République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1305-A
Rapport de la commission de l'enseignement et de l'éducation chargée d'étudier la proposition de motion de Mme et MM. Luc Barthassat, Nelly Guichard, Jean-Claude Vaudroz : Formation professionnelle : une filière à préserver !

Débat

La présidente. Madame la rapporteure, avez-vous quelque chose à ajouter à votre rapport ? Non... Dans ce cas, je donne la parole à Mme Leuenberger.

Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Je dois dire que notre groupe est tout à fait d'accord avec cette motion et remercie la rapporteure. Cette motion est très intéressante, les invites vont dans le sens de ce que nous soutenons depuis longtemps, c'est-à-dire le maintien des efforts de promotion de la formation professionnelle et des efforts entrepris afin de rendre cette formation plus attrayante.

Une des invites m'a fait légèrement sourire: celle qui provenait du groupe PDC. En effet, il y a deux mois à peine, par la voix de Mme Stéphanie Ruegsegger, le groupe PDC a balayé sans aucun regret, ni remords, ni état d'âme, la pétition de 3200 apprentis qui demandaient de rendre leur formation professionnelle plus attrayante. Le point qu'ils soulevaient n'était peut-être pas fondamental, il est vrai: il s'agissait du temps de vacances. Ces apprentis demandaient quand même d'entrer en négociation avec le patronat pour trouver des aménagements harmonisés, voire augmentés dans certains cas. Alors, le PDC, quand il y a effectivement une proposition des apprentis, n'entre pas en matière, par contre il dépose une motion pour demander toutes ces choses-là.

Je regrette qu'on ne traite cette motion que maintenant et j'espère que, même si la pétition a été refusée, cette motion sera l'occasion de revoir le système de vacances des apprentis, d'entrer en négociation avec eux et de les inviter à discuter.

Nous prenons acte de ce rapport et suivons les recommandations de la commission.

M. Gabriel Barrillier (R). Tout à l'heure, le président du département de l'instruction publique, à propos de l'autre motion qu'il nous était demandé de renvoyer, constatait qu'elle était bien ancienne. Je constate à mon tour que cette motion date de 1999, je pense qu'elle a été déposée dans un esprit positif par nos collègues PDC - je trouve d'ailleurs la petite attaque contre les PDC perfide... Ils sont assez grands pour se défendre. Mais le centre dynamique étant constitué des radicaux et des PDC, je viens à leur secours. (Remarques. Brouhaha.) Je trouve qu'en leur reprochant leur attitude concernant la pétition sur la durée des vacances, vous ouvrez un second front. Nous avons toujours dit que la durée des vacances n'était pas le critère principal pour encourager quelqu'un à faire un apprentissage.

Cela dit, effectivement cette motion est bien gentillette, elle date de 1999 - soit six ans - les invites ont un peu vieilli et elles sont générales, et je ne fais pas le reproche à la rapporteure d'avoir pris un peu de temps pour rédiger son rapport.

Ce que je voudrais dire ici, en présence du chef du département, c'est qu'il convient de reconnaître les efforts des partenaires sociaux, du département de l'instruction publique, et de l'Office de la formation professionnelle et continue - «et continue» ! Je me suis adapté, Monsieur le président - pour améliorer l'image de marque de la formation professionnelle et les conditions d'accès à cette dernière. Une commission travaille d'arrache-pied et toute une série de priorités ont été élaborées en collaboration avec le département.

Ce que j'aimerais souligner, Madame Leuenberger, c'est qu'il ne suffit pas de dire qu'il faut améliorer, qu'il faut revaloriser, qu'il faut tout mettre en oeuvre, qu'il faut intensifier... ( Protestations.) Ce qu'il faut faire, du point de vue des entreprises, c'est apporter des incitations.

Je vous donne deux exemples concrets: il y a trois semaines, en tant qu'association professionnelle, nous avons été consultés par nos instances centrales sur la promulgation au premier janvier 2005 d'un nouveau contrat d'apprentissage unifié pour la Suisse. Unifié ! Vous me direz qu'il est normal qu'il y ait un contrat d'apprentissage unifié puisqu'il y a une loi fédérale... Jusqu'à aujourd'hui le contrat d'apprentissage était cantonalisé pour tenir compte d'un certain nombre de spécificités. Nous avons étudié cette formule concoctée par quatre des spécialistes responsables de la formation professionnelle, nous avons été échaudés par l'exemple du certificat de salaire: des technocrates ont élaboré un document prétendument unifié. Or on nous a soumis un contrat d'apprentissage de trois pages, complété par un document explicatif bien épais ! Pensez-vous qu'une telle complication encourage les artisans et les PME à engager des apprentis? Ce texte a été refusé. Il sera réétudié.

