République et canton de Genève

Grand Conseil

M 875
11. Proposition de motion de Mmes Elisabeth Reusse-Decrey, Maria Roth-Bernasconi, Jacqueline Damien et M. Jacques Boesch instituant le principe d'une «pause pour décider» dans l'enseignement. ( )M875

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- l'importance, tout particulièrement en temps de crise, d'offrir une formation de base solide, ciment de la société de demain,

- les coupures budgétaires déjà faites et encore à venir, ainsi que les difficultés rencontrées pour assurer une bonne rentrée scolaire 1993,

- l'importance de prendre un peu de recul afin de donner la possibilité aux divers partenaires de se rencontrer, de réinstaurer le dialogue et de prendre des décisions ensemble,

- la nécessité de connaître et mesurer les conséquences de chaque nouvelle économie sur la qualité de l'enseignement,

invite le Conseil d'Etat

- à ne réintroduire de nouvelles économies au sein du DIP qu'après réflexions et décisions concertées avec tous les partenaires de l'école.

EXPOSÉ DES MOTIFS

C'est en temps de crise qu'il est particulièrement important d'offrir un enseignement de qualité, reposant sur des bases solides afin de préparer la génération de demain à affronter les défis auxquels elle devra faire face.

C'est aussi en temps de crise que les économies deviennent impératives, et personne ne conteste qu'il est nécessaire et possible d'en faire.

C'est surtout en temps de crise, accompagnée souvent d'une perte de confiance dans les autorités, qu'il faut rompre les barrières et associer tous les partenaires de l'école (direction, enseignants, parents et pourquoi pas aussi les élèves) dans un véritable dialogue et une recherche commune de solutions.

Malheureusement le dialogue a plutôt mal passé ces derniers mois, et de nombreuses mesures ont été prises sans consultations, parfois même des premiers intéressés (exemples: études pédagogiques, petite enfance). Dans le document «Préserver l'essentiel», il est écrit que ce n'est qu'après avoir fait 10 à 12 % d'économies et s'il s'avérait nécessaire d'aller plus loin qu'il faudrait alors consulter la population genevoise !

Nous pensons qu'au contraire c'est déjà aujourd'hui qu'il faut entendre les avis, les inquiétudes et les propositions de chacun.

Si certaines économies ont pu être faites depuis deux ans, en taillant dans le «gras», la marge de manoeuvre devient de plus en plus serrée. De l'avis même du chef du département de l'instruction publique, l'organisation de la rentrée 1993 a été une véritable opération de «jonglage», et la suite lui semble difficilement gérable sans pratiquer des coupes linéaires.

Une étude intéressante a d'ailleurs été menée par un Collège à Genève: Toutes les idées possibles et imaginables d'économies ont été jetées sur le papier. Puis une analyse a été effectuée pour évaluer les mesures qui pouvaient être prises sans dommage pour la qualité de l'enseignement. Enfin, on pouvait trouver dans une dernière colonne de ce tableau, celles qui avaient déjà été appliquées durant ces deux dernières années. Rares étaient les lignes restantes sur lesquelles se conjuguaient les termes «réalisables» et «pas encore prises». Dans ce collège aussi la question des coupures à venir cause de vives inquiétudes.

En réfléchissant, en évaluant, il sera certainement encore possible d'imaginer des solutions d'économiser. L'école change, ses usagers aussi, des nouveautés sont envisageables. Mais pour cela, deux impératifs nous semblent incontournables:

disposer de temps pour décider;

instaurer un meilleur dialogue et un réél climat de confiance.

Cette motion s'inscrit dans le cadre souhaité par la motion M 734 invitant le Conseil d'Etat à repenser l'ensemble des activités de l'Etat en ouvrant le débat aussi bien aux fonctionnaires qu'à la population. Elle s'inspire aussi du programme Caducée.

