République et canton de Genève

Grand Conseil

Discours de Saint-Pierre

Discours du président du Conseil d'Etat

M. François Longchamp, président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs, il y a 200 ans, Genève a choisi la Suisse. Choisir la Suisse, c'est défendre l'idée que l'Etat est au service du citoyen et non le contraire. Choisir la Suisse, c'est prendre le temps de négocier avant de décider, et tenir, pour un gouvernement élu, les engagements pris par celui qui l'a précédé. Choisir la Suisse, c'est avoir le respect des minorités, rechercher le consensus et gouverner dans la collégialité. Ces vertus, notre gouvernement entend les pratiquer.

Genève a choisi la Suisse. Mais Genève n'a pas choisi sa frontière. La vraie frontière de Genève, celle que la nature avait dessinée avant que la politique ne se mêle de géographie, c'est le Salève et le Jura.

Un territoire en partage

Aujourd'hui, notre frontière politique cristallise les difficultés. Nous devons les résoudre, afin que les habitants de notre région puissent travailler, se loger, se déplacer. Notre gouvernement, fidèle aux valeurs suisses mais respectueux aussi de celles de nos voisins, poursuivra donc le dialogue avec les autorités vaudoises et françaises pour aménager ce territoire précieux que nous avons en partage. Nos ambitions sont, au regard de l'histoire, somme toute assez modestes, puisqu'il s'agit de faire aussi bien qu'il y a un siècle, quand Genève avait construit une ligne ferroviaire pour Lyon puis Lausanne, et des trams jusqu'à Saint-Julien, Douvaine, Gex ou Annemasse. Ou quand, plus tard, elle a négocié un échange de terrains avec la France pour construire notre aéroport commun. C'est à cela que doit servir le Grand Genève: apporter des solutions concrètes.

Notre nouvelle constitution légitime ce dialogue. C'est même la première mission dont elle charge le président du Conseil d'Etat. Pour le constituant, Genève dépend de la qualité de ses relations avec ses voisins. Les cantons suisses, d'abord. La France voisine, ensuite. Le reste du monde, enfin.

Notre Conseil d'Etat n'oublie pas qu'il n'est, certes, qu'un gouvernement cantonal parmi vingt-six. Mais ce canton est Genève, et Genève n'est pas rien. En ce jour de 65e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, souvenons-nous que dans tous les pays en guerre ou en crise humanitaire, lorsque tout espoir semble disparu, les secours parviennent encore par des véhicules où l'on peut lire, en français: «Comité international, Genève». Quand le monde tremble devant la menace d'une crise nucléaire en Iran, c'est à Genève que les grandes puissances renouent le dialogue. Quand le peuple syrien pleure ses morts, c'est encore vers Genève que se portent tous les espoirs.

Cette position unique implique aussi des devoirs. D'abord, s'engager pour que les organisations internationales puissent bénéficier, demain encore, du cadre nécessaire à leurs activités. Aux côtés de la Confédération, nous soutiendrons la rénovation de leurs sièges, en particulier celui des Nations Unies. Cela permettra à notre canton de rester le lieu mondial de la négociation humanitaire, diplomatique, sanitaire, climatique, du travail ou du commerce. Nous nous y attellerons collectivement, en veillant à renforcer nos atouts: une desserte aérienne d'exception, une densité unique de représentations diplomatiques et consulaires, des hautes écoles de qualité, la sécurité et la paix confessionnelle dans un monde en proie aux déchirements religieux.

Une place pour chacun

Outre ces missions que nous assigne la nouvelle constitution, nous n'oublions pas que la responsabilité première de toute communauté humaine, c'est de s'assurer que chacun de ses membres y trouve sa place.

Une place pour chacun, c'est renforcer l'école publique, gratuite et laïque, seule garante de l'égalité de chances. Elle doit aussi être une école de qualité, où l'on travaille plus et mieux. Il nous reviendra la mission d'étendre l'école primaire le mercredi matin. Nous réduirons les structures bureaucratiques afin de redonner de l'espace aux enseignants de terrain. Nous lutterons de manière précoce contre les situations d'échec, qui engendrent souffrances et gaspillages, en orientant mieux les élèves et en revalorisant les filières professionnelles, afin que chaque jeune puisse atteindre une certification à la hauteur de son potentiel et de ses mérites.

Une place pour chacun, c'est construire pour loger nos enfants. Notre canton compte aujourd'hui 100 000 habitants de moins de 20 ans que nous devrons loger dans les deux décennies à venir, et non les contraindre à s'expatrier. Cela suppose que nous redonnions l'envie de construire, en encourageant mieux les communes, en simplifiant notre réglementation et en rendant la liberté à nos architectes. Une place pour chacun, c'est aussi construire des quartiers durables et des quartiers pour tous, dans le souci de la mixité: des logements d'utilité publique pour les plus modestes, mais aussi des coopératives et, pour ceux qui le peuvent, l'accession à la propriété du logement, à condition d'y habiter. Le plan directeur cantonal 2015-2030 donne les pistes pour y parvenir.

Les accords bilatéraux, pour l'emploi

Une place pour chacun, c'est créer des emplois pour tous les niveaux de qualification. Ce qui fait la force de notre pays, c'est le partenariat social. Seul le dialogue permanent entre syndicats et patronat est à même d'offrir la sécurité et la flexibilité. Nous soutiendrons également les accords bilatéraux, qui ont rendu la prospérité à notre canton, permettant à nos entreprises de créer ici les emplois qu'elles auraient, sinon, dû délocaliser. Nous devons nous montrer plus rigoureux encore dans l'application des mesures d'accompagnement, pour que les métiers les plus exposés soient mieux protégés. La préservation de la paix sociale passe notamment par le développement des conventions collectives. Nous devons mieux orienter et placer ceux qui sont à la recherche d'un emploi. Les emplois de solidarité sont salutaires pour les situations les plus difficiles et il conviendra de les adapter.

