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IN 160-B
Rapport de la commission de la santé chargée d'étudier l'initiative populaire cantonale 160 "Pour le remboursement des soins dentaires"
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session V des 22, 23 juin et 31 août 2017.
Rapport de majorité de M. Francisco Valentin (MCG)
Rapport de minorité de M. Jean Batou (EAG)
M 2157-B
Rapport de la commission de la santé chargée d'étudier la proposition de motion de Mmes et M. Anne Emery-Torracinta, Roger Deneys, Prunella Carrard, Salima Moyard, Marion Sobanek, Lydia Schneider Hausser, Irène Buche : Pour des soins dentaires accessibles à toutes et tous !

Débat

Le président. Nous allons traiter maintenant en débat libre l'IN 160-B, qui est liée à la M 2157-B. Je rappelle que le PL 11812-A figurait dans le même rapport que la M 2157-B, mais qu'il a été retiré le 22 juin dernier. Je laisse la parole au rapporteur de majorité, M. Valentin.

M. Francisco Valentin (MCG), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, l'IN 160 traitant de la prise en charge des frais dentaires dans l'assurance de base part d'un bon sentiment, d'un très bon sentiment, même. Comme la route de l'enfer, qui est également pavée de bons sentiments, c'est un chemin très facile à suivre, on y va tous les yeux fermés, et j'ai effectivement le sentiment que les initiants, en ayant l'impression d'avoir le coeur ouvert, continuent à avancer les yeux fermés. (Exclamations.) Mais c'est un leurre, et bien puni sera celui qui s'y laissera prendre ! En effet, cela aura pour conséquence de faire grimper, encore un peu plus, nos primes d'assurance. Or je vous rappelle que pas plus tard que mardi, notre cher ministre fédéral de la santé nous a annoncé une hausse moyenne en Suisse de 4,5%, avec une augmentation pour les enfants qui pourrait atteindre plus de 6%. C'est la plus grande hausse enregistrée depuis six ans. Les assureurs, comme vous le savez tous, ne sont pas vraiment des philanthropes, mais des hommes d'affaires qui ont des comptes à rendre à leurs actionnaires et des bénéfices à faire. S'ils doivent prendre en charge les soins dentaires, qui se chiffrent à plusieurs millions, il serait bien stupide de penser que cela n'aura aucune répercussion sur nos primes ! Donc, au final, les soins ne seront absolument pas gratuits pour qui que ce soit.

Les référendaires nous disent que les gens ne se font pas soigner par manque de moyens: une personne sur cinq ! C'est peut-être vrai pour une toute petite partie, mais la vérité, c'est que dans la majorité des cas, les gens ont tout simplement peur d'aller chez le dentiste, et pour d'autres, c'est la négligence qui domine ! Donc la gratuité des traitements ne changera pas grand-chose à la situation: les gens négligents ou apeurés n'iront pas plus chez le dentiste !

On nous dit que les caries et les problèmes de gencive sont des maladies: certes, mais totalement évitables ! En effet, les cas de prédisposition aiguë aux caries, sans aucun rapport avec le manque d'hygiène ou les mauvaises habitudes alimentaires, sont extrêmement rares ! Lorsqu'on questionne le patient, il s'agit de négligence ou d'absence d'intérêt pour sa bouche.

Lesdits soins sont déjà déductibles de nos impôts. Les traitements des personnes en difficulté financière sont pris en charge par le SPC, l'AI et l'Hospice général, et il y a toujours moyen, pour ceux qui ne rentrent pas dans ces cadres-là, de demander un paiement fractionné par acomptes auprès du médecin-dentiste ou de la caisse des médecins-dentistes. Et pour les dents cassées par accident, c'est bien sûr l'assurance-accidents qui prend les frais en charge.

De plus, des assurances dentaires sont déjà disponibles pour ceux qui le souhaitent, à des prix relativement modestes. Mais la question qu'on peut se poser est la suivante: est-ce que l'assurance de base mettra des réserves sur les dents susceptibles de poser problème ? Là je pense qu'on peut tous être d'accord pour dire oui. Le cas échéant, elle ne servira donc pas à grand-chose !

Prenons l'exemple de la France, chez nos chers voisins, où les soins sont pris en charge par la sécurité sociale - caisse dont tout le monde connaît le parfait état de santé. Eh bien les remboursements étant minimums, les traitements sont eux aussi minimums et donc non adaptés aux vrais besoins des patients, car ces derniers ne veulent pas mettre un euro de plus que ce qui sera remboursé pour atteindre la situation buccale qu'il leur faudrait. Et le médecin ne fera que ce qu'il peut faire, avec la marge qu'on lui laisse. Avec cette proposition, on s'achemine donc vers une situation contraire à celle que les initiants veulent atteindre: il n'y aura pas une amélioration, mais une diminution de la qualité de la santé buccale de la population ! Etonnamment, des Français viennent maintenant se faire soigner en Suisse, car il n'y a pas d'hygiénistes dentaires chez eux. Et lorsqu'ils font des soins chez nous, ils ne retournent plus en France, car ils constatent la différence de qualité du travail et l'amélioration de leur situation buccale.

Par ailleurs, ce projet impliquera une diminution conséquente des revenus du médecin-dentiste, ce qui impliquera aussi une diminution des salaires des employés, voire éventuellement des licenciements, alors que la situation est déjà difficile avec l'arrivée de la concurrence étrangère. (Brouhaha.)

Le président. S'il vous plaît, un peu de silence, merci !

M. Francisco Valentin. D'autre part, il est très commun de voir partout, dans toutes les familles, un écran plat, une console de jeux, un téléphone portable dernier modèle. Un détartrage de soixante minutes et deux radios de contrôle coûtent environ 245 F par année. Et l'achat d'une brosse à dents, de dentifrice et de fil dentaire est dérisoire et vous garantit pourtant d'avoir une excellente santé buccale et de prendre, le cas échéant, un dégât dentaire à son stade primaire, ce qui est donc bien moins onéreux que si la dent est complètement détruite parce qu'on a attendu. Alors la question que je me pose est la suivante: combien coûte un écran plat ? Une console de jeux ? Un portable ? Je crois qu'il s'agit aussi d'une question de priorités ! De plus, je précise que si votre dentiste vous présente un devis qui vous semble trop cher, il est toujours possible d'en demander un second ailleurs. Et le quartier du cabinet et sa décoration intérieure ont aussi un impact assez important sur les prix !

En conclusion, je crois que nous ferions mieux d'investir dans la prévention plutôt que dans le remboursement. Prenons en charge un détartrage et deux radios de contrôle par an - ce qui pourrait être une bonne base pour un contreprojet - et nous verrons peut-être plus de résultats. Car je vous rappelle que les personnes anti-dentistes ne feront rien de plus ! Ou alors, augmentons la déduction fiscale annuelle des frais dentaires, et là peut-être que les gens seront un peu plus incités à aller chez le dentiste. Nous sommes en troisième position mondiale de la bonne santé buccale, ne gâchons pas tout ! Nous vous recommandons donc de ne pas accéder à cette initiative quelque peu insensée. Notre système d'assurance LAMal a une bonne centaine d'années - 103 ans environ - et j'imagine que si depuis 103 ans l'évolution des habitudes alimentaires et d'hygiène de la population n'a jamais été traitée au Parlement fédéral, il y a peut-être une question à se poser de ce côté-là. Merci de votre attention.

M. Jean Batou (EAG), rapporteur de minorité. Dans la foulée des cantons de Vaud en 2014, de Neuchâtel en 2015 et du Valais en 2017, une initiative populaire a été déposée à Genève pour la mise en place d'une assurance de soins dentaires cantonale. Il ne s'agit donc pas d'une prise en charge par la LAMal, le rapporteur de majorité n'a pas lu l'initiative... En portant ce projet dans notre canton, le parti du Travail a fait un tabac, avec 18 000 signatures. Par ailleurs, des projets analogues sont en discussion à Zurich et au Tessin.

En Suisse, la santé bucco-dentaire n'est pas couverte par une assurance sociale obligatoire, vous le savez tous. Elle est pour cela un révélateur des inégalités sociales: 60% des caries diagnostiquées chez les enfants le sont dans 20% des familles les plus défavorisées. Pourtant, les affections dentaires non traitées sont un facteur important de dégradation de la santé publique, provoquant de multiples infections, des maladies cardiaques et même certains cancers, comme le reconnaissait d'ailleurs le député et médecin Pierre Conne, que l'on ne pourra pas soupçonner d'exagérer ce problème.

Cette aberration est la conséquence d'une conception dépassée de la dentisterie, qui a été longtemps perçue à tort comme une discipline plus proche de la plomberie que de la biologie ou de la médecine. Vous avez tous en tête la chanson «Blouse du dentiste» écrite vers 1960 par Boris Vian, qui se retrouve chez un plombier tenant une tenaille parce que, entre voisins, il faut bien s'entraider... (Brouhaha.) C'est cela qui explique que les frais dentaires n'ont pas été pris en charge par l'assurance-maladie obligatoire et que près de 90% de leur coût total sont à la charge des patients, tandis que l'Etat et les complémentaires privées - qui sont onéreuses et plafonnent les remboursements - ne couvrent que 10% de la facture.

