République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 7761-A
12. Rapport de la commission de l'économie chargée d'étudier le projet de loi de Mmes Magdalena Filipowski, Marie-Paule Blanchard-Queloz, Dolores Loly Bolay, Fabienne Bugnon et Fabienne Blanc-Kühn modifiant la loi en matière de chômage (J 2 20). ( -) PL7761
 Mémorial 1997 : Annoncé, 8936. Projet, 10096. Renvoi en commission, 10097.
Rapport de majorité de M. Pierre-Alain Champod (S), commission de l'économie
Rapport de minorité de M. Nicolas Brunschwig (L), commission de l'économie

RAPPORT DE LA MAJORITÉ

Le 18 décembre 1997, le Grand Conseil a renvoyé sans débat ce projet de loi à la commission de l'économie. Sous la présidence de Mme Fabienne Blanc-Kühn, députée, les commissaires ont consacré 5 séances entre le 19 janvier et le 16 février à l'étude de ce texte. Ont également assisté à nos séances, MM. Carlo Lamprecht , conseiller d'Etat, président du département de l'économie, emploi et affaires extérieures (DEEE), Bernard Gabioud, secrétaire général du département et Yves Perrin, directeur de l'office cantonal de l'emploi (OCE). Les représentants du département ont donné toutes les informations demandées et ont ainsi facilité les travaux de la commission; qu'ils en soient remerciés.

1. Introduction

La révision de la loi fédérale sur le chômage (LACI) de 1995 (entrée en vigueur en 1997 et pour certains articles en 1998) a obligé notre Grand Conseil à revoir la loi cantonale sur le chômage en 1997. Cette révision a occupé la commission de l'économie de la précédente législature pendant de nombreuses séances. Parallèlement aux travaux de la commission, cette révision a également donné lieu à de nombreuses rencontres entre les partenaires sociaux. Finalement, un compromis assez large a été trouvé et, en juin 1997, le Grand Conseil (par 69 oui, 9 non et 5 abstentions) a accepté cette révision (voir Mémorial de juin 1997, pp. 4052 à 4218). Elle est entrée en vigueur le 1er juillet 1997.

Des compromis ont été trouvés sur la majorité des aspects de cette révision. Un désaccord profond a cependant subsisté à propos de l'alinéa 2 de l'article 42 dont la teneur est la suivante : "; l'autorité compétente peut refuser l'emploi temporaire au chômeur dont le revenu familial ou celui des personnes majeures faisant ménage commun avec lui dépasse le salaire maximum déterminant de l'assurance-accidents. Elle tient compte de la situation familiale et notamment du nombre des enfants à charge. " Pour la minorité de l'époque, ce texte posait deux problèmes majeurs :

• il introduisait une notion de revenu dans une loi qui a pour but principal la remise au travail des chômeurs de longue durée ;

• il introduisait une discrimination contraire au principe constitutionnel de l'égalité entre les sexes (le revenu des femmes étant généralement inférieur à celui des hommes).

Cet article, proposé à la fin des travaux sur la révision de la loi cantonale sur le chômage, n'avait pas fait l'objet d'un accord entre les partenaires sociaux. Dans une lettre du 10 mars 1997, signée par la CGAS et l'UAPG (annexe n° 1), les partenaires sociaux avaient clairement indiqué leur désaccord par rapport à l'introduction d'une référence au revenu familial pour l'octroi des emplois temporaires.

De plus, au moment du débat en plénière, de nombreuses associations avaient exprimé des critiques vis-à-vis de cet article (voir Mémorial de la séance du 6 juin 1997, pp. 4134 à 4142).

En octobre 1997, le peuple a élu une majorité de gauche. Cette nouvelle majorité a logiquement proposé de supprimer cette référence au revenu familial dans la législation genevoise sur le chômage, mais sans revenir sur les aspects de la loi qui avaient fait l'objet d'un compromis au printemps 1997.

2. Auditions

La commission de l'économie a procédé à plusieurs auditions, elles seront brièvement résumées dans ce paragraphe.

2.1 Audition de Mme Marianne Frischknecht du bureau de légalité des droits entre hommes et femmes.

Le bureau de l'égalité estime que l'article 42 alinéa 2 de la loi en matière de chômage est contraire à la Constitution, tant fédérale, article 4 alinéa 2, que cantonale, article 2. Cette disposition pourrait par ailleurs constituer une discrimination à l'embauche, interdite par l'article 3 alinéa 2 de la loi fédérale sur l'égalité.

Mme Frischknecht constate que la discrimination n'est pas directe. Le sexe n'y est en effet pas considéré comme un critère de distinction. On est plutôt face à une discrimination indirecte, définie par la jurisprudence constante de la Cour de justice des Communautés européennes comme une situation désavantageuse en application de critères non fondés sur le sexe et concernant un nombre considérablement plus élevé de femmes que d'hommes et réciproquement. Il s'agit donc de démontrer ici que dans le cas des couples à haut revenu, soit Fr. 97 200.- et plus par année, c'est plus souvent l'homme que la femme qui réalise un salaire mensuel supérieur à Fr. 8 100.-.

Mme Frischknecht développe toute l'argumentation juridique à la base du constat du bureau de l'égalité. Mme Frischknecht a remis un document écrit à la commission, il est joint au présent rapport (annexe 2).

Enfin, Mme Frischknecht signale que l'article contesté a fait l'objet d'un recours au Tribunal fédéral qui, à ce jour, n'a pas statué.

Le bureau de l'égalité est par conséquent favorable à ce projet de loi.

2.2 Audition de MM. Rolini et Mevaud de l'UAPG.

M. Mevaud rappelle que les bases de la modification de la loi sur le chômage reposent sur un accord tripartite, conclu dans le cadre de la commission de surveillance du marché de l'emploi, accord qui a été long à se dessiner.

Il précise que l'article 42 alinéa 2 ne faisait toutefois pas partie du "; deal " d'origine. Il est le fruit des travaux parlementaires.

M. Rolini ajoute qu'il ne voit pas l'article 42 alinéa 2 comme une discrimination, mais plutôt comme un élément préventif contre les abus.

Enfin, les représentants de l'UAPG répondent aux questions des commissaires concernant d'autres aspects de la loi, notamment le peu de succès des allocations de retour en emploi (ARE).

2.3  Audition de M. Yves Aeschlimann et Mme Gaëlle Van Hove, de Associations des juristes progressistes.

M. Aeschlimann rappelle que l'Association des juristes progressistes avait fait part, par courrier adressé au Grand Conseil le 4 juin 1997, de son opposition à l'article 42 alinéa 2 de la loi en matière de chômage.

L'Association des juristes progressistes fait une analyse semblable à celle du bureau de l'égalité. Elle estime que l'art. 42 alinéa 2 est contraire au principe constitutionnel de l'égalité entre les hommes et les femmes. Elle maintient aujourd'hui ce point de vue.

