République et canton de Genève

Grand Conseil

Chargement en cours ...

PL 11797-R-B
Rapport de la commission de l'économie chargée d'étudier le projet de loi de Mme et MM. Romain de Sainte Marie, Cyril Mizrahi, Christian Frey, Jean-Charles Rielle, Thomas Wenger, Salima Moyard modifiant la loi sur les procédés de réclame (LPR) (F 3 20) (Contre la publicité pour le petit crédit)

Premier débat

Le président. Nous passons à l'objet suivant, relatif à la publicité pour le crédit à la consommation. Le débat est classé en catégorie II, quarante minutes. Je laisse la parole à M. Edouard Cuendet.

M. Edouard Cuendet (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. La saga continue: c'est bientôt la dixième fois que je reviens à cette place pour traiter du sujet ! Je vais donc commencer par un peu d'histoire. Tout d'abord, rappelons que le PL 11797 a été déposé en janvier 2016 avant d'être renvoyé à la commission de l'économie où de nombreuses auditions ont été effectuées, toutes conduisant à la conclusion que ce projet de loi n'est pas compatible avec le droit supérieur. Le magistrat Mauro Poggia l'a confirmé avec détermination et brio lors de la séance plénière du 20 septembre 2018, il a clairement indiqué que le texte pose de réels problèmes de compatibilité avec la législation fédérale, à tel point que le Conseil d'Etat n'a pas demandé le troisième débat.

S'est ensuivi un retour à la commission de l'économie. Puis, lors de la plénière du 13 décembre 2018, les signataires ont annoncé le retrait du projet de loi compte tenu de son incompatibilité avec le droit supérieur. A cet égard, je tiens à saluer l'attitude du PDC qui a reconnu la primauté du droit fédéral et retiré son texte.

Une voix. Bravo !

M. Edouard Cuendet. Mais, contre toute logique, celui-ci a été repris par le député socialiste ici présent M. Romain de Sainte Marie, et renvoyé une nouvelle fois à la commission de l'économie, laquelle a refusé l'entrée en matière, notamment en raison de l'incompatibilité avec la législation fédérale.

Cela a inspiré aux Verts une proposition de motion parallèle, la M 2551 dont nous sommes saisis à la commission de l'économie et qui s'intitule: «Pour restreindre l'affichage de publicité pour le petit crédit». Je salue également la démarche de sa première signataire, alors présidente de la commission: admettant que le projet de loi est incompatible avec le droit supérieur, elle proposait un texte alternatif, à savoir une motion, dont le premier considérant est libellé en ces termes: «tout ce qui a trait au crédit à la consommation est réglé par le droit fédéral (loi fédérale sur le crédit à la consommation)». Il s'agit du principal argument. Ensuite, on lit dans l'exposé des motifs, à propos du projet de loi: «Une majorité de la commission a refusé ce projet pour différentes raisons, notamment la non-conformité avec le droit supérieur de la mesure proposée.»

Ce qui est intéressant, c'est que cette motion pendante devant la commission de l'économie a été signée par toutes les personnes qui ont repris le texte de loi que nous traitons aujourd'hui, notamment par le rapporteur de minorité qui se retrouve ainsi dans une situation juridique tout à fait schizophrène: d'un côté, il défend un projet de loi clairement incompatible avec le droit fédéral, de l'autre il signe une motion stipulant expressément que ledit projet de loi est incompatible avec le droit fédéral ! Il admet l'incompatibilité tout en la rejetant, ce qu'il va sans doute faire à nouveau ce soir. C'est ubuesque ! Le groupe PS est le dernier des irréductibles à prétendre que cette loi est compatible avec le droit fédéral, ce qui est absolument illogique.