Le coût des soins bucco-dentaires est estimé à 4 milliards de francs à l'échelle nationale. A Genève, il peut être évalué à quelque 250 millions de francs, dont 225 millions sont à la charge des patients. C'est la raison pour laquelle, selon une étude du Bus Santé de 2012, un habitant de Genève sur cinq - un sur trois pour les bas revenus - doit renoncer à des soins pour des raisons financières, et essentiellement à des traitements dentaires. Une assurance publique cantonale permettrait au contraire de garantir un accès égal aux soins dentaires. Elle conduirait aussi à des économies en misant sur la prévention systématique, en contrôlant les tarifs des dentistes et en évitant des complications coûteuses. Elle pourrait être financée par un prélèvement de l'ordre de 0,25% sur les salaires - 0,5% en additionnant les prélèvements de l'employé et de l'employeur, soit un montant d'environ 150 millions - sur le modèle de l'AVS, fleuron de la prévoyance sociale en Suisse. A cela, il faudrait ajouter une contribution supplémentaire de l'ordre de 70 à 80 millions sur le budget de la santé pour les personnes qui ne cotisent pas à l'AVS. C'est exactement ce que devrait rapporter chaque année, dès 2019, l'engagement de 22 taxateurs supplémentaires, décidé par les finances cantonales en mai dernier. A condition bien sûr de ne pas concéder de nouveaux cadeaux fiscaux de plusieurs dizaines de millions aux grosses fortunes de ce canton, comme le prévoient deux projets de lois déposés par notre excellent collègue Ronald Zacharias et plébiscités par une majorité de la droite en commission fiscale. Et je ne parle pas des centaines de millions que l'Etat s'apprête à abandonner dans son projet genevois de la RIE III, le PF 17.

L'IN 160 répond aux exigences de notre constitution: garantir un droit à des soins médicaux essentiels et un accès équitable à des prestations de qualité pour toutes et tous - il s'agit des articles 39, 171 et 172. C'est une excellente réponse à un problème de santé publique majeur, qui pourrait servir de banc d'essai à une assurance fédérale, comme cela avait été le cas de l'assurance-maternité genevoise. De surcroît, son financement est réaliste. Pourtant, le Conseil d'Etat voulait la rejeter sans alternative, avant que la majorité de droite de la commission de la santé se ressaisisse, consciente de la popularité de cette initiative, et se prononce pour un contreprojet. Mais une chose est sûre, chers collègues: le contreprojet qu'on nous concoctera sera moins ambitieux et devra coûter moins cher que celui élaboré par le Conseil d'Etat vaudois, cela a été dit expressis verbis par le chef du département. En attendant, l'Entente est bien contente que le MCG se charge de défendre en plénière ce non bien impopulaire à une assurance publique cantonale des soins dentaires. Gageons que les électeurs et les électrices s'en souviendront le 15 avril prochain, eux qui croient parfois à tort que le MCG défend les intérêts des petites gens.

Mesdames et Messieurs les députés, ne restez pas sourds à l'appel de la population porté par les 18 000 signatures de l'IN 160 ! Prenez en considération les intérêts des habitantes et des habitants de ce canton et, quelles que soient les consignes de vos partis, votez oui à une initiative réaliste, qui propose un important pas en avant en faveur de la santé publique et de la justice sociale.

M. Christian Frey (S), rapporteur de minorité. Je viens d'apprendre - je l'ignorais - que le PL 11812 a été retiré. Je suis donc à cette table en tant que rapporteur sur la M 2157. Je me propose dès lors de parler brièvement de la M 2157, puisque tel est l'objectif qui me concerne, puis je m'exprimerai sur l'IN 160. C'est bien cela, Monsieur le président ? (Remarque.) Très bien.

La M 2157 pour des soins dentaires accessibles à toutes et tous n'a pas été retirée parce que, comme expliqué dans le rapport de minorité, elle a une spécificité par rapport à l'ex-PL 11812, qui se trouve dans la deuxième invite: «à organiser dans l'immédiat l'accès aux soins dentaires pour les personnes à bas revenus, notamment par le biais de contrôles dentaires annuels gratuits ou à coûts supportables». Voilà la nuance. En effet, la première invite, à savoir «à étudier la mise en place d'une assurance dentaire cantonale, dans l'attente d'un changement de la législation fédérale», a été reprise d'une part dans le projet de loi et d'autre part dans l'IN 160. Que signifie «à bas revenus» ? Il est difficile d'établir ce qu'est un bas revenu, mais nous pensons néanmoins qu'un des critères peut être le droit aux subsides de l'assurance-maladie. A Genève, 100 000 personnes touchent des subsides; sur ces 100 000, 50 000 environ touchent soit des prestations complémentaires, soit l'aide sociale, et peuvent par conséquent bénéficier du paiement de leurs frais dentaires de base. Restent les 50 000 autres personnes qui ont un revenu suffisamment bas pour bénéficier du subside, mais trop élevé pour percevoir des PC ou l'aide sociale. C'est majoritairement dans cette population que certains renoncent à se faire soigner les dents pour des raisons financières ou cherchent à l'étranger des soins dentaires moins chers qu'en Suisse mais sans aucun suivi, avec tous les risques que cela comporte. En conclusion, la minorité vous recommande donc d'accepter la M 2157.

En ce qui concerne ensuite l'IN 160 - c'est vrai que les deux sujets se recoupent un peu - les constats sont clairs: une part importante de la population, et les chiffres ont été cités dans le rapport de minorité, renonce à des soins dentaires nécessaires - pas de luxe, mais nécessaires - pour des raisons financières. La tendance générale en matière de santé va dans le même sens: selon l'Office fédéral de la statistique, 25% des personnes interrogées - et là il ne s'agit pas uniquement des soins dentaires, mais des soins de santé en général - ont déjà renoncé au moins une fois à des traitements prescrits ou nécessaires à leur santé. Vous voyez donc que cette tendance, qui s'accentue, se globalise: on part des soins dentaires et on arrive aux soins de santé en général.

D'autre part, se laver les dents régulièrement - une caricature ! - ne résout rien. Le professeur Krejci - j'espère que je prononce bien ! - président de la clinique universitaire de médecine dentaire, l'a dit clairement: la carie est une maladie infectieuse, qui peut se transmettre - elle ne se transmet pas systématiquement - de la mère au nourrisson, par exemple, à travers la salive. Il s'agit donc bien d'une atteinte à la santé, qui devrait être couverte par l'assurance-maladie de base, comme toute autre atteinte à la santé. Et nous ne sommes pas dans le cas d'un simple renvoi possible à la responsabilité individuelle d'avoir une bonne hygiène dentaire et de se laver les dents régulièrement. Il est tout simplement faux de prétendre cela.

Les discussions à la commission de la santé, qui durent depuis 2013 - nous sommes bientôt à fin 2017 - tout d'abord autour de la M 2157 dont je viens de parler, puis autour du projet de loi constitutionnelle 11812, qui a été retiré, arrivent toujours aux mêmes conclusions: les soins de base devraient être couverts par la LAMal, comme pour toutes les autres parties du corps, mais ce n'est pas le cas, alors que faire ? On nous dit que c'est une question fédérale, qu'on ne peut rien faire, etc. Alors on attend, on renonce... Eh bien l'IN 160 nous permet de sortir de l'ornière: une assurance obligatoire cantonale est une solution à ce problème. Dès lors, avec le même courage qu'en son temps pour l'assurance-maternité, le groupe socialiste vous invite à accepter cette initiative.

En ce qui concerne l'éventuel contreprojet, j'aimerais juste ajouter que les discussions au sein de la commission de la santé vont plutôt dans le sens de savoir comment faire pour que le peuple n'accepte pas cette initiative. Ce qui, je dirais, est un alibi par rapport au problème sur lequel nous mettons le doigt. Nous sommes donc très réservés, et pour le moment nous ne sommes pas favorables à un contreprojet. Nous vous recommandons par conséquent l'acceptation pure et simple de cette initiative. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)

Mme Salika Wenger (EAG). Chers collègues, la manière dont j'interviendrai aujourd'hui est un hommage à M. Riedweg, que j'ai blessé l'autre jour sans le vouloir. Aussi reconnaîtrez-vous sa façon de s'exprimer. Les soins dentaires ne sont pas inclus dans le catalogue de la LAMal - nous le savons tous - et sont donc à 89% à la charge des ménages, ce qui représente une dépense irrégulière et particulièrement élevée pour les classes populaires. Et c'est pour elles que je vais parler, car vous savez tous que la santé dentaire est aussi un marqueur social important. Ces dépenses sont hors de portée pour bien des personnes, qui de ce fait renoncent à se faire soigner les dents. 35% de la population de l'arc lémanique ne fait ainsi pas de contrôle dentaire annuel, pourtant indispensable, et nombre de personnes ne voient pas de dentiste pendant des années - une moyenne de cinq à dix ans. Le résultat de cette inégalité sociale est tout simplement choquant: chez les enfants jusqu'à 5 ans, 40% ou plus de ceux qui viennent d'une famille économiquement défavorisée ont des caries, contre 16% chez les enfants issus d'une famille moyennement aisée. De plus, 14% des personnes appartenant à des groupes favorisés sont totalement édentées, contre 32% appartenant à des groupes défavorisés. Par ailleurs, les prothèses dentaires amovibles - 48% dans la population aux revenus faibles et moyens-faibles, contre 11,5% chez les hauts revenus - conduisent à une sélection des aliments et peuvent contribuer à la malnutrition des sujets âgés, par exemple. Comme l'avait dit le conseiller d'Etat vaudois Pierre-Yves Maillard, «les inégalités sociales jouent à plein et la santé dentaire des populations défavorisées du canton correspond à celle des habitants d'un pays en voie de développement». En 2009, la «Revue Médicale Suisse» avait du reste consacré un très bon article, fort intéressant, à l'inégalité sociale face aux dents, un article qui recommande la mise en place d'une assurance pour le remboursement des soins dentaires afin d'y faire face.

