République et canton de Genève

Grand Conseil

RD 227-A
10. a) Rapport de la commission des affaires sociales chargée d'étudier le rapport du Conseil d'Etat communiquant au Grand Conseil le rapport quadriennal (1989 - 1993) de la commission mixte en matière de toxicomanie. ( -) RD227
 Lors de sa création, il a été décidé de la nommer «commission mixte en matière de toxicomanies» (au pluriel). En revanche, on parle dans le rapport de politique en matière de toxicomanie (au singulier).
 Mémorial 1994 : Rapport, 5146. Commission, 5205.
Rapport de Mme Claire Torracinta-Pache (S), commission des affaires sociales
M 997
b) Proposition de motion de Mmes et MM. Olivier Vaucher, Pierre-Alain Champod, Claire Torracinta-Pache, Claire Chalut, Evelyne Strubin, Roger Beer, Philippe Schaller, Claude Howald, John Dupraz, Gabrielle Maulini-Dreyfus, Pierre Marti, Vérène Nicollier et Bernard Clerc sur les développements de la politique genevoise en matière de toxicomanie. ( )M997
R 289
c) Proposition de résolution de Mmes et MM. Claude Howald, Claire Torracinta-Pache, Pierre-Alain Champod, Claire Chalut, Evelyne Strubin, Roger Beer, Vérène Nicollier, Philippe Schaller, John Dupraz, Gabrielle Maulini-Dreyfus, Bernard Clerc et Pierre Marti concernant le rapport du Conseil d'Etat sur la politique genevoise en matière de toxicomanie. ( )R289

Le 4 novembre 1994, le Grand Conseil a renvoyé à la commission des affaires sociales le rapport mentionné ci-dessus. Après réflexion, il a été admis que la consommation de drogues et la dépendance qui en découle sont d'abord un problème de société avant d'être un problème de santé. Les membres de la commission de la santé ont cependant été invités à participer aux séances de travail, au gré de leurs intérêts et de leurs disponibilités.

Le RD 227 a été mis à l'ordre du jour de la commission sociale, présidée par M. Roger Beer, les 29 novembre, 6 et 20 décembre 1994, 10, 17, 23, et 31 janvier, 7, 14, et 28 février, 7 et 14 mars 1995. M. Claude-Victor Comte, directeur adjoint à la direction générale de l'action sociale, a assisté à nos deux premières séances. Il a été relayé par M. Albert Rodrik, directeur de cabinet du département de l'action sociale et de la santé (ci-après DASS) qui a participé avec assiduité et efficacité à la suite de nos travaux.

Question de terminologie

Toxicomanie: «habitude de consommer un ou plusieurs produits  susceptibles d'engendrer un état de dépendance  physique et/ou psychique.»

Toxicomane: «qui est atteint de toxicomanie.»

(Dictionnaire Larousse)

Drogués, toxicomanes, personnes toxico-dépendantes, usagers de drogues, consommateurs de drogues, etc., les termes employés pour désigner les personnes correspondant à la définition ci-dessus sont divers. Dans la mesure du possible, la rapporteuse s'est efforcée de respecter les termes employés par les intervenants extérieurs. La dénomination «personne toxicomane» a été employée pour le reste du texte. Dans tous les cas, aucune connotation négative n'est à relever dans le choix d'un terme plutôt qu'un autre.

Travaux de la commission

Lors d'un premier tour de table, la commission s'est interrogée sur la procédure inhabituelle qui consiste à présenter au Grand Conseil un rapport... sur un rapport du Conseil d'Etat. (Ce dernier, présentant lui-même le rapport d'une commission extra-parlementaire!) Il a été précisé que le Conseil d'Etat entendait savoir si le parlement soutenait la politique menée et à venir en matière de toxicomanie, politique ressortissant, par ailleurs, à trois départements: le DASS, le département de justice, police et transports (ci-après DJPT) et le département de l'instruction publique (ci-après DIP). Si nécessaire, la commission pourrait accompagner son rapport d'une motion impliquant, elle, un vote formel.

La commission s'est plue à reconnaître la qualité du rapport de la commission mixte en matière de toxicomanies auquel elle voue prie de vous référer pour tous renseignements complémentaires. Ce rapport, très complet, va d'un rappel historique aux développements futurs, en passant par la description de la situation actuelle des activités préventives, répressives et thérapeutiques. Il se conclut par quelques remarques personnelles de son auteur, le Dr Eichenberger, dont il faut souligner la lucidité et le courage. Suite à la lecture du rapport, la commission a décidé de procéder à diverses auditions.

Audition de M. Guy-Olivier Segond, chef du DASS

M. .

1. La politique genevoise

a)  une approche convergente et intégrée

b)  sur 3 axes classiques:

I. la prévention (DIP);

II. la prise en charge thérapeutique (DASS);

III. la répression (DJPT);

c) mise en oeuvre par partenaires publics et privés, réunis dans la commission mixte;

d) système d'information et de prévention dans le monde scolaire;

e) utilisation complète des possibilités offertes par la législation fédérale (opportunité de la poursuite).

2. Le réseau de prise en charge

a)  deux postulats:

I. le toxicomane qui est prêt à accepter le sevrage doit trouver les possibilités et les institutions qui l'aideront à se libérer de sa dépendance;

II. le toxicomane qui n'est pas (ou pas encore) capable d'accepter le sevrage doit recevoir l'aide qui lui permettra de survivre;

b) un réseau intégré, adapté aux différentes catégories de toxicomanes et aux différences de leur trajectoire individuelle;

c)  les trois seuils:

I. seuil haut (abstinence);

II. seuil moyen (acceptation de la dépendance d'un produit qui peut être fourni sur prescription médicale);

III. seuil bas (aide à la survie, bus itinérant de prévention sida, ci-après BIPS).

Il explique qu'à Genève, contrairement à Zurich, il n'y a pas de surenchère électorale, ni de polémique à ce sujet, Cette politique est l'objet d'un large consensus et l'approche convergente des différents milieux concernés instaure un dynamisme entre les différentes fonctions.

Audition du Dr Gérard Eichenberger, président de la commission mixte en matière de toxicomanies et auteur du rapport quadriennal

Le Dr Eichenberger souligne la continuité de la politique en matière de toxicomanie menée ces 15 dernières années par les différents responsables politiques et les approches convergentes des partenaires concernés, publics et privés, réunis dans une même structure. Il tient à exprimer sa reconnaissance aux services de la police et se félicite de la bonne collaboration avec ces derniers. Il rappelle que ce rapport doit être inscrit dans un contexte plus général puisque le peuple suisse aura à se prononcer sur 2 initiatives fédérales en la matière. («Pour une jeunesse sans drogue » et « Pour une politique raisonnable en matière de drogue».)

Il précise encore, que dès 1991, le Conseil d'Etat a mis l'accent sur une politique de réduction des risques; risques encourus, non seulement par les toxicomanes eux-mêmes, mais également par les autres (transmission du VIH, par ex.).

Réponses aux questions des commissaires

- Le nombre de toxicomanes dans notre canton est d'environ 2500, soit à peu près le 1% de la population, chiffre commun à toute l'Europe occidentale. Un millier des toxicomanes avérés suivent un traitement à la méthadone.

- Il pourrait y avoir un nombre égal «d'usagers récréatifs», personnes consommant exceptionnellement de l'héroïne ou de la cocaïne mais insérées dans la société et ne se laissant pas identifier.

- Il est difficile d'évaluer le nombre de «guérisons», surtout si l'on admet qu'elles signifient la disparition de toute dépendance. Ne sommes-nous pas tous dépendants de quelque chose? Il s'écoule environ une quinzaine d'années entre le début de la toxicomanie (durant l'adolescence) et une certaine stabilisation ou retour à la normale (vers la trentaine). Pendant cette période, environ un tiers des toxicomanes décède, un autre tiers «se clochardise» et le dernier tiers réintègre une vie normale.

- A Genève, les institutions ne peuvent plus répondre aux demandes de sevrage vu le manque de places résidentielles (8 mois d'attente au Toulourenc et 4 mois au Centre résidentiel à moyen terme, ci-après CRMT). De plus, après le sevrage, il reste à résoudre le difficile problème de la réinsertion professionnelle des anciens toxicomanes. La préoccupation de la réinsertion devrait d'ailleurs être présente à tous les niveaux d'accueil, dès le seuil bas.

- La durée moyenne d'un traitement à la méthadone est d'environ 2 à 3 ans mais il peut durer beaucoup plus longtemps avec des doses infimes, n'ayant plus qu'un effet psychologique. Le sevrage est progressif, il peut s'effectuer en institution ou par le toxicomane lui-même.

- La méthadone peut être injectable, notamment par des personnes dépendantes de la seringue, c'est-à-dire du geste.

- Les premières impressions à la suite de la création de programmes expérimentaux de distribution d'héroïne sont positives: les intéressés quittent la «scène» et collaborent avec les réseaux mis en place. On ne signale pas d'accident ou de cas de revente du produit. Si ces programmes ont débuté à Zurich plutôt qu'en Suisse romande c'est d'abord à cause de l'importance de  la «scène ouverte» de la drogue. Mais le développement de ces programmes implique également un changement des mentalités auquel tous les cantons ne sont pas prêts. On a longtemps véhiculé une image diabolique de l'héroïne et certains estiment encore que la distribution du produit transforme l'Etat en «marchand de mort». De plus, cette distribution contrôlée doit s'intégrer dans un réseau complet d'assistance.

- La distribution contrôlée d'héroïne n'est pas une incitation à la consommation, la marchandise étant déjà accessible et le «plein» de consommateurs atteint.

- La consommation d'héroïne (comme celle des dérivés de l'opium) provoque une accoutumance qui s'installe après 2 ou 3 mois environ. Mais elle ne provoque pas de somnolence, de violence ou d'autres modifications de la personnalité. Elle n'empêche pas un comportement social «normal». Elle est plus nocive pour des personnes déjà fragilisées.

- La prise en charge des toxicomanes par eux-mêmes (ou réseaux de «self-help») est difficile car elle implique une continuité dans l'action et certains moyens.

- Le Dr Eichenberger est, personnellement, favorable à une mise à disposition de seringues propres dans le milieu carcéral qui n'est pas épargné par la drogue; mais ceci nécessite un soutien politique. Il ne faut pas oublier le paradoxe, difficilement acceptable pour certains, qui consiste à incarcérer des usagers de drogues et en même temps à participer à leur processus de consommation.

- En ce qui concerne les détenus atteints du sida et arrivés en fin de vie, le Dr Eichenberger considère que l'accompagnement à la mort et le deuil doivent pouvoir se dérouler normalement. Et cela n'est pas possible en milieu carcéral. Ce n'est pas une question qui touche uniquement les personnes atteintes du sida ou de toute autre maladie grave, mais aussi leurs familles, leurs amis.

- La formation des médecins privés dans le suivi des toxicomanes est dérisoire, quasi inexistante. Là aussi une évolution des mentalités s'impose. Certains éléments du corps médical restent très réticents face à un geste qu'ils considèrent comme criminel. Il existe cependant un groupe de médecins «auto-formés» au traitement à la méthadone.

- Certains toxicomanes n'ayant pas accès à leurs produits de prédilection font appel à des produits de substitution, dont certains médicaments délivrés sur ordonnance qui peuvent être dangereux suivant le contexte de consommation. Ceci implique donc la responsabilité des médecins qui les délivrent.

Le Dr Eichenberger conclut en exposant sa théorie des réactions humaines dans des situations de catastrophe telle que la toxicomanie:

- On commence par nier la réalité et on se comporte comme si elle n'existait pas en rêvant de se retrouver à la situation antérieure.

- On prend ensuite des mesures radicales pour enrayer le phénomène. Elles sont de nature policière, militaire et sanitaire (prohibition, régime juridique d'exception, traitement prônant l'abstinence.)

- On réalise enfin que le phénomène se poursuit et qu'il faut apprendre à vivre avec la drogue en adoptant de nouveaux comportements. C'est la phase que nous connaissons aujourd'hui, où les assistants sociaux, les journalistes... et les députés interviennent.

Audition de la Doctoresse Annie Mino, médecin-cheffe de service adjointe de l'unité pour toxico-dépendants

La Doctoresse Annie Mino se déclare d'accord avec le rapport de la commission mixte. Elle se félicite à son tour de la politique cohérente, menée par tous les acteurs, sans conflit d'écoles de pensée et qui allient partisans de l'abstinence et ceux de la prévention des risques. Une remarque négative cependant: la prévention primaire, particulièrement la prévention dans les écoles, lui paraît insuffisante. L'école est le lieu «privilégié» d'essais de drogues (et pas seulement du haschich!). Une étude anglaise évalue que sur 100 jeunes tentant ces essais, 10 deviennent consommateurs épisodiques et 1 reste «accro». Mme Mino développe la psychologie du jeune qui se sent complexé, mal dans sa peau, qui n'aime pas son image, Et dont les parents eux-mêmes ne sont pas respectés dans leur condition sociale, alors que la société exalte le mythe de la réussite matérielle. Il faut tout mettre en oeuvre pour éviter la marginalisation de ces enfants qui deviendront des adolescents à l'image brisée.

Revenant des Etats-Unis, la Doctoresse Mino est convaincue que, là-bas ou ailleurs, la toxicomanie fleurit de préférence sur la précarité, la misère et les problèmes sociaux (chômage, exclusion, etc.). En revanche, si les causes de la toxicomanie sont les mêmes partout, les méthodes de lutte diffèrent. Si l'on prend la problématique du sida, par exemple, le taux de séropositivité des toxicomanes à New York est de 50 à 60% alors qu'à Genève, il a passé de 30% en 1987 à 10% actuellement. C'est dire que la voie suivie ici est la bonne.

Avec l'honnêteté et la passion qui la caractérisent, Mme Mino explique comment elle a été amenée à abandonner une position quasi dogmatique en faveur de traitements par abstinence rapide, le sida ayant bouleversé la donne. Il y a danger mortel et la première action doit être de sauver la vie. D'où la nécessité de distribution de seringues propres et de traitements à la méthadone, avec sevrages progressifs à la demande.

Elle fait part de son inquiétude à propos de la prévention tertiaire, soit la réinsertion sociale. Si la situation est relativement satisfaisante sur le plan sanitaire, Genève présente, en revanche, des lacunes en matière de réinsertion: toxicomanes (ou anciens toxicomanes) en bonne santé mais exclus du marché de l'emploi. Elle rappelle que la politique cantonale (1981-1988), fondée sur la stricte abstinence, a provoqué le rejet des toxicomanes. Avec le revirement de cette politique, l'accès à la méthadone a retenu jusqu'à 90% des toxicomanes entrés en traitement de maintenance. Actuellement 50 à 55% d'entre eux sont en traitement suivi (méthadone - tous types de sevrages confondus).

Elle souligne encore la fragilité particulière des détenus libérés de Champ-Dollon et qui réclament un accompagnement personnalisé.

Elle conclut en relevant la nécessité d'étendre à la fois les programmes de méthadone et d'abstinence et cite une étude américaine montrant que les coûts sociaux d'un toxicomane non traité sont environ 4 fois plus élevés que ceux d'une personne prise en charge. (Voir annexe I.)

Réponses aux questions des commissaires

- La Doctoresse Mino juge dangereuse l'initiative populaire «Pour une jeunesse sans drogue» qui assimile toute politique de maintenance (y compris la méthadone orale) à un entretien de la toxicomanie, ce qui revient à jeter à la rue 1200 patients traités à Genève avec ce produit de substitution. En revanche, le contre-projet du Conseil fédéral est assez proche de la politique appliquée dans notre canton.

- La liste d'attente pour les traitements ambulatoires à la méthadone pose problème. Toutefois, il faut savoir qu'il s'agit d'une thérapie lourde, impliquant un encadrement technique efficace et un relais des médecins de ville. Or, un praticien ne peut traiter qu'environ 10 patients. Une solution proposée consisterait à administrer ce substitut sans encadrement thérapeutique. La liste d'attente se réduirait mais le risque d'overdose et d'accident augmenterait. La distribution de méthadone au plus grand nombre, sans action thérapeutique et en remettant le sevrage à plus tard n'est pas une bonne solution et a donné de mauvais résultats là où elle a été expérimentée. Cela étant, le service public ne devrait pas être en situation de devoir refuser des patients ni de faire de la distribution sans accompagnement thérapeutique.

