République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 9303-A
Rapport de la commission de l'enseignement et de l'éducation chargée d'étudier le projet de loi de Mme et MM. Robert Iselin, Pierre Schifferli, Gilbert Catelain, Jacques Pagan, Georges Letellier, Claude Marcet, Caroline Bartl, Yvan Galeotto modifiant la loi sur l'instruction publique (C 1 10) (Halte à la dérive de l'instruction publique)

Premier débat

M. Robert Iselin (UDC). En date du 5 janvier 2005, à la suite d'une discussion qui semble avoir été particulièrement brève à en juger par le rapport plus que filiforme établi par le rapporteur de majorité, aidée en cela par l'absence d'intervention et probablement par l'absence tout court de la personne supposée défendre le point de vue de l'UDC, la commission de l'enseignement a refusé d'entrer en matière sur le projet présenté par mon parti.

Divers points doivent être rectifiés dans le rapport établi par M. Patrick Schmied, PDC, dont on aurait attendu, en tant que membre d'un groupement qui se dit chrétien et qui y fait très souvent allusion, un peu plus de sympathie pour les vues défendues par l'UDC. Mais - n'est-ce pas ? - tout ce qui vient de ce coin du parlement est honni sans réflexion par un grand nombre d'entre vous. L'UDC attend par conséquent avec sérénité - c'est tout ce qu'elle peut faire... - le verdict populaire d'octobre 2005.

Je reviens maintenant au point mentionné. En premier lieu, la démarche initiée par l'UDC ne trouve pas son origine dans le fait que certains parents n'accepteraient pas que le département ne se range pas à leur opinion. L'UDC juge simplement inadmissible que soient imposées - je dis bien «imposées» - des lectures entachées de pornographie dure à des jeunes de 16 ans et moins... (Rires et exclamations.)Oh, vous pouvez rire ! Vous verrez où tout cela va vous mener ! ...sous le fallacieux prétexte qu'il s'agirait d'une oeuvre littéraire... Je ne sais pas si vous avez lu le texte en question - en ce qui me concerne, je l'ai lu deux ou trois fois... (Exclamations.)Laissez-moi rire pour ce qu'il y a de littéraire dans ce texte !

Une voix. Tu y as pris goût ?

M. Robert Iselin. Je l'ai lu pour pouvoir en parler ! Je l'ai lu pour pouvoir en parler en connaissance de cause ! J'ai eu le courage de le lire - ce que vous n'avez pas eu le courage de faire !

La question n'est pas là: la question est de savoir s'il incombe à nos écoles de polluer l'esprit de nos jeunes par des lectures auxquelles ils auront tout loisir de se livrer une fois majeurs. Pourquoi ne pas offrir en lecture à cette jeunesse les belles oeuvres produites par l'humanité, par exemple... (Commentaires.)Si ça ne vous intéresse pas, dites-le moi et je m'arrête ! (Exclamations.)C'est ridicule ! Pourquoi ne pas offrir en lecture à cette jeunesse les belles oeuvres produites par l'humanité - par exemple, la correspondance entre Clara Wieck et Robert Schumann, deux êtres d'élite s'il en fût ? Ou encore, dans le genre profondément poignant, la correspondance entre Vincent Van Gogh et son frère Théo ?

Les procédures démocratiques existantes, dites «voies administratives» - Tribunal administratif, voire pénal, pétitions au Grand Conseil - seraient suffisantes... Laissez-moi rire ! La voie administrative empruntée par deux parents d'élèves n'a conduit nulle part. J'ai ici même, dans mes dossiers, toute une correspondance à ce sujet. Ces parents ont été menés en bateau par ce qu'il faut bien appeler la «conspiration» des représentants du DIP qui, mélangeant les genres, se sont cachés derrière la soi-disant valeur littéraire de l'oeuvre de Mme Agota Kristof.

Déposer une plainte pénale ? Vous avouerez que l'on est en plein délire ! S'il faut traîner un département de l'Etat devant les tribunaux pénaux pour faire respecter la morale la plus élémentaire, où va-t-on ?!

Quant aux pétitions, on sait à quoi elles mènent, sauf si l'on parvient à les assortir de vingt-huit mille signatures !

Selon M. Beer, brillamment absent, le texte proposé pourrait être interprété comme une suppression de deux - pas moins: deux ! - des trois pouvoirs démocratiques... On croit rêver ! Comment l'intervention de parents devant la Conférence de l'instruction publique - qui n'est pas un organe coopté, comme le prétend le rapporteur, puisque les membres sont désignés par la loi, par certaines instances administratives ainsi que par le Grand Conseil et conservent leur indépendance - pourrait-elle mener à ce résultat ? Non: ce que veut le DIP, c'est ne pas être soumis à une quelconque surveillance, pouvoir n'en faire qu'à sa tête en matière d'enseignement en offrant notamment en classe à nos jeunes des textes relatant des scènes de zoophilie ! Bravo pour la décision de la commission, dont l'honneur a été sauvé par l'abstention de deux radicaux ! Je ne parle pas de l'attitude des libéraux, qui est lamentable...

