République et canton de Genève

Grand Conseil

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R 906
Proposition de résolution de Mmes et MM. Jean Rossiaud, Guy Mettan, Jean-Charles Rielle, Pierre Eckert, Nicole Valiquer Grecuccio, Christo Ivanov, Yves de Matteis, Sylvain Thévoz, Salima Moyard, Olivier Baud, Nicolas Clémence, Boris Calame, Xhevrie Osmani, Christina Meissner, Dilara Bayrak, Claude Bocquet, Alessandra Oriolo, Léna Strasser, Jocelyne Haller, Diego Esteban : Un visa humanitaire pour Julian Assange
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session X des 27 et 28 février 2020.

Débat

Le président. Nous passons à l'urgence suivante, la R 906. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Je donne la parole à M. le député Jean Rossiaud.

M. Jean Rossiaud (Ve). Merci, Monsieur le président. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, nous étudions aujourd'hui la proposition de résolution 906, qui demande au gouvernement suisse d'accorder d'urgence un permis humanitaire à Julian Assange.

C'est avec une grande satisfaction et une certaine fierté que je constate avec vous aujourd'hui que, pour la première fois en Suisse, mais également pour la première fois sur le plan international... (Brouhaha. Des députés quittent la salle.)

Une voix. Chut !

M. Jean Rossiaud. Monsieur le président ?

Le président. S'il vous plaît ! (Un instant s'écoule. Commentaires.) Voilà, allez-y, Monsieur. (Un instant s'écoule.) Continuez, Monsieur Rossiaud ! (Un instant s'écoule. D'autres députés quittent la salle.) Monsieur Rossiaud !

M. Jean Rossiaud. Ben continuez de sortir !

Le président. Monsieur Rossiaud !

M. Jean Rossiaud. Oui ?

Le président. Continuez, s'il vous plaît. (Commentaires. Rire.)

M. Jean Rossiaud. C'est avec... J'en étais où, Monsieur le président ? Je disais donc que c'est avec une grande satisfaction et avec une certaine fierté que je constate avec vous aujourd'hui que, pour la première fois en Suisse, mais également pour la première fois sur le plan international, un parlement pourrait adopter une résolution offrant une solution concrète et immédiate, simplement humaine et humanitaire, à une personne - Julian Assange - poursuivie pour des raisons politiques et gravement atteinte dans sa santé.

Ma seconde satisfaction, Mesdames et Messieurs les députés, est que notre résolution a démontré que le bon sens et l'humanité ne relevaient pas de l'opinion politique, puisque cet objet a été signé par des députés d'horizons très divers: les Vertes et les Verts, l'Union démocratique du centre, le parti socialiste, le parti démocrate-chrétien, Ensemble à Gauche et le Mouvement Citoyens Genevois, soit 20% des parlementaires de notre Grand Conseil, issus de six des sept partis politiques représentés ici, ainsi que deux indépendants ont signé cette résolution.

Je dois avouer ne pas vraiment comprendre pourquoi les députés PLR se sont obstinés à rester en marge de cette action transpartisane, alors qu'ils ou elles prétendent être à l'avant-garde du libéralisme politique, de la défense de l'action humanitaire, de la lutte contre la torture, du respect de l'Etat de droit, des droits humains, et qu'ils s'honorent de l'«esprit de Genève» et de la vigueur de la Genève internationale. Avec le vote de cette résolution, une nouvelle chance de faire preuve tant de sens politique que de bons sentiments s'offre à vous, Mesdames et Messieurs du PLR et du PDC qui ne vous êtes pas encore décidés aujourd'hui !

Comme le suggère le Conseil fédéral dans sa réponse à l'interpellation du conseiller national Carlo Sommaruga, une demande de visa humanitaire n'est pas une demande d'asile. Accorder un visa humanitaire à Julian Assange à Genève lui permettrait simplement d'être soigné aux Hôpitaux universitaires, car il a besoin d'être rétabli dans sa santé physique et psychique après plus de neuf années de confinement à l'ambassade d'Equateur à Londres puis dans une prison britannique de très haute sécurité, où il est au secret vingt-deux à vingt-trois heures par jour.

