République et canton de Genève

Grand Conseil

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PL 13253
Projet de loi constitutionnelle de Stéphane Florey, Christo Ivanov, Gilbert Catelain, Thomas Bläsi, André Pfeffer, Marc Falquet, Philippe Perrenoud, Florian Gander, Charles Selleger, Virna Conti, Guy Mettan, Jean Romain, Antoine Barde, Daniel Sormanni, Sébastien Thomas, Patrick Dimier modifiant la constitution de la République et canton de Genève (Cst-GE) (A 2 00) (Hymne officiel de la République et canton de Genève)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session X des 2 et 3 mars 2023.

Troisième débat

La présidente. Nous abordons l'urgence suivante, à savoir le PL 13253, qui est classé en catégorie II, trente minutes. Nous sommes au troisième débat; s'il n'y a pas de demande de parole, je passerai directement au vote de l'amendement. (Remarque.) Je donne la parole à M. Patrick Dimier.

M. Patrick Dimier (MCG). Merci, Madame la présidente. (Brouhaha.) C'est toujours un moment d'émotion lorsqu'on évoque le «Cé qu'è lainô» puisque, vous le savez tous... (Brouhaha. Un instant s'écoule.)

La présidente. S'il vous plaît ! Je sais que certains fêtent le vote précédent, d'autres le regrettent, mais je vous prie de faire l'un ou l'autre à la buvette et, ici, d'écouter les orateurs.

M. Patrick Dimier. Merci, Madame la présidente. Je disais que c'est toujours un moment d'émotion lorsqu'on évoque le «Cé qu'è lainô», qui n'est pas - ce que certains prétendent, par ignorance ou par ignorance de leur histoire - un chant religieux mais, bien sûr, un chant de remerciement. Il faut toujours contextualiser les choses: ce chant est apparu au tout début du XVIIe siècle suite à l'agression de notre voisin, qui a été magnifiquement défait par la force - et certainement la foi - des Genevois de l'époque. Raison pour laquelle les attaques qu'on mène contre ce chant sont toujours très mal ressenties - au MCG, en tout cas, mais je suis sûr de manière beaucoup plus large - parce que, quelque part, c'est aussi un chant qui nous rassemble tous ! Et il ne nous rassemble pas autour de «Cé qu'è lainô», de celui qui est en haut, mais autour de ce qui fait la force d'une communauté qui sait se défendre. Cette proposition ne vaut pas grand-chose: elle vaut ce qu'elle «dévot», bien entendu. (Exclamations.)

M. Jacques Jeannerat (LJS). Mesdames et Messieurs les députés, à Genève, le «Cé qu'è lainô» est bien sûr historique et symbolique; il illustre depuis bientôt quatre siècles, historiquement, un esprit de volonté et d'indépendance. Mais cette notion d'indépendance et de liberté est-elle suffisamment importante pour qu'on inscrive ce chant dans la constitution genevoise ? Notre groupe ne le pense pas, et cela pour deux raisons.

D'abord, ça nécessite une votation populaire, et on sait le prix que coûte une votation: plusieurs centaines de milliers de francs. C'est beaucoup d'argent juste pour mettre cette chanson - que nous apprécions tous - dans la constitution. Certes, vous allez me dire qu'on peut le coller dans une votation sur la fiscalité ou un déclassement de zone, mais les coûts seront toujours présents même s'ils seront diminués. La deuxième raison, c'est que la constitution, au fond, est à notre avis la loi suprême et fondamentale d'un Etat, qui fixe d'abord son identité et ensuite l'ordre politique et social voulus. Le «Cé qu'è lainô», Mesdames et Messieurs, ne fixe absolument pas l'ordre politique; il tient donc du symbole.

Chaque chose à sa place, Mesdames et Messieurs les députés: pour le groupe Libertés et Justice sociale, la place du «Cé qu'è lainô» est dans le coeur des Genevois, pas dans la constitution. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Pierre Eckert (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, en tant que Verts, nous n'avons absolument rien contre ce chant patriotique traditionnel, mais nous appelons à une certaine mesure avec la constitution, qui doit rester un texte fixant les principes généraux et non une foule de détails. J'aimerais voir cela de plus près.

