République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 22 février 2002 à 17h
55e législature - 1re année - 5e session - 23e séance
IN 117-C
Suite du débat
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, je vais citer les noms des cinq députés qui avaient demandé la parole et à qui je demande d'appuyer à nouveau sur le bouton d'inscription pour reprendre leur tour dans l'ordre qui était celui qui était affiché au moment où nous avons interrompu nos travaux: Mme Ruegsegger, M. Jeannerat, Mme Frei, M. Hausser, M. Serex.
Madame Ruegsegger, vous avez la parole.
Mme Stéphanie Ruegsegger (PDC). L'initiative 117 part de plusieurs constats. Tout d'abord que la Suisse doute, que la Suisse est isolée, que les cantons sont de plus en plus désargentés, qu'ils sont à bout de souffle et qu'ils ont de plus en plus de mal à assumer des tâches qui sont toujours plus importantes. Les initiants proposent une solution simple: fusionner les cantons qui sont qualifiés de «nains» en de vastes régions...
Nous partageons partiellement les constats des initiants.
Nous constatons effectivement que la Confédération prend toujours plus de poids, qu'il est difficile pour les cantons d'assumer financièrement des tâches qui sont toujours plus lourdes et qu'il est nécessaire de mettre les forces en commun pour pouvoir les assumer au mieux. Mais, est-ce que l'initiative est la bonne solution ? Nous en doutons fortement.
Les initiants nous parlent de démocratie... Ils disent que l'initiative est une solution démocratique... Mais d'autres solutions démocratiques existent, qui ont, du reste, déjà été partiellement mises en vigueur, telles, par exemple, les collaborations. Celles-ci ont rencontré certains succès comme dans le cas de l'école de pharmacie, comme dans le cas des HES, mais elles ont également rencontré quelques échecs comme c'est notamment le cas du RHUSO.
A notre sens, la démocratie, c'est également écouter ce que les citoyens nous ont dit à travers ces votes. Et s'ils ne sont pas mûrs pour certaines collaborations, ils ne le seront certainement pas pour la fusion des cantons.
D'autre part, nous estimons que cette initiative est contre-productive. On nous dit que les cantons ont de moins en moins de poids face à la Berne fédérale et qu'il faudrait les fusionner. Mais en fusionnant, que va-t-il se passer en fait ? C'est que des cantons comme Genève et Vaud qui ont deux voix au Conseil des Etats n'en auront plus qu'une ! Est-il vraiment productif de diminuer le nombre de voix qu'ont les cantons de Genève et de Vaud au niveau fédéral ? Ce n'est pas comme cela qu'on aura davantage de poids !
Le débat sur la régionalisation est un débat tout à fait pertinent, mais je crois que l'on se trompe de cible... On nous propose de fusionner deux cantons sur vingt-six cantons et demi-cantons, soit vingt-trois cantons, ce qui veut dire que nous essayons d'entamer cette régionalisation à travers un douzième des cantons suisses... Je crois que ce n'est tout simplement pas sérieux !
De plus, le débat sur la régionalisation et sur l'importance des régions doit non seulement se faire à l'échelle nationale - et pas simplement à l'échelle lémanique - mais elle doit également se faire à l'échelle transfrontalière. Nous estimons en effet qu'il y a des collaborations plus naturelles, notamment avec la France voisine. A mon avis, Genève a davantage ou en tout cas autant d'affinités avec les régions de la France voisines comme l'Ain et la Haute-Savoie qu'avec le canton de Vaud.
Enfin, last but not leastje crois qu'il y a une question d'identité dont il faut tenir compte. Nous avons bien évidemment quelques points communs avec le canton de Vaud. Tout d'abord, nous appartenons au même pays, nous partageons la même langue, nous avons le même type de soucis, notamment des problèmes financiers, un endettement endémique et nous partageons le même lac - le lac de Genève. (Rires.)
Nous n'allons peut-être pas parler de fossé culturel entre Genève et Vaud, mais je crois qu'il y a tout de même quelques constats à faire. En fait, c'est le mariage du rat des villes et du rat des champs que l'on veut nous proposer à travers cette initiative, et, du reste, tout le décalage...
Une voix. On ne partage pas l'accent non plus !
Mme Stéphanie Ruegsegger. On ne partage pas l'accent non plus, c'est vrai ! ...et tout le décalage entre Genève et Vaud se retrouve ne serait-ce que dans la qualification des deux cantons: nous ne sommes qu'une simple République alors que le canton de Vaud est un pays.