En tant qu'ex-délégué au CICR, c'est également après avoir lu les rapports alarmants de M. Nils Melzer, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines, traitements cruels inhumains ou dégradants... Celui-ci a déclaré à différentes occasions que l'ensemble de la détention de M. Assange ne reposait sur aucune base légale et que le traitement qu'il subissait devait être qualifié sans nul doute de torture. Julian Assange a besoin de soins, comme chaque être humain sur notre planète. Il a également besoin de retrouver le minimum de sérénité mentale - est-ce possible après dix ans de torture, on le verra - pour prendre une décision en toute capacité psychique et en toute connaissance de cause quant à la suite à donner à sa vie, par exemple en choisissant le pays où il souhaitera vivre.

Depuis des années, tout le monde parle au nom de Julian Assange. Mais quel sera son désir, quelle sera sa volonté, sa détermination ? Personne ne peut le dire aujourd'hui. Retournera-t-il en Australie, son pays d'origine ? En Grande-Bretagne, pour y affronter ses juges ? Choisira-t-il d'utiliser son droit au refuge en demandant l'asile en Allemagne, en Russie, en France, ou en Suisse, même ? Les HUG sont mondialement reconnus pour le traitement de patients ayant subi des actes de torture et pour la pratique d'une médecine exigeante...

Le président. Je vous rappelle qu'il est interdit de filmer dans la salle, Mademoiselle ! (Exclamation.) Continuez, Monsieur Rossiaud.

M. Jean Rossiaud. Les HUG sont mondialement reconnus pour le traitement de patients ayant subi des actes de torture et pour la pratique d'une médecine exigeante, garantissant la sécurité de patients dont l'hospitalisation doit être entourée de mesures particulières, notamment de sécurité. C'est le lieu idéal pour que Julian Assange recouvre sa santé.

Genève, capitale onusienne des droits de l'homme et de l'action humanitaire, siège du Comité international de la Croix-Rouge, offre les conditions appropriées pour que la santé de Julian Assange soit rétablie dans le respect des principes d'humanité, de neutralité et d'indépendance. Comme l'autorise la procédure, John Shipton, le père biologique de Julian Assange, effectuera au nom de celui-ci et dans les meilleurs délais la demande officielle de visa humanitaire auprès de l'ambassade de Suisse à Londres. Nous l'accompagnerons dans ces démarches, si nécessaire.

Le procès d'extradition de Julian Assange vers les Etats-Unis, où il risque la peine de mort, se terminera en mai. Il y a quelques minutes, j'ai appris que les audiences ont été suspendues à Londres. Julian Assange était affaibli hier au tribunal: il était pâle et ne pouvait pas rester assis très longtemps. La liberté conditionnelle doit lui être accordée dans l'intervalle. Aucune raison ne justifie d'attendre la fin de la procédure d'extradition, qui ne se terminera que dans trois ans, avec les recours.

Personne ne pourra jamais se pardonner que Julian Assange meure en prison. Je vous remercie donc de voter cette résolution. Les discussions que j'ai pu mener au préalable avec le président du Conseil d'Etat ainsi qu'avec le conseiller d'Etat Mauro Poggia m'ont rendu optimiste quant à l'éventualité que le gouvernement genevois appuie de tout son poids cette initiative cantonale parlementaire. J'ai également confiance dans la sagesse du Conseil fédéral sur ce dossier. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Le président. Merci. Je passe la parole pour une minute trente à M. Guy Mettan.

M. Guy Mettan (HP). Merci, Monsieur le président. Il est évident qu'il faut accepter cette résolution pour toutes les raisons évoquées par M. Rossiaud, mais aussi parce que, depuis de nombreuses années, Julian Assange entretient des relations privilégiées avec Genève.

Je rappelle que la première fois qu'il est venu en Suisse, c'était à Genève en novembre 2010. J'ai eu le plaisir de l'accueillir au Club suisse de la presse, alors que j'étais président de ce Grand Conseil. C'est là qu'il a procédé à une conférence de presse la première fois, quand il était inculpé - à tort d'ailleurs - par la justice suédoise, qui, au bout de neuf ans de procédure insensée, a finalement dû classer ses accusations contre lui.

Ensuite, nous avons reçu à Genève, également dans le cadre de différentes conférences de presse et réunions au Palais des Nations, M. Baltasar Garzón, le premier juge à avoir inculpé Pinochet pour ses crimes contre l'humanité. Baltasar Garzón, qui est le responsable des avocats de Julian Assange, est venu à de multiples reprises avec ses équipes d'avocats à Genève.