«Sur nos monts, quand le soleil Annonce un brillant réveil»: ce chant représente bien l'identité montagnarde helvétique en faisant vibrer nos âmes attendries. Se trouve-t-il dans la Constitution de notre pays ? J'ai bien cherché, je n'en ai pas trouvé trace. «Nous aimons ses coteaux ombreux, Son doux lac, ses combes fleuries, Et la paisible majesté De ses grandes joux séculaires»: ce très bucolique passage de l'hymne neuchâtelois ne figure pas davantage dans la constitution du canton. Et enfin: «Unissez-vous, fils de la Rauracie, Et donnez-vous la main, et donnez-vous la main !», que les Jurassiennes et les Jurassiens ont chanté et chantent encore pour s'extraire des griffes bernoises: mais ce n'est pas du tout leur hymne officiel, il ne se trouve pas dans leur constitution; il fait l'objet d'un arrêté.

Alors est-ce que «Celui qui est très haut et maître des batailles» doit se trouver dans notre constitution ? Nous pensons que non. Nous apprécions ce chant, la fête de l'Escalade qui s'y rattache et même le fait qu'il soit entonné pour impressionner nos adversaires provenant de Gottéron ou d'Ajoie. Nous apprécions par ailleurs aussi la langue de ce chant: l'arpitan, ou francoprovençal. Il s'agit en fait du langage du Grand Genève, ne vous en déplaise, voire de régions un peu plus éloignées, jusqu'aux confins de l'Isère ou du Val d'Aoste. La proposition du Conseil d'Etat de placer le «Cé qu'è lainô» dans une loi nous paraît raisonnable et nous convient très bien. Cela correspond à la pratique des autres cantons et de la Confédération.

En ces temps d'urgence climatique et de croissance exponentielle des cas traités par l'Hospice général, est-il vraiment nécessaire de mettre du temps et de l'énergie pour appeler le peuple aux urnes afin de modifier la constitution en ce sens ? Nous ne le pensons pas. Et ensuite, quelle est la prochaine étape ? Est-ce qu'il faudra ajouter la fête du Feuillu ou le Salon de l'auto dans la constitution ? Je vous pose la question. Nous pensons que non. (Applaudissements.)

La présidente. Merci. Je donne la parole à M. François Baertschi pour une minute dix-sept.

M. François Baertschi (MCG). Très rapidement, je suis quand même assez choqué par ce que j'entends dans cet hémicycle: une volonté d'effacer le passé de Genève, d'effacer son histoire. En disant que le «Cé qu'è lainô» serait un simple air folklorique, que Genève et la Suisse seraient nés en 1848, on oublie tout ce qui fait la force, tout ce qui fait l'essence de Genève, la citoyenneté genevoise, qui est au coeur de la personnalité de Genève. Certains veulent effacer cela; cette vision complètement... ce wokisme, pourrait-on dire...

Des voix. Oh !

M. François Baertschi. ...à la mode genevoise, le MCG s'y opposera. Il votera avec détermination ce projet de loi à l'issue du troisième débat. Merci, Madame la présidente.

La présidente. Merci. Monsieur Pierre Eckert, vous avez la parole pour quarante-huit secondes.

M. Pierre Eckert (Ve). Madame la présidente, merci. Je veux quand même réagir à ce qu'on vient d'entendre: je n'ai jamais voulu effacer le «Cé qu'è lainô». Mais il me semble que c'est bien suffisant de le faire figurer dans une loi - la loi sur les armoiries - et non dans la constitution. A part ça, j'ai dit que nous apprécions ce chant et que nous en reconnaissons la valeur historique. (Applaudissements.)

La présidente. Je vous remercie. Je précise qu'il ne sera pas possible de prendre la parole après le Conseil d'Etat. (Un instant s'écoule.) Très bien, je donne la parole au Conseil d'Etat: Monsieur Mauro Poggia, je vous cède le micro.