Pour remédier à cette injustice, le parti du Travail - qui fait partie d'Ensemble à Gauche, comme vous le savez tous - propose l'instauration d'une assurance obligatoire pour le remboursement des soins dentaires et pour la prévention, financée sur le modèle de l'AVS, par des cotisations paritaires pour les personnes cotisant à l'AVS - environ 0,5% de part patronale, respectivement de part salariale - et par la politique sanitaire du canton pour celles et ceux qui n'y cotisent pas. Ce modèle n'a pas été choisi au hasard. L'AVS représente le type d'assurance sociale le plus avancé et socialement le plus juste, mais aussi le plus efficace, le moins cher et le plus sûr qui existe dans notre pays. Un modèle qui a fait ses preuves. Ce qui n'est pas le cas par exemple du système d'inspiration pseudo-libérale - semi-mafieuse, en fait - de la LAMal, avec sa nébuleuse de caisses privées motivées par le seul profit, qui augmentent les primes chaque année sans rapport avec rien, qui agissent dans l'opacité la plus totale et qui se livrent à toutes sortes de manoeuvres obscures avec leurs faramineuses réserves. Alors que les acquis sociaux pour lesquels notre parti s'est âprement battu pendant des dizaines d'années font l'objet d'une offensive en règle des tenants de l'idéologie libérale, proposer le modèle d'une assurance sociale, publique et obligatoire pour les soins dentaires est aussi une façon de contrer le démantèlement social en cours et de reprendre la contre-offensive. Cette partie de mon intervention était pour M. Riedweg, avec les chiffres qu'il adore !

Néanmoins, je constate que chaque fois qu'il y a une proposition pour aider de quelque manière que ce soit les classes populaires, les personnes les moins bien loties dans cette société, c'est toujours trop cher ! C'est trop cher ! Tout est trop cher ! Les lunettes sont trop chères, on ne peut pas payer, on ne peut pas payer pour se soigner les dents, on ne peut rien payer... Et en plus de cela, comme nous l'a très bien dit le rapporteur de majorité, on est confronté à une très mauvaise volonté de cette population pauvre s'agissant de se soigner les dents ou de faire un travail de prévention... Mais c'est faire abstraction d'un nombre important d'éléments, comme l'impossibilité de payer le dentiste quand il y a un problème. (Remarque.) Oui, effectivement, on peut faire appel à l'aide sociale... (Remarque.) Non, Monsieur, non, non, non, en aucun cas ! Les soins dentaires sont un droit, comme tous les autres. Les soins dentaires sont un droit, et si nous ne voulons pas, comme l'a fait le président français, qualifier notre population modeste de sans-dents, il serait peut-être temps d'appuyer une initiative qui rend ses droits à une partie importante de la population que nous devons soutenir, et ça c'est le rôle de l'Etat ! (Quelques applaudissements.)

M. Bertrand Buchs (PDC). J'aimerais ici défendre - et c'est peut-être un poncif - la classe moyenne, parce qu'on a évoqué la classe populaire, mais moi je parle ici de la classe moyenne. La question posée par cette initiative est juste, et il faut y répondre. Actuellement, on a un problème au niveau de la santé dentaire de la population genevoise et suisse. On a un gros problème. En effet, on constate quand même un état dentaire qui a tendance à se péjorer, pas seulement chez des individus qui n'ont pas de moyens financiers, mais aussi chez des personnes qui ont un travail, qui ont un salaire et qui ont des moyens financiers. Et ça démontre que la réponse actuelle, à savoir que les gens ne soient pas remboursés pour leurs frais dentaires, constitue un problème difficile à régler pour ceux qui ont des moyens limités. On voit déjà que la question se pose pour les frais d'assurance-maladie: les gens ont tendance à opter pour des franchises élevées et, une fois qu'on leur demande de payer ces franchises, ils ont de la peine à sortir 2500 F s'ils ont choisi la franchise la plus élevée. Et ce problème concerne des gens qui ont un travail, qui ont un salaire. Il y a donc une question fondamentale que l'Etat doit se poser: que se passe-t-il pour que les personnes qui travaillent ne puissent pas prendre en charge leur santé ?

Il y a une deuxième aberration - mais on ne va pas la résoudre aujourd'hui - c'est d'avoir complètement séparé les problèmes dentaires du reste des problèmes de santé. C'était une aberration complète dès le départ, parce que la bouche fait partie du corps, on ne peut pas sortir la bouche du reste du corps en disant que c'est autre chose et que ça ne concerne pas du tout la santé. D'autant que les problèmes dentaires ont une répercussion énorme sur le reste de la santé: on sait que des gens qui négligent leurs dents ont des risques d'avoir des problèmes cardiaques très importants, en raison de bactéries qui peuvent aller sur les valves du coeur, avec à ce moment-là des frais pris en charge par l'assurance-maladie et par l'Etat, dans le cadre de l'Hôpital cantonal; ce sont des frais énormes, qui sont liés à des problèmes dentaires.

Il faut donc trouver une solution. Si le parti démocrate-chrétien ne soutient pas l'initiative, ce n'est pas sur le fond, mais en raison du financement. Nous ne pouvons pas accepter le financement proposé par l'initiative, qui entraîne une augmentation des charges salariales pour les patrons. Nous ne le pouvons pas, parce qu'il n'est pas possible de demander plus d'efforts au patronat et aux petites entreprises s'agissant des charges salariales. Par contre, nous avons soutenu l'idée qu'on puisse discuter d'un contreprojet, parce que la question doit être posée d'une autre façon, et nous avons soutenu le principe du contreprojet même si le Conseil d'Etat n'était pas très chaud quant au fait d'avoir un contreprojet. D'un autre côté, c'est vrai que nous avons eu un peu peur et que nous nous sommes dit que si cette initiative était présentée toute seule au peuple, elle avait de fortes chances d'être acceptée. Et comme nous, nous ne sommes pas d'accord avec le financement, nous voulons qu'il y ait une autre proposition offerte à la population et que celle-ci puisse choisir entre deux solutions. On voit que le canton de Vaud a déjà discuté de ce problème-là et qu'il propose une taxe sur les boissons sucrées afin de pouvoir financer une partie des frais dentaires de la population.

Une dernière chose: j'ai entendu le rapporteur de majorité dire qu'avec une brosse à dents et deux paquets de fil dentaire, on n'a pas de problèmes dentaires... C'est mentir aux gens ! Nous sommes inégaux quant à notre état dentaire. L'état dentaire, c'est comme le poids: certaines personnes ne choisissent pas d'être grosses ou maigres, c'est comme ça. On peut donc se laver les dents trois fois par jour, utiliser le fil dentaire de façon hyper correcte et malgré tout avoir de gros problèmes de dents. Il s'agit vraiment d'une inégalité et on ne peut pas tenir à quelqu'un ce genre de propos: «C'est parce que vous ne vous êtes jamais lavé les dents que vous êtes comme ça, alors débrouillez-vous et assumez votre état dentaire ! Vous n'avez pas fait d'efforts, donc on n'a pas à vous soutenir, on n'a pas à rembourser vos frais dentaires !» C'est faux, c'est faux et c'est faux ! Il y a des dégâts dentaires liés à des médicaments, il y en a qui sont dus à la génétique, à la qualité dentaire de la personne, etc. On doit donc avoir une solution pour les frais dentaires, on ne peut plus continuer comme ça ! On doit trouver une solution, et cette solution, il faut en discuter dans le cadre d'un contreprojet, parce que je pense qu'on peut trouver d'autres propositions de financement que le simple prélèvement sur les charges salariales. Le parti démocrate-chrétien va par conséquent soutenir le principe d'un contreprojet et s'opposer à l'initiative. Je vous remercie.

M. Jean-Charles Rielle (S). Mesdames et Messieurs les députés, chères et chers collègues, Vaud, Neuchâtel, Valais, Jura, Tessin et maintenant Genève ! Serait-ce donc une préoccupation strictement latine ? L'idée d'un remboursement des soins dentaires n'est pas nouvelle en Suisse, mais elle a de la peine à convaincre politiquement. En 2006, l'ancien conseiller national vaudois Josef Zisyadis proposait une assurance obligatoire pour les traitements de base. Le Conseil fédéral avait alors jugé inutile d'entrer en matière, arguant que la santé bucco-dentaire des Suisses était suffisante ! En 2013, j'ai moi-même demandé, par une initiative parlementaire au Conseil national, que les soins dentaires soient intégrés dans la LAMal, initiative cosignée notamment par l'actuel conseiller d'Etat Luc Barthassat.