- Les soins palliatifs à la méthadone sont dévolus aux cas lourds, sans possibilité de sevrage immédiat. Toutefois, on observe que 20 à 25% des cures, s'étendant sur 15 à 20 mois, sont suivies de sevrages. La méthadone évite les dysfonctionnements et permet aux patients de bien évoluer dans leur vie quotidienne. Après quelques années de traitement, ils sont fatigués de leur dépendance et environ 30% d'entre eux demandent à en sortir.

- A Genève, on a fixé l'âge du traitement à la méthadone à 18 ans, mais on peut abaisser ce seuil après avoir pris l'avis d'un deuxième expert. L'âge moyen de l'installation de la toxicomanie est de 18 ans et 3 mois, âge nettement plus élevé que dans d'autres pays. L'âge moyen des toxicomanes traités à la méthadone est de 27/28 ans. En ce qui concerne les mineurs, les parents sont naturellement impliqués. Il est difficile de préciser le pourcentage d'enfants maltraités et devenus toxicomanes. En revanche, il est reconnu que 80% des toxicomanes féminines ont été, enfants, victimes d'abus sexuels ou de violence.

- L'Angleterre a une approche de l'héroïne différente de la nôtre. Ce produit - très proche de la morphine - y a toujours été admis et utilisé comme antalgique car il arrive à bout de 5 à 10% de douleurs rebelles à tout autre traitement. Au Royaume-Uni, les programmes de distribution d'héroïne sont un succès pour 400 à 500 patients. En Suisse, l'office fédéral de la santé publique conduit des expériences de ce type dans plusieurs villes (250 patients actuellement).

- Il ne faut pas craindre le maintien de la dépendance à l'héroïne par le biais de ces programmes de distribution. On voit des patients qui demandent spontanément à passer à un programme à la méthadone après une certaine période de 3 piqûres quotidiennes d'héroïne.

- La distribution contrôlée d'héroïne ne favorise pas l'émergence d'un marché parallèle. Aux U.S.A., pays de la répression par excellence, on trouve de l'héroïne à 10 F le gramme. Il reste de nombreuses inconnues dans cette problématique. Comme, par exemple, le fait qu'on ne trouve pas de crack à Genève alors qu'il en circule dans d'autres villes suisses.

- C'est la pureté de la drogue - et non sa mauvaise qualité - qui a causé quelques accidents récemment. Et en général, les coupages se font avec de «bons» produits, les «dealers» étant des commerçants soucieux de fidéliser leur clientèle.

- On ne peut exclure que l'évacuation du Letten provoque une onde de choc dans notre canton, mais les contacts avec les responsables zurichois établissent que peu de Genevois y sont présents et actifs.

- Il faut développer et diversifier les lieux de prévention et de prise en charge, impliquer les quartiers, les médecins de ville, les pharmaciens. A cet égard, l'expérience du Programme de recherche interinstitutionnel de prévention (ci-après PRIP) a été positive.

La Doctoresse Mino conclut en réaffirmant que la pauvreté et l'exclusion sont des facteurs de risques mais qu'on trouve aussi des toxicomanes issus de milieux aisés et/ou bénéficiant d'un contexte familial positif. Il n'y a pas de protection absolue contre ce danger. Elle s'insurge donc contre la culpabilisation des parents et souligne l'importance de l'assistance réciproque que les familles touchées peuvent se prodiguer entre elles.

Audition de MM. Christophe Mani et Alexandre Friedli, coordinateur responsable et collaborateur du BIPS

En préambule, M. Mani remercie les députés de leur intérêt pour le BIPS ainsi que les autorités de la confiance et du soutien qu'elles ont apportés à cette activité qui n'allait pas de soi au départ.

Le BIPS est l'un des secteurs du Groupe Sida Genève (ci-après GSG), antenne régionale de l'Aide suisse contre le sida et dont les activités sont les suivantes: information, prévention, conseils juridiques en matière de sida, soutien et accompagnement des personnes concernées et de leurs proches, etc. Le BIPS est en activité depuis 3 ans et stationne alternativement en 2 lieux entre 17 h 30 et 22 h tous les soirs de l'année (quai Général-Guisan et Plainpalais.)

Objectifs

· Réduire les risques de transmission du VIH.

· Responsabiliser les consommateurs par rapport au VIH.

· Aller à la rencontre des personnes marginalisées et ne fréquentant pas les services de soins.

· Servir de relais avec ces structures.

Prestations

· Accueil

· Distribution de matériel d'injection.

· Conseils d'hygiène d'injection.

· Distribution de préservatifs.

· Information en matière de sida.

· Orientations.

Bilan

· Fréquentation stable: 80 à 100 contacts par jour (environ 2000 personnes différentes rencontrées en 3 ans).

· Seringues distribuées: plus de 420 par jour.

· Seringues retournées: 76% en moyenne en 1994 (en nette augmentation depuis que la police a arrêté de mettre des amendes pour port de seringues).

M. Mani se félicite de la bonne collaboration entretenue avec les services de police, ce qui est essentiel à la réussite de ces actions de terrain. Il signale, par ailleurs, qu'il donnera prochainement une information à ce sujet à tout le corps de gendarmerie.

Contrairement aux craintes qui s'étaient manifestées au départ, le BIPS n'a provoqué aucune concentration d'usagers de drogues, il n'a pas créé de «scène ouverte», il s'est bien intégré dans le voisinage et n'a pas troublé l'ordre public. C'est le genre de projet qui ne peut se réaliser sans qu'il y ait une volonté politique et un soutien de tous les partenaires concernés.

La seringue n'est pas une incitation à la consommation et son accès facilité ne provoque pas d'accroissement du nombre de consommateurs. Distribuer du matériel d'injection, ce n'est pas un sabotage du processus de traitement, ce n'est pas non plus baisser les bras mais c'est vivre la réalité de la toxicomanie.

Le BIPS est considéré à la fois comme un repère, un accueil et un relais avec d'autres structures d'aide médicale et sociale avec lesquels prennent contact la majorité des consommateurs. Ces derniers se montrent responsables, jouent le jeu de la prévention et cherchent à se maintenir en santé malgré les situations de dépendance. Les règles de base sont respectées: pas de trafic, d'injections, de concentration ni de violence aux abords du BIPS.

M. Mani souligne également que les études menées montrent une diminution du partage des seringues. On constate aussi une stabilité, voire une diminution de la séropositivité et une amélioration de l'état de santé globale des consommateurs.

En regard de ces constats, le GSG estime mener une action cohérente, tant sur le plan du sida que sur le plan de la drogue. Elle s'intègre dans les programmes dits de «bas seuil d'accès», programmes qu'il s'agirait de renforcer.

Propositions

Dans le cadre de leur activité au BIPS, M. Mani et son équipe ont été amenés à constater d'autres besoins auxquels il faudrait pouvoir répondre. Deux propositions concrètes sont formulées:

1. Un lieu d'accueil fixe, ouvert la journée et destiné à accueillir tous les consommateurs de drogues et pas seulement les utilisateurs de seringues. (L'inhalation est fréquente, surtout chez les jeunes.) Ce lieu devrait être un espace d'accueil, d'écoute, de repos, permettant une intervention précoce auprès des jeunes, de renforcer les mesures de prévention du sida et de répondre à des besoins sanitaires et d'hygiène. Il serait complémentaire au BIPS et ces deux activités pourraient appartenir à la même structure. Ce projet a déjà été étudié par une commission mandatée par le Conseil d'Etat et son rapport a été déposé au printemps 1994.

2. Le projet «Boulevard» est actuellement étudié par le GSG et l'association Aspasie. Il s'agirait d'offrir une présence plusieurs soirs par semaine près des lieux de prostitution des personnes toxicomanes. (A ce propos, M. Rodrik précise que les personnes toxicomanes qui se prostituent pour obtenir l'argent leur permettant d'acheter de la drogue, et les personnes prostituées qui, par ailleurs, ont recours aux drogues, sont deux réalités différentes à ne pas confondre.) Ces personnes sont souvent très jeunes, désespérées et subissent de fréquentes pressions de leur clientèle pour ne pas utiliser de préservatifs. Ce projet s'inscrit dans une politique de réduction des risques liés à la fois à la consommation de drogue et à la prostitution.

M. Mani ajoute encore qu'il est d'accord avec la nécessité de répondre encore à d'autres besoins évoqués dans le rapport de la commission mixte: augmentation des places de sevrage, prévention du sida dans les prisons, amélioration des conditions d'injection, création de lieux d'hébergement et d'emplois.

Il conclut en affirmant que la pénalisation de la consommation et le marché noir provoquent des conséquences plus négatives que la consommation elle-même. (Délinquance, prostitution, violence, emprisonnement, marginalisation.) Il se prononce en faveur des programmes de distribution contrôlée d'héroïne, d'une dépénalisation de la consommation de drogue. (Pourquoi des drogues légales et d'autres qui ne le sont pas?) Et il revendique une modification du statut des consommateurs de drogues qui devraient être considérés comme des partenaires dans les décisions qui les concernent et qui, par conséquent, devraient être représentés à la commission mixte.

Réponses aux questions des commissaires

- A propos du nombre de seringues retournées, il faut savoir que plus la pression policière est forte, plus les consommateurs auront tendance à s'en débarrasser.

- Les lieux d'accueil les plus efficaces sont ceux qui sont proches des lieux de consommation.

- Un véritable partenariat s'est instauré avec les pharmaciens qui font également un excellent travail dans l'échange de seringues. Une charte de la distribution de seringues est actuellement en vigueur, des sachets d'acide ascorbique avec les logos des pharmaciens et du BIPS sont aussi proposés.

- On rencontre effectivement un certain nombre de personnes, très mal en point suite à la consommation de médicaments prescrits par des médecins et qui dans certains cas sont revendus à d'autres consommateurs. L'anonymat des personnes fréquentant le bus rend difficile une intervention auprès de leur médecin. Mais une information à ce sujet a été faite auprès du médecin cantonal et du pharmacien cantonal.

- La détresse et la misère provoqués par la dépendance sont identiques, qu'il s'agisse de produits interdits ou non, mais les problèmes judiciaires aggravent encore la situation des consommateurs de produits illégaux. La difficulté est de savoir comment affronter cette réalité sans devenir complice d'un trafic.

Audition de Mme Hélène Braun-Roth, présidente d'ARGOSet de M. Dominique Blanc, directeur institutionnel

Mme Braun-Roth explique que l'association ARGOS a été créée en 1977 sous l'appellation «Association pour la création de dispositifs thérapeutiques en faveur des toxicomanes». Elle est devenue en 1992, ARGOS, association d'aide aux toxicomanes. En 1978, elle ouvrait une première institution, le TOULOURENC, qui accueille des résidents pour des séjours de longue durée. En 1987, s'est ouvert le CRMT pour des séjours à moyen terme, d'environ 3 mois. Dans les deux institutions, les résidents sont accueillis selon les principes d'une entrée volontaire et de la non consommation de drogue.

ARGOS a été associée au programme PRIP (action de prévention auprès des toxicomanes prostituées) ainsi qu'au programme interinstitutionnel de distribution de méthadone (ci-après PRIM).

Cette évolution des objectifs d'ARGOS a débouché, après réflexion, sur une charte où l'association réaffirme son identité et ses buts et qui figure dans son rapport d'activité 1993:

«... ARGOS en tant qu'intervenant social et relationnel agit dans une perspective globale de lutte contre l'exclusion et d'encouragement à l'insertion. Ses valeurs et finalités ont pour nom, solidarité, respect de la dignité humaine, vision globale de la personne. La souffrance que génère la toxicomanie doit nous inviter à rejoindre les personnes là où elles sont et à cheminer avec elles hors de la toxicomanie...»

Mme Braun-Roth constate que la prise en charge socio-thérapeutique dans le cadre des programmes d'abstinence met souvent en évidence certains troubles psycho-pathologiques cachés par la consommation. Ceci génère une certaine fragilisation et exige une structure et un encadrement adéquats. Elle déplore les délais d'attente pour l'entrée au CRMT et au TOULOURENC.

Elle explique encore qu'à la suite de la dissolution de l'Association genevoise d'aide aux drogués et à leur famille (ci-après AGADEF), il était urgent de combler le vide en matière d'aide aux familles des personnes toxico-dépendantes. ARGOS a obtenu du DASS, un montant prélevé sur la dîme de l'alcool qui a permis la création d'un poste à 75%, destiné à une action de prévention communautaire et participative, s'adressant spécifiquement aux familles concernées. Les besoins sont grands et il serait souhaitable d'élargir cette permanence à deux postes et demi.

M. Blanc remarque qu'autrefois les institutions absorbaient sans grande difficulté les demandes de traitement qui étaient moins nombreuses qu'aujourd'hui; la prévention était aussi moins développée. On assiste à une demande considérable de demandes de sevrages et de traitements. (Voir annexe II.)

Il souligne qu'une fragilisation extrême de la population accueillie est apparue et qu'elle a entraîné une augmentation des ruptures de traitement. Avec pour conséquence un retour dans le circuit de la consommation. Un sentiment d'échec est alors ressenti, aussi bien par les équipes de traitement que par les personnes toxico-dépendantes.

ARGOS espère pouvoir installer le CRMT dans de nouveaux locaux dans un proche avenir. Ces locaux permettraient d'accueillir 12 personnes (au lieu de 9 actuellement). L'augmentation des possibilités d'accueil dans le programme thérapeutique à long terme (TOULOURENC) devient aussi urgente. De plus, il serait nécessaire de renforcer l'accompagnement à la sortie afin de faciliter la réintégration totale dans la société. Le grand problème reste toutefois le cloisonnement entre les différentes structures. Une réflexion a été engagée sur un système plus souple. Il s'agirait de suivre la personne avant, pendant et après son passage dans les unités. Cela permettrait de mieux personnaliser le traitement et cette individualisation donnerait plus de souplesse dans les admissions.

L'attente est également un sujet de préoccupation pour les patients. Cette période se caractérise par une absence d'activités. Et tous réclament un lieu d'accueil de jour, un atelier d'occupation pour les aider à garder leurs motivations jusqu'à ce qu'une place se libère.

Réponses aux questions des commissaires

- Le suivi linéaire des personnes n'implique en aucun cas un «contrôle social». Il s'agit d'éviter les coupures entre les structures afin de mieux soutenir les patients et éviter les rechutes. Aujourd'hui, il peut arriver qu'une personne ayant effectué un sevrage à l'unité hospitalière des Crêts (division pour toxico-dépendants) doive attendre pour être admise au CRMT si celui-ci est complet.

- Un sevrage total, sans passer par la méthadone, est possible mais difficile et peu fréquent. Dans la plupart des cas, on passe par un traitement de substitution à la méthadone.

- Les équipes d'unités travaillent aujourd'hui au maximum de leur capacité. A long terme, elles ne pourront répondre à toute la demande et l'augmentation du nombre de places impliquera de nouveaux effectifs.

- L'établissement de statistiques sur le taux de succès des programmes socio-thérapeutiques des deux institutions est en cours. On estime qu'il y a échec quand la personne revient. Le taux de réussites est d'environ 70% sur 1 à 2 ans. Au-delà, il n'y a pas de statistique.

- Les personnes sortant du TOULOURENC restent d'une extrême fragilité et il est assez rare qu'elles deviennent de véritables partenaires, pouvant servir de relais dans un processus de solidarité avec de nouveaux toxicomanes.

- Les personnes souffrant de troubles psycho-pathologiques (cas fréquents) et sous neuroleptiques, voient leur contrat d'admission négocié avec leur psychiatre: l'entrée en traitement est conditionnée à l'arrêt des médicaments.

Audition de MM. Gérard Ramseyer, chef du DJPT, et Urs Reichsteiner, chef de la Sûreté

M. Ramseyer indique en préambule qu'il n'est pas un expert en matière de toxicomanie et qu'il a, comme chacun, une approche personnelle de la question.

Il regrette que son département n'ait pas été représenté à la commission mixte dès le début, particulièrement les services de la police.

Comme d'autres avant lui, il rappelle que le succès de la politique genevoise est dû à l'interaction de quatre types d'interventions: préventives, répressives, sanitaires et sociales.

