République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 8700
Projet de loi de Mme et MM. Janine Berberat, Thomas Büchi, Gilles Desplanches, Olivier Vaucher, Pierre Kunz, Jean-Michel Gros, Pierre Weiss, Christian Luscher, Jean Rémy Roulet, Blaise Matthey, Blaise Bourrit, Robert Iselin, Ivan Slatkine modifiant la loi générale sur les contributions publiques (D 3 05)

Préconsultation

M. Christian Luscher (L). Ceux d'entre nous qui étaient déjà députés lors de la dernière législature se rappelleront du vote de la loi visant à taxer différemment, d'une part, les voitures de tourisme et les motos et, d'autre part, les camions et les véhicules de livraison. En ce qui concerne les voitures de tourisme et les motos, le législateur est passé du principe de la taxation de la cylindrée à la taxation de la puissance, tandis qu'il passait pour les camions et les véhicules de livraison du principe de la charge utile à celui du poids total. Pour présenter ce projet à la commission fiscale, on nous avait montré des simulations qui semblaient indiquer que le changement du principe de taxation était neutre. Je ne sais pas si cela vous rappelle quelque chose, mais j'ai entendu récemment que le Grand Conseil traitait de ce sujet... Il n'en demeure pas moins que, lorsque cette question avait été analysée en commission fiscale, des simulations avaient été faites afin d'arriver à la neutralité de ce changement. D'ailleurs, la seule personne qui s'est méfiée de cette neutralité, et qui l'a fait savoir, est Mme Janine Hagmann. Il est vrai qu'en matière fiscale on devient méfiant avec l'expérience. L'expérience nous démontre que la méfiance est la seule attitude qu'on puisse avoir.

En l'occurrence, que constate-t-on? On constate que certains véhicules ont fait l'objet d'augmentations absolument délirantes, la taxe auto passant de 200 F à 800 F, ou même de 400 F à 1500 F, voire 2000 F et plus. Bref, il s'agit d'augmentations insoutenables, qui font passer ce prélèvement du rang de taxe au rang d'impôt. En effet, lorsque la taxe augmente à ce point, elle ne peut justifier aucune contre-prestation de l'Etat, de sorte que ce n'est plus une taxe. Nous sommes ainsi arrivés à un stade où visiblement il s'agit d'un impôt. D'ailleurs, plusieurs personnes s'en sont émues et ont écrit au Conseil d'Etat. Lorsque nous avons déposé ce projet de loi, nous étions, nous aussi, envahis de lettres ou de coups de fil de gens qui visiblement n'étaient pas du tout contents de cette nouvelle augmentation. Cette dernière ne touche d'ailleurs pas uniquement les ménages mais aussi les entreprises. J'ai eu personnellement des remarques d'un entrepreneur de ma commune qui a une entreprise de toiture avec une quinzaine de véhicules. Il m'a fait la démonstration, tableau Excel à l'appui, et je le produirai en commission fiscale s'il le faut, que son augmentation était de l'ordre de 50%. Peut-être ne payait-il pas assez avant, mais il n'empêche que cette personne a une vingtaine d'employés, paie ses impôts et crée des emplois à Genève... (L'orateur est interpellé.)J'imagine volontiers que vous n'êtes pas du tout sensible à ce genre d'argument, Monsieur Spielmann !

Il y a également le problème des véhicules de livraison et des camions, qui sont souvent la propriété de petits entrepreneurs qui emploient aussi beaucoup de personnel. Je crois que ce n'est pas tenir des propos fascisants des années trente que de dire que ces personnes méritent aussi notre protection. Dans le domaine des véhicules de livraison et des camions, des hausses absolument explosives ont été constatées. Manifestement, ce n'était pas la volonté du législateur et les simulations qui nous avaient été présentées ne nous permettaient pas de prévoir de telles augmentations.

Il faut tout de même relever certaines incohérences dans la loi telle qu'elle a été votée. Je vous donne l'exemple d'une voiture d'une cylindrée de 1,8 litre, mais d'une certaine puissance, consommant entre huit et dix litres aux cent, qui est soumise à un impôt beaucoup plus élevé qu'une grosse américaine, qu'on peut qualifier de veau, si vous me permettez cette expression, ...

Des voix. De vache à lait !

M. Christian Luscher. ...qui consommera entre vingt et trente litres aux cent. Est-il vraiment raisonnable, sous l'angle écologique, de taxer davantage une voiture qui consomme dix litres aux cent qu'une voiture qui consomme vingt à trente litres aux cent ? Avec ce système de la puissance, nous sommes arrivés à ce type d'incohérences qui doivent être corrigées. Notre projet de loi propose par conséquent la correction suivante: si nous conservons le nouveau système de taxation, car il a une certaine forme de légitimité, il faut en revanche plafonner les hausses qui n'avaient pas été prévues par le législateur.

