République et canton de Genève

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PL 11597-A
Rapport de la commission de l'économie chargée d'étudier le projet de loi de Mmes et MM. Eric Stauffer, Sandro Pistis, Francisco Valentin, Jean-Marie Voumard, Henry Rappaz, Jean Sanchez, Ronald Zacharias, Pascal Spuhler, Christian Flury, André Python, François Baertschi, Christina Meissner, Patrick Lussi, Marie-Thérèse Engelberts, Danièle Magnin, Thierry Cerutti, Sandra Golay, Daniel Sormanni, Thomas Bläsi, Jean-François Girardet, Bernhard Riedweg modifiant la loi sur l'inspection et les relations du travail (LIRT) (J 1 05)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session III des 21 et 22 avril 2016.
Rapport de majorité de M. Jean-Marc Guinchard (PDC)
Rapport de minorité de M. François Baertschi (MCG)

Premier débat

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous abordons à présent le rapport de la commission de l'économie sur le projet de loi 11597. Il est classé en catégorie II, quarante minutes. Je donne la parole à M. Jean-Luc Forni, qui remplace le rapporteur de majorité.

M. Jean-Luc Forni (PDC), rapporteur de majorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Je vais faire de mon mieux pour vous remplacer, ce qui ne sera pas tâche aisée ! Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi a été rédigé suite à la lecture de différentes annonces d'offres d'emploi dans les journaux locaux et régionaux, dans lesquelles il n'est plus fait référence au système de certification suisse. Ce phénomène est dû - je cite le premier signataire de ce projet de loi - «au fait que beaucoup de frontaliers occupent des postes dans les ressources humaines et utilisent naturellement les systèmes de références qu'ils connaissent. L'idée [des signataires MCG et UDC] est d'obliger les sociétés du secteur public ou privé publiant une offre d'emploi à se référer [...] au système de certification suisse». Pour réaliser leur ambition, les auteurs de ce projet de loi proposent une modification de la loi sur l'inspection et les relations du travail - la LIRT - par l'adjonction de deux nouveaux articles, que je vous cite:

«Art. 11A Protection des références de formation suisse (nouveau)

Toutes les entités publiques ou privées ont l'obligation lors de recherche d'employés d'indiquer dans leurs offres d'embauche les références de diplôme ou de certificat fédéral de capacité (CFC), maîtrise fédérale, licence universitaire issus de la formation en Suisse.

Art. 15A Respect des références de formation suisse (nouveau)

L'office est chargé de l'application de l'article 11A de la présente loi. Toutes les entités contrevenantes seront soumises aux sanctions prévues par l'article 46 de la présente loi.» (Brouhaha. Le président agite la cloche.)

La majorité des commissaires, sensible à la problématique soulevée et d'accord sur le fond, a souligné que la LIRT a pour principal but de transposer et d'appliquer le droit fédéral qui est exhaustif, cette compétence exhaustive étant fixée par le code des obligations et la loi sur le travail.

Lors de son audition, le directeur de l'office cantonal de l'emploi a mentionné que cet office est souvent confronté à des titres français dans des annonces d'emploi. Dans ce genre de cas, et notamment dans celui de la restauration, l'office cantonal de l'emploi a décidé de changer les titres français en mettant les équivalences suisses. Pour ce faire, il utilise le système PLASTA, un système informatique identique pour toute la Suisse. Ce même directeur a également fait remarquer que, depuis quelques années, l'office cantonal de l'emploi sensibilise les agences de placement à utiliser les titres suisses, car ils ont remarqué que certains recruteurs avaient l'habitude d'utiliser des titres français, en raison de leur propre habitude de recrutement. Cela peut également arriver aux multinationales du monde entier, et non seulement aux françaises.

