République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 24 mars 1994 à 17h
53e législature - 1re année - 5e session - 8e séance -autres séances de la session
No 8
Jeudi 24 mars 1994,
soir
Présidence :
M. Hervé Burdet,président
La séance est ouverte à 17 h.
Assistent à la séance : MM. Claude Haegi, président du Conseil d'Etat, Olivier Vodoz, Jean-Philippe Maitre, Guy-Olivier Segond, Philippe Joye, Gérard Ramseyer, conseillers d'Etat.
1. Exhortation.
Le président donne lecture de l'exhortation.
2. Personnes excusées.
Le Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance : Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat, ainsi que Mmes et MM. Jacques Boesch, Erica Deuber-Pauli, Laurette Dupuis, Catherine Fatio, Armand Lombard, René Longet et Liliane Maury Pasquier, députés.
3. Procès-verbal des précédentes séances.
Le procès-verbal des séances des 17 et 18 février 1994 est adopté.
4. Discussion et approbation de l'ordre du jour.
Le président. Vous trouverez sur vos places une fiche rose donnant la dernière teneur des compléments à l'ordre du jour. Il s'agit de :
Hommage à Mme Isabelle Graf, députée, démissionnaire. (RD 219)
Rapport oral de la commission des droits politiques sur une éventuelle incompatibilité de Mme Anne Briol. (RD 220)
Prestation de serment de Mme Anne Briol, nouvelle députée, remplaçant Mme Isabelle Graf. (E 725)
Tirage au sort d'un membre suppléant de la commission de grâce, en remplacement de Mme Isabelle Graf. (E 726)
Rapport oral du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion de Mmes et MM. Christian Ferrazino, Roger Beer, Elisabeth Reusse-Decrey et Fabienne Bugnon invitant le Conseil d'Etat à tout entreprendre pour assurer la survie du journal «La Suisse». (M 901-A)
Sont renvoyés à une prochaine séance, les projets suivants :
Demande de réexamen en matière de naturalisation. (RD 217-A)
Demande de réexamen en matière de naturalisation. (RD 218-A)
Rapport de la commission de l'université chargée d'étudier la pétition : Augmentation des taxes étudiantes ? Réduction du personnel ? Préservons les conditions d'études et de travail de l'université. (P 1004-A)
J'ai reçu, de la part du Conseil d'Etat, une lettre du chancelier demandant, vu le sujet et l'urgence du problème évoqué par la motion 901, que cet objet soit traité en tête de l'ordre du jour. Si vous êtes d'accord, il en sera fait ainsi.
5. Remarques sur la liste des objets en suspens.
Le président. La motion suivante a été renvoyée au Conseil d'Etat par le Grand Conseil le 17 septembre 1994 et n'a pas encore reçu de réponse :
de Mme Gabrielle Maulini-Dreyfus concernant un centre de consultation LAVI (aide aux victimes d'infraction). (M 857).
Le président. Nous avons reçu une lettre de démission de notre collègue Mme Isabelle Graf. Je prie notre secrétaire d'en donner lecture.
Il en est pris acte.
Mme Graf a été élue au Grand Conseil, sur la liste du parti écologiste, en automne dernier.
Nous espérons que son court passage dans notre parlement lui aura apporté quelques satisfactions et nous formons tous nos voeux pour la suite de sa carrière professionnelle.
Le stylo souvenir traditionnel lui sera adressé par notre secrétariat.
Le président. M. Jacques-André Schneider ayant refusé le mandat de député qui lui revenait, il a été fait appel à Mme Anne Briol.
Je donne la parole à Mme Anne Chevalley pour le rapport de la commission des droits politiques.
Mme Anne Chevalley (L), rapporteuse. La commission des droits politiques vient de se réunir pour examiner la candidature de Mme Anne Briol, présentée par le parti écologiste genevois. Aucun élément d'incompatibilité n'est à relever. Elle peut donc prêter serment.
Mme Anne Briol est assermentée. (Applaudissements.)
9. Correspondance.
Le président. La correspondance suivante est parvenue à la présidence :
Il en est pris acte.
Ce courrier sera adressé au Conseil d'Etat et à la commission de l'économie pour information.
Ce texte est en main du Conseil d'Etat pour préparer la réponse et le président de la commission d'aménagement en a reçu copie.
Ce courrier sera repris au point 45 qui traite ce sujet.
Il en est pris acte.
Cette lettre sera transmise au Conseil d'Etat et à la commission des transports pour information.
Il en est pris acte.
Par ailleurs, les pétitions suivantes sont parvenues à la présidence :
Ces pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.
En outre, la commission des pétitions nous informe qu'elle désire renvoyer la pétition suivante à la commission de l'enseignement pour raison de compétences :
Il en sera fait ainsi.
Le président. Le sort a désigné M. Chaïm Nissim.
11. Annonces et dépôts:
a) de projets de lois;
Le président. Le Conseil d'Etat retire son projet de loi suivant :
Il en est pris acte.
b) de propositions de motions;
Néant.
c) de propositions de résolutions;
Néant.
d) de demandes d'interpellations;
Le président. Les demandes d'interpellations suivantes sont parvenues à la présidence :
Cosignataires : Claire Torracinta-Pache, Dominique Hausser, Elisabeth Reusse-Decrey, Mireille Gossauer-Zurcher, Gilles Godinat.
Cosignataires : Jean Philippe de Tolédo, Roger Beer, John Dupraz, Michèle Wavre, Pierre Kunz.
Elles figureront à l'ordre du jour d'une prochaine séance.
e) de questions écrites.
Le président. Les questions écrites suivantes sont parvenues à la présidence :
Elles seront renvoyées au Conseil d'Etat.
Par ailleurs, le Conseil d'Etat nous a transmis réponses aux questions écrites suivantes :
Q 3509
de M. Christian Ferrazino (AG)
Dépôt: 2 décembre 1993
Votation: une question ou une devinette?
La dernière votation sur le droit au logement a manifestement dérouté des milliers d'électrices et d'électeurs puisque plus de 13 000 d'entre eux ne se sont pas prononcés sur la question n° 9.
Pourquoi le Conseil d'Etat s'est-il contenté de mentionner, sur les bulletins de vote, une formule totalement incompréhensible, à savoir «contreprojet à l'IN 25» plutôt que de signaler qu'il s'agissait du «contreprojet à l'IN 25 pour le droit au logement»?
RÉPONSE DU CONSEIL D'ÉTAT
du 16 février 1994
Il est exact que, prise pour elle-même, et hors de tout contexte, une question posée à l'électeur peut paraître obscure ou, à tout le moins, abstraite.
Ce texte doit être en effet repris de la loi votée par le Grand Conseil tel qu'il est publié dans la Feuille d'avis officielle.
Dans le cas qu'évoque M. Ch. Ferrazino, député, le texte de la question n° 9 du bulletin de vote est identique à celui du projet de loi constitutionnelle voté par le Grand Conseil:
«Projet de loi constitutionnelle modifiant l'article 10 A de la constitution de la République et canton de Genève (contreprojet à l'initiative 25) (A 2 1)»
Ce texte ne comportait pas l'adjonction souhaitée par M. Ch. Ferrazino «pour le droit au logement».
Heureusement les citoyens et citoyennes appelés à se prononcer lors d'une votation disposent - en plus de leur bulletin de vote - de nombreuses sources d'information pour savoir sur quoi portent précisément les questions soumises à la votation.
Ils disposent tout d'abord, à domicile et avec leur matériel de vote, de la brochure explicative qui les informe complètement sur chacun des objets soumis à la votation; ils prennent en outre connaissance, à travers les articles de presse et par les affiches électorales, de la position des partis et groupements intéressés. Les radios, notamment les radios locales, et la télévision ont également pour vocation d'informer les électeurs des sujets électoraux et, en l'espèce, le droit au logement visé par la question n° 9 de la votation du 28 novembre 1993, a fait l'objet d'un très vaste débat.
On peut dès lors légitimement penser que les électeurs qui ne se sont pas prononcés sur cette question n'ont pas été essentiellement déroutés par l'intitulé de la question, mais par leur abstention, ont exprimé leur doute quant au contenu de la loi constitutionnelle qui leur était soumise.
Ce point de vue paraît d'ailleurs corroboré par le nombre de bulletins blancs recueillis, par exemple, le 16 février 1992, alors que le libellé de la question posée était conforme au voeu de M. Ch. Ferrazino:
«Acceptez-vous le projet de loi constitutionnelle créant un article 10 A de la constitution de la République et canton de Genève (droit au logement)?»
Q 3512
de Mme Claire Torracinta-Pache (S)
Dépôt: 3 décembre 1993
Fonctionnaires et liberté d'établissement
Considérant
- l'article 45 de la constitution garantissant la liberté d'établissement à tout citoyen suisse;
- l'obligation de domicile prévue à l'article 13 de la loi genevoise relative au personnel de l'administration cantonale et des EPM;
- qu'en période de difficultés budgétaires, l'intérêt fiscal prévaut fréquemment lors de réponses négatives à des demandes de dérogation;
- que dans un arrêt rendu le 19 octobre 1992 et donnant raison à un recourant, le Tribunal fédéral a rappelé que l'intérêt fiscal n'était pas décisif et que seuls des impératifs de service justifiaient que le fonctionnaire garde son domicile sur le canton,
ne serait-il pas utile que le Conseil d'Etat redéfinisse sa position à ce sujet et informe les autorités compétentes (directions, commissions administratives) de l'interprétation qu'il entend voir donner à notre loi, eu égard aux considérants du Tribunal fédéral? Ou, le cas échéant, qu'il envisage une modification de la loi?
