République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1576
Proposition de motion de Mmes et MM. Christian Brunier, Laurence Fehlmann Rielle, Thierry Charollais, Loly Bolay, Alain Charbonnier, Jacqueline Pla, Salika Wenger, Roger Deneys, Anne-Marie Von Arx-Vernon, Françoise Schenk-Gottret, Christian Grobet, Jocelyne Haller, Pierre-Louis Portier, Nelly Guichard, Ariane Wisard-Blum, Alain Etienne, Anne Mahrer, Jeannine De Haller, Jean Rossiaud, Patrick Schmied pour des mesures énergiques et concrètes contre la violence conjugale

Débat

M. Christian Brunier (S). Il me semble que la plupart des députés de ce parlement sont sensibles à une lutte énergique contre la violence conjugale. A l'époque, nous étions impatients... (Brouhaha.)Cela n'intéresse visiblement pas tout le monde... (Le brouhaha se poursuit.)Madame la présidente, on ne peut pas débattre de sujets aussi graves dans un tel état d'agitation !

La présidente. Tout à fait, Monsieur le député ! (La présidente agite la cloche à plusieurs reprises.)Mesdames et Messieurs les députés, je vous demande d'écouter M. le député Brunier ou, si vous souhaitez discuter, de quitter la salle ! Monsieur le député, je vous redonne la parole !

M. Christian Brunier. Merci, Madame la présidente. Je répète donc que la plupart des députés me semblent être sensibles à la lutte contre la violence conjugale. Un certain nombre de motions ou de projets de lois ont d'ailleurs déjà été votés par ce parlement. Nous étions impatients de voir le département passer à l'action et élaborer une loi permettant notamment d'expulser l'auteur d'une violence conjugale de son domicile s'il accomplit des actes inacceptables. Aujourd'hui, on a plutôt tendance à demander à la victime de partir. C'est une logique que nous ne pouvons pas accepter: c'est l'auteur des faits que nous devons bien entendu sanctionner !

Nous attendions donc avec impatience l'élaboration d'une loi. Comme, à l'époque, cette loi tardait à venir, nous avons élaboré une motion pour accélérer quelque peu le mouvement. Depuis, les choses ont bougé puisqu'un projet de loi a été élaboré - et nous saluons là l'activité du département de justice et police. Ce projet de loi a été déposé et il se trouve actuellement à l'étude - ou il va l'être - en commission.

Je sais qu'il y a un débat parmi les juristes ainsi qu'au sein du monde social: faut-il se focaliser sur la violence conjugale ou faut-il plutôt traiter de la violence domestique - soit non seulement de la violence au sein d'un couple, mais aussi à l'encontre des enfants ? Ce n'est pas ce soir que nous mènerons ce débat, mais la commission pourra débattre de cette question en toute sérénité. Je pense que l'on peut dégager une très large majorité - une unanimité, j'espère - au sein de ce parlement pour lutter contre ces drames de société. Pour en avoir discuté avec la présidente du département, nous demandons donc le renvoi de cette motion en commission pour qu'elle y soit traitée avec le projet de loi. La motion servira d'appui à ce projet de loi essentiel pour permettre de lutter efficacement contre la violence conjugale ou domestique - sur ce point, la commission tranchera.

La présidente. Si je vous ai bien compris, Monsieur le député, vous demandez le renvoi de cette motion à la commission judiciaire?

M. Christian Brunier. Oui, Madame la présidente.

La présidente. C'est bien cela. Je passe la parole à Mme la députée Wisard.