En 2015, j'ai également eu le plaisir d'organiser une interview de Julian Assange à l'ambassade équatorienne avec Darius Rochebin. Nous avons procédé à cette interview, diffusée sur la RTS et publiée dans «L'Hebdo», et cela a continué pendant les années suivantes. Depuis maintenant quelques mois, M. Nils Melzer, professeur de droit à Zurich, rapporteur spécial de l'ONU sur la torture, s'est emparé de ce sujet.

Le président. Il vous faut terminer, Monsieur Mettan.

M. Guy Mettan. J'expliquais juste que Genève a une relation particulière avec Assange. C'est la raison pour laquelle - outre les autres arguments - je vous invite à voter cette résolution.

Mme Claude Bocquet (PDC). Les crimes reprochés à Julian Assange sont d'avoir divulgué au monde des informations portant notamment sur les crimes de l'armée américaine en Irak et en Afghanistan, le massacre de civils ainsi que les tortures à Guantánamo. Depuis son arrestation en avril 2019, Julian Assange est détenu à titre préventif dans une prison de haute sécurité au Royaume-Uni, en attente d'une extradition vers le sol américain, où il risque d'être condamné à cent septante-cinq ans de prison.

De nombreuses personnalités se sont élevées contre les violations répétées des droits fondamentaux de Julian Assange: torture psychologique, détention arbitraire, interdiction de préparer sa propre défense et d'avoir accès aux documents juridiques de l'affaire. Julian Assange a subi des interrogatoires sous l'influence de psychotropes, ce qui est également interdit par la Convention sur l'interdiction des armes chimiques. Les médecins qui l'ont examiné ont confirmé une dégradation de ses capacités neurocognitives et une détérioration continue de sa santé depuis son arrestation.

La République et canton de Genève a une tradition humanitaire. Elle a la possibilité de demander un visa humanitaire pour Julian Assange, qui lui permettrait d'être pris en charge dans un hôpital universitaire bien équipé et doté d'un personnel qualifié, afin d'éviter qu'il ne meure en prison au Royaume-Uni. Chaque citoyen mérite que ses droits fondamentaux soient protégés. C'est pourquoi le groupe PDC votera cette résolution. (Applaudissements.)

M. Christo Ivanov (UDC). J'aimerais commencer peut-être par remettre l'église au milieu du village: dès 2016, le conseiller national Jean-Luc Addor, de l'UDC Valais, s'est enquis des problèmes de santé de Julian Assange et a déposé un texte à Berne en décembre de la même année. Par ailleurs, il y a un an, le 6 février 2019, le Conseil municipal de Genève acceptait un texte de l'UDC qui disait ceci: «Le Conseil municipal de la Ville de Genève demande au Conseil fédéral de concrétiser sa politique de protection des défenseurs des droits de l'homme en offrant ses bons offices et en entreprenant toutes les démarches nécessaires à la sauvegarde de la vie et de l'intégrité corporelle de M. Julian Assange.» Par conséquent, sans vouloir jeter une pierre dans le jardin de notre collègue Jean Rossiaud qui a réalisé un excellent travail - d'ailleurs, j'ai cosigné sa résolution et le groupe UDC la votera - je suis très surpris par l'exposé des motifs: je trouve que ne pas retranscrire la réalité des choses constitue une forme de malhonnêteté intellectuelle.

Cela étant dit, en effet, il convient bien évidemment, compte tenu de la résolution de l'ONU adoptant la déclaration de 1998 sur les défenseurs des droits de l'homme et des libertés fondamentales au niveau national et international, de demander un visa humanitaire pour Julian Assange à Genève. A mon avis, peut-être faudrait-il compléter l'invite. Celle-ci enjoint au Conseil d'Etat de «demander au Conseil fédéral qu'il délivre en toute urgence un visa humanitaire pour Julian Assange». Il n'est pas indiqué: «auprès d'une représentation suisse à l'étranger». Ma question est: est-ce implicite ? Sinon, il conviendrait de modifier l'invite. Je demande à M. Jean Rossiaud s'il ne faudrait pas le faire. Merci, Monsieur le président.

Une voix. Bravo !

M. Sylvain Thévoz (S). Mesdames et Messieurs les députés, le parti socialiste s'associe aux revendications demandant la libération immédiate de Julian Assange et sa conduite en lieu sûr. Nous soutenons toutes les démarches possibles afin que la Suisse accorde l'asile politique à Julian Assange et remercions Carlo Sommaruga, conseiller aux Etats, pour les démarches entreprises à Berne afin de protéger la vie de Julian Assange. Nous remercions le député Jean Rossiaud pour la rédaction de cette résolution ainsi que la Ville de Genève, qui a également demandé au gouvernement suisse d'intervenir pour sauvegarder la vie et l'intégrité corporelle de Julian Assange, fondateur de WikiLeaks.

