République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1659
Proposition de motion de MM. Eric Stauffer, Henry Rappaz : Mesure de contrainte immédiate envers les frontaliers conducteurs de véhicules automobiles qui ont fait l'objet d'amendes d'ordre (AO) en ville de Genève, AO qui ont été converties en contraventions et pour lesquelles les contrevenants (120'000 depuis 2003) ont bénéficié d'une "immunité" totale

Débat

M. Eric Stauffer (MCG). Cette motion arrive pour la première fois par un processus normal, l'urgence ayant été refusée à la session du mois de novembre dernier. Je le dis entre parenthèses: l'urgence ayant été refusée, l'Etat de Genève a perdu la bagatelle de 2 millions de francs. Car, à partir d'un délai-cadre de trois ans, les contraventions tombent en prescription. Votre inaction au mois de novembre sur ce sujet éminemment important a donc coûté à l'Etat de Genève 2 millions de francs. Il est vrai qu'ici on aime bien perdre deux heures à parler d'une subvention de 70 000 F, mais quand il s'agit d'économiser 2 millions, cela n'a aucune espèce d'importance.

Nous allons surveiller de manière très attentive votre vote, Mesdames et Messieurs les députés, puisque nous avons entendu - lors de l'interpellation de M. Marcet sur les dysfonctionnements probables de la justice - que nos institutions étaient les meilleures et que tout fonctionnait très bien dans le meilleur des mondes. Eh bien, cette motion n'a pour but que d'appliquer la loi.

A propos des contrevenants non domiciliés en Suisse, le Code pénal suisse dit, à l'article 9: «Si un contrevenant non domicilié en Suisse ne paie pas l'amende immédiatement, il doit en consigner le montant ou fournir d'autres sûretés suffisantes.» Mesdames et Messieurs les députés, ce n'est pas le cas. Et c'est d'autant plus grave que la conseillère d'Etat Micheline Spoerri - en charge du DJPS pendant l'ancienne législature - était au courant de ce qui se passait au sujet de ces amendes d'ordre converties en contraventions pour les frontaliers, depuis plus de trois ans ! Elle n'a sciemment rien fait, alors que cette application est prévue dans le droit fédéral... C'est intolérable. (Brouhaha.)

Il a fallu aussi que l'on regarde un peu comment cela fonctionnait... Il y a un peu de brouhaha, Monsieur le président, si vous pouviez rappeler les députés à l'ordre.

Le président. Monsieur le député, le brouhaha vient du fait que vous éprouvez le besoin de vous adresser au fond de la salle. Si vous vous contentiez de vous adresser à la présidence, elle serait attentive et vous ne seriez pas perturbé par l'indifférence de ceux à qui vous voulez vous adresser.

M. Eric Stauffer. Alors, Monsieur le président, je me suis enquis de savoir comment cette loi fédérale du Code pénal suisse était appliquée dans d'autres cantons et j'ai pris la liberté d'écrire aux autorités vaudoises. Elles sont confrontées au même problème que Genève concernant les véhicules des personnes non domiciliées en Suisse, c'est-à-dire majoritairement les frontaliers venant travailler dans le canton de Vaud - on ne parle pas du touriste qui vient une fois par année, mais on parle, pour Genève, des 30 000 véhicules qui franchissent la frontière chaque jour et qui ont besoin de trouver des places de parc. Nous savons les carences intolérables de la politique en matière de parkings: il n'y a pas assez de places de parc pour tous les véhicules.

Néanmoins, je vous lis le bref passage du canton de Vaud. «La Ville de Lausanne connaît les mêmes difficultés et les mêmes problèmes face aux usagers des autres pays, notamment pour ce qui touche aux identifications. Raison pour laquelle nous pratiquons de la sorte: lorsqu'un usager est amendé pour plusieurs fautes de stationnement - dès quatre amendes - l'immatriculation du véhicule est inscrite sur une liste que chaque garde de police tient en sa possession. Par la suite, si ce véhicule est trouvé en ville et qu'il se trouve manifestement en infraction, il est dépanné à la fourrière municipale. Par contre, s'il est correctement garé, nous ne pouvons pas légalement le faire dépanner, ce qui est normal. Lorsque son propriétaire vient le récupérer, il est formellement identifié. Tout le problème des frontaliers vient de l'identification, car les plaques d'immatriculation sont liées au véhicule et non à l'individu, contrairement à l'usage suisse. Sa voiture ne lui est restituée que contre le remboursement des amendes en cours et les frais de dépannage.» Voilà ce qui est appliqué dans le canton de Vaud.

