République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1207
9. Proposition de motion de Mmes et MM. Elisabeth Reusse-Decrey, Nelly Guichard, Antonio Hodgers, Pierre Froidevaux et Luc Gilly concernant le travail des enfants. ( )M1207

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :

- que tout enfant a droit à l'éducation et à la formation ;

- que des millions d'enfants dans le monde sont contraints de travailler dans des conditions souvent inacceptables ;

- que notre Canton n'est pas à l'abri de situations dans lesquelles des enfants sont obligés de travailler ;

- que l'arrivée de la Marche mondiale des enfants - sur ce thème - est prévue à Genève à la fin du mois de mai ;

invite le Conseil d'Etat

- à intervenir auprès des autorités fédérales pour qu'elles mettent tout en oeuvre afin que la Suisse ratifie dans les plus brefs délais la Convention 138 sur l'âge minimum d'admission à l'emploi ;

- à intervenir chaque fois qu'il le peut, lors de rencontres ou d'échanges diplomatiques avec des gouvernements de pays particulièrement touchés par l'exploitation des enfants, pour dénoncer ces agissements et réaffirmer le droit à l'éducation et à la formation ;

- à s'assurer dans le cadre de l'achat des fournitures de l'Etat, qu'aucun objet manufacturé ne provient d'industries exploitant des enfants (ex: ballons de foot pour les écoles) ;

- à veiller tout particulièrement dans notre canton :

• à la tentation pour certains employeurs d'utiliser les apprentis comme de la main-d'oeuvre à bon marché en négligeant l'aspect de formation ;

• au travail des enfants dans les commerces familiaux non soumis aux horaires prévus par la loi sur les horaires de fermeture des magasins ;

• aux risques de voir se développer l'obligation, pour des enfants de milieux socioculturels les plus défavorisés, de travailler au-delà des normes admises par les Conventions internationales, la plupart du temps dans le cadre du travail de leurs parents ;

• à l'utilisation d'enfant mineurs dans les milieux de la prostitution ;

- à faire rapport au Grand Conseil sur ces points.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Marche mondiale contre le travail des enfants :de l'exploitation à l'éducation

C'est à Genève, les derniers jours du mois de mai, qu'arrivera la Marche mondiale contre le travail des enfants, marche qui est partie ces dernières semaines de diverses régions du globe : Asie, Amérique latine et Afrique. Elle est soutenue par près de 400 ONG de plus de 80 pays. Des milliers d'enfants et de jeunes sont attendus dans notre ville pour cette manifestation.

Cette action offrira l'occasion de sensibiliser l'opinion publique, d'interpeller les gouvernements et d'informer sur les réalités quotidiennes des enfants travailleurs. Elle permettra aussi d'avoir un impact plus grand dans le cadre de la Conférence internationale de l'OIT qui s'ouvrira à Genève le lendemain de l'arrivée de la Marche des enfants, et dont les travaux porteront sur une nouvelle Convention sur les formes intolérables du travail des enfants.

On estime à 250 millions le nombre des enfants travailleurs dans le monde, souvent exploités, subissant des horaires harassants ou encore risquant leur santé et leur vie vu les conditions d'hygiène et de sécurité très précaires - voire inexistantes - dans lesquelles ils sont obligés de travailler.

Afin de protéger ces enfants, d'améliorer leur situation et de leur offrir un accès à l'éducation, il est indispensable d'agir à plusieurs niveaux: sur le terrain d'abord ainsi que par des pressions politiques nationales et internationales. Mais c'est souvent aussi tout un système économique qui marginalise des parents et les prive d'un revenu décent qu'il faut dénoncer.

La Marche mondiale : ses objectifs

La Marche mondiale contre le travail des enfants s'est fixée 7 objectifs :

1. Susciter une prise de conscience sur la question du travail des enfants.

2. Inciter les Etats à ratifier les conventions et à appliquer les lois existantes relatives au travail des enfants.

3. Mobiliser les ressources nationales et internationales nécessaires à l'accès de tous les enfants à l'éducation.

4. Mobiliser l'opinion publique et encourager les actions contre les causes du travail des enfants.

5. Exiger l'élimination immédiate des formes les plus intolérables du travail des enfants.

6. Inciter les employeurs et les consommateurs à entreprendre des actions.

7. Assurer la réhabilitation et la réintégration des jeunes travailleurs.

Et à Genève :Sommes-nous concernés ? Que peut-on faire ?