M. Mauro Poggia, président du Conseil d'Etat. Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, c'est une belle pratique que j'apprécie beaucoup... (Rires.) ...et que je vais regretter. Je crois qu'il n'y a pas, ici, de non-patriotes: tous ont à coeur de chanter bien fort le «Cé qu'è lainô», sauf peut-être un député qui a déposé cette fameuse QUE 1849. Je pense que, ce jour-là, une balade en forêt aurait été préférable à la rédaction de ce texte: cela nous aurait effectivement fait gagner à tous beaucoup de temps et évité de débattre d'une chose sur laquelle nous sommes tous d'accord ! A mon sens, personne ici n'imagine qu'il puisse y avoir un autre hymne cantonal que le «Cé qu'è lainô».

Alors, une fois que l'on a dit cela, est-ce que certains sont plus patriotes que d'autres parce qu'ils ont déposé un texte, ou parce qu'ils veulent inscrire le chant dans la loi ? Nous avons essayé de trouver une voie qui respecte, à mon sens, la volonté de chacune et de chacun, tout en ne faisant pas une genevoiserie de plus ! Nous avons fait une recherche, nous avons regardé quels autres cantons auraient eu cette brillante idée qui émane des rangs à ma droite; eh bien je n'en ai trouvé aucun ! Ça ne signifie pas que vous êtes originaux, ça signifie simplement que d'autres se sont peut-être dit qu'il faudrait faire autrement. Effectivement, l'hymne ne figure ni dans la constitution du Jura ni dans celle du Valais. Berne n'a pas d'hymne officiel. Les constitutions de Neuchâtel et de Vaud n'en font pas non plus mention. Il n'y a pas d'hymne officiel à Fribourg... (Remarque.) Peut-être. ...et, pour la Suisse, le «Cantique suisse» n'est pas non plus dans la Constitution.

La question, c'est de savoir où l'inscrire pour faire droit à la demande légitime de celles et ceux qui ont vu dans la question écrite urgente posée une atteinte à leur ADN, tout en restant quand même assez souple pour éviter que le peuple doive se prononcer à son tour sur cette question. Alors, nous avons cherché la plus vieille loi genevoise - elle est de 1815: c'est la loi sur la dénomination, les armoiries et les couleurs de l'Etat. Quelle meilleure loi pourrait accueillir ce texte que celle que je viens de citer ? Une loi qui ne peut pas être modifiée sans repasser par cet hémicycle - nous savons quelles sont les majorités: celles et ceux qui voudraient l'inscrire dans la constitution, j'en suis sûr, sont en leur for intérieur convaincus que cette majorité sera éternelle. Comment peut-on imaginer une seconde que l'on puisse, à un moment donné, revoir cette loi que je vous propose d'amender pour en sortir cet hymne cantonal ?

Je vous invite donc à aller dans le sens que vous souhaitez majoritairement, voire unanimement: faire en sorte que l'on ne remette plus en question le rôle du «Cé qu'è lainô» en tant qu'hymne cantonal, mais inscrire cela dans cette loi et accepter l'amendement qui vous est proposé par le Conseil d'Etat. Je vous en remercie. (Applaudissements.)

La présidente. Merci. Mesdames et Messieurs, nous allons donc voter sur l'amendement général proposé par le Conseil d'Etat, qui remplacera, le cas échéant, l'entier du texte, y compris le titre:

«Projet de loi modifiant la loi sur la dénomination, les armoiries et les couleurs de l'Etat, du 10 août 1815 (LArm - A 3 01) (Hymne officiel de la République et canton de Genève)

Art. 1 (souligné) Modifications

La loi sur la dénomination, les armoiries et les couleurs de l'Etat, du 10 août 1815 (LArm - A 3 01), est modifiée comme suit:

Intitulé de la loi (nouvelle teneur)

Loi sur la dénomination, les armoiries, les couleurs et l'hymne de l'Etat

Art. 4 Hymne (nouveau)

L'hymne officiel de la République et canton de Genève est le «Cé qu'è lainô» en arpitan genevois.

Art. 2 (souligné) Entrée en vigueur

La présente loi entre en vigueur le lendemain de sa promulgation dans la Feuille d'avis officielle.»

Mis aux voix, cet amendement général est rejeté par 53 non contre 43 oui.

Mise aux voix, la loi 13253 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 53 oui contre 29 non et 13 abstentions (vote nominal).

Loi 13253 Vote nominal