M.Jean-Michel Gros. Et l'UDC qui n'était pas là ! (Exclamations. Rires.)

M. Robert Iselin. Quand, dans une vingtaine d'années, cette République - qui a été pendant quatre cents ans un véritable phare de la propreté morale - aura sombré dans l'immoralité la plus complète, vous ne vous étonnerez pas !

M. Christian Brunier (S). Monsieur Iselin, vous venez d'essayer d'expliquer à l'ensemble des partis et au rapporteur comment il fallait travailler dans ce parlement... Je vous rappellerai juste une chose: ce projet a été annoncé dans l'ordre du jour, lequel a été établi avec l'ensemble des partis représentés dans cette commission, dont l'UDC ! Au début des travaux de la commission, vous auriez dû présenter votre projet, mais aucun membre de l'UDC ne l'a fait. S'il y a un parti qui n'a pas fait son travail par rapport à ce projet de loi, c'est bien l'UDC ! Ce n'est ni le rapporteur ni les autres partis ! (Applaudissements.)

Vous avez déclaré que vous attendiez le verdict des urnes... J'espère que ce verdict se fera aussi sur la base de la présence en commission et de la participation des différents groupes ainsi que sur les propositions qu'ils ont faites pendant quatre ans au sein de ce parlement.

Venons-en maintenant au fond. Vous avez présenté un projet de loi en disant qu'il y avait eu dérive du département. Et votre remède pour lutter contre les dérives du département - il ne s'agissait pas d'une dérive, mais de dérives d'une manière générale - consiste à confier des pouvoirs à une commission consultative... Eh bien, s'il y a une chose qui est antidémocratique, c'est bien cela !

Premièrement, les membres de cette commission sont cooptés par le gouvernement - cooptés par le gouvernement ! Je vous vois hocher la tête: lisez le règlement ! On n'accorde jamais de pouvoir aux commissions consultatives: il n'y a rien de plus antidémocratique ! Une commission consultative, comme son nom l'indique, sert à consulter les experts qui la composent. Mais ce n'est en tout cas pas à eux de décider ! Les députés de ce Grand Conseil et les conseillers d'Etat ont été élus pour décider, pour assumer des responsabilités envers la population: c'est à nous, c'est à eux de les assumer, et non à des personnes qui ont été cooptées !

Votre vision de la démocratie ne m'étonne pas, Messieurs de l'UDC ! Résultat: personne n'a voulu de votre projet de loi, et c'est tant mieux !

Mme Janine Hagmann (L). Je crois qu'il est totalement inutile de s'affronter aussi violemment sur un sujet comme celui-ci.

La commission n'est, à juste titre, pas entrée en matière sur ce projet de loi car, comme le rapporteur vous l'a expliqué, ce projet n'était pas réaliste... A partir de là, il semble tout de même possible de transmettre un message et, en ce qui me concerne, je voudrais l'adresser au Conseil d'Etat: il me paraîtrait utile de clarifier le rôle de la Conférence de l'instruction publique, car il n'est pas très visible. Actuellement, par exemple, toutes les rédactions en charge de la publication de journaux disposent de chartes éthiques. C'est une manière de fonctionner. Or, la Conférence de l'instruction publique n'a pas de charte éthique. C'est un élément qui me gêne, et je pense que l'on pourrait y remédier.

Nous pouvons discuter pour savoir si ce projet de loi de l'UDC est fondé ou non... Les avis divergent. Comme M. Iselin, j'ai lu le livre en question, mais je n'en ai pas eu la même perception. Ce livre m'a choquée, non par ses scènes pornographiques, mais parce qu'il fait totalement abstraction de la morale la plus élémentaire en matière de vie et de mort. C'est quelque chose que je trouve personnellement inacceptable.

La Conférence de l'instruction publique devrait se préoccuper de ces problèmes. Hier, au moment où le parti libéral a présenté son contreprojet à l'IN 121, il s'est demandé s'il ne fallait pas mandater une commission éthique pour donner des missions très claires à la Conférence de l'instruction publique. C'est tout ce que je voulais dire.

Pour le reste, comme nous en avons décidé en commission, nous n'entrerons pas en matière sur ce projet de loi.

La présidente. Monsieur le député Iselin, voulez-vous ajouter quelque chose ?

M. Robert Iselin (UDC). Je voulais répondre à M. Brunier, mais ses déclarations n'en valent pas la peine...

Je remercie Mme Hagmann de ses propos, qui couvrent en partie ce que je pense. Contrairement à ce qu'affirment le rapporteur et M. Brunier, la Conférence de l'instruction publique n'est pas un organe coopté: c'est une blague - pour ne pas parler de mensonge ! (Exclamations.)