Enfin, mieux encore qu'il ne le fait aujourd'hui, l'Etat veillera à ce que les emplois qu'il pourvoit ou qu'il subventionne soient proposés aux demandeurs d'emplois locaux, lorsqu'ils disposent des compétences adéquates.

Une place pour chacun, c'est aussi protéger notre territoire. Pour permettre à nos agriculteurs de nous nourrir, pour protéger notre patrimoine historique et nos sites naturels, les terrains appelés à être urbanisés doivent l'être densément, comme nos ancêtres ont si bien su le faire à leur époque.

Une place pour chacun, c'est faciliter les transports. Nous poursuivrons le chantier du CEVA, car il répond à nos besoins avérés. Nous préparerons, avec le soutien déjà acquis de la Confédération, l'élargissement de l'autoroute de contournement, une nouvelle gare souterraine à Cornavin et la réalisation de plusieurs lignes de trams. Il s'agira aussi d'étudier si un péage ou un partenariat privé nous permettra de réaliser une traversée du lac, sachant que son financement exclusif par le seul canton est irréaliste dans les conditions budgétaires et d'endettement actuelles.

Intégrer et innover

Une place pour chacun, c'est garantir l'accès à des soins de qualité pour tous. C'est proposer aux aînés, mais aussi aux personnes handicapées, des prises en charge adaptées, par l'accompagnement à domicile ou, ensuite, par des structures d'hébergement adéquates.

Une place pour chacun, c'est garantir la sécurité des personnes et des biens, gage ultime de la sauvegarde de nos libertés publiques et privées. Nous poursuivrons la politique déterminée de lutte contre la criminalité, dont les priorités ont été définies dans l'accord passé avec le Ministère public. La présence des forces de sécurité sera renforcée et trois nouveaux établissements pénitentiaires mis en service. Notre corps de police sera réformé dans le respect de sa mission régalienne et dans le souci de revivifier la valeur de l'autorité.

Une place pour chacun, c'est aussi favoriser le vivre ensemble. Nous devons mieux intégrer les migrants de tout statut social et de toute origine, en engageant davantage la responsabilité réciproque de l'individu et de l'Etat.

Une place pour chacun, c'est enfin favoriser l'innovation. Nous n'avons pas oublié la perte, en 2012, de 1 300 emplois au siège genevois d'une multinationale. Cette nouvelle nous a rappelé que notre richesse n'est pas éternelle. Demain, c'est dans le même bâtiment que Genève accueillera le «Human Brain Project». Financé par l'Union européenne pour un milliard d'euros, il fera de Genève, et de son voisin vaudois, la capitale mondiale de la recherche sur le cerveau - tout comme Genève est déjà, aussi grâce à l'Europe, la capitale de la recherche en physique nucléaire. C'est ainsi sur nos terres que s'explorent les dernières véritables terrae incognitae.

Les missions que l'on attend de la fonction publique sont donc ambitieuses. Elles supposent que nous modernisions en profondeur les rapports de travail afin qu'ici aussi, chacun trouve sa place et que les efforts soient mieux valorisés.

Des conditions essentielles

Soyons clairs: tous ces objectifs ne pourront être poursuivis qu'à la condition que notre canton continue de créer des richesses, maîtrise sa dette et gère ses prestations publiques avec plus d'efficience.

La prospérité de Genève est liée à la présence d'entreprises actives dans le monde entier. Ce sont elles qui permettent à notre économie locale de prospérer également. Ce sont des dizaines de milliers d'emplois sans lesquels Genève deviendrait rapidement une ville de second plan, avec une augmentation massive du chômage et des baisses de prestations publiques.

Notre gouvernement est ainsi convaincu de la nécessité de réformer la fiscalité. Nous devons supprimer la discrimination entre entreprises locales et entreprises multinationales, afin de soutenir les premières et conserver les secondes. En lien avec la Confédération, nous défendrons l'objectif d'un taux d'imposition unique à 13%, seul susceptible de maintenir 40 000 emplois directs et de répondre aux standards fiscaux internationaux. Il n'y a pas d'autre issue pour des entreprises qui réalisent l'essentiel de leurs profits à l'exportation ou à l'étranger.

La prospérité de Genève, c'est aussi garantir une architecture institutionnelle efficace. Nous sommes le canton où les habitants paient le plus d'impôts en regard des prestations offertes, sans pour autant être en mesure de réduire notre dette. C'est donc tous les liens entre le canton et les communes genevoises qui doivent être revus. La fiscalité doit être perçue au lieu de domicile car l'essentiel des charges est lié à la présence d'habitants. Les doublons doivent être supprimés et les compétences réparties de manière claire. Cela touchera toutes les politiques et concernera aussi nos participations dans nos régies publiques. Tout cela doit nous permettre de servir mieux nos concitoyens, à moindre coût pour le contribuable.

Mesdames et Messieurs, cela fait exactement 704 ans que le gouvernement de Genève prête serment ici même, sous la tutelle protectrice des mêmes pierres, sous les élans des mêmes voûtes. La sacralité du lieu nous rappelle que l'exercice du pouvoir est un acte grave. Sa grandeur et sa permanence nous invitent à l'humilité, car le pouvoir ne nous appartient pas, mais nous est délégué l'espace d'un temps, comme un patrimoine que nous devons enrichir pour le bien de tous. Au-delà de ce qui nous distingue, nous le ferons dans la conscience de nos responsabilités.

Vive Genève ! Vive la République ! Vive la Suisse ! (Applaudissements.)

(A l'issue du discours du président du Conseil d'Etat, le groupe Kora Trio interprète le morceau La Paix.)