République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1034
6. a) Proposition de motion de Mmes et MM. Pierre-François Unger, Olivier Lorenzini, Claude Howald, Henri Gougler, Gilles Godinat, Roger Beer, Nicole Castioni-Jaquet, Pierre Froidevaux, Dominique Hausser, Fabienne Bugnon et Bernard Clerc concernant l'ordonnance d'application de la LAMal. ( )   M1034
R 306
b) Proposition de résolution de Mmes et MM. Pierre-François Unger, Olivier Lorenzini, Claude Howald, Henri Gougler, Gilles Godinat, Roger Beer, Nicole Castioni-Jaquet, Pierre Froidevaux, Dominique Hausser, Fabienne Bugnon et Bernard Clerc concernant l'ordonnance d'application de la LAMal. ( )R306

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- que le maintien du secret médical est un des meilleurs gages d'une relation patient-praticien basée sur la confiance et que sa préservation constitue un intérêt public prépondérant;

- que le diagnostic est une donnée sensible au sens de la loi fédérale sur la protection des données;

- que le secret médical a la même portée en médecine privée et publique;

- que des études statistiques sont essentielles tant pour des motifs scientifiques que médico-économiques mais qu'elles ne justifient pas pour autant la violation du secret médical;

- l'article 4a de la loi K 1 30,

invite le Conseil d'Etat

- à s'opposer au principe de la transmission systématique du diagnostic dans les factures des fournisseurs de prestations, telle que prévue par l'OAMal (art. 59);

- à intervenir auprès de la direction des HUG dans le même sens;

- à étudier avec les partenaires concernés la mise sur pied d'un outil statistique répondant aussi bien à des objectifs scientifiques que médico-économiques dans le respect de la législation.

EXPOSÉ DES MOTIFS

La question du secret médical a toujours soulevé des problèmes importants et sensibles, tant il est vrai que le diagnostic d'un patient appartient à ce dernier et touche en particulier sa sphère privée. Il nous a donc semblé important de traiter de ce problème parallèlement à l'entrée en vigueur, au 1er janvier 1996, de la loi sur l'assurance-maladie (LAMal).

Les dispositions de la LAMal, relatives à ces objets, prévoient notamment:

- à l'article 42, alinéas 4 et 5

«L'assureur peut exiger un diagnostic précis ou des renseignements supplémentaires d'ordre médical.

Le fournisseur de prestations est fondé lorsque les circonstance l'exigent, ou astreint dans tous les cas, si l'assuré le demande, à ne fournir les indications d'ordre médical qu'au médecin-conseil de l'assureur, conformément à l'article 57.»

Il est complété par les dispositions suivantes de l'OAMal qui stipule (article 59):

«Les fournisseurs de prestations doivent indiquer dans leurs factures:

a) les dates de traitement;

b) les prestations fournies, détaillées comme le prévoit le tarif qui leur est applicable;

c) le diagnostic dans le cadre du 2e alinéa.

Les assureurs et les fournisseurs de prestations peuvent stipuler dans les conventions tarifaires quels informations et diagnostics ne doivent, en principe, être portés qu'à la connaissance du médecin-conseil de l'assureur au sens de l'article 57 de la loi. Au surplus, la communication du diagnostic est régie par l'article 42, 4e et 5e alinéas, de la loi. Le département peut fixer, sur proposition commune des assureurs et des fournisseurs de prestations, un code uniforme pour les diagnostics valable dans toute la Suisse.

Les prestations prises en charge par l'assurance obligatoire des soins doivent être clairement distinguées des autres prestations dans les factures.»

Les dispositions de la LAMal ne posent pas un problème trop grave bien qu'étant plus souples que la LAMA puisqu'elles laissent, malgré tout, la possibilité au patient de s'opposer à la transmission du diagnostic ou d'autres données sensibles au service administratif de sa caisse-maladie et de ne l'accepter que pour le médecin-conseil.