J'en viens maintenant au fond. Nous avons mené énormément d'auditions, puisque ce texte est revenu x fois à la commission de l'économie. Les chiffres montrent que les 18-24 ans sont très peu endettés ou sujets à des défauts de paiement, et il nous a été rappelé que les principales causes d'endettement, selon les statistiques, sont les impôts et les primes d'assurance-maladie. Le petit crédit ne constitue pas la source principale de l'endettement, ce sont bien les impôts et l'assurance-maladie. De plus, 30% des demandes d'emprunt ont été rejetées en 2016, ce qui démontre que l'examen de solvabilité est effectué de manière diligente par les instituts de crédit. On nous a ensuite indiqué que la proportion de jeunes adultes de moins de 25 ans ayant contracté des crédits jusqu'à 25 000 francs est de 6%, de 3% pour des montants allant jusqu'à 50 000 francs et de 2% pour des financements jusqu'à 80 000 francs. Ainsi, la tranche d'âge principalement visée par le projet de loi est la moins endettée. Quant aux litiges liés à des difficultés de paiement, toujours chez les 18-24 ans, ils s'élèvent à 3%, soit 595 cas sur 20 708 crédits. Le problème n'est pas ici, le problème concerne avant tout les impôts et l'assurance-maladie. Même le CSP et Caritas, qui soutenaient avec ferveur le projet de loi à la base, se sont rétractés; M. Froidevaux, directeur de Caritas, admettant que de l'eau avait coulé sous les ponts, a concédé à demi-mot le caractère illégal du projet de loi dont nous sommes saisis.

L'immense majorité de ce Grand Conseil reconnaît le caractère fondamentalement illégal de ce texte, et c'est pour cette raison que je vous invite à ne pas entrer en matière. Nous aurons l'occasion de traiter la motion Verte lors des prochaines séances de commission, mais pour l'instant, je vous demande, au nom de la majorité de la commission, de rejeter ce projet de loi une bonne fois pour toutes. Merci.

M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur de minorité. Monsieur le président, vous transmettrez au rapporteur de majorité qu'ici, nous ne faisons pas de droit, mais de la politique, et notre canton le sait bien: s'il n'avait pas fait preuve de courage politique, il n'aurait pas été pionnier en matière d'assurance-maternité !

Ce projet de loi vise tout d'abord à régler une problématique sociale, et je remercie le rapporteur de majorité d'avoir évoqué l'audition du Centre social protestant, dont le directeur a rappelé que 80% des personnes qui s'adressent au CSP pour des problèmes d'endettement ont généré leurs dettes alors qu'elles avaient moins de 25 ans. Alors il est vrai que chez les jeunes, les facteurs d'endettement sont principalement les primes d'assurance-maladie - j'espère que le rapporteur de majorité sera sensible à ça, et son parti également...

M. Edouard Cuendet. Ce sont surtout les impôts !

M. Romain de Sainte Marie. ...tandis que parmi les personnes plus âgées, ce sont les impôts; le crédit à la consommation arrive en troisième position. Cela étant, on ne va pas contester le fait que l'emprunt engendre des problèmes d'endettement avant tout chez les jeunes. Les seuls à l'avoir contesté étaient les représentants de l'association Financement à la consommation Suisse; autant dire que c'est un peu comme auditionner le groupement des bouchers-charcutiers à propos du mouvement végane ! Ils ne vont certainement pas prétendre que le petit crédit est nuisible à notre société et engendre des risques d'endettement.

Le nier reviendrait d'ailleurs à se tirer une balle dans le pied, puisque notre canton dispose d'un programme cantonal de lutte contre le surendettement, initié à l'époque par M. Longchamp et Mme Rochat - ça commence déjà à dater. A ce propos, j'espère qu'il existe encore ou survit au sein du département de la cohésion sociale - ce serait l'occasion de demander où en sont les choses. Dans tous les cas, quand on développe un tel dispositif qui est coûteux, il est utile de ne pas tendre la perche au crédit à la consommation et aux situations d'endettement par ailleurs.