2.4 Audition de M. Georges Tissot, de la CGAS.

M. Tissot rappelle que la CGAS s'est battue pour qu'une nouvelle réglementation sur les emplois temporaires voit le jour. Elle s'est par contre opposée à la question du revenu familial, pour des raisons discriminatoires d'une part, et en raison de la fausse image que l'introduction de barèmes risquait de donner aux emplois temporaires. On ne se trouve en effet pas dans le domaine de l'assistance publique, mais dans celui de l'emploi. Les personnes au chômage ont le droit de retrouver un emploi.

La CGAS a d'ailleurs interjeté un recours de droit public à l'encontre de l'article 42 alinéa 2 immédiatement après l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions.

M. Tissot rappelle aussi que cet article ne faisait pas partie des mesures négociées entre les partenaires sociaux.

La CGAS est donc favorable au projet de loi.

2.5 Audition de MM. Claude Beraud et Tellier, représentants du Comité emploi-chômage, Guy Jousson, représentant de l'Association de défense des chômeurs, ainsi que Jean-Pierre Devisme, Valentin Popescu et Charles Blaser, tous trois sans emploi.

M. Beraud rappelle que le Comité emploi-chômage et l'Association de défense des chômeurs sont favorables à ce projet de loi. En effet les deux associations se sont toujours opposées à l'introduction d'un critère de revenu pour l'attribution d'un emploi temporaire. Ils estiment aussi que l'art 42 alinéa 2 est contraire au principe de l'égalité entre les hommes et les femmes.

M. Beraud profite de cette audition pour rendre attentifs les commissaires à d'autres aspects de la nouvelle loi sur le chômage qui posent des problèmes. Il cite notamment une disposition qui permet de refuser un emploi temporaire à un chômeur qui a déjà bénéficié d'une telle mesure dans un délai de 4 ans (art 42, al. 1 lettre c). L'OCE assimile les OT de l'ancienne loi aux emplois temporaires de la nouvelle, ce que contestent les personnes auditionnées. Elles estiment que les emplois temporaires de la nouvelle législation sont différents des anciennes OT. Les associations auditionnées ont fait plusieurs recours sur cette question.

Ensuite, MM. Devisme, Popescu et Blaser expliquent à la commission leur situation personnelle et les nombreuses difficultés rencontrées dans leur parcours de chômeur. A titre d'exemple, M. Blaser explique qu'il avait trouvé un emploi pendant 5 mois durant son précédent délai cadre. A teneur de l'ancienne loi, il n'a eu droit à une OT que pendant un mois avant de bénéficier de nouvelles prestations fédérales. Ce mois d'OT le prive aujourd'hui de son droit à un emploi temporaire.

Ces témoignages montrent la nécessité d'évaluer les mesures législatives mises en place ces dernières années et la dureté de la vie quotidienne des chômeurs.

3. Travaux de la commission

Le département a fourni à la commission de nombreuses explications et chiffres sur l'application de l'article qui fait l'objet du présent rapport et d'une manière plus générale sur la mise en oeuvre des dispositions légales votées l'an dernier.

De ces explications, nous retiendrons seulement quelques éléments chiffrés. Seulement 6 personnes ont pu bénéficier d'une ARE (allocation de retour en emploi) depuis l'entrée en vigueur de la loi le 1er juillet 1997. Durant cette même période, l'OCE a placé 11 jeunes de moins de 25 ans dans des stages et 529 personnes en emploi temporaire (ETC). Les commissaires ont souhaité qu'un bilan soit fait dans les mois qui viennent et que la manière de chercher des ARE soit revue.

Le département nous a également indiqué que depuis le 1er juillet 1997, 11 personnes avaient reçu une décision de refus d'un emploi temporaire en raison d'un revenu du groupe familial trop élevé, conformément à l'article contesté par ce projet de loi. Il convient de relever que 6 situations sur les 11 concernaient des hommes. Relevons qu'une des décisions négatives concerne un jeune homme vivant chez ses parents et le refus est motivé par le revenu de ses parents.

La minorité de la commission s'oppose à la suppression de la référence au revenu du groupe familial, car elle estime juste d'aider uniquement ceux qui en ont réellement besoin.

Pour la majorité de la commission, il est logique de supprimer cette référence pour deux raisons essentielles :

• cet article introduit une discrimination entre hommes et femmes ;

• le but principal des emplois temporaires est de permettre aux bénéficiaires d'être replacés dans le circuit du travail, l'aspect de garantir un revenu n'étant que subsidiaire.

Lier l'accès à un emploi en fonction du critère de revenu familial est tout à fait contestable et discriminatoire comme cela a été expliqué dans les auditions. Il convient aussi de relever que la comparaison faite par certains députés de droite avec le RMCAS (revenu minimum cantonal d'aide sociale pour les chômeurs en fin droit) qui est attribué avec une clause de revenu, n'est pas pertinente. En effet, le but du RMCAS est de garantir un revenu minimum, l'activité demandée dans le cadre de la contre-prestation est secondaire. Avec le RMCAS, nous sommes dans une logique inverse à celle de l'emploi temporaire.

Les incidences financières sont difficilement évaluables, nous constatons qu'en 6 mois, moins de 10 personnes sur plus de 500 ont été concernées par cette disposition légale. Le coût de cette modification, par rapport à l'ensemble des dépenses liées à la loi cantonale sur le chômage, est insignifiant. Le seul facteur déterminant est bien évidemment l'évolution du chômage dans notre canton, et plus précisément du chômage de longue durée.

Finalement, au vote le projet de loi (abrogation de l'alinéa 2 de l'art. 42) est adopté par 8 voix (3 S, 3 AdG et 2 Ve) contre 5 (3 L, 1 R et 1 DC).

4. Conclusion

Compte tenu des explications développées ci-dessus, la majorité de la commission de l'économie vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à voter ce projet de loi.

Annexes :

1. Lettre de l'UAPG et de la CGAS du 10 mars 1997.

2. Texte du bureau de l'égalité des droits entre hommes et femmes du 26 janvier 1998.

RAPPORT DE LA MINORITÉ

I. Préambule

Lors de la précédente législature, la commission de l'économie avait longuement travaillé sur les mesures cantonales de chômage suite aux modifications apportées aux lois fédérales.

L'auteur de ces lignes qui était le rapporteur de majorité du projet de loi considéré mentionnait au point 7 "; conclusion et vote " de son rapport :

"; ..., nous pensons que la proposition adoptée par la majorité de la commission est une bonne solution. Elle est créative et innovatrice. Elle est incitative pour les chômeurs et les entreprises. Elle est compatible avec nos possibilités budgétaires. Elle garantit un niveau de protection sociale qui n'existe dans aucun autre canton et donc réaffirme les valeurs qui caractérisent Genève. Elle accompagne les demandeurs d'emplois dans la vie active le plus longtemps possible avec des solutions différenciées et donc les éloigne de l'exclusion.

Ceux qui s'opposent à ce projet de loi sont soit des idéalistes ne pouvant ou ne voulant prendre en considération les réalités pourtant incontournables de la situation actuelle, soit des dogmatiques agissant à des fins politiques ou politiciennes.

Bien évidemment, ce projet n'est pas parfait et il ne peut satisfaire tout le monde dans son intégralité.