En revanche, les dispositions de l'OAMal sont choquantes à plusieurs points de vue:

- il est inexplicable qu'une dispositions d'application puisse aller plus loin dans ses exigences que les principes posés par la loi;

- le diagnostic concernant la sphère privée intime du patient ne saurait, tant au niveau du secret médical que de la loi sur la protection des données, circuler à l'intérieur des services administratifs d'une caisse-maladie, voire, comme le prévoit l'article 120 de l'ordonnance, entre caisses-maladie;

- si le but de ces dispositions est d'établir des statistiques concernant le coût de chaque affection, d'autres moyens permettent ces recherches, notamment avec la collaboration des caisses et des sociétés médicales, qui ne risquent pas de causer un préjudice grave au patient;

- au sens des dispositions de la loi sur la protection des données, le diagnostic est une donnée sensible et ne saurait, sans l'autorisation du patient, être transmis à sa caisse-maladie.

- l'inscription du diagnostic sur chaque facture, même de façon codée, pose non seulement des problèmes de confidentialité mais également des problèmes administratifs pour les médecins qui ne sont pas équipés en informatique, ce qui représente le 75% du corps médical.

D'autre part, nous apprenons que l'Hôpital entend également réintroduire l'inscription du code-diagnostic sur ses factures. Nous pensons que la situation est ainsi de la même nature et qu'il est nécessaire de s'opposer à cette pratique.

Il ne s'agit pas, par le biais de cette motion, d'instituer un rempart pour éviter toute fourniture d'information sous prétexte de conserver le secret médical. Nous affirmons que les statistiques en matière de dépenses de la santé sont nécessaires tant pour permettre d'améliorer les prestations qu'à des fins de recherche scientifique, mais qu'il n'est pas concevable que, sous ce prétexte, l'on aboutisse à un système ne respectant pas la sphère privée du patient.

Au bénéfice des explications qui précèdent, nous vous prions, Mesdames et Messieurs les députés, d'accueillir favorablement cette proposition de motion et de l'adresser au Conseil d'Etat.

(R 306)

EXPOSÉ DES MOTIFS

La question du secret médical a toujours soulevé des problèmes importants et sensibles, tant il est vrai que le diagnostic d'un patient appartient à ce dernier et touche en particulier sa sphère privée. Il nous a donc semblé important de traiter de ce problème parallèlement à l'entrée en vigueur, au 1er janvier 1996, de la loi sur l'assurance-maladie (LAMal).

Les dispositions de la LAMal, relatives à ces objets, prévoient notamment:

- à l'article 42, alinéas 4 et 5

«L'assureur peut exiger un diagnostic précis ou des renseignements supplémentaires d'ordre médical.

Le fournisseur de prestations est fondé lorsque les circonstance l'exigent, ou astreint dans tous les cas, si l'assuré le demande, à ne fournir les indications d'ordre médical qu'au médecin-conseil de l'assureur, conformément à l'article 57.»

Il est complété par les dispositions suivantes de l'OAMal qui stipule (article 59):

«Les fournisseurs de prestations doivent indiquer dans leurs factures:

a) les dates de traitement;

b) les prestations fournies, détaillées comme le prévoit le tarif qui leur est applicable;

c) le diagnostic dans le cadre du 2e alinéa.

Les assureurs et les fournisseurs de prestations peuvent stipuler dans les conventions tarifaires quels informations et diagnostics ne doivent, en principe, être portés qu'à la connaissance du médecin-conseil de l'assureur au sens de l'article 57 de la loi. Au surplus, la communication du diagnostic est régie par l'article 42, 4e et 5e alinéas, de la loi. Le département peut fixer, sur proposition commune des assureurs et des fournisseurs de prestations, un code uniforme pour les diagnostics valable dans toute la Suisse.

Les prestations prises en charge par l'assurance obligatoire des soins doivent être clairement distinguées des autres prestations dans les factures.»

Les dispositions de la LAMal ne posent pas un problème trop grave bien qu'étant plus souples que la LAMA puisqu'elles laissent, malgré tout, la possibilité au patient de s'opposer à la transmission du diagnostic ou d'autres données sensibles au service administratif de sa caisse-maladie et de ne l'accepter que pour le médecin-conseil.

En revanche, les dispositions de l'OAMal sont choquantes à plusieurs points de vue:

- il est inexplicable qu'une dispositions d'application puisse aller plus loin dans ses exigences que les principes posés par la loi;

- le diagnostic concernant la sphère privée intime du patient ne saurait, tant au niveau du secret médical que de la loi sur la protection des données, circuler à l'intérieur des services administratifs d'une caisse-maladie, voire, comme le prévoit l'article 120 de l'ordonnance, entre caisses-maladie;

- si le but de ces dispositions est d'établir des statistiques concernant le coût de chaque affection, d'autres moyens permettent ces recherches, notamment avec la collaboration des caisses et des sociétés médicales, qui ne risquent pas de causer un préjudice grave au patient;

- au sens des dispositions de la loi sur la protection des données, le diagnostic est une donnée sensible et ne saurait, sans l'autorisation du patient, être transmis à sa caisse-maladie.