Au surplus cette motion ne cherche pas à faire du catastrophisme mais simplement à exprimer notre inquiétude pour l'avenir de l'école genevoise. Notre pays vieillit, il ne possède pas de matières premières. Sa seule richesse est son savoir et son savoir-faire. Les décisions d'économies dans le domaine de l'enseignement et de l'éducation doivent donc tout particulièrement faire l'objet de réflexions approfondies. Pour cela il faut s'atteler à une nouvelle méthode de travail. Entendre les gens, consulter les diverses associations professionnelles et de parents, évaluer quels sont les instruments pédagogiques indispensables pour permettre à chacun d'avoir des chances égales devant l'école et après, après seulement, appliquer les coupures budgétaires qui auront été ainsi choisies et décidées.

C'est pour cette raison que nous vous invitons Mesdames et Messieurs à accepter cette motion qui propose le principe d'une «pause pour décider».

Débat

Mme Maria Roth-Bernasconi (S). Brièvement, je vous dirai ce que nous demandons au travers de cette motion. Tous sont d'accord avec nous, dans cette enceinte, lorsque nous disons qu'une école de qualité est le meilleur moyen d'assurer l'avenir de la société. Mais, dès qu'il s'agit de la définir, les divergences surgissent.

Pourtant, nous sommes persuadés de pouvoir définir l'école que nous voulons. Mais, pour faire un projet la concernant, il faut que tous les acteurs du système se mettent autour d'une table, dialoguent et surtout écoutent ce que chacun exprime. La qualité d'écoute est ce qui manque le plus dans nos institutions, ceci à tous les niveaux. Tant que cette pratique n'existe pas, il y aura toujours des réticences à toutes les mesures proposées. Finalement, ce sont nos enfants qui en pâtissent.

Notre demande n'est pas de soustraire le DIP aux restructurations ni aux économies. Que cela soit bien clair ! Nous demandons d'intégrer les économies dans un projet pédagogique. Les députés ou les politiciens seuls ne peuvent définir un tel projet. Les différents «acteurs» comme les parents, les enseignants et enseignantes, voire les élèves, les étudiants et étudiantes doivent participer au débat.

Toutefois, un tel débat ne peut se faire si l'épée de Damoclès menace à tout moment de tomber sur les têtes des gens qui s'appliquent à travailler de manière constructive à reconstruire un climat de confiance qui, malheureusement, s'est quelque peu détérioré dans ce département. Pour ce faire, il faut motiver tous les participants pour obtenir plus d'efficacité.

Nous avons constaté que dans d'autres départements la concertation existait. Je pense notamment au département de la santé publique et au projet CADUCEE pour lequel tous «les acteurs et actrices» de l'hôpital ont pu s'exprimer et dont le résultat a été satisfaisant.

Il nous tient vraiment à coeur d'éviter qu'avec les mesures d'économies actuelles il y ait des pertes de substance ainsi qu'un impact défavorable sur les prestations devant être assurées par une collectivité se voulant solidaire et promouvant l'égalité des chances. M. Föllmi nous a tout de même dit que cette année la rentrée pouvait se faire de «justice» en «jonglant» avec des transferts.

Une voix. Justesse !

Mme Maria Roth-Bernasconi. ...Oui, je m'excuse, je suis un peu fatiguée car je sors d'une session d'examen. Nous avons appris qu'au niveau de la protection de la jeunesse le budget de fonctionnement est à la limite de ses possibilités et que les prestations ne peuvent pas être assurées telles que souhaitées. Il y a certainement d'autres exemples.

Nous vous prions donc de bien vouloir renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.

Mme Monique Vali (PDC). Tout d'abord, je ferai une pause avant de vous donner la position de mon groupe. Auparavant, je ferai quelques constats sur les considérants.

En premier lieu, je trouve que les motionnaires ont une vision réductrice de la notion de formation. A notre sens, elle ne se limite pas au seul budget du département de l'instruction publique.

D'autre part, on parle de coupes touchant la commission de l'enseignement alors que l'analyse du budget de 1984 n'est pas commencée. Or, d'ores et déjà, on dit que ces coupes sont inadéquates.