Cependant, il est le résultat d'un équilibre bien difficile à trouver entre une protection sociale légitime et une incitation forte indispensable pour rechercher un emploi... "

Lors de la séance plénière, ce projet avait été adopté par une très large majorité à l'exception de quelques députés de droite qui estimaient qu'il était trop coûteux et de quelques députés de gauche qui pensaient qu'il n'était pas assez généreux.

Aujourd'hui, la nouvelle majorité veut imposer une modification essentielle par rapport à la recherche du consensus délicat atteint. Certes, la disposition remise en question, soit la suppression de la notion de limite de revenu avait toujours été contestée par certains, mais une fois de plus, elle participait au difficile équilibre atteint.

II. Pourquoi sommes-nous opposés ?

Nous pensons qu'il s'agit d'accorder des aides sociales à ceux qui en ont le plus besoin et de se distancer de la politique de l'arrosoir.

Il faut donc cibler les prestations de l'Etat, ce qui veut dire qu'il faut instaurer des critères objectifs. Nous estimons que la notion de revenu familial est précisément un des éléments à prendre en considération.

Cette disposition est aujourd'hui attaquée à la fois sur le plan juridique (un recours au Tribunal fédéral est pendant) et sur le plan politique.

En effet, la majorité de la commission estime que cette mesure serait discriminatoire pour les femmes. Une limite de revenu fixée à 97 200.- F (salaire maximum déterminant de l'assurance accidents) par an pénaliserait plus les femmes que les hommes, car les hommes ayant un revenu moyen supérieur aux femmes, cela conduirait plus de femmes que d'hommes d'être privés d'emploi temporaire.

Nous avons 3 objections fondamentales à ce raisonnement :

a) Les premières statistiques de l'Office cantonal de l'emploi montrent l'inverse. En effet, sur 12 cas, 8 hommes et 4 femmes ont été pénalisés par un revenu familial supérieur à ce montant de 97 200.- F. De manière générale, nous ne pouvons que nous opposer à ce principe qui voudrait que n'importe quelle limite de revenu prise en considération dans un cadre de groupe familial amènerait une discrimination vis-à-vis des femmes. Une bonne partie des législations sociales fédérales, cantonales et communales devraient être invalidées, y compris dans notre propre canton (RMCAS, assurance maladie, etc.). Et des exemples cocasses pourraient être trouvés démontrant des discriminations pour des hommes ou des femmes dans de multiples législations.

b) Tous les cantons examinés par la commission, soit les cantons romands et le Tessin ont une limite de revenu familial dans leur législation concernant le traitement social du chômage et les mesures de réinsertion. Par exemple, pour Neuchâtel, il s'agit de 2500.- F de revenu mensuel, augmenté de 710.- F par enfant à charge. Pour le Tessin, il s'agit de 80 % de l'indemnité LACI, soit 5184.- F. Nous constatons donc que Genève n'est de loin pas une exception sur le principe, bien au contraire. Par contre, Genève est beaucoup plus large que les autres cantons, même en conservant cette limite de revenu.

c) Le coût de ce projet de loi n'a pas été estimé. Aussi bien la majorité de la commission que l'administration n'ont pu ou voulu faire une estimation des coûts supplémentaires engendrés par ce projet de loi. Quant à nous, nous sommes convaincus qu'il s'agit sans doute de quelques millions de nouvelles dépenses par an. Ce projet de loi n'est donc pas financé et est dès lors contraire à notre législation. En effet, aussi bien la Constitution dans son article 96, alinéa 1 que la loi sur la gestion administrative et financière de l'Etat de Genève dans son article 46, alinéa 2 stipulent que la couverture financière d'une nouvelle loi doit être assurée.

III. Conclusion

Notre Parlement a voté la loi la plus sociale de Suisse lors de la précédente législature. L'équilibre fut difficile à trouver et nous sommes convaincus que la population qui soutient en grande partie nos efforts de solidarité serait perplexe devant des aides sociales qui seraient distribuées sans prendre en considération la notion de revenu du groupe familial, en particulier lorsque le niveau choisi est de 97'200.- F par an. Notre aide doit être ciblée sur ceux qui en ont le plus besoin. La solidarité familiale doit être incitée et activée avant la solidarité étatique aussi bien en termes financiers que psychologiques. Ce projet de loi va en sens inverse et viole notre constitution et notre loi de finance. Nous vous proposons de rejeter ce projet de loi.

Premier débat

M. Pierre-Alain Champod (S), rapporteur de majorité. Je rappelle que l'article en discussion n'est concerné ni par le compromis trouvé en commission l'an dernier ni par celui intervenu entre les partenaires sociaux.

Ayant relu le Mémorial de la séance de juin 1997 au cours de laquelle nous avions adopté ce projet de loi, j'estime intéressant de résumer ce qui s'y est passé.

Au début du débat, une partie des députés de droite, hostiles au projet, ont demandé son renvoi en commission. La majorité des libéraux, qui le soutenaient, ont déclaré rejeter ce renvoi à la condition expresse qu'aucun amendement ne soit accepté.

Dans le cours des débats, la gauche a bien évidemment proposé la suppression de l'article 42, alinéa 2, en invoquant notamment l'égalité homme/femme. Très curieusement, une partie des radicaux ont déclaré qu'ils soutiendraient cet amendement. Je dis «curieusement», car les radicaux n'ont pas été à la pointe du combat en matière d'égalité homme/femme. La proportion de femmes, dans leur groupe, en est un exemple éloquent. Nous en avons conclu qu'il y avait anguille sous roche et que tout cela ressortait d'une position tactique. En effet, le but de la manoeuvre était de faire passer l'amendement pour que le reste de la droite se rallie à la proposition de renvoi en commission, conformément à la déclaration préliminaire des libéraux.

Dans cette situation, les Verts et le parti socialiste ont déclaré qu'ils refuseraient de participer au vote, ce qu'ils ont fait. Un renvoi en commission aurait retardé l'entrée en vigueur de la loi, et nous estimions ne pas pouvoir prendre le risque de pénaliser des centaines de chômeuses et de chômeurs. C'est pourquoi nous n'avons pas participé au vote de cet alinéa 2.

Ce petit rappel historique montre bien que l'article - que ce projet de loi propose de supprimer - ne faisait pas partie du compromis trouvé en commission.

Par conséquent, et contrairement à ce qu'affirme M. Brunschwig, ce projet de loi ne remet pas en cause les négociations que nous avons menées l'an dernier. De surcroît, depuis le changement de majorité, nous n'avons pas proposé d'autre modification de la loi, même si lors des travaux de l'an dernier nous n'étions pas d'accord avec tous les articles. Nous avons négocié un compromis et nous le respecterons.

Par rapport au contenu de la modification qui vous est proposée ce soir, nous reconnaissons que la limite de revenu était haut placée. Nous ne contestons pas la limite, mais le principe d'en mettre une, et ce pour deux raisons.

1. Ce principe de fixer une limite entraîne une discrimination homme/femme. Il est plus vraisemblable que les femmes aient un conjoint gagnant un revenu supérieur à la limite que le contraire. Même si les quelques cas de refus de l'an dernier infirment cette tendance, le faible nombre de ces situations ne permet pas de tirer des conclusions.

