République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 7526
19. Projet de loi de MM. Pierre Vanek, Jean Spielmann, Christian Ferrazino et Christian Grobet modifiant la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale et des établissements publics médicaux du 15 octobre 1987 (B 5 0,5). ( )PL7526

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

Article 1

La loi générale relative au personnel de l'administration cantonale et des établissements publics médicaux, du 15 octobre 1987, est modifiée comme suit:

Art. 30 (nouvelle teneur)

Le membre du personnel licencié en application des articles 17, alinéa 4, 23 ou 24, peut recourir au Tribunal administratif. Si ce Tribunal retient que le licenciement est abusif, il peut l'annuler et ordonner la réintégration du recourant.

Art. 2

La loi sur le Tribunal administratif et le Tribunal des conflits, du 29 mai 1970, est modifiée comme suit:

Art. 8, al. 1, 9° (nouvelle teneur)

9° licenciements et sanctions disciplinaires, autres que l'avertissement et le blâme, infligées au personnel de l'administration cantonale et des établissements publics médicaux (B 5 05, art. 29).

EXPOSÉ DES MOTIFS

Le Conseil d'Etat vient de saisir le Grand Conseil d'un projet de loi visant à modifier le statut des membres de la fonction publique et à précariser encore davantage ce statut. Les membres de la fonction publique bénéficient en principe de la garantie de l'emploi. De fait, cette garantie est illusoire, puisque le Tribunal administratif, en tant qu'autorité de recours, se considère comme incompétent pour statuer sur les licenciements notifiés pour les suppressions de postes. Quant aux licenciements pour justes motifs, la compétence du Tribunal administratif est limitée à proposer au Conseil d'Etat ou à la commission administrative la réintégration de la personne licenciée abusivement !

Cette situation est totalement insatisfaisante et avant que le Tribunal administratif n'ait été désigné comme autorité de recours contre les licenciements pour justes motifs, la commission de recours présidée par un juge du Tribunal administratif qui était chargée précédemment de cette mission avait renoncé à l'assumer compte tenu du fait que le Conseil d'Etat ne tenait pas compte de ses recommandations.

Il est normal que des travailleurs puissent recourir contre un licenciement abusif et la garantie de ce droit élémentaire ne constitue nullement un privilège parce que la majorité qui gouverne à Berne refuse d'étendre ce droit élémentaire aux travailleurs du secteur privé. La protection des travailleurs répond à un besoin d'autant plus important en période de crise où l'employeur peut être tenté de mettre fin à un contrat de travail pour des motifs qui ne sont pas dignes de protection avec des conséquences particulièrement graves pour le travailleur.

Par ailleurs, une protection accrue se justifie d'autant plus dans la fonction publique pour assurer une indépendance de ses membres face au pouvoir politique. La gestion de la chose publique dans le respect de l'intérêt général implique que les serviteurs de l'Etat soient garants du respect des lois et soient protégés contre la tentation de les mettre sous pression pour des motifs incompatibles avec leur mission.

La volonté du Conseil d'Etat de pouvoir licencier plus facilement des membres de la fonction publique a pour corollaire que ceux-ci doivent être mieux protégés contre les licenciements abusifs. Tel est le but du présent projet de loi.

Nous espérons, Mesdames et Messieurs les députés, que celui-ci recevra un bon accueil de votre part.

Préconsultation

M. John Dupraz (R). Il me semble que le débat a eu lieu sur ce sujet et que ce projet de loi est renvoyé en commission, tout comme l'autre. Cela me paraît clair !

La présidente. Si c'est évident pour vous, Monsieur Dupraz, je souhaite que ce le soit pour tout le monde. Monsieur Grobet, est-ce aussi évident pour vous ?

M. Christian Grobet (AdG). Madame la présidente, je suis tout à fait ravi d'apprendre l'évidence du renvoi de ce projet de loi en commission. D'ailleurs, je pourrais l'interpréter comme un consentement au projet, auquel cas, j'en serais ravi; mais, le nombre d'années passées dans cette enceinte m'a rendu prudent !