M. Souhail Mouhanna (AdG). Je comprends tout à fait l'indignation de M. Iselin par rapport à certains textes proposés à l'école... Le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui, lui, n'a cependant strictement rien à voir avec ce problème.

Ce projet dit en son article 3A: «Cette conférence peut donner des avis et des injonctions sur toutes les questions générales relatives à l'instruction publique, notamment celles touchant à l'organisation de la scolarité, de sa portée éducative au sens le plus large, de ses méthodes, programmes et matériels»... Monsieur Iselin, cela veut dire que le Grand Conseil n'existe plus ! (Commentaire.)Vous rendez-vous compte de ce que cela signifie ?

Rien que pour la réintroduction des notes, il y a eu une initiative populaire - que vous avez du reste soutenue ! Et vous voudriez maintenant que les membres de cette conférence, qui sont certes des personnes respectables, mais qui sont désignés, soient habilités à modifier les lois qui sont du ressort du Grand Conseil ? Je suis désolé de vous le dire, mais c'est méconnaître totalement notre législation et l'importance de l'instruction publique ! Vous voulez décharger le parlement de l'une de ses missions essentielles: ce n'est pas acceptable !

Pour le reste, Monsieur Iselin, il y a beaucoup d'autres voies pour communiquer votre mécontentement, et je pense que vous serez soutenus sur bien des points. Mais, en l'occurrence, c'est véritablement insoutenable !

M. Patrick Schmied (PDC), rapporteur. Etant en procédure d'extraits, je ne veux pas allonger le débat... Je voudrais cependant rassurer M. Iselin quant à la tenue du débat. Malgré l'absence de l'UDC, la discussion a bien eu lieu - et cela, correctement et dans un temps suffisant, avec même la présence du conseiller d'Etat Charles Beer. Je rassure donc l'UDC sur ce point: nous n'avons pas éludé ce débat.

Par ailleurs, la longueur de ce rapport est inversement proportionnelle au respect que j'ai du temps de mes collègues, et il est à la mesure de l'idée elle-même, si je puis dire.

Je peux très bien comprendre que l'on soit scandalisé par certaines lectures autorisées par le DIP - nous le sommes parfois aussi. Je comprends très bien que l'on veuille relayer l'indignation de parents ou d'amis, mais, malheureusement pour les députés de l'UDC, le raccourci qu'ils ont cru trouver est en réalité un cul-de-sac.

M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. Je serai bref. Nous pouvons en effet partager les conclusions du rapport concernant ce projet de loi... Nous faisons toutefois observer à votre parlement que voilà deux fois en quinze heures que nous parlons de l'ordre des choses - et, en particulier, de l'ordre institutionnel... Hier, d'aucuns voulaient intégrer à la constitution un projet - une sorte de règlement - empêchant le pouvoir législatif de voter des lois et le pouvoir exécutif de les exécuter... Voilà maintenant que l'on invente un quatrième pouvoir: celui d'une commission dont la légitimité démocratique paraîtrait pour le moins singulière puisque ne correspondant à aucun des mécanismes institutionnels connus pour lui conférer le moindre des pouvoirs !

C'est un point-clé. Connaissant votre attachement à notre constitution, Monsieur Iselin, je ne peux qu'imaginer que votre préoccupation par rapport à ce livre vous a incité à élaborer un peu trop rapidement un projet...

En dehors de cela, il faut se rappeler que la Conférence de l'instruction publique avait déjà eu une existence législative pour contrôler, si j'ose dire, l'exécutif. A cette époque, ce sont ceux qui ont l'air de lui attacher peu d'importance aujourd'hui qui l'avaient créée - lui donnant ainsi l'importance qu'ils pensaient qu'elle méritait - afin de contrôler M. Chavanne.

Décidément, l'ordre des choses est brouillé: les auteurs d'hier éprouvent des regrets, mais contestent à d'autres le fait de reprendre leur idée. La confusion est totale, mais les conclusions de la commission sont claires.

Et puis, Monsieur Iselin - c'est un clin d'oeil... - si ce livre dont vous nous avez parlé et pour lequel le gouvernement a été interpellé est si horrible, ne nous faites pas de la réclame en déclarant que vous l'avez lu trois ou quatre fois ! (Rires.)Cela induit des suspicions ! (Rires et applaudissements.)

La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons procéder... (La présidente a un fou rire.)Monsieur le conseiller d'Etat, vous ne devriez pas faire rire la présidente de la sorte ! Mesdames et Messieurs les députés, nous allons procéder au vote d'entrée en matière du projet de loi 9303-A au moyen du vote électronique. Le vote est lancé.

Mis aux voix, ce projet de loi est rejeté en premier débat par 37 non contre 8 oui et 8 abstentions.