reprennent un combat qu'ils ont déjà mené par le passé contre les procédures et leur durcissement, ce n'est pas surprenant; c'est certainement respectable et compréhensible, mais il faut, à un moment donné, savoir accepter les verdicts populaires.
Ici, on veut nous faire faire une genevoiserie de plus. On veut que Genève exprime sa volonté, mais en n'en faisant qu'à sa tête, sans respecter les engagements pris à l'égard des autres cantons et de la Confédération. Or, dans ces conditions, Genève serait un canton non fiable, sur lequel on ne peut pas compter. Vous nous pardonnerez, mais le Conseil d'Etat ne peut évidemment pas cautionner cette manière de procéder.
Je rappelle qu'à l'issue de la deuxième conférence nationale sur l'asile, le 28 mars 2014 - cela fait maintenant cinq ans - la Confédération, les cantons et les communes ont émis une déclaration. Les principes et le cadre de la restructuration du domaine de l'asile ont été posés à ce moment-là. J'en rappelle les objectifs principaux: l'accélération du traitement des demandes d'asile, le renforcement des garanties juridiques offertes aux requérants d'asile dans le cadre de leur procédure, la protection des personnes qui en ont besoin et leur intégration rapide, la réduction du nombre de demandes manifestement infondées et des économies sensibles pour la Confédération et les cantons. Ces points ont été unanimement admis par la Confédération, les cantons et les communes.
Sur cette base, le domaine de l'asile s'est ensuite régionalisé. Depuis le 1er mars de cette année, soit il y a quelques jours, la restructuration du domaine de l'asile est entrée en vigueur: la Suisse est donc divisée en six régions. Quatre régions sont pluricantonales et deux ne comportent qu'un seul canton, à savoir Berne et Zurich. Pour la région Suisse romande - qui, je n'ai pas besoin de vous le rappeler, comporte Vaud, Fribourg, Neuchâtel, Genève, Jura et le Valais - il a été décidé en commun qu'il faudrait mettre à disposition 1290 places d'hébergement dans quatre centres fédéraux pour requérants d'asile: un avec tâches procédurales dans le canton de Neuchâtel et trois sans tâches procédurales à Fribourg, Vallorbe et Genève, au Grand-Saconnex.
La marge de manoeuvre du canton est extrêmement étroite, Mesdames et Messieurs les députés. Nous pouvons certes discuter des aménagements relatifs aux conditions de sécurité des lieux, de ce qui relève de l'opérationnel ou de la scolarisation. La volonté de faire en sorte que les enfants soient le moins atteints possible par les situations difficiles qui touchent les familles qui viennent chez nous demander l'asile est bien sûr là. Genève s'est en outre toujours engagée pour la prise en charge médicale des requérants d'asile, et celle-ci est déjà une réalité. Le canton est d'ailleurs exemplaire à cet égard, et non seulement dans le domaine de l'asile: vous savez qu'il y a des programmes d'intérêt général, aux Hôpitaux universitaires de Genève, qui prévoient la possibilité pour les personnes qui n'en ont pas les moyens de recevoir les soins que leur état requiert. Enfin, nous disposons d'une marge de manoeuvre pour les horaires de sortie et de rentrée. Il n'est pas question de mettre des gens en prison comme certains l'ont indiqué.
Le Conseil d'Etat ne peut donc évidemment pas soutenir la motion qui vous est présentée, et cela tout simplement pour des raisons de compétence. Elle est certes truffée de bonnes intentions, mais qui impliquent, comme je l'ai dit, une violation claire des engagements que Genève a pris à l'égard de la Confédération et des cantons. La restructuration de l'asile, qui est entrée en vigueur, a été approuvée le 5 juin 2016 par la majorité du peuple et des cantons. Ce n'est donc pas seulement une trahison des engagements pris, mais aussi une violation des droits démocratiques et une claire insoumission aux règles de notre démocratie participative suisse.