- l'inscription du diagnostic sur chaque facture, même de façon codée, pose non seulement des problèmes de confidentialité mais également des problèmes administratifs pour les médecins qui ne sont pas équipés en informatique, ce qui représente le 75% du corps médical.

D'autre part, nous apprenons que les HUG entendent également réintroduire l'inscription du code-diagnostic sur ses factures. Nous pensons que la situation est ainsi de la même nature et qu'il est nécessaire de s'opposer à cette pratique.

Il ne s'agit pas, par le biais de cette motion, d'instituer un rempart pour éviter toute fourniture d'information sous prétexte de conserver le secret médical. Nous affirmons que les statistiques en matière de dépenses de la santé sont nécessaires tant pour permettre d'améliorer les prestations qu'à des fins de recherche scientifique, mais qu'il n'est pas concevable que, sous ce prétexte, l'on aboutisse à un système ne respectant pas la sphère privée du patient.

Au bénéfice des explications qui précèdent, nous vous prions, Mesdames et Messieurs les députés, d'accueillir favorablement cette proposition de résolusion et de l'adresser au Conseil fédéral.

Débat

M. Pierre-François Unger (PDC). L'adoption de la nouvelle loi sur l'assurance-maladie, au soir d'un 4 décembre où nous avions pris de sérieuses taloches, a été pour beaucoup d'entre nous un réel soulagement et, à vrai dire, un grand espoir : une assurance obligatoire, une assurance solidaire, réintroduisant la solidarité entre jeunes et plus âgés, entre hommes et femmes, entre bons et mauvais risques, bref, une assurance indispensable. Elle était également destinée à susciter un peu de concurrence entre prestataires de soins via une nécessaire planification sanitaire, mais aussi entre caisses par la possibilité de créer des HMO ou de souscrire à des franchises variables.

Mais, en deux mois et demi, le désinvestissement des pouvoirs publics aidant, que de déconvenues ! (Brouhaha.)

Le président. S'il vous plaît, un peu de silence !

M. Pierre-François Unger. L'explosion des primes sans rapport évident avec l'augmentation des prestations, des défauts majeurs de solidarité - ne nous avait-on pas dit que Genève serait peu affectée compte tenu de sa loi déjà très proche de la loi fédérale - les Suisses de l'étranger ou les frontaliers tout simplement oubliés, les restrictions de concurrence entre caisses empêchant par exemple la gratuité pour le troisième enfant, et la liste n'est pas exhaustive !

Qui prendra en charge ce qui au mieux représente les maladies d'enfance de la loi, mais au pire - et nous le craignons - une invalidité permanente de cette même loi ? Et, comme si ces défauts n'étaient pas suffisants, l'ordonnance d'application de la loi intime aux prestataires de soins de violer l'article 321 du code pénal suisse en contradiction totale avec la volonté des Chambres de le renforcer il y a peu, s'agissant de la recherche médicale !

Ainsi donc, le secret serait à géométrie variable, suivant qu'il s'agisse de recherche ou, plus prosaïquement, d'argent. Alors que la loi prévoit en son article 42 que les renseignements médicaux seront fournis à l'assurance lorsque les circonstances l'exigent ou si l'assuré le demande par l'intermédiaire de son médecin-conseil, ce qui est tout à fait acceptable, l'ordonnance de la loi va beaucoup plus loin.

Cela pose tout à la fois un problème de forme et un problème de fond. S'agissant du fond - nous l'avons déjà dit - l'ordonnance de la LAMal fait fi du secret médical, dont tous les juristes s'accordent pourtant à dire qu'il représente un intérêt prépondérant en matière de santé publique. On pourra objecter que déjà actuellement les caisses disposent, grâce par exemple à leur contrôle des ordonnances de médicaments ou d'analyses, de renseignements très détaillés, et c'est vrai.

Mais qu'ont-elles fait de ces renseignements jusqu'alors ?