2. Le but de la loi cantonale sur le chômage est de remettre les personnes au travail pour maintenir le savoir-faire et non de leur garantir un revenu. Si le but de la loi était de garantir un revenu minimum, nous serions évidemment d'accord avec une limite de revenu du groupe familial. C'est ce qui existe pour le RMCAS et nous ne l'avons jamais contesté.

Compte tenu de ces remarques, je vous invite à adopter ce projet de loi.

M. Nicolas Brunschwig (L), rapporteur de minorité. Tous les cantons étudiés en commission de l'économie, c'est-à-dire les cantons romands et le Tessin, ont des limites de revenu.

Je n'ose vous dire lesquelles, mais elles sont bien en dessous de celle que nous avons fixée dans le canton de Genève. Les niveaux de revenu sont très inférieurs aux 98 000 F du canton de Genève ou, pour être précis, aux 97 200 F.

Je conteste totalement la démonstration faite par le rapport de majorité et par l'ensemble des députés de la gauche qui tend à faire croire que cette limite est une discrimination du principe d'égalité homme/femme. Certes, Mme Frischknecht, directrice du Bureau de l'égalité, nous a confirmé en commission qu'elle la considérait comme une discrimination indirecte, dans la mesure où la notion de sexe n'apparaît pas dans le texte voté mais où par le biais du revenu nous ne respecterions pas ce principe.

Or, dans ce cas la plupart des législations de type social existant au niveau cantonal et communal seraient contraires au principe d'égalité homme/femme. Par conséquent, nous attendons avec intérêt de connaître les conclusions du Tribunal fédéral, vu que cet aspect de la loi était contesté aussi au plan juridique.

Si, par impossible, le Tribunal fédéral ratifiait ou confirmait cette théorie, il faudrait modifier de très nombreuses législations liées à des aspects de ce type, voire à des objets totalement différents. En effet, nous pourrions imaginer que, saisis d'une éventuelle frénésie politique, nous décidions que tout ce qui touche à la circulation serait discriminatoire pour les hommes, ceux-ci étant plus nombreux que les femmes à posséder un permis de conduire. Bref, nous pourrions multiplier les exemples à l'envi, et nous tomberions dans une sorte de mode politique, contraire à toute logique compréhensible et légitime.

Ce qui renforce notre opposition à ce projet de loi est le fait que nous sommes en totale contradiction avec notre constitution, laquelle nous impose de trouver des ressources lorsque nous proposons des projets de lois qui augmentent les dépenses publiques. En l'occurrence, nous sommes dans cette situation et je serais très étonné qu'une majorité de ce parlement, qui a toujours voulu respecter les lois en vigueur, ne respecte pas sa propre constitution.

Nous avons donc trois raisons de nous opposer à ce projet de loi, raisons que je résume ici :

Nous n'avons pas affaire à une discrimination homme/femme. Il s'agit d'une limite de revenu, car nous voulons cibler ceux qui ont le plus besoin d'aide. Nous pourrions nous battre pendant des heures pour déterminer s'il s'agit d'une aide pour un retour à l'emploi ou une aide sociale en tant que telle, tant la frontière est floue. Tous les cantons romands et le Tessin ont des limites de revenu bien inférieures à la nôtre. Enfin, nous sommes en totale contradiction avec la constitution et la loi des finances qui imposent à ce parlement de trouver les ressources nécessaires lorsque nous votons de nouvelles dépenses. Dans le cas présent, nous en voterions de nouvelles. M. Champod a beau dire que ce ne sera pas grand-chose, il n'empêche que l'emploi temporaire a un coût moyen mensuel de 3 500 à 4 000 F par personne, c'est-à-dire un coût moyen annuel de 50 000 F, donc quelques millions de francs pour quelques dizaines de cas. Par conséquent, nous confirmons que nous aurons des dépenses supplémentaires de quelques millions. Bref, vous en discuterez avec votre ministre des finances préférée issue de votre groupe.

Le président. Ont encore demandé la parole Mmes et MM. les députés Ducommun, Bolay, Filipowski, Blanc-Kühn et Vaudroz.

M. Daniel Ducommun (R). Ce projet de loi est délicat à traiter car il oppose des considérations d'ordre social touchant à la dignité humaine, défendues à la table des rapporteurs par M. Champod, et des considérations d'ordre économique très bien rapportées par M. Brunschwig.

Cet antagonisme est regrettable, car il nous avait semblé que la nouvelle loi en matière de chômage avait fait l'objet d'un consensus appréciable, lors de sa récente révision, aussi bien auprès des partis politiques qu'auprès des partenaires sociaux, ce que M. Champod remet en question dans son introduction. Dont acte !

Aujourd'hui, la nouvelle majorité conteste l'article 42, alinéa 2, sur le revenu familial qui fait pourtant référence dans tous les cantons romands. M. Brunschwig vient de le préciser.

C'est avec anxiété que nous revenons sur le problème fondamental du rôle de l'Etat providence et des priorités qu'il doit absolument définir dans une situation financière catastrophique. Mme Calmy-Rey et le Conseil d'Etat l'ont bien compris, puisqu'une table ronde, à l'image fédérale, sera prochainement organisée. Il serait donc dommage qu'à contre-courant nous modifiions ce soir la loi sur le chômage, entraînant ainsi de nouvelles dépenses pour l'Etat sans nous assurer de leur couverture, cela en violation de nos dispositions constitutionnelles.

Dans cette période de graves difficultés de la caisse publique, il ne nous semblait pas manquer de dignité en demandant à la cellule familiale de prendre certaines responsabilités, notamment lorsque son revenu global approche les 100 000 F.

Les décisions qui seront prises par les participants à la table ronde concerneront inévitablement ce type de dépenses. Il aurait donc été raisonnable d'attendre.

Puisque tel n'est pas le cas, la majorité du groupe radical s'associera au rapport de minorité.

Mme Dolores Loly Bolay (AdG). L'emploi temporaire est un droit. Il permet aux personnes en fin de chômage d'être réinsérées dans le monde du travail. Or l'article 42, alinéa 2, fixe la possibilité d'octroyer ce droit sous la condition d'un revenu familial limité à un montant plafond de 8 100 F. En clair, cela signifie que l'emploi temporaire n'est plus un droit individuel de chaque travailleur, de chaque travailleuse, mais un droit défini selon le revenu familial. Cette condition de revenu familial plafond introduit une discrimination que nous ne pouvons accepter, parce qu'elle est contraire au principe même de l'article 4 de la Constitution fédérale.

Monsieur Brunschwig, vous avez rappelé notre constitution. A mon tour, je vous rappelle l'article 2A de la constitution genevoise sur l'égalité qui dit : «L'homme et la femme sont égaux en droit. Il appartient aux autorités législatives et exécutives de prendre les mesures pour assurer la réalisation de ce principe et aux autorités judiciaires de veiller à son respect.» Cet article constitutionnel a été voté en 1987 par le peuple genevois.