Le deuxième exemple concerne l'encouragement des entreprises à offrir des places d'apprentissage. Comme le montre l'exemple que je viens de citer, il faut simplifier. Mais il faut également des incitations. Or il existe à Genève une taxe professionnelle: on encaisse de l'argent sur l'activité, même si toutes les communes ne le font pas; on perçoit, par exemple, dix francs par poste de travail. Dix francs, ce n'est pas beaucoup, mais cet argent est destiné aux caisses des communes qui taxent. Et je pense que les entreprises qui forment des apprentis devraient être exonérées de cette taxe de dix francs pour tenir compte de leur effort.

Voilà deux exemples concrets, deux façons pratiques d'inciter les entreprises à offrir des places d'apprentissage.

Une voix. Bonne idée!

Mme Marie-Louise Thorel (S). Cette motion est ancienne, on l'a dit, le travail en commission a eu lieu il y a un certain temps, mais nous confirmons que le groupe socialiste n'a pas changé d'avis et qu'il demande son renvoi au Conseil d'Etat.

Le groupe socialiste souhaite que l'unanimité des partis se retrouve lorsque le Conseil d'Etat aura répondu à toutes les invites de cette motion et qu'il demandera éventuellement des moyens pour leur réalisation, notamment concernant le soutien aux apprentis les plus faibles et la formation des enseignants.

Mme Anne-Marie Arx-Vernon von (PDC). Même si cette motion date de 1999, elle est toujours d'actualité, il l'a été dit. Le PDC était déjà tout à fait prêt à tirer une sonnette d'alarme pour ne pas laisser faire. Même si les intentions sont là, même si la volonté est exprimée par des gens profondément sincères, on doit toujours être extrêmement attentifs et attentives, parce qu'il s'agit d'une manière naturelle d'évacuer les jeunes filles de certaines filières. Il s'agit bien souvent d'une manière profondément simple, qui ne provoque aucune levée de boucliers, qui fait que cela paraît naturel, en raison de la conjoncture actuelle, de la difficulté... On entend que certains professeurs découragent... Eh bien, je crois qu'une fois de plus c'est aux politiques de donner des indications claires et c'est au Conseil d'Etat de les mettre en pratique.

Cette motion est, bien sûr, à renvoyer au Conseil d'Etat et, une fois de plus, nous voulons lui faire confiance.

Mme Janine Hagmann (L). Il est évident que c'est une filière à préserver: c'est une spécificité genevoise à laquelle on tient beaucoup; mais ce n'est pas tout à fait aussi simple. Je pense qu'il faudrait que l'on arrive à un changement de mentalité, parce qu'il n'est pas si évident aujourd'hui à Genève de placer quelqu'un en apprentissage.

L'autre jour, nous avons eu une discussion intéressante avec le directeur d'une grande banque qui disait qu'il fallait revaloriser la maturité professionnelle; c'est vraiment très important. A partir de la maturité professionnelle, on peut engager des apprentis. Un directeur de la Coop et un directeur de la Migros étaient également présents à cette séance, ils ont déclaré ne pas trouver d'apprentis pour les places qu'ils offrent - aucun apprenti ne s'inscrit pour l'apprentissage en boucherie, par exemple. Ces entreprises ne trouvent pas d'apprentis... Pourquoi ? Parce qu'actuellement il est très rare d'entrer en apprentissage après la neuvième du cycle d'orientation, en général tout le monde continue les études pendant un ou deux ans.

Il y aurait donc des pistes à étudier, prévoir politiquement parlant des solutions, mais je pense que nous sommes sur un bon chemin, ouvert par les HES et la maturité professionnelle. Il faut poursuivre dans ce sens.

La présidente. Des messages inquiétants s'affichent au tableau électronique: surchauffe ! Cela, nous l'avions constaté, et les messieurs qui souhaitent retirer leur veste en ont le droit aujourd'hui, vu la température.

M. Georges Letellier (HP). Quitte à choquer de nombreux parlementaires, je dirai qu'il faut revoir aujourd'hui les bases du programme de formation professionnelle. Pourquoi? Il ne faut pas seulement inciter les entreprises à s'engager pour la formation professionnelle, il faut surtout inciter les jeunes à travailler et à prendre, dès l'âge scolaire, leurs responsabilités dans l'entreprise.