Troisièmement, quelle est la valeur d'une pause ? Que fait-on après une pause ? A mon sens, elle est plutôt démobilisatrice. Elle ne donne ni imagination ni dynamisme. Il est vrai que la concertation est nécessaire et je crois que tous dans cette enceinte la souhaitent. Mais pour qu'une concertation soit valable, il faut qu'elle ait lieu entre partenaires responsables.

A mon avis, l'idée de faire une pause rendra les choix et les décisions qui devront immanquablement être faits beaucoup plus douloureux. Il est inutile de répéter que nous sommes dans une situation difficile et que notre mode de faire et de penser doit changer.

Je dirai encore aux motionnaires que je ne sais pas où l'on pourrait trouver la contrepartie du prélèvement à faire. Pourrait-on prélever ce que l'on n'enlèverait pas au département de l'instruction publique dans d'autres dicastères sociaux, comme l'assistance publique, l'aide aux chômeurs ? Personne ne dit rien à ce propos. En conséquence, vous aurez compris que le groupe démocrate-chrétien n'accepte pas cette motion.

M. Jacques-André Schneider (Ve). Nous n'avons pas signé votre motion, mais nous y avons réfléchi.

Des voix. Aaaaahhhh !

M. Jacques-André Schneider. Si nous ne l'avons pas signée, c'est que nous n'y avons retrouvé ni le souffle ni les idées nouvelles du parti qui fut et qui reste le père, voire la mère de cet acquis fondamental qui est la démocratisation des études...

Une voix. ...C'est les radicaux ! (Grands éclats de rires.)

M. Jacques-André Schneider. Malheureusement, votre motion reste très limitée. Elle se focalise sur un thème, celui de l'argent et plus précisément sur celui des lignes budgétaires. En cela vous cherchez sans doute à vous opposer à vos archi-rivaux libéraux en empruntant le même cheminement qu'eux, celui des ressources financières. Les lignes budgétaires sont importantes et décisives, mais toute réflexion sur ce sujet doit partir d'un constat, celui que nous sommes au milieu d'une tourmente, d'une mutation économique, sociale et culturelle majeure touchant directement la formation.

Quels sont la place et le rôle de l'instruction publique dans une perspective de développement à long terme - durable, dirions-nous, nous autres écologistes ? Quelle est sa place dans la société, et plus encore dans l'activité quotidienne et économique de la société ?

Nous avons besoin, chers amis socialistes, de nouveaux repères, d'un nouveau contrat pour l'éducation qui innove, modernise sans dénaturer les acquis premiers de l'école publique... et c'est pour vous les radicaux que je parle !... l'école publique, laïque et obligatoire.

Le deuxième acquis consiste en la démocratisation des études qui fut l'étendard socialiste. Troisièmement, il s'agit de l'intégration à Genève de jeunes aux origines culturelles multiples. C'est une oeuvre commune qui est la vôtre, plus particulièrement, Monsieur Föllmi.

Sans prétendre à l'originalité absolue, nous pensons que les nouveaux repères doivent se forger autour d'une question. Quelle est la place du savoir et de la formation dans la société et l'économie de demain ? Nous sommes dans une société d'information. Pour l'exemple, M. Drucker, qui est un conseiller en management et non pas un affreux gauchiste, dit dans son dernier livre, à propos du capitalisme d'information : «Les activités qui occupent la place centrale ne sont plus celles visant à produire et à distribuer des objets mais celles qui produisent et distribuent du savoir. Les ressources traditionnelles qui sont le travail, le capital, les richesses naturelles rapportent de moins en moins. La principale source de richesse est désormais l'information et le savoir».

Observez, par exemple, les firmes IBM et Microsoft ou celles de l'industrie pharmaceutique. Les pilules et les crèmes ne sont pas les produits essentiels en pharmaceutique, mais c'est le savoir sous-jacent qui supporte le tout. Les crèmes et les pilules ne sont que l'emballage du savoir. (Grand éclat de rires. M. Balestra applaudit !) L'informatique, c'est du savoir, et tous ceux qui rient devraient tout de même regarder de plus près ce qui se passe dans l'industrie du génie génétique. Ainsi, ils comprendraient que mon propos n'est pas aussi ironique qu'il en a l'air. En ce sens, le secteur de la santé contient beaucoup de savoir. De plus en plus, on s'interroge sur le rôle économique que pourrait jouer ce potentiel dans notre société. Beaucoup d'idées circulent sur ce sujet. On pense principalement que deux choses sont importantes dans ce domaine.