D'après l'Office fédéral de la statistique, en 2010 les assurances privées remboursaient 4,6% des frais dentaires, avec des primes souvent prohibitives. L'assurance-maladie de base - la LAMal - ne remboursait que 1,4%, et les prestations complémentaires 2,2%. Il y avait donc 89% des coûts des soins dentaires à la charge des ménages suisses.

Les dents sont la seule partie du corps humain qui échappe à la LAMal. Etonnant ! Certes, il est prévu quelques remboursements des soins dentaires s'ils sont occasionnés par une maladie grave et ses séquelles ou causés par un accident, mais les pathologies bucco-dentaires ne sont-elles pas aussi urgentes que les autres pathologies de l'organisme ? La pathologie bucco-dentaire - avec les caries, la parodontolyse, le déchaussement des dents, les lésions de la muqueuse buccale, les cancers oropharyngés, les autres manifestations bucco-dentaires et les traumatismes de la sphère bucco-dentaire et des maxillaires - pose un grave problème de santé publique. Elle a un impact considérable sur les individus en termes de douleur, de souffrance, d'altération des fonctions et de diminution de la qualité de vie. Le fardeau de cette pathologie pèse le plus lourdement sur les populations pauvres et désavantagées. La charge des maladies bucco-dentaires est particulièrement élevée chez les personnes âgées, ce qui a des conséquences néfastes sur leur qualité de vie. Il est donc temps que les soins dentaires soient remboursés conformément à l'esprit de la LAMal. Notre population vieillit et, faute de moyens financiers suffisants, une partie de celle-ci se prive de soins dentaires. Or des dents en bonne santé sont essentielles à la mastication et donc à l'alimentation.

Dans un tel modèle de remboursement des soins dentaires, il ne s'agit que de traitements de base et de mesures de prévention. Sont exclus par exemple le blanchiment des dents ou la pose de facettes. Les prestations doivent être efficaces, appropriées et économiques. L'efficacité doit être démontrée selon des méthodes scientifiques. Enfin, l'efficacité, l'adéquation et le caractère économique des prestations sont réexaminés périodiquement.

Ma proposition avait vu l'offensive de la droite en commission, avec le même prétexte des coûts trop élevés pour l'assurance-maladie de base et des primes qui prendraient l'ascenseur. De même, la Société suisse d'odontologie, par son président, m'avait alors attaqué violemment, car ils ne voulaient pas d'assurance contrôlant leurs tarifs. Après ces deux échecs, ce sont donc les initiatives cantonales qui prennent le relais et, comme par hasard, ce sont la Romandie et le Tessin qui s'activent.

A Genève comme ailleurs, le niveau de santé bucco-dentaire est un révélateur des inégalités sociales. Il faut le répéter, l'IN 160 vise deux objectifs fondamentaux: garantir un droit à des soins médicaux essentiels et un accès équitable à des prestations de qualité pour toutes et tous, conformément aux prescriptions de la constitution genevoise. Il s'agit par là de réduire fortement l'impact des soins dentaires sur le budget des ménages et de lutter contre les conséquences de l'exclusion, au moins partielle, des soins dentaires de larges couches - en augmentation constante - de la population cantonale.

Je ne reviendrai pas en détail sur ce qui se fait déjà à Genève et qui a déjà un coût important. Il s'agit aujourd'hui de systématiser la prise en charge, avec un souci de solidarité propre d'ailleurs à l'esprit de la LAMal. Chères et chers collègues, nous avons aujourd'hui, ce jeudi matin, la possibilité historique d'accepter cette initiative 160, qui relancerait le débat au niveau national. Genève a eu le courage de l'assurance cantonale en matière de maternité, ayons ce même courage pour le remboursement des soins dentaires. En effet, on rappellera qu'en 2000, avant la mise en place de l'assurance-maternité fédérale, le canton de Genève avait institué une assurance-maternité cantonale avec un mode de financement identique à celui proposé. Pour rappel, l'IN 160 propose de mettre en place une assurance cantonale couvrant les soins dentaires de base, qui n'entrent pas dans le catalogue de prestations de la LAMal.

Je terminerai en relevant que les auditionnés de la santé publique et de l'épidémiologie étaient en faveur d'un meilleur remboursement des soins dentaires et que les représentants genevois des dentistes rejetaient cette IN 160 - comme leurs homologues à Berne lors de mon initiative - craignant sans le dire une réglementation plus contraignante de leurs tarifs souvent prohibitifs, du moins pour les classes défavorisées, mais aussi pour les classes moyennes voire aisées.

On sait que la responsabilité individuelle a sa limite et que nous sommes tous uniques et inégaux devant la génétique et les aléas de la vie. Comme pour le diabète, l'insuffisance cardiaque et les autres maladies, la solidarité doit primer au niveau de la santé bucco-dentaire ! Le groupe socialiste vous invite donc à accepter cette initiative 160. Dans l'état actuel, il ne votera pas pour l'idée d'un contreprojet, étant persuadé, selon les échanges en commission, qu'il n'y a aucune volonté des instances du département d'imaginer des solutions de prise en charge du remboursement des soins dentaires et que les propositions semblent actuellement se limiter à imaginer un contreprojet extrêmement «light», voire alibi, avec la seule volonté de faire échouer l'initiative en vote populaire. Et si un vote devait avoir lieu sur un contreprojet, notre groupe socialiste serait extrêmement attentif à ce que ce contreprojet soit respectueux de l'esprit de l'initiative. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

Mme Sarah Klopmann (Ve). Comme cela a été dit, nous ne sommes pas tous égaux face à la qualité de nos dents, et nous savons que pour chacun et chacune la prévention est essentielle. Ça passe évidemment par l'hygiène de vie quotidienne, on l'a souvent dit, mais aussi par des contrôles et des détartrages réguliers chez le dentiste. Il n'est donc pas vrai de dire que la prévention ne coûte pas cher, car ces contrôles chez le dentiste ont un coût élevé, et on sait que beaucoup de gens doivent y renoncer parce qu'ils sont très très chers. Et le fait qu'ils soient déductibles des impôts ne signifie pas qu'on a tout d'un coup les moyens de les payer. Les affections dentaires peuvent entraîner de graves problèmes pour la santé en général, mais également des problèmes sociaux, avec ensuite, évidemment, des frais encore plus importants, qu'on peut encore moins payer, et c'est le cercle vicieux qui s'installe. Une assurance cantonale permettrait donc déjà aux gens de faire cette prévention, qui coûte, mais aussi de se soigner, et effectivement en plus de contrôler les tarifs, car l'un des problèmes à cause desquels les gens ne peuvent pas se soigner les dents, c'est la cherté des tarifs. Nous devons donc pallier l'aberration constituée par le fait que les soins dentaires ne sont pas compris dans la LAMal. D'ailleurs, tout le monde ici essaie de nous parler de la santé de la LAMal et de la question de savoir si on peut ou pas inclure les frais dentaires, mais je rappelle que ça n'a rien à voir: dans la LAMal, il n'y a pas les soins dentaires, là on ne parle pas de la LAMal, on discute justement de l'instauration d'une autre assurance. De plus, cette assurance pourrait aussi nous permettre de créer un système réellement solidaire, donc bien mieux que la LAMal, et nous ne devons pas manquer cette occasion de le faire. Alors ça coûtera cher, oui, très probablement; ça coûtera cher, même vraiment très cher. Mais il ne faut pas oublier qu'il y a déjà pas mal d'actions qui sont réalisées pour la prévention, notamment dans les écoles, ainsi que de nombreux frais qui sont déjà payés pour certaines parties de la population, or tout cela serait inclus dans les frais généraux de cette assurance. Il y aurait également des gens qui cotiseraient, cette fois, ce qui nous aiderait aussi à payer cette assurance.

Par contre, il y a quand même un petit problème avec cette initiative, c'est le financement proposé. En effet, on nous propose de la financer avec un système comme celui de l'AVS, c'est-à-dire paritaire; malgré ce que certains ont essayé de nous faire croire en commission, l'AVS est un système paritaire, donc si on propose de financer cette assurance comme l'AVS, ce sera sur un modèle paritaire. Ça paraît donc bien, ça paraît être social, mais je me demande s'il faut continuer à toujours tout axer sur le travail uniquement. L'autre problème qui découle de ce système concerne les gens qui ne travaillent pas et pour lesquels il n'y a donc pas de cotisations AVS paritaires. Ça voudrait alors dire qu'il faudrait payer, ce qui est très bien - on le fait déjà pour la catégorie de la population qui touche actuellement certaines aides sociales, et c'est bien, il faut continuer de le faire - mais il y a parfois aussi de riches héritiers qui ne travaillent pas, et je ne vois pas pourquoi ces personnes-là seraient exemptées de payer une assurance sociale solidaire pour les soins dentaires.