Je remercie les deux ou trois personnes qui ont été attentives à mes propos...

Mme Maria Roth-Bernasconi (S). Quand les moteurs ne vrombissent plus, on respire enfin. Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, Monsieur le président, ce que j'avais envie de dire.

Vous vous plaignez, Monsieur le député, du fait que certaines personnes ont protesté quand elles ont reçu la notification de la taxe frappant les voitures de tourisme sans distinction de classe sociale, semble-t-il. J'ai failli pleurer, Monsieur Luscher, surtout pour le club des Porsche...

Une voix. C'est un scoop ! (Rires et exclamations.)

Mme Marie Roth-Bernasconi. Il m'arrive de pleurer de temps en temps... Permettez-moi de dire que je n'ai pas entendu ces protestations mais plutôt le contraire. Les voitures de forte puissance roulent vite, démarrent en trombe, consomment beaucoup et polluent notre air. Le thème de la sécurité est aujourd'hui dans la bouche de tous les politiciens et de toutes les politiciennes, mais un élément est toujours oublié : la sécurité sur la route. Où est votre cohérence, Messieurs les passionnés de la voiture puissante ? Je dois vous avouer que ma plus grande crainte était, quand mes enfants étaient petits, qu'ils se fassent écraser sur la route par un fou du volant... (Commentaires.)Monsieur Dupraz, écoutez-moi jusqu'à la fin, je n'ai pas fini mon raisonnement. Je ne vous ai d'ailleurs pas interrompu.

Or, plus une voiture est puissante, plus le danger qu'elle roule trop vite sans que le conducteur s'en rende compte est grand. (L'oratrice est interpellée.)Si, c'est vrai ! J'en ai moi-même fait l'expérience.

Le transport privé a transformé nos villes et nos campagnes. Il absorbe une part croissante de nos ressources vitales, notamment les énergies fossiles. Le projet de loi que les Verts avaient déposé à l'époque, et qui est à la base de la taxation actuelle des voitures, avait justement pour but de faire diminuer la consommation des énergies non renouvelables. En effet, plus une voiture est puissante, plus elle consomme cette énergie qui ne sera pas éternellement à disposition. Le groupe socialiste regrette donc qu'après la belle unanimité qui avait pu se former à l'époque cette loi soit mise à rude épreuve par le club des Porsche.

En commission, nous avons pu constater que les personnes ayant subi les hausses de taxation les plus importantes roulent dans des voitures de luxe, BMW, Bentley, Mercedes ou Porsche. Lors de la discussion au sujet de cette loi, le député Blanc avait d'ailleurs dit, avec raison... (Exclamations.)...que si l'on peut dépenser 100 000 F pour une voiture, on peut également assumer une augmentation de la taxe de quelques centaines de francs, pour contribuer au développement durable. (Applaudissements.)

Cette nouvelle loi avait été louée pour son caractère moderne et eurocompatible. Selon les discussions de l'époque, que j'ai d'ailleurs lues dans l'excellent rapport de Mme Blanchard-Queloz, la taxation selon les kilowatts va dans le sens d'un impôt écologique. Il y a un rapport entre la puissance d'une voiture et les dégâts qu'elle cause à l'environnement. A part les libéraux, tous les partis étaient unanimes à l'époque à propos de ce système. Les temps ont cependant changé et les radicaux - ce n'est pas la première fois - tournent malheureusement leur veste. (Exclamations.)

M. John Dupraz. Je n'ai pas de veste !

Mme Maria Roth-Bernasconi. Je ne savais pas que M. Dupraz représentait le parti radical à lui seul... Je ne parlais pas de vous, Monsieur Dupraz !

Mesdames et Messieurs, vous l'aurez compris, le groupe socialiste est extrêmement sceptique par rapport à ce projet de loi. Nous ne pensons pas que ces propositions vont dans le bon sens. Nous avons plutôt l'impression qu'elles font partie de tout le train de projets de lois destinés à diminuer les impôts et à favoriser les clients du parti libéral, c'est-à-dire les personnes aisées. Pour notre part, nous préférons de loin les propositions du conseiller d'Etat Cramer - peut-être pas forcément sur la traversée de la rade !- qui visent à favoriser les innovations techniques en exonérant d'impôt par exemple les véhicules qui ont moins d'impacts négatifs sur les humains et sur l'environnement. Nous préférons les mesures qui incitent les automobilistes à prendre conscience de l'influence de leurs comportements sur le bien-être de tout le monde.

Le président. Il va falloir conclure. Je vous ai déjà accordé quelques secondes de plus parce que vous avez été dérangée...

Mme Maria Roth-Bernasconi. Les mesures fiscales peuvent être incitatives, peuvent inciter les automobilistes à changer de moyen de déplacement et à être plus conscient de leur responsabilité par rapport aux générations futures. Un parlement responsable et tourné vers l'avenir doit principalement se préoccuper de ce genre de mesures.