Mme Ariane Wisard-Blum (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, quelques chiffres s'avèrent importants en matière de violence conjugale: une femme sur cinq subit une violence physique ou sexuelle dans sa vie de couple et deux femmes sur cinq ont été victimes de violence psychologique. (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)Cette violence touche des femmes de tous milieux, de toutes cultures, de tous âges et, enfin, de tous niveaux de formation. En outre, le coût induit par la violence domestique est estimé à plus de 400 millions de francs par an en Suisse. Au niveau mondial, la violence domestique est la cause principale de la mort ou de l'atteinte de la santé des femmes entre 16 et 44 ans. (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)

A Genève, un groupe de travail interdépartemental intitulé «Prévention et maîtrise de la violence conjugale» a été instauré à l'initiative du département de justice et police entre 1995 et 1997. En 1997, ce groupe multidisciplinaire publie un rapport et un catalogue de recommandations permettant déjà de lutter contre la violence conjugale. Les conclusions de ce rapport ont été avalisées par le Conseil d'Etat, puis par le Grand Conseil, en 2000. Puis... plus rien ! En 2002, l'Alliance de gauche proposait un projet de loi qui reprenait les propositions du groupe d'experts. Ce projet de loi a été refusé par la majorité de ce Grand Conseil, qui lui a préféré une motion plus laconique et, surtout, moins contraignante. Dans son intervention de 2002, Mme Spoerri reconnaissait la qualité du travail fourni par ce groupe, mais elle signalait qu'elle ne disposait pas, depuis, d'un bilan actualisé. Elle admettait toutefois que le problème de la violence conjugale s'était entre-temps largement aggravé et que la complexité des statuts familiaux était devenue telle qu'elle ne pouvait plus se baser sur les hypothèses établies dans le rapport de 1997. Cependant, elle nous rassura en nous annonçant qu'elle allait agir rapidement.

Deux ans plus tard, ne voyant rien venir du côté du département de justice et police et malgré l'urgence du problème reconnu par la conseillère d'Etat, les signataires de cette motion se sont mobilisés pour vous proposer un texte qui relance le débat et pour trouver des solutions à ce douloureux problème de violence. Depuis, une révision importante du Code pénal est entrée en vigueur le 1er avril 2004: la contrainte sexuelle et le viol commis au sein du couple sont désormais poursuivis d'office, et non plus sur plainte. Il en va de même pour les lésions corporelles simples, les voies de fait et les menaces réitérées intervenant entre conjoints ou partenaires. Un projet de modification du Code civil permettra également d'éloigner l'auteur des violences sur la victime - par exemple, en l'expulsant de son domicile. Les choses avancent au niveau fédéral, et plusieurs cantons ont déjà légiféré dans ce sens. Mais, à ce jour, Genève tarde malheureusement à agir en matière de violence faite aux femmes. En janvier 2005, le Conseil d'Etat dépose enfin un projet de loi cadre sur la violence domestique. Ce texte est, au premier abord, un bon projet de loi, et nous espérons que la commission judiciaire entamera rapidement son étude en y associant la motion que les Verts vous proposent de renvoyer en commission !

Mme Anne-Marie Arx-Vernon Von (PDC). Si le parti démocrate-chrétien a signé cette motion, c'est pour s'associer à l'intérêt de tous ici de mettre en place toutes les solutions les plus efficaces possibles en matière de lutte contre la violence conjugale. Nous félicitons par ailleurs le Conseil d'Etat - et tout particulièrement Mme Spoerri - pour le projet de loi 9452.

Afin de travailler rationnellement, nous proposons de renvoyer cette motion à la commission judiciaire pour qu'elle soit traitée conjointement avec le projet de loi 9452.

M. Pierre Froidevaux (R). Chers collègues, le parti radical soutiendra également le renvoi de cette motion à la commission judiciaire. On évoque là un problème extrêmement important, dont les chiffres ont été donnés par Mme Wisard-Blum. Nous disposons de statistiques toutes personnelles. La violence domestique est effectivement un problème de société extrêmement répandu. Selon d'importantes études, une femme sur dix serait victime de violence conjugale. Mais ces chiffres sont basés sur la notion d'information: il faut que la personne puisse s'exprimer à travers un filtre - qu'il s'agisse de celui de la police ou de celui des autorités sanitaires. Ce problème est donc certainement sous-estimé. Je suis convaincu que vous connaissez tous cette problématique, que vous avez tous été, une fois, touchés par cette question qui concerne l'ensemble des couches de la société. Nous voyons certaines personnes réclamer devant le Conseil d'Etat ou devant le Procureur de la République une protection pouvant même s'étendre de manière extracantonale, mais des gens se trouvant dans une situation sociale plus précaire vivent aussi ce type de souffrance.