Alors, nous pensons que si le débat qui est entamé sur la régionalisation est un débat pertinent, la solution qui nous est proposée est une mauvaise solution, et nous vous proposons de la rejeter. (Applaudissements.)
Mme Anita Frei (Ve). Le groupe des Verts reconnaît à l'initiative Vaud-Genève le mérite de poser une question très importante: celle de l'organisation politique future de notre territoire pour répondre à des besoins et des enjeux nouveaux.
Nous sommes en revanche beaucoup moins certains que la solution passe par la fusion des deux cantons, pour des tas de raisons que je ne développerai pas ici et qui ont été avancées par mes préopinants d'hier et d'aujourd'hui.
Pour nous, la solution passe plutôt par la constitution de vraies régions, d'entités nouvelles détachées de leur passé et du poids de l'Histoire. Les Verts ont d'ailleurs proposé au niveau Suisse une organisation comportant six régions qui constitue une base de discussion à notre avis intéressante, en tout cas plus intéressante que la fusion de deux cantons.
Plus près de nous, la dimension transfrontalière constitue à nos yeux un enjeu de toute première importance et forme aussi une des dimensions de la région.
C'est donc pour le groupe des Verts: oui à la région, oui à toutes les formes de coopération régionale et transfrontalière pour aboutir peut-être finalement à une vraie région qui soit détachée des cantons ou même des pays, qui passe par-dessus les frontières. Alors: oui à la région, mais non à la fusion Vaud-Genève, et c'est pour cela que la majorité du groupe des Verts s'abstiendra.
M. Jacques Jeannerat (R). J'aimerais faire quelques remarques sur le rapport de notre collègue M. Charbonnier.
La première a trait au débat sur la régionalisation tel qu'il est mentionné dans le rapport. Je crois qu'il faudrait une fois pour toutes cesser de dire qu'on est d'accord d'ouvrir le débat sur la régionalisation et le fermer immédiatement après... Je prends l'exemple de la promotion économique. Je prends aussi l'exemple de la fiscalité... On a vu qu'il était impossible de régler le problème de la fiscalité avec les Vaudois qui travaillent à Genève.
L'initiative est finalement le seul moyen concret pour ouvrir le véritable débat sur la régionalisation.
En effet, cette initiative prévoit une constituante qui, dans un délai de quatre ans, doit rendre un projet de constitution. Les citoyens devront ensuite se prononcer sur cette constitution. Il s'agit donc, en quelque sorte, d'une fusée à deux étages. Le premier étage est le vote sur l'initiative, c'est-à-dire le principe - c'est en quelque sorte les fiançailles. Le deuxième étage est le vote sur le projet de constitution, c'est-à-dire sur les modalités sur les points précis de fond - c'est en quelque sorte le mariage. Si l'action de se fiancer a pour but, en finalité, de déboucher sur le mariage, ce n'est pas sûr à chaque coup... (Rires.)
Le rapport de M. Charbonnier parle également de perte d'identité. Mais, aujourd'hui, qui peut décliner son identité sur un seul terme. Par exemple, qui peut dire qu'il est Genevois et uniquement Genevois. En fait, on se sent Romand quand on est en Suisse alémanique, on se sent Suisse quand on va en France, on se sent francophone quand on va en Allemagne et on se sent Européen quand on va aux Etats-Unis.
L'attachement unilatéral à une communauté n'existe donc plus, à plus forte raison dans une région comme la nôtre, lorsque des milliers de personnes traversent la frontière chaque jour, qu'il s'agisse de la frontière cantonale ou de la frontière nationale pour venir travailler et participer ainsi à la prospérité économique de la région au sens le plus large.
Le rapport de M. Charbonnier parle encore de modification d'équilibre au sein de la Suisse romande... Mais de quel équilibre parle-t-on ? Et de quel projets ? Y a-t-il des projets en cours ?
En réalité, la région existe déjà sur le plan culturel, sur le plan social et sur le plan économique...
Il s'agit donc dès lors simplement de mettre en adéquation la réalité avec les institutions politiques. Il s'agit de faire correspondre trois cercles: celui des utilisateurs, celui des payeurs et celui des décideurs. Il s'agit encore d'améliorer le service aux citoyens, grâce à une meilleure utilisation du produit de l'impôt et il s'agit enfin de mettre en commun les ressources de gré plutôt que de force dans quelque temps, sous la pression financière. (Applaudissements.)