Nous sommes donc évidemment en faveur de cette initiative, parce que nous sommes en faveur d'une assurance dentaire, mais aussi parce que de toute façon il s'agit d'une initiative constitutionnelle et que la population va voter, mais surtout et avant tout nous sommes en faveur de l'élaboration d'un contreprojet, car nous souhaitons une assurance dentaire, mais avec un meilleur financement, qui soit réellement solidaire et réellement social, ce qui n'est pas du tout le cas avec ce qui est proposé: ça va être cher et ce n'est quand même pas solidaire, malgré ce que disent les initiants. J'aimerais aussi que ce soient les députés qui réfléchissent à ce contreprojet, parce que le magistrat nous a déjà annoncé à plusieurs reprises qu'il n'était pas du tout intéressé à travailler sur un contreprojet. J'ai donc quelques doutes quant à l'aboutissement de celui-ci si on le confie uniquement au magistrat, et ce qu'on risque de retrouver dans le meilleur des cas, c'est simplement quelques petites propositions d'aménagement pour la prévention des soins dentaires dans la population, mais pas une assurance, or une assurance est un système beaucoup plus large, beaucoup plus complet, et c'est l'unique solution qui permettrait à la population genevoise d'avoir une bonne santé bucco-dentaire. (Applaudissements.)

M. Pierre Conne (PLR). Chers collègues, j'aimerais vous rassurer en vous rappelant que nous nous prononçons ce matin sur une initiative constitutionnelle qui, de toute façon, sera soumise au peuple. Il n'est donc pas question pour nous de déterminer si nous avons le courage ou non d'accepter cette initiative, mais plutôt de savoir en quoi ce que propose l'initiative va réellement permettre d'améliorer la santé bucco-dentaire de la population et s'il n'est pas justement opportun de peut-être proposer autre chose, dans le cadre d'un contreprojet, qui serait un véritable programme de santé publique en matière de soins dentaires. Voilà pour mon introduction.

J'aimerais aussi revenir sur quelques éléments factuels concernant la question de savoir si une assurance dentaire permet en tant que telle d'améliorer la santé bucco-dentaire d'une population. Et là je me réfère à des études qui ont été réalisées en Allemagne et publiées l'année dernière. Pourquoi dans ce pays ? Parce que l'Allemagne a introduit il y a cinq ans environ une assurance dentaire, une assurance sociale qui couvre les frais dentaires, et que le gouvernement a mandaté des universités pour qu'elles mesurent l'impact de l'introduction de cette assurance sociale sur l'état de santé bucco-dentaire de la population. Or ce qu'on apprend tout d'abord, c'est que le système de santé dentaire n'exerce aucune influence sur la santé bucco-dentaire de la population, c'est-à-dire que le fait qu'il y ait ou pas une assurance dentaire en tant que telle n'a pas conduit à une amélioration de la santé bucco-dentaire de la population.

Le deuxième élément que nous apprenons, toujours dans le cadre de ces études allemandes, c'est que la mauvaise santé bucco-dentaire, même lorsqu'il existe un système d'assurance dentaire étatique, n'est pas liée à l'état économique mais au niveau de formation. Et je pense qu'il faut qu'on se le rappelle. Pourquoi ? Souvenons-nous: la LAMal - certes, je suis d'accord, ce n'est pas comparable à la fois dans la finalité et dans le mode de financement - a été introduite en Suisse comme une assurance obligatoire des soins en 1996. Est-ce que les états de santé et la longévité ont attendu l'introduction de cette LAMal pour s'améliorer ? Non, Mesdames et Messieurs. Ce qui a contribué à l'amélioration de la santé de la population suisse, c'est le niveau de la formation, notamment, qui a été accompagné, il est vrai, d'une amélioration socio-économique. Ne nous laissons donc pas leurrer: l'introduction d'une assurance sociale en tant que telle qui couvre les frais bucco-dentaires ne va pas améliorer tout naturellement et de manière magique l'état de santé bucco-dentaire de la population.

Une étude menée en France, où il existe également une assurance couvrant les frais dentaires, montre que le taux de personnes qui renoncent aux soins dentaires en France est plus élevé qu'en Suisse. Alors cherchez l'erreur ! Là aussi, la question du renoncement aux soins est beaucoup plus complexe: elle a trait au niveau de compréhension, de connaissances et donc de formation des individus par rapport à leur propre santé. Et je ne suis pas en train de reprendre - parce qu'on me l'a reproché - un discours hygiéniste de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, selon lequel il faudrait finalement responsabiliser les individus, pris individuellement, quant à leur propre comportement. Non, nous avons certainement une responsabilité collective, s'il s'agit notamment de mettre en place un programme de santé publique, mais une fois de plus, Mesdames et Messieurs, une assurance ne fera éventuellement que dépanner, mais n'amènera pas ni une prévention, ni même une réparation à long terme.

J'en viens à la question des enfants, car c'est un point important, et là encore - c'est une étude genevoise qui le montre - le pourcentage des enfants sans carie est en augmentation constante à Genève et atteint actuellement plus de 50% en moyenne des élèves de 1 à 8 ans, sans assurance bucco-dentaire, dans le cadre du système de médecine scolaire existant. Par conséquent, Mesdames et Messieurs, notre système actuel est bon; il peut probablement être amélioré - j'en parlerai dans un instant concernant le contreprojet - mais certainement pas avec la mise en place d'une assurance bucco-dentaire, surtout avec le mode de financement qui est proposé. J'en arrive donc à cette question: imaginer un système calqué sur l'AVS, où on renchérit le prix du travail pour payer une assurance en tant que telle, qui ne réponde pas à ses objectifs... Est-ce que vous pensez aujourd'hui, Mesdames et Messieurs, que faire financer par le travail, les salaires - les employeurs, j'en doute, parce qu'une assurance dentaire n'est pas liée au travail, donc je doute qu'on arrive à faire payer la part patronale de ce financement... Certainement pas ! Par conséquent, cette proposition de financement sur un modèle calqué sur celui de l'AVS est vraiment une fausse bonne idée. Alors que faire ?

Dans le cadre de nos auditions, on l'a mentionné, nous avons entendu le professeur Krejci, qui dirige la clinique dentaire et qui est un spécialiste notamment de la carie et de la parodontite. Celui-ci nous a présenté, en s'en inspirant, le modèle danois, qui est un programme de santé publique basé dans le fond sur une profession, celle des assistants en prophylaxie, et qui a pour but de faire à la fois de la formation, du dépistage et de l'orientation, le plus tôt possible - avant que le dégât lié à une mauvaise hygiène bucco-dentaire n'ait provoqué de lésions plus graves - afin de diriger à ce moment-là les bénéficiaires vers des traitements. Et le professeur Krejci a eu le bon goût, je dirais, de proposer quelque chose de concret, en disant que, connaissant la population genevoise et l'état bucco-dentaire des Genevois, nous pourrions suggérer tel modèle. Et il a proposé un certain nombre de postes d'assistants bucco-dentaires, qu'il a chiffrés, ainsi que des ancrages dans le service dentaire scolaire notamment, pour pouvoir intervenir chez les enfants. Il a également suggéré de réfléchir à un ancrage dans l'unité d'action sociale, qui offre déjà des soins dentaires gratuits aux personnes adultes ayant des difficultés socio-économiques, et finalement il a relevé - et c'est vrai - que, s'agissant des EMS, il faudrait peut-être inclure demain dans le cahier des charges du personnel soignant des prestations en lien avec la prévention et l'hygiène bucco-dentaire.

Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je voulais relever. En conclusion, la position du PLR sera certainement de refuser l'initiative, principalement parce que d'une part en tant que telle elle n'atteindrait pas, avec une assurance, le but souhaité, et que d'autre part le mode de financement proposé est irréaliste. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) En revanche, il y a un élément dans l'initiative qui n'est pas inintéressant, c'est que la mise en place d'un dispositif de prévention en matière bucco-dentaire pourrait nous inspirer pour un contreprojet, notamment, et c'est ce que nous proposons, en reprenant la trame que nous a suggérée le professeur Krejci, basée sur le modèle danois. Je vous remercie.

M. François Baertschi (MCG). Effectivement, cette initiative pose une bonne question, une très bonne question, parce qu'on voit un certain nombre de personnes à Genève qui se retrouvent avec des dents dans une situation tout à fait catastrophique. On voit qu'il y a une souffrance, on voit qu'il y a un malaise, on voit qu'il y a quelque chose à changer de manière impérative. Cette initiative pose donc une bonne question mais, malheureusement, elle donne une mauvaise réponse. Pourquoi ? Parce que c'est une assurance obligatoire indéterminée pour les soins de base, alors que la population qui nécessite des soins n'a pas besoin de soins de base, mais de soins complexes, et souvent elle se ruine pour cela, doit aller à l'étranger et se retrouve tout à fait démunie. C'est cette population-là qui devrait être l'une des premières visées par l'initiative, or elle n'est absolument pas touchée par cette dernière. On est donc à côté !

