République et canton de Genève

Grand Conseil

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P 2050-A
Rapport de la commission des pétitions chargée d'étudier la pétition: Que la honte change de camp !
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session I des 14 et 15 mai 2019.
Rapport de Mme Léna Strasser (S)

Débat

Le président. L'ordre du jour appelle la P 2050-A. Le rapport est de Mme Léna Strasser, qui prend la parole.

Mme Léna Strasser (S), rapporteuse. Merci, Monsieur le président. La pétition 2050, intitulée «Que la honte change de camp !», a recueilli plus de 2400 signatures et a le soutien de près de trente associations; je pense que ça vaut quand même la peine de prendre la parole ! Cette pétition a une visée large et est complète. Elle se présente dans la suite des hashtags «MeToo» et «BalanceTonPorc» et en amont de la grève des femmes et grève féministe afin de demander au Grand Conseil de s'engager pour enrayer, par des actes concrets et des moyens financiers, la spirale du sexisme et des violences sexuelles.

La commission des pétitions a examiné cette pétition durant dix séances. Dix séances qui ont permis aux commissaires de mieux appréhender la thématique du sexisme et des violences sexuelles et de se faire une opinion sur la situation à Genève grâce à dix auditions de très grande qualité. Il ressort de ces auditions, pour la majorité de la commission, qu'il est important de prendre cette problématique à bras-le-corps et de renvoyer la pétition au Conseil d'Etat.

Premièrement, il s'agit d'appuyer la réalisation d'une cartographie, d'un état des lieux permettant de mettre en valeur la coordination des structures existantes et de relever les manques actuels - cela permettra à chacune et à chacun de savoir à qui s'adresser en cas de sexisme ou de violences sexuelles: une mise en lumière de l'existant non seulement afin que la parole soit libérée mais que cette libération soit suivie par des actes et que le tabou et le silence soient brisés.

Deuxièmement, il s'agit de donner plus de moyens aux associations qui oeuvrent dans le domaine et dont les subventions n'ont pas augmenté, à franc constant, depuis près de dix ans alors que les demandes de soutien tout comme le nombre d'habitants sur le territoire ont, eux, fortement augmenté.

Troisièmement, il s'agit de renforcer la formation des adultes et la sensibilisation des jeunes à ces questions, en organisant la formation destinée aux adultes de manière itérative et en visant un large spectre, sans la réserver aux cadres et professionnels des ressources humaines. L'Etat doit être exemplaire et encourager ensuite les entreprises privées à faire de même.

Quatrièmement, il faut qu'une loi spécifique sur le sexisme soit adoptée à Genève, sachant que lors de la législature précédente, le Conseil d'Etat a concocté un préprojet de loi global en s'appuyant sur l'expertise de plusieurs associations et épaulé par la «Law Clinic» de l'Université de Genève. Ce préprojet de loi nous a été décrit comme ayant une visée large et transversale après une étude poussée des manques actuels basée sur les problèmes rencontrés notamment par les personnes ayant subi des violences ou du sexisme. Il inclurait de plus un accent mis sur la réalité des personnes LGBT. Ce préprojet devrait donner lieu à un projet de loi qui, après le changement de législature, est actuellement en phase de gestation dans le département de Mme la conseillère d'Etat Fontanet.

Cette pétition servira aussi à demander des moyens pour un observatoire qui devra effectuer des recherches quantitatives et qualitatives permettant de mieux appréhender ces questions sur notre territoire et d'adapter les pratiques de terrain et les politiques publiques sur la base de données concrètes. La création d'un observatoire effectuant une veille est aujourd'hui cruciale.

Pour toutes ces raisons, la majorité de la commission des pétitions vous remercie de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. (Applaudissements.)

M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant. Mesdames les députées, Messieurs les députés, j'ai envie de dire que cette pétition est une pétition-fleuve. Elle couvre un ensemble de domaines qui ont un point commun: ils sont en lien direct avec la question des violences faites aux femmes et des pistes qui doivent être explorées pour pouvoir lutter contre cette violence.

Depuis que cette pétition a été traitée, j'ai reçu un e-mail de Viol-Secours qui indique que sa situation financière ne cesse de s'aggraver. Je tiens à le relever, parce que ce sont toute une série d'associations, c'est la société civile, qui en réalité fournissent à de nombreuses femmes le soutien dont elles ont besoin. Et si la société civile n'était pas là pour le faire, si les associations ne se battaient pas pour être présentes au jour le jour, il n'y aurait personne ! L'Etat s'est déchargé depuis longtemps, ou a peut-être jugé que ce n'était pas à lui de s'en occuper, et a décidé d'attribuer chaque année des montants à ces associations qui ont pour but de lutter contre la violence faite aux femmes. Mais je tiens à souligner que celles-ci remplissent une mission d'intérêt public et que l'Etat se doit de continuer à les soutenir et d'augmenter les budgets.

On ne sait pas s'il y a une augmentation de la violence faite aux femmes - il n'y en a peut-être pas; on ne peut en tout cas pas se prononcer précisément là-dessus. Ce qui est néanmoins sûr, c'est qu'il y a une augmentation des besoins puisque les femmes parlent plus: elles osent plus parler, elles osent plus se plaindre et elles osent donc plus s'adresser à ces associations. De ce fait, celles-ci sont aujourd'hui complètement submergées par le nombre de personnes qui ont besoin d'aide - au point où elles refusent parfois de recevoir des femmes qui sont dans une situation d'urgence et ont besoin d'être accueillies. La situation est donc critique, et dans une telle situation, il faut une action urgente: il faut augmenter le soutien financier apporté aux associations.