L'office cantonal de l'emploi procède donc à un travail de sensibilisation. Cette initiative a reçu la faveur de la majorité des commissaires, ceux-ci estimant qu'il vaut mieux avoir quelqu'un qui se bat pour placer un demandeur d'emploi plutôt que quelqu'un qui sanctionne. L'audition de la directrice générale de l'OCIRT confirme que, si l'obligation consiste à indiquer dans les offres d'embauche les références suisses exclusivement, alors ce projet de loi est clairement illégal et non conforme au droit supérieur, c'est-à-dire contraire à la libre circulation, à la liberté économique, au principe constitutionnel de non-discrimination, à la protection de la personnalité selon le code des obligations et à la liberté contractuelle. S'il faut comprendre l'article 11A comme une obligation d'indiquer dans les offres d'embauche au moins une référence suisse, la formulation devrait être modifiée.

Il se pose cependant la question de l'insertion de cet article dans la loi. La LIRT est essentiellement une loi d'application de lois fédérales, comme déjà relevé auparavant.

Le président. Il vous reste trente secondes, Monsieur le rapporteur, ou vous prenez sur le temps du groupe.

M. Jean-Luc Forni. Je prendrai sur le temps du groupe, Monsieur le président. Le chapitre sur l'inspection du travail est consacré à l'application de la loi sur le travail et de la LAA. Ce projet de loi prévoit d'insérer cette protection des références de formation suisses, qui ferait l'objet d'un nouvel article 11A, dans la section 4 «Protections spéciales» de ce chapitre. Cependant, la loi sur le travail et la LAA règlent le sujet de manière complète et définitive, c'est-à-dire que le canton n'a pas la compétence de légiférer en matière de protection des travailleurs. L'insertion de cet article à cet endroit de la LIRT paraît compromise.

La directrice de I'OCIRT a également relevé que, si des mesures telles que celles demandées par ce projet de loi devaient être prises, il vaudrait mieux modifier la loi cantonale en matière de chômage. La mise en oeuvre de cet article devrait incomber à l'office cantonal de l'emploi, soit l'office chargé de la politique d'insertion, plutôt qu'à l'OCIRT, office chargé de la surveillance du marché de l'emploi. Ce projet de loi, relève-t-elle, demande des ressources importantes si l'on veut qu'il soit efficace, car s'il fallait contrôler les 1137 annonces publiées à Genève sur le site «Jobup.ch», cela reviendrait à 80 heures de travail à raison de cinq minutes par article, sans compter les procédures à enclencher en cas d'éventuelles violations. Elle relève enfin que le nombre de postes mis au concours est d'environ 20% à 30% et craint un effet non souhaité et contre-productif, à savoir que les entreprises soient incitées à ne plus publier ces annonces.

En conclusion, Mesdames et Messieurs les députés, la majorité de la commission estime non pertinente l'entrée en matière sur ce projet de loi 11597. Elle juge en particulier que les explications données par la directrice générale de l'OCIRT, sur un plan purement juridique et d'opportunité, étaient convaincantes. En effet, il a été clairement démontré que les objectifs de ce projet de loi, aussi louables soient-ils sur le plan de la défense de la qualité des formations dispensées en Suisse par les écoles et les entreprises, ainsi que sur celui de la compréhension et de la lisibilité des annonces d'offres d'emploi, étaient manifestement contraires aux dispositions fédérales pertinentes en la matière. Par ailleurs, une modification des dispositions fédérales, par le biais d'une résolution par exemple, contreviendrait manifestement à un nombre important de traités conclus notamment dans le cadre des accords bilatéraux. Qui plus est, la bureaucratie impressionnante engendrée par une telle disposition, qu'elle soit introduite dans la LIRT ou dans la loi cantonale en matière de chômage, au-delà des effets pervers identifiés par plusieurs commissaires, occasionnerait des coûts insupportables et démesurés par rapport aux résultats qui seraient obtenus.