RÉPONSE DU CONSEIL D'ÉTAT
du 7 mars 1994
Bien qu'il s'agisse d'un droit fondamental dont bénéficie, en principe, tout citoyen suisse en vertu de l'article 45 de la constitution fédérale, il y a lieu de rappeler que les restrictions à la liberté d'établissement des fonctionnaires figurent, historiquement, parmi les plus anciennes et que la majorité des cantons, ainsi que la Confédération, imposent à leurs fonctionnaires une obligation de résidence.
En ce qui concerne le canton de Genève, les restrictions à la liberté d'établissement sont connues depuis fort longtemps puisque l'obligation de résidence découlait déjà d'un règlement sur le statut des fonctionnaires de l'administration cantonale datant du 6 juillet 1928 et qu'elle figure dans les règlements ultérieurs (notamment, nouvelles teneurs des 2 juillet 1939, 23 juin 1966, 1er novembre 1973, 22 juin 1977).
Ces normes instauraient une obligation générale de résidence et ne prévoyaient, dans l'ensemble, pas de motifs de dérogations.
Toutefois, la pénurie de logements et les difficultés de recrutement du personnel incitèrent les autorités d'alors à en suspendre l'application jusqu'à une époque assez récente.
En effet, ce n'est qu'à partir de 1976 que les autorités décidèrent de modifier leur pratique en matière de domiciliation et d'appliquer strictement les normes y relatives en raison d'une détente sur le marché du travail et sur celui du logement.
Dès 1980, le Tribunal fédéral dégage 3 critères permettant de limiter un droit fondamental:
1. une base légale figurant dans une loi formelle;
2. répondant à un intérêt public prépondérant;
3. respectant le principe de la proportionnalité.
Dès lors, et jusqu'à l'adoption de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale et des établissements publics médicaux (ci-après B 5 0,5) du 15 octobre 1987, les autorités de l'époque commencèrent à assouplir leur pratique afin de tenir compte des situations dans lesquelles il s'avérait indispensable de prévoir une dérogation à l'obligation de domicile (motifs personnels ou familiaux sérieux, acquisition d'un logement antérieure à l'engagement).
Ces motifs figurent d'ailleurs dans la loi B 5 0,5 susmentionnée car, tout en constituant la base légale nécessaire pour limiter la liberté d'établissement, l'article 13 B 5 0,5 prévoit également qu'il peut être dérogé à l'obligation de domicile pour tenir compte:
- de la propriété d'immeubles antérieure à l'engagement;
- de contraintes familiales graves;
- du taux d'activité réduit;
- de la fin prochaine des rapports de fonction d'un membre du personnel,
notions qui ont été élargies ensuite par la pratique puisque, à titre d'exemple, l'acquisition par voie successorale ou de donation a été assimilée à la «propriété d'immeubles antérieure à l'engagement».
Quant à l'intérêt fiscal, le Tribunal fédéral l'a abordé, à diverses reprises, sous l'angle du deuxième critère permettant de restreindre un droit fondamental, soit celui de l'intérêt public.
Si, dans un arrêt datant de 1980, le Tribunal fédéral a considéré que des motifs d'ordre fiscal pouvaient aussi justifier l'obligation de domicile, il ressort clairement de l'arrêt du 29 octobre 1992 que la liberté d'établissement ne saurait être limitée «pour des raisons fiscales sous-jacentes».
C'est dans le cadre de l'examen de la proportionnalité, soit le troisième et dernier des critères dégagés pour le Tribunal fédéral, qu'il s'impose d'examiner les intérêts publics et privés en présence.
Compte tenu de l'évolution de la jurisprudence du Tribunal fédéral et de l'arrêt du 29 octobre 1992, les fonctionnaires chargés de préparer les projets de décisions en matière de domiciliation sont donc amenés à effectuer une pesée de plus en plus affinée des intérêts en présence de façon à éviter des décisions qui soient contraires au principe de la proportionnalité.
En général, cette pesée des intérêts aboutit à devoir considérer l'intérêt privé comme prépondérant puisque le refus d'accorder une dérogation à l'obligation de domicile ne se justifie «que si la disponibilité nécessaire pour le service exige un domicile à proximité ou si le caractère particulier de la fonction demande que son titulaire entretienne des liens étroits avecla population locale ou soit membre de la communauté dont il assume la représentation».
Etant donné que le refus d'accorder une dérogation demeure justifié si l'intérêt public le requiert, le Conseil d'Etat n'envisage pas de modifier l'article 13 B 5 0,5.
Cependant, il est incontestable que nous nous dirigeons vers une libéralisation plus grande encore, tant il est vrai, aussi, que les facilités de transports ont considérablement accru la mobilité du personnel qui n'hésite plus à rechercher un cadre de vie et un logement au-delà des frontières cantonales.
Cette évolution impose donc au Conseil d'Etat de trouver des accords avec les cantons voisins, ce d'autant que cette problématique existe un peu partout en Suisse.
C'est pourquoi la Conférence des chefs des départements des finances romands a décidé d'élaborer un projet de concordat intercantonal pour régler cette question.
Q 3513
de M. Jean Spielmann (AG)
Dépôt: 28 janvier 1994
Sécheron, Noga Invest SA et le Conseil d'Etat
Au printemps 1989, la société ABB a vendu à la société Noga Invest SA à un prix hautement spéculatif les terrains dont elle était propriétaire à Sécheron. Cette opération immobilière fut précédée d'un échange foncier entre la société ABB et l'Etat de Genève, lequel a cédé à la société multinationale un terrain d'environ 24 000 m2 de surface à Meyrin en contrepartie de la restitution de la parcelle 4125 de 18 500 m2 cédée en son temps aux Ateliers de Sécheron et qui était grevée d'un droit de réméré au profit de l'Etat.
Bien que Noga Invest SA soit propriétaire de près de 45 000 m2 de terrain dans la zone industrielle de Sécheron, cette société a prétendu que la parcelle 4125 est la seule où elle pourrait construire une nouvelle usine pour la société Sécheron SA. Le Conseil d'Etat a accepté de céder cette parcelle en droit de superficie à la société Noga Invest SA à des conditions incroyablement complaisantes puisque le Conseil d'Etat a admis pour cette parcelle une valeur dix fois inférieure au prix des terrains industriels payé par Noga Invest SA!
L'autorisation de construire délivrée en novembre 1992 à Noga Invest SA pour l'usine de Sécheron SA n'ayant pas été renouvelée, elle est périmée et le chantier ne peut pas être ouvert. Le projet doit donc être considéré comme abandonné.
Le Conseil peut-il préciser:
1. quelles sont les garanties qu'il a obtenues de Noga Invest SA que celle-ci réaliserait concrètement son projet avant de lui céder la parcelle 4125?
2. s'il a prévu une clause de restitution de la parcelle 4125 à l'Etat dans l'hypothèse où Noga Invest SA ne réaliserait pas son projet?
3. dans cette hypothèse, va-t-il exiger la restitution de cette parcelle dans les plus brefs délais, tant il est évident que l'Etat a été abusé dans cette affaire?
4. si Noga Invest SA est à jour avec le paiement des intérêts dus sur le prêt que lui a consenti la Banque Cantonale pour les terrains de Sécheron, question restée sans réponse depuis juin dernier?
RÉPONSE DU CONSEIL D'ÉTAT
du 16 février 1994
Notre Conseil estime que les quatre questions précises posées par M. Jean Spielmann n'ont d'objet que dans la mesure où le chantier de construction de la nouvelle usine de Sécheron SA n'aurait pas été ouvert.
Or, le chantier est en cours. A cet égard, notre Conseil réfute la thèse de M. Jean Spielmann selon laquelle l'autorisation de construire délivrée en novembre 1992 à Noga Invest SA serait caduque en sorte que le chantier ne pourrait pas être ouvert.
En réalité, le département des travaux publics a reçu, le 1er novembre 1993, une déclaration d'ouverture de chantier, qui a été suivie d'effet.
Outre les réunions qui ont eu lieu sur place en vue de la mise au point de l'organisation du chantier, la première halle (anciennement halle des trolleys) a été démolie, les abattages d'arbres ont été effectués et divers travaux d'aménagement extérieurs engagés.
Au vu de ce qui précède, notre Conseil estime qu'il n'y a pas lieu d'entrer en matière sur l'éventuelle restitution de la parcelle en cause à l'Etat, ni sur les conditions, cas échéant, d'une telle restitution.
12. Rapports de la commission de grâce chargée d'étudier les recours en grâce suivants :
M. D. J.-M. , 1966, Vaud, jardinier.
M. Jean-Philippe de Tolédo (R), rapporteur. M. D. J.-M. est né à Bex, le 2 avril 1966. Il est serrurier, célibataire, sans domicile fixe. Présentement, il est en détention à la maison d'arrêts de Favra à Genève et sa sortie est prévue pour le 20 juillet 1994.
Entre 1984 et 1991, M. D. J.-M. a été condamné dix fois, notamment pour des infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants. Il a fait plusieurs séjours en prison et il a été libéré en janvier 1992. Entre mai et juillet de la même année, il commet de nouveaux délits : vol, brigandage, infraction à la loi fédérale sur les stupéfiants. Il est alors condamné à quatre mois de prison. Cette nouvelle condamnation provoque la réintégration du condamné pour solde de sa peine, soit un an, un mois et sept jours d'emprisonnement, donc jusqu'au 20 juillet 1994.
