République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 8970
Projet de loi de Mmes et MM. Christian Grobet, Pierre Vanek, Rémy Pagani, Jean Spielmann, Jocelyne Haller, Marie-Paule Blanchard-Queloz, René Ecuyer modifiant la loi sur la police (F 1 05)

Préconsultation

M. Christian Grobet (AdG). Bien que, de manière générale, nous n'ayons pas trop de problèmes s'agissant des interrogatoires effectués par la police - heureusement, il ne se passe pas chez nous ce qui se produit dans certains pays ! - des incidents arrivent tout de même... Je n'entends pas ici prendre position sur ces incidents. Toutefois, le Conseil d'Etat, conscient de cette problématique, a nommé, depuis quelques années déjà, un commissaire à la déontologie pour instruire les cas portés à sa connaissance.

Dans une déclaration récente, le commissaire à la déontologie, l'ancien conseiller d'Etat Olivier Vodoz, a estimé lui-même que le statut qui est le sien n'est pas approprié pour pouvoir véritablement mener les enquêtes nécessaires et pour donner à ces dernières la suite qui s'impose...

A mon avis, la police aurait intérêt à ce que ces incidents soient examinés d'une manière professionnelle et qui ne prête pas le flanc à la critique, car, précisément, les doutes qui émanent de la population, et qui sont souvent repris par des articles de presse, ne sont pas de nature à rétablir la confiance. Et vous le savez aussi bien que moi, Madame la conseillère d'Etat: il y a eu plusieurs polémiques au sujet de certaines interventions de la police ! Du reste, on a entendu tout à l'heure une intervention de la part d'un député... Je constate qu'aujourd'hui, lorsqu'une manifestation n'est pas autorisée, il n'y a plus que deux régimes possibles, alors qu'avant il y en avait un troisième: celui de la tolérance. Mais cela est un autre problème ! Il n'empêche que même si une manifestation n'est pas autorisée, cela n'implique pas forcément que la police agisse de manière disproportionnée.

Nous sommes déjà intervenus plusieurs fois sur cette question, et je pense que l'actualité exige qu'elle soit examinée en commission. Nous demandons donc que ce projet de loi soit renvoyé en commission pour pouvoir entendre également le commissaire à la déontologie, puisque lui-même considère qu'il faudrait envisager les choses différemment. Du reste, il y a des procédures différentes dans d'autres pays, et je me souviens que l'ancien chef de la police m'avait remis une brochure, au demeurant intéressante, sur les règles applicables au Canada. Et sans vouloir imiter forcément ce qui se fait ailleurs, on peut toujours s'en inspirer...

Voilà les quelques réflexions dont je voulais faire part à l'appui de ce projet de loi, qui, je l'espère, aura au moins le mérite de permettre la discussion. Cela d'autant plus que ce problème - je me permets de vous le rappeler, Madame la présidente - avait déjà été évoqué, en marge de la loi sur la police que nous traitons actuellement à la commission judiciaire. Mais nous avions convenu qu'il fallait d'examiner d'abord les sujets prioritaires et que les autres problèmes feraient l'objet d'une discussion ultérieure. Ce projet de loi devrait donc alimenter cette discussion future...

Le président. Monsieur le député, vous n'avez pas indiqué à quelle commission vous souhaitez que ce projet de loi soit renvoyé... Je pars du principe qu'il s'agit de la commission judiciaire ? Nous sommes bien d'accord ! Merci, Monsieur le député.

Mme Loly Bolay (S). J'aimerais tout d'abord dire que ce projet de loi soulève deux problématiques...

Premièrement, l'usage des armes. Le parti socialiste, lors de débats en commission sur la loi sur la police, avait proposé exactement ce que suggère l'Alliance de gauche à l'article 22. Je rappelle que cet amendement a été refusé par la majorité lors de nos débat du 6 novembre dernier. Nous en reparlerons évidemment, lorsque ce projet de loi sera renvoyé en commission judiciaire.

Le deuxième article envisage la création d'une nouvelle commission: la commission de déontologie... Je rappelle que la commission des droits politiques parle des «dysfonctionnements de ce Grand Conseil» et que nous avons déjà vingt-quatre commissions... Je rappelle également que certains partis ont de plus en plus de difficultés à se faire représenter dans quelques-unes de ces commissions... Le parti socialiste considère, par conséquent, que la création d'une nouvelle commission de déontologie surchargerait ce Grand Conseil.

M. Grobet a tout à fait raison de dire que le rôle du commissaire à la déontologie doit être amélioré, dans la mesure où les conditions dans lesquelles il travaille ne sont pas idoines. Cependant, la création de cette nouvelle commission nous semble véritablement de trop: c'est un dysfonctionnement de plus dans le dysfonctionnement général ! (L'oratrice est interpellée.)Oui, bien sûr, Monsieur le député, mais, à l'heure actuelle, le Grand Conseil est déjà débordé de travail avec ces vingt-quatre commissions, et certains commissaires ont de la peine à suivre !