Le parti socialiste défend le respect de l'Etat de droit et le droit à un procès équitable pour Julian Assange, et défend le droit d'asile pour les lanceurs et les lanceuses d'alerte. La liberté de la presse est un élément fondamental de notre démocratie. Il est vital de permettre à l'information de circuler et ainsi de permettre à notre communauté, qu'elle soit locale ou mondiale, de fonctionner sur des bases plus transparentes.

Aussi bien Julian Assange qu'Edward Snowden et Chelsea Manning ont mis le doigt sur des enjeux politiques cruciaux concernant la vie privée, l'identité et la citoyenneté. Ils jettent tous trois une lumière crue sur des violations crasses des droits humains. Nous n'oublions pas que la Suisse est dépositaire des Conventions de Genève. Nous n'oublions pas non plus que la Suisse est historiquement le pays des fiches, le pays de Crypto AG. Nous n'oublions pas que la Suisse est en retard concernant l'identité numérique et sa protection, alors que la loi sur l'identification électronique a été adoptée cet automne au parlement fédéral et qu'elle a créé le cadre juridique d'un moyen d'identification électronique reconnu et approuvé par l'Etat. Nous appelons aujourd'hui de nos voeux un cadre juridique plus précis pour défendre les lanceurs d'alerte.

Nous tenons ici à rendre hommage à Julian Assange, à Edward Snowden, à Chelsea Manning et à tous et toutes les autres activistes qui veillent à défendre le respect des droits humains. Vous l'aurez compris, nous vous enjoignons en conséquence de voter cette résolution, qui invite le Conseil d'Etat à délivrer en toute urgence un visa humanitaire à Julian Assange. Merci. (Applaudissements.)

M. Vincent Subilia (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, tout le monde dans cet hémicycle s'accordera - le PLR en premier lieu - à considérer effectivement que la liberté d'opinion est un bien intangible. Chacun considérera également que la liberté de la presse forme un élément fondamental de notre démocratie. Chacun sera d'avis - et le PLR a fortiori - que la tradition humanitaire de la Suisse et le rôle de Genève comme berceau et bastion de la Croix-Rouge sont déterminants. Jusqu'à ce stade, les considérants de la proposition de résolution qui nous est soumise ce soir entrent en résonance avec l'ADN de notre famille politique. Mais chacun, ou certains en tout cas, et le PLR parmi eux, considéreront que la violation de secrets-défense - on parle ici de la dissémination de près d'un million de documents classifiés - et donc la mise en danger d'autrui qu'elle génère ne sauraient être justifiées de manière absolue par la liberté, dont je rappelle qu'elle s'arrête là où commence celle des autres.

Chacun, et à tout le moins le PLR, considérera que l'attachement aux droits fondamentaux et le rôle de Genève comme capitale mondiale des droits humains n'autorisent pas la Suisse à s'ériger en censeur de l'humanité en violant les impératifs d'impartialité, de neutralité et d'indépendance qui font le code génétique de notre pays et qui constituent aussi l'esprit de Genève.

Mesdames et Messieurs, accueillir Julian Assange consisterait - au-delà des considérations médicales qui suscitent naturellement toute notre empathie et notre bienveillance - à cautionner, dans une certaine mesure, des agissements illégaux, ceux de la violation du respect de la confidentialité, qui nous paraît être aussi important que celui de la sphère privée. C'est un boulevard pour tous les Snowden, les Falciani et ceux qui - pour des motifs parfois louables, mais souvent mercantiles et très largement narcissiques - violent les règles qui structurent le fonctionnement d'un Etat de droit, où la liberté des uns et des autres, j'y reviens, doit être respectée.

Pour ces motifs, Mesdames et Messieurs, chers collègues, vous l'aurez compris, le PLR rejettera cette résolution. Mais une autre raison vient s'ajouter à notre considération du jour. Elle a été évoquée par M. Rossiaud, et je me permets de la souligner. Elle nous est donnée par le Royaume-Uni lui-même qui aujourd'hui, Mesdames et Messieurs les députés, a annoncé qu'il allait surseoir à l'examen de la demande d'extradition, précisément pour se donner le temps de la réflexion. C'est dire si le Royaume-Uni n'est pas absolument le vassal des Etats-Unis qu'on souhaite décrire ici !