Mesdames et Messieurs les députés, ne nous leurrons pas ! Les caisses n'ont en réalité aucun intérêt objectif à limiter les coûts de la médecine, puisqu'avant tout elles en vivent.

S'agissant du problème de forme, il est inadmissible qu'une ordonnance aille plus loin que la loi ne l'exige. Il ne s'agit ni plus ni moins que d'imposer des conditions par une voie : l'ordonnance qui n'est soumise à aucun contrôle populaire. Ce procédé est exécrable !

A part cela, comprenons-nous bien, le but de la résolution et de la motion n'est en aucun cas de brandir le secret comme un écran de fumée pour protéger les soignants, d'autant moins, je le rappelle, que le secret est propriété du patient et non l'affaire du soignant. Preuve en est la liste des signataires de cette résolution qui dépasse largement les soignants !

Preuve en est aussi notre troisième invite destinée à encourager la constitution d'un outil statistique indispensable tant au plan scientifique - la Suisse ne dispose d'aucune donnée statistique sanitaire - que médico-économique pour amener des gains d'efficience. Mais la constitution d'un tel outil ne nécessite en aucun cas la violation systématique du secret. Mettre le doigt dans cet engrenage c'est à coup sûr vider de son sens l'esprit du colloque singulier entre le patient et son soignant, dont la préservation constitue, à n'en pas douter, un intérêt public prépondérant.

C'est aussi et tout simplement se moquer de la loi sur la protection des données. Il faut donc impérativement et rapidement revoir l'ordonnance d'application de la LAMal.

M. Philippe Schaller (PDC). Je peux très bien comprendre cette proposition de motion et de résolution. Toutefois, il faut se poser un certain nombre de questions. Beaucoup de voix s'élèvent, souvent de manière émotive, à propos de cette nouvelle loi sur l'assurance-maladie. Je crois, comme l'a dit M. Unger, que si elle apporte un certain nombre d'améliorations par rapport à l'ancienne loi, elle évite, notamment, d'exclure certains malades et les personnes âgées; elle est également un révélateur du dysfonctionnement de notre système de santé.

Cette loi nous offre, en outre, un certain nombre d'instruments qui permettront, à long terme, de maîtriser les coûts; ce n'est pas la loi qui est responsable de l'augmentation de ces coûts, augmentation qui a des raisons multiples. Je ne vais pas les rappeler ici, mais il en existe une dont nous sommes responsables : le transfert des fonds publics vers les privés. Les primes auraient été aussi élevées - et même beaucoup plus élevées - pour une partie de la population sans cette nouvelle loi. Les instruments mis à disposition pour freiner les coûts par cette loi sont notamment la planification hospitalière, la disparition des cartels, cette possibilité pour les assurances de contrôler les fournisseurs de soins.

Nous nous «hâtons bien vite» de nous opposer à ce contrôle des caisses maladie sur les fournisseurs de soins; ce sera un des moyens possibles, à long terme, de maîtriser les coûts.

Par ailleurs, l'employé d'assurance est lui aussi soumis au secret de fonction... (Brouhaha.) L'ordonnance médicale envoyée aux assurances est aussi un révélateur du diagnostic bien plus grave que ce qui est demandé aujourd'hui par la législation fédérale sur l'assurance-maladie concernant les codes diagnostiques.

Mesdames et Messieurs, je crois que nous avons besoin de statistiques, d'un contrôle démocratique des coûts collectifs engendrés par les actes médicaux. Le plus navrant est que les acteurs en présence, c'est-à-dire les fournisseurs de soins et les assurances-maladie, n'arrivent pas à s'entendre; ils manquent de transparence et ne collaborent pas entre eux dans l'intérêt du patient. Cela est bien plus grave que le problème du secret médical. Si le problème du secret médical existe c'est en raison de la non-collaboration, et cette non-collaboration, en termes d'argent public et d'intérêt du patient, me semble excessivement grave.

Je ne suis pas opposé au fait de renvoyer cette proposition de motion et cette résolution en commission afin d'en discuter. Toutefois, il me semble peu probable que le Conseil d'Etat puisse s'opposer à l'application d'une loi fédérale que le peuple suisse a votée il y a une année.