Le problème qui se pose aujourd'hui au DJPT est de savoir s'il lui faut poursuivre la même politique. Il faut en déterminer les points faibles et examiner si l'on peut faire encore mieux. Il est important de décider où doit porter l'effort principal. Par exemple: drogue ou grand banditisme? Les priorités en matière de police doivent être bien définies. Actuellement, l'accent est mis sur une présence policière dans les rues, ayant un aspect dissuasif (politique du harcèlement). M. Ramseyer fait état d'un séminaire de son département qui a réuni l'an dernier différents partenaires dans le domaine de la consommation de drogue et du trafic. Il en est ressorti que l'aéroport de Contrin se révèle être un point faible de la politique appliquée et qu'il faudra renforcer l'équipe en place.

Il évoque ensuite la situation à Zurich où la «scène ouverte» devrait bientôt disparaître. Il rappelle que des aides d'autres cantons sont requises et notamment la «récupération» de leurs ressortissants. Le chef du département a les plus grands doutes quant à la légalité d'une action tendant à venir arrêter des ressortissants genevois en territoire zurichois. Il n'y a en revanche pas de problème pour venir renforcer la police locale.

M. Reichsteiner présente ensuite quelques principes d'engagement de la police.

- En matière de consommation, le principe est de déclarer en contravention le consommateur de produit illégal. Il faut toutefois tempérer ce principe par celui de l'opportunité de fait. On ne déclare plus en contravention une personne en possession de matériel d'injection. Il signale, à ce propos, la fructueuse collaboration qui s'est instaurée entre ses services et l'équipe du BIPS.

- En matière de trafic, un mandat d'amener est délivré et la personne impliquée est mise à disposition du juge. S'il s'agit de petites quantités, elle peut être relâchée immédiatement.

- En matière de concentration, la technique policière appliquée est le harcèlement. Il y a en permanence des agents dans la rue afin d'éviter une «scène ouverte».

- En matière d'opération infiltrée, il existe deux types d'interventions. L'engagement d'un agent infiltré (pour autant que la drogue soit déjà en Suisse et que le vendeur ait fait des démarches concrètes en vue de la revente). Et la livraison sous couverture, opération complexe visant à trouver la destination des «mules» arrivant à Genève.

M. Reichsteiner conclut en remarquant que des directives du pouvoir politique peuvent intervenir dans l'application de ces principes.

Réponses aux questions des commissaires

- Aux reproches portant sur une politisation et une médiatisation d'un sujet aussi délicat que la toxicomanie, ainsi que sur des déclarations fracassantes à ce propos, le chef du département répond qu'il n'y a jamais eu d'autre politique que celle préconisée par la commission mixte. Quant à la médiatisation de quelques affaires récentes, ce n'est pas le fait du Conseil d'Etat mais bien des milieux impliqués. Par ailleurs, il faut être lucide et savoir avertir des dangers potentiels d'une situation.

- M. Ramseyer a la ferme volonté d'éviter les erreurs commises ailleurs et les dérapages. Dans cet esprit, il s'est rendu à Zurich pour rencontrer des responsables politiques. Il a également visité divers centres pénitenciers accueillant des toxicomanes.

- La politique de concertation mise en place il y a une quinzaine d'années n'est pas remise en cause par l'actuel chef du DJPT.

- A la remise en question de l'efficacité de la répression policière et d'une politique de prohibition, M. Reischteiner précise qu'il est un fonctionnaire appelé à appliquer une loi répressive. Et derrière cette loi existent encore des conventions internationales tout aussi répressives. Il n'a pas à entrer dans ce débat.

- La lutte contre les gros trafiquants nécessite des moyens importants. A ce propos, il faut rappeler que la nouvelle loi genevoise sur l'affectation des saisies de fonds provenant du trafic de drogue, diminue la part financière attribuée à cette lutte.

- La répression ne représente pas seulement l'arrivée dans un univers policier et judiciaire, avec toute la détresse que cela implique mais peut permettre aussi d'instaurer un moment où faire passer un message de prévention.

- Le débat sur la dépénalisation doit avoir lieu et on peut être favorable à cette approche. Il n'en demeure pas moins qu'on doit continuer à poursuivre les personnes arrivant avec armes et usant de violence.

- Il y a divergence dans la volonté politique exprimée par les cantons quant à l'application de la loi fédérale sur les stupéfiants. Mais celle-ci suffit amplement à conduire le travail de la justice.

- Il y a parfois des blocages au niveau d'opérations intercantonales d'importance et cela provient de l'arsenal législatif; chaque canton ayant son propre code de procédure pénale.

- La seule consommation d'un produit illégal n'amène pas à la prison, à moins qu'il y ait trafic ou autre délit.

- Les lieux d'accueil ne sont pas incompatibles avec une politique de harcèlement pour autant qu'il n'y ait pas de local d'injection et de distribution.

- Tout conducteur ayant consommé un produit illégal et en infraction à la loi sur la circulation routière est signalé au service des automobiles et de la navigation.

Rappelons à propos de cette dernière question, que, légalement, la conduite en état d'ébriété est un délit et tombe sous le coup du droit pénal, alors que la conduite sous l'influence de drogues ou de médicaments est considérée comme une simple contravention, pour autant qu'il n'y ait pas de violation des règles de la circulation. Il faut préciser que, dans le deuxième cas, la preuve est plus difficile à fournir et que le test permettant de déceler des traces de drogues dans l'urine ne dit rien des effets de cette consommation sur la capacité à prendre le volant.

Audition de Mme Martine Brunschwig Graf, cheffe du DIPet de M. Jean Lehmann, directeur de l'office de la jeunesse

Mme Brunschwig Graf explique que les interventions de son département relèvent de la prévention, un des piliers de la lutte contre la toxicomanie. Elle précise que le DIP aborde le problème des dépendances d'une manière globale et dans le cadre de programmes d'éducation à la santé. Les intervenants sont des éducateurs pour la santé, travaillant en liaison directe avec les travailleurs sociaux des établissements scolaires ainsi qu'avec des médecins, des infirmières ou autres professionnels des services de l'office de la jeunesse. On fait également appel à des intervenants de l'extérieur, personnes concernées par exemple, qui apportent leur témoignage. Mme Brunschwig Graf souligne encore la bonne collaboration entre les départements concernés.

Suite à des demandes de précision sur les programmes d'éducation àla santé, deux documents sont distribués aux députés: «Education pour la santé - Prévention» (novembre 1993) et «Prévention des toxico-dépendances auprès des jeunes» (1994-1995). Vous trouverez en annexe III les éléments les plus importants de ce dernier document.

M. Lehmann précise encore que 14 postes, correspondant à 28 personnes, sont actuellement à disposition pour l'éducation à la santé. Des tentatives sont faites pour mobiliser d'autres partenaires.

Réponses aux questions des commissaires

- Les parents ayant des doutes et des craintes sur un éventuel début de toxicomanie chez leur enfant, peuvent s'adresser aux conseillers sociaux et scolaires des cycles d'orientation, aux assistants sociaux ou aux doyens et directeurs des collèges ou encore directement à l'office de la jeunesse.

- Les interventions ponctuelles, exposition itinérante, sensibilisation, etc., se font effectivement à la demande. (Ce qui surprend les commissaires.) «A la demande» est une formule qui n'impose pas. Elle se justifie dans le sens où il est difficile d'entrer à l'école en tant que non enseignant. Il faut du temps pour se faire accepter. Une obligation généralisée représenterait «un coup de tonnerre dans un ciel bleu» et irait à fin contraire. L'efficacité d'une intervention dépend d'un besoin ressenti et énoncé.

- Tous les établissements ont fait des demandes d'intervention.

- Il y a une certaine diversité dans les dispositifs: cours, ateliers, expositions, etc., visant tous le même objectif.

- Un groupe de liaison pour la prévention réunit 2 ou 3 fois par année les structures d'intervention afin d'avoir une vision globale de la situation et de favoriser les actions. Il est nécessaire que l'office de la jeunesse examine ce qui a été fait dans les écoles en fonction de la liberté laissée.

- Il est également répondu à des demandes d'interventions émanant d'écoles privées.

- Il n'est pas exclu que d'anciens toxicomanes soient engagés pour participer à ces programmes. Cette possibilité reste cependant aléatoire en raison de leur fragilité et du fait qu'ils n'ont souvent pas envie de parler d'un passé douloureux. D'autre part, c'est à double tranchant, le message reçu pouvant être plutôt encourageant: puisque certains sortent si bien de la toxicomanie, est-il vraiment si grave d'y goûter? Les témoignages d'anciens alcooliques ou de personnes séropositives sont en revanche très appréciés.

- L'information donnée aux parents, notamment par la distribution de prospectus, atteint surtout les parents déjà motivés et francophones. Pour les autres, il y a probablement déficit d'information. Mais les associations de parents peuvent, elles, toucher un public plus large.

- Une formation de base d'une année a été mise sur pied par le département pour les éducateurs à la santé qui sont en général de niveau universitaire. Elle est complétée par la suite.

- Les enseignants n'ont pas à se substituer aux éducateurs à la santé même si c'est souvent eux qui décèlent des problèmes chez leurs élèves. L'important est d'offrir aux élèves comme aux parents l'accès à toutes les sources d'information et de conseils existantes.

- A un député ayant interrogé sans succès quelques élèves du CEPIA à propos d'une information scolaire sur les toxico-dépendances, il est répondu qu'un groupe spécial y a été mis en place. Il réunit élèves, enseignants et médecins autour du thème de la santé communautaire et de la préservation de sa propre santé.

- Il n'y a pas d'évaluation proprement dite des mesures de prévention auprès des jeunes. D'après les personnes impliquées, il semble qu'une prise de conscience se manifeste de plus en plus chez les jeunes ainsi qu'un moindre intérêt pour la drogue. Ce qui est certain, c'est qu'une prévention générale, portant sur la préservation de la santé, est plus efficace qu'une intervention spécifique sur un produit.

Visionnements

En plus des auditions relatées ci-dessus, les députés ont encore visionné deux films.

Une émission de «Temps présent» de la télévision romande, intitulée:

«Drogue, une guerre perdue?»

Constatant l'échec de la politique de prohibition en matière de toxicomanie, ses auteurs présentent les nouvelles approches du problème. Trois expériences sont relatées.

Un essai de distribution de méthadone injectable dans le canton de Fribourg. (Résultats mitigés.) Deux programmes de distribution d'héroïne sous contrôle médical. L'un à Cheltenham en Grande-Bretagne et l'autre à Zurich. Les témoignages recueillis dans ces deux lieux sont particulièrement révélateurs de l'amélioration physique, morale, ainsi que de l'insertion sociale des personnes participant à ces programmes. (Toutes déclarent d'ailleurs vouloir un jour sortir complètement de leur dépendance.) Reportage fort et dérangeant, amenant à remettre en question bien des idées reçues. Deux images ont particulièrement frappé la rapporteuse. Celle de la jeune mère de famille anglaise, aux yeux fatigués, son dernier bébé sur les bras. Elle expliquait avec calme et lucidité la chance qu'elle avait de participer à ce programme qui lui permettait de continuer à assumer elle-même les tâches familiales. Autre image forte: celle du policier zurichois, au Letten, frustré et découragé par l'ordre reçu de ne plus procéder à de nouvelles arrestations pendant trois jours, faute de place dans les prisons...

Un petit film, produit par le GSG et intitulé:

«Arrêt facultatif»

Il traite de l'expérience du BIPS à Genève et donne la parole à des représentants des usagers, du Conseil d'Etat, de la police, des pharmaciens. Tous disent leur satisfaction devant la réussite de cette activité et leur désir de la voir se poursuivre.

En toile de fond

A ce stade de nos travaux, il est utile de rappeler qu'ils s'inscrivent dans le contexte général de la politique suisse en matière de drogue. Plusieurs événements ont marqué l'actualité de ces deux dernières années.

- Dépôt de l'initiative populaire «Jeunesse sans drogue» en 1993. Soutenue par les milieux de droite, elle entend s'opposer à la politique du Conseil fédéral en la matière. Elle plaide pour une politique fondée sur les trois piliers de la répression, de la prévention et du traitement mais rejette la stratégie de l'«aide à la survie» sous toutes ses formes (distribution de seringues, locaux de proximité, prescription de stupéfiants).

- Dépôt de l'initiative «Pour une politique raisonnable en matière de drogue» en 1994. Provenant de la Communauté pour la légalisation de la drogue, elle porte la critique sur la répression et la prohibition qui seraient la cause principale de la situation actuelle. Elle demande la dépénalisation de la consommation ainsi que la remise contrôlée de drogues aux personnes dépendantes, même sans traitement médical.

- Publication en juin 1994 d'un document commun, intitulé «Pour une politique des drogues cohérente» par les partis gouvernementaux PRD, PS et PDC. Considéré comme une «troisième voie», il contribue à mettre fin à la polarisation actuelle et à favoriser le dialogue afin de trouver une majorité politique sur des propositions réalisables à court terme. Pour les trois partis, il faut «maintenir à un niveau aussi bas que possible l'étendue des pharmaco-dépendances. En outre, les conséquences individuelles de nature médicale ou sociale (coût social, criminalité due aux difficultés d'acquisition, prostitution destinée à financer l'acquisition, troubles de l'ordre public par le commerce de drogue organisé) pourraient être atténués.» Ils ont soumis, avec des réserves sur certains points, six propositions.

1. Mesures préventives comprenant l'identification des individus menacés de dépendance et le traitement précoce des consommateurs de drogues débutants.

2. Création de possibilités éducatives pour faciliter les prises de décision des concernés et pour créer une motivation en faveur d'un traitement.

3. Traitement médical des personnes sérieusement dépendantes (de drogues) comprenant la prescription médicale de différents médicaments, y compris l'héroïne si elle est médicalement indiquée et mesures pour assurer la survie des personnes dépendantes.

4. Impunité de la consommation de drogues comprenant l'acquisition et la détention de petites quantités de drogues destinées uniquement à la consommation propre.

5. Mesures plus efficaces pour combattre la grande criminalité.

6. Politique des drogues cohérente pour toute la Suisse.

- En avril 1994, le Conseil fédéral examine les deux initiatives qu'il juge extrêmes et opte pour une «voie moyenne» qui sera définie dans un contre-projet à l'initiative «Pour une jeunesse sans drogue». Toujours fondée sur les quatre piliers (répression, prévention, thérapie et aide à la survie), la position du Conseil fédéral se rapproche beaucoup de celle des trois partis exprimée dans leur plate-forme.

- En novembre 1994, la Société suisse pour une politique de santé formule 14 thèses qui vont dans le même sens. De même, les milieux économiques prennent position en faveur de la politique suggérée par les trois partis gouvernementaux.

- Le Conseil fédéral institue en outre, en automne 1994, un groupe d'experts chargé de la révision de la loi sur les stupéfiants.

- Fin 1994, le Conseil fédéral met en consultation son contreprojet auquel le Conseil d'Etat genevois apporte son soutien en janvier 1995, moyennant deux remarques rédactionnelles. «L'esprit général de ce contreprojet nous paraît adéquat et s'apparente à la politique suivie par les autorités genevoises depuis une quinzaine d'années. Nous ne pouvons que lui apporter notre appui.»

- Les 13/14 février 1995, les autorités zurichoises ferment le Letten, évacuant toxicomanes et «dealers». Cet événement fait l'objet d'une déclaration très ferme du Conseil d'Etat genevois au Grand Conseil, le 16 février, à propos des ressortissants genevois concernés. «En ce qui concerne les personnes toxicomanes d'origine genevoise qui souhaitent se faire traiter médicalement et se faire aider socialement, le dispositif genevois, qui compte un centre de sevrage, deux unités résidentielles, des consultations médicales publiques et privées, plusieurs centaines de places de prise en charge à la méthadone, ainsi que le bus itinérant de prévention Sida, est prêt à les accueillir. En ce qui concerne les personnes qui sont évacuées dans les autres cantons, le gouvernement genevois n'entend pas s'immiscer dans les affaires intérieures d'un canton confédéré et porter des jugements de valeur sur sa manière d'affronter tel ou tel problème. Mais le gouvernement genevois n'entend pas davantage apporter son aval à l'expulsion pure et simple des personnes se trouvant légalement dans un canton, qui sont ramenées par la contrainte dans d'autres communes: la libre circulation et le libre établissement des Suisses et des étrangers sont deux principes fondamentaux de notre système constitutionnel et de notre Etat de droit. Même si seuls 31 Genevois - sur 3000 personnes ayant passé par le centre de refoulement - sont concernés, il n'est pas admissible que des agents en civil de la police zurichoise ramènent des personnes toxicomanes supposées avoir leur domicile dans notre canton, par train ou par voiture jusqu'au centre de consultation de la rue Verte. C'est pourquoi, le gouvernement genevois regrette de telles pratiques qui foulent au pied des principes fondamentaux de notre société et de notre Etat de droit.» Un accord est finalement conclu entre les autorités genevoises et zurichoises. Selon cet accord, lorsqu'une personne toxicomane genevoise est recueilli à Zurich, un collaborateur genevois se rend auprès de lui afin de lui proposer une aide médico-sociale dans notre canton. La personne est libre d'accepter ou de refuser cette prise en charge. En cas de refus, elle est relachée.