En janvier 1994, M. D. J.-M. demande sa grâce en invoquant son état de santé incompatible avec le solde de sa peine, soit six mois. A l'heure actuelle, il lui reste quatre mois à faire. Il se plaint, en effet, d'une lombalgie et fait état de sa séropositivité. Le procureur général donne un préavis négatif, car aucun fait nouveau n'est apparu. En effet, il connaissait sa séropositivité avant de commettre les derniers délits. Pour ses autres affections, M. D. J.-M. est suivi par un médecin qui confirme que son état de santé est médiocre, mais stable.
En conséquence, la commission vous recommande le rejet du recours.
Mis aux voix, le préavis de la commission (rejet du recours) est adopté.
MM. P. G. et S. J.-D., viticulteurs.
M. Laurent Moutinot (S), rapporteur. Le 1er juin 1990, MM. P. G. et S. J.-D. demandaient l'autorisation de démolir un mur situé à Peney pour favoriser l'extension de leurs vignes. En raison des caractéristiques historiques et écologiques de ce mur, l'autorisation leur a été refusée le 29 janvier 1991. Cinq jours plus tard, les recourants détruisaient le mur, mais, suite à une intervention rapide du département des travaux publics, un ordre d'arrêt des travaux a été donné. Le machiniste chargé de détruire le mur est donc rentré. Néanmoins les recourants ont tout de même terminé eux-mêmes le travail, de sorte que le mur a été définitivement démoli !
Le 17 février 1991, les recourants se sont adressés à la commission de recours LCI contre le refus d'autorisation. Ils ont reçu du département des travaux publics deux amendes, de 30 000 F chacune, et l'ordre de reconstruire le mur.
Dans un premier stade, la commission de recours LCI a autorisé la démolition déjà effectuée, ce qui fait que l'ensemble du litige a été porté devant le Tribunal administratif par un recours du département et par un recours de MM. P. G. et S. J.-D.. L'arrêt du Tribunal administratif refuse l'autorisation de démolir, ordonne la reconstruction du mur ou, en tout cas, la reconstitution d'un biotope et réduit les amendes à 25 000 F chacune. Le Tribunal administratif a considéré que les fautes de MM. P. G. et S. J.-D. étaient très graves d'un point de vue subjectif, notamment du fait qu'ils sont récidivistes, même si la gravité de la faute était considérée comme moyenne, compte tenu des travaux effectués.
MM. P. G. et S. J.-D. ont fait recours auprès du Tribunal fédéral, lequel, en date du 21 janvier 1993, a rejeté ce recours, confirmant entièrement la décision du Tribunal administratif de Genève.
Dans leur recours en grâce, MM. P. G. et S. J.-D. allèguent deux motifs. D'une part, ils persistent à minimiser la portée de leur acte en affirmant leur bon droit, et, d'autre part, ils prétendent qu'il s'agit d'une querelle de personnes entre M. Christian Grobet et eux. Aucun fait nouveau n'est invoqué, ni aucun regret, bien au contraire ! Le département leur a infligé par la suite de nouvelles amendes pour n'avoir toujours pas reconstruit le mur démoli ou reconstitué le biotope.
Le préavis de la commission propose le rejet du recours. Même si les rapports ont été tendus entre les recourants et M. Christian Grobet, cela n'excuse en rien la faute, ce d'autant plus que le litige a été jugé par toutes les instances cantonales et par le Tribunal fédéral. Dans la pétition 896, le Grand Conseil avait déjà eu l'occasion de se prononcer en termes sévères à l'égard du comportement de MM. P. G. et S. J.-D.. Voilà les raisons du préavis négatif de la commission.
Mis aux voix, le préavis de la commission (rejet du recours) est adopté.
M. Y. F. .
Mme Janine Hagmann (L), rapporteuse. M. Y. F. est né en 1962 et il est originaire de Tunisie. Son cas a déjà été traité deux fois dans ce Grand Conseil, les 3 décembre 1992 et 13 mai 1993. Par deux fois sa demande de grâce a été rejetée.
Son épouse intervient encore une fois en demandant au Grand Conseil d'octroyer à M. Y. F. la remise totale de la mesure d'expulsion valable au 17 juin 1995. Ses arguments sont compréhensibles, car la séparation d'avec son mari lui est pénible. Le couple qui s'entend bien, malgré une grande différence d'âge, aimerait vivre ensemble à Genève, où Mme S.-Y. a un emploi intéressant.
M. Y. F. réside actuellement en Tunisie. Jusqu'en 1990, celui-ci s'appelait B., puis il a légalement changé d'identité. Au mois de juin 1990, il a commis de menus larcins : vol à l'étalage dans un grand magasin pour un montant de faible valeur. Pour cette raison, il a été condamné à quinze jours d'emprisonnement, condamnation assortie de trois ans d'expulsion judiciaire et d'une interdiction d'entrer sur le territoire suisse, valable jusqu'en 1997.
Au mois de septembre 1990 - donc la même année - il fut condamné une deuxième fois, pour rupture de bans et pour falsification de livret C, à deux mois d'emprisonnement. Son expulsion fut alors portée de trois à cinq ans. C'est sous sa nouvelle identité que M. Y. F. s'est marié en 1991. Il était évidemment inconnu des services de police en raison de son nouveau nom. Il s'est marié à une ressortissante italienne habitant Genève. Il obtint ainsi un permis B. Suite à une dénonciation, M. Y. F. fut condamné une troisième fois en 1992 pour rupture de bans et expulsé de Suisse.
Vu que l'intérêt public du respect des décisions de justice l'emporte sur la situation personnelle, qu'aucun élément nouveau apporté au dossier ne justifie une appréciation différente, que le préavis du procureur général est négatif, la commission de grâce vous recommande et vous invite à rejeter le troisième recours en grâce de M. Y. F..
Mis aux voix, le préavis de la commission (rejet du recours) est adopté.
M. A. M. , 1943, France, technicien en chauffage, recourt contre le solde des peines, soit dix-huit mois et six jours d'emprisonnement.
Mme Barbara Polla (L), rapporteuse. M. A. M. est âgé de 51 ans. Il est français, actuellement sans profession, divorcé. Ses trois enfants ont 30, 25 et 22 ans. Il a été condamné pour faux dans les titres, abus de confiance, escroquerie, faux témoignages, acquisition et circulation de fausse monnaie, cela respectivement en 1975 et en 1982. En 1982 et 1988, il a été condamné pour infraction à la loi fédérale sur la circulation routière et, en particulier, pour conduite en état d'ivresse.
En avril 1988, suite à la dernière infraction pour conduite en état d'ivresse, la commission de libération conditionnelle prononce la réintégration du recourant pour le solde des peines, soit un an et sept jours. Il s'agit à l'heure actuelle du sixième recours en grâce de M. A. M.. Les précédents ont eu lieu en 1982, 1983, 1988, 1989 et 1991 et ils ont tous été rejetés. Le dernier, celui de 1991, a été assorti d'une interdiction de déposer un nouveau recours en grâce, interdiction qui échut le 18 janvier 1992.
Le motif du recours en grâce qui nous préoccupe aujourd'hui est le même que celui du dernier en date, à savoir le désir de M. A. M. de se rapprocher de sa famille. Je vous rappelle que M. A. M. habite St-Julien, alors que sa mère et ses trois enfants habitent Genève. Aucun événement nouveau n'est apparu depuis le dernier recours en grâce et le recourant n'invoque aucune autre raison pour déposer ce nouveau recours. De ce fait, la commission, à l'unanimité, vous recommande le rejet de ce recours.
Mis aux voix, le préavis de la commission (rejet du recours) est adopté.
Le président. Est parvenue à la présidence la candidature de M. Pierre Martin-Achard.
M. Pierre Martin-Achard est élu tacitement.
Le président. Est parvenue à la présidence la candidature de M. Patrick Blaser, présentée par le parti radical.
M. Patrick Blaser est élu tacitement.
Le président. Est parvenue à la présidence la candidature de M. Jean Grob, présentée par le parti démocrate-chrétien.
M. Jean Grob est élu tacitement.
Mme Fabienne Blanc-Kühn (S). Des informations parues dans la presse d'hier et une lettre émanant du président de la Conférence romande des affaires sanitaires et sociales, M. Philippe Pidoux, rapportent que les cantons de Fribourg, du Jura, de Neuchâtel, du Valais et de Vaud ont pris les décisions suivantes :
- attribuer une allocation de stage de 4 800 F par an pour les étudiantes de 1994;
- faciliter l'accès aux bourses de formation;
- coordonner les conditions générales dans les cantons romands.
J'aimerais savoir pourquoi Genève n'applique pas ces décisions et, au cas où ce refus serait maintenu, si le canton de Genève va quitter la convention concernant le financement de la formation aux professions de la santé et précisant le statut d'étudiant, convention signée par les représentants de notre canton.
Le président. La réponse à cette interpellation aura lieu au point 41 bis.
Mme Mireille Gossauer-Zurcher (S). Le Conseil d'Etat peut-il me dire pour quelle raison il n'a pas encore nommé les membres des commissions extraparlementaires, alors que ces dernières devraient être en fonction depuis le 1er mars ?
Faut-il comprendre que le Conseil d'Etat ne veut plus recevoir de suggestion de candidatures présentées par les partis politiques, pratique appliquée depuis plusieurs années à la satisfaction de tous ?
Enfin, quelle politique le Conseil d'Etat entend-il mener en ce qui concerne les commissions administratives extraparlementaires ?