Cela dit, je crois que la commission des Droits de l'Homme a pris plusieurs fois le relais sur des questions délicates de ce genre. Quoi qu'il en soit, bien évidemment, nous nous réjouissons de traiter ce projet de loi en commission judiciaire.

M. Pierre-Louis Portier (PDC). J'ai demandé la parole, parce que j'aimerais exprimer la réticence du groupe démocrate-chrétien par rapport au projet de loi 8970, qui nous est soumis ce soir.

Nous ne nous opposerons pas à son renvoi en commission judiciaire, mais, comme je le disais, toute une série d'éléments nous semblent poser de gros problèmes... Ne serait-ce que l'article 22A, qui, en deux lignes, pose déjà deux problèmes importants ! Je cite la première phrase: «L'usage d'armes à feu fait l'objet d'un règlement du Conseil d'Etat...». Mais, enfin, Mesdames et Messieurs les députés, ce sont des éléments qui relèvent d'un certain professionnalisme... Nous sommes des députés... Je ne doute pas des grandes capacités du Conseil d'Etat dans tous les domaines, mais dans celui-ci il faut avoir des connaissances en matière de balistique, en matière d'explosifs et autres... Ce domaine relève, me semble-t-il, typiquement de la compétence de spécialistes !

La deuxième phrase de cette article est la suivante: «L'usage d'armes à projectiles et de gaz toxiques est interdit lors de manifestations.»... Mesdames et Messieurs les députés, il faut savoir ce que nous attendons de notre police ! Autant lui donner des pistolets à eau pour se défendre ! (Rires.)Si on lui interdit tout, comment la police pourra-t-elle faire régner l'ordre, lors de manifestations ?

Venons-en maintenant au problème de la création d'une nouvelle commission. Il nous semble également que cela pose quelques problèmes. Comme cela a été dit, il y a d'ores et déjà un commissaire à la déontologie, et puis prétendre que cette commission pourrait mener des enquêtes me paraît fallacieux... Nous avons tous siégé une fois ou l'autre dans des commissions où nous sommes «censés», entre guillemets, mener des enquêtes, ne serait-ce qu'en matière de naturalisations et autres, où nous devons recueillir des renseignements, et nous savons bien que cette tâche est extrêmement difficile. Alors, je ne vois pas comment nous pourrions faire; en l'occurrence, nous sommes députés, pas juges d'instruction !

Enfin, je lis également, à l'alinéa 4 du futur article 38, que: «Les procès-verbaux des séances de la commission et des délégations constituées par elle sont confidentiels.» Permettez-moi d'émettre quelques doutes quant à la confidentialité de tels procès-verbaux ! Notre vie parlementaire nous a souvent amenés à constater que ce n'est pas tous les jours le cas... (L'orateur est interpellé par M. Grobet.)Oui, mais même, Monsieur Grobet ! Même !

Bref, vous l'aurez compris, le groupe démocrate-chrétien veut bien discuter de cette proposition, mais - je le répète - il est extrêmement réticent sur toute une série de points. Il faudra, Monsieur Grobet, que vous soyez extrêmement convaincant en commission pour nous amener à de meilleurs sentiments...

Mme Caroline Bartl (UDC). L'Alliance de gauche revient, si j'ose dire, avec un «ancien nouveau» projet de loi amélioré sur la police, reprenant une motion refusée par le Grand Conseil l'an dernier et en y ajoutant l'article 22A sur l'usage d'armes...

Mesdames et Messieurs de la gauche, vous voulez à nouveau créer une commission afin de surveiller la police, c'est-à-dire une forme de mise sous tutelle de la police, qui réponde du pouvoir exécutif par le biais du Grand Conseil, soit au législatif... Ce que j'appellerai clairement: «une violation du principe de la séparation des pouvoirs» ! De plus, j'estime que ce n'est pas à vous, qui ne connaissez pas le métier de la sécurité - que pour l'avoir paralysé pendant le G8... - de vous ériger en juges du policier dans l'exercice de ses fonctions ! C'est au pouvoir administratif, puis, cas échéant, au pouvoir judiciaire que revient ce rôle.

Une petite constatation d'ordre pratique et moral... Quand vous parlez de police répressive, vous évoquez tout de suite les mots «débordements» et «dérapages»... Mais, alors, qu'en est-il de l'équilibre des forces ? Que faites-vous des manifestants et des délinquants agressifs ? Car, là aussi, on peut parler de «débordements» et de «dérapages» ! En fin de compte, quel est le rôle de la police ? Il est tout simplement de rétablir l'ordre et la sécurité: c'est son devoir vis-à-vis du citoyen !

S'il y a menace à la sécurité, je pense effectivement que la police doit être répressive et qu'elle doit utiliser des moyens de dissuasion.