A titre personnel, je suis frappé de recevoir en consultation des femmes qui viennent régulièrement pour ce sujet mais qui, lorsqu'elles sont trop battues, ne viennent tout simplement pas me consulter pour éviter de me montrer leurs coups. C'est là que se trouve le véritable problème de cette motion: l'ensemble des personnes victimes de violences conjugales souffrent d'un problème du «je». Ce sont des personnes qui n'osent pas parler de «je», mais qui parlent de «nous». Leur amour transversal est si important - et j'espère que mon collègue psychiatre ne me contredira pas - qu'ils parlent toujours à plusieurs. On n'ose pas s'affirmer soi-même. C'est là tout le problème de la récidive: lorsqu'on tente d'éloigner l'autre, eh bien, l'autre revient parce que la personne manque de «je». Et c'est là toute la difficulté du projet de loi: lorsqu'on intervient à ce point et dans un secteur aussi privé au nom de la défense de la personne - et c'est normal - on atteint une telle sensibilité que l'on ne sait jamais ce qui est véritablement juste. Aussi, dans l'ensemble des invites, il y en a une que je retiens, car elle me semble être la plus importante: c'est l'idée de mettre en place un groupe interdisciplinaire consacré à ce problème. Il ne faut pas s'arrêter aux mesures judiciaires d'expulsion qui ne font que stigmatiser certaines situations, qui ne font que mettre un droit sur l'un des deux - lequel n'est pas nécessairement le gourou, mais lequel peut aussi être la victime. Il est, à mon sens, important d'adopter une vision beaucoup plus globale.

Nous remercions les auteurs de cette motion d'avoir soulevé ce problème et d'y apporter toutes les modifications ou tous les éclaircissements nécessaires en commission judiciaire, où il pourra être étudié avec le projet de loi que le Conseil d'Etat nous a déjà adressé.

Mme Salika Wenger (AdG). Je remercie infiniment M. Froidevaux pour nous avoir expliqué que ce sont les femmes battues, que ce sont les victimes qui sont les responsables de la violence qu'elles subissent... C'est en effet parce qu'elles ont d'importants problèmes qu'elles souffrent de problèmes de «je»... J'aimerais tout de même rappeler que 97 % des violences commises au sein du couple sont le fait des hommes. (L'oratrice insiste sur ce terme.)Je ne veux pas dire par là que les hommes sont génétiquement violents. Je veux dire que la violence conjugale est la conséquence d'un certain nombre de tics de comportements que nous devons à un patriarcat qui continue à survivre malgré la lutte des unes et des uns.

Il me semble qu'un certain nombre de problèmes n'ont pas été soulevés - et je remercie le projet de loi du Conseil d'Etat d'en faire état. En premier lieu, les plaintes sont extrêmement difficiles à présenter et à prouver. Mais, surtout, la réception des personnes qui portent plainte - que ce soit dans les commissariats, auprès des services sociaux ou dans les hôpitaux - souffre d'un certain nombre de lacunes. Il me paraît donc important d'organiser un système de formation de manière à sensibiliser les personnes en contact avec les victimes de violences. C'est l'un des aspects importants de la problématique. Par ailleurs, cette violence est aussi la résultante de l'inégalité entre hommes et femmes. Là, encore une fois, il me semble que l'école pourrait, d'une part envisager un enseignement plus soutenu en matière d'égalité entre hommes et femmes, d'autre part... comment dire... pallier ou, du moins, faire office de prévention à une certaine forme de violence. Parce qu'il n'y a pas que la violence des maris à l'encontre de leurs femmes: il y a également - et les enseignants nous en ont souvent parlé - énormément de violence des garçons à l'encontre des filles. Le problème de la violence à l'encontre des femmes est donc bien plus ample, et l'on peut malheureusement soupçonner que les mêmes enfants qui se montrent violents envers les filles dans une cour de récréation risquent de l'être aussi au sein de leur couple.