Je tiens également à souligner un élément qui n'a pas été signalé par la rapporteuse mais qui est mentionné dans la pétition: la question de l'accueil des victimes au poste de police. On sait - j'ai envie de dire que c'est presque de notoriété publique - qu'il n'est pas évident, pour les personnes victimes d'atteinte à leur intégrité sexuelle, de trouver un poste de police ouvert à n'importe quelle heure; un poste où une personne, si possible du même sexe qu'elles, sera d'accord de recevoir la plainte et aura surtout la formation adéquate, l'empathie requise, mais aussi la disponibilité nécessaire. Il faut du temps pour accueillir une victime, l'entendre, enregistrer sa plainte et lui assurer un traitement assez rapide. Quelque chose doit donc être fait à cet égard.

A l'heure actuelle, la police indique qu'il est proposé aux femmes de prendre un rendez-vous téléphonique pour être sûres de tomber sur la bonne personne. C'est évidemment plutôt positif que cette possibilité existe; pour Ensemble à Gauche, il faudrait toutefois qu'une femme victime de violences contre son intégrité sexuelle - et d'ailleurs un homme également - puisse trouver un poste de police ouvert à tout moment du jour ou de la nuit, un lieu dans lequel il ou elle puisse se réfugier et déposer une plainte. Le rendez-vous téléphonique est naturellement une très bonne chose, mais il n'y a rien de tel qu'une porte ouverte à tout moment du jour ou de la nuit. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Mme Delphine Klopfenstein Broggini (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, cette pétition nous a montré l'ampleur du champ de l'égalité et notre marge de progression pour réussir à l'atteindre dans tous les domaines de la vie privée, de la vie publique et de la vie professionnelle. Après un long mais bon traitement - qui était probablement nécessaire pour la plupart des députés présents dans cette commission - avec des auditions éclairantes sur bon nombre de sujets, on peut dire aujourd'hui qu'il faut évidemment soutenir pleinement cette pétition, et sans tarder.

C'est une pierre apportée à l'édifice, une parmi d'autres: d'autres pierres sont attendues, indispensables, comme la grève des femmes et grève féministe prévue le 14 juin - nous sommes à J-29. Il est essentiel que cette grève fasse partie de l'éventail des moyens de revendications en matière d'égalité.

A Genève, nous avons eu plusieurs longueurs d'avance avec l'introduction, avant tous les autres cantons suisses, d'un congé maternité en 2001, la charte signée en 2016 sur l'égalité salariale ou encore le règlement adopté en 2017 pour l'égalité et la prévention des discriminations en raison du genre. Il faut reconnaître ces avancées notoires mais, on le sait - et cette pétition a permis de nous le rappeler, et même de le marteler - de nombreuses injustices demeurent dans notre société.

Nous attendons donc avec impatience le projet de loi du Conseil d'Etat sur ces questions-là. Nous espérons qu'il soit convaincant; on se réjouit de le lire en détail. Nous nous réjouissons naturellement aussi de la grève du 14 juin et espérons qu'elle sera largement soutenue.

Je dirai également ici que le soutien aux associations de défense des droits des femmes - et elles sont nombreuses - est évidemment essentiel. Ces associations font un travail de terrain remarquable; les demandes sont toujours plus importantes, notamment avec le phénomène «MeToo». Elles l'ont dit, elles se sont exprimées à plusieurs reprises, et il est essentiel que notre Grand Conseil prenne conscience de l'ampleur de leur travail et de leurs besoins. C'est pourquoi il faudra prochainement adapter nos budgets de manière à respecter leur action et à leur permettre de faire un travail de terrain correct, essentiel pour l'équilibre de notre société. Je vous remercie.

Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, je tiens à remercier la rapporteure pour son excellent rapport, qui démontre bien le travail très sérieux de la commission. Au nom du parti démocrate-chrétien, je me permets de vous rappeler que le PL 12383, déposé le 29 août 2018, va dans le même sens; il s'agit d'un vrai projet de loi contre les violences sexistes. Je m'attends donc à ce que tout le monde le soutienne avec enthousiasme, et je vous en remercie d'avance. Merci, Monsieur le président.

Mme Marion Sobanek (S). Qu'il y ait, en 2019, une telle pétition constitue d'une certaine manière un aveu de pauvreté de la part de ce pays s'agissant des réalisations en matière d'égalité des genres. Je ne connais aucun homme qui se plaint d'être harcelé par les femmes dans la rue, qui se plaint d'avoir peur quand il se balade tout seul la nuit ou d'avoir subi des comportements plus ou moins agressifs dans sa vie privée ou intime. Par contre, je ne connais quasiment aucune femme qui n'a pas vécu des situations extrêmement difficiles à un moment ou à un autre de sa vie. Face à cela, beaucoup d'associations oeuvrent, quand bien même les crédits pour les soutenir baissent régulièrement. On sait que des places d'hébergement d'urgence pour les femmes manquent cruellement: on ne peut pas répondre correctement à environ 50% des demandes.

Beaucoup a été dit sur l'ampleur de ce phénomène et tous mes préopinants ont souligné qu'il faut un soutien accru aux associations. Comme l'a noté Mme la députée Klopfenstein Broggini, il faut absolument que nous tenions compte, au moment où nous établissons le budget, du fait que ces associations ne vivent pas uniquement du bénévolat, de pain et d'eau fraîche, mais qu'elles ont besoin de ressources concrètes.

Le soutien à cette pétition passe donc par le vote de crédits, et je vous remercie d'y penser - et de penser également, au moment où vous serez appelés à voter sur la loi sur les armes, que les armes tuent et que les victimes, dont le nombre augmente constamment, sont généralement des femmes. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Le président. Merci. Nous passons au vote.

Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (renvoi de la pétition 2050 au Conseil d'Etat) sont adoptées par 59 oui contre 6 non et 16 abstentions.