M. Gilles Godinat (AdG). J'aimerais attirer tout d'abord votre attention sur un point essentiel - souligné par mon collègue Unger - je veux parler du secret médical. Le problème de l'information et de l'outil statistique doit être dissocié du secret médical. L'anonymat, dans les commissions d'éthique et de recherche, garantit en fait l'anonymat dans les enquêtes pour le respect de la sphère privée du patient. Ayant moi-même participé à des enquêtes de ce type, je sais qu'il est possible de collecter des informations très fines et utiles pour une politique de santé sans pour autant porter atteinte au secret médical, qui est la garantie d'un mandat de base entre le professionnel de la santé et son patient.

Pour ma part, je veux faire cette distinction et ne me prononcer que sur cet aspect précis de l'ordonnance. J'estime que les dérapages possibles sont trop graves. Le fait qu'une assurance-maladie puisse avoir un accès direct aux informations médicales sans passer par le médecin-conseil - cela a été parfois le cas pour limiter notamment certains traitements et des remboursements de prestations - est beaucoup trop grave à mes yeux. Il n'y a qu'à voir ce qui se passe, en ce moment, avec les patients qui souffrent du sida et qui ont besoin de certains traitements : l'on peut malheureusement craindre le risque de non-remboursement de certaines prestations.

Pour cette raison, je tiens à garantir le respect du secret médical absolu comme base de la pratique médicale.

M. Henri Gougler (L). Je ne ferai pas non plus de généralités sur la LAMal, mais c'est à l'article 59 de l'ordonnance d'application, lettre c), que j'en ai, car il y est stipulé que le diagnostic doit figurer sur les notes d'honoraires des médecins. Cette disposition suscite un véritable tollé chez les patients qui refusent complètement cet état de fait, car ces renseignements sont à la disposition de tout le monde et peuvent être lus par n'importe qui. Les patients acceptent très mal cela.

J'ai sous les yeux une lettre du préposé fédéral à la loi sur la protection des données, qui s'étonne grandement que l'on puisse faire figurer une chose pareille dans une ordonnance d'application d'une loi fédérale, ce qui est contraire à la loi sur la protection des données et à l'article 321 du code pénal.

Enfin, j'ai à ma disposition deux lettres de caisses maladie adressées à des médecins, les informant que les notes de leurs patients ne seraient pas remboursées si le diagnostic ne figurait pas sur leur note d'honoraires. C'est un système dictatorial, qui enfreint gravement la sphère privée des gens. Je pense que l'on peut s'opposer en tout temps à une ordonnance fédérale et la faire modifier; ce n'est pas une raison pour modifier la loi.

Je demande au Conseil d'Etat de bien vouloir prendre la chose en considération en soutenant la résolution que nous lui avons adressée.

Le président. Docteur Saurer, vous avez la parole !

M. Andreas Saurer (Ve). Monsieur le président, j'interviens, jusqu'à nouvel avis, en tant que député comme vous présidez le Grand Conseil en tant que président et non pas en tant que notaire ! (Rires.)

Cela étant dit, nous abordons, une fois de plus, un problème d'éthique médicale. Même s'il n'est pas concrétisé par un projet de loi, le sujet est extrêmement important. Comme mon collègue Schaller, je ne fais pas partie des signataires de cette motion. Cependant, je crois que notre communauté d'esprit s'arrête à ce point, en ce qui concerne cette motion.

En effet, je la soutiens tout à fait, et pour les raisons suivantes :

La LAMal, votée en novembre ou décembre 1994, stipule que le diagnostic n'est en principe fourni qu'au médecin-conseil. Dans l'ordonnance, ce principe devient l'exception. C'est le fond du problème.

Il est intéressant de connaître certaines prises de position que je me permettrai de vous lire très brièvement, notamment celle de Mme Dreifuss concernant une lettre de l'AMG où elle dit très clairement, je cite : «En droit suisse, la protection du secret médical est garantie par les droits fondamentaux, par des règles de droit privé, par des règles de droit pénal et, enfin, par des règles spéciales de droit administratif. Cet article - de l'ordonnance donc - ne saurait déroger à toutes ces règles.» Ensuite, le préposé pour la protection des données dit : «Ceci implique que la communication systématique est exclue.»

Je ne vais pas continuer à réciter les interprétations juridiques et attire tout simplement votre attention sur le fait que le professeur Guillod, encore mardi dernier dans un colloque, disait clairement que, sur le plan strictement juridique, l'interprétation, selon lui, de l'ordonnance ne permet pas la transmission systématique du diagnostic aux assureurs.