Enfin, de nombreuses voix ont exprimé regretter la voie choisie, celle d'un projet de loi inapplicable, plutôt que celle d'une motion sur laquelle le Conseil d'Etat aurait pu s'appuyer afin de valoriser la mise en place de mesures incitatives plutôt que coercitives, en collaboration avec les entreprises, permettant la promotion de la qualité de nos formations. Nous vous recommandons donc, Mesdames et Messieurs les députés, de suivre la majorité de la commission et de refuser l'entrée en matière sur cet objet. Je vous remercie.

M. François Baertschi (MCG), rapporteur de minorité. Actuellement, à Genève, nous nous trouvons dans une situation d'urgence sur le plan de l'emploi, avec un taux de chômage excessif, avec plus de 100 000 permis G pour les travailleurs frontaliers, ce qui est une pression gigantesque, avec beaucoup de misère, beaucoup de personnes qui souffrent, qui ne sont pas seulement des numéros, qui ne sont pas simplement des employés, qui sont des êtres humains, qu'on envoie dans des impasses, qu'on envoie sur des voies de garage, dans des situations tout à fait inacceptables. Et que présente-t-on à ces demandeurs d'emploi ? On leur présente des offres d'emploi dans les journaux, sur internet, où il est indiqué «bac +2», «bac +4», «bac +6». On se demande à quoi sert le département de l'instruction publique ! Moi je vous le dis d'emblée: supprimons immédiatement, d'un trait de plume... Comme cela a été fait lors d'un dernier budget où on a supprimé la politique publique A «Formation»; on arrivera à cette situation-là ! Non, bien évidemment qu'il ne faut pas faire cela ! Au contraire, il faut valoriser la formation suisse, qui est de haut niveau, qui est souvent de meilleure qualité, en tout cas que la formation française ou que d'autres formations européennes. Reconnaissons-le, ne faisons pas preuve de fausse modestie, reconnaissons la qualité de notre formation !

C'est justement pour valoriser cette formation que nous avons déposé ce projet de loi qui en fait constitue un épouvantail. Si on prenait les mêmes arguments pour la directive du Conseil d'Etat demandant un passage prioritaire des offres d'emploi de l'Etat dans les ORP, j'imagine qu'on trouverait qu'elle ne correspond pas au droit supérieur, qu'elle nous place hors des bilatérales; or c'est justement cet élément-là qui est repris. Je crois qu'il ne faut pas rester dans des visions du passé. C'est souvent le défaut de certains juristes qui n'ont pas d'inventivité, qui regardent dans le rétroviseur au lieu de regarder devant eux, ce qui nous amène à des situations parfois catastrophiques.

On essaie de trouver tous les défauts à ce projet de loi; je ne dis pas qu'il n'y a pas quelques petites choses à rectifier, en particulier la définition des diplômes. Nous avons déposé une proposition d'amendement, qui sera examinée si l'entrée en matière est acceptée et qui demande que l'on ne parle pas de licence universitaire ou de certificats de capacité, mais qu'on fasse référence à des diplômes, certificats ou titres suisses, ce qui correspond davantage à l'évolution des noms, ainsi qu'à l'évolution des systèmes de formation et au système universitaire de Bologne, qui a été suivi par la Suisse - et qui n'a pas été suivi avec autant de rigueur par d'autres pays européens, mais c'est encore une autre question. On nous dit que c'est mal situé; à notre sens, ce n'est pas mal situé, c'est vraiment au bon endroit. Quant à dire que cette loi devrait être appliquée avec un zèle formidable et qu'il faudrait s'attaquer à toutes les annonces d'offres d'emploi, ce n'est absolument pas ce que dit le projet de loi. C'est comme si on demandait aux gendarmes d'être derrière chaque automobiliste ou chaque piéton pour voir si tout est fait normalement. C'est absurde ! Entrer dans cette logique-là... On n'a pas besoin de contrôles systématiques, on a besoin de contrôles ponctuels sur le fonctionnement de cette loi, ce qui est quelque chose d'en fait relativement léger, et ces arguments qui semblent...

