République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 16 décembre 2010 à 17h
57e législature - 2e année - 3e session - 12e séance
RD 856
Le président. Nous avons reçu une lettre de M. Jean-Michel Gros nous informant de sa décision de démissionner de son mandat de député à l'issue de cette séance. Je prie M. Fabiano Forte, membre du Bureau, de bien vouloir nous lire cette lettre.
Le président. Il est pris acte, avec regret, de cette démission. Jean-Michel Gros a siégé au Grand Conseil sur les bancs du parti libéral pendant treize ans au total: tout d'abord de 1985 à 1989, puis de 2001 à aujourd'hui. Au cours de son mandat, il a participé aux travaux des commissions fiscale, ad hoc sur le personnel de l'Etat, d'aménagement du canton, de l'économie, de grâce et enfin de réexamen en matière de naturalisation. En outre, il a présidé la commission des droits politiques et la commission judiciaire et de la police en 2003 et 2004.
Parmi les objets nombreux qu'il déposa, on peut relever un projet de loi qui permit d'améliorer le fonctionnement des commissions, puisqu'il instituait la fonction de secrétaire scientifique de commission. Certains collaborateurs du secrétariat général lui doivent donc leur poste ! Dans un autre registre, on notera le dépôt d'un projet de loi visant à exonérer des droits de succession les personnes liées par un partenariat enregistré, les plaçant sur un pied d'égalité avec les conjoints. A ce sujet, il faut souligner que c'est lui qui fut l'initiateur du pacs fédéral lorsqu'il était conseiller national, fonction qu'il occupa pendant douze ans. Enfin, il s'est illustré par son combat pour éviter les termes épicènes dans l'administration, ayant même déposé une proposition de motion allant dans ce sens, refusée de justesse par 42 non contre 40 oui et 2 abstentions.
Laissez-moi vous dire, à titre personnel, que si je suis là où je suis aujourd'hui, ne me blâmez pas: tout est de la faute de Jean-Michel Gros ! Peut-être daignera-t-il vous expliquer à la buvette pourquoi Je dirai encore que nous perdons un député au bon sens légendaire, bon sens dont il pourrait sembler parfois, à certains esprits chagrins, que nous en manquons cruellement dans cet hémicycle.
Pour finir, je tiens à dire que, parmi les personnes qui le regretteront, on trouve tous les collaborateurs du secrétariat général, qui le remercient pour la grande quantité de bulles qu'il leur a fait livrer ce matin. D'autre part, ses apartés manqueront particulièrement aux lanceurs du vote électronique.
Fidèles à la tradition, nous lui remettons un stylo souvenir. (L'assemblée se lève. Longs applaudissements. Le président descend du perchoir pour remettre le stylo souvenir à M. Jean-Michel Gros.)
Attendez, ce n'est pas fini ! La parole est à M. le député Olivier Jornot.
M. Olivier Jornot (L). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, c'est avec consternation et tristesse que le groupe libéral a pris connaissance de la décision du député Jean-Michel Gros de démissionner. Mais avec le départ de Jean-Michel Gros, ce n'est pas simplement un député qui démissionne; c'est une institution qui s'en va ! (Commentaires.) Et comprenez notre surprise, en tant que groupe libéral: Jean-Michel Gros s'en va alors qu'il y a encore, dans le Recueil systématique de notre législation, des lois où il existe des impôts ! (Rires.)
Jean-Michel Gros est un personnage absolument polyvalent; il sait tout faire. Il sait, à l'heure des effeuilles, manipuler les enjambeuses ! (Rires.) Mais il sait aussi, dans cette salle, retourner les majorités à coups d'hypallages et d'aposiopèses. En effet, Jean-Michel Gros est un «gentleman farmer», un homme qui a eu deux loisirs et un métier.
L'un de ses deux loisirs a été d'abord la politique, loisir qu'il a exercé avec beaucoup de sérieux, puisque le parti libéral, pour lui permettre de parfaire sa formation, l'a même envoyé en stage pendant douze ans sous la Coupole fédérale, avant de le récupérer sur les rangs de ce parlement. Quant à son deuxième loisir, c'est la culture de la vigne. Il a, avec une certaine nonchalance, cultivé la vigne, cultivé un produit, un vin, dont il se débarrassait aussitôt en le faisant mettre dans des bouteilles. Tu as bien fait, Jean-Michel, de mettre fin à cette activité et de te consacrer à ton métier ! En effet, Mesdames et Messieurs, le métier de Jean-Michel Gros est d'écouter des opéras. Dans le domaine de l'opéra, tâche qu'il exerce à titre quasiment professionnel, Jean-Michel Gros sait tout ! Il connaît tout de tous les opéras. Il connaît toutes les musiques et toutes les paroles ! Il faut s'imaginer, en commission fiscale, que, lorsque vous lui chuchotez à l'oreille, lorsque vous lui demandez quel est le projet de loi que l'on traite, il se redresse et vous répond: «Nie sollst du mich befragen !» Merci, Monsieur Lohengrin, de m'avoir soufflé cette réplique.