Malgré toutes nos réticences, nous sommes prêts à discuter en commission pour examiner si effectivement des effets non voulus par la majorité de l'époque se font sentir aujourd'hui. Nous voulons également examiner si ces mesures prétéritent réellement les entreprises ou s'il s'agit uniquement d'un prétexte pour défendre une fois de plus les intérêts des riches. (Applaudissements.)

M. Pierre Kunz (R). Si j'ai bien compris, le procès du club des Porsche a déjà été fait, de même que le procès de la couleur des vestes radicales...

Je ne comprends pas pourquoi Mme Roth-Bernasconi veut envoyer ce projet en commission. J'aimerais simplement lui rappeler ce que M. Brunier disait tout à l'heure : quand une loi est mauvaise, il faut la changer. Nous nous sommes aperçus hier que quand une loi comme la LIPP est mauvaise, c'est souvent parce qu'elle est fondée sur des simulations ou des estimations incorrectes. C'est le cas de cette loi-ci, il faut donc l'envoyer en commission pour la changer. Mme Roth-Bernasconi est-elle d'accord ?

Mme Stéphanie Ruegsegger (PDC). Il y a quelques semaines, nous déposions une interpellation urgente pour connaître les répercussions de la réforme de l'impôt auto, car nous avions effectivement l'impression que cette réforme avait conduit, dans certains cas, à des augmentations qui n'avaient pas été prévues dans les simulations. On nous avait alors donné quelques éléments de réponse, notamment en commission, mais il faut reconnaître qu'ils étaient insuffisants.

Le groupe démocrate-chrétien a eu à plusieurs reprises l'occasion de plaider pour une réforme fiscale de l'impôt auto dont l'incidence soit neutre. A ce sujet, il s'intéressera plus particulièrement aux répercussions du projet libéral sur les finances de l'Etat. Même si nous doutons de la neutralité de ce projet de loi, nous voyons cependant un intérêt à ce projet : celui de permettre un éclaircissement sur les effets financiers de la réforme de l'année dernière, notamment les répercussions sur l'imposition des voitures. Car, dans les quelques éléments de réponse qui nous ont été donnés, il était dit que le parc automobile avait considérablement augmenté, ce qui expliquait notamment l'augmentation des recettes. En fait, il apparaîtrait qu'il s'agit surtout d'une augmentation du nombre de deux-roues. C'est le nombre de deux-roues qui a explosé. Cette augmentation pourtant ne saurait expliquer à elle seule l'augmentation totale des recettes de l'impôt auto. Nous sommes donc d'accord avec le renvoi de cette loi en commission, afin de pouvoir examiner les répercussions de la réforme de l'année dernière. Cela étant, nous doutons de la neutralité du projet libéral, mais également des intentions du parti libéral.

M. Jean Spielmann (AdG). Je vais commencer par répondre à mes préopinants. Il me semble que moins M. Luscher connaît les problèmes, plus il est arrogant. Je voudrais vous dire, Monsieur Luscher, que vous trouvez les réponses à la plupart de vos questions dans le rapport de Mme Blanchard-Queloz, tant sur le plan technique que sur les questions de fond.

A propos du renvoi en commission proposé par M. Kunz, je voudrais dire qu'il est clair qu'une loi sur la taxe automobile doit effectivement avoir une certaine orientation et permettre de corriger ce qu'on appelle souvent les coûts externes du trafic. Il y a effectivement une série de mesures qui doivent être prises pour qu'on arrive à l'objectif qui devrait être naturellement accepté par tous, celui du pollueur-payeur. Chacun doit en effet, dans une société, assumer le coût et les répercussions sur les autres du mode de déplacement choisi.

Le fait qu'il y ait maintenant des problèmes techniques suite à la manière avec laquelle on a mis en adéquation la puissance et la cylindrée indique que la loi doit certainement être réexaminée. Nous sommes pour le renvoi en commission parce que nous considérons que ce projet de loi permettra tout à fait, et de manière pertinente, d'examiner la question de la taxation des véhicules de notre canton par rapport au niveau national. Nous pourrons ainsi harmoniser les différentes taxes de manière à ce que les pollueurs passent davantage à la caisse et qu'on puisse mieux, au moment de faire le choix d'une automobile et du mode de déplacement, connaître les conséquences que cela aura sur la partie de la population qui subit les nuisances.

Je crois qu'il est nécessaire de modifier cette loi sur le fond, d'adapter les tarifs et de les mettre en adéquation avec ceux des cantons voisins. Cela permettra de trouver des recettes substantielles pour notre canton qui en a besoin, mais surtout de mettre en place des dispositifs de réduction de la pollution et d'inciter les gens à choisir un mode de déplacement qui nuise moins aux autres.