D'autre part, il y a aussi un problème de financement, parce qu'il est certain que dans la situation actuelle, pour l'économie et pour ce qui est de la ponction à la fois sur les entreprises, sur les particuliers et sur le budget de l'Etat, ça va être une sorte d'usine à gaz qu'on est en train de nous proposer, et quelque part il y a une tromperie. Il y a une tromperie avec cette initiative, il faut bien en être conscient, parce qu'on ne va pas s'occuper des véritables problèmes. Alors qu'est-ce que pourrait et devrait faire cette initiative ? Parlons de la classe de personnes qui se retrouvent avec des dents en piteux état. Je pense - du reste je l'ai déjà dit, mais je crois que je vais taper sur le clou autant qu'il faudra - même si la clinique dentaire a beaucoup de peine à l'entendre, qu'il faut donner des moyens supplémentaires pour le travail social, c'est-à-dire pour avoir des tarifs plus favorables, quitte à ce que ça dérange certains médecins de ville qui veulent garder leur patientèle ou autre. Il y a des gens qui sont dans une situation financière délicate, et il faut augmenter les moyens dans ce cadre-là. C'est le genre de choses qui pourrait peut-être faire l'objet du contreprojet à étudier, pour ce qui est de ces soins aigus à donner, quand on voit certaines personnes... Tout récemment, un hebdomadaire parlait d'une personne qui avait dépensé 50 000 F, je crois, qui s'était ruinée, et dont les dents restent encore maintenant dans un piteux état. Ce sont des cas délicats que les dentistes ont à voir, mais ce sont aussi des cas humains, et on ne peut pas s'en désintéresser. L'Etat doit s'intéresser à ces cas, or ce ne sera pas du tout traité à ce niveau-là. S'agissant de la prévention, certaines pistes ont été avancées, et je pense qu'elles devraient être choisies de manière pragmatique et beaucoup plus sélective, pour trouver quelque chose qui corresponde au véritable problème. Certes, il y aura un coût pour les finances publiques, c'est évident, mais je pense qu'on peut le faire, d'autant plus qu'au même moment on s'occupe de façon gracieuse de populations de migrants, de personnes qui sont à Champ-Dollon ou incarcérées; je pense donc que les résidents doivent être traités au minimum de manière égale, voire être mieux traités. En conséquence, il faut à tout prix voter pour le contreprojet, un contreprojet généreux et intelligent, un contreprojet qui vise juste, surtout - et qui ne soit pas une grande aspersion, une grande dispersion - pour résoudre ce problème social de la population avec pragmatisme. C'est ce qui doit être étudié dans l'éventuel contreprojet. Je vous conseille donc très très vivement de refuser cette initiative qui ne va rien résoudre et de choisir un contreprojet efficace.

Une voix. Bravo !

M. Marc Falquet (UDC). Mesdames et Messieurs, comme l'a dit M. Conne - et on l'a également entendu en commission - il est prouvé qu'une assurance obligatoire bucco-dentaire n'améliore pas la santé bucco-dentaire. De plus, cette assurance va coûter des dizaines de millions de francs aux entreprises, elle va encore péjorer la situation économique de Genève, ça va bien entendu retomber sur tout le monde, et finalement chacun va devoir subir encore des augmentations de coûts et une diminution du pouvoir d'achat. Alors que dit l'UDC ? Déjà, l'UDC dit qu'aujourd'hui ce ne sont pas les classes défavorisées qui ne bénéficient pas des soins bucco-dentaires, mais que c'est la classe moyenne qui ne va pas se faire soigner, Mesdames et Messieurs. C'est nous qui n'allons pas nous faire soigner ! Parce que les soins des classes défavorisées sont pris en charge totalement. Et si on met en place une nouvelle assurance, il va donc y avoir toujours moins de cotisants, comme c'est le cas à Genève, et toujours plus de bénéficiaires, puisque la moitié du monde vient en Suisse se faire soigner, à la charge de l'Etat, bien entendu. (Remarque.) Et nous refusons cette politique. Finalement, c'est une déresponsabilisation, ce n'est pas de la solidarité, et pour notre part on en a marre de payer pour tout le monde, Mesdames et Messieurs.

Une voix. Bravo !

M. Marc Falquet. Ce qu'il faut faire - et là je m'excuse, mon ami responsable de la santé, je vais me faire une petite joie - c'est évidemment améliorer la prévention. Et où s'améliore la prévention, Mesdames et Messieurs ? Elle commence par s'améliorer dans les lieux de santé. En effet, qu'est-ce qui se passe aujourd'hui dans les lieux de santé au niveau de la prévention ? Eh bien dans les lieux de santé, vous avez à tous les étages des distributeurs de boissons sucrées, or on sait que le sucre est responsable de la plupart des maladies, non seulement bucco-dentaires, mais aussi de toutes sortes, comme la déminéralisation, le diabète, l'arthrite, l'arthrose, et j'en passe, même des cancers. Donc la première chose qu'il faudrait faire en termes de prévention, ce serait de supprimer les boissons sucrées à l'Hôpital cantonal. Supprimer les sucreries à base de sucre raffiné, et non pas les remplacer par de l'aspartame, dont il est prouvé par des enquêtes indépendantes qu'il péjore également la santé. C'est la première chose à faire. On dit que la prévention coûte cher, alors j'aimerais poser une question à notre ministre: quel est le budget qu'il prévoit pour supprimer les boissons sucrées à l'Hôpital cantonal et dans les lieux de santé ? Merci beaucoup.

Une voix. Très bien !

M. Charles Selleger (PLR). Beaucoup de choses ont déjà été dites, et j'aimerais simplement mettre l'accent sur des points précis qui n'ont pas forcément été évoqués jusqu'ici. D'abord, cette initiative rend l'assurance dentaire obligatoire, et deuxièmement elle parle de son financement, qui est de type AVS. La première remarque, c'est que tous les milieux dentaires que nous avons auditionnés sont contre cette initiative. Tous les milieux dentaires, alors même que les dentistes gagnent leur vie en soignant et que, bien entendu, si on leur amenait plus de patients parce qu'une assurance viendrait à financer les frais dentaires, ce serait quelque chose de bénéfique pour leur porte-monnaie, et non pas de maléfique. Or, nonobstant cet aspect financier, tous les milieux dentaires sont contre, parce qu'ils savent bien que finalement la pathologie qui influe le plus sur la morbidité dentaire, c'est la carie, et que celle-ci est parfaitement sensible à une bonne prévention, à une bonne hygiène bucco-dentaire. Ce n'est donc pas responsabiliser les gens et les inciter à avoir une bonne hygiène bucco-dentaire que de leur payer les frais lorsqu'ils n'ont pas une hygiène suffisante. A ce propos, il faut savoir que depuis les années 60, le nombre de caries, l'incidence de la carie dans la population a diminué de 90%. Alors pour une pathologie qui a déjà diminué de 90% depuis les années 60, est-ce qu'il faut adopter un système d'assurance obligatoire, avec un financement, comme je le dirai plus tard, qui est quand même assez surprenant ?

Parlons du gradient social. On s'aperçoit qu'actuellement la santé dentaire dépend du niveau social et éducatif des gens, cela a été dit tout à l'heure. Et j'aimerais mentionner à nouveau l'étude allemande citée par Pierre Conne, qui montre également qu'après l'introduction d'une assurance dentaire obligatoire et donc universelle, le gradient social persiste; il ne s'agit donc pas du fait que les gens puissent aller se faire soigner, mais de phénomènes réellement socio-éducatifs.

J'en viens au financement. Nous avons actuellement une assurance-maladie, la LAMal, qui prévoit un financement moitié-moitié, si vous voulez, mais qui est largement dépendant de la cotisation individuelle pour ce qui est des soins ambulatoires. Or, que je sache, la santé dentaire - qui est importante, je ne le nie pas - n'a quand même pas la même incidence sur le pronostic vital, et là on voudrait nous faire adopter un financement beaucoup plus «social», entre guillemets, pour une assurance qui finalement concerne une problématique moins grave, avec également une contribution des entreprises. Je trouve donc que c'est parfaitement illogique de prévoir un financement de type AVS pour ce genre d'assurance, si tant est qu'elle devait être adoptée. Dès lors, pour toutes ces raisons et surtout pour le renforcement de la responsabilité individuelle, je pense qu'il faut refuser cette initiative et privilégier un contreprojet qui mettra largement l'accent sur l'augmentation de la prévention par l'amélioration de l'hygiène bucco-dentaire. Je vous remercie.