- Le 18 février 1995 a lieu a Berne la conférence nationale sur la drogue, véritables états généraux de la drogue, réunissant responsables politiques, experts, médecins, travailleurs sociaux, toxicomanes, parents, sous la houlette de Ruth Dreifuss et d'Arnold Kohler. La voie médiane du Conseil fédéral y est réaffirmée. Et même si le clivage entre tenants d'une politique libérale et ceux d'une ligne plus dure ne s'est pas comblé, le fait qu'ils s'assoient à la même table pour tenter de sortir des guerres de religions est en soi positif. De même l'appel des conseillers fédéraux en vue d'intensifier la collaboration entre la Confédération, les cantons et les communes, ainsi qu'entre tous les intervenants de terrain, semble avoir été entendu.

- L'organe international de contrôle des stupéfiants de l'ONU autorise la Suisse à augmenter le nombre de participants aux essais de distribution d'héroïne sous contrôle médical qui pourront passer de 250 à 500 dans un premier temps, puis à 1000 à terme. Il donne également son feu vert à l'augmentation de l'importation suisse d'héroïne.

- Mars 1995, le Conseil fédéral renonce finalement à son contreprojet aux deux initiatives populaires qui iront seules en votation.

Avant de terminer ce chapitre, signalons encore que le Parlement des jeunes de la Ville de Genève s'est aussi penché sur le problème de la toxicomanie. Il conclut ses travaux en décidant «de ne pas privilégier une seule option mais plutôt de développer une mosaïque de mesures - même audacieuses - qui soient à la hauteur des multiples facettes du fléau que sont les drogues.»

· Développement de la prévention (dans les écoles, les médias, les pays producteurs).

· Abandon des mesures pénales envers les consommateurs et autres «dealers» tout en durcissant la répression à l'égard des gros trafiquants.

· Poursuite de la politique de réduction des risques appliquée aux toxicomanes les plus touchés.

· Distribution contrôlée de stupéfiants s'accompagnant d'un soutien social, psychologique et médical.

· Libéralisation progressive des drogues douces (cannabis et dérivés) au même titre que l'alcool et le tabac.

Discussion générale

Après les auditions ayant permis de compléter l'information des députés sur la situation genevoise en matière de toxicomanie, ces derniers s'expriment alors plus personnellement. Qu'ils soient médecins et/ou parents, ou encore simplement en tant que politiciens, ils font part de leurs préoccupations et de leurs propositions.

Précisons d'abord que tous les députés se rejoignent dans l'appréciation de la gravité du problème. Si l'accent est mis sur un point plutôt que sur un autre suivant les députés, on ne relève pas entre eux un fossé tel que celui séparant partisans et adversaires des deux initiatives fédérales. Grâce, probablement, à la manière dont on a géré le problème dans notre canton, toutes ces dernières années et qui a empêché les débordements dramatiques constatés ailleurs. La politique genevoise a fait ses preuves, elle est jugée satisfaisante, même si on n'a pas encore répondu à tous les besoins. Le climat qui a régné au cours de nos travaux est resté serein, les interventions mesurées et constructives et à aucun moment on n'a versé dans une polémique stérile.

Certains estiment qu'un effort plus important doit être porté sur l'information et la prévention à tous les niveaux. Et ce dès la petite enfance, où des cas de maltraitance peuvent déboucher plus tard sur la toxicomanie. On insiste sur la nécessité de renforcer les activités scolaires d'information et de prévention. On cite l'envergure des campagnes nationales sur le sida pour s'étonner qu'on n'en fasse pas autant pour la toxicomanie. Et pourquoi parle-t-on si peu des familles? On souligne leur rôle de partenaires dans cette lutte, ainsi que l'importance de l'information plus systématique qu'elles doivent recevoir, quelles que soient leur origine et leur langue.

D'autres, au contraire, pensent que les causes de la toxicomanie sont si diverses et parfois inconnues, qu'il faut relativiser l'efficacité de la prévention. Sauf, peut-être, en ce qui concerne le lien - souligné par la Doctoresse Mino - entre le contexte social dans lequel vivent certains jeunes et leur propension à s'adonner à la toxicomanie.

L'importance d'une politique libérale en matière de drogue est soulignée à plusieurs reprises par des députés.

Ne devrions-nous pas aussi faire oeuvre de pionnier dans le domaine de la réinsertion sociale et professionnelle des personnes toxicomanes, même si la conjoncture économique et le chômage rendent cette tâche extrêmement difficile. Le rapport de la commission mixte fait plusieurs propositions à ce sujet.

La possibilité de profiter d'une détention pour traiter une personne toxicomane délinquante est abordée. Or, il peut être très dangereux de lui imposer un sevrage brusque, ayant pour conséquence des risques d'overdose ou de suicide à sa sortie. En revanche, les traitements de substitution à la méthadone sont une pratique acceptable et fréquente. Par ailleurs, une structure telle que le TRAM - qui fonctionne sur le même schéma thérapeutique que le TOULOURENC - offre la possibilité à la personne toxicomane qui le souhaite d'y purger sa peine tout en s'engageant dans un processus de désintoxication. Il existe aussi le centre de sociothérapie La Pâquerette qui peut prendre la relève. Dans tous les cas, on doit profiter d'une période de détention pour dispenser une éducation à la santé.

Autre préoccupation: le problème des parents toxicomanes et des séparations douloureuses d'avec leurs enfants qui peuvent en résulter. Des aides et des espaces spécifiques doivent leur être réservés. Il en va de même pour les parents d'enfants toxicomanes qui ont besoin d'être soutenus et conseillés.

Quant à la formation des médecins privés à la prise en charge des personnes toxicomanes, elle s'impose. Aujourd'hui, seuls environ une soixantaine de praticiens sur 950 cabinets médicaux s'y consacrent. Mais il faudrait leur adjoindre une aide pour les problèmes sociaux et trouver une solution au problème financier, à savoir le règlement de leurs honoraires. Le nombre de patients toxicomanes par médecin ne devrait pas être supérieur à 6 ou 8.

On insiste encore sur le fait que, dans l'hypothèse où l'on admet que les personnes toxicomanes sont des patients qui souffrent, on en soit réduit à leur refuser ou à reporter les thérapies appropriées, faute de moyens.

Le rapport RD 227 n'aborde pas le volet, beaucoup plus vaste, de la production de la drogue, liée aux rapports macro-économiques «Nord-Sud». Notre commission ne l'a pas traité non plus. Rappelons cependant l'inscription dans notre législation d'une nouvelle attribution des montants saisis dans la lutte contre le trafic de drogue et dont une partie doit être utilisée au profit d'organisations non-gouvernementales oeuvrant dans le cadre de la coopération au développement du tiers-monde.

Au cours de nos travaux, M. Rodrik a relevé une série de points concernant des demandes exprimées dans le RD 227 et reprises par les personnes auditionnées, ainsi que par des députés et qui pourraient faire l'objet d'une motion. Certains semblent consensuels.

· Apporter notre appui politique et matériel au DIP afin qu'il intensifie ses activités d'information et de prévention.

· Développer les possibilités de sevrage résidentielles et ambulatoires.

· Former les médecins privés à la prise en charge de patients toxicomanes.

· Promouvoir la réinsertion socioprofessionnelle des personnes toxico-dépendantes.

· Créer des lieux d'hébergement et des logements pour les personnes concernées.

· Structurer l'aide aux familles concernées.

Trois autres points semblent plus délicats et nécessitent une réflexion plus poussée.

· Création d'un lieu d'accueil fixe ou demi-fixe, avec ou sans local d'injection. Ce projet a fait l'objet d'un rapport de la commission mixte, rendu en juin 1994.

· Mise à disposition de seringues propres en milieu carcéral et hospitalier (quartier cellulaire).

· Participation du canton aux programmes de distribution d'héroïne sous contrôle médical.

Dans tous les cas, de nouveaux développements impliqueront des moyens supplémentaires. A ce propos, il est intéressant de signaler que l'office fédéral de la statistique à Berne a procédé à une estimation du coût de la répression, liée à la consommation et au trafic de drogue pour 1991. D'après cette étude, ce coût serait d'environ 540 millions. Or, la politique de répression n'a pas donné les résultats escomptés et l'on peut se poser la question de savoir si une partie de ces moyens ne devrait pas plutôt être affectée à la prévention, par exemple.

Le local d'accueil fixe n'est pas souhaité par le Conseil d'Etat. D'une part à cause du risque de voir se développer une concentration de personnes autour de ce lieu, ce qu'il faut absolument éviter. D'autre part, le Conseil d'Etat ne voit pas très bien à quelle population il s'adresserait. Quant aux besoins (accueil 24 h sur 24, repos, premiers soins, hygiène corporelle, nettoyage des effets personnels, distribution de seringues, etc.), ils ne nécessitent pas forcément la création d'une nouvelle structure. Surtout si l'on décide de renoncer au local d'injection. Et enfin, le coût de fonctionnement du projet, estimé à environ 1 million de francs/an, devrait faire l'objet d'un projet de loi, ce qui risquerait de susciter une réaction négative dans l'opinion publique. Le Conseil d'Etat serait plutôt favorable à une extension des activités du BIPS (élargissement des horaires, utilisation d'un autre grand bus semi-fixe ou d'un conteneur, par exemple).

A propos du local d'injection (fixe ou pas), il apparaît au cours de la discussion que sa création n'est pas souhaitable, en tout cas dans les circonstances actuelles, et cela dans le souci de préserver l'équilibre consensuel entre les différents intervenants genevois de la lutte contre la toxicomanie. Même si un certain nombre de jeunes toxicomanes consomment dans les toilettes publiques et les allées d'immeubles, il apparaît, d'après la police, que l'usager consomme moins souvent «sur place» à Genève qu'ailleurs. M. Rodrik rappelle en outre, que les «Fixerstübli» suisse-allemands, dont plusieurs ont fermé, ont connu des carrières chaotiques.

La mise à disposition de seringues propres en milieu carcéral et hospitalier est mieux accueillie. A ce sujet, il faut préciser que si rien n'est autorisé formellement, rien n'est interdit non plus. Des directives claires, émanant de l'autorité sanitaire compétente, rendraient cohérentes les mesures prises à l'extérieur comme à l'intérieur des établissements concernés. Même si des députés ont du mal à concevoir que de la drogue circule en prison, c'est hélas un fait incontestable. Il faut donc là aussi prendre les mesures de prévention des maladies transmissibles par l'échange de seringues. Tout en étant conscient que cela implique une préparation du personnel encadrant les détenus.

La participation aux programmes fédéraux de distribution d'héroïne sous contrôle médical (voir annexe IV) est sans doute la question qui suscite le plus de réticence chez certains. Le Conseil d'Etat souhaite cependant recevoir une réponse claire du Grand Conseil à ce sujet. Pour quelques députés, distribuer de l'héroïne aux personnes dépendantes, représente une forme d'abdication. C'est adopter une attitude fataliste qu'ils ont du mal à suivre. Ils citent des témoignages de toxicomanes, eux-mêmes opposés à ces programmes. Ils craignent aussi une concentration de consommateurs dans la région concernée. Sans parler du problème des relations entre pays appliquant une politique différente à ce sujet.

Pour les autres, il s'agit d'une possibilité intéressante, permettant d'améliorer considérablement la condition physique et sociale des personnes toxicomanes ne pouvant pas encore entrer dans un processus de sevrage et de lutter contre la délinquance liée à la toxicomanie. C'est une intervention dite de «seuil moyen», c'est à dire un traitement de substitution, au même titre que la méthadone et qui viendrait compléter le réseau des activités genevoises en la matière. Les expériences déjà menées ailleurs font état de résultats extrêmement encourageants, particulièrement sur l'état de santé des participants et sur leur réinsertion sociale. Ces traitements de substitution ont un également un effet bénéfique sur le désir des patients de faire un pas de plus et de sortir de leur dépendance. Ils ne s'adressent qu'à un petit groupe de personnes et sont entrepris sur recommandation des médecins, impliqués alors dans l'encadrement et le suivi des patients. Il est précisé qu'il s'agit de programmes expérimentaux, limités dans le temps et faisant l'objet de rapports qui permettront en temps voulu de décider de les poursuivre ou non. Rappelons à ce propos, la décision de l'organe de contrôle des stupéfiants de l'ONU d'autoriser la Suisse à augmenter le nombre des participants à ces essais.

Conclusions

 «Qu'il nous soit permis de rappeler que toutes les sociétés connues de l'histoire ont pratiqué des formes diverses de consommation de stupéfiants et que les chimères à ce sujet sont destructrices.»

 Conseil d'Etat genevois, 13 janvier 1995.  (Extrait de la réponse à la consultation  fédérale sur le contreprojet à l'initiative  «Pour une jeunesse sans drogue».)

Force est de constater aujourd'hui que les tentatives pour enrayer le fléau de la drogue ont échoué. Les mesures préventives et répressives n'ont pas suffi. Un monde sans drogue reste une utopie. Défaitisme? Non, réalisme! Mais un réalisme qui nous oblige à prendre toutes les mesures propres à limiter les dégâts de la toxico-dépendance. Même, si face à une personne toxicomane, le but à poursuivre doit être l'abstinence, gardons à l'esprit que pour y parvenir, elle doit d'abord rester en vie. Le geste qui sauve de la mort (aide à la survie) comme, entre autres, la mise à disposition d'une seringue propre, reste la priorité. «Apprendre à vivre avec» (la drogue), comme l'écrit le président de la commission mixte, «en intégrant de nouveaux modes de comportement propres à une part de la population, à un moment de son existence.»

Telle est la voie dans laquelle le canton de Genève s'est engagé et qu'il doit poursuivre. Ce d'autant plus que les dernières prises de position du Conseil fédéral vont tout à fait dans le même sens, à savoir une politique fondée sur les quatre piliers de la prévention, de l'aide à la survie, de la thérapie et de la répression. L'approche consensuelle des différents intervenants genevois est le gage de la réussite de cette politique, elle doit absolument être préservée. «Ne rouvrons pas la boîte de Pandore!» disait le président Segond. C'est en tout cas ce que nos deux commissions réunies se sont efforcées de faire, avec succès.

Conscients qu'il n'existe pas un seul chemin vers l'abstinence et que personne ne peut aujourd'hui avancer de certitudes à ce propos, nous nous sommes finalement mis d'accord sur une proposition de motion et une proposition de résolution que nous soumettons à votre approbation. Elles reprennent une série de points évoqués dans ce rapport qui leur tient lieu d'exposé des motifs. C'est à l'unanimité moins deux abstentions (lib.) que nous vous recommandons, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir prendre acte du rapport RD 227 et de renvoyer la motion 997 et la résolution 289 au Conseil d'Etat.

Documents à disposition

En plus des quelques annexes à ce rapport que vous trouverez, en pages suivantes, la rapporteuse tient à disposition des députés intéressés, les documents suivants:

- La toxicomanie à Genève, Cahiers de la santé No 5, octobre 1995.

- Education pour la santé - prévention, Service de santé de la jeunesse, DIP, 1993.

- Prévention des toxico-dépendances auprès des jeunes, Service de santé de la jeunesse, DIP, 1994-95.

- BIPS: rapport d'activité 1994, rapport d'évaluation de l'IREC (Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, 1993), dépliant «Pour les personnes qui s'injectent des drogues», activités du Groupe Sida Genève.

- ARGOS: rapport d'activité 1993.

- Rapport sur les problèmes liés à la consommation et au trafic des stupéfiants et sur les solutions envisagées, parlement des jeunes de la Ville de Genève, novembre 1994.

- Prescription médicale de stupéfiants, information donnée aux médias le 24 juin 1994.

- Analyse scientifique de la littérature sur la remise contrôlée d'héroïne ou de morphine. Expertise de la doctoresse Annie Mino, septembre 1990, réimpression 1992.

