République et canton de Genève

Grand Conseil

I 2026
Interpellation de M. Jean Spielmann concernant la responsabilité de l'Etat

M. Jean Spielmann (AdG). Nous avons déjà beaucoup parlé des dysfonctionnements de l'office des poursuites et faillites. Très souvent, il a été question de responsabilité ou de problèmes financiers. Il y a cependant aussi des dossiers qui regardent des individus et je voudrais interpeller le Conseil d'Etat sur un dossier qui me semble particulièrement préoccupant, ce d'autant plus qu'il dure depuis un certain nombre d'années. Je vais rapidement vous rappeler les faits avant de poser quelques questions au Conseil d'Etat, que je remercie d'avance pour ses réponses.

Mon interpellation concerne une dame qui est arrivée en Suisse à la fin des années septante, avec toute une série de problèmes qu'elle a rencontrés au cours de sa vie. Ses parents d'origine russe ont quitté la Russie. Malheureusement son père a été interné dans un camp de concentration et, à la fin de la guerre, il s'est retrouvé en Israël avec d'autres prisonniers. Cette dame et sa mère décident alors de le rejoindre. A la suite du décès du père, la fille et la mère viennent s'installer à Genève avec tous leurs avoirs, ce qui représentait plusieurs tonnes de matériel. Cette dame et sa mère ont rapidement eu des problèmes avec leur régie. Cela n'était pas grave jusqu'au moment où ce litige est arrivé à l'office des poursuites et faillites. Un huissier s'est présenté pour saisir tout le contenu de leur appartement. Des problèmes importants liés à leur patrimoine et à leurs papiers ont alors commencé, puisque l'office des poursuites a simplement tout pris.

A l'époque déjà, cette personne était intervenue auprès de nombreux députés, c'est ainsi que beaucoup d'entre nous connaissent cette dame.

Le problème dans cette affaire est qu'elle n'a jamais pu récupérer l'ensemble de ses biens à l'office des poursuites parce qu'ils avaient été mis en vente. Nous avons été interpellés en 1984 et nous nous sommes rendus à l'office des poursuites de Carouge pour essayer de retrouver une partie des biens de cette dame. Malheureusement, on avait procédé à des ventes de gré à gré et rien n'a pu être retrouvé. Il y avait des choses relativement chères et anciennes, comme des tapis, de la vaisselle en vermeil, de l'or, etc. Tout cela a été vendu par l'office des poursuites et par des personnes qu'on connaît aujourd'hui puisque cette femme tenace a remonté petit à petit la filière et a réussi à racheter une partie du matériel qui lui avait été volé par l'office des poursuites.

Ce qui est plus grave, c'est que non seulement ce matériel a été pris et revendu, mais que les papiers de cette dame ont aussi été pris, dont notamment des diplômes professionnels, mais aussi des dossiers de ses parents, qui avaient été entre temps réhabilités et dont le nom - c'est un événement important - a été donné à une rue de Moscou. La mère de cette dame était en effet enseignante et chercheuse à un niveau assez important pour que l'URSS décide de donner son nom à une rue. La mère de cette personne est ensuite décédée, mais comme ses papiers lui avaient été volés et jamais retrouvés malgré des années de recherches, il n'a pas été possible de l'ensevelir. La fille n'a pu obtenir qu'une urne qu'elle garde chez elle parce qu'elle n'a pas de dossier, pas de papiers et qu'elle n'existe plus puisqu'on lui a tout volé. Elle a tenté de retrouver ses documents; elle a entretenu toute une correspondance, que je tiens à disposition du Conseil d'Etat, avec le président du Conseil d'Etat de l'époque, M. Vernet, avec l'ambassade d'Israël ou avec le département fédéral des affaires étrangères. Tout le monde a reconnu que ses papiers avaient été volés par l'office des poursuites. Depuis, une série de dossiers, dont les diplômes de ses parents, des photos et des affaires personnelles ont pu être rachetés au marché aux puces. D'autres affaires, dont la valeur est considérable, ont tout simplement disparu.

Je pose ici le problème du désarroi d'une personne dépouillée par l'office des poursuites depuis 1984, qui n'a aujourd'hui pas de papiers, qui ne peut pas se déplacer, qui n'a pas pu faire ensevelir normalement sa mère et à qui on refuse de redonner ses papiers et ses documents. Au début, l'office des poursuites et l'Etat ont nié avoir pris ses papiers avant de le reconnaître. Il a ensuite été demandé à l'office des poursuites, par l'ambassade d'Israël et par le département des affaires étrangères, de rendre ces documents. Il suffisait que l'office des poursuites reconnaisse avoir fait des erreurs et avoir pris des affaires personnelles. La dame a bien tenté de les récupérer, mais ces documents n'existent plus, ils ont tout simplement disparu.

Rendez-vous compte, Mesdames et Messieurs les députés: cette dame a dû racheter ses diplômes et ses affaires personnelles au marché aux puces ! Aujourd'hui encore, on continue de vendre le patrimoine de cette personne sans qu'elle puisse faire valoir ses droits. Elle doit, année après année, faire des recours pour rentrer dans son droit.

Je pose donc la question suivante au Conseil d'Etat. Tout d'abord, ne considérez-vous pas, après avoir promené cette personne pendant vingt-six ans, après lui avoir confisqué l'ensemble de ses biens, qu'il serait logique de rétablir aujourd'hui la situation et de lui offrir un papier lui permettant de vivre décemment, de pouvoir enterrer sa mère comme elle aurait le droit de le faire, et enfin de retrouver une partie du patrimoine qui lui a été volé, car on connaît les personnes qui ont pris ses affaires et on sait de quelle manière elles ont été vendues. Toute la liste de ses affaires est d'ailleurs à disposition du Conseil d'Etat.

Il y a eu des problèmes de dysfonctionnement, mais il y a aussi le désarroi de personnes touchées de manière ignoble. Je demande donc au Conseil d'Etat de rétablir la justice et d'intervenir, parce que la responsabilité est à son niveau. Il faut permettre à cette dame de vivre normalement dans notre société.

Mme Micheline Calmy-Rey, présidente du Conseil d'Etat. Les faits que vous évoquez, Monsieur le député, sont extrêmement douloureux. Vous permettrez que le Conseil d'Etat vous réponde lors d'une séance ultérieure.

Le président. Ce sera donc, en application du règlement, lors de la prochaine session.