Au PLR, nous faisons le pari de la confiance dans le Royaume-Uni, dans son système judiciaire, et aussi dans son système médical, dont nous formons tous collectivement le voeu qu'il apporte une réponse à la souffrance de M. Assange. Je vous remercie.

Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)

M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant. Mesdames les députées, Messieurs les députés, j'aimerais bien moi aussi pouvoir dire que j'ai confiance dans le système judiciaire du Royaume-Uni. Malheureusement, il suffit de regarder ce qui s'est passé depuis huit ans: alors, cette confiance s'effrite et on se rend compte qu'on ne peut pas avoir confiance dans un système qui a permis qu'une personne soit assignée à résidence pendant près de huit ans sans pouvoir sortir, sans avoir accès aux soins médicaux, qui voit sa santé se dégrader et qui depuis bientôt une année se trouve dans une prison de haute sécurité avec seulement quarante-cinq minutes de sortie par jour et un accès très limité aux soins médicaux, l'impossibilité de communiquer avec quiconque. En fait, c'est ce qu'on appelle de la torture psychologique. C'est dans un système comme celui-ci que le parti libéral-radical du canton de Genève vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, d'avoir confiance ! (Quelques huées.) Eh bien, il faut dire non !

Il faut rappeler que Julian Assange est un héros. Pourquoi ? Parce qu'il a osé faire prévaloir la raison et l'humanité sur la raison d'Etat. Et c'est la raison d'Etat, Mesdames et Messieurs, que le parti libéral-radical du canton de Genève vous demande de faire prévaloir sur l'humanité, sur les droits fondamentaux et sur la raison. (Applaudissements.) Alors il faut dire non ! Julian Assange est un héros, car il a violé la loi pour dénoncer un Etat qui commettait des crimes de guerre. (Commentaires.) Il a dénoncé un Etat qui commettait des crimes innommables, incroyables, pour étendre son empire sur la planète. Vous vous souvenez qu'en 2010, Julian Assange, grâce à WikiLeaks, a publié des images de deux photographes de l'agence Reuters qui se faisaient assassiner par un hélicoptère de l'armée américaine dans la ville de Bagdad. Si Julian Assange n'avait pas été là, avec évidemment la collaboration d'autres personnes telles que Chelsea Manning - qui a d'ailleurs été graciée et n'est plus en prison - ces images ne seraient jamais sorties de la confidentialité dans laquelle l'armée américaine aurait bien voulu les conserver. Merci Julian Assange !

Pourquoi cette résolution a-t-elle un sens ? Je ne pense pas que grâce à elle, les autorités anglaises vont laisser Julian Assange sortir de prison et vont l'inviter à l'aéroport pour qu'il puisse embarquer dans un avion à destination de la Suisse, mais notre pays a un petit rôle à jouer dans cette affaire. La Suisse est un Etat proche des Etats-Unis: vous savez que la Confédération représente les intérêts américains en Iran, à Cuba, et vous savez que les services secrets suisses et américains fonctionnent main dans la main. Or le premier devoir qu'on a envers ses amis, c'est de leur dire la vérité, leur dire ce qu'on pense. Ce que nous pensons, c'est que les Etats-Unis doivent cesser de harceler des gens comme Julian Assange qui n'ont pour but que de faire prévaloir la vérité sur le mensonge. Je vous remercie.

Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)

Le président. Merci. Je passe la parole à M. le député Jean Rossiaud pour dix-neuf secondes.

M. Jean Rossiaud (Ve). Merci, Monsieur le président. Juste pour dire que Julian Assange n'a pas violé de lois, et l'histoire nous le démontrera. On m'a reproché - j'aimerais répondre sur ce point - de faire preuve de malhonnêteté intellectuelle. Pas du tout, Monsieur Ivanov ! Evidemment que des députés avant moi, dans d'autres circonstances, ont demandé l'asile...

Le président. Je vous remercie, Monsieur Rossiaud.

M. Jean Rossiaud. Non, juste pour répondre à M. Ivanov ! (Commentaires.)

Le président. C'est terminé !

M. Jean Rossiaud. J'ai été mis en cause, Monsieur le président !

Le président. Je passe la parole...

M. Jean Rossiaud. J'aimerais juste répondre parce que j'ai été mis en cause... (Le micro de l'orateur est coupé. Commentaires.)

Le président. ...à M. le député Patrick Dimier. (Commentaires.) Monsieur Patrick Dimier, vous avez la parole.