Maintenant, venons-en à l'argument tant invoqué par le rapporteur de majorité: l'incompatibilité avec le droit supérieur. Penchons-nous sur la question et interrogeons-nous: le canton de Genève ne devrait-il pas aller jusqu'au bout et voter cet excellent projet de loi initialement déposé par le PDC qui, peut-être par manque de courage - je ne sais pas, j'essaie de comprendre - n'a pas souhaité mener à bien le processus et a mis de côté son aile chrétienne au profit de son aile libérale ?

Rappelons que la loi fédérale sur le crédit à la consommation, en son article 36a, prévoit ceci: «La publicité pour le crédit à la consommation ne doit pas être agressive. Les prêteurs agissant par métier définissent la publicité agressive de manière appropriée dans une convention de droit privé.» Encore une fois, cela revient à demander aux bouchers-charcutiers d'édicter les règles définissant le véganisme ! Dans la convention en question, il est mentionné que la publicité ne doit pas susciter chez les consommateurs l'impression que les emprunts peuvent être obtenus particulièrement rapidement, sans examen détaillé de la solvabilité.

Voilà qui est particulièrement intéressant ! Faites le test, écrivez «crédit à la consommation» dans un moteur de recherche - on l'a fait à la commission de l'économie, ce n'est pas difficile - tapez par exemple «CREDIT-now»: en un clic, vous obtenez des publicités qui vous promettent des crédits facilement et à n'importe quel moment, avec des dates libres de remboursement. Juste en allant sur internet - et ces publicités, on en trouve sur des affiches - on prouve que la convention édictée par les entités de crédit à la consommation n'est absolument pas respectée, que la loi fédérale n'est absolument pas respectée, puisque celle-ci stipule que la réclame pour l'emprunt ne doit pas être agressive. Citez-moi une seule publicité qui ne serait pas agressive ! Une publicité qui n'est pas agressive est une mauvaise publicité. Les sociétés de crédit à la consommation mettent tout en oeuvre pour diffuser d'excellentes publicités, elles disposent de gros moyens de marketing justement pour que celles-ci soient agressives, touchent les publics les plus jeunes et que ceux-ci s'endettent par la suite.

Non, la loi fédérale n'est pas respectée, et le canton de Genève peut le prouver en adoptant ce projet de loi. Je me réjouis que M. Cuendet dépose ensuite un recours, que les tribunaux tranchent et que Genève puisse enfin agir efficacement contre le surendettement en s'attaquant au problème à la racine, c'est-à-dire au crédit à la consommation et à la publicité qui l'accompagne. (Applaudissements.)

M. Edouard Cuendet. Et aux impôts !

Mme Véronique Kämpfen (PLR). Je n'ai pas grand-chose à ajouter aux propos du rapporteur de majorité, je vais juste citer encore un extrait du rapport: «Le conseiller d'Etat Mauro Poggia rappelle que l'article 49, alinéa 1, de la Constitution fédérale ancre le principe de primauté du droit fédéral. [...] Il insiste sur le fait que la loi sur le crédit à la consommation, à son article 38, prévoit que "la Confédération règle les contrats de crédit à la consommation de manière exhaustive". Donc tout ce qui concerne le crédit à la consommation est réglé exhaustivement par le droit fédéral.» Mesdames et Messieurs, nous n'avons d'autre possibilité que de rejeter ce projet de loi. Je vous remercie.

M. André Pfeffer (UDC). Comme cela a été dit, ce projet de loi n'est pas conforme au droit supérieur. D'ailleurs, l'arrêt du Tribunal cantonal vaudois a confirmé cette incompatibilité. Nous en avions déjà débattu au Grand Conseil et, toujours pour cette question d'incompatibilité, l'avions renvoyé en commission, le Conseil d'Etat n'ayant pas demandé le troisième débat. Ce texte est mauvais et rate complètement sa cible.

Pour la plupart des commissaires, toutefois, l'endettement des jeunes constitue une réelle inquiétude. Il existe plusieurs voies et types d'action pour les aider; l'encadrement des établissements de crédit en fait partie, et ces instituts sont soumis à de nombreuses contraintes, appliquent des critères d'évaluation stricts. Ainsi, le taux de demandes rejetées est de plus de 30% et le nombre de jeunes jusqu'à 25 ans ayant contracté un crédit à la consommation très faible.