Nous refuserons en revanche ce projet de loi tel qu'il est. Il ne repose en effet sur rien de sérieux, si ce n'est la volonté de dispenser les riches de payer ce qu'ils doivent payer. Ceux qui choisissent un mode de déplacement polluant doivent payer pour les pollutions qui résultent de leur choix. Par conséquent, nous proposerons en commission des modifications qui permettront à l'impôt auto d'être plus neutre: il ne faut pas que notre canton soit le seul à favoriser les automobilistes. Je crois que ce sont des modifications que chaque citoyen genevois comprendra.

M. David Hiler (Ve). Lorsque nous avions déposé notre projet de loi, nous avions prévu effectivement deux démarches. L'une était de corriger la manière de calculer la taxe, l'autre était de l'augmenter pour la remettre à niveau par rapport aux autres cantons suisses. Nous nous sommes contentés - dans le but de réunir une large majorité dans ce parlement - de baser la taxe sur un indicateur de puissance, le kilowatt, qui est incontesté. Lorsque nous avons pris cette décision en commission, à une très large majorité, nous avions un tableau. Celui-ci indiquait, à l'évidence, que beaucoup de gens allaient profiter de ce changement de barème et que d'autres allaient payer plus.

Vous admettez le système, Monsieur Luscher, et vous avez raison. Dans ce cas, vous admettez que le précédent était injuste. Nous avons donc corrigé le système et nous avons obtenu quelque chose de cohérent. Evidemment, vous avez utilisé des pourcentages pour montrer que certaines augmentations étaient insupportables. Mais l'augmentation de quelques centaines de francs que subissent certaines personnes est cependant à rapprocher, dans la plupart des cas, du prix d'achat du véhicule, en l'occurrence plusieurs dizaines de milliers de francs. On peut donc prétendre que les augmentations sont dramatiques quand on les exprime en valeurs relatives, mais ces augmentations ne dépassent pas quelques centaines de francs et si c'est le prix d'un système cohérent, il n'est pas trop élevé. Pour la majorité des gens, et on ne l'a pas assez dit, qui payaient trop pour des puissances faibles, il s'agit d'une amélioration. Ceci est bien, car il faut encourager les gens à avoir des voitures de faible puissance.

En outre, le million supplémentaire que produit la taxation est alloué au Conseil d'Etat et au service concerné afin de supprimer - ce qui me paraît incitatif - la taxe pour les véhicules les moins polluants. On prend donc d'un côté, mais on redonne de l'autre, de façon à mettre en place une politique incitative que vous ne pouvez pas désapprouver.

Evidemment, je comprends que vous avez une clientèle à satisfaire, mais, sur le fond, j'espère que la majorité de ce parlement en restera à un système qui est bon et qu'elle admettra, comme M. Blanc, qu'il y a toujours des mécontents et qu'ils se feront toujours plus entendre que les personnes satisfaites, surtout quand les mécontents ont un peu plus d'argent que les autres. C'est la démonstration du débat de ce jour. (Applaudissements.)

Le président. J'estime que M. Luscher a été pris à partie... (Exclamations.)Je lui accorde donc quelques minutes. (Protestations.)Je vous laisse une minute.

Une voix. C'est inadmissible !

M. Christian Luscher (L). Je voulais ajouter une chose. En réalité, ce n'est pas faire preuve d'arrogance que de dire que ceux pour qui le système... (Brouhaha.) ...est aujourd'hui le plus favorable... (Chahut. L'orateur est empêché de poursuivre.)

Il est vrai que certains supportent assez mal la contradiction dans ce parlement... (L'orateur est interpellé.)Cela ne vous a pas plu. C'est vrai que lorsqu'on tape où ça fait mal, il y a des réactions... (Chahut.)

Le président. Mesdames et Messieurs, dans ces conditions, je suspends la séance !

La séance est suspendue à 18 h 35.

La séance est reprise à 18 h 40.

Le président. Mesdames et Messieurs, veuillez regagner vos places. Je maintiens que M. Luscher a été pris à partie... (Protestations.)Oui, sinon je ne sais pas ce que ce mot veut dire ! D'entente avec M. Luscher, il ne reprendra pas la parole. Mais je demande quand même à tous les députés de mettre quelques formes lorsqu'ils parlent à leurs collègues... (Le président est interpellé.)J'ai assez de peine, Monsieur Grobet, à m'occuper de ce qui se passe au parlement sans m'occuper de ce qui se passe à l'extérieur... (Brouhaha.)

S'il vous plaît, c'est terminé, Mesdames et Messieurs ! Ce projet de loi est renvoyé à la commission fiscale. Nous interrompons nos travaux et nous les reprendrons à 20 h 15.

Le projet de loi 8700 est renvoyé à la commission fiscale.