Une invite unique nous est soumise, qui demande, je cite, «à renoncer à la construction d'un centre fédéral d'attente et de départ CFA à Genève». Cela ne signifie pas, contrairement à ce qu'a indiqué le représentant du PDC: «Faites ça autrement !» Cela signifie: «Ne faites rien !» Or on ne peut pas nous demander de ne rien faire alors que Genève a pris des engagements. Parce que nous avons pris des engagements envers les communes environnantes, nous allons naturellement mettre sur pied une commission d'étude des modalités de mise en place de l'hébergement des requérants qui seront attribués au canton de Genève.
Tout cela se fera bien sûr avec le plus de respect possible, dans le cadre des contraintes que nous impose le droit fédéral, mais nous ne pouvons évidemment pas renier la parole donnée. Par conséquent, le Conseil d'Etat ne peut pas entrer en matière. Nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, de refuser cette motion. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous passons au vote.
Mise aux voix, la motion 2489 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 53 oui contre 45 non. (Vifs applaudissements à l'annonce du résultat.)
Premier débat
Le président. Chers collègues, bonne nouvelle: nous avons terminé la longue liste de nos urgences ! Nous reprenons ainsi l'ordre du jour ordinaire avec les points liés PL 12153-A, PL 12164-A et M 2356-A. Dans un premier temps, je vais laisser les rapporteurs s'exprimer, puis j'annoncerai la pause et nous poursuivrons le débat à la séance suivante. Ainsi que vous le voyez, il y a beaucoup de rapporteurs... (Remarque.) Non, tous les rapporteurs ne sont pas obligés de venir à l'estrade. Procédons comme nous l'avons déjà fait dans pareil cas: trois rapporteurs s'installent ici, les autres restent à leur place. Le débat est classé en catégorie II, septante minutes. Pour commencer, la parole échoit au rapporteur de majorité, M. Jacques Béné.
M. Jacques Béné (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, chers collègues, nous voici devant un vrai projet de société qui vise à améliorer la qualité de vie des habitants du centre ainsi que l'accessibilité routière du canton et de l'agglomération en offrant - enfin ! - un «ring» autoroutier complet au canton de Genève. L'objectif est aussi de requalifier différents centres urbains afin d'y diminuer le trafic.
Cette traversée du lac dont on parle depuis des dizaines d'années, depuis plusieurs générations, figure dans Mobilités 2030, dans le projet d'agglomération 2 comme dans le projet d'agglomération 3 et s'inscrit dans le développement du réseau des routes suisses. Mesdames et Messieurs, le 5 juin 2016, pour la énième fois, le peuple genevois a accepté l'initiative cantonale «OUI à la grande Traversée du Lac !» à 62,83%, et le présent projet de loi nous permet d'entamer la première partie du processus qui amènera le canton à se doter de cette infrastructure tant attendue. Il s'agit d'un crédit d'étude qui aboutira à un avant-projet, lequel sera présenté à Berne pour obtenir le financement nécessaire. Cet avant-projet apportera des précisions, il est important de le souligner, en matière de géotechnique, d'environnement, de nature, de paysage, d'agriculture, d'hydrologie, d'hydrogéologie, de trafic, etc. La traversée du lac nous permettra d'opérer une véritable requalification du centre et de maximiser les opportunités liées au bouclement autoroutier en faveur des transports publics, de la mobilité douce et des espaces publics que nous appelons tous de nos voeux.
Je souhaiterais, Mesdames et Messieurs les députés, rappeler trois éléments aux groupes politiques qui seraient éventuellement opposés à ce crédit d'étude. Tout d'abord, le canton de Zurich développe également un projet de traversée du bout du lac, avec le soutien du parti socialiste, et fait actuellement pression sur l'OFROU pour y parvenir. Voilà un argument pour nous: si Zurich réussit à obtenir une traversée du lac, il n'y a pas de raison que nous n'y arrivions pas.
Ensuite, je rappelle que l'autoroute de contournement à laquelle les socialistes s'étaient opposés a été inaugurée en grande pompe par M. Grobet; aujourd'hui, on imagine mal la situation à Genève sans cette infrastructure.