La première idée est qu'il faut dépenser de l'argent pour distribuer le savoir. Les pays les plus performants dépensent 20% de leur PNB à la production et à la distribution du savoir, 10% pour l'instruction publique classique, 5% pour les efforts des organisations et des entreprises en matière de formation continue de leur personnel, et 3 à 5% de production du «savoir nouveau» qui est la recherche et le développement.

La deuxième idée consiste à dire que le savoir doit être productif. Il doit pouvoir être appliqué pour résoudre les principaux problèmes économiques, sociaux et environnementaux de la société et des entreprises. Bien entendu, l'Etat ne peut pas se substituer aux entreprises et aux organisations de la société civile. Mais ces mêmes entreprises et organisations ne peuvent pas d'elles-mêmes remplir un certain nombre de tâches fondamentales que l'Etat doit assumer dans l'instruction publique. Or, quels sont les thèmes que l'on va devoir affronter dans la discussion sur l'effort d'instruction publique classique qui concerne directement l'Etat ?

Premièrement, il faut donner à tous un niveau de formation générale de très haut niveau. Deuxièmement, dans l'école de demain, l'individu devra apprendre à apprendre et à faire exceptionnellement bien ce que l'on réussit déjà brillamment. L'élève deviendra son propre instructeur et l'informatique sera son outil personnel. L'école devra être ouverte à la société, aux entreprises et aux organisations bien plus qu'elle ne l'est aujourd'hui.

Enfin, et cela risque peut-être de vous étonner, chers amis socialistes, l'école publique devra apprendre à rendre des comptes. L'éducation est devenue bien trop coûteuse pour que les établissements scolaires n'aient pas de comptes à rendre. Dès lors, le savoir deviendra l'une des ressources principales de la société de demain. L'école, donc ses animateurs et animatrices, devra s'engager sur ses propres performances.

Chers amis socialistes, l'instruction publique n'a pas besoin de faire une pause mais d'accélérer sa réflexion sur le sujet et ceci dans le contexte financier que nous connaissons tous.

Cette réflexion doit être l'occasion d'une concertation. C'est la raison pour laquelle - nous savions que cette motion ne passerait pas la rampe au Grand Conseil - nous avons, M. Roger Beer, Mme Fabienne Bugnon et moi-même élaboré un amendement à votre motion.

Nous proposons de supprimer votre invite et de la remplacer par la suivante :

Invite le Conseil d'Etat

- à engager un processus de concertation sur les missions futures et les moyens de l'instruction publique par une procédure analogue dans sa philosophie à celle qui a conduit au rapport CADUCEE pour l'hôpital cantonal.

J'espère que chacun et chacune comprendra l'importance d'engager un processus de concertation, mais ceci sans admettre l'idée de la pause.

Mme Yvonne Humbert (L). Attendre pour attendre ne sert à rien. Le corps enseignant primaire l'a compris et s'est réuni ce dernier mercredi en un forum où il fut question d'aborder certains problèmes touchant l'enseignement primaire, dont le redoublement.

Lors de ce forum, je fus agréablement surprise par les conclusions positives qui se sont détachées lors de la synthèse. En effet, les maîtres sont conscients des problèmes posés dans l'enseignement et de leurs responsabilités face aux élèves. Ils sont conscients des erreurs qui sont en train d'être commises.

Ils ont même remis en question le devenir de la profession et sont absolument partie prenante d'une concertation entre eux car ils trouvent le cloisonnement entre maîtres trop marqué. Ils sont aussi partie prenante d'une concertation entre les parents et la hiérarchie scolaire.