M. Dominique Hausser (S). Je rebondis sur l'intervention de M. Jeannerat... Oui, la région existe, ou, plutôt, les régions existent.
Elles peuvent être géographiques, elles peuvent être économiques, elles peuvent être culturelles, elles peuvent être sociales, elles peuvent être linguistiques et, chaque fois, nous avons des frontières de région qui changent. Sur ce point-là, je vous rejoins donc, Monsieur Jeannerat, la notion même de région a une existence et cette existence varie selon la perspective selon laquelle on la considère.
Quand on parle de la région lémanique, il ne s'agit pas seulement de Genève et Vaud. On peut y ajouter le Valais, on peut y ajouter la Haute-Savoie, on peut encore dire que cela ne concerne pas la totalité du canton de Vaud, mais seulement la partie sud du canton de Vaud.
Si on décide de parler de la Suisse occidentale, à ce moment-là on peut y ajouter encore le canton de Neuchâtel, le canton de Fribourg et on peut même penser à une partie du canton de Berne.
Je crois qu'on se rend bien compte que si on veut raisonner au niveau région, il faut savoir de quoi l'on parle exactement.
Beaucoup sont intervenus au niveau institutionnel pour rappeler que la Confédération était le résultat de négociations, une construction au cours du temps de toute une série de collectivités, de communautés, qui ont décidé de s'allier soit pour résoudre un certain nombre de problèmes soit pour faire face à un certain nombre d'agressions extérieures.
Aujourd'hui,l'équilibre est important. Nous avons les moyens de renforcer les pouvoirs de la Confédération si nous estimons nécessaire que la collaboration intercantonale passe par une discussion au niveau de cette dernière. Nous avons les moyens de travailler avec l'Europe en intégrant l'Union européenne qui est une structure existante si nous estimons nécessaire de le faire au niveau européen. Nous pouvons adhérer à l'ONU de manière à participer aux activités de l'ensemble de la planète.
Maintenant, pour revenir à des choses un tout petit peu plus pratiques, nous avons un outil défini dans la Constitution qui s'appelle le Concordat ou la Convention intercantonale qui permet à différentes entités, sur des intérêts particuliers, de se mettre autour d'une table et de décider d'un commun accord de travailler ensemble sur un dossier. Il y a quelques mois, grâce à un certain nombre de discussions, qui ont d'ailleurs démarré au moment où les cantons de Vaud et Genève avaient envisagé la fusion des hôpitaux universitaires Vaud-Genève, il a été décidé de travailler dans le cadre d'une commission interparlementaire. Ce processus a été répété plus tard, avec les discussions autour des HES. Et puis, finalement, se rendant compte que ce processus était important, l'ensemble des cantons romands ont décidé de faire ce qu'on a appelé la «convention des conventions» qui associe systématiquement les parlementaires au travail visant à mettre sur pied une collaboration entre deux ou plusieurs cantons, de manière qu'on ne soit pas ici seulement pour approuver des projets par oui ou par non.
Je crois que nous avons aujourd'hui, dans le cadre institutionnel qui est le nôtre, les moyens de travailler, de développer la ou les différentes régions, de renforcer l'activité fédérale, de décider qu'effectivement, comme le disait M. Jeannerat tout à l'heure, il est bon que les processus de décision se trouvent au même niveau que les utilisateurs et que, par ailleurs, ils soient au même niveau que ceux qui financent. Les institutions que nous avons aujourd'hui à disposition sont là, et si véritablement nous devions dessiner à nouveau la carte des cantons de la Confédération, il serait bon que cela se fasse pour l'ensemble de la Suisse et pas simplement entre deux cantons dans un coin de cette même Suisse.
C'est la raison pour laquelle nous n'accueillons pas favorablement cette initiative, et nous recommanderons au peuple de la rejeter.
M. Jacques Pagan (UDC). Il va sans dire que le groupe UDC s'oppose à cette initiative trompeuse comme l'a très bien dit hier M. Christian Grobet... (Exclamations.)Le titre : «Oui à la région» est une grave erreur, et il faut carrément dire qu'il s'agit d'un projet tendant à obtenir la fusion du canton de Vaud et du canton de Genève. Je ne sais pas exactement dans quel sens, mais nous verrons cela plus tard, si jamais cela se fait.
