République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1659-A
Rapport de la commission judiciaire et de police chargée d'étudier la proposition de motion de MM. Eric Stauffer, Henry Rappaz : Mesure de contrainte immédiate envers les frontaliers conducteurs de véhicules automobiles qui ont fait l'objet d'amendes d'ordre (AO) en ville de Genève, AO qui ont été converties en contraventions et pour lesquelles les contrevenants (120'000 depuis 2003) ont bénéficié d'une "immunité" totale

Débat

La présidente. Messieurs les rapporteurs, merci de vous déplacer jusqu'à la table ad hoc. Et de vous dépêcher un tout petit peu... Je rappelle que nous sommes dans un débat classé en catégorie II, avec trois minutes de temps de parole par groupe, rapporteur compris. Monsieur le rapporteur, avez-vous l'intention de venir ? Il arrive... Tout vient à point pour qui sait attendre !

M. Jean-Claude Ducrot (PDC), rapporteur. Madame la présidente, Mesdames, Messieurs, cette motion du MCG, d'aucuns pourraient le croire, a lancé un pavé dans la mare, lié au problème des amendes d'ordre que le service des contraventions ne parvient pas à encaisser. La motion du MCG parlait de mettre des sabots, engins permettant de bloquer in situ les véhicules étrangers contrevenants, pour faire en sorte que les récalcitrants paient leurs amendes.

Après audition en commission du lieutenant-colonel Cudré-Mauroux, commandant de la gendarmerie, il s'est avéré que cette pratique serait lourde, si elle était adoptée. Pourquoi ? Pour la simple et bonne raison qu'il faudrait du personnel 24h/24. Sans cela, on ne pourrait pas agir en maintenant une contrainte constante sur les automobilistes. A supposer qu'un automobiliste doive une certaine somme, quelle qu'elle soit, et qu'on décide de placer un sabot sur son véhicule, peut-on plier bagage en laissant entendre à cet automobiliste qu'il n'a qu'à revenir le lendemain matin ? Non, il y aurait là une entrave à sa liberté, une contrainte inacceptable, quand bien même ce contrevenant aurait à payer son amende. Cette solution ne peut donc pas être retenue.

On a parlé tout à l'heure des problèmes d'effectifs de la police: on sait qu'il faudrait un personnel important, disponible 24h/24, uniquement pour faire en sorte que les contrevenants paient leurs amendes après la pose d'un sabot.

S'il est vrai qu'il y a des grandes villes françaises comme Paris où ce système a été adopté. Comparaison n'est toutefois pas raison: ce n'est pas parce que cela existe à Paris, ville de plusieurs millions d'habitants où les contraintes de circulation sont pires qu'à Genève, qu'on pourrait adopter ce mode de faire ici !

On a encore dit qu'il y a des personnes - au départ appelées «des frontaliers», mais je parlerai d'étrangers - qui ne paient pas leurs amendes... C'est vrai ! C'est un constat qu'on peut faire. Toutefois, il nous a également été dit qu'il y avait une étroite collaboration avec le CCPD, Centre de coopération polices douanes, que cette solution permettait, avec la participation des pays riverains plus particulièrement - avec la France notamment - de faire en sorte de procéder aux encaissements nécessaires. Alors, on peut aussi ressentir un malaise par rapport aux amendes de moins de 100 F pour lesquelles le CCPD n'agit pas, parce que le travail administratif serait bien évidemment très important...

La présidente. Il vous faut conclure, Monsieur le rapporteur !

M. Jean-Claude Ducrot. Un accord a toutefois été signé avec la France, qui permettra à la police française d'obtenir, en France, de citoyens français, le paiement des amendes relatives aux infractions commises en Suisse. Dès lors, la commission vous invite à rejeter la motion 1659 proposée par le MCG.

La présidente. Je rappelle que le temps de parole accordé est de trois minutes ! Monsieur Stauffer, vous pouvez vous exprimer.

M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, cette motion m'a valu une plainte pénale de l'ex-conseillère d'Etat Micheline Spoerri, parce que j'ai dit, lorsque nous avions déposé cette motion, que ses services avaient donné l'instruction d'envoyer les codes informatiques aux services des agents de ville pour détruire les fiches souches. Et les 120 000 amendes d'ordre des frontaliers, je les ai vues personnellement ! Plainte pénale a donc été déposée et j'ai reçu une lettre du procureur général Daniel Zappelli qui me demandait de me déterminer sur la levée de mon immunité parlementaire. J'ai demandé que mon immunité parlementaire soit levée ! Cela, afin que je puisse m'exprimer librement ! Et, dans cette attente, j'ai fourni les codes informatiques envoyés par le service des contraventions au service des agents de ville, codes qui ont servi à détruire les fiches souches ! Eh bien, la plainte pénale a été classée, Mesdames et Messieurs les députés !

Alors, aujourd'hui vous pouvez venir nous faire la leçon et dire que raison n'est pas raison ou que comparaison n'est pas raison... Moi je dis que les frontaliers, avec leurs véhicules ventouses qui squattent toutes les places de parking à Genève, se foutent éperdument de recevoir des amendes de stationnement ! Parce qu'ils ne les payent pas ! J'ai écrit, puis j'ai reçu une lettre de la police fédérale qui m'a répondu que le CCPD ne parvenait pas à gérer le flot des contraventions concernant des voitures frontalières.