Cette concertation a commencé. Il faut poursuivre dans cette voie et être partie prenante des réformes et non pas les subir. Le corps enseignant possède une grande et sage disponibilité dans ses prérogatives et dans sa responsabilité face aux élèves, aux parents et à la nouvelle société qui se présente. Pour nous, cette motion n'est pas valable, et nous ne pouvons pas l'accepter.

Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Je voudrais dire deux mots sur le pourquoi de cette motion. Vous vous rappelez peut-être d'une motion portant le numéro 734, déposée par tous les partis représentés dans ce Grand Conseil et demandant une analyse, une mise en place de débats et une concertation importante dans tous les secteurs de l'administration, avec les partenaires concernés.

Pour différentes raisons, un certain nombre de ces points n'ont pu être réalisés. Chaque année, on opère des coupes au sein du département de l'instruction publique sans avoir pu les faire à partir d'analyses et de consultations comme cela a été fait dans d'autres départements.

Nous ne sommes pas les seuls à être inquiets. Monsieur Föllmi nous a expliqué en commission combien l'organisation de la rentrée 1993 avait été difficile et combien seraient importantes les difficultés de la rentrée 1994.

Visiblement, l'amendement proposé par M. Schneider suscite beaucoup de réflexions. (Brouhaha, discussions en aparté dans les groupes.)

La présidente. S'il vous plaît, Mesdames et Messieurs les députés, ne voudriez-vous pas aller discuter de vos amendements à l'écart ? Mme Reusse-Decrey ne s'entend pas parler. (Rumeurs de protestation.)

Mme Elisabeth Reusse-Decrey. Je veux bien finir mon intervention et proposer une petite interruption de séance car, visiblement, tous les groupes ont envie de discuter... (Mécontentement.) ...J'ai bien entendu les théories de M. Schneider. Il est important de voir le rôle fondamental de l'école...

La présidente. (La présidente tape sur sa cloche, mais personne ne réagit !) Cela ne s'améliore pas, je suis désolée, Mesdames et Messieurs, s'il vous plaît ! Mme Luscher !

Une voix. Béatrice !

La présidente. J'attends qu'il y ait un peu de silence pour redonner la parole à Mme Reusse-Decrey.

Mme Elisabeth Reusse-Decrey. Je disais avoir bien entendu les théories de M. Jacques-André Schneider. Mais revenons aux situations concrètes. La rentrée 1993 s'est relativement bien passée. Il n'en reste pas moins qu'un certain nombre de jeunes n'ont pas pu entrer à l'école de culture générale. Certains ont pu y accéder tout de même en maintenant leur demande, mais d'autres «zonent» quelque part dans la ville.

Le secteur spécialisé est surchargé. Ainsi, nombre d'enfants restent dans les classes dites normales car ils ne peuvent être accueillis dans ces secteurs spécialisés.

Une très forte pression est exercée sur les parents pour que les écoles enfantines ne soient pas surchargées. On leur propose même de renoncer à y mettre leur enfant, voire de l'y mettre à temps partiel. Bref, beaucoup d'exemples restent encore à citer et nous inquiètent aujourd'hui.

Nous possédons une école de qualité et nous aimerions la maintenir pour toutes et tous.

Nous constatons déjà une diminution des heures des activités d'éveil et nous avons peur qu'elles prétéritent particulièrement les enfants issus de familles modestes dont les parents n'auront pas les moyens de compenser les manques.

Le dialogue a fait défaut et il est indispensable qu'il ait lieu. Nous avons rencontré des associations de parents inquiets qui attendent de pouvoir être entendus. Ils n'ont pas l'impression d'être toujours bien représentés par leurs instances faîtières. A mon avis, c'est le moment d'entendre leur appel. Comme l'a dit Mme Humbert, le forum des enseignants des classes primaires a réuni plus de quatre cents personnes qui ont passé toute une journée à réfléchir. Ils ont donné de leur temps et sont prêts à continuer à le faire pour autant que leurs conclusions soient entendues.

Nous sommes profondément convaincus que des solutions existent, mais nous demandons du temps pour y réfléchir et prendre des décisions. Cela ne peut se faire dans la précipitation et c'est ce qui explique notre motion.