Et pourtant, Jean-Michel Gros, cette connaissance encyclopédique, cette passion, il ne l'a pas exercée avec prétention, mais avec simplicité. Avec simplicité, c'est ainsi qu'il est ! Jean-Michel Gros est aussi un homme d'humour, d'une humeur enjouée, drôle, ironique, de cette ironie que seuls les personnages tragiques savent manier avec dignité. Tragique et digne, Jean-Michel l'est aussi lorsqu'il se lève dans ce parlement pour fustiger toutes les dérives «fascistoïdes», quelles qu'elles soient ! Quelle capacité à s'indigner, quelle capacité à nous bouleverser !
Jean-Michel va donc nous quitter; il va nous quitter sur une dernière galanterie, puisque c'est à une femme, Christiane Favre, qu'il cède sa place. Et je crois bien que, si Christiane Favre n'avait pas été la première de nos viennent-ensuite, Jean-Michel Gros se serait accroché à son siège jusqu'à la fin de la législature.
Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, Jean-Michel Gros a bien mérité du groupe libéral. Mais au-delà du groupe libéral, c'est de la république et de ses citoyens qu'il a bien mérité. Merci Jean-Michel pour ton engagement ! (Applaudissements.)
M. Eric Leyvraz (UDC). Mesdames et Messieurs, Jean-Michel est un ami de très longue date, un vigneron. Ce qui frappe chez lui - on ne va pas revenir sur sa carrière politique tout à fait exceptionnelle - c'est son extraordinaire sens de l'humour. Je me souviendrai toujours, nouveau député en 2006, j'essayais de comprendre - et j'avais l'espoir, encore, de comprendre - un député socialiste, bien connu, dont l'intervention était des plus fumeuses. Cela durait, cela s'éternisait... Il y a eu un petit moment de silence, et on a entendu Jean-Michel dire: «Grobet, reviens !» (Rires.) J'ai trouvé cela très drôle; cela montrait que l'on pouvait avoir de l'humour dans cet hémicycle, et parfois de l'humour noir. (Rires.)
Je profite aussi de ces traits d'esprit, ici, puisqu'il est juste à côté, pour dire qu'il a l'humour souvent vache, parfois très vache, mais c'est toujours drôle; ce n'est pas M. Thorens et Mme Seyfried qui pourront dire le contraire, parce que, bien des fois, vous avez eu beaucoup de peine à garder votre sérieux !
J'ai, pour Jean-Michel, évidemment beaucoup d'amitié. Jean-Michel est un peu un vieux garçon, n'est-ce pas, alors il a ses habitudes bien fixes, et pour rien au monde il ne descendra en ville en voiture ! Alors il laissait sa voiture à Vernier et prenait le bus, ou bien garait sa voiture à la gare de Satigny. Et j'ai eu le privilège, pendant cinq ans, après chaque Grand Conseil, d'être son chauffeur unique, préféré et attitré... (Rires.) ...pour le remonter dans ses terres. Comme il disait en 2009: «Mon chauffeur, c'est le président du Grand Conseil ou rien !» (Rires.)
Jean-Michel, j'espère que tu viendras souvent nous dire bonjour. Il y aura toujours une place dans ma voiture pour te remonter... Quoi qu'en disent les Verts, il y aura toujours des voitures, et pas que des transports publics ! (Rires.) Alors Jean-Michel, bonne route et à bientôt ! (Applaudissements.)
M. Christian Bavarel (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, j'ai rencontré Jean-Michel Gros en 2001, en arrivant dans la commission de l'économie, et nous avions en face de nous un adversaire, un authentique libéral, qui votait automatiquement «non» chaque fois qu'une aide à l'agriculture était proposée, se retrouvait systématiquement avec des positions extrêmement fermes sur le libéralisme et a toujours été un adversaire de taille pour nous. On s'est rendu compte - cela a été évoqué - de ce parcours politique et de ce temps donné à la collectivité publique, ce qui rend très suspectes ses réelles convictions libérales; en effet, passer autant de temps pour l'Etat et les collectivités publiques lorsque l'on a prétendument des convictions aussi bien ancrées me paraît extrêmement suspect !
Effectivement, ce sont des modes de vie qui sont totalement différents des nôtres, et je pense que c'est la richesse de notre monde politique: pouvoir discuter et avoir autant d'amitié et de plaisir à rencontrer un «gentleman farmer», quelqu'un qui vous fait vous demander s'il est bien nécessaire de travailler pour vivre et si c'est par hasard une de ces sortes d'activités un peu déplorables... Et il vous regarde à un certain moment en vous disant: «Mais tu n'es quand même pas obligé de travailler pour vivre ?! Réponds-moi sérieusement.» Donc on se rend bien compte que l'on est sur des mondes différents, mais on arrive à avoir ces amitiés et c'est vraiment parfois surprenant.