M. Olivier Baud (EAG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, la droite, enfin, les opposants à cette initiative voudraient nous faire croire que toutes les mesures en faveur de l'accès facilité aux soins dentaires seraient in fine néfastes et que tout ce qui se fait déjà actuellement serait largement suffisant. Mais il faut être un peu sérieux ! On peut regarder justement ce qui se fait maintenant, et notamment pour les plus jeunes, parce que c'est aussi une population importante: à l'école obligatoire, pour les enfants de 4 à 15 ans, soit les quelque 48 000 élèves de l'école obligatoire, il y a un contrôle annuel, un dépistage, qui est gratuit pour les écoliers, évidemment, et qui coûte une somme assez dérisoire, à savoir moins de 500 000 F, c'est-à-dire environ 10 F par élève. Pourquoi ? Parce que ce contrôle est très rapide: il prend une ou deux minutes au maximum, aucun acte médical n'est effectué, c'est juste un regard, et ensuite une indication est très vite posée. Alors bien sûr que cette prévention est utile et qu'il faut la maintenir, et heureusement qu'elle porte ses fruits: on voit effectivement que la carie dentaire diminue un tout petit peu. En vingt ans, la carte de la prévalence de la carie dentaire montre qu'il y a une diminution, mais cette diminution est totalement insuffisante ! Regardez les cartes ! Pourquoi ? Parce que cette mesure de prévention, si elle est utile, doit ensuite déboucher bien souvent sur des soins. Or qu'est-ce qui se passe ? Eh bien les familles n'ont pas les moyens. On voit en effet dans le rapport sur la pauvreté à Genève qu'au minimum 15% de la population renonce à des soins dentaires. Or si les enfants pour lesquels il y a une indication, une suspicion de carie, avaient la possibilité d'accéder gratuitement aux soins, en quelque sorte, avec une assurance, il est sûr que ça diminuerait beaucoup les caries par la suite, et les frais de soins dentaires aussi, précisément. Car les inégalités sociales - on essaie de nous faire croire le contraire, mais cela figure en toutes lettres dans les rapports - influent sur la santé dentaire, et l'enfant est pénalisé dès son plus jeune âge et condamné à en payer le prix fort pendant de longues années. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est une phrase du rapport du service de santé de l'enfance et de la jeunesse, et c'est cela qu'il faut enregistrer, Mesdames et Messieurs. On ne peut pas simplement balayer ça comme ça en disant que de toute façon les soins ne servent à rien. Non, parce que, concrètement, on peut faire des comparaisons avec d'autres pays, car les autres pays ne prévoient pas forcément de prévention ou de dépistage pour tous les élèves de 4 à 15 ans. Si c'est fait, tant mieux, ça doit être accentué, mais il doit y avoir un accès aux soins derrière. En effet, si vous regardez la carte de la prévalence de la carie dentaire, vous verrez très nettement - même si ça s'améliore - qu'il y a encore de nombreuses zones situées au-dessus de la moyenne. Du reste, je ne sais pas très bien comment on fixe cette moyenne acceptable de la carie dentaire, car on devrait viser un objectif de zéro carie dentaire dans la population, en tout cas pour les enfants. Or on en est très loin ! Il y a donc presque une majorité d'endroits qui sont encore au-dessus de la moyenne, et ce sont évidemment les quartiers défavorisés des villes.

Le député Conne nous a rappelé que l'on était en présence d'une initiative constitutionnelle, que de toute façon le peuple allait se prononcer, et qu'il ne s'agissait donc pas d'avoir le courage ou non de l'accepter. Eh bien si, Mesdames et Messieurs les députés, il faut un certain courage pour accepter cette initiative ici aujourd'hui, afin de donner un signal fort à la population et de montrer que la santé est quelque chose d'important et que cette initiative diminuera in fine les frais de santé plutôt que de les accroître. Merci. (Applaudissements.)

M. Bertrand Buchs (PDC). J'aimerais juste revenir sur ce qui a été dit jusqu'à maintenant. Il est vrai qu'une assurance ne résout pas les problèmes de santé: ce n'est pas parce qu'on a une assurance que tous les gens vont être en bonne santé. Mais je répète ce que j'ai dit tout à l'heure, on ne peut pas séparer les dents du reste de la santé du corps, et il est totalement hypocrite de dire que tout va bien, Madame la Marquise, passez, il n'y a pas de souci... C'est faux ! Il y a des problèmes au niveau de la santé dentaire. Maintenant il faut trouver une solution, et je pense que cette solution doit être originale, c'est pour ça que je vous demande d'adopter le principe d'un contreprojet, qui donne le temps au parlement et au Conseil d'Etat de venir avec des propositions intéressantes. Tout ce débat montre qu'il y a un gros problème de fond, c'est la prévention. Et là, le Conseil d'Etat l'a dit et répété, les moyens donnés à l'Etat pour la prévention sont ridicules, et c'est sur ce point qu'il faut peut-être axer notre propos, en se demandant comment on peut prévenir, comment on peut enseigner. On a dit ici qu'il y avait un problème au niveau de certaines catégories sociales, et on l'a très bien vu pour ce qui est de l'obésité: on peut même faire des cartes géographiques sur lesquelles on place les gens qui souffrent d'obésité, parce que c'est clairement lié à des conditions socio-culturelles. Mais là, le rôle de l'Etat est de faire de la prévention, et s'agissant des dents un travail de prévention doit être effectué; il est déjà bien fait pour les enfants, en grande partie par l'Etat avec le service de la santé, mais il doit aussi continuer avec les adultes. Il y a également un travail - M. Falquet l'a dit - qui doit être fait concernant tout ce qui est lié aux produits sucrés, tout ce qui est vendu dans les commerces. On propose maintenant des étiquettes différenciées pour montrer aux gens les dangers que représentent certains produits, mais il y a là tout un travail à faire sur les dangers que constituent ces produits sucrés, même avec ce qu'on met actuellement à la place du sucre. Il y a donc un travail de fond à mener, et je pense qu'avec un contreprojet on pourrait répondre à ces questions et venir avec des propositions intelligentes, c'est pourquoi il faut qu'on y réfléchisse. On pourrait vraiment être à la pointe du progrès s'agissant du problème de la santé globale à Genève, et surtout de la santé dentaire, et je vous encourage donc à soutenir le principe du contreprojet.

Concernant la motion - je n'en ai pas parlé tout à l'heure - nous allons nous abstenir, parce que nous pensons que tout le débat a été fait et que cette dernière a été vidée de sa substance par le débat mené autour de l'initiative. Cela dit, nous remercions le groupe socialiste d'avoir déposé cette motion il y a quelques années, même si actuellement, honnêtement, elle aurait pu être retirée. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)

M. Pierre Vanek (EAG). Un médecin PLR s'est exprimé à l'instant - beaucoup de médecins PLR se sont exprimés - et ça m'a fait penser que M. Falquet avait raison sur un point: il y a un problème concernant les boissons sucrées, et l'une de ces boissons qui pose problème, c'est le sirop qu'on nous distille: c'est un sirop de cassis, ou un sirop à la Ignazio Cassis qu'on nous distille dans cette enceinte ! Le médecin PLR en question évoquait le problème en disant que c'est une atteinte à la responsabilité individuelle et que le modèle de financement de l'AVS ne va pas. En effet, c'est cette logique-là que ces milieux développent précisément en matière d'AVS, notamment. Ils ont estimé que, non, l'AVS n'avait pas à répondre à son mandat constitutionnel d'assurer un revenu décent à nos retraités, qu'il fallait inventer des solutions foireuses - comme celles de la capitalisation et du 2e pilier, qui sont effectivement plus individuelles, puisque chacun a un compte individuel - et ils sont en train de se casser la gueule; et puis quand ça n'allait pas, ils ont décidé qu'il fallait encore rajouter une couche de responsabilité individuelle, avec un 3e pilier que peuvent se payer les riches ! Et c'est de ça qu'il s'agit ! Est-ce qu'on est favorable à un système solidaire, à un système d'assurance, à un système qui garantisse un filet sanitaire pour l'ensemble de la population, y compris les plus défavorisés, ou est-ce que, au nom de cette logique de responsabilité individuelle, on met en avant des systèmes qui font qu'aujourd'hui, dans les milieux populaires et démunis à Genève, on a beaucoup beaucoup beaucoup de peine à payer de grosses factures de dentiste et qu'on y renonce, de sorte que les factures, ensuite, croissent ? Elles croissent, elles croissent ! C'est un cercle vicieux infernal, scandaleux, anti-social, anti-sanitaire et anti-populaire qui est mis en place par le système actuel, ou précisément l'absence de prise en charge collective et solidaire de cette question.

Mesdames et Messieurs, si on prétend défendre les milieux populaires, il faut donc voter aujourd'hui l'initiative que le parti du Travail a fait aboutir, et quels que soient les grands mérites du parti du Travail comme organisation militante, le fait que cette initiative ait réuni 18 000 signatures ne dépend pas seulement de la capacité et de la force de frappe militante du parti du Travail, mais démontre qu'il y a une réelle aspiration de la population à une solution solidaire de ce type-là, basée sur le modèle de financement de l'AVS, et cette initiative sera votée majoritairement par le peuple. Maintenant il s'agit de savoir de quel côté vous êtes: êtes-vous du côté de la prétendue responsabilité individuelle ou du côté des intérêts de la majorité de la population de ce canton ? (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

M. Jean Batou (EAG), rapporteur de minorité. On a entendu beaucoup de choses sur ce dossier: tout d'abord la santé - tout le monde le sait - est une question de niveau de vie et d'éducation, les dents n'y échappent pas; on a compris également qu'il n'y avait aucune raison d'exclure les dents de la médecine, du reste du corps, et que cette exclusion est absurde. La question qui est véritablement posée est donc la suivante: êtes-vous pour une assurance-maladie qui couvre l'ensemble des problèmes sanitaires, ou voulez-vous commencer à exclure, comme l'ont été les dents, demain l'obésité, après-demain l'interruption volontaire de grossesse, après-après-demain le cancer du poumon ? On va exclure petit à petit toute une série de prestations. Il est strictement inacceptable que les dents soient en dehors de l'assurance-maladie, et c'est la raison pour laquelle nous soutenons cette initiative. En revanche, nous nous opposerons aujourd'hui au principe de contreprojet, parce que ce n'est pas sérieux: aucun élément n'a été avancé en commission de la santé permettant de croire que ce contreprojet apportera quelque chose.

Maintenant j'aimerais souligner que le MCG, qui défend ici la position de la droite avec un rapport de majorité, fait un bien mauvais travail, parce qu'en même temps il vient de déposer deux projets de lois pour réduire l'imposition des grosses fortunes. Or moi je pense qu'il est absolument indécent de défendre dans cette population les gens les plus fortunés et de pénaliser, comme ils le sont, les gens des classes populaires qui doivent payer des factures de dentiste qu'ils ne peuvent pas assumer. En effet, il n'y a pas seulement ceux qui se privent de soins, il y a aussi ceux qui se privent de beaucoup d'autres choses parce qu'ils doivent payer leurs factures de dentiste.