Enfin, il n'est pas question de se demander si l'on doit prélever les fonds dans un autre département, car qui vous dit, Madame Vali, qu'après un an de travail nous n'aurons pas proposé des économies pouvant rattraper le temps et l'argent impartis à cette pause de réflexion.

Mme Marlène Dupraz (T). (Brouhaha.) Mme Vali avait demandé...

La présidente. S'il vous plaît !

Mme Marlène Dupraz. ...la contrepartie de la pause. Je pense que la contrepartie a été dite et redite. C'est la participation et la concertation. Ce n'est pas de trop à notre époque. La participation implique une large concertation. Or, pour ce faire, il faut lui accorder le temps nécessaire.

Puisque nous ne nous cantonnons pas au seul domaine de l'instruction, raison est de constater que pour réaliser des accords entre les écoles il faut laisser le temps et la possibilité d'épuiser le dialogue et laisser également le choix des propositions. Rien de ce qui a été proposé par les motionnaires n'est arrêté. Je crois que vous avez des inquiétudes inutiles.

Acculer les décisions n'est pas sage. Elles bousculent et satisfont peut-être les besoins de l'équilibre financier, mais les effets pervers ne tarderont plus à refaire surface à très brève échéance.

A tout bout de champ il est question de participation, c'est le moment de faire participer les enseignants, tous les partenaires, également toutes les directions d'écoles et celle de l'instruction publique pour que nous puissions trouver une réponse.

La motion de M. Jacques-André Schneider est la bienvenue. Le parti du Travail soutient cette motion. Il invite le parti socialiste et tous ceux qui sont préoccupés par la qualité de la formation à voter cette motion. Je trouve qu'elle n'est pas inutile à l'heure où l'on prend des décisions beaucoup trop précipitamment.

M. Dominique Föllmi, conseiller d'Etat. La motion proposée me donne l'occasion de transmettre une sorte de testament politique de chef du département de l'instruction publique.

Les multiples interventions au sujet de la concertation m'étonnent. On a reproché au département de l'instruction publique de trop pratiquer la concertation. On m'a reproché de trop prendre en considération les avis des parents, ceux des associations d'enseignants et de prendre trop de temps pour décider.

Or, j'entends les critiques inverses aujourd'hui selon lesquelles nous n'aurions pas de concertation, et que ni les associations professionnelles ni celles des parents n'étaient partie prenante. Permettez-moi de m'inscrire en faux contre ces propos.

Comme on ne me croira pas, bien sûr, j'ai apporté ici les procès-verbaux de toutes les séances de concertation ayant eu lieu au département de l'instruction publique au cours de l'année 1992-93, celles qui ont eu lieu au sujet des économies liées à la rentrée scolaire, car c'est là que les économies doivent entrer en force. Si cette concertation n'avait pas eu lieu, je n'aurais pas pu mettre en oeuvre la rentrée scolaire 1993.

Voici le détail des séances au cours de l'année 1993 : neuf séances en ce qui concerne l'enseignement primaire, cinq avec la commission de pédagogie, quatorze avec les associations professionnelles et dix pour le cycle d'orientation.

L'enseignement post-obligatoire nous a demandé quatorze séances de négociations, dont huit dans le cadre de la commission paritaire de la formation continue et dix-sept de négociations au sujet de la commission de gestion des études pédagogiques. Les procès-verbaux sont là pour accréditer mes propos. La concertation est une habitude du département de l'instruction publique. Elle n'a jamais cessé, même dans la période difficile de l'automne dernier.

Après cette mise au point introductive, j'aimerais vous faire part de quelques réflexions.

Comme tous les autres départements, celui de l'instruction publique commence avec l'exercice 1994 sa troisième année consécutive d'économies. Comme vous le savez, cela a été provoqué par une situation économique difficile. Nous devons transformer notre manière de penser et d'agir qu'une période exceptionnelle de richesse et d'aisance nous avait permis d'instaurer.

Les changements sont périlleux, parfois conflictuels, marqués par l'urgence et cela ne permet à aucun «acteur» de se situer sur le seul terrain du rationnel pour dégager l'essentiel de l'intérêt public.