Ensuite, je me suis enquis de savoir quelle était la pratique du bureau de coopération de la police fédérale avec les autorités policières françaises. Je vous passe l'intégralité du texte et vous lis seulement ce passage, afin qu'il figure au Mémorial: «Au vu du nombre de demandes provenant de la Suisse, il a été décidé, au sein du comité de pilotage chargé de la mise en oeuvre de l'accord de coopération franco-suisse, de n'entrer en matière qu'à partir d'un montant minimum de 100 F». Ce qui veut dire que toutes les amendes au-dessous de 100 F ne sont pas poursuivies. Cela est contraire au droit fédéral, comme le prescrit l'article 9 du Code pénal que je vous ai cité.

Maintenant, Mesdames et Messieurs les députés, vous qui êtes tellement à cheval sur le respect des lois et qui estimez que nos institutions sont si bien défendues, je vais demander le vote nominal pour savoir si vous voulez appliquer la loi ou si vous allez ce soir, devant vos électeurs et concitoyens, dire que les conducteurs non domiciliés en Suisse ont l'immunité totale sur les amendes et les contraventions. Nous serons très curieux de le voir.

Il y a deux amendements. Un amendement que nous avons déposé pour donner toute latitude au Conseil d'Etat d'appliquer la loi, c'est-à-dire les dispositions du Code pénal suisse. L'autre amendement a été déposé par les députés Brunier et Etienne. Dans les nouvelles invites de cette demande d'amendement, il est écrit: «A être très ferme contre toutes les personnes violant les règles de la circulation.» Je tiens à rassurer le député Brunier: en ce qui concerne les résidents suisses, c'est le cas. Si un résident suisse ne paie pas ses contraventions, cela commencera par une saisie sur salaire, puis une saisie sur ses biens et, si cela ne suffit pas, il finira à Champ-Dollon en conversion d'amende. La loi est strictement appliquée, ce qui n'est pas le cas pour les propriétaires de véhicules domiciliés à l'étranger, les non-résidents suisses. Ensuite: «Il faut assurer une équité totale entre les personnes amendées à Genève». C'est justement cela que nous demandons. Un résident suisse qui ne paie pas finira en prison, alors qu'un résident frontalier - et je vous rappelle que ce sont 30 000 véhicules par jour - aura l'immunité totale. (Commentaires.) Oui, c'est vrai, Monsieur le député. Je vous le dis simplement, j'ai obtenu des chiffres. Nous parlons de 120 000 amendes converties en contraventions et dont la Ville de Genève n'a pas reçu les paiements.

Je vais aussi vous révéler quelque chose de très grave. Lorsque nous avons déposé cette motion au nom du MCG, Mme Spoerri, conseillère d'Etat, a fait envoyer à la Ville de Genève des codes informatiques pour détruire les amendes. Je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, si vous le souhaitez, à ouvrir une commission d'enquête. C'est un véritable scandale, et je peux prouver ce que je viens de dire à l'instant.

Une voix. C'est intéressant.

M. Eric Stauffer. Oui, c'est intéressant... Et, d'autre part, sachez que nonobstant le nombre d'amendes mises par la Ville de Genève, ce département est en déficit de 10 millions ! Il faudra s'interroger quant à l'utilité des mesures de répression à outrance et quant à leur véritable efficacité.

Mesdames et Messieurs, j'en ai terminé et je vous rappelle que je demande le vote nominal.

M. Hugo Zbinden (Ve). Les Verts partagent certaines des préoccupations qui ont amené à cette motion. En effet, on en a marre de voir des voitures mal garées encombrer nos rues, on en a marre de voir des voitures rouler trop vites dans nos quartiers, ou encore des scooters emprunter les voies de bus, mettant en danger les autres, notamment les cyclistes. Dans ce contexte, il est rageant de constater que des contrevenants parviennent à ne pas payer leurs amendes. Néanmoins, nous ne voulons pas lancer maintenant le débat sur les mesures à prendre.