L'article 42, alinéa 2, est également contraire à la loi sur l'égalité entrée en vigueur en 1996. Comme les statistiques l'attestent, ce sont les femmes qui feront les frais de cette mesure injustifiée, même si les cas rapportés à la commission de l'économie touchent plus d'hommes que de femmes. Il faut noter, à ce sujet, que le taux de chômage des femmes mariées est de 7,6%, supérieur à celui des hommes, lequel est de 6,4%.

Il apparaît, d'autre part, que les femmes qui exercent une activité lucrative occupent plus souvent - 49,6% - que les hommes - 6,6% - un emploi à temps partiel. De plus, les femmes gagnent, en moyenne, 20,5% de moins que les hommes. Par ailleurs, l'égalité des droits, garantie par la Constitution, se traduit dans les assurances sociales et particulièrement dans l'AVS.

Il faut aussi relever que l'emploi temporaire offre non seulement un revenu mais aussi et surtout une intégration sociale. L'impossibilité d'accéder à une occupation temporaire diminue les chances de retrouver un nouvel emploi et, de cela, tout le monde est conscient. Par expérience, nous savons qu'être en activité facilite la recherche d'un nouvel emploi. D'autre part, n'oublions pas cette donnée très importante qui nous a été rapportée en commission d'économie : à Genève, un mariage sur trois finit par un divorce, et nous savons à quel point les conséquences du chômage déstabilisent les couples !

Les personnes au chômage ont le droit de retrouver un emploi et d'émarger à l'assurance-chômage.

Pour toutes ces raisons et pour empêcher que des principes si contestables et si antidémocratiques puissent être introduits dans notre République, je vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, de soutenir ce projet de loi.

Le président. Sont encore inscrits Mmes et MM. les députés Filipowski, Blanc-Kühn, Vaudroz, Mauris et Brunschwig.

Mme Magdalena Filipowski (AdG). A la page 13 de son rapport de minorité, le rapporteur nous informe qu'il s'oppose à ce projet de modification, considérant que les aides sociales doivent être attribuées à ceux qui en ont le plus besoin.

Or nous faisons partie de ceux qui croient qu'actuellement, dans notre société, ce sont les chômeurs, surtout ceux en fin de droit, qui appartiennent à la catégorie qui en a le plus besoin. Et de quoi ont-ils surtout besoin ? Ils ont besoin d'avoir un emploi. Vous avez pu vous en convaincre juste avant Noël, quand des chômeurs ont manifesté à la tribune du public et brandi des pancartes affichant «Des emplois !».

Ce projet est fait pour les personnes qui ont le plus besoin d'aide, notamment d'un emploi. Rappelons qu'il s'agit de personnes qui ont travaillé, qui ont cotisé à l'assurance-chômage pendant dix, vingt ou trente ans. Il s'agit de personnes qui, bien qu'au chômage, paient leurs impôts cantonaux.

Le rapporteur de minorité se rattache au concept que les législations sociales font souvent le lien avec le revenu familial. C'est vrai, mais faisons la distinction entre les assurances sociales et l'assistance sociale. Les premières sont à la base même des progrès sociaux réalisés dans ce siècle qui touche à sa fin. A défaut, nous en serions encore au XIXe siècle.

A l'argument développé sur l'inégalité par rapport aux femmes, je réponds par un autre touchant à l'injustice apparue lors des travaux de la commission. Il s'agit d'une injustice entre les générations. En effet, le revenu familial n'est pas obligatoirement le fait d'un couple marié. Le revenu familial peut également concerner un jeune homme de 26 ans au chômage, donc percevant un revenu moindre, revenu habiter chez ses parents. Etant donné que ses parents ont un revenu dépassant 97 200 F par an, ce jeune homme n'aura pas droit à un emploi. Il n'aura pas droit aux prestations de l'assurance dans les deux ans à venir. Ce cas aurait pu être celui d'une jeune fille. J'ajoute que la limite du revenu familial ne s'applique pas uniquement aux époux, mais également aux personnes qui cohabitent sans être mariées.

Contrairement à ce qu'affirme le rapporteur de minorité, refuser cette modification détruira toute solidarité familiale, dans la mesure où la personne au chômage est aidée par sa famille, ne serait-ce que par rapport à sa situation de solitude.

Le rapport de minorité démontre un mépris profond des chômeurs. Cela n'est pas surprenant : mépriser, licencier et vouloir empêcher l'Etat de remplir ses devoirs envers les personnes lésées découlent de la même logique. Ce mépris est contagieux. Dernièrement, ce Grand Conseil, par un vote de centre droit et de centre gauche, a refusé un amendement de l'Alliance de gauche qui demandait que la priorité soit donnée aux personnes en fin de droit. Nous constatons ce mépris avec la violation constante de la nouvelle loi cantonale sur le chômage, étant donné que les allocations de retour en emploi sont toujours inopérantes. Bien qu'il y ait un changement de majorité dans ce Grand Conseil, nous ne constatons guère d'empressement à modifier profondément la vision de l'exclusion.

Mme Fabienne Blanc-Kühn (S). Cette disposition relative au revenu familial faisait partie du paquet de mesures voté, en juin 1997, dans un climat assez tendu.

Monsieur le rapporteur de minorité, vous avez bonne mémoire ! Vous vous souvenez que cette mesure avait été contestée par notre groupe : pour lui, c'était une couleuvre difficile à avaler.

De notre point de vue, il y a abus et abus.

Nous siégeons tous les deux dans la même commission depuis bientôt cinq ans. Et vu votre mémoire, vous vous souviendrez certainement comment la question du revenu familial a été abordée en commission.

A l'époque, M. Jean-Philippe Maitre, président du département de l'économie publique, nous avait demandé de prendre position sur une situation qu'il qualifiait d'abusive : un revenu familial annuel de 200 000 F. Très rapidement, le groupe libéral avait saisi la balle au bond en proposant un revenu annuel de 100 000 F. Vous saviez très bien que, si le revenu familial était diminué de moitié, les demandes, elles, allaient augmenter très fortement. Vous pouviez justifier ainsi votre crainte de voir exploser les coûts et votre volonté de les limiter.

Je me permets, Monsieur le député, d'apporter les critiques suivantes à vos trois objections.

Vous contestez que l'alinéa 2 de l'article 42 pénalise les femmes. Certes, nous avons tous été surpris d'apprendre que les refus d'octroi d'emplois temporaires frappaient particulièrement les hommes. Je me souviens de certains ricanements quand ce fait est parvenu à notre connaissance... Mais la réalité est simple et la suite du débat la révélera, Monsieur Brunschwig : il est notoire que les hommes contestent plus facilement que les femmes.

J'en viens à la question de principe du revenu familial, repris dans le traitement social du chômage. Vous faites référence à tous les autres cantons romands. Je réponds qu'il s'agit simplement d'un clonage législatif, tout à fait cohérent au vu des majorités parlementaires desdits cantons. Elles sont toutes de droite, Monsieur le rapporteur de minorité ! Et c'est bien parce qu'une majorité de gauche a été élue dans notre canton que l'ancrage du principe de revenu familial dans le traitement social du chômage est contesté.