En France, ce n'est pas comme en Suisse, Mesdames et Messieurs les députés, le numéro de plaque n'est pas relatif à la personne, mais à la voiture. Lorsqu'on vend une voiture, on vend les plaques avec, et il est très difficile d'établir le lien entre le propriétaire et la voiture ! Avant, à Genève, lorsqu'on délivrait un permis G, sur le formulaire figurait une case pour inscrire le numéro d'immatriculation de la voiture du demandeur de permis. Or, depuis que nous avons des frontaliers dans ce service, ils ont supprimé cette case ! Pfuit ! Il n'y a donc plus de relation directe entre le véhicule et son détenteur, et l'identification n'est plus possible ! Je vous défie de contrôler cela, et c'est absolument vrai: les formulaires d'inscription pour les permis G ne comportent plus la case pour indiquer le numéro de plaque du véhicule !

Voilà ce qu'est devenue aujourd'hui la République et canton de Genève ! Et nous, au MCG, nous nous opposons à cela ! Nous, nous avons été élus pour protéger les Genevois, pour faire en sorte que les villages de la périphérie de Genève ne soient pas envahis par 200 000 véhicules tous les jours ! Nous avons été élus pour que les Genevois puissent trouver des places de parc et que l'on cesse cette escroquerie des macarons. En effet, Genève vend des macarons pour plus de 21 millions de francs, mais en encaissant moins de 10 millions pour les places de stationnement... Et les Genevois passent à la caisse en payant des amendes d'ordre tous les jours !

Je vous demande donc de soutenir cette motion, Mesdames et Messieurs les députés, et j'en ai terminé pour cette première session de la reprise de 2008 !

La présidente. Modérez-vous, Monsieur le député ! Vous allez arriver au bord de l'infarctus si vous continuez comme ça ! La parole est à M. Pierre Losio.

M. Pierre Losio (Ve). Nous étions réticents à l'égard de cette motion qui reprend le thème récurrent du MCG: les frontaliers comme boucs émissaires. En ce qui nous concerne, nous ne connaissons pas de conducteurs frontaliers récidivistes: nous constatons que des conducteurs automobiles commettent des infractions et que d'autres n'en commettent pas ! Pour nous, ça s'arrête simplement là !

Quant à cette motion, la désignation d'un bouc émissaire constituait déjà un point négatif pour nous. Notre réticence a été renforcée par l'audition du commandant de la gendarmerie, qui nous a dit que la solution proposée - la pose d'un sabot sur les véhicules - induirait des coûts supplémentaires en personnel et en matériel; surtout, cela nécessiterait la mise en place d'un service 24h/24. Par-dessus le marché, une telle mesure entraverait l'ensemble des activités et des missions de la police ! La police a des missions plus importantes à effectuer sur le terrain, missions que nous souhaitons qu'elle continue à accomplir, et même qu'elle les renforce, notamment dans des quartiers spécifiques de notre ville.

D'autre part, nous avons été informés de l'entrée en vigueur d'un accord pour fin 2008 - c'est M. le conseiller d'Etat Moutinot qui nous l'a appris. Cet accord permettra d'identifier de manière réciproque, soit dans nos deux pays, les véhicules en infraction, dans le but d'encaisser les montants correspondant aux amendes infligées.

Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs les députés, nous vous invitons à suivre le rapport de la majorité de la commission et à refuser cette motion. Je vous remercie.

La présidente. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Alberto Velasco. (Exclamations.)

M. Alberto Velasco (S). Ai-je le droit de m'exprimer, chers collègues ? Oui ?!

Des voix. Oui ! (Brouhaha.)

M. Alberto Velasco. Je demande cela par rapport au vote sur l'objet de tout à l'heure ! J'aimerais dire à M. Stauffer... Où est-il ? Ah oui, c'est vrai qu'il a dit qu'il en avait fini pour cette session. Il nous a quittés, alors que la télévision est toujours là...

J'aimerais relever que ce que propose M. Stauffer peut aussi, parfois, avoir des conséquences. En tout cas, à la commission des visiteurs, nous avons appris qu'un frontalier s'est suicidé à la prison de Champ-Dollon, où il avait été incarcéré parce qu'il n'avait pas payé ses amendes de stationnement... Quand on demande des mesures strictes à l'encontre de frontaliers qui ne payent pas leurs amendes, cela peut parfois avoir des conséquences qui vont jusqu'à coûter une vie !

Par ailleurs, on nous a informés qu'il y a aujourd'hui des accords entre la Suisse et la France et au niveau européen pour permettre l'encaissement de ces amendes. Par conséquent, cette motion est superfétatoire et ne sert à rien.