Le président. Si je vous comprends bien, Madame, cette interpellation s'adresse au Conseil d'Etat dans son ensemble. La réponse interviendra au point 51 bis.
Je salue à la tribune du public la présence des classes de l'école des arts et métiers pour leur cours de civisme, sous la conduite de Mme Bénédicte Pivot.
Débat
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Ce dossier concernant le journal «La Suisse» est une bataille pour l'emploi. Pour l'emploi dans le domaine de la presse au service de la plus grande diversité possible, dans l'industrie et, en particulier, dans un secteur qui est touché par de grandes difficultés, celui des arts graphiques, ainsi que dans les services, notamment dans le secteur de la distribution.
Vous le savez, le Conseil d'Etat s'est engagé dans cette bataille depuis bien des mois, et nous avons déjà eu l'occasion de vous donner un certain nombre d'indications et d'informations à propos de la résolution de Mme Torracinta-Pache, de l'interpellation de M. Vanek et, plus récemment, de la motion 901 à laquelle répond le rapport que vous avez reçu sur vos bureaux.
Depuis plusieurs semaines - les événements sont effectivement allés en s'accélérant au cours de ces derniers jours - le Conseil d'Etat, soit in corpore, soit en délégation, a travaillé d'arrache-pied sur ce dossier, sur les différents projets soumis - le rapport que vous avez sous les yeux en fait mention - cela dans un contexte délicat. En effet, le Conseil d'Etat n'a pas de pouvoirs en la matière, et il n'entend pas se substituer aux commissaires au sursis qui sont compétents et qui sont crédibles. Il s'agit de MM. Grosbéty, Winkelmann, et notre ancien collègue M. Ziegler. D'un autre côté, le Conseil d'Etat est techniquement dans une situation délicate puisqu'il ne dispose pas, dans l'administration cantonale, des compétences nécessaires pour juger, comme le ferait un banquier ou un investisseur, de la viabilité d'un projet de presse.
C'est la raison pour laquelle le Conseil d'Etat a mandaté un expert qui a eu pour mission de se prononcer sur le premier projet, qui nous avait été soumis après notre intervention pour, précisément, en obtenir un, car jusque-là, en effet, on parlait de possibilités ou d'avant-projets sans rien de concret. Ce projet, reçu le 14 mars, a été immédiatement transmis à l'expert, puis aux commissaires au sursis et ensuite à la Banque cantonale pour y être analysé avec le plus grand sérieux. Vous savez que ce projet, que d'aucuns avaient décrit - certains l'avaient même écrit - comme étant viable a été taxé de «tragiquement irréaliste» par l'expert. Cette formule a d'ailleurs été reprise.
Ce projet aura eu ceci de positif qu'il a amené l'expert à entrer en contact avec les membres de la coopérative. Sur la base de ses conseils, un deuxième projet a été mis en oeuvre. Par ailleurs, le Conseil d'Etat, et en particulier mon département, a cherché à réaliser les conditions nécessaires pour que l'étude de ce deuxième projet puisse être faite normalement, notamment en disposant du temps supplémentaire qui était d'ailleurs demandé par la coopérative, mais surtout en permettant au personnel de Sonor d'être payé. Nous avons obtenu de l'OFIAMT les possibilités d'indemnisation pour chômage technique, c'est-à-dire une réduction du temps de travail, ce qui a permis au personnel de Sonor d'être payé pendant un certain laps de temps. Sans cela, les commissaires au sursis auraient probablement été contraints de décréter, ou de demander au juge, la révocation du sursis concordataire et de prononcer la faillite immédiate de Sonor.
Le deuxième projet, analysé par l'expert, n'a pas été avalisé par lui. Par ailleurs, la Banque cantonale de Genève l'a étudié avec rigueur et en toute indépendance sur la base du projet et des chiffres dont elle disposait - sans se fonder sur le rapport de l'expert - et vient de faire savoir aux commissaires au sursis - qui nous l'ont communiqué immédiatement - qu'elle ne pouvait pas non plus entrer en matière sur ce deuxième projet. Alors, le Conseil d'Etat, ce soir, ne peut que prendre acte de cette expertise sur ce deuxième projet de la coopérative, puisque c'est celui dont on parle le plus.
Cela nous amène à poser une simple question - que nous avons du reste déjà posée aux commissaires au sursis : les commissaires au sursis peuvent-ils accepter un projet déclaré non viable par l'expert, alors que l'offre, qui leur a été transmise de reprendre certains actifs et qui est déterminante pour le maintien d'un sursis concordataire, ne permet pas de payer les salaires, soit les créances privilégiées, ni les arriérés de cotisations à la caisse de retraite ? Ce projet, de surcroît, ne sauvegarde pas les emplois dans les arts graphiques, puisque la publication ne serait pas effectuée à Genève.
Ce soir, le Conseil d'Etat tient à vous faire part de son immense déception. Nous sommes amers de ne pas avoir obtenu un projet et il faut bien constater, en termes d'emplois, que nous avons reculé. Tous les employés de Sonor SA, soit les trois cents employés au sens strict, plus les cent quarante personnes qui travaillaient pour le compte du CITP, ont reçu une lettre de congé à la suite des instructions des commissaires au sursis. Par ailleurs, les emplois de la société Epsilon sont en danger. Certes, pour des motifs parfaitement compréhensibles, celle-ci a cherché à rassurer sa clientèle en indiquant que la substance même de la société n'était pas en danger. Nous voulons bien prendre note de cette appréciation optimiste, mais nous savons cependant qu'en tout état de cause la situation de ce soir conduit à mettre, très directement, au moins trente postes en jeu chez Epsilon et vingt-cinq chez Interville.
Ce soir, quatre cent quarante emplois sont perdus ou menacés au CITP et chez Sonor. En comptant ceux de Epsilon et d'Interville, on arrive à quatre cent nonante-cinq. Ce sont presque cinq cents emplois qui sont en jeu ! Qu'il me soit permis de rappeler ici - pour que vous ayez une vision complète de la situation - qu'au moment où nous débattions devant ce Conseil de la motion, Edipresse offrait de rapatrier l'impression de «La Tribune» à Genève, ce qui aurait permis d'assurer la sauvegarde de cent quarante emplois au CITP, de publier «La Suisse» sur la base d'une publication hebdomadaire, le dimanche, et de sauver entre vingt et vingt-cinq emplois chez Sonor. Par ailleurs, la société Interville aurait pu être maintenue. La société Epsilon, quant à elle, aurait été non seulement maintenue mais ses effectifs auraient augmenté.
Ce soir, le gouvernement vous dit clairement qu'il est urgent - comme nous l'avons proposé hier et comme nous en avons discuté avec le président de la coopérative - de créer les conditions pour qu'un tour de table réunissant toutes les parties soit organisé afin que, tous ensemble, nous décidions de mettre un garrot à cette véritable hémorragie. Genève doit agir, étant donné le contexte que nous connaissons dans le domaine de l'emploi et du chômage !
Aujourd'hui, les conditions pour permettre un tel tour de table ne sont pas réunies, malgré nos efforts, car nous n'avons pas obtenu la garantie d'une sérénité suffisante et nécessaire à son bon déroulement. Cela permettrait une véritable communication, «les armes remises dans le fourreau» ! Nous sommes très inquiets, car nous constatons une escalade dans les déclarations pour le moins belliqueuses, alors que l'expert reconnu par tous au moment de sa désignation - et même encensé par d'aucuns - se trouve aujourd'hui décrié. Il y a transfert du débat de Genève à la Chaux-de-Fonds. En l'état, ce qui se passe là-bas ne nous concerne pas. Revenons donc à Genève ! Retroussons-nous les manches pour créer de véritables conditions propices à stopper cette hémorragie ! C'est la seule chose que le Conseil d'Etat vous demande, pour le moment !
Mme Liliane Charrière Urben (S). Nous avons entendu beaucoup d'exclamations, telles que : «La Suisse va mourir !», «La Suisse doit revivre !», «Tenez bon !», «Nous sommes avec vous !»... Elles viennent d'inconnus, de passants, de lecteurs occasionnels ou assidus de «La Suisse». Des messages de cette veine, vous les avez tous entendus ! Mais des hommes et des femmes politiques de bords différents ont également soutenu la lutte du personnel de «La Suisse». Leurs cris du coeur sont aussi des cris de la raison lorsqu'il s'agit de sauver la pluralité de la presse. Ils ont pour noms : Jean-Pascal Delamuraz, Peter Tschopp, Robert Ducret, Françoise Saudan, et j'en passe. Tous, à leur manière, se sont exprimés pour que la raison du plus fort ne soit pas la meilleure.
Il y a quinze jours, ici même, le Conseil d'Etat a dressé un sombre tableau de la situation de «La Suisse», nous assurant de sa préoccupation et de sa constante recherche de solutions. A ses yeux, le seul sauveur possible alors était Edipresse, qui, dans sa magnanimité, voulait bien condescendre à sortir - il est vrai - quelque 5 millions de son escarcelle à condition que ce petit concurrent du bout du lac, «La Suisse», puisqu'il faut l'appeler par son nom, ait la décence de bien vouloir «crever» vite et bien, tout en disant merci !
D'informations sur la Coopérative des Savoises récemment créée : rien à cette époque. Du refus de mourir ou de capituler de la part du personnel, du porteur au journaliste confirmé, de leur engagement, de leurs motivations, de leur mobilisation, de leurs nuits sans sommeil : rien ! Pas un mot ! Comment comprendre, interpréter cet oubli, ce silence d'alors, quand, par ailleurs, on ne cesse de dire aux gens en difficulté qu'ils doivent faire preuve de dynamisme et d'inventivité ? Cette solution novatrice était incomplète, c'est vrai, mais elle était perfectible. Il est bien facile de comprendre qu'on ne pouvait pas mettre au point un projet qui soit parfait en quarante-huit heures.