Le président. Vous passez sur le temps du groupe, Monsieur le rapporteur.

M. François Baertschi. Oui, je vais conclure rapidement. Donc, c'est un projet de loi important. Je vous demande vraiment d'y donner suite, d'examiner le projet de loi en deuxième débat, puis de lui donner le destin que vous voudrez lui réserver, mais je crois que c'est important pour tous les chômeurs de notre canton. J'entends beaucoup de groupes parlementaires, en tout cas à Berne, dire qu'ils sont pour la préférence nationale, indigène, ou ce que l'on veut. J'entends aussi beaucoup d'éléments positifs sur ce projet de loi et le problème qu'il soulève, et je pense qu'il faudrait peut-être lui réserver un meilleur accueil que celui qu'il a reçu en commission.

M. André Pfeffer (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, favoriser dans les offres d'embauche l'utilisation de références à des diplômes ou certificats issus de la formation suisse est certes légitime, mais les difficultés et problèmes liés à ce projet de loi sont trop nombreux. La modification de la LIRT, la loi sur l'inspection et les relations du travail, créerait une incompatibilité entre le droit cantonal et fédéral. De plus, les contrôles nécessaires seraient disproportionnés et, dans le meilleur des cas, auraient un impact très limité. Selon notre point de vue, le besoin d'une intervention serait justifié, mais l'approche nous paraît inadéquate. Si l'Etat et les sociétés affiliées à l'Etat appliquaient ces règles - et évidemment s'il favorisait aussi les sociétés locales - il y aurait déjà une amélioration très conséquente. Pour toutes ces raisons, le groupe UDC s'abstiendra. Merci de votre attention.

M. Roger Deneys (S). Mesdames et Messieurs les députés, les socialistes étaient extrêmement sensibles à la problématique évoquée par ce projet de loi, parce qu'il est vrai qu'il semble particulièrement curieux de voir en Suisse des annonces qui ne font pas référence aux diplômes délivrés par les écoles, les universités et les HES de notre pays, et qu'on peut s'étonner de retrouver de telles annonces ici en Suisse. Malheureusement - le rapporteur de majorité et mon préopinant l'ont évoqué - ce projet de loi comporte deux problèmes fondamentaux. Malheureusement aussi, il n'y a pas eu de proposition d'amendement faite en commission pour essayer de sortir... (Remarque.) Oui, mais votre proposition d'amendement n'est pas suffisante, Monsieur Baertschi ! Celle qu'il fallait trouver aurait dû amener une solution aux deux questions qui se posent.

La première question, c'est évidemment de savoir comment on peut mettre en oeuvre une disposition légale stipulant que les annonces doivent faire référence aux diplômes suisses, parce que, par exemple, un éditeur de presse n'est pas forcément situé à Genève, il se trouve même plutôt en général de l'autre côté de la Sarine, et je défie quiconque de faire un projet de loi genevois pour essayer d'aller mettre des amendes ou d'aller sanctionner un éditeur de presse qui se trouve à Zurich ! (Commentaires.) Idem concernant les annonces sur internet: comment voulez-vous sanctionner des sites internet qui sont localisés à peu près n'importe où sur terre... (Remarque.) ...et qui parlent de «bac +3», «bac +4», même si cela concerne un job en Suisse ? C'est tout simplement impossible à mettre en oeuvre ! Donc si le but est de faire des lois pour faire des lois et de remplir des classeurs fédéraux de papier, eh bien là on a un exemple qui risque de réussir ! Mais si nous voulons être efficaces et dire «Mesdames et Messieurs les employeurs, faites un effort et publiez vos annonces en faisant référence aux diplômes suisses !», je crois que cela passe d'abord par la conviction de la part des milieux patronaux de la nécessité d'effectuer ce travail. C'est un travail de conviction et je pense qu'il y a assez de députés proches de ces milieux ici, dans cette assemblée, pour le faire ! Et cela devrait être naturel, on ne devrait même pas avoir à en parler devant ce Grand Conseil ! (Remarque.) C'est vrai, Monsieur le rapporteur de minorité, mais c'est la question de la mise en oeuvre qui pose problème.