Nous proposons de renvoyer cette motion en commission pour analyser le problème et trouver des mesures adéquates. D'ailleurs, ces mesures ne devraient pas s'appliquer seulement aux frontaliers, mais à tout mauvais payeur, y compris les fonctionnaires internationaux.

Le président. Nous sommes saisis d'une demande de renvoi en commission. Sont inscrits MM. Brunier, Luscher, Catelain, Mettan et M. le président Moutinot. Vous vous exprimerez, la liste étant close, exclusivement sur le renvoi en commission.

M. Christian Luscher (L). Au nom du groupe libéral, j'ai l'intention d'appuyer le renvoi en commission de cette proposition de motion qui - en elle-même - n'est pas dénuée d'intérêt. Si elle n'était pas présentée de cette façon discriminatoire et nauséabonde, je pourrais y adhérer sans aucun problème. M. Stauffer a visiblement mal lu ces lois. L'article 9 du Code pénal n'a strictement rien à voir avec ce qu'il nous a raconté aujourd'hui, puisque l'article 9 du Code pénal traite des crimes et délits. Nous sommes dans le domaine des contraventions et, comme pour les dettes fiscales, il n'y a pas de prison pour dette en matière de contraventions. Tout cela, nous allons l'étudier tranquillement en commission judiciaire.

C'est dommage, Monsieur Stauffer, que vous teniez des discours pareils, car votre texte n'est pas dénué d'intérêt et on va effectivement l'analyser, car il y a possibilité de faire des rentrées fiscales. Mais la façon dont vous nous parlez nous donne plutôt envie de rejeter cela tout de suite. Mais, c'est parce que nous essayons de dépasser votre discours que nous allons tout de même proposer le renvoi de cette motion en commission (Applaudissements.)

M. Christian Brunier (S). M. Stauffer a trouvé un bon filon. Les membres de son parti l'ont prouvé pendant les élections, bouffer du frontalier rapporte malheureusement des voix. Maintenant, si on veut traiter le problème avec lucidité et sérénité, il faut l'analyser d'une manière un peu plus calme. Et la commission sera un bon terrain pour le faire.

J'aimerais quand même préciser qu'il y a certainement du laxisme et que l'on peut mieux faire pour poursuivre les frontaliers et toutes les personnes amendées à Genève qui ne paient pas leur dû, mais des actions se font quand même. Vous dites que rien ne se fait, que c'est le laxisme total, que tous les frontaliers sont sous une forme d'impunité, mais ce n'est pas vrai, Monsieur Stauffer.

J'ai ici des amendes - je pourrais vous les montrer - de personnes habitant la France. Ce sont des amendes de moins de 100 F et ces personnes sont poursuivies. Elles habitent Vétraz-Monthoux, Annemasse. Il y a donc des amendes qui sont attribuées et des poursuites qui sont faites. Je connais une autre personne qui s'est fait bloquer à la frontière. Il y a de temps en temps - peut-être pas assez - des contrôles sur les plaques pour savoir ceux qui n'ont pas payé des amendes, et des saisies de véhicule peuvent se faire. Il ne faut donc pas dire que rien ne se fait. On peut faire mieux, mais on ne peut pas non plus jeter le discrédit sur tout ce qui est fait aujourd'hui.

Je rappelle que c'est pour cela que nous déposons un amendement général qui remplace vos invites. Car nous ne voulons pas cibler que les frontaliers...

Le président. Sur le renvoi en commission, Monsieur le député.

M. Christian Brunier. Tout à fait, mais je précise un peu les données sur lesquelles on va travailler en commission. (Rires.) Au lieu d'attaquer...

Le président. Vous le ferez en commission, s'il vous plaît.

M. Christian Brunier. Monsieur Stauffer, au lieu d'attaquer les frontaliers, dites simplement qu'il faut attaquer tous les gens qui ne respectent pas les règles de la circulation à Genève. Aujourd'hui, nous sommes dans une situation inquiétante sur certaines routes. Toutes les personnes qui violent les règles de circulation doivent être poursuivies, ainsi que toutes les personnes qui ne paient pas leurs amendes. C'est dans ce sens que vont les amendements que nous avons déposés. Il ne doit pas y avoir d'impunité pour tous les gens sanctionnés à Genève, qu'ils soient frontaliers, genevois, corps diplomatique ou autre.