Cela implique un profond changement dans le système éducatif. Personnellement, je me suis engagé cette semaine, avec le député Pierre Kunz, à soutenir Genilem qui promeut un programme d'aide financière aux microentreprises. J'invite donc les entreprises à venir rejoindre la fondation pour aider les jeunes sortant de formation à créer des entreprises et, par conséquent... des emplois. Je pense que c'est la base du succès: si l'on veut retrouver une progression à Genève, il faut passer par là. Il faut surtout former des jeunes qui veulent entreprendre.

M. Gabriel Barrillier (R). J'ai oublié le troisième exemple tout à l'heure, M. Catelain me l'a rappelé. Pour inciter les entreprises à faire un effort de formation, il faudrait que l'Etat tienne compte dans sa politique d'adjudication de l'effort de formation fourni par les entreprises. Cela ne figure actuellement ni dans la loi fédérale ni dans l'AIMP, mais il existe au parlement fédéral une initiative qui vise à introduire ce critère dans la politique d'adjudication. Par ailleurs, je me rallie aux propos de mon collègue Letellier: il faut aussi développer chez les jeunes filles et les jeunes gens l'appétence pour la voie de la formation professionnelle.

M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Nous sommes dans le même registre que celui de la motion consacrée à l'égalité. D'une part, parce que nous touchons à la formation professionnelle et d'autre part, parce que nous touchons à quelque chose de très profond qui nécessite des actions mais qui, malgré le consensus, est relativement difficile à aborder.

En effet, la question de l'attractivité de la formation professionnelle repose sur des mesures qui ont déjà été prises. Vous avez mentionné, Madame la députée Hagmann, la maturité professionnelle et, à juste titre également, le développement des HES. Mais cela ne suffit pas: il y a un certain nombre de missions qui sont particulièrement complexes, notamment celle de revaloriser auprès des jeunes gens la formation professionnelle afin qu'elle représente un autre débouché que celui d'un deuxième choix, consécutif à un échec. Il y a indiscutablement un travail sur les mentalités, qui touche l'orientation et qui touche très en profondeur la question de la perception de l'apprentissage.

J'aimerais également, à ce stade du débat, mettre en évidence le caractère central du rôle joué non seulement par les familles, mais surtout par les entreprises. En effet, les jeunes gens ont de plus en plus de peine à aller spontanément vers l'apprentissage, et les entreprises accueillent de moins en moins de jeunes gens de quinze ans; l'âge moyen d'entrée en apprentissage est aujourd'hui de dix-sept ans. Sur une volée regroupant tous les apprentis entamant leur première année, seuls 4,5% proviennent du cycle d'orientation. Indiscutablement, un mouvement doit être effectué aussi bien du côté de l'offre que du côté de la demande.

J'aimerais également dire - cela a été évoqué récemment en commission de l'enseignement et de l'éducation - que tout ce qui relève aujourd'hui de la nouvelle loi sur la formation professionnelle, ce qui découle de la nouvelle ordonnance d'application et des nouveaux règlements d'apprentissage représente des sources potentielles d'amélioration, mais également des difficultés supplémentaires. Nous devons veiller en effet à ne pas déposséder les petites et moyennes entreprises, et plus généralement ceux qu'on appelle les artisans, de la maîtrise de l'apprentissage. Si l'apprentissage doit continuer à évoluer, notamment par une synergie plus importante entre les entreprises, il n'en demeure pas moins que les maîtres d'apprentissage doivent rester l'élément pilote majeur du dispositif.

Nous sommes aujourd'hui face à une véritable crise qui se manifeste au niveau des partenaires sociaux, pour la surveillance de l'apprentissage, et à celui de la vocation dans certains métiers, provoquant encore des obstacles sur le chemin de la revalorisation de l'apprentissage.

Je terminerai en vous disant que la nouvelle loi et les sept objectifs pour la formation professionnelle, signés par la Communauté genevoise d'action syndicale, l'Union des associations patronales de Genève et le département de l'instruction publique, de même que les treize priorités du département, montrent notre volonté d'agir. Nous serons prêts à rendre au parlement, encore une fois dans les six mois, un état détaillé des réalisations menées de façon tripartite, parce que cela est incontestablement un élément majeur en ce qui concerne notre système de formation, le tissu et le rôle des petites entreprises dans notre canton et, du point de vue social, les débouchés pour toute une catégorie d'élèves pour lesquels la formation professionnelle est une chance à saisir.

Mise aux voix, la motion 1305 est adoptée par 46 oui (unanimité des votants).