Ensuite, l'emplacement dans la loi est malheureux, mais ça, à la limite, c'est secondaire parce qu'on aurait pu en trouver un autre; cela n'a pas été proposé, c'est peut-être dommage, mais à mon avis ce n'est pas le problème principal. Le problème principal, c'est bien la question de savoir comment on peut trouver une façon de concrétiser une telle loi. Et après, s'il faut engager des fonctionnaires supplémentaires à l'office cantonal de l'emploi pour lire toutes les annonces et vérifier qu'elles font bien référence à un diplôme suisse et non pas à «bac +5» ou «MBA-machin-truc», c'est problématique !

Pour ma part, il y a donc vraiment une question de proportionnalité. L'intention est louable, et il n'est pas dit qu'il ne faille pas déposer un autre texte pour essayer de reprendre cette question et peut-être sensibiliser les parlementaires fédéraux. Parce qu'en plus, à la limite, si c'était fédéral, on pourrait décréter que l'éditeur à Zurich serait aussi concerné, et ce serait un peu plus simple que de dire que ce n'est qu'une disposition genevoise. Donc, Mesdames et Messieurs les députés, les socialistes vous invitent, malgré tout l'intérêt de cette proposition et la nécessité de faire référence à des diplômes suisses, à refuser ce projet de loi et peut-être à en rediscuter en aparté pour voir ce qu'on peut proposer pour que cela change de façon plus générale dans la Suisse entière. Voilà, Mesdames et Messieurs, la position des socialistes. (Commentaires.)

Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à Mme la députée Françoise Sapin pour une minute dix-neuf.

Mme Françoise Sapin (MCG). Merci, Monsieur le président. Ce que j'aimerais relever, c'est que le système de formation que nous avons en Suisse est excellent, tant en ce qui concerne les certificats de capacité - les CFC - que les maîtrises fédérales. Pour un employeur, et surtout pour un employeur fortement engagé dans la formation comme je le suis, il n'y a rien de plus désagréable que de voir des annonces ou de recevoir des offres de services qui ne font référence qu'à des diplômes étrangers et surtout des diplômes français: «bac +3», «bac +4», BTS, CAP. Il est clair qu'en ce qui concerne les titres universitaires, depuis les accords de Bologne, cela ne s'applique plus, puisque la Suisse est entrée dans ce système. Pour information, les pays limitrophes de la Suisse, notamment la France, ne reconnaissent aucun diplôme suisse dans leur pays. Aussi, afin de valoriser notre système de formation suisse qui est excellent et de protéger nos travailleurs, le MCG vous demande de voter l'entrée en matière sur ce projet de loi et la loi dans son ensemble.

M. Serge Hiltpold (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, je ne vais pas reprendre toutes les discussions que nous avons tenues en commission, je relèverai simplement quels sont les trois éléments majeurs qui doivent être retenus pour une application efficace d'un projet de loi: premièrement, la loi doit être applicable - dans le cas présent, elle ne l'est pas; ensuite, les sanctions doivent être applicables - elles ne le sont pas non plus - et, enfin, la loi doit permettre d'atteindre le but recherché, ce qui ne serait pas le cas ici. L'intention de ce texte de valoriser la formation professionnelle est louable; en tant que patron, je me sens tout à fait concerné. Je me sens d'autant plus concerné que, lorsqu'on publie des offres d'emploi, on indique exactement ce qu'on recherche. Dans notre système de métiers, on a la possibilité d'avoir des formations dont les titres sont assez limpides. Maintenant, toutes les professions, toutes les corporations n'ont pas forcément des équivalences suisses, cela a été relevé en commission. Notamment dans le secteur bancaire, certains titres internationaux n'ont pas leurs équivalences en Suisse. Donc dans certaines niches, pour certaines professions, ce n'est tout simplement pas possible. C'est un point fondamental.

