République et canton de Genève

Grand Conseil

GR 43-A
a) M. D. A. G.. ( -)GR43
Rapport de M. Roger Beer (R), commission de grâce
GR 44-A
b) M. K.A... ( -)GR44
Rapport de M. Luc Barthassat (DC), commission de grâce

10. Rapport de la commission de grâce chargée d'étudier les dossiers des personnes suivantes :

M. D. A. G. , 1947, Italie, comptable.

Recourt contre le solde de la peine d'emprisonnement.

M. Roger Beer (R), rapporteur. M. D. A. G. est âgé de 47 ans, d'origine italienne, comptable de profession. Il est marié, père de deux filles, une de 23 ans, étudiante à l'université et l'autre de 22 ans, employée de banque.

La situation pécuniaire de M. D. A. G. est évidemment très difficile. Il était engagé à titre temporaire par la Ville de Genève, au service de la Gérance immobilière. Entre nous, et pour couper court à toute rumeur de collusion, je vous signale qu'il s'agit d'un service qui n'a rien à voir avec le SEVE et qu'avant cette affaire je n'avais jamais entendu parler de M. D. A. G.. Depuis le 1er février dernier, il est incarcéré.

M. D. A. G. a été condamné par la Cour d'assises en février 1992 pour gestion déloyale et faux dans les titres. Son recours en cassation a été rejeté en mai 1993, ensuite, le Tribunal fédéral a rejeté son recours en droit public en septembre 1993. Aujourd'hui, sa dette envers ses anciens amis atteint près de 3 millions de francs.

J'ai abordé ce cas avec un préavis tout à fait défavorable parce que c'était une histoire de gestion déloyale et de faux dans les titres et que, personnellement, ces «crimes» me déplaisent profondément. J'ai étudié à fond le dossier, je suis même allé voir M. D. A. G. en prison et, à partir de là, j'ai eu des doutes, doutes m'ayant amené à rédiger le présent rapport.

Comment un homme aussi simple, aussi honnête et reconnu comme tel, un homme sans histoire, a-t-il pu se mettre dans une situation pareille ?

L'histoire de M. D. A. G. est aussi simple que consternante. M. D. A. G. a travaillé comme contrôleur de factures; il a toujours officié comme comptable, comme expert fiduciaire, comme fiscaliste ou même comme conseiller pour de nombreux patrons. Il a alors donné entière satisfaction. Son comportement scrupuleux, presque excessivement scrupuleux, son dévouement sans faille ont fait que tous ses employeurs n'ont jamais cessé de tarir d'éloges à son endroit. Finalement, en plus de son emploi officiel, il satisfait une multitude de gens qui lui confient de la petite comptabilité et des dossiers fiscaux. Il rend service à de nombreux amis en remplissant bénévolement d'innombrables feuilles d'impôts.

Parmi ses amis intimes, il compte la famille G. et un M. M.. Pour eux, il remplit les déclarations d'impôts, fait des petites courses, enfin, il leur rend de nombreux services. Ces gens étaient fortunés. Etaient, car aujourd'hui ils ne le sont malheureusement plus. Ces personnes lui ont confié leurs économies - environ 2,5 millions. M. D. A. G. y a rajouté ses propres fonds - ses économies personnelles et celles de la famille de sa femme pour un total de 800 000 F - pour les confier de bonne foi à l'un de ses amis qui brillait dans la gestion de fortune, le fameux C..

Il a tout perdu !

A un moment donné, M. D. A. G. a été littéralement séduit par C. qui était lui-même embrigadé dans la sombre histoire de la Princesse russe avec de Gorsky; C. était la cheville ouvrière dans l'affaire infernale de la Financial Trust. Pour une raison qu'il ne s'explique même pas lui-même aujourd'hui, M. D. A. G. a fait aveuglément confiance à C.. Il lui a prêté son propre compte en banque, du papier à lettre, etc. En soi, ces actes sont courants entre gens qui se font confiance. Mais, dans le cas particulier, C. étant une canaille, et on a reproché à M. D. A. G. d'être son complice. Toutes les personnes qui le connaissent rejettent catégoriquement cette accusation. Elles la trouvent complètement farfelue.