- Position du Conseil fédéral sur les problèmes liés à la drogue, septembre 1994.

- Politique « drogues » en Suisse: l'amorce d'un débat, «PLÄDOYER», revue juridique et politique, janvier 1995.

- Déclaration du Conseil d'Etat genevois suite à l'évacuation du Letten, février 1995.

- Réponse du conseil d'Etat à la consultation fédérale sur le contre-projet à l'initiative «Pour une jeunesse sans drogue», janvier 1995.

- Le coût de la répression, Domaine public, février 1995.

- Conduite sous l'influence de drogues, Journal ATE, mars 1995.

ANNEXE I page 36

ANNEXE II page 37

ANNEXE III pages 38

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page 43

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ANNEXE IV page 45

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page 49

Débat

Mme Claire Torracinta-Pache (S), rapporteuse. Tout d'abord, j'aimerais apporter quelques corrections.

Premièrement, je suis une rapporteuse et non pas un rapporteur, je vous suis reconnaissante d'en prendre acte !

Deuxièmement, en page 3 du rapport, au point numéro 1 : «une approche convergente et intégrée» correspond à la lettre a), «sur 3 axes classiques», à la lettre b) et, au point numéro 2, «deux postulats» correspond à la lettre a). Il apparaît que des personnes extérieures au Grand Conseil modifient, je ne sais dans quelle intention, les disquettes que nous rendons. En tous cas, ces deux erreurs ne me sont pas imputables !

En revanche, en page 33, concernant les invites de notre motion, les points 4 et 5 manquaient dans le rapport qui vous a été remis. Ils vous ont été remis en complément, lors de notre dernière séance. Par prudence, Madame la présidente, lorsque nous en arriverons à la motion, nous les relirons, au cas où certains députés auraient égaré ce complément d'information. Dans ce cas, il s'agit d'une affaire personnelle entre mon ordinateur et moi, et je vous prie de m'en excuser !

Je voudrais maintenant vous dire la satisfaction que m'a procuré le travail en commission sur ce rapport de la commission mixte en matière de toxicomanie. Ce fut un travail constructif, non polémique. Chacun a abordé ce problème avec sérieux et a manifesté son souci de tout mettre en oeuvre pour enrayer le fléau de la toxicomanie ou, tout au moins, en limiter les dégâts.

M. Albert Rodrik, qui nous a fidèlement assistés dans nos travaux - qu'il en soit ici remercié - a déclaré qu'il s'agissait d'un travail exemplaire, qui faisait honneur au parlement genevois; je partage son avis.

En fait, je crois que le climat qui a présidé à nos travaux est le reflet et la conséquence de la politique consensuelle menée depuis des années dans notre canton en matière de toxicomanie. Cette politique n'a d'ailleurs pas été remise en cause par les différents chefs des départements concernés qui se sont succédé. Pour sa part la commission mixte, qui réunit tous les partenaires publics et privés, a permis la mise en place d'une politique cohérente et pragmatique, qui a su s'adapter à l'évolution des besoins, nous évitant ainsi les affrontements stériles et les débordements dramatiques constatés ailleurs.

Sur le front de la drogue, la situation genevoise est relativement sereine par rapport à celle d'autres cantons, pour autant que l'on puisse parler de sérénité au sujet de la toxicomanie. Elle suscite, d'ailleurs, un certain étonnement mêlé d'admiration chez certains de nos Confédérés. J'en veux pour preuve les nombreuses questions qui m'ont été posées par des journalistes d'autres cantons, à la suite de la publication de ce rapport.

J'ai pu également constater une certaine méconnaissance des différents aspects de notre politique dans ce domaine. On n'en connaît souvent que l'aspect répressif alors que, depuis plusieurs années, on met aussi l'accent sur la réduction des risques.

Cette politique est fondée sur trois piliers : la prévention, la prise en charge thérapeutique et la répression. La prise en charge se fonde, quant à elle, sur un principe très simple : répondre aux besoins de la personne toxicomane, quel que soit le seuil de sa trajectoire individuelle, d'où l'expression d'une prise en charge dite «des trois seuils».

La commission des affaires sociales et celle de la santé ont jugé que cette manière d'appréhender le problème était judicieuse et qu'il fallait continuer dans cette voie, également préconisée par le Conseil fédéral. En revanche, au cours de leurs travaux et des auditions, elles ont estimé qu'il n'était pas encore répondu à tous les besoins et que de nouveaux développements étaient souhaitables.

Je résumerai notre position de la manière suivante : à la question du Conseil d'Etat qui nous demande notre avis sur la politique menée à Genève en matière de toxicomanie, nous répondons : «Nous sommes d'accord, c'est la bonne voie, mais on peut encore faire mieux !», d'où l'idée d'une motion et d'une résolution, accompagnant notre rapport et exprimant nos souhaits.

En effet, les diverses invites de la motion touchent à l'ensemble des mesures visant à combattre les méfaits de la toxicomanie, qu'il s'agisse d'intensifier les activités de prévention, de compléter la formation des médecins, de mieux soutenir les familles concernées, d'augmenter les possibilités de sevrage ou de donner de nouveaux moyens à la police.

En ce qui concerne les mesures de prise en charge, nous demandons qu'on en développe les trois seuils :

- Seuil haut : augmentation des possibilités de sevrage;

- Seuil moyen : accroissement des traitements de substitution à la méthadone, comme c'est le cas à Genève depuis des années, et à l'héroïne, comme nous l'offre aujourd'hui la Confédération, à titre expérimental;

- Seuil bas : développement de l'aide à la survie par l'élargissement des capacités d'accueil des personnes toxicomanes les plus touchées, sans condition, ainsi que l'accès à des seringues propres pour tous les toxicomanes, y compris pour les détenus.

En ce qui concerne la participation aux programmes expérimentaux de distribution contrôlée d'héroïne - invite qui a le plus fait parler d'elle, ce qui est bien naturel, j'aimerais insister sur quelques points. Il n'y a eu aucune pression de la part des médecins ou des personnes auditionnées. Nous avons simplement considéré qu'il s'agissait d'une nouvelle prestation venant compléter la prise en charge de seuil moyen : un traitement de substitution comme la méthadone.

Les spécialistes nous ont expliqué que ces traitements permettraient de répondre aux besoins spécifiques de certaines personnes toxicomanes de notre canton. En aucun cas, il ne faut imaginer que, dorénavant, l'héroïne serait distribuée tous azimuts à Genève. Il s'agit bien, et je le répète, d'un traitement, s'adressant à un certain groupe de personnes, présentant des besoins spécifiques, qui se déroule dans un encadrement médical et social adéquat.

Les expériences déjà menées ailleurs nous ont convaincus que ces traitements amènent rapidement une amélioration de la situation sanitaire et sociale des personnes concernées et qu'elles expriment alors souvent, dans un deuxième temps, leur souhait de sortir de la dépendance. C'est pourquoi nous avons estimé qu'il serait judicieux que cette nouvelle prestation vienne compléter l'ensemble des mesures de prise en charge existant dans notre canton, tout en étant conscients qu'il s'agissait de programmes expérimentaux qui pourraient être reconduits ou non au vu du rapport final.

Je sais que tous les membres de notre parlement ne partagent pas cette conviction et je respecte leur position. Mais il s'est trouvé tout de même des députés de tous les partis pour rédiger la motion et la résolution telles qu'elles vous sont présentées aujourd'hui, et je m'en félicite.

J'espère donc qu'elles emporteront l'adhésion d'une large majorité de notre Grand Conseil. Et, surtout, je vous engage tous à veiller à ce que le débat qui va suivre se déroule dans la même atmosphère qu'en commission, afin d'entretenir l'image positive donnée par Genève dans ce domaine.

Mesdames et Messieurs les députés, personne aujourd'hui ne peut prétendre avoir la solution à l'interrogation terrible que nous pose la toxicomanie. Il nous faut donc diversifier au maximum le type de nos interventions, cela sur tous les fronts, et se rappeler toujours que pour permettre à une personne toxicomane d'accéder à un traitement, puis à un sevrage, sevrage qui reste le but suprême, il faut d'abord qu'elle soit maintenue en vie !

Mme Danielle Oppliger (AdG). J'ai pris connaissance, avec un très grand intérêt, des documents entourant la motion qui nous est soumise. Son titre est long, je ne le rappellerai donc pas. Néanmoins, il s'agit, comme cela nous est expliqué, d'un rapport sur un rapport ! Ce qui frappe, à sa lecture, c'est le sentiment de satisfaction qui en émane, alors que les personnes concernées par les problèmes de toxicomanie ont le sentiment que rien d'utile ne se fait.

Le Dr Eichenberger, président de la Commission mixte en matière de toxicomanie, souligne «la continuité de la politique en matière de toxicomanie menée ces quinze dernières années», alors que la population ne demande pas une continuité, mais une innovation. Il parle également des «approches convergentes des partenaires concernés, publics et privés, réunis dans une même structure». Tout cela paraît organisé et sécurisant, alors que la réalité tâtonne «à la petite semaine» et que l'on se contente de ramasser les cadavres : plusieurs milliers en une quinzaine d'années de tâtonnements des services publics et privés, de morts brutales, lentes et discrètes, trop souvent même pas attribuables à ce phénomène. C'est cette tragique réalité qui inquiète l'infirmière que je suis.

Il est également sécurisant d'écrire qu'un millier de toxicomanes suivent un traitement à la méthadone. Le vocable «traitement» n'est pas convenable. Il est mystificateur : la méthadone n'est pas traitante, puisqu'elle engendre une autre dépendance : elle ne soigne pas et n'est en aucun cas un remède au problème de l'héroïnomanie ! La méthadone est un stupéfiant. On veut en faire un produit de remplacement, parce qu'elle peut être absorbée dans une boisson. Ce stupéfiant est peut-être pire que celui qu'il est censé remplacer : l'héroïne, dont le nom seul fait frémir, il est vrai. Pourtant, s'il faut cinq jours pour un sevrage physique de l'héroïne, il faudra quatre à cinq fois plus de temps pour s'arracher physiquement de l'accoutumance à la méthadone, cette héroïne de synthèse, dont la formule chimique est si proche de l'héroïne originale.

En outre, voici plus d'une quinzaine d'années que des «essais» ont lieu à Genève avec la méthadone, après au moins une dizaine d'années d'essais aux Etats-Unis. Quels en sont les résultats après plus d'un quart de siècle d'essais sur les humains ? Il convient de constater, enfin, l'échec des essais à la méthadone, puisqu'ils n'ont pas fait leur preuve. N'est-il pas temps de conclure que ces essais n'ont que trop duré ?

Les réponses aux commissaires - reproduites dans les documents que vous avez sous les yeux - témoignent du problème que je tiens à soulever ici, puisqu'il y est écrit : «Il est difficile d'évaluer le nombre de guérisons» surtout si ce mot signifie «la disparition de toute dépendance». On ne connaît donc pas ces effets ! L'utilisation de ce produit n'est donc pas pertinente !

De même, j'ai frémi en lisant que, selon le Dr Eichenberger, cité par le rapport, un groupe de médecins pratiquerait ces essais à la méthadone. C'est rassurant en vérité ! Essais ou traitement ? Ces deux mots sont trompeurs officieusement et officiellement. A Genève, pendant des années, on a vu ces «traitements» ou «essais», associés aux dangereuses benzodiazépines : du Rohypnol en l'occurrence, sur des dizaines de jeunes gens !

La doctoresse Mino insiste - très prudemment - sur le fait que la méthadone serait une thérapie lourde et qu'un praticien, par conséquent, ne pourrait pas suivre plus d'une dizaine de patients. Or, peut-on nous assurer que cette limite sera enfin respectée par les spécialistes ou, dans la réalité, la distribution sans accompagnement thérapeutique véritable sera-t-elle encore admise ?

Pour conclure, en ce qui concerne la motion 997, je l'approuve en tout point. Néanmoins, je souhaite sérieusement qu'une correction soit apportée à la lettre d), prévoyant l'accroissement des possibilités de prise en charge à la méthadone.

Je vous recommande donc, Mesdames et Messieurs les députés, son adoption, tout en attirant votre attention sur le fait qu'il s'agit, d'ores et déjà, de régler le problème de la méthadone.

Il faut pourtant regarder les choses en face. Un sevrage ayant de bonnes chances de succès est difficilement concevable sans produit. Alors, soyons honnêtes et acceptons le sevrage à l'héroïne ! Celle-ci ne doit pas être distribuée, mais injectée par des soignants, dans une structure d'accueil ou carcérale adéquate, pour effectuer un véritable sevrage dans un temps raisonnablement limité et non pas «ad aeternam», comme c'est le cas avec la méthadone.

Mme Barbara Polla (L). La drogue est un sujet de préoccupation pour le parti libéral comme pour les autres partis. D'ailleurs, nous avons activement participé, en commission, à l'élaboration de la motion 997.

Cependant, deux points nous préoccupent. A cet égard, nous nous devons d'exprimer une opinion qui est en désaccord avec le consensus dont parlait Mme Claire Torracinta-Pache. Néanmoins, il est évident que même si ces opinions divergentes sont très affirmées, elles seront développées avec le respect auquel faisait allusion la rapporteuse.

J'aimerais développer le premier de ces deux points, pour lequel nous vous proposons un amendement. Il s'agit de la participation aux programmes fédéraux de distribution d'héroïne. Nous vous proposons, dans notre amendement, de retirer le point h) de la motion 997 et ceci pour plusieurs raisons.

En premier lieu, si de tels programmes sont actuellement en cours, leurs résultats ne sont, pour l'instant, pas connus à moyen et à long terme et ne le sont que partiellement à court terme. Or, la possibilité que de tels programmes aient, en fin de compte, des effets négatifs ne peut, aujourd'hui, être exclue. Selon le principe du «primum non nocere», nous estimons qu'il n'est, actuellement, pas raisonnable de nous proposer de participer à de tels programmes expérimentaux.

Nous ne sommes pas sans ignorer et nous apprécions à sa juste valeur le fait que certains des instigateurs de ces programmes estiment qu'ils sont susceptibles d'apporter, aux toxicomanes les plus gravement atteints, une aide, une possibilité d'insertion, qu'aucun autre programme médical ne semble pouvoir leur apporter à l'heure actuelle. Cependant, en l'absence de certitude quant à l'utilité de la distribution de drogue, même uniquement à ces toxicomanes, et quant à l'innocuité de tels programmes pour les autres, nous pensons que la raison veut que nous attendions, pour le moins, les résultats des études en cours.

Il est une seconde raison qui nous amène à vous proposer de retirer le point h) de la motion. En effet, il faut bien reconnaître que ce n'est pas seulement au niveau romand que l'adhésion de Genève aux programmes fédéraux pose problème, mais également au niveau européen où le programme est extrêmement critiqué.

Jean-Claude Knutti, cité par le «Nouveau Quotidien» de ce jour, dit que «rien ne prouve que les expériences en cours résolvent un problème, qu'on ne sait même pas s'il y a une réelle demande». Or nous ne pouvons certainement pas balayer d'un revers de main les craintes des pays avoisinants. Surtout que, par ailleurs, nous sommes tous parfaitement conscients que les problèmes de la drogue ne peuvent pas être réglés au niveau strictement national, mais qu'ils doivent, pour le moins, être abordés, justement, à ce niveau européen.

N'oublions pas que le ministre français de la santé a interdit la livraison de la dernière tranche de la commande de cent seize kilos d'héroïne - à 6 000 F suisses le kilo - passée en 1993 auprès de Francopia, filiale de Sanofi. Il a également, définitivement, interdit la fabrication de cette drogue par Francopia. Depuis, la Suisse s'est adressée à un autre fournisseur. Néanmoins, ces réactions ne peuvent être ignorées, alors que nous souhaitons tous une politique européenne en la matière, comme en d'autres d'ailleurs.

Parmi les très nombreuses réactions au programme fédéral de distribution de drogue, je ne citerai que Gabriel Nahas, président de l'Alliance nationale française contre la toxicomanie, qui se pose la question de savoir «Comment empêcher le modèle helvétique de se propager au reste de l'Europe ?».

Le troisième argument que nous avançons concerne, en termes d'exemplarité, le «modèle genevois», qui est fixé, selon les termes de M. Guy-Olivier Segond, repris dans le rapport de Mme Torracinta-Pache, autour des trois axes suivants : la prévention, la prise en charge thérapeutique et la répression.