Voilà donc quelques considérations, sur le plan juridique, faites par le simple médecin que je suis. Je me réfère, néanmoins, à des personnes très compétentes en la matière et qui ont de bonnes connaissances dans le domaine de l'interprétation légale.

Cela étant dit, je reviens sur la remarque de M. Godinat, à savoir que nous sommes tous d'accord ici sur le fait que les coûts de la santé doivent être contrôlés. Nous assistons effectivement à une augmentation très inquiétante qui se reporte inévitablement sur le citoyen.

Comment pouvons-nous contrôler ces coûts ? L'appareil statistique joue un rôle essentiel, mais, comme le disait M. Godinat, il est tout à fait possible de fournir des statistiques très détaillées sans dévoiler le secret médical. Pour cela nous avons besoin d'une grille statistique définie au niveau national, remplie ensuite par tous les fournisseurs de soins, principalement par les hôpitaux. Les caisses maladie recevront alors des moyennes qui leur permettront de comparer les coûts des prestations des différents fournisseurs de soins et de dire, par exemple, qu'une appendicectomie à Genève coûte plus cher que dans le canton de Vaud, etc. Mais les caisses maladie n'ont pas absolument besoin du diagnostic du patient pour pouvoir faire ces comparaisons.

Comment fonctionnent les caisses maladie par rapport aux factures des médecins privés ? Elles examinent tout simplement les factures dépassant une certaine somme, et cela à juste titre ! Des millions et des millions de factures sont envoyées aux caisses maladie. Il est totalement impossible, sauf si nous voulons hypertrophier l'appareil administratif des caisses maladie, de contrôler toutes les factures. Malheureusement, elles n'exercent pas ce contrôle avec une assez grande assiduité. Il est donc parfaitement possible d'exercer un contrôle sans transmettre le diagnostic médical.

Pour en revenir à la situation genevoise, le collège des chefs de service et la direction de l'hôpital cantonal ont décidé de répondre à l'ordonnance et de fournir vingt-quatre diagnostics. Mais cela représente quoi ? C'est, par exemple, savoir qu'une personne qui sort de l'hôpital de psychiatrie y a été hospitalisée pour une affection psychiatrique. Cela ne permet aucun contrôle. Donner cette grille de vingt-quatre diagnostics c'est véritablement se «ficher» des caisses maladie et de l'ordonnance ! En effet, je défie quiconque de pouvoir utiliser de quelque manière que ce soit cette grille de diagnostics.

Le problème de fond est, je crois, véritablement le secret médical. Nous ne sommes pas opposés au fait que figurent des informations concernant le type de prestations fournies sur les factures hospitalières et médicales. Il faut se souvenir que les caisses maladie ont un rôle financier, comptable; elles ne fournissent pas des soins. Les établissements hospitaliers et le corps médical fonctionnent dans une dynamique différente. Le but essentiel est de soigner. Pour ce faire, le diagnostic est nécessaire, mais, pour avoir un budget équilibré, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de connaître ce diagnostic.

Néanmoins, je regrette que les différents partenaires ne se soient pas réunis autour d'une table pour tenter de trouver une solution. Je suis en effet absolument convaincu que les caisses maladie sont autant sensibles au respect absolu du secret médical que le corps médical et les directions hospitalières sont sensibles à la nécessité du contrôle financier.

Donc, pour aller plus loin dans ce sens et trouver un consensus permettant d'exercer un contrôle tout en respectant le secret médical, je propose de renvoyer cette proposition de motion à la commission de la santé.

Pourquoi à la commission de la santé ? Parce que nous nous trouvons en présence d'un problème fondamentalement éthique : le secret médical. Le débat, que nous avons déjà eu en commission de la santé, porte sur le problème éthique. Alors, malgré le fait qu'il s'agit d'une assurance sociale ou d'une interprétation d'une assurance sociale, j'estime que la commission de la santé est plus à même d'élaborer un rapport sur cette proposition de motion que la commission sociale.

M. Pierre Froidevaux (R). Les coûts de la santé sont une immense préoccupation. Chacun est concerné ne serait-ce qu'en tant qu'assuré obligatoire. La politisation indispensable de ce débat engendre et engendrera une passion justifiée. Mais la passion n'a pas que des vertus. Elle contient aussi tous les ferments d'âpres débats polémiques qui s'appuieront sur tel ou tel rapport ou des avis d'experts, très souvent contradictoires.