Un autre élément de réflexion essentiel, c'est simplement de se rendre compte du temps et de l'énergie qu'on va consacrer à la surveillance de tout cela. Nous avons fait l'exercice en commission et vous pouvez le faire vous-mêmes en allant sur «Jobup.ch», en regardant les annonces. Mme Stoll, directrice de l'OCIRT, nous l'a montré: vérifier 1137 annonces à raison de cinq minutes par contrôle correspond à peu près à 80 heures de travail. Je pense qu'objectivement, l'OCIRT a meilleur temps de conserver ses forces pour le contrôle du marché du travail en ce qui concerne les mesures d'accompagnement, le travail au noir. Finalement, légiférer sur tout, c'est contre-productif ! Parce qu'à un moment donné, en tant qu'entreprise, vous ne publiez plus les annonces d'offres d'emploi, vous passez par des agences de placement, et ce sont elles qui font le travail. Donc, certes, ce projet de loi part d'une intention louable, mais il n'est simplement pas applicable et ne remplit pas son but. Je vous invite à le rejeter.

Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, beaucoup de choses ont été dites sur le caractère inapplicable de ce projet de loi, je ne reviendrai donc pas sur cet aspect-là, ce serait inutile. En revanche, j'aimerais relever ceci: comme on le voit dans le rapport de majorité, il est ressorti des auditions qui ont présidé à ces travaux que, finalement, s'agissant de cette préoccupation de voir utilisée comme référence la nomenclature suisse en matière de titres de formation, l'OCE aujourd'hui fait déjà des efforts en ce sens et qu'il a pris toute une série de contacts avec les entreprises pour précisément encourager la référence à la nomenclature suisse. Je rappelle également que ce n'est pas l'ensemble des offres d'emploi qui se réfère exclusivement à des titres étrangers, mais une infime partie.

Beaucoup ont dit que l'intention est louable. Il y a une certaine intention et on peut comprendre la préoccupation de se référer aux titres suisses ou à la nomenclature suisse en matière de formation lorsqu'on est en Suisse; tout à fait. En revanche, je ne suis pas certaine que ce soit la seule intention de ce projet de loi. (Commentaires.) Lorsqu'on lit le rapport de minorité, que constate-t-on ? Qu'au-delà de cette question, au fond, ce n'est qu'une manière d'épingler encore une fois les frontaliers.

Une voix. Mais non !

Mme Jocelyne Haller. Et j'aimerais quand même relever un élément... (Remarque.) Non, je ne dis pas ce que vous dites ! Je lis simplement ce qui est écrit dans le rapport de minorité qui commence ainsi: un nombre x de frontaliers dans notre canton «déstructurent notre marché de l'emploi local». J'aimerais juste rappeler que ce qui déstructure notre marché de l'emploi local, ce sont plutôt les délocalisations, les restructurations, la sous-enchère salariale... (Commentaires.) ...et celle-ci, généralement, elle est encouragée pas forcément par nos bancs, mais plutôt par les vôtres !

Enfin, beaucoup s'indignent qu'on fasse référence à des titres de formation français, mais j'aimerais souligner que souvent, ici, dans ce parlement, vous refusez de donner les moyens à la formation pour un certain nombre de fonctions, et que ce sont nos voisins qui forment les professionnels que nous recrutons ici ! (Remarque.) Alors ne vous étonnez pas que, dans un certain nombre de fonctions, il soit fait référence à des titres étrangers. Je vous remercie de votre attention. (Commentaires.)