De plus, le pourcentage de jeunes adultes de moins de 25 ans qui rencontrent des difficultés avec un emprunt - ils ne sont pas forcément en situation de surendettement, mais ont du retard dans une mensualité, par exemple - est inférieur à 3%, ce qui représente moins de 600 personnes dans toute la Suisse. En réalité, si de nombreux jeunes connaissent des problèmes de surendettement, la source de ceux-ci est généralement liée à des arriérés d'impôts ou de primes d'assurance-maladie, voire à d'autres types de crédits, mais très rarement à des crédits de consommation.

Nous ne contestons pas le fait qu'un encadrement et une aide pour les jeunes surendettés sont nécessaires. Il existe des cours pour établir un budget, et l'Etat subventionne des organismes comme Caritas et le CSP. Ces mesures sont-elles suffisantes ? La question mérite d'être posée. En tous les cas, ce projet-ci est mauvais, contraire au droit fédéral et n'apporte aucune réponse. Pour ces raisons évidentes, Mesdames et Messieurs, le groupe UDC vous recommande de refuser ce projet de loi. Merci.

Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi vise à inclure la publicité pour le petit crédit dans les restrictions de la loi sur les procédés de réclame, qui est actuellement en vigueur et concerne déjà celle pour le tabac et l'alcool. En effet, si notre canton a été capable de légiférer à propos d'autres produits qui posent des problèmes de santé publique, on ne voit pas pourquoi il ne le ferait pas pour le crédit à la consommation qui, à sa manière, impacte la santé des consommateurs. Il s'agit d'une problématique sensible, et il faut que le canton se positionne et développe une politique cohérente, il ne peut pas faire de prévention sans étudier les conséquences de la publicité, très présente dans l'espace public; dans la mesure où Genève a développé un programme cantonal de lutte contre le surendettement, il y aurait là un message contradictoire.

Comme l'a dit M. de Sainte Marie tout à l'heure, ici, nous ne faisons pas de droit, mais bien de la politique, et il s'agit d'envoyer des messages clairs. La majorité de la commission ne cesse d'invoquer une contradiction avec le droit supérieur, mais force est de constater que les Chambres fédérales ne sont pas parvenues ou n'ont pas cherché, prégnance des lobbys oblige, à apposer un cadre à la publicité pour le petit crédit, elles ont opté pour l'autorégulation des milieux concernés par la mise en place d'une convention. Or l'application de cette convention, qui est non contraignante et ne prévoit pas de sanction, est plus que discutable. Vous le constatez vous-mêmes, il n'est pas rare d'observer des publicités particulièrement agressives sur le domaine public - M. de Sainte Marie en a donné quelques exemples dans son rapport de minorité.

Pour reprendre les propos d'un auditionné, spécialiste des questions liées à l'endettement, il est indispensable que le canton travaille à une maîtrise de la communication des organismes de crédit, car ces derniers développent des procédés de réclame agressifs qui laissent à penser qu'en moins de cinq minutes, on peut bénéficier d'un emprunt de plus de 30 000 francs; il rappelait par ailleurs qu'au-delà de 80 000 francs, il n'y a plus de plafond, donc plus de régulation. Lui-même ainsi que d'autres acteurs comme la FRC, qui oeuvrent à la prévention et à la réparation des dérives du petit crédit, appellent le Grand Conseil à soutenir ce texte.

Le groupe Ensemble à Gauche, sensible à l'expertise des acteurs du terrain et déterminé à intervenir sur les pans de politiques publiques qui se déploient dans les domaines du social et de la santé, vous invitent, Mesdames et Messieurs les députés, à voter ce projet de loi. Je vous remercie de votre attention.