Les années à venir seront difficiles. Ce terrain mouvant rend d'autant plus indispensable le débat de fond. Comme M. Schneider l'a rappelé tout à l'heure, il doit se poursuivre comme cela s'est toujours passé au département de l'instruction publique. Les quelques réflexions que je vais brièvement résumer ont pour but d'y contribuer. Mon départ ne marque pas le terme de mon intérêt pour l'éducation mais une volonté de passer le témoin dans la clarté.

Prenons les faits. La crise s'est imposée à nous brutalement. Elle est sans proportion avec d'autres turbulences qui ont marqué ce dernier quart de siècle de la vie genevoise. Elle n'est pas un phénomène conjoncturel. Il convient donc, et vous êtes d'accord avec cela, de repenser l'Etat dans ses tâches essentielles et d'en rechercher l'organisation la plus économe des ressources publiques.

Mon constat est le suivant. La crise frappe plus fortement certains groupes de la population et en premier lieu les travailleurs qui se retrouvent subitement au chômage. En second lieu, elle touche toutes les personnes dont les moyens d'existence sont précaires. Il s'agit de ne dévaloriser aucune activité, l'enseignement par exemple, en reconnaissant une priorité aux questions du chômage. Quant aux personnes qui n'ont pas de moyens d'existence suffisants, la crise rend leur position encore plus précaire.

Cette réalité a obligé le département de l'instruction publique à réduire ses ressources, comme les autres départements, et à s'organiser pour répondre au mieux à sa mission. Au cours de ces deux derniers mois, ses efforts ont essentiellement porté sur deux domaines.

D'abord, les élèves sont plus nombreux dans l'enseignement primaire en raison de l'importance de la démographie. Il sont plus nombreux dans certaines filières de formation à plein-temps en raison de l'absence de débouchés professionnels. Il est vrai qu'il a fallu intégrer plus d'élèves avec moins d'enseignants et consentir ainsi à un double effort. Cependant, ce n'est pas une situation d'exception car, en période de crise, les prestations de l'Etat sont plus fortement sollicitées dans tous les domaines.

Le second effort se situe dans l'organisation scolaire et la répartition interne des moyens où tout a été entrepris pour privilégier l'enseignement et l'encadrement des élèves. J'ai toujours affirmé que les économies que nous ferions n'auraient pas d'incidence directe sur les prestations des élèves.

Pourtant, il serait peu sérieux de prétendre avoir peu de marge de manoeuvre. Il serait faux de prétendre aussi que les mesures retenues n'exigent pas de chacun un engagement différent. Force est de constater que la situation actuelle exige de poursuivre l'effort engagé conformément au plan financier élaboré par le Conseil d'Etat.

Toutefois cette démarche ne saurait s'accomplir sans débat sur quelque orientation déterminante pour le système éducatif genevois. A ce propos, je mentionnerai deux préoccupations par rapport à l'avenir.

D'abord, ma première préoccupation considère les acquis de la scolarité obligatoire. La population scolaire genevoise n'a pas son équivalent en Suisse si l'on considère sa diversité socioculturelle et linguistique; donner à chacun les notions indispensable à sa future intégration économique et civile exige des moyens appropriés. D'où l'obligation de réflexion à l'intérieur de l'institution sur le contenu de l'enseignement et son organisation, puis la nécessité d'attribuer les moyens en fonction des priorités fixées, et donc, vraisemblablement, selon d'autres critères que ceux qui ont conservé jusqu'à maintenant une force de linéarité au système.

Deuxièmement, pour l'avenir, c'est le développement de la formation professionnelle qui est en constante mutation pour répondre aux besoins de l'évolution économique. Cela conduit à concevoir, d'une part, des niveaux supérieurs de formation et, d'autre part, des perfectionnements professionnels. Voilà, à titre d'exemples, quelques réflexions pour lesquelles les réponses devant être apportées seront déterminantes pour la collectivité genevoise.