Ce qui est encore plus surprenant est que, quand vous rencontrez Jean-Michel Gros, vous avez ce personnage haut en couleur, le châtelain de Bourdigny qui est là avec vous, et vous vous rendez compte qu'il est extrêmement copain avec votre magistrat. Robert Cramer, à l'époque, passait une partie de ses nuits, de temps en temps, avec Jean-Michel Gros... (Rires.) ...à écumer les différents bars et des endroits moins recommandables que des bars... (Exclamations.) Je dois dire que j'ai eu la chance de les accompagner de temps à autre... (Exclamations.) ...dans de telles tournées, à aller boire des verres. Et je pense que c'est le train du matin, à ce moment-là, qui devait ramener Jean-Michel, car il était fort peu probable qu'une voiture puisse le ramener ces soirs-là.
Je dois dire merci à Jean-Michel de m'avoir fait prendre conscience que l'on peut être très peu d'accord sur certains points et éprouver autant d'amitié, de même qu'avoir cette capacité à pouvoir se rencontrer en restant pourtant sur des positions différentes. Il n'y a pas de corruption de la pensée chez les uns et chez les autres. En revanche, il y a des rencontres d'êtres humains, d'hommes exceptionnels. Merci, Jean-Michel ! (Applaudissements.)
M. Frédéric Hohl (R). Cher Monsieur le député, cher futur membre du PLR, cher ami, cher Jean-Michel, au nom du parti radical, un grand merci à toi ! Trente ans de politique, ce n'est pas rien, et nous avons tous eu beaucoup de plaisir à siéger avec toi. Toujours un bon mot, de la bonne humeur, un petit moment en aparté - ou presque - avec une bonne vacherie, mais toujours un grand respect de l'adversaire et de l'autre.
J'ai personnellement eu la chance de siéger avec toi durant cinq ans à la commission judiciaire, où tu nous a souvent rappelé que tu n'étais ni juriste, ni avocat; mais avec ton sens terrien, ô combien tu as éclairé cette commission ! Tu n'as jamais pris la politique à la légère, et toutes tes interventions ont été soigneusement préparées, pensées, et surtout efficaces.
Sache que, quelle que soit la date de notre mariage... politique, et quel que soit le nom de famille politique que nous aurons, nous espérons pouvoir t'accueillir très souvent et nous espérons surtout profiter de ton amitié le plus souvent possible. Jean-Michel, au nom du parti radical, je te souhaite une bonne... retraite - allez, disons-le - et surtout, profite de la vie, profite de ta vie ! (Applaudissements.)
Mme Anne-Marie von Arx-Vernon (PDC). Cher Jean-Michel, en tant que cheffe de groupe du parti démocrate-chrétien, j'ai l'immense plaisir de prendre la parole pour dire tout le bien que nous pensons de toi. J'ai siégé depuis 2001 avec toi, donc je suis aussi extrêmement ancienne au milieu de ce très jeune groupe...
Une voix. On ne dirait pas !
Mme Anne-Marie von Arx-Vernon. C'est gentil ! (Rires.) Nous tenions vraiment à exprimer à ton égard combien nous avons été séduits par l'homme de conviction que tu es dans des domaines aussi éclectiques que l'économie, la fiscalité et l'asile. Nous avons été impressionnés par ton courage, par le père spirituel du partenariat enregistré en Suisse, soutenu à l'époque par Mme Ruth Metzler, conseillère fédérale PDC.
Nous te savons homme de passion et épicurien - opéra, musique, bonne cuisine - mais aussi homme de coeur, de grand coeur, plein de tendresse et d'humour, parfois noir et caustique, pour cacher cette tendresse.
Alors, peut-être au revoir, Monsieur l'ancien président du parti libéral; peut-être au revoir, Monsieur l'ancien conseiller national; peut-être au revoir l'ancien adjoint au maire de Satigny; peut-être au revoir, Monsieur le député ! Mais à bientôt, très cher ami ! Nous te souhaitons de beaux moments hors du champ politique, où tu as apporté tant d'humanité. Merci, merci, merci, Jean-Michel ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. Et maintenant, la parole est - enfin ! - à Mme la députée Loly Bolay.
Mme Loly Bolay (S). Tout à l'heure, M. Jornot a dit que Jean-Michel Gros avait de l'humour et de l'ironie. On dit que l'ironie est la politesse du désespoir. Mais, Jean-Michel, tu as été ironique quand tu nous as traités, la commission des visiteurs, de pleureuses... Tu n'as pas été gentil ! (Exclamations.) Comme tu n'as pas été gentil lorsque j'ai mis un certain chapeau à la commission judiciaire et que tu t'es payé ma tête ! (Rires.) Comme tu n'es pas gentil lorsque tu te fous de ma tête quand je lis, là-bas au perchoir, les mots «génie chimique»... Mais je n'y arrive pas ! (Rires.) Je vais te dire: je parle mieux français que toi, «yo te merde !» (Rires.)
Pour te démontrer que je ne suis pas du tout rancunière, je vais faire quelque chose que je n'ai jamais fait, que l'on n'a jamais fait ici. Maestro ! (Mme Loly Bolay chante le refrain de «La Belle de Cadix». Exclamations.) Voilà, Jean-Michel, c'était pour toi ! (Rires.)
Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Le président. On ne saurait rêver meilleur départ d'un député que de faire chanter le parlement; je crois que c'est une première ! (Rires.) Je salue à la tribune M. Georges Chevieux, éminent membre de la Constituante. (Applaudissements.)