M. Cyril Mizrahi (S). Mesdames et Messieurs, chers collègues, je ne peux que souscrire non seulement aux propos du rapporteur de minorité, mais également à ceux que vient de tenir notre excellente collègue Jocelyne Haller. En effet, le petit crédit constitue une activité nocive, la collectivité publique est donc fondée à en restreindre la publicité, comme elle le fait pour d'autres produits néfastes.

Mon collègue a indiqué tout à l'heure que nous sommes ici pour faire de la politique, pas du droit... mais faisons quand même un peu de droit. (Exclamations.) Faisons quand même un peu de droit...

Une voix. Oui !

M. Cyril Mizrahi. ...pour faire plaisir à notre cher collègue Edouard Cuendet ! Notre cher collègue Edouard Cuendet nous serine depuis des années, comme un véritable mantra, qu'il est interdit d'interdire la publicité pour le crédit à la consommation. Sur quoi se base-t-il, en définitive ? Il se base sur un unique arrêt du Tribunal cantonal vaudois. Certes, celui-ci mérite notre considération, mais enfin, ce n'est que le Tribunal cantonal vaudois, ce n'est pas le Tribunal fédéral. Cet arrêt retient notamment que le petit crédit est une activité couverte par la liberté économique et que son interdiction serait contraire au principe de proportionnalité. Comme on le voit, on est ici dans un domaine où le juridique et le politique sont étroitement liés, il s'agit d'une évaluation relativement fine, et l'arrêt que j'ai mentionné ne date pas d'hier, puisqu'il remonte à 2010.

Je conclurai avec une citation, comme d'autres l'ont fait. L'excellent rapport de minorité de notre collègue Jocelyne Haller dans le PL 11797-A indique ceci - ce qui, soit dit en passant, réfute les propos d'Edouard Cuendet selon lesquels les directeurs de Caritas et du CSP auraient reconnu l'illégalité de la mesure: «Lors de leur audition, les représentants de Caritas et du CSP ont mentionné un avis de droit du professeur Etienne Poltier, daté de 2007, concluant que les autorités vaudoises sont compétentes sur le domaine public et le domaine privé visible depuis le domaine public, et doivent interdire le petit crédit. Les opposants au PL 11797 ont pour leur part évoqué un autre arrêt produit en 2010 affirmant le contraire. La question reste à éclaircir. En l'état, il apparaît donc que la question de la conformité du PL 11797 au droit supérieur se plaide.» Si cette question se plaide, eh bien qu'elle soit plaidée !

Pour cette raison, Mesdames et Messieurs, le groupe socialiste vous invite à voter ce projet de loi. Si d'aucunes et d'aucuns estiment qu'il est contraire au droit supérieur, qu'ils fassent recours, et notre Chambre constitutionnelle se prononcera, et s'ils souhaitent poursuivre encore la démarche, le Tribunal fédéral tranchera, mais ayons le courage politique d'assumer nos responsabilités et d'interdire la publicité pour le petit crédit, qui est une activité nocive. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Le président. Merci. La parole est au député Vincent Subilia pour une minute seize.

M. Vincent Subilia (PLR). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, tout a été dit, mais il semble que parfois, sur certains sujets, il faille répéter ce qui l'a déjà été. Dans le sillage des propos tenus par le député Cuendet, puis par Véronique Kämpfen, il est bon de rappeler que si l'on peut tenir des discours politiques dans cette enceinte - c'est effectivement son objectif - nous sommes ici dans une lecture juridique. Si M. Mizrahi, que j'ai écouté avec attention - vous transmettrez, Monsieur le président - considère que l'application qui en est faite par les tribunaux n'est pas convaincante - il a évoqué le principe de proportionnalité - c'est précisément devant ces mêmes tribunaux qu'il s'agirait de défendre sa position. Encore une fois, Mesdames et Messieurs, la hiérarchie des normes est un principe qui doit être respecté, il en va du bon fonctionnement de notre Etat de droit. A ce titre, nous vous encourageons naturellement à refuser ce projet de loi. Je vous remercie.