M. Jean Rossiaud. Monsieur le président, j'ai été mis en cause, ça prendra trente secondes !

Le président. Monsieur Patrick Dimier, vous avez la parole ! Je ne vais pas le répéter quinze fois ! (Commentaires.)

M. Patrick Dimier (MCG). Merci, Monsieur le président. Lors de la naissance des Etats-Unis, un certain 4 juillet 1776...

Une voix. Aaah !

M. Patrick Dimier. ...les Américains ont annoncé clairement, dans la déclaration d'indépendance, qu'ils avaient le droit imprescriptible - imprescriptible ! - de s'exprimer et de s'opposer à l'autorité des élus lorsque ceux-ci ne respectent pas les fondements de l'Etat américain. Certes, M. Julian Assange n'est pas un citoyen américain, mais aujourd'hui, il défend ce qui est l'un des fondements des Etats-Unis d'Amérique.

Les Etats-Unis d'Amérique, par leur président, dont on peut dire sans trop se risquer qu'il n'est pas un modèle de probité...

Mme Danièle Magnin. Tu es à la moitié de ton temps !

M. Patrick Dimier. Laisse-moi finir !

M. Jean Romain. Mais oui, laisse-le finir ! (Un instant s'écoule. Commentaires.)

Une voix.  Ça tourne, vas-y !

M. Patrick Dimier. Aïe aïe aïe ! (L'orateur rit.) Donc, M. Assange ne fait rien d'autre que défendre le droit intérieur américain ! Et, pour l'humanité tout entière, M. Assange est un modèle. C'est un modèle, parce qu'il dénonce des choses abominables, qu'on appelle les crimes de guerre ! Tous ceux qui aujourd'hui ne soutiendraient pas la demande faite ici devant ce parlement sont d'accord avec ces crimes de guerre, puisqu'ils ne s'opposent pas... (Remarque.) ...ils ne s'opposent pas...

Une voix. Oh là là ! (Commentaires.)

M. Patrick Dimier. Eh oui ! Il y a des moments où il faut accepter ses erreurs politiques ! Il est donc important d'accepter la résolution qui vous est présentée, et peut-être, comme l'a relevé un préopinant, de s'assurer qu'effectivement, cette demande peut être adressée à une représentation diplomatique suisse. Le MCG soutiendra donc cette résolution.

Le président. Merci. Je passe la parole à M. le député Bertrand Buchs pour une minute vingt-sept.

M. Bertrand Buchs (PDC). Merci, Monsieur le président. Juste pour dire qu'un lanceur d'alerte, si on le définit ainsi, c'est quelqu'un qui sera toujours contre la raison d'Etat. C'est logique ! On n'est pas lanceur d'alerte si on ne s'oppose pas à quelque chose qui est grave et qui remet en question le fonctionnement d'un Etat. C'est tout le risque encouru par un lanceur d'alerte: de toujours se faire reprocher de s'opposer aux lois et à la raison d'Etat. Mais nous sommes dans le canton de Genève, et la Confédération est dépositaire des Conventions de Genève, et là, on parle de torture, de décisions prises contre le fondement de l'Etat, et même contre le fondement de l'Etat américain, qui n'accepte pas la torture. Publier et démontrer qu'on a pratiqué la torture dans des prisons à Bagdad ou en Afghanistan est quelque chose qu'il fallait faire. Rien que pour cela, on doit soutenir cette personne.

M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, tout démocrate, quelle que soit sa sensibilité politique, ne peut évidemment qu'être interpellé par la situation de M. Julian Assange, sur le plan humanitaire, mais également sur le plan judiciaire. Pour que le silence ne devienne pas de la complicité, notre interpellation doit se transformer en action. Vous le faites aujourd'hui, majoritairement, en exprimant votre indignation, et en proposant une voie à suivre. Est-elle la bonne ? L'avenir nous le dira.

Quoi qu'il en soit, le Conseil d'Etat ne peut que vous entendre. Il ne peut que partager votre préoccupation et la portera avec diligence et avec détermination auprès des autorités fédérales compétentes. Il ne s'agit pas de vouloir prôner une ingérence dans le droit étranger. Il s'agit simplement de proposer, comme la Suisse sait si bien le faire, ses bons offices, pour essayer de sortir d'une situation qui n'est pas acceptable sur le plan humain. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)

Le président. Merci bien. Mesdames et Messieurs, nous passons au vote.

Mise aux voix, la résolution 906 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 57 oui contre 16 non et 4 abstentions.  (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Résolution 906