Pourquoi le Conseil d'Etat a-t-il alors ignoré la coopérative ? Dans l'intervalle, il est vrai que, pris de remords, le Conseil d'Etat s'est ravisé et a fait appel à un expert, indiquant par là sa volonté d'impartialité. L'expert devait rendre sa copie mercredi soir. Dans le même temps, une expertise était effectuée par une fiduciaire connue et reconnue sur la place. Pourtant, quelle ne fut pas ma surprise en lisant dans le «Journal de Genève», mardi déjà - l'interview a donc certainement eu lieu la veille - les phrases suivantes, je cite :
«Ils ont les traits tirés, Mme Brunschwig Graf, MM. Philippe Joye et Gérard Ramseyer ! Dix jours au chevet de «La Suisse», ça éprouve !».
«Le problème avec «La Suisse» est que si l'Etat lui apporte des fonds ou même seulement une caution morale, d'autres entreprises genevoises nous en demanderont autant, à commencer par les taxis - je ne vois pas pourquoi les taxis ! - tout Genève sollicitera des prêts de la CIA !».
Premier étonnement : dix jours au chevet de «La Suisse» ? Ah, bon ! Chevet fantomatique, alors, car on ne les a guère vus à la rue des Savoises, pas plus qu'aux différentes réunions du personnel. Pourtant cette affection toute particulière du Conseil d'Etat pour «La Suisse» aurait été très appréciée par les principaux intéressés - ceux qui font le journal - ne serait-ce que pour témoigner en personne du soutien du Conseil d'Etat et de sa préoccupation de maintenir le pluralisme de la presse. Etre au chevet des gens à distance, c'est une forme d'assistance et de compassion qui m'est parfaitement incompréhensible. Je ne suis certainement pas la seule. Tous ceux qui ont dû accompagner des personnes en fin de vie savent bien que seule une présence effective est d'un quelconque secours.
Deuxième étonnement, lorsque je lis, je cite : «que si l'Etat lui apporte des fonds ou même seulement une caution morale...». C'était probablement lundi soir déjà que trois conseillers d'Etat indiquaient clairement à des journalistes que leur opinion était faite. Ils n'ont même pas fait semblant d'attendre l'avis des experts pour rendre publique leur décision ! Il est vrai qu'il s'agissait de trois conseillers d'Etat sur sept; cela peut laisser supposer que les quatre autres réfléchissaient encore ! Puis, mercredi, le verdict est tombé. Le Conseil d'Etat suit le point de vue de l'expert Baillod et renoue avec Edipresse, si tant est que les liens aient jamais été rompus entre eux !
Comment peut-on prendre une décision aussi lourde de conséquence, apporter sa caution, son soutien, à une solution «toile d'araignée» et remettre la quasi-totalité de la presse francophone dans les mains du monopole d'Edipresse ? Comment qualifier les agissements d'Edipresse, qui pose comme condition au rapatriement de l'impression de la «Tribune de Genève» à Vernier que «La Suisse» sous n'importe quelle forme disparaisse ? Peut-on parler d'euthanasie d'un journal ou de suicide assisté ? Comment qualifier cet abus de pouvoir économique, sinon d'«odieux chantage» ? Genève est-elle la banlieue de Palerme, de Naples ? Est-ce Chicago 1930 ? Si c'était un film, il serait de «série B» !
Ce n'est pas seulement la députée du parti socialiste qui s'indigne et proteste, c'est la population genevoise toute entière ! Celle qui a l'esprit vif et frondeur, c'est la Ville basse, c'est la Ville haute, ce sont les Genevois qui veulent pouvoir continuer à choisir la presse qu'ils lisent, à disposer des journaux qu'ils aiment, qui ne veulent pas d'une presse qui va prendre ses ordres ailleurs ! Quant à l'expert, dit «impartial», qu'allait-il faire dans cette galère, le pauvre, sachant combien il se débat lui-même pour sauver son propre journal, et combien il est pris à la gorge par une pieuvre aussi habile que celle qui tente d'étouffer «La Suisse» - à moins que ce ne soit la même ? Ses soupirs ne m'inspirent que dédain !
Par contre, j'aimerais comprendre et savoir pourquoi ni les commissaires au sursis - mais ils ne sont pas là pour répondre - ni le Conseil d'Etat ne font mention et ne tiennent compte des avis des experts fiduciaires. Nous savons tous que, par prudence naturelle, un comptable, un expert financier ne sont guère enclins à donner des avis lyriques et emphatiques. Or, ces experts disent eux-mêmes que le plan financier est raisonnable, fiable et que l'on peut s'engager sur la voie préconisée par la coopérative. Comment le Conseil d'Etat se situe-t-il après cette analyse digne de foi ?
Certes, choisir la diversité de la presse, c'est choisir la «liberté»... (Mme Charrière Urben appuie sur le mot liberté.) ...de la presse, c'est aussi choisir la voie la plus difficile. Gardons-nous d'une presse peut-être plus grasse, au plus bel embonpoint, mais qui aurait une marque au cou, comme le chien de la fable ! Celui-ci disait au loup : «Le collier dont je suis attaché de ce que vous voyez est peut-être la cause.». Le loup lui rétorquait : «Attaché ? Vous ne courez donc où vous voulez ?». Pour parodier le mot «attaché», je dirai : «Vous n'écrivez donc ce que vous voulez ?».
Messieurs du Conseil d'Etat, arrêtez avec les pirouettes et les larmes de crocodile ! Prenez votre courage et aidez «La Suisse» et la coopérative ! (Applaudissements.)
M. Chaïm Nissim (Ve). Je ne suis pas économiste, je ne peux donc rien dire sur le marché, s'il existe ou non.
Je ne peux rien dire sur le volume de la pub...
Des voix. Alors, assieds-toi, Nissim !
M. Chaïm Nissim. Attendez, je vais quand même dire quelque chose pour finir !
Je ne peux rien dire sur le volume de la pub que l'on peut espérer pour un tel journal, ni si sa direction est stable et formée. Néanmoins, je voudrais poser une simple question à M. Jean-Philippe Maitre et peut-être à M. Claude Haegi, puisque, apparemment, ce sont les deux conseillers d'Etat qui se sont le plus occupés de ce dossier. Tout à l'heure, j'assistais à une conférence de presse au cours de laquelle j'ai entendu plusieurs intervenants dire que vous n'avez jamais téléphoné, que vous ne vous êtes jamais déplacés pour voir le personnel de la coopérative et que, même, vous n'avez jamais posé de questions à propos des différents projets qui vous ont été soumis. Or, je vous ai entendu, vous, Monsieur Jean-Philippe Maitre, prétendre que vous en aviez parlé avec le président de la coopérative !
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. On l'a reçu à plusieurs reprises !
M. Chaïm Nissim. Alors, ça m'intéresse beaucoup parce que cela signifie...
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Je n'ai pas cessé d'être en contact !
M. Chaïm Nissim. C'était ma question !
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Eh bien, vous avez la réponse !
M. Dominique Hausser (S). Messieurs du Conseil d'Etat - puisque Madame est absente - vous avez remis un rapport qui est un véritable catalogue d'éléments. Votre rôle de secrétariat est excellent !
Combien de temps, Messieurs du Conseil d'Etat, comptez-vous jouer encore à l'autruche ? Vous le savez, depuis le 17 septembre 1993 - et vous l'avez rappelé - un membre de ce Conseil d'Etat a signé la résolution votée, à cette date, par ce parlement à l'unanimité, résolution qui demandait d'intervenir efficacement pour tenter de trouver une solution permettant la survie du quotidien «La Suisse». C'était il y a plus de six mois !
Messieurs du Conseil d'Etat, croyez-vous vraiment que vous pouvez sans autre continuer à tromper ce parlement et la population en décrivant vos dures nuits et vos interventions, en déviant la fureur possible de cette population sur un expert extérieur ! On a demandé à cet expert d'analyser ce projet en quelques heures seulement !
Messieurs du Conseil d'Etat, vous avez sciemment choisi M. Gil Baillod après qu'il eut «pondu», le 14 mars dernier, un éditorial qui descendait en flammes le projet de la Coopérative des Savoises avant même de l'avoir vu. M. Baillod, expert ? Quelle surprise ! Il a dû mettre au chômage partiel son personnel et vendre ses parts sociales pour assurer la survie de son propre journal ! Aujourd'hui, il dépend, entre autres, pour près de 40% de Publicitas, et vous connaissez les liens existant entre Edipresse et Publicitas ! M. Baillod a les mains liées, vous le saviez ! Vous aviez le rapport de la fiduciaire mandatée par la CIA ! M. Vodoz n'était pas présent à la séance du comité du 22 mars qui a accepté de prêter les 3 millions à la coopérative, mais il a sûrement entendu les autres membres de ce comité lui rapporter l'avis positif des experts de la fiduciaire qui ont analysé, en détail et durant plusieurs jours - contrairement à M. Baillod - le projet de la coopérative.