J'aimerais simplement ajouter que nous sommes certainement le seul parti au sein de cette enceinte à avoir établi un dialogue avec nos homologues Vaudois, puisque, vous le savez, le parlement cantonal vaudois compte aussi une section UDC, pour discuter de ce projet. Nous sommes naturellement arrivés exactement aux mêmes conclusions. Malheureusement, c'est peut-être très intéressant d'un point de vue théorique, mais ça ne répond pas fondamentalement à un besoin immédiat. Il s'agit plutôt de plans que l'on veut tirer sur la comète, demain... Cela a quelque chose de terriblement abstrait, et je crois que la population qui peut nous regarder maintenant à la télévision n'a que faire de ce genre de choses.
Mais enfin, ce qui m'a fait plaisir à l'occasion de ces travaux préparatoires, c'est que, dans le fond, nous nous sommes découverts, Vaudois et Genevois, tout à fait unis pour défendre exactement les mêmes causes avec la même argumentation, ce qui fait que pour finir, Mesdames et Messieurs les députés, point n'est besoin de fusion pour se bien entendre...
M. Claude Blanc (PDC). Je voudrais revenir sur les propos tenus hier par M. Grobet, si je ne me trompe pas, au sujet du titre fallacieux de cette initiative.
Je m'étonne que la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil, qui a l'habitude de couper les cheveux en quatre - quand ce n'est pas en huit... - se soit laissée menée ainsi sans s'apercevoir que le titre ne correspondait absolument pas au contenu... C'est comme si vous achetiez une bouteille de Haut-Brion et que vous trouviez du picrate vaudois dedans... C'est exactement la même chose ! C'est de nature à tromper l'électeur, et je pense - je me rallie tout à fait à ce qu'a dit hier M. Grobet - que nous ne pouvons pas soumettre au peuple une initiative intitulée «Oui à la région» alors que ce n'est pas du tout ce dont il s'agit: il s'agit de la fusion Vaud-Genève, ce qui n'a strictement rien à voir. Le titre de cette initiative est donc trompeur.
Je ne sais pas comment il faut faire maintenant... Nous aurions dû nous en apercevoir avant, au moment où nous avons voté sur la recevabilité de l'initiative: nous aurions dû la refuser. Et vous auriez bien pu aller au Tribunal fédéral: il n'y a absolument aucun rapport entre le contenant et le contenu ! C'est de la tromperie, et je ne vois pas comment on peut honnêtement soumettre cela au peuple !
M. Christian Grobet (AdG). Je vous remercie, Monsieur Blanc, d'avoir rappelé cet aspect des choses qui a été évoqué hier soir, et je me félicite qu'une fois de plus nous nous trouvions d'accord, Monsieur Blanc... (L'orateur rit.)Et la nuit portant conseil, ou, disons, le temps de réfléchir, je me suis permis de concrétiser l'hypothèse que j'avais évoquée hier soir que notre Conseil vote une résolution à l'intention du Conseil d'Etat.
Je n'ai pas eu le temps, Monsieur Blanc, de faire une recherche de jurisprudence, mais je sais que la jurisprudence du Tribunal fédéral permet à l'autorité qui est chargée d'organiser la votation de préciser un titre qui est de nature trompeuse. Je vois que nous arrivons à la même conclusion en ce qui concerne le caractère trompeur de ce titre, et il m'a semblé, mais le texte de cette résolution vous sera distribué tout soudain, qu'il suffirait, comme je l'avais suggéré hier soir, que l'on mette après le titre de l'initiative que l'on ne peut pas supprimer en tant que tel, entre parenthèses et en caractères gras: (fusion Vaud-Genève).
Comme j'ai annoncé cette proposition de résolution hier soir - vous vous en souviendrez - je pense que notre président acceptera que l'on puisse débattre en discussion immédiate du texte de cette résolution qui invite le Conseil d'Etat, dans le cadre de toute la documentation qui sera envoyée aux électrices et aux électeurs, comme ce qui sera publié dans la "Feuille d'avis officielle", etc., d'adapter à chaque fois le titre avec le complément que je propose. Je crois que cette formule a le mérite de ne pas modifier le titre même de l'initiative, mais, simplement, de le préciser dans le sens voulu par les initiants.
On voit que dans l'excellent rapport de M. Charbonnier qui a repris l'exposé des motifs de l'initiative, les initiants eux-mêmes ont indiqué, en caractères gras, ce qu'ils estimaient être l'essence de cette initiative, c'est-à-dire la fusion Vaud-Genève. Je crois qu'il n'y a rien là d'erroné de vouloir préciser le titre comme il aurait dû l'être.
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, vous avez reçu le texte de cette résolution. Eu égard au fait...