Dans toute cette affaire, il est extrêmement difficile, pour un député comme moi, de se faire une idée précise de ce montage financier et de la justice qui a été rendue. Nous n'avons pas à refaire le procès ni à nous placer comme jury. Nous devons accepter le verdict. Toutefois, notre éminent Grand Conseil a une faculté extraordinaire : celle de pouvoir accorder la grâce. Elle n'est pas l'affaire de la loi, mais de l'appréciation personnelle. C'est la conscience du député qui est interpellée. Cette grâce a été demandée par M. D. A. G..

M. D. A. G. a été condamné à deux ans de prison. S'il avait été condamné à moins de 18 mois, donc quatre de moins, il aurait pu bénéficier d'un sursis. Les personnes que j'ai contactées aujourd'hui confirment que l'on aurait pu accorder, sans aucun risque de récidive, un sursis de nombreuses années.

M. D. A. G. a été ébranlé par cette affaire; il en a même été sérieusement affecté dans sa santé. Il a été abusé par sa confiance aveugle en un homme que le Crédit Suisse lui-même encensait pour sa réussite en affaires.

L'histoire a bien montré que Daverio s'était trompé, comme le Crédit Suisse, d'ailleurs. Même M. D. A. G. a été abusé. Je vous rappelle qu'aux économies de ses deux amis, il avait ajouté ses propres économies, étant persuadé qu'il pouvait faire confiance à Crisafulli. Il a tout perdu.

Sans apporter des excuses à M. D. A. G. pour ses actes, j'ai été personnellement choqué, en étudiant ce dossier, par la sévérité de la peine qui excluait tout sursis.

Daverio a déjà exécuté deux mois et 18 jours de préventive. Sa santé en a été ébranlée. Il a souffert. Il a perdu successivement toute possibilité de travail pour finalement se retrouver au chômage. Et c'est là qu'en fin de droit il a été placé à la Ville de Genève pour remplacer un collaborateur subitement absent. Depuis, il s'est montré utile et efficace et son employeur en est pleinement satisfait.

On sent chez M. D. A. G. un repentir sincère et un regret incroyable pour tout le mal qu'il a fait à ses amis proches. Il demande pardon !

Alberto Daverio peut rendre service; malgré d'énormes difficultés pour rembourser ses dettes, il veut travailler et essayer de se «refaire». Cette place de travail qu'il occupe actuellement est sa dernière chance. A 47 ans, avec son récent passé, Daverio ne retrouvera pas si facilement du travail. Pourtant, aujourd'hui son employeur - la Ville de Genève - en est entièrement satisfait.

Si M. D. A. G. doit effectuer ses deux ans fermes, il perdra évidemment cette seule, unique et dernière chance de rachat et, surtout, ce qui me semble encore plus important, de réinsertion dans notre société.

M. D. A. G. a-t-il fait amende honorable par rapport à ses fautes ? Qui peut le dire ? Comment juger ? Je reste persuadé que pour cette gestion déloyale - largement imputable à une négligence et à une confiance qui confine à de la naïveté coupable - M. D. A. G. doit être puni. Aujourd'hui, c'est un homme brisé qui s'accroche à nous, à vous.

Pour lui donner cette dernière chance, la commission de grâce vous propose de réduire la peine de M. D. A. G. à six mois, afin de lui permettre de la subir en semi-détention. De la sorte, il pourra conserver son travail et poursuivre une réinsertion sans être à la charge de la société. Cette dernière raison a semblé essentielle, voire même déterminante, à la commission de grâce.

Je vous remercie de suivre le préavis de la commission de grâce.

Présidence de M. Hervé Burdet, président.

M. Pierre-François Unger (PDC). Notre collègue Roger Beer vient de faire une excellente et émouvante plaidoirie concernant M. D. A. G.. Nous ne pouvons être insensibles à certains arguments qu'il a développés; certes le condamné est le maillon le plus périphérique dans cette histoire. Sans doute a-t-il été naïf. Peut-être même n'est-il qu'un sot. Il n'en reste pas moins que M. D. A. G. a été condamné en 1992 en Cour d'assises par un jury composé de citoyennes et de citoyens responsables. Ce jury a eu connaissance de tous les éléments à charge et à décharge dans cette affaire. Le jugement est clair et le rôle de la commission de grâce, comme celui du Grand Conseil, n'est pas de refaire la justice.