Il ne serait pas envisageable qu'un tel événement se déroule sur le territoire de notre canton sans que nous n'y apportions un soutien, que nous profitions de faire le point sur la situation suisse et genevoise et que nous nous donnions les moyens d'atteindre un certain nombre des objectifs cités ci-dessus.

1. Tout d'abord au plan national : la Suisse a signé la Convention 138 de 1973, qui fixe l'âge minimum d'admission à l'emploi. Les habituelles lenteurs helvétiques font qu'aujourd'hui, en 1998, la Suisse n'a toujours pas ratifié cette Convention. Notre Parlement se doit donc de demander aux autorités fédérales d'accélérer le processus et de ratifier au plus tôt cette Convention.

2. Les pays qui tolèrent, voire encouragent des formes particulièrement inacceptables de travail des enfants sont parfaitement connus. Dans le cadre de rencontres ou d'échanges avec des représentants de ces gouvernements, Genève devrait avoir à coeur de leur rappeler que l'exploitation des enfants n'est pas admissible et que le droit à l'éducation et à une formation est premier.

3. Enfin notre gouvernement se doit de mener une politique claire et cohérente dans ce domaine. Aucun objet manufacturé par des mains d'enfants ne doit être acquis par notre Etat, s'associant ainsi aux mesures de boycott lancées contre un certain nombre d'entreprises utilisant des enfants.

A Genève, si la situation n'est bien évidemment pas comparable à celle d'autres pays lointains, dans lesquels des enfants sont véritablement exploités, il n'en reste pas moins que les difficultés économiques qui s'amplifient dans notre Canton doivent nous rendre attentifs aux risques de dérapages dans certains secteurs occupant des jeunes.

1. Un certain nombre de témoignages laissent entrevoir l'apparition de conditions de travail qui n'ont plus rien à voir avec un système de formation. Ces employeurs sont encore, et heureusement, rares, mais il convient d'être attentifs à ce phénomène, et il serait bon qu'une analyse de la situation soit faite en particulier dans certains secteurs, notamment de métiers manuels.

2. Les difficultés financières de certaines familles les entraînent à utiliser leurs enfants dans le cadre de leur travail : nettoyage de bureaux le soir, commerces familiaux travaillant tard la nuit ou encore le week-end.

3. Enfin, le domaine de la prostitution doit être particulièrement surveillé, cette forme d'exploitation de mineur(e)s étant particulièrement abjecte.

Le droit des enfants à vivre sans contrainte de travail, leur droit à l'éducation et à la formation, sont des droits essentiels que les députées et députés soussigné(e)s vous invitent à soutenir par cette motion.

Débat

Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Dans une quinzaine de jours, des milliers d'enfants et de jeunes arriveront à Genève pour manifester et dénoncer les formes intolérables de travail des enfants. (Brouhaha. Le président agite la cloche.)

Leurs revendications, espérons-le, seront entendues au sein du BIT qui entamera le lendemain de cet événement une conférence internationale sur le travail des enfants.

A quelques jours de cette action mondiale, notre parlement cantonal ne pouvait rester muet et ne pas insister auprès de notre gouvernement pour qu'il intervienne à divers niveaux pour faire cesser cette exploitation enfantine.

Qu'il intervienne auprès du Conseil fédéral pour qu'il ratifie enfin la convention sur l'âge minimum pour le travail des enfants.

Qu'il intervienne auprès d'autorités étrangères - lorsque la situation le permet - complices de ce drame.

Enfin, qu'il intervienne auprès de ses propres services, afin qu'ils se joignent aux actions de boycott lancées dans le monde contre les produits manufacturés par les enfants.

Voilà pour la première partie de cette motion.

Le travail des enfants suscite systématiquement de vives réactions et des critiques condamnant cette pratique. Les images qui viennent à l'esprit sont celles de gosses travaillant dans des mines ou des carrières ou encore dans des ateliers insalubres. (Brouhaha.)