Vous ne défendez qu'une solution, qui d'ailleurs aujourd'hui n'existe plus ! Ce n'est pas le maintien des emplois que vous défendez, contrairement à ce que vous dites ! Il vous faut une imprimerie pour «votre» journal ou pour «votre propre presse» - devrais-je dire ! le «Journal de Genève» est un journal d'opinion de droite, mais il se donne au moins la peine d'étayer ses analyses ! Depuis quelques mois, on a l'impression en lisant la «Tribune de Genève» que ce n'est pas du tout le cas ! Vous ne voulez pas d'un journal populaire qui risquerait de ne pas toujours être d'accord avec vous ! Comment cela se fait-il que vous renonciez aussi vite à vos promesses électorales de maintenir et de sauver des emplois ?
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. C'est là le problème !
M. Christian Ferrazino (AdG). En prenant connaissance du rapport oral de M. Jean-Philippe Maitre...
Une voix. M. le conseiller d'Etat !
M. Christian Ferrazino. ...de M. le conseiller d'Etat et de son rapport écrit...
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Rapport du Conseil d'Etat !
M. Christian Ferrazino. ...j'ai été étonné de voir qu'on ne fait nullement mention, même pas dans le texte - et pourtant s'ils étaient sept à rédiger ce texte, il ne devrait pas s'agir d'une erreur ! - du rapport d'expertise établi par la fiduciaire Révisuisse. Il est seulement cité.
Vous le savez très bien, Monsieur le président du Conseil d'Etat, même si ce rapport est confidentiel - c'est-à-dire qu'il n'est pas livré à la presse - il se trouve dans votre dossier et M. Vodoz le connaît tout particulièrement en sa qualité de vice-président de la CIA. Par conséquent, vous savez ce qu'il y a dans ce rapport, mais vous ne le dites pas ! Voilà ! Alors, permettez-moi de vous rappeler que ce rapport - dont on ne veut pas parler précisément - conclut que le deuxième projet déposé par la Société coopérative est, lui, parfaitement viable !
M. Claude Haegi, président du Conseil d'Etat. A quelle page ?
M. Christian Ferrazino. C'est tout à la fin, dans les conclusions. Puisque vous me demandez la page, cela confirme que vous l'avez dans les mains, Monsieur Haegi, et cela me rassure ! Si vous n'avez pas eu le temps de le lire, je vous conseille de prendre le temps de le faire !
La CIA a également étudié ce projet. Si vous ne le savez pas, je vous le rappelle : lorsque la CIA a accepté de prêter 3 millions à la coopérative, sous la réserve bien entendu d'une garantie financière, garantie qui a précisément été accordée par le Conseil municipal, elle a également conditionné ce prêt à la viabilité du projet. Vous le savez, la CIA est encore prête, aujourd'hui, à verser ces 3 millions en prêt à la Société coopérative. Vous le savez, mais vous ne le dites pas !
Vous avez seulement indiqué que la Banque cantonale, selon vous, n'était pas prête à s'engager - et vous l'avez appris seulement aujourd'hui. La Banque cantonale a toujours dit, jusqu'à maintenant, qu'elle réservait sa décision jusqu'à ce que la CIA accorde le prêt de 3 millions pour le rachat du fichier. Il faut lire cette lettre, Monsieur le président, vous l'avez dans votre dossier ! La Banque cantonale ne devait se décider qu'après en avoir la confirmation. Si vous avez une lettre disant le contraire, nous serions très surpris et nous aimerions bien en prendre connaissance !
Pour en revenir à la décision de la CIA, Monsieur le président du Conseil d'Etat, c'est précisément sur le rapport de la fiduciaire Révisuisse que la CIA confirme aujourd'hui son accord pour verser ce prêt de 3 millions ! Alors, si la CIA et les experts qui travaillent sur ce projet depuis assez longtemps sont totalement dans l'erreur, il faut nous expliquer les raisons pour lesquelles, eux, seraient dans l'erreur et vous dans la vérité.
En effet, jusqu'à maintenant qu'avez-vous fait dans cette affaire ? J'ai consulté avec intérêt, car je me suis dit que peut-être le Conseil d'Etat travaillait de façon si subtile que personne n'en avait connaissance, le rapport que vous avez établi, Messieurs les conseillers d'Etat, et je constate que votre travail a commencé, je vous cite : «depuis le prononcé du jugement du Tribunal de première instance», soit le 7 mars 1994. «Depuis lors - nous dit le Conseil d'Etat - nous n'avons cessé de nous réunir.». Bravo ! Mais aucune décision n'a été prise dans vos réunions. Votre seule décision a consisté à nommer un expert en la personne de M. Baillod, et alors là, Messieurs les conseillers d'Etat, votre décision est bonne, car elle vous permet de vous décharger de votre responsabilité sur un tiers...
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Mais quelle responsabilité ?
M. Christian Ferrazino. ...et pas n'importe quel tiers, puisque vous savez très bien, Monsieur Maitre, qu'en choisissant M. Baillod... (M. Jean-Philippe Maitre intervient.) Laissez-moi terminer ! Ne vous agitez pas comme cela, Monsieur Maitre ! (Rires et applaudissements.) Vous aurez le temps de parler ! Puissiez-vous vous agiter autant, Monsieur Maitre, pour traiter les dossiers, plutôt que lorsque nous en parlons ! (Applaudissements.)
La responsabilité que vous avez précisément reportée sur l'expert a de quoi nous laisser quelque peu songeurs. Je m'en explique. M. Baillod, dans cette affaire, a montré qu'il sortait du cadre de son mandat, car il n'a pas hésité, devant la presse et à deux reprises, à porter des jugements de valeur sur le projet de la société coopérative. Je crois qu'il n'est pas nécessaire de rappeler que lorsqu'un expert est amené à se prononcer sur un projet de budget notamment, c'est-à-dire sur des éléments financiers, on ne lui demande pas de se livrer à des jugements de valeur ! Non seulement l'expert a fait une erreur, mais il l'a faite en mentant !
En effet, M. Baillod a expliqué dans sa conférence de presse que le nouveau projet de la Société coopérative était déjà enterré, puisque la population genevoise lui aurait «scellé son sort». Il en voulait pour preuve que nombreux étaient les journaux distribués gratuitement dans les caissettes du journal «La Suisse» qui restaient non retirés en fin de journée. Il faut quand même savoir que ces contrevérités sont exprimées par M. Baillod, alors qu'il n'habite même pas notre canton et qu'il n'a pas hésité à utiliser des arguments qui sortaient - je le répète - du cadre du mandat qui lui a été confié, pour justifier de sabrer le projet de la coopérative.
Sans vouloir reprendre les propos de notre collègue Hausser, je pense qu'il est quand même utile de rappeler brièvement - c'est un secret de polichinelle dans cette République, et, si le Conseil d'Etat ne le sait pas, il suffit de lire la presse de ces derniers jours pour l'apprendre - qu'Edipresse est aujourd'hui en négociation avec Publicitas et que celle-ci est l'actionnaire, et non des moindres, de «L'Impartial». Alors ne nous dites pas que l'expert que vous avez choisi en la personne de M. Baillod n'est pas intéressé commercialement dans cette affaire ! Ne nous le dites surtout pas ! La démonstration est faite qu'au contraire l'expert incarne bien mal le titre de son journal !
Je termine cette première intervention par une question : pourquoi n'avez-vous pas pris en considération l'expertise effectuée par la fiduciaire Révisuisse, dont il a été question ? Je demande également quelles sont les démarches, puisque vous dites vous être activement souciés de ce dossier, que vous avez effectuées postérieurement au 7 mars auprès, notamment, de la Banque cantonale pour tenter d'obtenir le crédit bancaire nécessaire au projet de budget soumis par la coopérative. Je parle du deuxième projet, puisque vous avez dit vous-même, et vous l'avez rappelé dans le rapport écrit du Conseil d'Etat, avoir fait précédemment des démarches pour tenter d'obtenir une aide de la Banque cantonale dans le cadre du problème de Sonor SA.
M. Michel Balestra (L). Vous semblez aimer beaucoup le journal «La Suisse», mais manifestement vous l'aimez mal ! Le groupe libéral l'aime tout comme vous, mais je l'espère mieux, car il n'entend pas récupérer politiquement cette triste affaire ! (Des remarques fusent.)
Vous entendez respecter les efforts que le personnel de «La Suisse» a fournis et le groupe libéral respecte ces efforts tout comme vous. Vous n'imaginez pas vraiment ce que seront vos journées sans «La Suisse». Le groupe libéral ne l'imagine pas encore vraiment non plus. Vous n'aimez manifestement pas le Conseil d'Etat...
M. Pierre Vanek. C'est juste ! (Rires et applaudissements.)
M. Michel Balestra. ...mais le groupe libéral l'aime bien ! (Les réactions redoublent.) C'est là que notre analyse commence à diverger !
Plus sérieusement. Notre communauté est organisée sur la base de trois pouvoirs distincts : l'exécutif, le législatif et le pouvoir judiciaire. Le pouvoir législatif, c'est-à-dire notre Conseil, a demandé au pouvoir exécutif de mettre tout en oeuvre pour sauver un maximum d'emplois dans cette affaire en étudiant les différentes offres proposées au groupe propriétaire du journal «La Suisse», notamment l'offre de la Coopérative des Savoises. Etait-ce de notre compétence ? Etait-ce vraiment notre rôle ? Assurément non ! Mais notre parlement a bien fait de le faire, et je ne renie pas mon vote.
Le Conseil d'Etat n'a pas ménagé sa peine pour instruire ce dossier et pour nous faire un rapport sur la situation. Il avait d'ailleurs commencé bien avant que notre Conseil ne le lui demande. Etait-ce de sa compétence ? Etait-ce exactement son rôle ? Peut-être pas vraiment ! Mais notre gouvernement a bien fait de le faire. Il a bien fait également de choisir un expert impartial ou indépendant, car c'est encore moins son rôle que de jouer le rôle de l'expert pour savoir si un projet de presse est viable ou non.