Je ne suis pas du tout en train de d'affirmer que les hommes sont génétiquement violents. J'aimerais insister sur ce point. A mon sens, cette violence est, encore une fois, la conséquence d'un certain nombre de problèmes sociaux graves, de frustrations et d'aliénations qu'il conviendrait peut-être d'identifier avant la violence. C'est dans cette perspective que, le travail présenté par le Conseil d'Etat d'une part, les divers projets de lois et motions actuellement en consultation à la commission des affaires judiciaires d'autre part, sont une nécessité, non pour résoudre ces problèmes - parce que les lois ne résoudront aucun des problèmes, mais elles ne feront qu'en sanctionner les auteurs - mais pour commencer à mener une modeste prévention par le biais d'une meilleure information et d'une formation scolaire - prévention qui, je l'espère, donnera des résultats dans quelques années. Nous sommes donc favorables au renvoi de cette motion en commission.

M. Jean-Michel Gros (L). Le groupe libéral s'était, à l'époque, associé à la motion 1456 de la commission judiciaire qui transformait le projet de loi de l'Alliance de gauche en un texte plus positif pour demander un message au Conseil d'Etat. Il s'associe évidemment à tous les propos qui ont été tenus - mis à part quelques exagérations immédiatement exprimées par Mme Wenger. Pour le reste, nous partageons entièrement les propos qui ont été tenus et nous prônons également le renvoi en commission de cette motion.

Je tiens tout particulièrement à remercier le département de justice et police. Il est en effet plutôt rare, Madame Wisard-Blum, que, lorsqu'on envoie une motion au Conseil d'Etat, on ne nous réponde pas par un simple rapport - ce qui est souvent assez charmant et nous permet de mener un petit débat... - mais directement par des mesures concrètes sur la violence domestique qui seront immédiatement étudiées en commission judiciaire. Nous nous réjouissons donc d'en débattre en commission judiciaire - avec, bien évidemment, cette motion.

Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je ne peux que m'associer à ce que, les uns et les autres, vous avez soulevé. Il appartiendra à la commission judiciaire de donner priorité à ce sujet qui me tenait à coeur - comme, il faut le reconnaître, il tient tout particulièrement à coeur aux femmes depuis longtemps. Je dirai à M. Froidevaux qu'il est en effet extrêmement difficile d'approcher cette matière dans la mesure où elle entre intimement dans le cercle privé des personnes. Je considère toutefois que la violence, qu'elle se produise sur la voie publique ou dans un domicile, est toujours la même violence et que nous devons donc avoir le courage de prendre des dispositions. Comme vous l'avez rappelé, Madame Wisard, ceci vient d'ailleurs à point nommé en appui des dispositions fédérales sur les plans pénal et civil. Voilà ce que je voulais vous dire. Comme l'a rappelé M. Brunier, je voulais aussi confirmer l'absolue nécessité d'une formation du fait des nouvelles responsabilités que les uns et les autres assumeront en matière de traitement de la violence conjugale ou domestique. Enfin, je ne veux pas terminer cette intervention sans rappeler que le projet de loi déposé par le Conseil d'Etat a fait l'objet d'une très large consultation. Je voudrais surtout rappeler qu'il s'agit d'un projet de loi cadre qui, dans le fond, s'inspire de et s'appuie sur tout le travail précédemment mené à Genève par l'ensemble des professionnels. Il s'agira principalement d'un appui aux travaux préexistants des uns et des autres.

Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, les raisons pour lesquelles j'ai confiance dans les travaux à venir. Bien qu'elle ait beaucoup de travail à son ordre du jour, j'espère que la commission judiciaire pourra travailler dans les meilleurs délais.

La présidente. Je mets aux voix le renvoi de la proposition de motion 1576 à la commission judiciaire.

Mis aux voix, le renvoi de cette proposition de motion à la commission judiciaire est adopté par 61 oui (unanimité des votants).