Sans vouloir donner dans l'autosatisfaction, je crois, néanmoins, que nous serons tous d'accord pour retenir que cette approche genevoise donne, globalement, davantage satisfaction que d'autres modèles prônés, et désormais abandonnés, par certains cantons suisses.

En termes de développement de la politique genevoise en matière de toxicomanie, l'une des priorités reste, certes, de parvenir à ce que les toxicomanes s'en sortent. A cet égard, les programmes de méthadone, compte tenu du suivi qui leur est associé, ont non seulement une efficacité reconnue mais sont, également, infiniment plus didactiques qu'une distribution de la drogue elle-même. En effet, cette distribution, même limitée à certains cas, pose inévitablement la question de la banalisation d'une pratique potentiellement mortelle et le plus souvent asociale.

Finalement, il est un quatrième argument purement pragmatique mais néanmoins essentiel. En effet, dans la mesure où le Conseil fédéral a, actuellement, décidé de ne pas augmenter le nombre de cas à inclure dans ce programme, celui-ci se trouve complet et il n'est donc d'aucune utilité que nous nous proposions d'y participer.

Pour ces différentes raisons, je vous exhorte donc, Mesdames et Messieurs les députés, à choisir la prudence et à attendre, pour le moins, les résultats des expériences en cours, avant de proposer une extension des programmes fédéraux, ainsi qu'à accepter notre amendement, à savoir la suppression du point h) de la motion.

Cette proposition ne découle pas d'une méconnaissance des problèmes liés à la drogue. Au contraire, elle témoigne de notre souci de ne faire encourir à personne les risques d'une politique non établie, tant à un niveau de santé publique, que de politique internationale.

M. Philippe Schaller (PDC). En préambule, j'aimerais remercier le Dr Gérard Eichenberger, président de la commission mixte, pour la sensibilité, les convictions et l'engagement dont il a fait preuve à travers ce mandat. J'aimerais également remercier la rapporteuse Mme Claire Torracinta-Pache pour l'excellence de son rapport.

Au sein de ce parlement, les projets et les idées rencontrant un consensus et une large adhésion sont rares même si, comme dans le cas de Mme Polla, certains avis divergent.

Aujourd'hui, nous sommes en droit d'être satisfaits du travail mené conjointement par la commission mixte, par le Conseil d'Etat et par la commission sociale de ce Grand Conseil.

En effet, en matière de toxicomanie, Genève a su allier la prévention individuelle et collective, ainsi que la prévention médicale et sociale. De surcroît, Genève a su dépasser les structures rigides, les élargir et les rendre multidisciplinaires. L'Etat a su assurer la coordination et l'intégration entre les différents types d'actions : préventives, curatives et éducatives. Ce travail, Mesdames et Messieurs les députés, est exemplaire et remarquable !

Mais la véritable prévention en matière de toxicomanie doit se faire sur le plan social, car c'est là où résident les risques majeurs. En effet, la toxicomanie ne résulte pas du hasard ou de la malchance, mais des conditions de vie sociale ou familiale.

Aussi, la responsabilité en matière de prévention incombe à l'Etat. A Genève, l'Etat s'est engagé et responsabilisé. De surcroît, il a incité les domaines publics et privés à entreprendre des actions collectives. De même, il a donné l'impulsion et les moyens de stabiliser les réseaux, d'augmenter le professionnalisme et l'efficacité des structures, ainsi que de coordonner les actions. En fait, les propositions émanant des deux motions tentent, simplement, de poursuivre l'action menée.

C'est pourquoi la distribution d'héroïne sous contrôle s'inscrit largement dans la ligne politique menée. Comme mentionné par Mme Claire Torracinta-Pache, elle ne constitue pas «la» solution, mais seulement une solution parmi d'autres. Par ailleurs, pour certains toxicomanes, il s'agit bien d'une voie, même si elle est étroite !

A ce propos, si les professionnels avaient adopté une attitude dogmatique - lors des débats relatifs à la prise en charge par un traitement basé sur la méthadone - aucun patient ne serait traité à l'aide de ce produit. Or, aujourd'hui, pour les raisons que nous connaissons, nous nous félicitons des résultats !

Bien entendu, nous devrons évaluer ce type de prise en charge, afin de déterminer l'utilité de cette approche thérapeutique. A mon sens, il ne s'agit pas de faire preuve de laxisme et de prôner la libéralisation, mais simplement d'être ouvert à un processus évolutif de recherche.

En conclusion, le groupe démocrate-chrétien propose le renvoi de ces deux motions non amendées au Conseil d'Etat.

M. Roger Beer (R). A mon tour, je me joins aux félicitations de M. Schaller concernant l'excellence du rapport de Mme Claire Torracinta-Pache. Ce rapport reflète fidèlement la haute tenue des travaux, menés conjointement par la commission de la santé et la commission des affaires sociales, cette dernière étant, seule, chargée du rapport. De même, une trentaine de députés ont voté, suivi ces travaux, procédé à de nombreuses auditions et débattu très sereinement, malgré la complexité du problème.

En effet, au sein de la commission, un travail consensuel - émanant d'une partie, puis de l'ensemble des députés - a conduit à l'élaboration de cette motion et de cette résolution. Ce consensus reflète l'effort politique mené afin d'entériner la politique générale du Conseil d'Etat.

En outre, les trois axes, cités par Mme Torracinta-Pache, concernant trois départements importants du Conseil d'Etat, démontrent qu'il lui appartient de prendre en considération la politique en matière de prévention de la toxicomanie.

Le groupe radical soutient cette motion et ne souhaite pas son amendement. Néanmoins, je tiens à souligner que la lettre h) de la motion a suscité quelques discussions. En effet, a priori, il semble difficile d'accepter la distribution d'héroïne. Cependant, nous sommes confiants dans le fait que ce programme expérimental est entrepris dans le cadre de la législation fédérale, sous la responsabilité de nombreux médecins et autorités scientifiques.

Au sein de cette commission que j'ai présidée, l'une des principales difficultés a été notre tendance à débattre de l'aspect médical, comme c'est le cas dans certaines interventions aujourd'hui. Or, malgré l'importance de ce point, il n'apporte aucune solution, les avis scientifiques étant très partagés. En définitive, ce rapport appuie la politique du Conseil d'Etat, et tente de donner une réponse politique et non pas scientifique au problème de la toxicomanie.

Enfin, je réitère mon soutien et mes félicitations à Mme Torracinta-Pache au nom du groupe radical et souligne qu'au sein de la commission les conclusions de ce rapport non amendé ont été acceptées à l'unanimité, moins deux abstentions.

Je vous remercie d'accepter le rapport et de renvoyer la motion et la résolution au Conseil d'Etat.

Mme Gabrielle Maulini-Dreyfus (Ve). Le consensus politique, à quelques nuances près, sur la politique à mener en matière de toxicomanie nous honore les uns et les autres. En effet, l'exploitation des différences de sensibilité en la matière ne pourrait que nuire aux personnes toxicomanes et à l'ensemble de notre société.

Etant donné la qualité du rapport de la commission mixte en matière de toxicomanie, la haute tenue des travaux en commission et l'excellence du rapport de Mme Torracinta-Pache, nous respectons, également, la position minoritaire de l'un ou l'autre des commissaires libéraux.

Par ailleurs, sans reprendre le descriptif de la politique genevoise en matière de toxicomanie, je rappelle les positions du groupe des «Verts», ainsi que du parti écologique au niveau national, concernant le seul motif de tension existante : les recommandations adressées au Conseil d'Etat par la commission.

A ce propos, l'inefficacité de la politique stricte de répression en matière de toxicomanie, l'aggravation de la situation sanitaire et sociale des personnes toxicomanes qui en résulte, le sida et l'impossibilité de faire supprimer la toxicomanie ont conduit à prendre en compte les personnes toxicomanes telles qu'elles sont. Même si l'abstinence reste le but ultime, une nouvelle politique se développe et leur accorde le droit à une assistance, dans le but de sauvegarder leur santé et leur intégrité psychosociale.

Par ailleurs, les professionnels de la santé sont concernés par la tension politique qui régnait à ce sujet. En effet, il ont dû, également, renoncer à une société utopique sans drogue et tenir compte des individus mettant en échec les tentatives d'établir un ordre social et sanitaire «tout-puissant». A Genève, l'acceptation, sans condition de désintoxication, ainsi que l'aide «de seuil bas», ont permis la diminution du nombre de personnes toxicomanes séropositives, mais également l'instauration d'un climat social moins conflictuel que dans d'autres régions.

De surcroît, l'aide destinée à la survie des personnes toxicomanes n'a pas incité au laxisme, puisque nous avons constaté l'augmentation des demandes de traitements de désintoxication. Ce dernier point est primordial, en période d'expérimentation de la distribution d'héroïne sous contrôle médical, sur le plan national. Cette proposition s'inscrit, donc, dans la continuité, quant à notre volonté d'éviter aux personnes toxicomanes les risques de marginalisation, de précarisation de leurs conditions de vie et, également, le risque vital.

Il est évident que nous ne sommes pas en mesure de choisir qu'une personne se drogue ou non. Mais, dans l'hypothèse contraire, grâce à cette proposition, les personnes toxicomanes avérées - ayant déjà échoué dans diverses tentatives de désintoxication - pourraient, ainsi, s'efforcer de vaincre leurs difficultés sanitaires et sociales.

En effet, tout en donnant la priorité à la prévention et aux traitements, la politique en matière de toxicomanie a pour but d'empêcher que les personnes les plus précarisées soient abandonnées à leur sort. De surcroît - et cela a été peu relevé - son but est, également, de leur éviter, entraînées par leur dépendance à la drogue, de propager ces produits sur le marché à seule fin d'assurer leur consommation personnelle avec le bénéfice réalisé. Au vu des difficultés à surmonter sur le plan de la lutte contre le grand trafic, cet aspect est important.

Enfin, notons que les traitements de substitution et de désintoxication se révèlent, non seulement plus appropriés au problème de la toxicomanie - tel qu'il est unanimement reconnu maintenant - mais également moins coûteux socialement et financièrement.

Aussi, la dépénalisation de la consommation de drogue - comprenant la détention pour de petites quantités de drogue destinées uniquement à la consommation propre - devrait avoir lieu. En effet, dans ce domaine en particulier, l'incarcération n'atteint pas son double objectif de punition et de réinsertion. Il est certain, Mesdames et Messieurs les députés, qu'il ne s'agit pas de renoncer au contrôle social et politique des choix effectués, au sein de ce parlement, pour une période de quatre ans !

Le groupe des «Verts» souscrit à toutes les conclusions et recommandations de la motion et de la résolution de la commission des affaires sociales. Il remercie les trois départements concernés pour leur collaboration et, plus encore, les professionnels et les personnes auditionnées par la commission, qui ont su convaincre par leur grande intelligence et leur évidente probité.

M. Pierre-Alain Champod (S). Comme plusieurs des préopinants, je relèverai l'excellence du rapport du Dr Eichenberger et de celui de Mme Torracinta-Pache, ainsi que la qualité des travaux de la commission - effectués dans une ambiance extrêmement satisfaisante - contrastant avec celle dont nous avons dû nous plaindre ces derniers mois, au sein d'autres commissions.

En effet, sur un sujet aussi délicat, il convient d'adopter une attitude modeste et d'admettre que personne ne détient «la» solution. Par ailleurs, il ne s'agit pas d'une question entièrement nouvelle et, par conséquent, des éléments de réponse existent déjà.

Face au problème de la toxicomanie, si je devais résumer la position du parti socialiste en un slogan, je dirais : «Il s'agit de faire la guerre à la drogue, mais pas aux drogués !».

Il est évident, lors de l'analyse et de la définition d'une politique en matière de toxicomanie, que l'on doit prendre en considération l'aspect économique, répressif et social. Ce dernier inclut la prévention et les traitements.

Ce rapport, ainsi que la résolution et la motion en question, traitent essentiellement de l'aspect social et répressif.

Sur le plan économique, les critères pris en compte concernent les producteurs, les conditions du trafic, les revendeurs, ainsi que l'influence du marché de la drogue sur le système économique. Dans ce contexte, la lutte contre le blanchiment de l'argent de la drogue est essentielle pour diminuer la quantité des substances présentes sur le marché.

Par ailleurs, il y a quelques mois, notre Conseil a voté une loi permettant d'allouer une partie de l'argent saisi aux trafiquants au financement de certains projets permettant, notamment, de soutenir les toxicomanes de notre région et d'aider les paysans des pays, dont les matières premières sont à l'origine de la fabrication des drogues, à cultiver d'autres produits.

D'autre part, comme mentionné par la doctoresse Mino au cours de son audition : « La toxicomanie fleurit de préférence sur la précarité, la misère et les problèmes sociaux.». Par conséquent, la prévention passe par un meilleur partage des richesses, par la lutte contre le chômage et par l'établissement de mesures favorisant l'insertion et la réinsertion sociale.

Comme je l'ai dit, ce rapport traite avant tout de l'aspect médico-social de la toxicomanie. A cet égard, depuis de nombreuses années, les autorités genevoises ont agi avec intelligence et pragmatisme. J'en veux pour preuve la création de la commission mixte. En effet, elle permet à des personnes provenant de milieux très divers - des travailleurs sociaux, des médecins et des policiers - de se réunir autour d'une même table et d'y exprimer leurs valeurs, leurs pratiques et leur déontologie. Cette collaboration a permis d'éviter de nombreux problèmes rencontrés dans d'autres cantons. Maintenant... (Rires. L'orateur est interrompu.)

La présidente. Monsieur Nissim, s'il vous plaît ! Retournez à votre place ! Excusez-moi, Monsieur Champod, vous pouvez poursuivre.

M. Pierre-Alain Champod. Pour l'essentiel, la motion élaborée par la commission s'inscrit dans la ligne de la politique en matière de toxicomanie établie au niveau de la Confédération. Cependant, elle introduit quelques nouveautés et invite, également, le Conseil d'Etat à renforcer certains domaines.

En effet, la motion propose, notamment, d'augmenter le nombre de places au sein de programmes de sevrage sans médicaments, ainsi que d'élargir les possibilités de participer à des traitements à base de méthadone. A l'évidence, il est inadmissible qu'une personne toxicomane, manifestant la volonté de se désintoxiquer, doive patienter durant six mois, avant de trouver une place disponible pour une cure !

Par ailleurs, la commission demande aux autorités de faire des efforts supplémentaires concernant l'aide aux parents d'enfants toxicomanes. Dans ce secteur, la cessation d'activités de l'AGADEF et, tout particulièrement, de Mme Attarian, laisse Genève dans une situation difficile. En effet, même si ARGOS a pris le relais, elle ne dispose pas de moyens suffisants pour répondre aux besoins. Or, il est indispensable que toute personne confrontée à la terrible réalité d'un enfant qui se drogue puisse trouver, rapidement, un lieu d'accueil et de conseil.

A ce propos, j'insiste sur la nécessité de déculpabiliser les parents, car ils ne sont pas responsables de la toxicomanie de leurs enfants ! Malheureusement - pour augmenter leur clientèle - les dealers abusent des périodes de détresse passagère, si fréquentes durant l'adolescence. Dans ces moments difficiles, ils entraînent les adolescents à consommer ces produits, engendrant souvent la dépendance !

Sur un autre plan, la motion innove sur un point dont nous avons déjà largement débattu. Il concerne la distribution d'héroïne par des médecins, dans le cadre des expériences ayant cours en Suisse.

En effet, il est nécessaire de disposer de moyens de traitements diversifiés, afin de s'adapter aux différentes personnalités des personnes toxicomanes. Par ailleurs, cela existe déjà, notamment dans le domaine semblable de l'alcoolisme.

A ce sujet, les remarque de Mme Oppliger à propos de la méthadone m'ont surpris. En effet, il me semblait que le débat sur ce thème était clos et que chacun avait admis, désormais, que cette substance était adéquate pour certaines personnes toxicomanes.

C'est pourquoi la proposition de ce jour, de distribuer l'héroïne par des médecins, s'inscrit dans cette logique. Elle offre à certaines personnes toxicomanes, dans l'incapacité de choisir un sevrage sans produits de substitution, la possibilité de retrouver progressivement une vie sociale normale, condition préalable à un véritable sevrage !