Une voix. On l'a pas !
Le président. Alors, vous allez l'avoir... Nous l'avons eu au Bureau... Il est en train d'être distribué. Je mettrai sur le compte de notre apprentissage, puisque c'est la première session que nous expérimentons les nouvelles formules, notamment pour la modification de l'ordre du jour, le fait que vous nous la présentiez maintenant. J'aurais préféré que vous nous la présentiez tout à l'heure, mais je l'accepte volontiers, car je crois qu'il ne faut pas trop faire de formalisme. L'ensemble des groupes de ce parlement fait la même réflexion que vous, à savoir que le titre de cette initiative prête à confusion. J'accepte donc que nous parlions de cette résolution.
M. Pierre Kunz (R). Si j'ai bien compris, la résolution en question invite le Conseil d'Etat à adapter le texte, mais on ne doit pas débattre de cela maintenant, n'est-ce pas ?
Le président. Je viens de le dire...
M. Pierre Kunz. Moi qui allait justement complimenter cette assemblée sur la belle entente qui règne aujourd'hui après les invectives d'hier soir: Blanc, Pagan, Grobet, même combat... N'est-ce pas magnifique ! Mais, si on commence à débattre de cette affaire, on risque d'aller loin...
Le président. Cela dépend de vous, Monsieur le député !
M. Pierre Kunz. Enfin, si c'est la volonté de ce parlement, nous nous y ferons !
Mesdames et Messieurs les députés, parmi les initiants, les radicaux ont joué un rôle important, et, fort heureusement, parmi ces initiants il y avait des brasseurs d'idées et des pionniers... Ces brasseurs d'idées et ces pionniers - nous sommes tous d'accord sur ce point - sont ceux qui font avancer le débat politique.
En dernière analyse, nous avons constaté au sein du parti radical que nos opinions étaient divergentes. Certains continuent de penser qu'il faut appuyer cette initiative, car son acceptation populaire aurait des effets très positifs sur les deux cantons et d'autres pensent, au contraire, que cette initiative, si elle devait être approuvée par les peuples vaudois et genevois, ne pourrait se révéler que dommageable pour la cause qu'elle prétend promouvoir. Elle est en effet prématurée, donc irréaliste. Il lui manque en fait tous les fondements économiques, sociaux, financiers, politiques et administratifs, qui la rendraient réalisable. Son acceptation par les Vaudois et les Genevois ne pourrait déboucher que sur des déséquilibres ingérables et, par conséquent, sur une déception généralisée.
C'est donc cet avis qui est celui de la majorité de notre groupe, et c'est pourquoi la plus grande partie des radicaux votera contre l'initiative 117.
M. Antonio Hodgers (Ve). Par souci de transparence démocratique, je crois en effet que la proposition de M. Grobet, pour autant qu'elle soit acceptable, est une bonne idée. Elle permettra ainsi de donner un titre à cette initiative qui, à mon sens, sera complet puisque les initiants veulent dirent oui à la région à travers l'union Genève-Vaud.
Et mon intervention vise justement à modifier le libellé du titre de cette initiative proposé par M. Grobet. En effet, je parlerai d'union et non de fusion pour rendre hommage aux initiants de cette initiative qui parlaient plus volontiers d'union que de fusion, le mot «fusion» ayant une connotation forte au niveau économique, et, également, par égard pour nos citoyens, je parlerai de Genève-Vaud et non l'inverse, qui était le titre vaudois.
Je pense que M. Grobet ne verra pas d'inconvénient à cette petite modification de forme.
Le président. Bien. Toute la question est de savoir s'il s'agit d'une fusion ou d'une union. En ce qui me concerne, je pense que vous allez pouvoir vous prononcer sur ce point. Je vous rappelle que le canton de Vaud a passé une toute petite demi-heure sur cet objet, et que nous en parlons depuis trois quarts d'heure... Quoi qu'il en soit, je vous laisse volontiers la parole... Monsieur Spielmann, vous avez la parole.
M. Jean Spielmann (AdG). Il convient de rappeler également que cette initiative a été lancée à un moment particulièrement important, puisque c'était après l'échec de l'Espace économique européen. Beaucoup de personnes déçues du résultat du vote et des conséquences sur notre canton ont voulu, après cet échec, développer une politique transfrontalière et l'ouverture sur la région. Des modifications ont été faites et le Conseil fédéral a même accepté d'élargir la possibilité constitutionnelle pour les cantons d'aller vers les régions: c'est à ce moment-là que l'initiative «Oui à la région» a été lancée. Alors, bien sûr, beaucoup de personnes interpellées au moment de ce débat ont signé cette initiative.