Mme Isabelle Pasquier (Ve). Mesdames et Messieurs, chers collègues, nous vivons dans une société fortement endettée: 40% des ménages suisses ont déjà contracté au moins une dette. Cette situation n'est ni banale ni sans risque. Lors de leur audition, les directeurs du CSP et de Caritas ont indiqué que la publicité pour le petit crédit contribue à banaliser l'endettement et ont dénoncé le fait que l'affichage sur le domaine public entre en contradiction avec les mesures de prévention mises en place par le canton via son programme cantonal de lutte contre le surendettement. Certes, les affiches ne constituent pas le seul support publicitaire, il y en a d'autres, mais leur position dans l'espace public leur accorde une légitimité.

Consommer au-delà de ses ressources n'est durable ni pour un ménage ni pour une société. Les organisations prodiguant des conseils en matière de budget disent à quel point un changement dans la structure familiale ou professionnelle peut déséquilibrer un foyer et rapidement conduire à des situations de surendettement, lesquelles engendrent stress, privations, insécurité, précarisation, créent des difficultés d'accès au logement ou au monde du travail et impactent la qualité de vie et la santé des personnes touchées.

Ce projet de loi vise à interdire la publicité pour le crédit à la consommation sur le domaine public afin d'éviter la banalisation de l'emprunt. Agir à la source, au niveau des réclames, nous semble la meilleure solution. Toutefois, la non-conformité de cette disposition au droit supérieur pose problème. C'est pourquoi, suite aux travaux en commission, nous avons effectivement, comme cela a été mentionné, déposé une motion visant à restreindre la publicité pour le petit crédit en suivant l'exemple de la Ville de Vernier. En effet, si le canton n'a pas la compétence d'interdire la publicité pour le crédit, les communes disposent en revanche d'une marge de manoeuvre.

Cette motion, qui a été cosignée par quatre partis et qui est pendante devant la commission de l'économie, propose de compléter le programme cantonal de lutte contre le surendettement afin d'inciter les communes à ajouter, dans les contrats qui les lient aux sociétés d'affichage, une clause permettant d'interdire ce type d'affichage sur leur territoire. C'est pour cette raison que les Verts ont choisi de s'abstenir sur ce projet de loi. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Thierry Cerutti (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, tout a été dit, mais oh mon Dieu, que les gens sont loquaces en séance plénière ! J'aurais voulu entendre M. Mizrahi invoquer cet exemple vaudois en commission; il s'est malheureusement tu, il était aux abonnés absents. Ce n'est pas son habitude, et je trouve ça dommage, car plein d'arguments très intéressants sont mis en avant ce soir qui n'ont pas été mentionnés lors des travaux de la commission de l'économie.

Le groupe MCG est resté droit dans ses bottes, il a gardé la même position. Bien sûr, le problème du petit crédit nous dérange comme il en dérange beaucoup d'autres, car on incite les gens à consommer alors qu'ils n'en ont pas les moyens, qu'ils ne disposent pas d'un budget suffisant et ne peuvent pas régler les factures par la suite. D'un autre côté, il y a le droit fédéral qui est un peu notre papa à toutes et tous au sein de notre système démocratique, que ce soit au niveau cantonal ou communal.

Au final, nous allons rester sur ce que nous avons dit. Nous sommes d'accord qu'il y a des choses à faire, des luttes à mener pour la prévention et l'interdiction de la publicité au niveau local, comme l'a d'ailleurs fait la Ville de Vernier. La Ville de Vernier a réussi à trouver un accord pour que certaines publicités ne soient pas affichées sur son territoire; pourquoi ne pas partager cette expérience avec d'autres communes ? Ce serait tout à fait réalisable. Pour les différentes raisons que je viens d'évoquer, le MCG s'abstiendra. Merci. (Applaudissements.)