Quant au financement des dépenses occasionnées par cette modification législative, soyons honnêtes ! Vous savez fort bien qu'elles concerneront un nombre infime de personnes : onze cas seulement ont été révélés ! Elles n'ont aucune signification par rapport à l'ensemble des coûts dus au chômage. Le seul critère valable sur la question du financement est celui du taux de chômage. C'est de lui que nous devons tenir compte.

Cela étant, il est inutile de rallumer les feux sur la question du traitement du chômage. Nous devons voter rapidement ce projet de loi pour passer au point suivant de l'ordre du jour.

M. Jean-Claude Vaudroz (PDC). Je souhaite faire quelques remarques sur les interventions de mes préopinants.

Madame Blanc-Kühn, il est vrai que très peu de personnes sont concernées par cette modification, mais nous débattons d'un principe et un principe de revenu dépassant 100 000 F est difficilement acceptable, ce d'autant plus que le Conseil d'Etat a tout loisir de prendre la décision d'octroyer un emploi temporaire à des personnes dont le revenu dépasse la limite des 97 200 F. Une règle du jeu, clairement définie, donne ce pouvoir au Conseil d'Etat.

Madame Filipowski, vous dites soutenir ceux qui en ont le plus besoin. Dès lors, je m'étonne des onze cas rapportés à la commission de l'économie, dont certains représentaient des revenus familiaux extrêmement importants. On a articulé un salaire mensuel dépassant 24 000 F. Il est vrai que la personne concernée a retiré sa demande.

Reconnaissez, Mesdames Blanc-Kühn et Filipowski, qu'il y a eu, en l'occurrence, violation du principe d'aider ceux qui ont le plus besoin de soutien.

Je m'étonne également que M. Champod ait remis en question le débat que nous avions tenu en commission de l'économie et qui a débouché sur un consensus.

Question égalité homme/femme, neuf cas sur les onze présentés en commission de l'économie concernaient des revendications masculines. Nous n'avons donc pas constaté une inégalité flagrante dans cette loi qui permet d'obtenir un emploi temporaire.

Ce qui me dérange le plus dans ce projet et me surprend beaucoup de la part de la gauche, c'est cette solidarité vis-à-vis de détenteurs de revenus aussi importants que ceux rapportés en commission. Ce d'autant plus qu'un millier d'emplois temporaires sont concernés et qu'il est très difficile d'en trouver. Cela nous a été clairement expliqué en commission. Il paraissait donc judicieux et justifié de fixer une limite au revenu familial, de permettre néanmoins au Conseil d'Etat de juger d'une exception, et surtout de généraliser les emplois temporaires pour ceux touchant un revenu inférieur à 97 200 F.

Le parti démocrate-chrétien a toujours été solidaire des plus démunis, mais il est des limites qui ne sauraient être dépassées. Au-delà, une solidarité familiale peut être demandée.

Par conséquent, je vous propose de suivre les conclusions du rapport de minorité.

M. Alain-Dominique Mauris (L). Je tiens à rappeler un principe connu que certains magistrats, maires de communes, énoncent quand un homme et une femme se présentent devant eux pour se marier.

Ce principe, contenu dans un article du code civil, est : «Chacun pourvoit à l'entretien du ménage.»

Il s'agit, pour le couple, d'intégrer la responsabilité de solidarité. Dès lors, est-il décent d'imaginer le transfert de cette responsabilité à la société dans le cas d'un ménage aisé ? Non !

Dans la période difficile que nous traversons, ceux qui sont encore des privilégiés doivent assumer leurs devoirs et charges de famille, et nous, nous devons renoncer à un arrosage total qui ne différencie pas les besoins.

Ces besoins doivent être ciblés avec cohérence. Le rapport de la majorité ne tient pas devant la réalité des chiffres. Huit hommes pour quatre femmes ont bénéficié d'emplois temporaires.

La soupape de sécurité existe puisque le Conseil d'Etat possède une marge d'appréciation sur les dossiers qui lui sont soumis en matière d'emplois temporaires. Il peut ainsi éviter des discriminations dans des cas particuliers. Le dossier et la loi sont bien ficelés. C'est pourquoi je vous demande de soutenir le rapport de minorité.

M. Nicolas Brunschwig (L), rapporteur de minorité. Lorsqu'on a des déficits de l'ordre de 500 à 600 millions, on doit faire des choix et cibler les prestations sociales. Et ces choix, vous devrez les faire malgré vous, parce que obligés !

Contrairement à ce que vous dites, Madame Filipowski, le rapporteur de minorité que je suis aujourd'hui fut un rapporteur de majorité qui s'est énormément impliqué dans le projet de la loi cantonale sur le chômage. J'ai dû le défendre par rapport à mon groupe politique. Si une large majorité l'a voté à l'époque, c'est parce que nous l'avions convaincue de son équilibre et de sa cohérence qui voulaient que l'octroi de prestations sociales soit consenti à ceux qui en avaient le plus besoin.

C'est cette logique que vous mettez à mal en revenant sur cette disposition. Je sais que pour vous la vie n'est faite que de mépris et d'injustice. Je ne suis pas le seul à le penser dans cette enceinte. Je vous laisse donc à vos utopies d'un autre siècle ou d'un autre continent.

J'en viens au projet soumis ce soir. La disposition figurant dans le texte actuel est extrêmement souple, comme rappelé par certains députés. Je me permets de la lire : «L'autorité compétente peut refuser l'emploi temporaire au chômeur dont le revenu familial ou celui des personnes majeures faisant ménage commun avec lui dépasse le salaire maximum déterminant de l'assurance-accidents. Elle tient compte de la situation familiale et notamment du nombre des enfants à charge.» On ne peut rédiger une disposition plus «soft» ! Elle ménage un large pouvoir d'appréciation à l'autorité et à l'administration, en fonction de circonstances particulières pouvant exister dans certains cas.

Nous sommes convaincus que les familles doivent faire preuve de solidarité avant d'en appeler aux solidarités étatiques.

Bien qu'ayant suivi votre logique, Madame Blanc-Kühn, j'ai dû rater une marche ! Vous avez fait l'historique de cette disposition en disant qu'à partir du cas choquant de 200 000 F, qui aurait pu être formulé, la limite a été fixée à 100 000 F et par ce biais-là - vous me citez - vous avez multiplié les cas.

Qu'entendez-vous par là ? Est-ce une question de principe ou une question de salaire ? J'ai cru que c'était une question de principe mais, vu votre déclaration, je penche pour une question de salaire.

Si c'est une question de principe, surtout en matière d'égalité homme/femme, le recours auprès du Tribunal fédéral suscitera une réponse que nous devrons tous accepter.

Dès lors, le débat politique que nous menons me semble faussé. Contrairement à ce que vous espérez, nous ne devons pas voter rapidement ce projet de loi pour passer au point suivant, car nous estimons ne pas pouvoir outrepasser des dispositions constitutionnelles et législatives extrêmement claires.