Pour ma part, j'ai discuté avec certaines personnes à qui j'ai dit que je ne trouvais pas juste d'interpeller les gens qui étaient favorables à la région et de leur faire signer une initiative sur la fusion Vaud-Genève.
Partant de là, le problème posé aujourd'hui n'est pas seulement le titre de l'initiative... Elle a abouti, alors, maintenant, il faut la voter. Le problème ce sont les conséquences politiques qu'elle va avoir sur notre région. A la veille d'un scrutin aussi important que l'adhésion de la Suisse à l'ONU, on ne peut pas oublier que pour faire passer des idées dans ce pays, surtout des idées d'ouverture sur le monde, il faut une double-majorité: celle du canton et celle du peuple.
Il ne serait pas possible d'avoir cette double majorité si tous les cantons qui partagent l'idée d'une Suisse plus ouverte se mettaient à fusionner, car le nombre de leurs voix réduirait de moitié... Je pense que cette idée doit encore faire du chemin, qu'il faut en modifier le concept parce si le résultat de la votation devait être opposé, c'est-à-dire que le peuple vote oui et les cantons non, cela reposerait encore le problème.
Je suis fondamentalement convaincu que notre Confédération est ainsi faite qu'il faut respecter le vote des cantons sous peine de devoir discuter pour les convaincre.
Mais la fusion c'est un autre problème ! Hier, nous avons parlé de différence de fonctionnement des deux cantons, que les députés n'ont pas la possibilité de déposer un projet de loi, mais on n'a pas dit que dans la salle du Grand Conseil vaudois les députés n'ont pas tous une place assise. Il manque en effet environ une quarantaine de sièges. Ils s'assoient donc alternativement. Certains vont à la buvette, puis ils reviennent. Je crois savoir qu'ils vont modifier cela, qu'ils ont réduit le nombre des députés, qu'ils ont modifié la constitution, mais cela pose tout de même un problème de fonctionnement de fond. Des questions se posent: où irions-nous siéger, jusqu'à quelle heure et comment reviendrait-on ? Où les administrés des deux cantons iraient-ils régler leurs problèmes administratifs ? Les gens d'Aigle viendraient-ils à Genève ou les Genevois devraient-ils aller à Yverdon ? Il y a donc toute une série de questions de proximité et des questions de fond qui se posent, indépendamment du fait que la culture et la manière de traiter les problèmes sont très différentes d'un canton à l'autre, aussi bien en ce qui concerne le fonctionnement des communes que les débats. Ces raisons font que cette fusion ne peut faire l'objet d'un vote du peuple pour ou contre celle-ci, sans que tous ces problèmes soient examinés sérieusement. Il me semble qu'aujourd'hui la pesée des intérêts nous incite à voter non à une telle initiative. Et j'aimerais bien qu'on explique clairement, en tout cas le Conseil d'Etat, que ce non à l'initiative n'est certainement pas un non à la région, ce qui serait une catastrophe pour nos voisins. Nous avons le devoir d'expliquer que le canton de Genève a la volonté de développer une politique régionale aussi bien avec le canton de Vaud, que le pays de Gex et la Haute-Savoie. Avec l'ouverture des bilatérales, nous devons impérieusement discuter et débattre de l'ensemble des problèmes, aussi bien ceux liés au déplacement des personnes qu'au transport pour questions économiques. Il serait catastrophique que le message de ce vote - le rejet que j'espère - soit un non à la région. Il est absolument indispensable que nous précisions sur quoi il faut voter de manière qu'il n'y ait pas d'ambiguïté.
Par conséquent, je pense que cette résolution est la bienvenue. Je trouve vraiment que la commission législative devrait faire davantage attention lorsqu'elle examine le texte d'une initiative, car le titre de cette initiative est une véritable escroquerie: les gens vont dire oui à la région, alors qu'en fait cette fusion engendrera plus de problèmes qu'elle n'en résoudra.