M. Jean-Luc Forni (PDC). Comme cela a été dit et redit, le groupe démocrate-chrétien est à l'origine du projet de loi initial, et nous pensons toujours qu'il s'agit d'un bon projet qui se préoccupe d'un problème important pour lequel, on l'a entendu aussi, l'Etat a pris des dispositions. Non, ce n'est pas un mauvais projet de loi, mais il pose un problème sur la forme. Si le Conseil d'Etat prend ses responsabilités aujourd'hui - on le verra tout à l'heure - et que le texte est accepté par cette assemblée, eh bien ce sont les tribunaux qui jugeront s'il est anticonstitutionnel ou contraire au droit supérieur. Fort de cette considération, Mesdames et Messieurs, le groupe démocrate-chrétien s'abstiendra au moment du vote.

Le président. Je vous remercie et je donne la parole à M. Stéphane Florey pour une minute trente-quatre.

M. Stéphane Florey (UDC). Oui, Monsieur le président, merci. Juste pour dire que ce débat n'est vraiment pas sérieux. Le groupe socialiste se moque de la population quand il s'offusque de la publicité pour les crédits privés. En effet, l'Etat fait de la publicité pour la Caisse publique de prêts sur gages avec des slogans du type: «Un prêt contre un gage, rapide et discret». Et là, par contre, ça ne choque personne alors que c'est exactement la même chose ! Personne ne dit rien ! Non, ce débat n'est tout simplement pas sérieux, il faut refuser ce projet de loi et en rester avec la liberté de commerce, selon laquelle toute entreprise a le droit de faire de la publicité. Je vous remercie.

Le président. Merci. Monsieur Cuendet, il vous reste vingt secondes.

M. Edouard Cuendet (PLR), rapporteur de majorité. Monsieur le président, vingt secondes pour réagir à l'intervention de M. Mizrahi - vous transmettrez, Monsieur le président - qui est revenu sur la question de l'illégalité: je rappelle que M. Mizrahi est signataire de la proposition de motion 2551 qui reconnaît expressément la non-conformité de ce projet de loi au droit fédéral ! Quant à l'exemple donné par M. Romain de Sainte Marie à propos de...

Le président. Voilà, c'est terminé, Monsieur Cuendet !

M. Edouard Cuendet. ...la publicité pour CREDIT-now, celle-ci se trouve sur internet, donc elle n'est pas concernée par les dispositions du projet de loi...

Le président. Je cède la parole...

M. Edouard Cuendet. ...et sa remarque n'était pas pertinente.

Le président. ...à M. le conseiller d'Etat Serge Dal Busco.

M. Serge Dal Busco, conseiller d'Etat. Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, le Conseil d'Etat est très sensible au problème du surendettement, particulièrement en ce qui concerne les jeunes. Ainsi que M. Poggia a déjà eu l'occasion de vous l'indiquer en plénière comme en commission et que les représentants de la majorité l'ont répété ce soir, le gros défaut de ce projet de loi est sa non-conformité au droit supérieur, le fait qu'il ne corresponde pas à la jurisprudence établie suite à un arrêt du Tribunal cantonal vaudois. C'est la raison pour laquelle le Conseil d'Etat, encore une fois, vous invite à le rejeter. J'ajoute que si une majorité devait se dégager pour voter l'entrée en matière, le Conseil d'Etat ne demanderait pas le troisième débat.

Le président. Merci bien. Je prie les personnes assises sur les tables de bien vouloir se lever, parce que les micros n'arrêtent pas de se déclencher ! (Rires.) Nous passons au vote d'entrée en matière sur ce projet de loi: ceux qui sont pour votent oui, les autres non...

Une voix. Vote nominal !

Le président. Nous sommes déjà en procédure de vote ! (Protestations.) Bon, est-ce que vous êtes soutenu ? (Plusieurs mains se lèvent.) Oui, vous l'êtes, alors nous poursuivons avec le vote nominal.

Mis aux voix, le projet de loi 11797-R est rejeté en premier débat par 36 non contre 33 oui et 28 abstentions (vote nominal). (Commentaires pendant la procédure de vote.)

Vote nominal