M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, vous transmettrez à Mme Haller que c'est tout à fait le contraire: puisque vous vous plaignez souvent en disant que ce n'est pas possible, qu'on ne peut pas faire cela, que c'est contraire aux bilatérales, contraire à ceci et à cela... Essayez voir de faire l'inverse et d'aller en France en mettant en avant vos diplômes suisses qui ne sont pas reconnus en France ! D'ailleurs, c'est une violation des bilatérales et on devrait la dénoncer, puisque normalement cela doit être réciproque ! Essayez d'aller trouver un emploi dans une municipalité ou dans une société en France, vous verrez comment vous allez être engagé: vous êtes systématiquement écarté ! Les textes, c'est une chose, la réalité, c'en est une autre !

Ce que nous voulons tout simplement ici, c'est premièrement que les gens s'y retrouvent. Comment voulez-vous vous y retrouver quand vous voulez engager, je ne sais pas - allez, au hasard ! - une fleuriste et qu'on vous dit: «Ah, ben elle a le CAP de fleuriste !» Mais ici, on ne sait pas forcément ce que ça veut dire, et puis souvent les diplômes ne sont pas du tout comparables - même si la Suisse, trop généreuse probablement, reconnaît tous ces diplômes, qui sont souvent obtenus avec des formations au rabais, en un an, ou en deux... (Remarque.) ...qu'on oppose à des CFC obtenus en quatre ans en Suisse. C'est simplement cela que nous voulons et rien d'autre !

Je crois donc que c'est une bonne chose, une bonne idée, une bonne intention, et qu'à un moment donné, il y a une nécessité de faire la promotion des diplômes suisses. Puis, là où il n'existe pas de diplôme suisse, eh bien, très bien, il y aura d'autres références ! Mais là où il y a des diplômes suisses, ce sont les diplômes suisses qui doivent être mis en avant. Et ce projet de loi ne demande pas un contrôle systématique...

Le président. Il vous reste trente secondes, Monsieur le député.

M. Daniel Sormanni. ...de toutes les annonces publiées ! Rien que le fait que ce soit inscrit dans la loi fera que cela diminuera notablement; ensuite, quelques pointages seront faits. Des logiciels peuvent le faire. (Remarque.) Il n'y a pas besoin qu'une personne soit derrière un écran pour contrôler systématiquement tout cela. Ce n'est pas ce qui est demandé; vous vous trompez sur l'intention de base. C'est très facile de le faire et, encore une fois, à partir du moment où ce sera inscrit dans la loi, il y en aura beaucoup moins. Cela facilitera les choses...

Le président. C'est terminé, Monsieur le député.

M. Daniel Sormanni. ...et cela facilitera l'emploi. (Commentaires.) Je vous invite à voter ce projet de loi.

M. François Lefort (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, la machine à mensonges s'est emballée ce soir sur certains bancs, parce qu'il faut quand même rappeler les faits: la reconnaissance des qualifications et diplômes professionnels, pour les professions réglementées, est garantie par les accords bilatéraux. (Remarque de M. Daniel Sormanni.) Monsieur Sormanni, vous avez un petit bouton devant vous: vous appuyez dessus, s'il vous reste du temps !

M. Daniel Sormanni. Ouais, c'est ça !

M. François Lefort. La reconnaissance des diplômes académiques est garantie, elle, par la convention de Lisbonne que la Suisse a aussi ratifiée. Il faut relever que jour après jour, les 250 000 Suisses qui résident dans l'Union européenne bénéficient de ces accords et de ces reconnaissances. Voilà ce qu'on peut dire pour répondre à la machine à répandre des mensonges.

Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. le député Jean Batou pour une minute trente-cinq.

M. Jean Batou (EAG). Merci, Monsieur le président. J'aimerais revenir sur un argument de ma collègue Jocelyne Haller: j'ai l'impression que ce projet de loi parle d'étiquettes, mais ne discute pas du fond des choses. Nous sommes tous préoccupés par le fait que le niveau de formation à Genève permette aux habitants de ce canton d'avoir accès à son marché du travail. Nous savons qu'il faut un haut niveau de qualification pour répondre aux demandes du marché du travail. J'invite vraiment mes collègues du MCG... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...à réfléchir quand ils votent sur les budgets de la formation, qui sont des budgets sur lesquels nous avons des placements d'avenir à faire, et contrairement à ce qui est systématiquement dit sur les bancs du PLR, il faut soutenir un effort dans la formation, ce qui coûte de l'argent. Ce n'est pas en manipulant les étiquettes qu'on donne aux diplômes qu'on va répondre aux besoins de l'économie genevoise, mais c'est en garantissant un effort dans la formation à la hauteur des besoins de ce marché du travail. (Commentaires.)