M. Pierre Weiss (L). Je crois qu'en la matière et sans m'exprimer du tout sur le fond de l'initiative sur laquelle nous devrons voter dans quelques minutes - je l'espère - il conviendrait d'éviter d'utiliser des termes qui s'écartent sinon de l'esprit en tout cas de la lettre du texte qui a été proposé à notre attention. Et, plutôt que de parler de «fusion Vaud-Genève» - le terme fusion est d'ailleurs connoté, y compris atomiquement - il serait bon de se référer à ce qui est dit au premier paragraphe de la page 13 de l'initiative 117, soit: «création d'un canton commun unissant en une première étape les cantons de Genève et de Vaud». Je pense que, de la sorte, nous serions respectueux des intentions des initiants et, par ailleurs - et je viens là dans la direction de M. Grobet - nous ne prêterions pas le flanc à la critique selon laquelle nous donnerions une illusion qui ne permettrait pas aux citoyens de comprendre exactement ce sur quoi ils sont appelés à se prononcer. Respectons les intentions mais soyons extrêmement précis et réutilisons les termes qui ont été proposés par les initiants ! Je crois que cela serait une marque de respect pour les signataires de l'initiative que d'aller dans cette direction.
Le président. Bien, je vous prie de bien vouloir déposer votre amendement, Monsieur Weiss. Nous pourrions aussi rajouter l'amitié, tout ce qui nous rapproche du canton de Vaud. Il y en aurait encore pour deux trois phrases, mais je vous laisse libres de le faire... J'essayerai de m'en sortir. Monsieur le rapporteur, vous avez la parole.
M. Alain Charbonnier (S), rapporteur. La commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil ne s'est effectivement pas penchée sur le problème du titre de l'initiative, comme l'a dit, M. Blanc tout à l'heure... Nous n'aurions pas du voter sa recevabilité...
Par rapport aux termes fusion, union, amitié - comme disait le président - il faut d'abord être transparents vis-à-vis de la population qui nous reproche déjà trop souvent de lui envoyer des messages pas très clairs.
Et puis, je crois savoir que les Vaudois vont voter sur un texte intitulé «fusion Vaud-Genève». Il me semblerait donc raisonnable, d'autant que les deux cantons vont voter en même temps, que l'on reprenne les mêmes termes, comme l'a proposé M. Grobet.
Mme Anne-Marie Von Arx Vernon (PDC). Le groupe du parti démocrate-chrétien tient à relever l'excellente proposition de M. le député Weiss, qui correspond parfaitement à l'esprit de l'initiative, qui est, dans le fond, d'entamer un processus. Et, dans cette explicitation, nous retrouvons la notion de processus.
M. Carlo Lamprecht, conseiller d'Etat. Qu'on le veuille ou non, le 2 juin prochain, les citoyens et les citoyennes du canton de Genève et du canton de Vaud seront simultanément invités à se prononcer sur une initiative qui vise, il faut bien le dire, à les unir en un seul et unique canton.
Déposée en avril 1999, l'initiative populaire constitutionnelle Vaud-Genève a recueilli, dans le canton de Vaud, 13 428 signatures valables. Quatorze mois plus tard, soit en juin 2000, l'initiative jumelle mais appelée autrement, «Oui à la région», était déposée à Genève avec 10 104 signatures.
Cette idée de fusion entre les deux cantons a été lancée - M. Spielmann l'a justement rappelé - en préambule d'un éventuel redécoupage institutionnel de la Suisse en quelques régions. Tout en leur reconnaissant le mérite d'ouvrir un débat intéressant sur le fonctionnement de notre système fédéral, les gouvernements de Vaud et de Genève se sont clairement prononcés pour le rejet de ces initiatives.
Cela, Mesdames et Messieurs les députés - et je tiens à le dire très fort ici - n'empêche pas le Conseil d'Etat de Genève de dire résolument oui à la région, mais sans militer pour la création d'un supercanton lémanique, qui, loin de gommer les frontières, ne ferait que les repousser sur un territoire à peine plus vaste.
Genève dit oui à la région par le biais des coopérations intercantonales et transfrontalières, que le canton développe et qu'il entend développer encore davantage avec la Suisse occidentale et avec la France voisine. Car c'est bien dans un espace plus large - cela a été dit - que celui proposé par les initiants que réside désormais notre avenir.
Les macrorégions transfrontalières ou non qui se dessinent à l'échelon européen pèsent, si j'ose dire, quelque 10 millions d'habitants. Autant dire qu'une entité Vaud-Genève ne saurait à elle seule faire le poids. Dans cette perspective, l'avenir ne peut se construire en repoussant la frontière de quelques kilomètres pour créer une nouvelle organisation institutionnelle statique.