A vos yeux, les coûts occasionnés par ce projet sont négligeables. Effectivement, ils représentent un pourcentage relativement modeste de l'effort global fourni par le canton pour les chômeurs. Néanmoins, il s'agit de quelques millions. Nous avons eu onze cas dans les cinq ou six mois d'application de la loi. Dans une année civile complète, nous en aurons quelques dizaines qui représenteront quelques millions. D'ailleurs, l'administration et les auteurs du projet de loi ne nous ont pas communiqué les chiffres que nous leur demandions. Ne le voulaient-ils pas ou ne le pouvaient-ils pas ?

Pour nous, quelques millions sont largement suffisants pour envisager de forger des armes que nous n'avions pas l'habitude d'utiliser. Ces armes sont des recours pour violation de la constitution.

Je vous rappelle le texte de la constitution : «Lorsqu'un député dépose un projet de loi comportant une dépense nouvelle, ce projet doit prévoir la couverture financière de cette dépense par une recette correspondante. L'emprunt ne peut être considéré comme recette au sens du présent article.» Nous sommes dans cette situation et nous ferons appel au Tribunal fédéral si jamais ce projet de loi était voté.

M. Charles Beer (S). Je reviens sur le consensus évoqué dans ce débat, notamment par le rapporteur de minorité, M. Brunschwig, et la soi-disant implication des partenaires sociaux.

Je voudrais citer un extrait de la lettre annexée en page 8 du rapport. Elle a été écrite conjointement par la Communauté genevoise d'action syndicale et l'Union des associations patronales genevoises. Elle ne constitue pas une référence dogmatique puisqu'elle intègre la Fédération des syndicats patronaux dont vous êtes, Monsieur le député, un membre éminent par votre entreprise.

Voici cet extrait : «Par ailleurs, elle - la loi - entend faire référence au revenu familial pour l'octroi des occupations temporaires, ce avec quoi nous ne pouvons nous déclarer d'accord.»

Les choses sont claires ! Il n'y a jamais eu d'accord entre les partenaires sociaux pour inclure une telle disposition dans la législation. Au contraire, les partenaires sociaux ont demandé consensuellement aux députés du Grand Conseil de ne pas intégrer une telle disposition dans la loi. Cette première précision méritait d'être faite !

Pour créer la confusion, on ne cesse d'osciller entre ce qu'est l'aide sociale, le cas échéant les assurances sociales, et un second concept qui est l'emploi. Monsieur Brunschwig, vous avez évoqué les législations cantonales romandes et tessinoise. Aussi aimerais-je plus de précisions de votre part. J'aimerais connaître celles qui consacrent un droit à l'emploi en occupation temporaire pour les personnes en fin de droit au plan fédéral. Soyez précis dans vos citations, sinon on risque de comparer des législations relatives à l'aide sociale avec des législations ayant trait à l'emploi.

L'emploi est affaire de dignité. Une personne mariée à un conjoint gagnant passablement n'aurait-elle pas droit à la dignité de l'emploi ? Les milieux économiques ne cessent de répéter qu'il faut du travail, qu'il faut travailler et que le travail c'est la dignité. Mais ici, nous entendons dire que la dignité serait liée au revenu familial. Le principe d'égalité homme/femme mis à part, nous avons affaire à quelque chose d'ahurissant !

La Communauté genevoise d'action syndicale a déposé un certain nombre de recours auprès du Tribunal fédéral visant à faire invalider cette loi par rapport au principe d'égalité et aux questions juridiques majeures qu'elle soulève. Notre problème est l'absolu d'une telle limite de revenu. Cela dit, je ne résiste pas à l'envie de démontrer que votre choix de 100 000 F est très intéressant. En effet, un couple gagnant 100 000 F, avec un enfant à charge, a droit à un appartement HLM. L'accès à un logement subventionné lui est donc reconnu mais, selon votre conception, l'un des conjoints n'aurait pas droit à l'emploi !

Je suis particulièrement choqué par le fait que vous banalisiez le nombre de cas connus et que vous ironisiez sur le sexe masculin des demandeurs qui ont essuyé un refus. C'est grave, puisque vous ne tenez compte que des gens qui ont présenté une demande. Personnellement, je connais plusieurs personnes qui n'ont pas fait cette demande parce qu'elles estimaient que la loi les privait de la possibilité d'occuper un emploi temporaire. Ne mettez pas en avant les refus pour minimiser le nombre de personnes concernées, puisque beaucoup font le choix de ne pas déposer une demande précisément à cause de la limite fixée par le législateur.

Abolir une telle disposition est absolument nécessaire. Elle est non seulement contraire au droit - le Tribunal fédéral tranchera - mais également politiquement inique.

Enfin, M. Brunschwig a tenté de corriger le tir par rapport aux coûts. Au cours de sa première intervention, il a dit que, même s'il ne s'agissait que d'une dizaine de cas, ils reviendraient à quelques millions, à raison de 50 000 F par cas. Si nous prenons dix personnes - il y en a beaucoup plus ! - à 50 000 F, cela ne fera jamais que 500 000 F. En guise de consensus, je lui offre une calculette de la part de la FTMH et de ma collègue, Mme Blanc-Kühn. (M. Charles Beer offre une calculette à M. Nicolas Brunschwig.)

Mme Magdalena Filipowski (AdG). Dans un canton où siège l'Organisation internationale du travail, il faut définir dignement le travail.

Par conséquent, le droit à l'emploi pour les chômeuses et chômeurs en fin de droit ne peut pas dépendre du revenu du ménage.

Alors soyons dignes de notre canton !

Je souhaite rappeler qu'avant cette modification la loi cantonale sur le chômage donnait droit aux occupations temporaires. Durant quinze ans d'application, jamais personne ne s'est abaissé à vouloir faire dépendre ce droit du revenu du ménage.

Il est important de rappeler que nous disposons de la couverture financière des dépenses. En effet, seule la moitié des trente millions inscrits au budget d'investissement a été dépensée. Cette couverture existe donc bel et bien.

M. Pierre-Alain Champod (S), rapporteur de majorité. Je renonce à prendre la parole, M. Beer ayant déclaré ce que j'entendais exprimer.

M. Nicolas Brunschwig (L), rapporteur de minorité. Monsieur Beer, malgré tout le respect que j'ai pour l'UAPG, la FSP et autres, je ne les considère pas comme mes maîtres à penser. Mes opinions sont différentes.

Le texte dont nous disposions en commission démontrait que le chômeur en fin de droit fédéral fournit une contre-prestation au Tessin et dans la quasi-totalité des cantons romands. Nous pouvons discuter à l'infini de la nature de cette contre-prestation. C'est pour cela que j'ai dit que nous nous trouvions à la limite entre une prestation sociale et une prestation offrant un emploi à un chômeur.

Monsieur Beer, je vous remercie de votre calculatrice. Je regrette qu'elle ne soit pas «made in Geneva», mais cela viendra peut-être... La loi ayant été adoptée à fin juillet, les onze cas cités ne recoupent qu'une période de cinq mois. J'ai annualisé ces cas, à multiplier sans doute pour une année civile entière, et j'ai tenu compte des personnes qui ne se sont pas présentées en raison de la limite. Le jour où celle-ci tombera, ces personnes demanderont un emploi temporaire. D'où le pourcentage infime des cas avérés par rapport à ceux qui se présenteront. C'est l'argument que vous avez développé, les uns et les autres, notamment M. Beer qui dit connaître beaucoup de personnes qui se sont abstenues, leur conjoint, leur ami ou amie, ou tout ce que vous voulez, ayant un revenu supérieur à 97 200 F.