Malheureusement, l'expert indépendant mandaté par le Conseil d'Etat est catégorique. Aucune des propositions de la Coopérative des Savoises n'est viable. C'est avec regret que nous en prenons acte. Certains prétendent récuser l'expert, parlent de luttes d'influence, de machination. Le groupe libéral refuse de se laisser aller aux invectives politiques. Cette affaire est purement commerciale. Un journal est un produit comme les autres... (Manifestation.) ...qui subit les pressions de l'économie. Un éditeur ou une coopérative d'édition sont des entrepreneurs comme les autres. Les mouvements de concentration se sont amorcés dans les années 60 déjà et se sont accélérés sous l'effet de la crise. Le premier rapport de la Commission des cartels date de 1969, comme l'a relevé M. Cornu, ancien rédacteur en chef de «La Tribune» dans un article consacré à cette affaire. D'ailleurs, il ne partage pas vos inquiétudes sur les problèmes de pluralité de la presse !
Le sort des employés du journal «La Suisse» est dramatique. Je suis sincèrement désolé de ce qui arrive et l'ensemble du groupe libéral partage mon opinion. Mais personne ici, ce soir, n'a le droit de prétendre que le sort des employés de «La Suisse» est pire que celui des milliers d'employés qui ont perdu leur travail pendant ces dernières années de crise. Le mot est lancé. Il revient. Il se répète : la crise !
La dignité exigée dans le débat de ce soir ne me permet pas de jeter l'anathème sur quiconque, mais, quand même, certains feraient bien de relire tout ce qu'ils ont dit ou écrit sur la croissance pendant ces dernières années, ne serait-ce que pour ne pas commettre à nouveau les mêmes erreurs lorsque nous aurons enfin retrouvé un rythme de développement normal. Le règlement de cette triste affaire est maintenant du ressort exclusif du pouvoir judiciaire. A la suite du jugement rendu par le Tribunal de première instance, Sonor SA bénéficie d'un sursis concordataire. La mission des trois commissaires au sursis est de sauvegarder les intérêts des créanciers et surtout ceux des créanciers privilégiés que sont les employés. Leur rôle est aussi d'essayer, en dehors de toute pression politique - et j'insiste - de sauver un maximum d'emplois. Puissent-ils atteindre largement cet objectif prioritaire au cours du tour de table proposé ce soir par le Conseil d'Etat. C'est ce que le groupe libéral peut souhaiter de mieux ! (Applaudissements de l'Entente.)
M. Bénédict Fontanet (PDC). Dans ce débat, vous qui avez souvent prétendu avoir le monopole du coeur et de la moralité politique, vous tombez dans la démagogie la plus basse et plus politicienne qui soit. (Oohh de la gauche.) J'aurais aimé vous entendre lorsque des centaines, des milliers d'autres emplois ont été perdus ! J'aurais aimé vous entendre lorsque des entreprises, victimes de certaines pratiques, ont dû partir ! J'aurais aimé vous entendre aussi lorsque certaines entreprises effrayées par les pratiques d'aucuns ont renonçé à venir s'installer à Genève !
Force est de constater qu'à l'époque vous étiez muets, et bien muets !
Une voix. Ça, c'est pas vrai !
M. Bénédict Fontanet. Relisez-vous dans le Mémorial, c'est très instructif à cet égard !
Dans cette affaire, nous sommes tombés dans le domaine de la politique purement politicienne ! Il n'y a plus rien de raisonnable ni de raisonné ! Le dossier de Sonor et de «La Suisse» est extrêmement complexe. Je n'ai pas la prétention comme d'aucuns de le connaître sur le bout du doigt, mais je constate que vous prétendez que nous fassions la gestion collective à cent d'une affaire financière complexe. Cela m'apparaît très difficile. Puisque le Conseil d'Etat, lui, a au moins la qualité de connaître ce dossier, je m'en remettrai à la sage appréciation qui en est faite.
Aujourd'hui, le problème n'est malheureusement pas de savoir si on peut encore sauver «La Suisse». Les conclusions de l'expert, les documents qui nous ont été remis, les explications qui nous ont été données sont claires, hélas, à cet égard. Le problème est de savoir combien d'emplois peuvent être encore sauvés. Je crois que la préoccupation du Conseil d'Etat, comme celle du groupe démocrate-chrétien et de la majorité de ce Conseil, est de faire en sorte qu'un maximum d'emplois puissent être sauvés. L'idée d'organiser un tour de table à cet effet, dans les jours qui viennent, mérite d'être et ne peut qu'être soutenue ! Par contre, il faut éviter que l'activisme brouillon de certains ne conduise à perdre encore plus d'emplois !
Enfin, je relèverai, comme mon préopinant, que cette affaire est aujourd'hui dans les mains de la justice et que nous n'avons pas le pouvoir de décision en la matière; le Conseil d'Etat non plus. Ce dernier peut suggérer des pistes de réflexion et des solutions, mais c'est tout. Nous pouvons seulement espérer qu'un maximum d'emplois puissent être protégés, quand bien même nous ne pouvons que prendre acte des conclusions du rapport du Conseil d'Etat, que nous remercions pour l'activité considérable qu'il a déployée au cours de ces dernières semaines. (Applaudissements.)
M. Bernard Lescaze (R). Le drame vécu par «La Suisse» depuis plusieurs semaines a suscité la sympathie générale de toute la population et pas seulement celle de notre groupe. C'est évident ! Sympathie en faveur des emplois menacés, sympathie bien naturelle en faveur d'une presse diversifiée. Mais la sympathie ne suffit pas !
Il fallait agir et le Conseil d'Etat, dans sa sphère de responsabilités, a agi. Il a nommé un expert indépendant. (Manifestation de la gauche.) Dix jours après la séance spéciale qui avait été agendée, il nous a fourni un rapport très complet, dont je pense que la plupart dans cette salle n'ont pas entièrement pris connaissance, car il est bourré de chiffres et de faits qui donnent quand même à réfléchir.
Le Conseil d'Etat n'a pas été le seul à agir dans cette affaire, indépendamment de la Coopérative des Savoises. La Ville de Genève a agi dans la modeste sphère de ses compétences en acceptant, sous certaines conditions très précises, de cautionner un prêt de la CIA. La première de ces conditions était que le projet soit déclaré viable par l'expert commis par le Conseil d'Etat.
La Banque cantonale a également agi. Depuis plus d'une semaine, deux personnes à plein-temps étudient ce dossier jour après jour.
Aujourd'hui, de tous côtés, nous avons les résultats. L'expert déclare non viable le deuxième dossier présenté par la Coopérative des Savoises. La Ville de Genève constate que la première condition posée à son cautionnement n'est pas remplie et retire sa proposition. Ainsi, la Banque cantonale, sur l'examen économique du dossier, ne peut évidemment pas poursuivre complètement.
Que faire donc après le 23 mars ? Ne pas donner de faux espoirs ! Ne pas se bercer d'illusions ! Et surtout éviter une politisation du dossier ! Il faut bien dire que le cautionnement de la Ville de Genève au prêt de la CIA était une façon pour cette dernière de tirer habilement son épingle du jeu. En effet, chacun connaît la situation de cette caisse de retraite. On avait parfois un peu l'impression qu'avec ce prêt de la CIA c'était le boiteux qui donnait sa canne au paralytique ! Et ça nous n'en voulons pas !
Que faire ? Eh bien, le Conseil d'Etat propose d'organiser un tour de table pour agir en concertation avec des partenaires crédibles. Je vous rappelle que l'essentiel aujourd'hui, en matière de sauvegarde d'emplois, est de préserver principalement l'outil industriel. Dans ce cas, c'est le centre d'impression.
Il y a quelques années, la plupart des journaux genevois ont choisi - peut-être était-ce une erreur - de découpler l'outil industriel et l'outil rédactionnel. La «Tribune de Genève» et le «Journal de Genève» n'ont plus d'imprimerie aujourd'hui, d'où la difficulté présente. En effet, on s'aperçoit parfois que ce découplage, qui paraissait très avantageux sur le plan économique il y a quelques années, entraîne aussi quelques inconvénients. Mais aujourd'hui, alors que l'outil rédactionnel «La Suisse» semble définitivement condamné, en tout cas par l'expert, il faut tenter de sauver ce qui mérite de l'être, ce qui peut l'être encore, à savoir l'outil industriel.
C'est pourquoi il faut encourager, même si la décision finale est effectivement entre les mains de la justice, le pouvoir politique qu'est le Conseil d'Etat à mettre les différents partenaires autour d'une table en n'oubliant pas que, dans notre conception de l'économie de marché, l'Etat a un rôle d'arbitre et non pas un rôle d'acteur et que le Conseil d'Etat a été jusqu'au bout dans son rôle d'arbitre. On ne peut pas lui demander plus qu'il ne peut faire ! (Applaudissements.)
M. Pierre Vanek (AdG). Je ne voulais pas intervenir - vous connaissez l'essentiel de mon opinion qui a été repris par mes camarades - mais certaines choses ne doivent pas passer sous silence.