Je vous rappelle par ailleurs que la police et la gendarmerie de notre canton ont l'obligation d'appliquer les lois tant cantonales que fédérales et qu'un commissaire à la déontologie, en la personne de M. Vodoz, est chargé d'analyser les rapports quand la police fait usage de la contrainte. Quand un gendarme interroge un prévenu, il doit en effet signaler dans son rapport si, oui ou non, il a fait usage de la contrainte. Si tel est le cas, M. Vodoz décide s'il y a lieu ou non d'ouvrir une procédure à l'encontre du fonctionnaire concerné. Le cas échéant, la justice est saisie et fait son travail.

Je pense fort peu judicieux de créer une nouvelle commission, qui alourdirait encore un peu plus les travaux de notre Grand Conseil, sans parler des coûts financiers que cela impliquerait et qui seraient très néfastes pour notre budget, déjà très mal en point.

Je m'interroge aussi sur les raisons qui vous poussent à agir par mimétisme, certes inversé, à l'égard de l'UDC et de son projet, tant décrié par vous, sur la création d'une commission de sécurité...

En ce qui concerne l'article 22A sur les armes à feu, il existe déjà une législation cantonale et fédérale, et je ne pense pas non plus qu'il y ait lieu d'entrer en matière sur la question.

L'UDC et moi-même réfutons ce projet de loi inutile et dispendieux. (Applaudissements.)

M. Michel Halpérin (L). Je connaissais le pluriel de majesté, qui est une forme d'expression collective, lorsqu'une personne seule s'exprime et qu'elle veut souligner toute l'importance de ce qu'elle veut exprimer... Je découvre ici, sous la plume des auteurs du projet, le singulier de majesté, ce qui est un nouveau cas de figure pronominal et conjugal, que je souligne avec plaisir, puisque, le pluriel de majesté étant une manifestation de fierté, j'imagine que le singulier de majesté est une manifestation d'humilité...

Je trouve en effet dans l'exposé des motifs, au cinquième alinéa: «Malgré cela, les abus ont continué. Je m'abstiendrai d'en dresser la liste...». Comme il y a sept signataires, je ne sais pas si la députation AdG s'est réduite à un seul ou si les sept utilisent le singulier de majesté et d'humilité...

Quoi qu'il en soit, sur le texte lui-même, la deuxième phrase de l'article 22A, je ne sais pas si: «L'usage d'armes à projectiles et de gaz toxiques est interdit lors de manifestations» ne s'adresse qu'à la police ou, également, aux manifestants... C'est un sujet sur lequel vous nous renseignerez peut-être en commission, bien qu'au vu des opinions exprimées jusqu'ici par ceux qui ont donné le point de vue de leur groupe, nous aurions pu probablement nous dispenser de ce ricochet, pour rejeter aujourd'hui même ce texte en préconsultation... Enfin, il sera néanmoins renvoyé en commission...

Je voudrais simplement signaler que je suis d'accord et avec ce qu'a dit Mme Bartl et avec ce qu'a dit Mme Bolay, à une nuance près, car je crois comprendre que le texte nous propose la création d'une commission extraparlementaire, bien que cela ne soit pas dit expressément... Je rappellerai, à ceux qui l'ignoreraient au sein de ce Conseil, qu'il existe déjà un commissaire à la déontologie, désigné par le Conseil d'Etat. De sorte qu'on nous propose, sur ce point aussi, de passer du singulier au pluriel... On voit que les pluriels deviennent un seul et que les singuliers devraient devenir pluriels... Et je ne suis pas sûr qu'une commission de déontologie serait plus efficace que le commissaire à la déontologie.

Quant aux travaux du commissaire à la déontologie, ils sont destinés au Conseil d'Etat, mais, vous le savez peut-être, la commission des Droits de l'Homme s'y est intéressée. Elle a déjà entendu le commissaire à la déontologie à deux reprises, et elle connaît les problèmes qu'il a rencontrés dans l'accomplissement de sa tâche, faute de moyens. Il ne demande d'ailleurs pas à être entouré de six ou sept collègues, il demande simplement, ou, plutôt, il ne demande rien, parce que M. Vodoz est modeste par nature, mais s'il ne l'était pas, il dirait qu'un petit secrétariat serait peut-être utile. Quoi qu'il en soit, la commission des Droits de l'Homme fait son travail: elle surveille le commissaire à la déontologie et le département de justice et police et sécurité sur ces sujets. Ce qui fait que, de ce point de vue, nous inventons là une institution supplémentaire inutile ou nous essayons de multiplier les intervenants pour brouiller les cartes et rendre la lecture d'un sujet déjà complexe totalement impossible...

S'il ne tenait qu'au groupe libéral, ce projet ne serait même pas renvoyé en commission... Puisqu'il doit l'être, qu'il le soit !

La seule recommandation que nous faisons à la commission judiciaire, c'est de prendre rapidement conscience que la commission des Droits de l'Homme fonctionne déjà sur ce sujet et qu'il pourrait donc être utile pour elle - surtout qu'elle est complètement débordée - de classer rapidement cette affaire, pour ne pas perdre plus de temps qu'elle n'en perd déjà, par ailleurs...

Ce projet est renvoyé à la commission judiciaire.