A titre anecdotique, je reviens sur la lettre figurant à la page 8, en annexe du rapport de majorité. Il me semble que l'article 24 devrait s'appliquer à l'un des députés qui s'est prononcé aujourd'hui dans cette enceinte.

M. Carlo Lamprecht, conseiller d'Etat. Il n'est pas inutile de situer le contexte dans lequel s'inscrit cette proposition de supprimer la limite supérieure de revenu, fixée à 97 200 F pour un couple marié ou des personnes vivant ensemble.

Les finances de ce canton sont en mauvaise posture et nous nous en rendrons parfaitement compte lors de l'élaboration du budget 1999.

Il est notoire que les efforts de notre canton en faveur des chômeurs sont bien plus importants que ceux consentis dans d'autres cantons romands. Cela est bien et nous ne pouvons que nous en réjouir.

La charge de l'emploi temporaire pour les chômeurs en fin de droit est entièrement financée par le budget de l'Etat qui ne bénéficie d'aucune subvention fédérale en la matière. Si, aujourd'hui, nous laissions tomber cette limite de 97 200 F, les demandes seraient plus fréquentes et nous devrions assumer des charges financières encore plus lourdes.

D'aucuns ont argué de l'égalité entre les hommes et les femmes. Nous devons, certes, respecter ce principe, mais en voulant remédier à l'inégalité dénoncée, nous créerions des distorsions sociales et économiques. Me référant aux cas cités, je prends l'exemple d'une personne gagnant 10 000 ou 15 000 F par mois, voire plus. Cette personne pourrait faire en sorte que son conjoint touche 3 300 à 4 500 F par mois après avoir bénéficié des indemnités de chômage pendant cinq cent vingt jours.

Ce serait faire injure non seulement aux chômeurs et chômeuses, mais aussi aux modestes salariés, aux vendeuses de magasin, aux couples dans la gêne, bref à tous ceux qui touchent des revenus nettement inférieurs à 97 200 F. En voulant corriger une inégalité de principe, on susciterait une énorme inégalité économique.

Un exercice très difficile nous attend avec l'élaboration du budget 1999. A ce moment-là, vous évaluerez les difficultés auxquelles nous sommes confrontés.

En vertu de la loi actuelle, le Conseil d'Etat détient un certain pouvoir d'appréciation des situations. Il lui est possible de corriger des excès.

Compte tenu de notre situation financière et de la possibilité, pour le Conseil d'Etat, de corriger le tir, je vous demande de rejeter l'abrogation de cet article et de maintenir le texte en l'état.

Mis aux voix, ce projet est adopté en premier débat.

Deuxième débat

Mis aux voix, ce projet est adopté en deuxième débat.

Troisième débat

Mme Magdalena Filipowski (AdG). Je demande l'appel nominal. (Appuyé.)

Le président. L'appel nominal a été demandé, nous allons y procéder.

Celles et ceux qui acceptent le projet répondront oui, et celles et ceux qui le rejettent répondront non.

Ce projet est adopté en troisième débat par 38 oui contre 31 non et 4 abstentions.

Ont voté oui (38) :

Esther Alder (Ve)

Charles Beer (S)

Fabienne Blanc-Kühn (S)

Marie-Paule Blanchard-Queloz (AG)

Dolorès Loly Bolay (AG)

Christian Brunier (S)

Fabienne Bugnon (Ve)

Pierre-Alain Champod (S)

Bernard Clerc (AG)

Jacqueline Cogne (S)

Jean-François Courvoisier (S)

Pierre-Alain Cristin (S)

Anita Cuénod (AG)

Régis de Battista (S)

Jeannine de Haller (AG)

René Ecuyer (AG)

Alain Etienne (S)

Laurence Fehlmann Rielle (S)

Christian Ferrazino (AG)

Magdalena Filipowski (AG)

Gilles Godinat (AG)

Mireille Gossauer-Zurcher (S)

Marianne Grobet-Wellner (S)

Christian Grobet (AG)

Dominique Hausser (S)

David Hiler (Ve)

René Longet (S)

Pierre Meyll (AG)

Louiza Mottaz (Ve)

Danielle Oppliger (AG)

Rémy Pagani (AG)

Véronique Pürro (S)

Jean-Pierre Restellini (Ve)

Albert Rodrik (S)

Martine Ruchat (AG)

Françoise Schenk-Gottret (S)

Pierre Vanek (AG)

Alberto Velasco (S)

Ont voté non (31) :

Michel Balestra (L)

Florian Barro (L)

Luc Barthassat (DC)

Roger Beer (R)

Jacques Béné (L)

Claude Blanc (DC)

Nicolas Brunschwig (L)

Thomas Büchi (R)

Juliette Buffat (L)

Christian de Saussure (L)

Gilles Desplanches (L)

Jean-Claude Dessuet (L)

Hubert Dethurens (DC)

Daniel Ducommun (R)

Pierre Ducrest (L)

John Dupraz (R)

Henri Duvillard (DC)

Pierre Froidevaux (R)

Nelly Guichard (DC)

Janine Hagmann (L)

Yvonne Humbert (L)

Bernard Lescaze (R)

Armand Lombard (L)

Alain-Dominique Mauris (L)

Jean-Louis Mory (R)

Geneviève Mottet-Durand (L)

Jean-Marc Odier (R)

Barbara Polla (L)

Louis Serex (R)

Olivier Vaucher (L)

Jean-Claude Vaudroz (DC)

Se sont abstenus (4) :

Madeleine Bernasconi (R)

Marie-Françoise de Tassigny (R)

Marie-Thérèse Engelberts (DC)

Pierre Marti (DC)

Etaient excusés à la séance (16) :

Bernard Annen (L)

Janine Berberat (L)

Anne Briol (Ve)

Liliane Charrière Debelle (S)

Erica Deuber-Pauli (AG)

Bénédict Fontanet (DC)

Jean-Pierre Gardiol (L)

Luc Gilly (AG)

Claude Haegi (L)

Michel Halpérin (L)

Chaïm Nissim (Ve)

Elisabeth Reusse-Decrey (S)

Micheline Spoerri (L)

Pierre-François Unger (DC)

Alain Vaissade (Ve)

Pierre-Pascal Visseur (R)

Etaient absents au moment du vote (10) :

Caroline Dallèves-Romaneschi (Ve)

Hervé Dessimoz (R)

Alexandra Gobet (S)

Antonio Hodgers (Ve)

Olivier Lorenzini (DC)

Stéphanie Ruegsegger (DC)

Christine Sayegh (S)

Jean Spielmann (AG)

Walter Spinucci (R)

Salika Wenger (AG)

Présidence :

M. René Koechlin, président.

La loi est ainsi conçue :

Loi

(7761)

modifiant la loi en matière de chômage (J 2 20)

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :

Article unique

Art. 42, al. 2 (abrogé)