Mesdames et Messieurs les députés, le statut de la fonction publique vise à garantir une certaine indépendance des fonctionnaires à l'égard de l'autorité politique, ce qui est la base d'un bon fonctionnement de l'administration. Cette garantie d'indépendance implique, précisément, que l'exécutif ne puisse pas licencier le personnel à sa guise, parce qu'il ne lui convient pas, notamment pour des raisons politiques.

Par voie de conséquence, la possibilité pour un membre de la fonction publique de déférer une décision de licenciement, dont il ferait l'objet devant une autorité judiciaire indépendante du pouvoir exécutif, est d'une importance capitale pour le bon fonctionnement de l'administration. Or dans la loi actuelle, il est prévu que les mesures et sanctions à l'égard du personnel, notamment les licenciements, peuvent faire l'objet d'un recours auprès du Tribunal administratif. Mais il faut bien reconnaître que ce recours est un alibi dans la mesure où l'autorité saisie de ce dernier n'a aucun pouvoir décisionnaire. En effet, l'autorité de recours ne peut que soumettre des recommandations au Conseil d'Etat, qui est libre de les suivre ou non.

Au préalable, la voie de recours était ouverte auprès d'une commission de recours, présidée par un juge du Tribunal administratif. Or, compte tenu du fait que les décisions de cette commission de recours n'étaient jamais suivies par le Conseil d'Etat, cette dernière n'a plus voulu se prononcer sur les recours dont elle était saisie. Cet état de fait a entraîné une modification de la loi et la désignation du Tribunal administratif comme autorité de recours. Mais le fait que cette autorité de recours n'ait aucun pouvoir de décision - ce qui est une exception par rapport au principe général, selon lequel une autorité de recours, et plus particulièrement un tribunal, possède un pouvoir de cognition total lui permettant d'annuler des décisions - est totalement contraire à nos principes juridiques.

Dès lors, en vertu du système actuel, il se justifie, à notre sens, que la voie de recours, instituée par la loi au profit des membres de la fonction publique contre des sanctions et des mesures de licenciement qui pourraient être prises à leur encontre, soit modifiée pour donner la pleine compétence au Tribunal administratif.

Cette nécessité est d'autant plus forte que le Conseil d'Etat veut, à travers le projet de loi débattu tout à l'heure, affaiblir le statut de la fonction publique, le rendre encore plus précaire. Ainsi, la logique voudrait que le Conseil d'Etat, lui-même, admette, au moins, dans la mesure où il veut précariser le statut de la fonction publique, qu'une autorité judiciaire puisse contrôler la légitimité des décisions prises en matière de licenciement du personnel de la fonction publique.

Dès lors, nous espérons que le renvoi de ce projet de loi en commission ne signifie pas que la majorité de ce Grand Conseil veut s'en débarrasser.

M. Bénédict Fontanet. Mais non !

M. Christian Grobet. Vous dites non, Monsieur Fontanet ! Cependant, M. Unger, votre président, m'a remis un article rédigé pour le journal «Le Matin» dans lequel on pouvait lire que, si l'on voulait voir les débats de ce Grand Conseil se dérouler avec plus de sérénité, il fallait renoncer à cette fâcheuse tendance - que votre majorité a imposée au sein de ce Conseil - de décider la discussion immédiate pour les projets de lois.

M. Unger nous expliquera peut-être les raisons qui poussent le PDC à renoncer au rejet immédiat de nos propositions - ce dont nous nous félicitons d'ailleurs. Les trouve-il dignes d'intérêt et est-il prêt à en discuter, ou est-il tenté de les oublier en commission, comme c'est le cas d'un certain nombre de projets de lois que nous avons déposés et qui y dorment gentiment ? Si la première des hypothèse est retenue, nous nous en réjouissons.

C'est la raison pour laquelle, Madame la présidente - et je vous prie de m'excuser d'avoir pris quelques minutes du précieux temps de cette assemblée - nous estimons que le renvoi tacite en commission ne va pas de soi, car il peut être inspiré par différents motifs.

Des voix. Ah !

M. Pierre-Alain Champod (S). Le groupe socialiste appuie ce projet de l'Alliance de gauche, qui apporte des améliorations bienvenues aux règles régissant le licenciement du personnel de l'administration cantonale et des établissements publics médicaux.