La grâce est une mesure extraordinaire qui permet à l'autorité politique de remettre une peine ou de la commuer en une peine plus douce. A partir de cela, la grâce ne devrait s'appliquer que dans des conditions exceptionnelles qui pourraient schématiquement être de deux ordres. Premièrement, la présence d'un fait nouveau, qu'il soit lié à des modifications relatives à la situation personnelle du condamné ou qu'il soit lié à des motifs extérieurs. Or dans cette affaire, de fait nouveau il n'y en a pas. Mais la grâce pourrait également être accordée au cas où notre pouvoir politique voudrait adresser un signal à l'appareil judiciaire parce qu'il estime qu'il dysfonctionne.

Or, n'avons-nous pas souvent et parfois avec force pesté contre les difficultés que notre justice éprouve à débusquer puis à condamner cette criminalité économique et cette criminalité en col blanc ? Il est clair que, si nous accordions la grâce, nous adresserions au pouvoir judiciaire un signal dans lequel nous lui signifierions qu'il est trop sévère en la matière. Non, nous devons au contraire confirmer à la justice le rôle que chacun d'entre nous attend d'elle dans ce type de criminalité. C'est la raison pour laquelle nous vous proposons de rejeter le recours en grâce qui nous est proposé.

Mme Janine Hagmann (L). Il est toujours difficile d'avoir à se prononcer sur une demande de grâce ou, en l'occurrence, sur une demande de diminution de peine. Il est évident que, faisant appel à notre affect, nul n'a envie de mettre la tête sous l'eau d'une personne condamnée, surtout pour des gestions déloyales et faux dans les titres, et qui demande de l'aide. Faisant appel à notre réflexion et en prenant du recul vis-à-vis de l'inculpé, nous réalisons que nous ne sommes pas là ni pour refaire le procès, ni comme correctif d'une instance politique par rapport aux pratiques d'une justice pénale, ni comme pondération aux imperfections de la loi, ni surtout pour contester le verdict d'un jury populaire.

Quels éléments nouveaux ultérieurs à la condamnation sont-ils intervenus ? Je vous rappelle que deux recours ont été rejetés. Le fait que M. D. A. G. a trouvé du travail est-il un élément suffisant qui permettrait de prendre une décision sans hésitation ? Personnellement, je ne trouve pas cet argument suffisamment valable pour modifier une décision sanctionnelle judiciaire qui a été prise avec toutes les garanties de procédure et qui paraît équitable et légitime.

M. Jean Spielmann (AdG). De notre côté, il y a bien entendu relativement peu de sympathie par rapport à ce type de délits et nous aurions a priori toutes les raisons de rejeter un tel recours. Je crois que, malgré cela - et il faut rendre justice au rapporteur qui a fait un travail important - il y a une série de questions auxquelles nous devons quand même apporter des réponses. Il nous faut examiner si, effectivement, depuis la condamnation et par le comportement et les conséquences de l'exécution de la peine, il y a aujourd'hui des faits nouveaux ou des éléments devant permettre à ce Grand Conseil d'accorder la grâce à M. D. A. G..

Je considère qu'une demande de grâce pure et simple n'aurait aucune légitimité. Par contre, une incarcération avec libération conditionnelle qui, étant donné le comportement et l'acceptation de M. D. A. G. des erreurs commises et la volonté de purger cette peine, sortirait donc le 9 avril 1995 avec la conséquence de lui faire perdre son emploi et de poser d'importants problèmes de recyclage, sans parler des problèmes liés à sa famille, n'est pas souhaitable.