Compte tenu de ces remarques et des éléments contenus dans le rapport du Dr Eichenberger et dans celui de Mme Torracinta-Pache, je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à voter la motion non amendée et la résolution.

Mme Martine Roset (PDC). Madame la présidente, ce débat, à mon avis, n'est pas un débat politique, mais un débat de coeur.

Nous avons tous une perception du problème de la toxicomanie liée à nos expériences personnelles. Pour ma part, je suis contre la distribution d'héroïne, car, à mon avis, c'est une façon de baisser les bras face aux problèmes et c'est surtout une façon de se déculpabiliser. En résumé, c'est une manière facile de se donner bonne conscience, et c'est bien comme cela que le ressentent les toxicomanes. Il faudra bien un jour remettre en cause le fonctionnement de notre société, qui, de nos jours, n'incite pas les jeunes à dire non à ce fléau.

Le problème de la toxicomanie est à prendre en amont et non en aval, ce qui consiste à nous remettre tous en cause, ce qui est forcément plus difficile ! (Applaudissements.)

M. Gilles Godinat (AdG). Beaucoup de choses ont été dites, et j'aimerais simplement attirer votre attention sur quelques points.

Je tiens, tout d'abord, à m'exprimer sur la qualité des débats. Notre groupe s'associe au très bon travail qui a été effectué, d'une part, par l'écoute réciproque et, d'autre part, par l'acceptation des critiques et la poursuite de la réflexion. Les différentes interventions de ce soir laissent entrevoir que nous sommes à une étape de la réflexion qui doit être poursuivie, car un certain nombre de problèmes subsistent.

Il faut remercier et complimenter Mme Torracinta-Pache pour son excellent rapport, ainsi que le Dr Eichenberger. Cela dit, il ne faut pas oublier le travail effectué par la doctoresse Mino à qui les autorités fédérales avaient confié un mandat. Elle a apporté au débat une contribution importante sur laquelle on est obligé de se pencher.

Par ailleurs, un travail sur le terrain a été effectué à Genève; beaucoup d'innovations ont été apportées ce qui fait que Genève est à la pointe dans de nombreux domaines de ce secteur, et nous ne pouvons que nous en féliciter.

Cela dit, j'aimerais mettre un bémol à cette satisfaction pour inciter à la poursuite de la réflexion. S'agissant de la dépendance, je crains que la notion de la guerre à la drogue induise une idée fausse, même si elle peut avoir un contenu positif dans le sens de chasser un mal qu'on aimerait combattre. En effet, le problème de base, pour moi et pour la plupart des députés de ce parlement, c'est le problème de la dépendance. On ne peut pas le traiter par de simples recettes de cuisine, chacun le sait.

En ce qui concerne les habitudes de consommation des drogues en Suisse, je citerai une information de l'Office fédéral de la statistique du 11 novembre 1994. On entend souvent dire que la consommation est en augmentation, voire en pleine expansion en Suisse. Cependant, si l'on compare des échantillons représentatifs de la population de ces quinze dernières années, on ne trouve aucune preuve de cette augmentation. On constate, au contraire, une étonnante stabilité, en ce qui concerne les personnes ayant consommé au moins une fois dans leur vie du haschisch, un opiacé ou de la cocaïne. Ces trois dernières années, la consommation de cannabis a même plutôt tendance à baisser.

Ainsi, en Suisse, on peut comparer les problèmes de dépendance aux différents produits classés dans les stupéfiants avec d'autres produits. Les personnes qui boivent de l'alcool chaque semaine sont environ trente fois plus nombreuses que celles qui consomment du haschisch chaque semaine. On compte même plus de gros fumeurs - vingt cigarettes par jour ou plus - ou de personnes ayant recours quotidiennement à des somnifères, des calmants ou des analgésiques que de consommateurs hebdomadaires de cannabis. Je tenais à exprimer ces faits pour resituer le débat dans le problème général de la dépendance.

Au sujet de l'abstinence générale, il faudrait, à mes yeux, démonter, voire démanteler pièce par pièce, le mythe que les sociétés peuvent vivre sans l'illusion d'un paradis artificiel. Hélas, nous devons constater, après plusieurs millénaires que toute société cherche, par un biais ou par un autre, à faire l'expérience de substances modifiant les états de conscience. Les ethnologues nous ont rendu attentifs à ces état de fait, et je crois qu'il faut en tenir compte.

Enfin, il faut rappeler l'importance de ce marché au niveau mondial. Cela a été suffisamment souligné, mais tout de même c'est le deuxième marché mondial après le marché des armes : 300 milliards de dollars pour 1994 ! Cela nous amène forcément à réfléchir sur la politique de répression, et nous aurons encore à débattre de ces problèmes, pour savoir quelles sont les incidences réelles d'une politique répressive. Je ne veux pas lancer le débat ce soir, mais nous devrons bien nous pencher sur cette question.

Le problème de la toxicomanie a évolué suite à l'apparition de la séropositivité et la nouvelle donne qu'elle a engendrée. La pratique de nombreux praticiens sur le terrain a radicalement changé. C'est dans cette perspective qu'il faut accepter, à nos yeux, la politique concernant la réduction des risques.

Dans ce sens, notre groupe accepte évidemment l'ensemble des invites de la motion, souscrit à la résolution et espère poursuivre ce travail dans un climat agréable, comme cela a été le cas jusqu'à présent.

Mme Geneviève Mottet-Durand (L). Avant d'intervenir sur les lettres e) et h) du point 3 de la motion, sur lesquelles le groupe libéral propose un amendement, j'aimerais revenir sur les propos du Dr Eichenberger, cités en page 6 de ce rapport : «Le Dr Eichenberger considère que l'accompagnement à la mort et le deuil doivent pouvoir se dérouler normalement. Et cela n'est pas possible en milieu carcéral.».

Or, un avis différent a été donné la semaine dernière aux membres de la commission des visiteurs officiels de prison qui se sont rendus au quartier cellulaire de l'hôpital cantonal et qui ont été accueillis, entre autres, par le Dr Harding, professeur de médecine légale et coordinateur du programme prioritaire de médecine humanitaire. Celui-ci nous a confirmé que la prise en charge médicale était totalement assurée, même pour les cas les plus lourds, qu'il se crée sur le plan relationnel un encadrement remarquable que beaucoup de patients ne trouvent pas en privé et qu'il existe dans le milieu carcéral une prise en charge totale, non seulement médicale et technique mais en plus humaine et relationnelle, respectueuse du patient.

Il a également mentionné le régime privilégié d'accessibilité des familles. Il nous a assuré que la meilleure solution possible était trouvée pour chaque cas douloureux, solution résultant d'un consensus entre le Procureur général, le corps médical, la direction de Champ-Dollon et des familles. Cela devait être dit.

La lettre e) de la motion propose l'accès aux seringues. Si cette proposition n'a pas rencontré d'opposition formelle, je me suis tout de même inquiétée en commission de connaître la réaction du département de justice et police. Le représentant du DASS, M. Rodrik, a rappelé que ce point ne regardait pas le service pénitentiaire, qui dépend de justice et police, et que personne n'interdisait la mise à disposition de seringues. Or, cette question a également été posée au professeur Harding qui estime, lui, qu'il ne faut pas aller trop vite, qu'il serait souhaitable d'attendre les rapports et d'avoir une évaluation sur les essais en cours, entre autres, à Hindelbank, rappelant, par là, que la Suisse est le seul pays au monde à faire ces essais. Il constate également que, lors de l'entrée en prison, de moins en moins de toxicomanes se piquent, ceux-ci absorbant la drogue par inhalation.

La semaine passée les membres des directions des prisons, les chefs pénitentiaires, les médecins rattachés à ces institutions ainsi que deux représentants de l'Office fédéral de la santé se sont réunis à Lausanne. Le problème de la distribution de seringues a été évoqué. Un préavis quasiment unanime a été émis contre cette distribution pour toutes sortes de raisons qui nous auraient été expliquées si nous avions eu la sagesse d'entendre les principaux intéressés en commission.

Mesdames et Messieurs, vous êtes prêts à mettre en place, à Genève, dans une prison préventive, une nouvelle disposition interdite dans les pénitenciers où les détenus genevois sont censés poursuivre leur séjour forcé. Quel paradoxe de punir le trafic de drogue en prison et de distribuer des seringues en même temps !

C'est pour ces raisons, Mesdames et Messieurs, que nous vous proposons de supprimer la lettre e) de la motion, car nous estimons que nous n'avons pas le droit de prendre des décisions de cette importance, alors que toutes les instances dépendantes ou attachées aux prisons se prononcent négativement.

Quant au contenu de la lettre h), Mme Polla a largement expliqué les motifs pour lesquels nous refusons la distribution contrôlée d'héroïne. Je rappellerai qu'à Genève la politique consensuelle qui est menée avec discrétion aux départements de l'action sociale et santé, de justice et police et de l'instruction publique est citée en exemple, entre autres, par la commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national. Alors, pourquoi s'aventurer aujourd'hui dans une expérience dont ne connaissons pas encore les effets, l'ONU ne voyant pas d'un très bon oeil cette politique de distribution ?

Mesdames et Messieurs les députés, une très large partie de la population veut que nous soyons fermes et que nous menions une politique de rigueur en matière de drogue. C'est également pour ces motifs que je vous demande de soutenir l'amendement présenté par Mme Polla !

M. Pierre Froidevaux (R). Alors que la ligne politique en matière de drogue a toujours fait l'objet d'un consensus à Genève, alors que notre travail de député a été préparé avec soin par un rapport quadriennal très élaboré, alors que la plupart des partis politiques ont organisé, en interne, des forums sur la drogue, alors que trente députés ont consacré douze séances en commission, alors que les représentants de tous les partis chargés de rédiger une ligne de conduite claire pour le Conseil d'Etat se sont entendus pour vous soumettre ces deux textes en connaissance de cause, alors les membres du parti libéral - mais pas ses commissaires, présents aux séances - viennent nous dire que nous sommes dans le faux !

Mesdames et Messieurs les libéraux, votre prise de position nous ramène à la case «départ», mais vous y resterez tout seuls ! Vous serez les seuls à assumer cette politique d'exclusion, car, enfin, de quoi s'agit-il à la lettre h) ? Il s'agit de proposer à certains toxicomanes, gravement atteints, de pouvoir participer aux programmes expérimentaux ! Cela ne constitue ni une nouveauté de valeur internationale ni un laxisme coupable. Ces programmes permettront de venir en aide à des êtres particulièrement souffrants.

En effet, les toxicomanes sont d'abord des victimes, car la toxicomanie ne surgit pas telle une génération spontanée. Elle est l'aboutissement d'un long processus psycho-pathologique conduisant à une asociabilité plus ou moins grande qui a valeur de pronostic. Si nous continuons à traiter cette partie si souffrante de notre population par l'exclusion, nous ne pouvons qu'aggraver le phénomène de la toxicomanie. Si notre réponse - soit la réponse de la société toute entière - est de leur tendre la main, nous initions la première démarche thérapeutique.

Aussi, les commissaires des six partis ici représentés vous suggèrent de développer une politique dite des «trois seuils» :

- Le seuil haut est réservé aux cas si peu atteints dans leur équilibre psychique qu'une voie vers l'abstinence est possible.

- Le seuil moyen s'adresse aux toxicomanes qui ne peuvent fonctionner dans la vie courante sans un traitement psychotrope appelé méthadone. On la débaptiserait, par exemple, en «asprotox» avec écrit sur l'emballage : «traitement de la dépendance» il deviendrait un grand succès thérapeutique de cette fin de millénaire, au même titre que le valium, l'aspirine ou la trinitrine. Seulement, voilà, des politiciens - dans tous les pays d'ailleurs - ont proposé d'interdire ce type de prise en charge médicale, ou de le limiter très strictement. En 1978, lorsque le psychiatre Jean-Jacques Déglon s'est lancé, le premier à Genève, dans ce programme de substitution, il a fallu qu'il le développe tout seul et contre les courants d'opinion - dont j'étais, d'ailleurs - pour aboutir, près de quinze ans plus tard à la reconnaissance académique, politique et internationale de son travail. Mesdames et Messieurs les libéraux, je n'aiderai pas les erreurs du passé à se répéter pour le seuil dit «bas».

- Le seuil bas s'adresse aux personnes si atteintes psychiquement qu'elles ne peuvent se soustraire au geste autoagressif d'une aiguille cherchant une veine sous la peau. Nous leur proposons, à des conditions strictes - très strictes - très très strictes - de participer aux programmes fédéraux de distribution d'héroïne.

Les buts de cette prise en charge sont les suivants :

- retrouver une capacité de socialisation;

- diminuer la misère sociale et le brigandage;

- réduire les risques de maladie et certains vecteurs, comme le virus d'immunodéficience;

- cheminer vers un sevrage progressif;

- participer à des programmes de réinsertion;

et, enfin :

- réduire, pour la société, d'au moins de moitié les coûts induits par les toxicomanes en rupture.

Croire que cette distribution va attirer les toxicodépendants des seuils plus hauts vers le plus bas est un leurre, car il n'y a pas de toxicomane heureux. Même le pire des «accros» souhaite s'en sortir !

Mesdames et Messieurs les députés, je ne peux que vous encourager à soutenir la motion et la résolution et ne pas suivre les propositions libérales qui souhaitent associer le traitement de l'héroïne de certains troubles psychiques liés à la toxicomanie au mal. Mon discours ne veut pas dire que l'héroïne est un produit banal. Au contraire, il est dangereux - même très dangereux ! - mais, pour paraphraser Paracelse : «Tout est dans la dose.» ! Encore récemment j'ai dû faire le constat de décès d'une jeune femme morte d'une overdose d'eau pure ! Alors dressons ensemble la liste des produits non toxiques; je vous rendrai, quant à moi, une feuille blanche ! (Applaudissements.)

M. Dominique Hausser (S). La Suisse, l'Australie, l'Angleterre et les Pays-Bas font partie du groupe leader au niveau mondial en matière de politique de réduction de risques. Ils tentent de mener une politique cohérente pour résoudre les problèmes liés aux substances psychoactives illégales. Ce n'est pas moi qui le dit, c'est le professeur de droit Ethan Nadelmann des Etats-Unis qui résumait l'ensemble des présentations faites lors de la conférence internationale consacrée aux problèmes liés aux drogues et à la réduction de risques, qui a eu lieu à la fin mars dernier, à Florence.

La politique menée en Suisse et les débats qui ont lieu actuellement au niveau national montrent qu'il y a une réelle tentative de sortir de cette impasse. Dans ce sens, le travail effectué à Genève - en particulier, le travail politique effectué par ce Grand Conseil - est particulièrement innovateur. C'est la première fois que nous verrons le pouvoir législatif signifier qu'il est nécessaire d'agir en vue de réduire les risques, sans pour autant prétendre résoudre tous les problèmes du jour au lendemain, quelles que soient les mesures préventives et thérapeutiques préconisées.

Aujourd'hui, je suis extrêmement heureux de voir ce parlement voter cette motion et cette résolution. Cela fait plus de dix ans que je travaille dans ce domaine. Cela fait des années que l'on voit des possibilités émerger non seulement au niveau suisse mais également au niveau international. La Suisse est peut-être petite, son influence réelle est peut-être modeste en matière de lutte contre le crime organisé, mais, psychologiquement, en menant une politique de réduction des risques innovatrice et cohérente, son influence est majeure !

Aussi, je remercie d'ores et déjà ce parlement de voter ces motion et résolution telles que présentées par la commission sociale.

Mme Claire Torracinta-Pache (S), rapporteuse. Je ne peux pas laisser passer les propos de Mme Mottet-Durand sans réagir, s'agissant des auditions. En effet, Madame, vous avez assisté très régulièrement aux séances des deux commissions réunies. C'est vrai que nous aurions pu inviter d'autres personnes. On m'a d'ailleurs suggéré d'autres noms que ceux auxquels vous avez fait allusion. Mais, lors de notre dernière séance, notre président a demandé, à deux ou trois reprises, si nous désirions auditionner encore quelques personnes et vous n'avez fait aucune proposition. Alors, je ne vous accorde pas le droit de dire que nous aurions dû auditionner M. Harding !

D'ailleurs, s'agissant de la position de M. Harding sur nos invites, il semblerait que celui-ci tienne deux discours : un discours oral - auquel vous faites allusion - et un discours écrit ! Je pense que M. Segond pourra vous donner des informations complémentaires à ce sujet, tout à l'heure.