Or, le travail des enfants, ce n'est pas que cela. C'est toute obligation pour un enfant - l'enfance, c'est jusqu'à 18 ans - de travailler au-delà de normes définies par des conventions; dans des conditions intolérables; au détriment de son droit à jouer et, surtout, de son droit à la formation.

Pour cette raison, cette motion porte sur un second volet qui nous concerne, ici, à Genève. Non pas que nous prétendions que dans notre canton des enfants soient exploités ou maltraités, mais c'est l'occasion de se poser quelques questions sur les conditions de travail de certains apprentis dans notre République. Sur ce qui se passe, par exemple, dans le secteur du nettoyage de bureaux, le soir, ou dans certains studios des Pâquis. (Brouhaha.)

A chacun de ces risques de dérive, il y a des réponses possibles. C'est la raison de cette motion et de notre demande de renvoi en commission.

Le président. J'écoute avec intérêt vos babillages, Mesdames et Messieurs les députés ! Monsieur Grobet, pourriez-vous parler plus fort, je ne vous entends pas ! (Rires.) Merci de respecter le silence et de laisser la parole à Mme Bolay-Cruz.

Mme Dolores Loly Bolay (AdG). L'exploitation des enfants au travail constitue un phénomène croissant et révoltant à l'aube du troisième millénaire. A l'échelle mondiale, il apparaît que la grande majorité des enfants qui travaillent se trouve en Asie, en Afrique et en Amérique latine.

Dans les pays d'Europe centrale et orientale, le travail des enfants a sensiblement augmenté après la transition brusque d'une économie planifiée à une économie de marché. Des millions d'enfants vivent dans des conditions dangereuses ou dégradantes : poussés à la prostitution, enrôlés comme soldats, traités en esclaves. Ces enfants travaillent sur les chantiers, dans l'agriculture ou la confection, et leur revenu représente parfois l'unique moyen de subsistance.

La rue peut être un lieu de travail cruel et dangereux, menaçant souvent la vie même des enfants. Beaucoup de gamins luttent pour y rechercher un travail légal afin d'assurer leur survie et celle de leurs parents.

Imposer à des jeunes ce type de travaux, les exploiter, équivaut, comme le rappelle l'UNICEF, à violer quasiment tous les droits inscrits dans la convention relative aux droits de l'enfant. Selon ses chiffres, on compte aujourd'hui cent quarante millions d'enfants de 6 à 11 ans non scolarisés. L'éducation ne doit plus être un privilège mais un droit: celui de chaque enfant à disposer du temps nécessaire pour recevoir une instruction gratuite et appropriée.

A cet égard, le fait que la Suisse n'a toujours pas ratifié la Convention 138 de 1973 est incompréhensible et inacceptable. Notre gouvernement doit mener une politique claire et cohérente dans ce domaine. Notre pays, patrie de Jean-Jacques Rousseau et de Henry Dunant, se doit de donner l'exemple.

On sait l'obstacle que représente en Suisse le travail des enfants au sein des familles d'agriculteurs ou de commerçants et artisans indépendants. Cela ne doit pas faire obstacle. La solidarité de la Suisse avec les pays frappés par ces fléaux est à ce prix.

Pour terminer, j'aimerais vous lire un proverbe espagnol : «La meilleure odeur est celle du pain. La meilleure saveur est celle du sel. Le meilleur amour est celui des enfants.»

M. Alain-Dominique Mauris (L). Nous souscrivons à cette motion et lui apportons notre soutien.

Lors de la dernière séance du Grand Conseil, notre président nous invitait à répondre favorablement à l'appel de Terre des hommes et à soutenir la campagne pour la reconnaissance de la gravité des atteintes à l'intégrité des enfants.

Ce soir, cette motion nous rappelle une réalité trop souvent répétée, celle de l'exploitation honteuse des enfants par le non-respect des conditions de travail de la Convention 138.

Chacun d'entre nous qui est sorti des frontières helvétiques aura été interpellé par ces enfants des rues, ces petits travailleurs d'arrière-boutique ou d'usine.

Il est fort regrettable que sans le savoir nous achetions des produits importés confectionnés par ces petites mains. Les exemples des ballons de football ou des tapis sont suffisamment révélateurs.