En effet, le système actuel préconise, lorsque le Tribunal administratif constate un licenciement abusif, de proposer au Conseil d'Etat ou à la commission administrative la réintégration de la personne licenciée, l'autorité exécutive étant libre ou non de suivre cette proposition. En d'autres termes, il s'agit d'une décision juridictionnelle par laquelle il est suggéré à la partie la plus forte du contrat un comportement qu'elle n'est pas tenue de suivre, ce qui est pour le moins bizarre.

Dans ce projet de loi, si l'autorité juridictionnelle reconnaît le caractère abusif du licenciement, elle a le pouvoir de l'annuler et de réintégrer le travailleur concerné. De plus, le projet admet des possibilités de recours aux sanctions disciplinaires majeures, ce qui est parfaitement normal, compte tenu de la gravité possible des différentes sanctions.

Enfin, ce projet de loi ne doit pas être considéré comme une prime à l'inamovibilité des fonctionnaires, mais simplement comme une amélioration d'un système de recours et son adaptation aux exigences du droit moderne. C'est pour toutes ces raisons que le groupe socialiste vous invite à le renvoyer en commission.

M. Claude Blanc (PDC). Comme vous l'avez fort bien dit, Madame la présidente, le Grand Conseil a accepté tacitement de renvoyer ce projet en commission. Mais cela n'a pas convenu à M. Grobet, dont je désire relever ici l'incohérence du discours. Au début, il a prétendu que le renvoi tacite de ce projet en commission signifiait l'acceptation de son contenu. Ensuite, il a critiqué la manière dont ce Grand Conseil avait, à plusieurs reprises, refusé, contrairement au droit le plus élémentaire des minorités, de renvoyer un projet en commission, parce qu'il le jugeait farfelu.

Alors, Monsieur Grobet, il faudrait savoir ! Car si vous considérez notre renvoi en commission comme un acquiescement, nous proposerons la discussion immédiate, et on lui fera le sort qu'il mérite. (Rires.) Vous devez bien savoir, Monsieur Grobet, que le renvoi en commission n'est pas un consentement et que, par conséquent, nous nous réservons de disséquer ce projet, comme il le mérite, en commission et de lui désigner le sort qui lui revient.

Cependant, Monsieur Grobet, vous savez - tout comme moi - que, lorsque le Tribunal administratif retient qu'un licenciement est abusif, il ne peut que proposer un arrangement financier, car il n'est pas pensable de réintégrer une personne qui a été licenciée, compte tenu de l'ambiance dans laquelle elle devrait continuer à travailler avec sa hiérarchie. Vous mettez le doigt sur un problème délicat que nous examinerons d'ailleurs en commission. D'ailleurs, nous aurions pu faire l'économie de ce débat, si vous n'aviez pas interprété abusivement notre renvoi tacite en commission.

M. Olivier Vodoz, conseiller d'Etat. Si le Conseil d'Etat ne s'oppose pas au renvoi de ce projet en commission, ce n'est pas qu'il consent à la solution préconisée, mais bien plutôt qu'il veut vraiment discuter de ce point qui n'est d'ailleurs pas nouveau, puisqu'il date - et M. Grobet le sait bien - de 1979. Dans cet article, le Tribunal fédéral dit très clairement qu'il ne peut contraindre un canton à maintenir à son service un fonctionnaire qu'il a révoqué ou congédié pour justes motifs, le principe étant que, en droit public comme en droit privé, même si l'employé a été congédié à tort, il n'a pas, à moins que le contraire ne soit expressément prévu, le droit d'être réengagé.

Le projet de loi de l'Alliance de gauche vise à inscrire dans la loi que le Conseil d'Etat, respectivement l'administration, doit reprendre le fonctionnaire congédié et non pas simplement lui verser des indemnités correspondant à la somme qu'il aurait pu perdre selon les barèmes fixés. C'est un problème très ancien qui resurgit aujourd'hui à l'occasion de la modification du statut. Il faudra débattre de ce problème en commission.

Ce projet est renvoyé à la commission des finances.