A l'intérieur de ces vastes régions, nous devons mettre sur pied, de façon souple, des collaborations à géométrie variable, qui correspondent aux différents bassins de vie et qui offrent une échelle de développement économique pertinente. Genève peut ainsi multiplier les ouvertures vers la Suisse occidentale, mais aussi vers la France voisine avec qui des liens privilégiés doivent être entretenus, vu la position géographique du canton.
Par ailleurs, que ce soit dans le cadre des accords bilatéraux ou dans le cadre de la Conférence des gouvernements de Suisse occidentale - qui, je le rappelle, réunit les cantons du Jura, de Berne, du Valais, de Fribourg, de Neuchâtel, de Vaud et de Genève - de nombreuses collaborations ont déjà eu lieu et, souvent, cette conférence s'est réunie pour essayer de défendre des projets communs. Cela dépasse largement la collaboration que nous pourrions avoir avec une simple fusion Vaud-Genève.
Nous le faisons en collaborant projet par projet, dans un intérêt réciproque. Notre promotion économique, par exemple, travaille déjà avec le canton de Vaud sur plusieurs projets ponctuels. Notre promotion touristique aussi. Notre réseau de transport régional est pensé de façon concertée lorsqu'il s'agit de se manifester auprès de Berne pour défendre certains dossiers comme, notamment, celui de la douane-poste, et, dans ces cas-là, nous parlons d'une seule voix.
Certes, nous avons aussi dans le domaine fiscal, par exemple, nos divergences et nos différences. Des différences historiques, institutionnelles et géographiques, que la fusion proposée voudrait ignorer mais qui constituent une réalité, vous l'avez tous, Mesdames et Messieurs les députés, les uns après les autres, souligné.
L'idée même de région à laquelle les initiants se réfèrent ne recouvre pas la même notion pour les citoyens genevois et vaudois, en raison de l'intensité des liens que chaque canton entretient avec les régions voisines. Pour nous: Rhône-Alpes, l'Ain et la Haute-Savoie, bien entendu, et, pour nos amis vaudois, le Jura français et les cantons du Mittelland. Donc, nous sommes et nous restons attachés à un système fédéral qui a fait ses preuves. Les gouvernements de Genève et de Vaud estiment qu'un éventuel redécoupage - s'il se fait - devrait être réfléchi à l'échelon national, simultanément, par l'ensemble des cantons.
Le président. Il va vous falloir conclure, mon cher président !
M. Carlo Lamprecht. Le projet de fusion des cantons de Genève et de Vaud présente le risque de provoquer des déséquilibres importants au niveau des institutions cantonales, régionales et fédérales.
Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat vous invite fermement à rejeter l'initiative, «Oui à la région», et vous prie également d'accepter sur le fond la proposition du député Grobet.
Le président. Nous allons tout d'abord voter sur l'initiative, et, ensuite, si tout le monde est d'accord - je crois que c'est le cas - nous traiterons la résolution présentée par M. Grobet. Nous allons procéder au vote électronique. Monsieur Hiltpold, vous voulez ajouter quelque chose ?
M. Hugues Hiltpold (R). Monsieur le président, je demande l'appel nominal !
Le président. Je n'ai rien entendu, mais je vous ai compris. Le vote nominal est-il soutenu ? Mesdames et Messieurs les députés, la prochaine fois, soyez plus nombreux à lever la main, vous êtes juste à la limite... (Appuyé.)
Nous allons donc voter sur la prise en considération de l'initiative. Je vous rappelle, pour que les choses soient bien claires, que la majorité de la commission par six voix contre une et trois abstentions, a décidé de refuser cette initiative. Par conséquent, ceux qui la refusent, comme la commission, doivent voter non. Le vote est lancé...
Mise aux voix, l'initiative 117 est rejetée par 57 non contre 5 oui et 14 abstentions.
Le président. Il y a donc 57 non... (Exclamations.)Non, non, le résultat affiché est de 55 non, mais les votes de deux députés n'ont pas été pris en compte, ce qui fait 57... (Protestations.)Mais je n'y peux rien, ce n'est pas moi qui suis aux commandes, que voulez-vous que j'y fasse ? La technique est-elle prête pour relancer le vote ? Deux députés n'ont pas pu voter... Peut-on relancer le vote ? Non ! Bien, nous allons en rester là: je demande simplement que figurent les noms de M. Christian Grobet et Mme Jeannine de Haller dans la liste des députés qui ont voté non. Par conséquent, tout devrait rentrer dans l'ordre... (Brouhaha.)
M. Louis Serex. Ce ne sont pas les ordinateurs qui donnent la date des vendanges !