M. Gilbert Catelain (UDC). Cette motion pose deux problèmes majeurs. Le premier est de faire entrer l'argent des contraventions et de réprimer les contrevenants. L'autre est tout simplement un problème de mise à disposition de places de parc.

On se demande qui est la victime. Pour moi, le but n'est pas forcément de faire entrer de l'argent dans les caisses de la Ville, mais bien plus de permettre aux travailleurs de pouvoir se déplacer et, s'ils n'ont pas d'autre choix, d'au moins pouvoir parquer leur véhicule.

Cette motion m'étonne, car elle vient quelques mois après une campagne électorale menée contre le matraquage des amendes de la Ville. (Applaudissements.)

Le président. Sur le renvoi en commission, Monsieur le député.

M. Gilbert Catelain. J'aimerais - je serai bref - dire deux choses pour justifier le renvoi en commission. D'une part, la poursuite des contrevenants existe. Il y a trois gendarmes dans le groupe MCG, ils savent exactement comment cela se passe. Il est vrai que tout n'est pas poursuivi et tout ne peut pas l'être. Mais, puisque vous parlez des travailleurs frontaliers, des listes - malheureusement non informatisées mais cela est un problème de l'exécutif - sont transmises aux postes-frontières et peuvent être consultées. Ainsi, lorsque ces personnes sont contrôlées, elles sont remises à la police genevoise. Il y a donc poursuite des contrevenants.

Deuxième chose, le canton a tout à fait la possibilité d'inscrire dans le RIPOL les personnes qui cumulent un certain nombre d'infractions. C'est tout à fait possible, d'autres cantons le font. D'autre part, je vous rappelle que le Centre de coopération policière et douanière - CCPD - n'est pas un organe cantonal, il ne dépend pas du canton. Il y a un représentant par canton et plusieurs représentants de la France. Et, comme il y a à peu près un représentant cantonal actif derrière un téléphone, le pauvre, si tous les jours il ne reçoit que des téléphones concernant des demandes d'immatriculation de véhicules, il ne va pas traiter des affaires beaucoup plus importantes, des affaires judiciaires qui sont le but de la création de ce centre de coopération policière et douanière.

D'autre part, je rappellerais...

Le président. Sur le renvoi en commission, Monsieur le député, s'il vous plaît.

M. Gilbert Catelain. Je rappellerais que la perception de ces contraventions pourrait effectivement être un bénéfice majeur. Donc, oui à une perception des contraventions, mais de manière intelligente et dans le cadre du débat qui aura lieu en commission. Je suis persuadé que le département aura des propositions tout à fait sérieuses à faire.

Le président. Je passe la parole à M. Guy Mettan qui, j'en suis sûr, s'en tiendra au débat sur le renvoi en commission. C'est une habitude à prendre, Mesdames et Messieurs les députés. Lorsque nous nous apprêtons à renvoyer un objet en commission, il est totalement inutile d'encombrer le plénum des considérations que vous développerez en commission et que nous étudierons en synthèse à leur retour.

M. Guy Mettan (PDC). Merci, Monsieur le président, pour votre confiance. (Rires.) On connaissait le délit de sale gueule et on va bientôt connaître le délit de frontalier. On nage en plein délire, et le problème des délires, c'est qu'ils peuvent être dangereux. Il importe que l'on renvoie cet objet en commission pour que l'on puisse faire cesser ces propos délirants, et cela pour au moins deux raisons.

La première est qu'il importe de faire toute la lumière sur l'objet en cause. Il est clair que la croissance du trafic frontalier entraîne en ville des nuisances qui gênent certains de nos concitoyens. Il y a aussi le problème des amendes et il faut que l'on fasse la lumière sur ce problème.

La deuxième raison est beaucoup plus politique. On sent que M. Stauffer va ennuyer ce Grand Conseil pendant les quatre ans à venir si nous ne traitons pas, une fois pour toutes, ce problème. Il est donc important que nous le fassions rapidement, pour détromper lui-même, son groupe et les électeurs et électrices qui le soutiendraient encore après cela. Ils ont tort.

Le président. Je prends note que c'est par résignation que M. Mettan soutient le renvoi en commission.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 1659 à la commission judiciaire est adopté par 65 oui contre 8 non et 6 abstentions.

Intervention du Conseil d'Etat sur la M 1659: Session 04 (janvier 2006) - Séance 19 du 27.01.2006