Prenons aussi conscience que de décider d'interdire le travail aux enfants dans des pays où les conditions économiques sont synonymes de survie ne peut se faire sans autres.

Comment voulez-vous que ces enfants qui n'ont déjà pas de quoi vivre puissent se payer le luxe de la scolarisation ? Certains ignorent même l'existence de l'école...

Pour être conséquents, nous devons non seulement veiller au respect des conditions de travail des enfants et les protéger de l'exploitation mais aussi soutenir efficacement les mesures d'aide au développement des enfants.

Pour ces raisons, je vous demande de renvoyer cette motion en commission.

M. Pierre Froidevaux (R). Le travail des enfants n'est heureusement pas un problème endémique en Suisse actuellement.

Cette motion veut cependant exprimer la crainte d'une émergence de ce phénomène déjà très répandu dans bien d'autres régions, comme mes préopinants viennent de le rappeler.

La dégradation de la situation sociale dont le constat actuel nous alarme tous pourrait contraindre les plus défavorisés à trouver des solutions au détriment de plus faibles qu'eux. Les enfants représentent une proie de choix.

Pourquoi rendre attentif notre conseil à un phénomène heureusement mineur ? Si la Suisse n'a pas ratifié la Convention 138 relative à l'âge minimum d'admission à l'emploi, ce n'est que pour mieux la respecter. La Suisse ne ratifie que ce qu'elle peut absolument garantir. Or la Confédération se heurte au travail des enfants de paysans durant les périodes de vacances scolaires.

Est-ce judicieux qu'un canton-ville impose aux autres cantons cette interdiction, ou pourrait-on imaginer un addendum à cette convention afin d'autoriser le travail dans les champs en dehors des périodes scolaires ?

Ce point de vue ne trouvera de règlement satisfaisant que par un passage de cette motion en commission. Si la ratification de la Convention 138 est un signe politique fort, il n'a d'intérêt que dans sa concrétisation.

Aussi notre groupe soutient tout particulièrement la quatrième invite qui rappelle la primauté des droits de l'enfant à l'éducation et à la formation. L'enfant n'est pas une génération spontanée. Il est l'expression de notre volonté à tous.

Lutter contre les entraves à son développement et pour son autonomie est une nécessité absolue. Ce soir, le thème est le travail de l'enfant. Ce n'est qu'une des multiples contraintes inacceptables du monde des adultes envers celui des enfants.

Pour conclure, je ne puis que rappeler que la meilleure prévention politique possible contre le développement du travail de l'enfant est la politique du plein-emploi, mais de l'adulte !

M. Armand Lombard (L). Nous soutiendrons bien entendu cette importante motion.

J'ajouterai simplement un mot - je crains de rabâcher le même discours, mais il s'applique particulièrement bien ici.

Dans la dernière partie des invites, il est demandé de veiller particulièrement, dans notre canton, à différents points. Je souscris aux quatre demandes qui sont faites, mais puisque cela sera soit discuté en commission, soit renvoyé au Conseil d'Etat, je rappellerai à ce dernier que, pour permettre à un enfant de vivre et de se construire, il faut le protéger mais qu'il s'agit aussi de stimuler son esprit d'initiative, d'innovation et de créativité. Cela peut se faire, par exemple, par l'octroi d'un prix, de l'Etat ou du privé. C'est aussi une façon d'éduquer l'enfant que de lui apprendre à résister aux mauvaises choses de la vie.

Il faut également responsabiliser l'adolescent en lui offrant une forme de citoyenneté, en le mettant en contact avec la société, les entreprises, les écrivains et les penseurs. On forme un enfant à dire oui, à dire non, à analyser. Il apprendra ainsi à se défendre. Quand cela est possible, il faut l'envoyer visiter les endroits de tentation, afin de lui apprendre à faire face.

Il y a en tout cela un côté positif, certainement complémentaire à la grande morosité dont est empli ce texte.

M. Carlo Lamprecht, conseiller d'Etat. Ce projet a en effet une très grande valeur, et je souhaite qu'il soit renvoyé en commission; mais je vous demande à laquelle.

Une voix. A la commission de l'économie !

M. Carlo Lamprecht, conseiller d'Etat. Très bien !

Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission de l'économie.