Il y a aussi le fait que M. D. A. G. a accepté totalement la peine qui lui a été infligée, il ne la conteste pas. Il a, dans cette affaire, tout perdu, y compris ses économies personnelles et aujourd'hui la proposition de la commission de grâce est de lui donner la peine de prison la plus longue possible, c'est-à-dire une peine de six mois de détention en semi-liberté, qui lui permette de continuer à assumer l'emploi qu'il a retrouvé. Je crois que cette chance-là nous devons la lui donner, parce qu'elle permettrait à M. D. A. G. de continuer à faire preuve de sa volonté de se racheter et de pouvoir subvenir aux besoins de sa famille et de ses proches tout en exécutant sa peine.

Il y a donc un fait important qui, pour ma part, m'incite à accepter la proposition du rapporteur qui n'est pas la grâce pure et simple, mais qui est l'application de la peine la plus longue que l'on puisse donner avec la possibilité de continuer à travailler la journée. Je vous propose d'accepter la proposition de la commission de grâce qui a d'ailleurs été approuvée à une très large majorité au sein de la commission.

M. Roger Beer (R), rapporteur. Je ne crois pas que nous devons aborder ce cas sous l'angle juridique de la grâce, mais bien par une approche liée à notre conscience, à la valeur humaine et bien évidemment personnelle. Je crois également que la place de travail, la possibilité de réinsertion et le souci de ne pas être à la charge de la société sont des éléments très importants. J'aimerais dire à Mme Hagmann que ce n'est en tout cas pas sans hésitation mais bien avec une profonde et longue réflexion que j'en suis arrivé à proposer cette solution - je n'étais pas le seul - en commission de grâce.

Je vous demanderai de suivre la large majorité de la commission qui a proposé la réduction de la peine d'emprisonnement à six mois.

Mis aux voix, le préavis de la commission (réduction de la peine d'emprisonnement à six mois) est adopté.

M. A.K. , dit M., 1966, Liban, manoeuvre.

Recourt contre le solde de la peine d'expulsion judiciaire qui prendra fin au mois de septembre 1995.

M. Luc Barthassat (PDC), rapporteur. Il s'agit du cas de M. A.K., né le 5 janvier 1966, originaire du Liban. Suite à un refus d'une demande d'asile déposée en 1990, M. A.K. a été soumis à une interdiction d'entrée en Suisse valable du 17 décembre 1991 au 16 décembre 1996. Malgré cette interdiction, M. A.K. échappe à la police zurichoise lors de son transfert à l'aéroport de Kloten. Le 20 septembre 1992, il est arrêté à Genève pour vol à l'étalage dans trois grands magasins de la place. Le 24 septembre 1992, M. A.K. fait l'objet d'une expulsion judiciaire ferme valable du 24 septembre 1992 au 24 septembre 1995 et d'une condamnation à 10 jours d'emprisonnement.

Le 17 novembre 1992, il est de retour à Genève et se marie à une ressortissante suisse d'origine marocaine qui a un enfant de 5 ans d'un premier mariage. M. A.K. obtient un permis B valable depuis le 10 septembre 1993, l'office cantonal de la population n'ayant pas fait la relation entre la mesure d'expulsion judiciaire et l'interdiction d'entrée. Le 3 septembre 1993, lors d'un contrôle d'usage effectué chez son épouse, M. A.K. fut arrêté et conduit à Champ-Dollon; son épouse ignorait sa condamnation d'interdiction d'entrée en Suisse. Le 6 septembre 1993, il est condamné à 20 jours de prison puis renvoyé au Liban. Le 29 septembre 1993, arrêté à nouveau à Genève chez son épouse, il saute du troisième étage et passe plusieurs semaines à l'hôpital cantonal pour fracture au tibia et plaies diverses. Le 3 novembre 1993, il est condamné à 11 jours de prison.

M. A.K. vit actuellement au Liban et souhaite pouvoir vivre auprès de son épouse et l'enfant de celle-ci. Il recourt contre le solde de la peine d'expulsion judiciaire qui prendra fin au mois de septembre 1995. Le préavis du procureur est négatif, celui de la commission de grâce aussi. Je vous prie donc de suivre le préavis de la commission.

Mis aux voix, le préavis de la commission (rejet du recours) est adopté.