La gravité de la situation, surgie brusquement en 1991, exigeait des mesures immédiates et simples dans leur exécution, réduction du personnel au pourcentage, enveloppe financière et mesures linéaires. Mais il est peu probable qu'au-delà de 1994 on puisse poursuivre dans cette voie sans glisser du terrain de la réorganisation à celui de la mission. C'est ce qui m'avait conduit, dès 1989, à réaffirmer dans la plaquette «L'an 2000, c'est demain. Où va l'école genevoise ?» la pertinence des finalités de l'enseignement genevois et de dessiner les réformes à engager pour continuer à les concrétiser. «Préserver l'essentiel» est une invite à ouvrir ce débat sous quelques aspects déterminants de l'organisation du département. Les circonstances n'ont pas permis son instauration immédiate, mais l'année écoulée fut importante pour permettre à chacun, au département de l'instruction publique, de prendre conscience de la réalité économique et sociale dans laquelle il faut travailler aujourd'hui et la réflexion sur les thèmes de «préserver l'essentiel» a été engagée. Tout à l'heure on parlait du forum de l'enseignement primaire. C'est exactement dans cette voie que quatre cents enseignants se sont réunis mercredi dernier.

Je demeure convaincu que les thèmes comme la démocratisation de l'accès à la connaissance, l'éducation pour une société pluraliste et ouverte, l'unité de la culture générale, la diversification des formes d'accès au savoir et la dynamisation du fonctionnement du système scolaire n'ont rien perdu de leur actualité. Ils représentent des enjeux incontournables au développement de l'activité et de la cohésion de la population genevoise.

Je forme le voeu que chacun s'emploie à concilier l'essentiel de la mission du département avec la rigueur du moment, en se rappelant plus que jamais que l'éducation est une belle entreprise mais qu'elle est aussi une entreprise à long terme. (Applaudissements de toutes parts.)

M. Philippe Fontaine (R). Je désire, par ces quelques mots, m'adresser à M. le président Föllmi et vous dire, Monsieur le président, tout le plaisir que j'ai eu durant ces huit ans à travailler à vos côtés, en particulier comme président de la commission de l'enseignement.

Nous avons toujours trouvé en vous un homme qui savait s'engager auprès des députés et cela doit vous être reconnu. Je voudrais vous dire aussi tout le regret, et parfois même l'écoeurement, que j'ai ressenti durant cette triste campagne de dénigrement concernant le travail de votre département.

De plus, si l'on vous a parfois accusé de vouloir démanteler le département de l'instruction publique, je considère, pour ma part, que c'était de la malhonnêteté intellectuelle... (Quelques applaudissements.) Enfin, j'ai toujours été très sensible à la sincérité de votre engagement. Je vous remercie pour tout ce que vous avez réalisé.

Quant à vos détracteurs, je voudrais simplement, en pensant à une personne qui m'est chère, Jean de La Fontaine, leur recommander de lire avant les élections la fable qui s'intitule : «Les grenouilles qui demandent un roi». Ainsi, Mesdames et Messieurs, nos électeurs trouveront dans quelques jours... (Rires.) ...en lisant cette fable - excusez-moi, je suis un peu ému - non pas un nouveau bâton pour les battre, mais certainement une matière à réflexion. (Applaudissements.)

M. Alain Rouiller (S). Permettez-moi d'expliquer la position de notre groupe qui a déposé cette motion ayant reçu un amendement. Avant le vote, je souhaite exprimer notre vif regret quant au fait que notre proposition n'ait pas été agréée par la majorité de ce Grand Conseil.

Nous continuons à penser que notre idée est la bonne, mais nous ne sommes pas contre cette proposition consensuelle d'amendement. Nous ne pouvons que l'accepter. Une majorité d'entre nous l'acceptera. Nous vous invitons ensuite à renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.

La présidente. Je mets aux voix la proposition d'amendement de M. Jacques-André Schneider.

Le résultat est douteux.

Il est procédé au vote par assis et levé.

Le sautier compte les suffrages.

Cet amendement est rejeté par 45 non contre 38 oui.

Mise aux voix, la motion est rejetée.