Le président. Merci, Monsieur le député. Je cède le micro à Mme la députée Marie-Thérèse Engelberts pour deux minutes.

Mme Marie-Thérèse Engelberts (HP). Merci, Monsieur le président. Je trouve qu'on traite ce projet de loi un peu à la légère. On peut y voir des dessous et faire des interprétations psychanalytiques du sens que veut donner le MCG à ce type de projet; je ne le ressens pas du tout ainsi. Depuis plus de trente ans, dans ce canton, les efforts en matière de formation, et surtout de formation professionnelle, ont été immenses. On a défendu des titres; des jeunes, des étudiants, des apprentis ont reçu un titre, et je pense qu'une façon de valoriser les acquis des jeunes en particulier est d'accepter de donner un véritable titre à une formation, qu'elle soit reconnue au sein de nos entreprises exactement comme elle l'est dans les écoles. Alors je trouve que dire que c'est tellement difficile de le contrôler, et que donc finalement, comme c'est impossible, ce n'est pas un problème... Mais qu'est-ce que cela veut dire tout à coup ? Il y a beaucoup de choses qui sont difficiles à contrôler ! La formation et les titres, ce n'est pas plus difficile que différents types d'informations. Je crois que cet argument de la difficulté n'est pas pertinent. Je pense qu'on traite vraiment à la légère la manière dont les jeunes et les moins jeunes peuvent se reconnaître dans des titres bien dénommés, reconnus et auxquels ils peuvent s'identifier.

Le président. Il vous reste trente secondes, Madame la députée.

Mme Marie-Thérèse Engelberts. Merci, Monsieur le président. Je pense que c'est notamment ainsi qu'on ira de l'avant, parce qu'en dévalorisant l'identification à un titre, on dévalorise aussi la qualité de la formation. Je m'abstiendrai sur ce projet de loi; je pense qu'une motion aurait été plus utile. Je vous remercie.

Le président. Merci, Madame la députée. Monsieur le rapporteur de majorité, vous avez la parole pour une minute trente.

M. Jean-Luc Forni (PDC), rapporteur de majorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Ce sera très bref. Je voudrais juste répéter que nous sommes tous d'accord sur la nécessité de valoriser la formation suisse. Nous sommes très fiers de nos formations: nous avons pris des mesures sur le plan des hautes écoles, je vous rappelle que nos universités sont classées parmi les leaders européens; la formation HES - cette formation professionnalisante - nous est enviée par de nombreux pays, même par les Etats-Unis. Nous avons prévu une école qui va jusqu'à 18 ans et avons aussi un plan de formation professionnelle. Nous sommes donc très conscients de la nécessité de valoriser notre formation.

En revanche, ce projet de loi, aussi louable soit-il sur le fond, n'est pas bon sur la forme. Ce n'est pas une bonne manière de présenter les choses. C'est pour cette raison que nous vous recommandons de ne pas entrer en matière. Nous invitons les initiants à déposer un texte comme une motion, qui ne soit pas coercitif mais incitatif, avec un travail mené en collaboration avec l'office cantonal de l'emploi, les entreprises et le milieu professionnel. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. Mesdames et Messieurs les députés, je soumets à vos votes l'entrée en matière sur ce projet de loi. M. Baertschi n'a plus de temps de parole.

Mis aux voix, le projet de loi 11597 est rejeté en premier débat par 59 non contre 16 oui et 10 abstentions.