Se pose encore le problème - ressenti comme tel, il est vrai, par beaucoup de citoyens des communes périphériques - de cette circulation incroyable générée tous les matins. Mais c'est un problème d'infrastructures et d'équipements au niveau cantonal ! Et j'espère que le CEVA apportera bientôt une solution à une partie de ce problème. Je dis cela parce qu'on trouve certains des opposants au CEVA dans les rangs du MCG... Si vous voulez éviter ce problème de circulation, il faut donc soutenir le CEVA !

De plus, dans nos budgets, il faudrait peut-être aussi prévoir des investissements supplémentaires dans les infrastructures, notamment en matière de transports publics. C'est cela qu'il faut faire, et non pas s'en prendre aux frontaliers qui, soit dit en passant, et je le souligne, participent grandement au fonctionnement et au bien-être de ce canton. On les paie pour effectuer un travail - on ne leur donne pas l'argent, comme ça - et ils contribuent à notre développement ! Les socialistes ne voteront donc pas cette motion.

M. Gilbert Catelain (UDC). Sur le fond, le problème posé par le MCG est concret, il révèle en fait qu'une infraction doit être poursuivie et sanctionnée. Là où le bât blesse, c'est au niveau des moyens à mettre en oeuvre pour sanctionner les infractions. Ce que nous demande le MCG en fin de compte, c'est de combler une lacune administrative par une mesure physique totalement disproportionnée. Et il faut résoudre cette lacune par une mesure concrète.

Ce qu'il conviendrait, c'est que notre conseiller d'Etat, M. Laurent Moutinot, nous indique ce que va prévoir l'accord de Berne II - qu'on appelle maintenant, sauf erreur, l'accord de Paris - en matière d'échange de données. Parce qu'en fait la réponse existe, Monsieur Stauffer, et je crois qu'il ne faudra plus vous faire trop de souci: dès que les accords de Paris seront mis en oeuvre, cela ne concernera pas seulement les frontaliers. Et, si je vous entends bien, par «frontaliers» il s'agit, au sens ancien du terme, de personnes incluant des Suisses qui circulent avec des voitures immatriculées en France. Donc, on pourrait simplement parler d'automobilistes qui sont immatriculés à l'étranger, ce serait plus simple. Ainsi, avec l'accord de Berne II, l'échange de données sera possible et l'effet positif, Monsieur Stauffer, c'est que vous ne serez plus en situation d'impunité quand vous circulerez sur l'autoroute en France et que vous serez «flashé» par un radar, alors que, jusqu'à ce jour, votre amende passait directement au panier ! Dorénavant, sauf erreur, les autorités françaises pourront directement consulter nos fichiers, nous transmettre la contravention et solliciter la collaboration de la police genevoise. Donc, c'est réciproque. De mon point de vue, le problème soulevé est totalement résolu avec les accords de Paris.

En plus, demain, avec les accords de Schengen, lorsqu'un citoyen français habitant la zone frontalière prendra l'avion de Londres à Genève, son identité sera, avec le système de recherches informatisées RIPOL, contrôlée à l'aéroport d'arrivée: si l'on constate qu'une amende est impayée, le contrevenant aura l'obligation de s'en acquitter avant d'être libéré. Des solutions existent donc, rassurez-vous !

Toutefois, pour la compréhension de l'ensemble du débat, il serait préférable qu'on nous donne une petite explication sur la mise en oeuvre de l'accord signé entre la France et la Suisse. Pour ces raisons, alors qu'il s'était abstenu en commission, à l'époque - parce qu'il n'avait pas les réponses concrètes quant au contenu de l'accord - le groupe UDC refusera carrément, cette fois, d'entrer en matière sur cette motion.

La présidente. Merci, Monsieur le député. Monsieur Stauffer, vous avez quinze secondes pour vous exprimer.

M. Eric Stauffer (MCG). Top chrono ! Mesdames et Messieurs, j'aimerais vous dire qu'à Lausanne ils ont réglé le problème, puisque les voitures des frontaliers qui ne paient pas leurs amendes sont emmenées directement à la fourrière... Le frontalier doit se rendre à la fourrière pour s'acquitter du montant dû ! Dans le canton de Bâle, les mêmes mesures de contraintes existent pour les véhicules frontaliers ! Mais c'est vrai que, à Genève, nous sommes plus intelligents... Et, surtout, beaucoup plus ouverts, car nous disons: «Frontaliers, venez: vous aurez l'impunité ! Bienvenue à Genève !»

M. Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je crois que me lancer dans un cours sur l'applicabilité des sanctions outre frontières est inutile. Je remercie M. le rapporteur des explications complètes qu'il vous a données et je remercie M. Catelain de la précision de son exposé.

Effectivement, j'aurai à répondre de la mise en oeuvre de cet accord. Je crois qu'il n'est plus temps que je vous en fasse la description détaillée, surtout qu'avec trois minutes à disposition ce serait un peu court, mais je confirme les propos de M. Catelain et je confirme aussi les propos de M. Ducrot. Je vous prie par conséquent de bien vouloir rejeter cette motion.

Mise aux voix, la proposition de motion 1659 est rejetée par 53 non contre 8 oui.

La présidente. Je vous propose d'arrêter là nos travaux. Je vous souhaite une bonne soirée. A très bientôt !