M. Christian Frey (S), rapporteur de minorité. Par rapport à tout ce qui a été dit, j'aimerais juste m'inscrire en faux contre au moins une affirmation qui a été énoncée ici, à savoir qu'une assurance sociale obligatoire dans le domaine des soins dentaires n'est pas une solution et n'améliorerait en rien la santé globale. En effet, lors des auditions que nous avons menées, nous avons entendu exactement le contraire du professeur Flahault de l'Institut de santé globale, qui nous a dit que toute introduction d'une assurance sociale dans le domaine de la santé a amélioré globalement la santé de la population. Il faut quand même se référer à des personnes qui ont été nommées, qui ont une autorité et une expérience ! En conclusion, il convient donc d'accepter cette initiative. Je vous remercie.

M. Francisco Valentin (MCG), rapporteur de majorité. Tout d'abord, si vous le permettez, j'aimerais juste apporter une petite correction à l'un de mes propos. En fait, ces gens-là n'ont pas les yeux fermés, ils se les sont cousus eux-mêmes, et en même temps ils se sont cousu les oreilles. (Remarque.) Quand le député soutenant les initiants dit que je n'ai pas lu l'IN 160, je lui réponds simplement que moi je l'ai fait avec les yeux ouverts... J'ai peut-être une lecture un peu différente, ce n'est pas de l'imagination. (Remarque.) D'autre part, on nous présente, dans un élan de générosité absolue, toujours en traitant de l'émotionnel et non pas du rationnel, ces pauvres personnes qui vont avoir des cancers effroyables parce qu'elles ne se sont pas brossé les dents ou qu'elles ont ingurgité six litres par jour de boisson gazeuse très connue. Effectivement, c'est vraiment la faute à pas de chance d'avoir des dents en mauvaise santé ! Ce n'est plus de la solidarité qu'on nous demande. Là, c'est du pupillage forcé. Je vous rappelle que 47% des résidents genevois ne paient pas d'impôts, ou pas d'impôts significatifs, ce qui veut dire que 53% vont assumer le reste de ces coûts. Or, selon l'étude réalisée dans le canton de Vaud, l'adoption de cette initiative entraînerait quasi instantanément au minimum une hausse supplémentaire de l'assurance-maladie de 5%. Et qui paie cette assurance-maladie ? De plus, contrairement à ce que disent certains députés, ce ne sont pas des petites gens, il n'y a pas deux espèces de citoyens en Suisse... (Commentaires de Mme Salika Wenger.) Nous ne sommes pas en France avec les sans-dents, la France d'en bas. Il n'y a pas de Suisse d'en bas, ici, sachez-le, Madame Wenger; il y a effectivement des citoyens plus ou moins aisés ou plus ou moins en difficulté, mais ces gens-là ont toutes les aides nécessaires.

Enfin, j'aimerais répondre au député qui attaque systématiquement le MCG en disant que nous nous faisons les porteurs d'eau de la droite; c'est absolument faux, nous avançons à petits pas avec pragmatisme - c'est certainement une chose qui lui échappe - et si je suis là devant vous aujourd'hui, c'est peut-être parce que je préfère être le héros de la droite qu'un zéro de la gauche. Merci ! (Exclamations. Applaudissements.)

M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je crois que tout a été dit dans ce débat. En lisant le titre de cette initiative, «Pour le remboursement des soins dentaires», on peut imaginer que la récolte de signatures ait abouti très rapidement. En effet, il est vrai qu'aujourd'hui il y a une problématique, et si vous demandez à la population si elle est d'accord qu'on lui rembourse ses soins dentaires, elle va évidemment vous dire oui. Si vous voulez, j'ai un certain nombre de sujets du même type qui pourraient aboutir très rapidement au même résultat.

J'entends dire que ce sera une vraie assurance solidaire et sociale. C'est ce que disait Mme Ruth Dreifuss, avec une totale bonne foi, au moment de l'adoption de la LAMal. Avec le résultat que vous voyez aujourd'hui ! Où est la solidarité ? Bien sûr, elle est obligatoire, bien sûr, on ne fait pas payer davantage les personnes malades que les personnes bien portantes, les acquis de cette LAMal sont indiscutablement là, mais il y a de nombreuses lacunes - vous en conviendrez - notamment au niveau de la gestion des primes des assurés. Veut-on faire des LAMal bis, ter, quater dans des cantons comme ceux que vous avez cités, Monsieur le rapporteur de première minorité ? Ces initiatives sont lancées dans tous les cantons romands, nous en verrons le résultat. Le canton de Vaud a fait des propositions, et ce sont en tout cas des dizaines de millions de francs supplémentaires à la charge des assurés, ou plutôt des contribuables, parce que, comme nous le savons, il y a ceux qui paient les primes d'assurance et ceux qui ne peuvent pas les payer, ou en tout cas à qui l'on permet de ne pas les payer, selon des critères plus ou moins objectivables. Et à Genève, vous le savez, ce sont 330 millions par année de subsides d'assurance-maladie qui sont versés. Alors faire une assurance supplémentaire de ce type, sur un sujet qui doit incontestablement être pris en main par le Parlement fédéral, je trouve que c'est une erreur. Nous ne sommes évidemment pas dans un cas comparable à celui de l'assurance-maternité. Pourquoi ? Parce que l'assurance-maternité concernait bien évidemment aussi le monde du travail. Dans cette initiative, vous prévoyez des cotisations paritaires qui vont évidemment augmenter le coût du travail, mais je ne vois pas sur quelle base on pourrait imposer à nos employeurs de payer des cotisations pour une assurance dentaire qui n'a qu'un lien très diffus avec le monde du travail - parce que finalement tout a bien sûr un lien avec le monde du travail.

Je suis donc d'avis, et le Conseil d'Etat dans son ensemble, que la proposition qui est faite est une mauvaise proposition. Il y a d'autres voies qui doivent être explorées, davantage encore, parce que bien sûr nous n'avons pas attendu cette initiative pour avancer dans le sens de la sensibilisation et de la prévention, car c'est là que le travail doit être effectué, nous le savons. Avec ma collègue du DIP, le travail se fait déjà à l'égard des enfants, avec des dépistages et des lettres de sensibilisation aux parents des enfants concernés. Je rappelle aussi que toutes les personnes les plus défavorisées qui sont à l'Hospice général ont droit à la prise en charge de leurs frais médicaux non pris en charge par des assurances - et c'est le cas ici - par l'Etat, par l'intermédiaire des prestations de l'Hospice général. Je rappelle aussi que toutes les personnes au bénéfice de prestations complémentaires - soit 75% des personnes en EMS - ont également droit à la prise en charge des frais médicaux non pris en charge par les assurances, jusqu'à 25 000 F pour une personne seule et 50 000 F pour un couple, ce qui n'est pas rien. Cela concerne donc 75% des personnes en EMS, mais davantage encore, bien sûr, au sein de la population en général. Toutes les personnes au bénéfice d'une rente de l'assurance-invalidité jouissent également de ce type de prestations, et il s'agit donc d'étoffer, je dirais, le processus pour celles et ceux qui constituent cette classe moyenne dont on parle beaucoup et que l'on peut définir plutôt par des négations: ce sont ceux qui paient tout et qui ne reçoivent rien, qui n'ont droit à aucune dispense. C'est là qu'il faut évidemment travailler, et c'est une préoccupation de tout ce parlement, comme du Conseil d'Etat. Aujourd'hui, la classe moyenne souffre. La classe moyenne, qui est le ciment de notre société, nous le savons, c'est celle qui a quelque chose à espérer et quelque chose à perdre; nous n'avons aucun intérêt à avoir une société où il n'y a que des gens qui ont quelque chose à perdre et des gens qui ont quelque chose à espérer. Nous devons donc travailler ensemble pour trouver des voies, mais ce n'est certainement pas par une initiative que l'on pourrait qualifier peut-être de manière un peu excessive de racoleuse...

Une voix. Populiste !

M. Mauro Poggia. Populiste, j'allais le dire. Les populistes ne sont pas toujours là où on les désigne... Je pense que la voie du contreprojet est sans doute une voie sage pour chercher des solutions qui soient non pas plus raisonnables, mais tout simplement plus praticables, car je crois qu'il n'est pas imaginable aujourd'hui de demander à l'Etat de prendre en charge plusieurs centaines de millions supplémentaires pour une assurance dentaire que nous n'avons évidemment pas les moyens d'assumer. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs, nous allons maintenant voter sur cette IN 160.

Mise aux voix, l'initiative 160 est refusée par 57 non contre 30 oui.

Le président. Comme il s'agit d'une initiative constitutionnelle, nous devons nous prononcer sur le principe d'un contreprojet.

Mis aux voix, le principe d'un contreprojet est accepté par 67 oui contre 21 non.

Le rapport IN 160-B est renvoyé à la commission de la santé.

Le président. Il nous reste à voter sur la M 2157, qui est liée à cette initiative.

Mise aux voix, la motion 2157 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 41 oui contre 30 non et 10 abstentions.

Motion 2157