Du côté des Verts, c'est un peu la même chose: ils veulent supprimer le trafic au centre-ville, mais ne s'en donnent pas les moyens. En commission, on nous rebat les oreilles à longueur de temps avec l'IN 144 sur la mobilité douce; eh bien je vous invite à voter ce projet de loi qui permettra précisément de réduire la circulation au centre-ville et, partant, d'aménager davantage de pistes cyclables. Au demeurant, j'ajoute que cette initiative que vous invoquez en permanence n'a été acceptée par le peuple qu'à 50% et des poussières.
Une voix. 50,3% !
M. Jacques Béné. Mesdames et Messieurs, pour que nous puissions avancer et respecter la volonté populaire, le projet doit être porté avec force au niveau cantonal, comme avec le CEVA. Je vous demande d'adopter ce texte, puisque l'OFROU a très clairement indiqué que le tracé tunnel-pont-tunnel choisi par le conseil consultatif constituait la meilleure option. Nous souhaitons tout mettre en oeuvre pour que le projet soit inclus dans les discussions du fonds FORTA avec une échéance en 2040 et vous invitons à accepter non pas le crédit de 6,3 millions proposé initialement, mais celui de 24,6 millions... (Rire.) ...étant entendu, c'est ce qui ressort de la commission, que le crédit de 6,3 millions a été annoncé par le Conseil d'Etat comme la première étape du long processus qui nous mènera à un projet pouvant être accepté par la Confédération.
Mesdames et Messieurs les députés, notre qualité de vie est importante, la guerre des transports doit cesser. En commission, la majorité a toujours voté les pistes cyclables, les transports publics, tout ce qui relève de la mobilité douce; aujourd'hui, vous devez faire un effort pour que le trafic routier obtienne lui aussi une part du gâteau, parce que la population s'est clairement prononcée à plusieurs reprises en faveur d'une traversée du lac. Cette traversée du lac, Mesdames et Messieurs, c'est trois fois oui, et s'il faut aller sur la place Fédérale pour se faire entendre par le gouvernement suisse et les Chambres, c'est volontiers qu'on vous y accueillera ! Je vous remercie.
Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur. A présent, je donne la parole à l'autre rapporteur de majorité, M. Murat Julian Alder, puis nous ferons une pause, parce qu'il y a vraiment trop d'orateurs inscrits et que l'ensemble des rapporteurs ne pourra pas s'exprimer d'ici la fin de la séance. Monsieur Alder, vous avez tout de même droit à sept minutes.
M. Murat Julian Alder (PLR), rapporteur de majorité. Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, le 5 juin 2016, 62% des citoyens genevois ont accepté l'initiative populaire cantonale «OUI à la grande Traversée du Lac !». La réalisation de cette infrastructure essentielle pour le développement de Genève est désormais inscrite à l'article 192A de notre constitution cantonale.
Or, les opposants continuent de nous chanter ce même refrain méprisant envers la volonté populaire: le vote du 5 juin 2016 ne portait prétendument que sur le principe de la réalisation d'une traversée du lac. Non, Mesdames et Messieurs les députés, nous n'avons pas voté sur un principe, mais bien sur l'octroi d'un mandat constitutionnel qui doit être mis en oeuvre par les autorités cantonales. A cet égard, nous ne pouvons que saluer la mise en place par le Conseil d'Etat d'un conseil consultatif pour la traversée du lac qui a élaboré plusieurs rapports et de nombreuses recommandations, lesquels seront précieux pour la suite des travaux.
Néanmoins, en automne dernier, le président de ce conseil consultatif s'interrogeait dans les médias quant à la volonté réelle du Conseil d'Etat de voir cette traversée du lac se concrétiser. Plusieurs d'entre nous partagent ce sentiment et attendent aujourd'hui de la part de notre gouvernement une prise de position claire en faveur de son exécution. En votant la motion 2356, Mesdames et Messieurs les députés, vous administrez une piqûre de rappel démocratique au Conseil d'Etat: il s'agit de réitérer l'invitation faite par le peuple d'honorer le mandat constitutionnel qui lui a été confié. Je vous remercie de votre attention.
Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur.
Le président. Mesdames et Messieurs, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, nous faisons une pause maintenant. Je vous attends à 18h tapantes pour la suite du débat; les autres rapporteurs auront alors l'occasion de s'exprimer.
La séance est levée à 17h45.