En ce qui concerne l'invite sur l'accès possible à des seringues en prison, j'aimerais dire que dans l'esprit de la majorité de la commission - j'avais cru tout d'abord comprendre qu'il y avait unanimité sur cette invite - cette proposition était un simple désir de cohérence avec la politique appliquée pour les autres catégories de personnes toxicomanes à Genève, qui peuvent obtenir des seringues sur demande soit auprès des pharmaciens, soit auprès du «bus itinérant de prévention sida». Il nous est apparu que le fait qu'une personne soit détenue n'était pas un motif suffisant pour qu'elle n'ait pas, comme les autres, un droit d'aide à la survie. Vous savez, comme moi, Madame, que les prisons comptent de nombreux séropositifs et que, malheureusement - personne n'est fautif - la drogue y circule. Pour éviter cela, il faudrait mettre en place un système répressif de fouilles extrêmement poussé à l'entrée, ce qui, à mon avis, présenterait plus d'inconvénients que d'avantages.

Partant de ce principe, nous avons tout simplement voulu accorder les mêmes possibilités aux toxicomanes détenus. Il est bien clair, Mesdames et Messieurs les députés, qui vous étonnez de cette proposition, que cela ne va pas se faire du jour au lendemain, que cela va demander une préparation et une formation du personnel d'encadrement des détenus, exactement comme cela a été le cas pour les policiers confrontés au bus de distribution de seringues, stationnant chaque soir à deux endroits différents de notre ville.

Eh bien, maintenant, les policiers de notre corps de police, eux-mêmes, réclament chaque année une formation, une information, pour pouvoir continuer à travailler en bonne collaboration avec ce bus. Je le répète, tout cela ne s'est pas fait d'un seul coup. Il a fallu une grande bonne volonté et un grand effort de part et d'autre. Il n'y a pas de raison que cela ne soit pas le cas pour le personnel d'encadrement des détenus, mais cela prendra un certain temps et des efforts de sa part, nous en sommes conscients.

Mme Polla a cité une phrase qui m'a choquée, mais que je n'ai plus exactement en tête, d'un Français disant en substance : «Puisse aucun pays ne suivre l'exemple de la Suisse !». Moi, j'ai envie de lui retourner la phrase en lui disant : «Puisse aucun pays ne suivre l'exemple de la France !». En effet, cette dernière a été à la traîne dans sa politique en matière de toxicomanie pendant des années et elle s'est mise très tard au traitement à la méthadone. Pour une fois, Genève - je ne peux pas me permettre de juger l'ensemble de la politique de la Suisse - a été véritablement exemplaire. Ce n'est pas tous les jours que je suis fière de mon canton ou de mon pays. Aujourd'hui, je le suis, et je trouverais dommage de n'être pas suivie par les membres de ce parlement !

M. Guy-Olivier Segond, conseiller d'Etat. Au terme de ce débat, j'aimerais tout d'abord remercier les députés, membres de la commission des affaires sociales et de la commission de la santé.

En effet, tout au long des six mois de travaux parlementaires - et d'ailleurs encore ce soir - vous avez, les uns et les autres, discuté sérieusement d'un sujet délicat : notre politique cantonale en matière de toxicomanie. Cette manière de débattre, reflétée, du reste, dans l'excellent rapport de Mme Claire Torracinta-Pache est conforme à un certain esprit de Genève - assez difficile à définir, mais plus facile à sentir - fait d'ouverture et de tolérance.

Sans vouloir énumérer ici tous les éléments constitutifs de cette politique qui vous est bien connue, je rappellerai deux caractéristiques principales qui font son originalité, par rapport aux politiques suivies dans d'autres cantons ou dans d'autres Etats.

Tout d'abord - comme plusieurs d'entre vous l'ont relevé - il n'y a jamais eu à Genève, en quinze ans, de discussions polémiques ni d'affrontements politiques sur ce sujet douloureux pour de nombreuses familles.

La seconde originalité de la politique genevoise est de reposer sur une approche convergente et intégrée des différentes fonctions de l'Etat : la fonction préventive et éducative, la fonction de prise en charge médicale et sociale et, enfin, la fonction répressive.

Cette politique est conduite par l'Etat, mais en collaboration avec les médecins de ville, avec les pharmaciens de ville et avec de nombreuses associations privées. Elle n'est pas statique, mais dynamique. Elle a été adaptée périodiquement à l'évolution de la situation. C'est ainsi, par exemple, que nous avons pu introduire - toujours dans un climat relativement consensuel - les programmes de méthadone, à la fin des années 1970 déjà, les programmes d'échange de seringues, à la fin des années 1980, et le «bus itinérant de prévention sida», au début des années 1990.

Aujourd'hui, nous nous approchons de nouveaux développements. Certains d'entre eux, comme l'élargissement des horaires du «bus prévention sida», sa capacité d'accueil comme l'accroissement du nombre de places dans un certain nombre d'institutions, sont acceptés sans difficultés majeures. D'autres développements suscitent des hésitations, de la réserve, voire une franche opposition. Tel est le cas, par exemple, de la remise de seringues propres pour des personnes détenues. J'ai entendu différentes versions des entretiens que M. Harding a eus avec la commission officielle des visiteurs de prison et, comme je suis d'un naturel assez sceptique, je lui ai demandé de me confirmer ses propos par écrit. Il m'a indiqué avoir répondu, à la demande de la présidente de la commission des visiteurs, à un certain nombre de questions concernant les toxicomanes en prison, la prévention de transmission VIH en milieu carcéral et l'accompagnement des détenus mourants.

S'agissant de la disponibilité de seringues pour les personnes détenues, «Je me suis exprimé comme suit», m'écrit M. Harding : 1) «Nous attendons toujours les résultats de l'évaluation en cours au pénitencier d'Hindelbank et à la prison d'Oberschönengrund.»; 2) «Une distribution de seringues à la prison par voie médicale et sur une base sélective est réalisable.»; 3) «Nous pouvons procéder, dans un bref délai, à une distribution de seringues à la sortie de prison.». La position de M. Harding est claire. Je ne crois pas qu'elle ait varié : c'est quelqu'un qui a les pieds sur terre et qui a le sens des mots.

Une autre question amène des réserves, peut-être même des oppositions : la participation genevoise aux programmes expérimentaux de la Confédération de remise contrôlée d'héroïne. Sur le plan international - contrairement à ce qu'on entend dans la population et à ce que j'ai cru entendre dans la bouche de certains d'entre vous - la remise contrôlée d'héroïne n'est pas interdite par des traités internationaux. Elle est même autorisée par l'Organe international de contrôle de stupéfiants, sous certaines conditions. Pour cela, cette remise contrôlée d'héroïne doit faire partie d'une stratégie globale, visant à réduire la consommation de stupéfiants et intégrant des mesures de répression et de prévention. C'est sur cette base et avec l'autorisation de cet office que près d'une quinzaine de villes européennes ont fait usage de cette possibilité.

Dans notre pays, le Conseil fédéral a obtenu les autorisations internationales nécessaires et a posé des conditions strictes à ces programmes expérimentaux : l'héroïne est remise sur prescription médicale dans le cadre d'une prise en charge médico-sociale structurée, dont les objectifs thérapeutiques et sociaux sont précis. «Les toxicomanes - dit l'ordonnance qui figure en annexe du rapport de Mme Torracinta-Pache - doivent être dépendants depuis plusieurs années. Ils sont en nombre limité.».

A Genève, la décision formelle de participer à ces programmes expérimentaux de remise contrôlée d'héroïne à quelques dizaines de personnes appartient techniquement au Conseil d'Etat, lequel se déterminera prochainement, après avoir tenu compte de tous les éléments d'appréciation et, en particulier, non seulement des avis des experts, mais aussi des travaux parlementaires que vous allez conclure dans quelques instants en votant les textes proposés par la commission des affaires sociales et la commission de la santé.

Madame la présidente, Mesdames et Messieurs, au cours de ces vingt dernières années, personne n'a trouvé «la» solution au problème de la toxicomanie. A Genève, nous ne faisons pas mieux ni moins bien que les autres. Et nous ne faisons pas le contraire de ce qui se fait à Lucerne, à Saint-Gall, à Zurich ou à Neuchâtel. Comme les autres, nous cherchons à connaître et à comprendre. Comme les autres, nous essayons, nous expérimentons et nous ajustons.

Notre chance - et, d'une certaine manière, notre privilège - c'est d'avoir pu préserver un climat de sérénité, qui fait trop souvent défaut dans d'autres cantons ou dans d'autres Etats. Dans nos tâtonnements, dans nos démarches, dans nos actions, nous avons enregistré beaucoup de déceptions et de nombreuses désillusions, mais nous avons aussi connu des succès. Certains d'entre eux sont même importants. Ainsi, par exemple, la population sait peu qu'en vingt ans le nombre de toxicomanes dépendant de drogues dures, vivant à Genève, n'a pas augmenté de manière significative et qu'il s'est stabilisé à environ deux mille cinq cents. On sait peu aussi que l'âge moyen d'installation dans la toxicomanie s'est stabilisé à dix-huit ans, et que la distribution de seringues a permis de réduire de façon spectaculaire les risques de transmission du sida.

Mesdames et Messieurs, le Conseil d'Etat n'entend pas libéraliser les drogues. Il s'est d'ailleurs toujours opposé à la dépénalisation et du trafic et de la consommation de drogues, mais il a l'intention, également, sur la base de vos travaux, de procéder aux adaptations nécessaires de la politique genevoise, en étant à la fois prudent et innovateur.

RD 227-A

Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.

M 997

La présidente. Nous allons voter sur la motion 997 pour laquelle certains compléments doivent vous être remis. Vous avez tous reçu une nouvelle page 33 qui comporte les deux alinéas 4 et 5, qui faisaient malheureusement défaut dans le rapport qui vous avait été distribué. Il s'agit de l'alinéa 4 dont la teneur est la suivante :

«La répression du grand trafic, relevant de la responsabilité du département de justice et police et des transports, doit recevoir la place qu'elle mérite dans une politique globale conçue pour permettre aux personnes toxicomanes de bénéficier des autres volets de la politique gouvernementale.»;

et d'un alinéa 5, je cite :

«Le Conseil d'Etat est invité à présenter au Grand Conseil un rapport d'ensemble en 1998.».

Mme Claire Torracinta-Pache (S), rapporteuse. Je refuse les amendements, et j'invite à voter la motion et la résolution telles qu'elles sont ressorties des travaux de la commission.

Mis aux voix, l'amendement proposé par Mme Mottet-Durand est rejeté.

Mis aux voix, l'amendement proposé par Mme Polla est rejeté.

Mise aux voix, cette motion est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

LE GRAND CONSEIL,

considérant

- le rapport RD 227 du Conseil d'Etat;

- les auditions auxquelles la commission des affaires sociales et la commission de la santé ont procédé;

- que le recours aux drogues n'est pas un phénomène passager et qu'il faut mettre en oeuvre les moyens nécessaires à prévenir ce phénomène et à en limiter les dégâts;

- que les approches politiques en matière de toxicomanie doivent comprendre aussi bien la prévention que les soins et la répression;

- que les politiques fondées uniquement sur la répression aboutissent à des échecs;

- la nécessité d'établir un programme pour les années 1995, 1996 et 1997,

invite le Conseil d'Etat

à conduire son action, notamment, selon les axes suivants:

1. Le gouvernement est appelé à maintenir et développer une approche convergente et intégrée impliquant la prévention, la prise en charge médico-sociale et la répression dans une politique d'ensemble, préparée au sein de la commission mixte en matière de toxicomanies. La délégation du Conseil d'Etat constitue le relais politique de cette commission et de ses travaux.

2. La prévention constitue la première des priorités, essentiellement dans la période de scolarité obligatoire et post-obligatoire, ainsi que la formation professionnelle sous toutes ses formes. Le département de l'instruction publique est invité à manifester une volonté politique claire et à donner des instructions précises sous forme de programme d'action, tant au corps enseignant qu'aux intervenants de l'office de la jeunesse. Ledit département est également invité à promouvoir rapidement un plan de réinsertion socioprofessionnelle destiné aux personnes ayant mis fin ou étant sur le point de mettre fin à leur dépendance.

 De plus, il y a lieu d'offrir aux élèves le cadre nécessaire, dans le contexte scolaire, pour qu'ils puissent échanger leurs idées sur la toxicomanie et la meilleure prévention de celle-ci, de façon à favoriser l'entraide active entre les élèves et apprentis eux-mêmes.

 Le département de l'instruction publique est également invité à associer d'une manière générale les parents à l'action de prévention de ses services.

3. La prise en charge médico-sociale (sous la responsabilité du département de l'action sociale, de la santé et des établissements de droit public sous sa surveillance) doit se développer le long des exercices budgétaires à venir, mais sans retard, selon les lignes ci-après:

a) accroissement raisonnable et rapide des places disponibles aux Crêts, au Centre résidentiel à moyen terme (CRMT) et au Toulourenc;

b) mise sur pied d'un lieu d'accueil et d'écoute pour parents de personnes toxicomanes selon les modalités définies par le rapport de la commission mixte;

c) encouragement et offre accrue de formation aux médecins privés désireux d'accepter des personnes dépendantes dans leur consultation, afin que le plus grand nombre possible de médecins accueille le plus petit nombre de personnes toxicomanes;

d) accroissement des possibilités de prise en charge à la méthadone par le service public, avec extension géographique sur la rive droite, évitant ainsi de surcharger tant Plainpalais que Champel;

e) accès à des seringues propres des personnes détenues ou hospitalisées qui en font la demande, avec une incitation à une hygiène de vie exempte de dépendance, mettant à profit le séjour carcéral et/ou hospitalier;

f) préparation de la relève des travailleurs sociaux qualifiés, permettant une activité de longue durée à l'équipe de prévention et d'intervention communautaire (EPIC);

g) élargissement substantiel de la capacité d'accueil, des plages horaires et des lieux de stationnement du bus itinérant de prévention sida (BIPS);

h) participation à des programmes expérimentaux, conformément aux possibilités offertes par la législation fédérale (distribution contrôlée d'héroïne), en sus des possibilités d'ores et déjà offertes sur le plan cantonal (méthadone).

4. La répression du grand trafic, relevant de la responsabilité du département de justice et police et des transports, doit recevoir la place qu'elle mérite dans une politique globale conçue pour permettre aux personnes toxicomanes de bénéficier des autres volets de la politique gouvernementales.

5. Le Conseil d'Etat est invité à présenter au Grand Conseil un rapport d'ensemble en 1998.

La présidente. S'il vous plaît, Mesdames et Messieurs, Monsieur Dupraz, en particulier, encore un instant de patience !

M. John Dupraz. Mais j'ai rien dit !

La présidente. Peut-être, mais vous êtes déjà en train de vous agiter ! (Rires.)

R 289

Mise aux voix, cette résolution est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- le rapport RD 227 du Conseil d'Etat;

- les propositions contenues dans le rapport du président de la commission mixte en matière de toxicomanie annexées au rapport susmentionné;

- la motion 997 de la commission des affaires sociales à ce propos,

invite le Conseil d'Etat

à intervenir auprès de la Confédération pour qu'elle use de son influence auprès des instances tant européennes qu'internationales habilitées, afin qu'une décision soit prise par ces dernières dans le but de faire de la distribution de stupéfiants un monopole d'Etat, seule manière de rendre possible la distribution contrôlée de ceux-ci sans augmenter le risque de concentration de personnes toxicomanes dans une région donnée.

La présidente. Je dois vous faire une communication extrêmement agréable !

Notre mémorialiste, Mme Bernadette Bolay, assiste aujourd'hui, pour la dernière fois, à nos séances du Grand Conseil... (Manifestation.) Vous voyez que c'était important ! En effet, elle va quitter son emploi pour occuper un poste de secrétaire d'une commune genevoise; elle ne nous quitte donc pas tout à fait !

Mme Bolay a travaillé au service du Grand Conseil depuis septembre 1988, d'abord en qualité de rédactrice de procès-verbaux, puis, dès février 1991, comme mémorialiste. Nous avons tous pu apprécier sa compétence, sa disponibilité et sa gentillesse.

En prenant congé, avec regret, de vous, Madame, nous vous remercions du travail que vous avez fourni. Nous vous souhaitons une heureuse carrière et formons tous nos voeux pour votre avenir. (Applaudissements.)

 

La séance est levée à 23 h 30.