Nos débats sont encore dans leur phase préparatoire. Nous récoltons les données pour une analyse imminente; selon le Conseil fédéral, nos données devraient comprendre la relation entre les coûts des soins et le diagnostic. C'est un piège ! Un piège destiné notamment à nos parlements de milice.

Aborder en dix minutes l'essentiel d'un tel sujet est extrêmement délicat. Je ne puis que souscrire dans les grandes lignes à ce qui a déjà été dit dans cette enceinte.

Quant à moi, je tiens à rendre attentif notre Conseil à l'aspect loufoque et pervers de cette nouvelle association d'idées : diagnostic et politique. Comme chacun le sait, le diagnostic médical provient de différentes entités nosologiques prononcées en phonèmes protéiformes à caractère cryptogénétiques. (Rires.) Vous n'avez peut-être pas tout compris - pour ceux qui écoutent - pourtant je vous ai défini précisément en langage diagnostique ce qu'est un diagnostic médical !

Le diagnostic est d'abord un code entre thérapeutes, puis un code entre le thérapeute et son patient. Il est le plus neutre possible dans la relation médecin/patient. Il fait partie intégrante du lien thérapeutique. Il sert au malade à exprimer ce qu'il ressent; il sert au médecin à exprimer ce que le patient veut bien, de lui-même, comprendre de son affection. La compréhension d'un même diagnostic se révèle ainsi souvent fort différente, selon que l'on est thérapeute ou patient. Le médecin a son diagnostic, le malade le sien et, demain peut-être, l'assurance aura le sien. De plus, le diagnostic n'est pas stable dans le temps, puisqu'il évolue avec la relation médecin/patient.

Prenons un exemple. Une personne est prise d'un malaise. Le diagnostic est tout d'abord : malaise. Des investigations vont mettre en évidence un diabète, un problème cardio-vasculaire, neurologique ou psychique, ou tout à la fois, ou rien. Le diagnostic va donc évoluer d'autant plus que les raisons d'un diabète ou d'un problème cardio-vasculaire ou d'un trouble psychique sont multiples. Le pronostic va donc encore dépendre d'autres facteurs, comme les maladies antérieures, ou des ressources mentales du patient pour faire front à sa maladie. Quel code diagnostique pourra valablement être appliqué à ce patient qui a eu un malaise pour que ce code fasse partie d'une étude financière sérieuse ?

Le diagnostic ne s'expliquera jamais comme une entité définissable par les lois de la physique. Deux diagnostics ne sont jamais égaux, et, par conséquent, ils ne sont jamais «additionnables». Le diagnostic, qui se décompose infiniment, ne pourra jamais se muer en une constante physique qui puisse servir un jour au calcul du coût de la santé. Le diagnostic n'a ainsi aucune vertu mathématique. Pourtant j'ai trouvé une équation où la variable «diagnostic» est utile à introduire dans la relation statistique maintes fois démontrée que : «Plus il y a de médecins, plus la santé coûte cher !».

Les économistes se trouvent en face d'une singularité économique qui s'oppose à une des lois très fondamentales du marché qui dit : «Plus l'offre est grande, plus les prix baissent !». Alors, pourquoi la médecine n'obéirait-elle pas aux règles générales ? Comme expliqué, le diagnostic est instable et divisible. Chaque fois qu'il est divisé en deux, il est à l'origine de deux thérapies effectuées par deux thérapeutes dont le coût n'est, lui, jamais divisé. Il reste un chiffre entier. En économie de marché, cela est rare. Cela voudrait dire que vous pourriez vendre chaque moitié d'une pomme au prix de la pomme entière. En période de disette, c'est possible; en période de pléthore vous jetez les deux moitiés et vous demandez une entière pour le même prix.

Actuellement, le diagnostic est rendu par de nombreux spécialistes. La tendance critiquable est alors de soigner les maladies toujours divisibles plutôt que le malade toujours un. Les dépenses de la santé s'arrêtent alors souvent lorsque le dernier spécialiste a répondu à l'attente du patient ou lorsque le patient, de lui-même, cesse sa quête de non-réponse à son problème. Pour lutter contre cette dérive, l'action politique devrait tendre à une formation médicale qui permette de vendre des pommes entières, soit de favoriser la prise en charge globale par un médecin traitant. Le diagnostic n'est pas toujours une constante sur laquelle on peut agir pour lui donner des vertus économiques.

Après vous avoir affirmé que l'ordonnance de Mme Dreifuss, qui impose un diagnostic sur une facture de soins, n'a pas de valeur numérique stable indispensable à une étude de notre politique de santé, il faut clore ce sujet en évoquant un très vieux démon de la politique : le pouvoir médical ! Certains hommes ou femmes, délectés par la vision de la politique secrète, croient voir dans les alcôves intimes de la relation médecin/patient un pouvoir à saisir. Le pouvoir médical est le contraire du pouvoir politique. Le pouvoir médical est à l'individu ce que le pouvoir politique est à la société. L'un est infiniment intime, l'autre infiniment public. Et les intérêts personnels ne doivent et ne peuvent jamais se confondre avec ceux de la société. La rencontre des deux ne peut que se comparer à la rencontre de la matière et de l'antimatière.

Le diagnostic médical, Mesdames et Messieurs les députés, n'a ainsi aucune vertu politique.

M. Guy-Olivier Segond, président du Conseil d'Etat. Nous sommes saisis de deux textes différents : d'une part, la proposition de motion et, d'autre part, la proposition de résolution concernant l'ordonnance d'application de la LAMal.

Je ne veux pas faire un long discours maintenant. Je vous propose de voter tout d'abord la proposition de résolution qui sera adressée au Conseil fédéral et, ensuite, d'entrer en matière sur la proposition de motion et de la renvoyer - Monsieur Saurer, je suis désolé ! - à la commission des affaires sociales qui a été saisie de tous les projets concernant la nouvelle LAMal.

Je comprends bien les aspects médicaux que vous avez soulevés les uns et les autres, à juste titre, mais il me paraît important que la même commission puisse traiter cette motion, même si, sur ce point particulier, elle peut siéger avec la commission de la santé, comme elle l'a fait lors de l'élaboration de la politique cantonale en matière de toxicomanie.

M. Andreas Saurer (Ve). Je ne partage évidemment pas la proposition de M. Segond ! Pourquoi ?

Comme je l'ai déjà expliqué tout à l'heure, nous nous trouvons en présence d'un sujet extrêmement pointu et particulier : le secret médical ! Les projets et différents problèmes qui se discutent à la commission des affaires sociales concernent la loi genevoise en matière d'assurance-maladie. Mais, dans le cas présent, nous nous trouvons devant des points très particuliers qui concernent l'éthique. Pour cette raison, il me semble infiniment plus pertinent de l'adresser à la commission de la santé. Il ne s'agit pas de modifier une loi, mais de savoir comment interpréter un aspect particulier relevant de l'éthique. Vous-même, Monsieur Segond, à moult reprises, avez insisté sur le fait que la commission de la santé doit essentiellement traiter des problèmes éthiques auxquels la médecine est confrontée.

Il est donc souhaitable de renvoyer cette proposition de motion à la commission de la santé.

M 1034

La proposition de renvoyer cette proposition de motion à la commission de la santé est mise aux voix.

Le résultat est douteux.

Il est procédé au vote par assis et levé.

Le sautier compte les suffrages.

La proposition de renvoyer cette proposition de motion à la commission de la santé est adoptée par 27 oui contre 26 non.

R 306

Mise aux voix, cette résolution est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

RESOLUTION

concernant l'ordonnance d'application de la LAMal

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- que le maintien du secret médical est un des meilleurs gages d'une relation patient-praticien basée sur la confiance et que sa préservation constitue un intérêt public prépondérant;

- que le diagnostic est une donnée sensible au sens de la loi fédérale sur la protection des données;

- que le secret médical a la même portée en médecine privée et publique;

- que des études statistiques sont essentielles tant pour des motifs scientifiques que médico-économiques mais qu'elles ne justifient pas pour autant la violation du secret médical

- l'article 4a de la loi K 1 30,

invite le Conseil fédéral

- à modifier l'OAMal et en particulier son article 59;

- à faire en sorte que cette modification pose le principe de base de la non-transmission du diagnostic;

- à étudier avec les partenaires concernés la mise sur pied d'un outil statistique répondant aussi bien à des objectifs scientifiques que médico-économiques dans le respect de la législation.