J'ai entendu M. Balestra parler d'expert impartial et indépendant ! Cette affirmation m'indigne particulièrement. On ne peut pas rester sans réaction à ces propos ! Les faits sont là. J'ai «L'Impartial» sous les yeux, ou du moins un article du lundi 14 mars, écrit probablement le 13, dans lequel M. Gil Baillod signe une longue invective contre le projet de maintien de «La Suisse». Il dit en particulier que, je cite : «Le baroud d'honneur d'une utopique reprise du titre par une coopérative est un geste louable, mais pas un projet viable.». Donc, sur le fond, M. Baillod se prononce publiquement avant d'avoir été commis comme expert ! C'est inacceptable ! Comment peut-on demander à quelqu'un, dont on connaît les opinions - il a le droit d'avoir ses opinions - d'être objectif. Je ne connais aucune autre circonstance dans laquelle on procéderait de la sorte !
A l'évidence, il ne fallait pas nommer M. Baillod, indépendamment des aspects économiques qui ont été évoqués par mes collègues. Cette phrase de «L'Impartial» du lundi 14 mars était, à mon avis, suffisante pour que le Conseil d'Etat ne nomme pas M. Baillod comme expert dans cette affaire. J'ai lu un compte-rendu de conférence de presse dans lequel M. Jean-Philippe Maitre - je crois - disait que le Conseil d'Etat ne lisait pas «L'Impartial». Il aurait peut-être été bien avisé de prendre connaissance de cette opinion de M. Baillod avant de le commettre. Je crois que «commettre» est le terme adéquat dans cette histoire !
Je n'accepte pas une deuxième chose dans les propos des gens d'en face : c'est que M. Balestra prétende qu'un journal est un produit comme un autre. A l'évidence, cela n'est pas vrai ! Vous le savez, tout le débat autour de cette question le démontre. La liberté de la presse est inscrite dans la constitution genevoise et la défense de celle-ci est une tâche fondamentale de notre République et de notre canton. On ne peut pas dire que la presse est un produit comme un autre. Les milieux qui soutiennent - ils ont raison de le faire, j'y suis abonné ! - à bout de bras la publication du «Journal de Genève» savent bien que la presse n'est pas un produit comme un autre et que c'est un domaine où il y a matière à intervention davantage que pour une entreprise de savonnettes !
Essayer de nous donner des leçons sur la défense de l'emploi, alors que nous nous battons depuis des dizaines d'années pour une politique qui sauvegarde un maximum d'emplois à Genève est particulièrement... (M. Vanek dit ce dernier mot avec une très grande force.) ...malvenu ! (Manifestation de réprobation de la droite et applaudissements de la gauche et à la tribune.)
M. Jean Spielmann (AdG). Nous avons eu l'occasion à plusieurs reprises d'intervenir sur ce sujet et sur le problème de la presse en général. Il me semble important de débattre de cette question et, au-delà des clivages de ce parlement, de tenter d'apprécier ce que peut apporter à la population une presse indépendante, critique, avec différents courants d'opinion. Dès le départ, pour parler de guerre économique - je reviendrai sur le sujet de la guerre dans le domaine de l'impression - il est paradoxal que le Conseil d'Etat ne joue pas, Monsieur Lescaze, le rôle d'arbitre mais celui de spectateur, je dirais même de «sbire zélé» d'Edipresse ! Il s'est fait quasiment le porte-parole d'un groupe étranger au canton qui s'approprie la plupart des journaux genevois et des centres d'impression et qui engage des millions et des millions pour anéantir un adversaire !
Messieurs, vous vous êtes réunis à neuf reprises et vous n'avez même pas trouvé trois minutes pour rencontrer les gens de la coopérative !
Une voix. Si on les a rencontrés !
M. Jean Spielmann. Vous n'êtes pas sortis une seule fois de chez vous pour débattre et discuter avec eux du projet de maintien d'une presse indépendante à Genève et du maintien de quatre cent trente emplois ! Vous avez, dès le départ, choisi votre camp et accentué les choses pour tuer la sortie du futur journal «La Suisse» ! Je ne veux pas revenir sur les propos de mon ami Vanek à l'égard de M. Gil Baillod, mais il est difficile de ne pas réagir à ce que vous affirmez, à savoir qu'il a été un expert impartial. Moi, je prétends, et je suis persuadé que l'avenir me donnera raison, que vous avez choisi Gil Baillod en raison de son zèle à votre endroit pour tuer le journal «La Suisse». Il suffisait de lire l'éditorial du 14 mars pour s'en rendre compte ! (Encouragements et applaudissements du public à la tribune.)
S'il fallait encore argumenter dans ce sens, sachez aussi que M. Gil Baillod, expert, a présenté son rapport en deux jours. Il a effectivement discuté avec les gens de la coopérative sur le premier projet. Il leur a même donné toute une série de conseils et d'indications pour qu'ils réduisent la parution du journal, le nombre de pages, pour qu'ils limitent leurs ambitions, etc. Enfin, bref, il leur a donné une direction à suivre et la coopérative a suivi pratiquement tous ses conseils dans son deuxième projet. Paradoxalement, ce deuxième projet n'a été suivi d'aucun contact, il n'a donné lieu à aucune intervention ou discussion. Il a balayé ce projet d'un revers de manche, comme il avait déjà balayé l'avenir de «La Suisse» et des quatre cent trente employés dans son édito assassin du 14 mars !
C'est là qu'il faut voir les différente répercussions et ramifications économiques. Cela a été dit à plusieurs reprises. On peut se demander comment il est possible qu'un personnage comme Gil Baillod puisse descendre si bas et avoir un comportement aussi indigne, lui qui se prétend rédacteur d'un journal intitulé : «L'Impartial» ! Comment peut-il proférer de tels mensonges, de telles contrevérités dans un rapport qu'il n'a même pas lu ? Il dit que les journaux du dimanche n'ont pas tous été retirés par la population genevoise. C'est faux ! Ils l'ont été davantage, proportionnellement, que les autres journaux du dimanche. C'est une contrevérité sans aucun fondement, sans aucune appréciation objective !
Il en va de même de toutes les autres interventions. Il faut tout de même évoquer les liens économiques entre Publicitas, Edipresse et M. Gil Baillod, obligeant ce dernier à se «mettre à genoux» ! Alors, lorsque vous devez choisir un expert neutre, essayez de trouver quelqu'un qui ne soit pas pieds et poings liés avec une des parties. M. Gil Baillod est obligé de quémander des subsides pour que son journal survive et il sait qu'il survivra d'autant mieux qu'un de ses adversaires sera éliminé. Je trouve cela particulièrement fort de la part du Conseil d'Etat !
J'aborde maintenant le problème des emplois. Vous n'êtes pas sans savoir que dans ce canton, depuis des mois et des années, une guerre économique sévit pour limiter la possibilité de parution de journaux. Des entreprises ont été achetées, d'autres se sont implantées pour tuer la concurrence, travaillant à plus de 40% en dessous des prix de la convention, vendant l'ensemble des rotatives de ce canton en Allemagne, dans les pays de l'Est, etc. Il n'est plus possible de tirer un journal à Genève sans l'accord d'Edipresse ! C'est une réalité économique !
Dans ce même contexte, un journal veut redémarrer avec une équipe qui présente un projet viable et avec, en sus, l'assentiment de la population. Je crois que vous ne vous êtes pas très bien rendu compte des conséquences de vos actes ! Non seulement vous ne faites rien aujourd'hui pour tenter de vous opposer à la mort de ce journal - vous ne l'aidez même pas - mais encore vous l'enfoncez avec les plus forts ! Lors de la dernière séance du parlement, on a posé la question pour savoir qui était le plus fort d'Edipresse ou du Conseil d'Etat. Aujourd'hui, on a la réponse : le Conseil d'Etat est à genoux devant Edipresse et, dans le fond, il n'est que l'ordonnateur zélé des funérailles de quatre cent trente emplois, d'un journal et de toute la corporation de la presse qui subit directement les contrecoups !
Expliquez-nous comment une imprimerie peut demander 15 millions fixes comme garantie avant même de démarrer ? Ça ne s'est jamais vu ! A chaque nouvelle proposition, on a mis la barre un peu plus haut pour couler volontairement le projet de «La Suisse». Aujourd'hui, vous nous proposez d'organiser une table ronde. Je vous signale que cela vous a déjà été demandé par écrit par le président de la coopérative et que vous n'avez même pas répondu ! Votre attitude et votre manière de travailler sont plutôt troubles !
En conclusion, l'ensemble de la population de ce canton peut être inquiète de voir ce Conseil d'Etat «cogiter» pendant neuf ou dix séances, alors que ce qui compte ce sont les décisions ! Or, vous avez dit à la population que vous vouliez un gouvernement cohérent, sans blocage, qui sache décider et aller de l'avant. Si vous êtes là uniquement pour faire les fossoyeurs d'emplois, par manque de décision, et pour vous mettre du côté des plus forts, sachez que vous devrez faire face à la réaction de la population qui ne comprend pas votre attitude dans ce dossier ! Je suis persuadé que si vous ne changez pas d'attitude vous serez sanctionnés !
Il ne s'agit pas seulement d'un débat économique, ni d'une guerre de comptables, mais d'une guerre pour le pluralisme de la presse ! Il est important de le dire. Il faut mobiliser le parlement et le Conseil d'Etat pour tenter d'apporter quelques solutions ! (Applaudissements.)
Mme Marlène Dupraz (AdG). C'était vraiment de la provocation. Les propos de M. Fontanet et de M. Balestra, députés, nous font un procès d'intention bien mal placé d'ailleurs !
A ma connaissance, il n'y avait pas eu de manifestation, ni d'alerte tapageuse contre les licenciements massifs, si massifs que nous avions dû créer des procédures du genre plans sociaux, ou plans en faveur des départs prématurés à la retraite. Si les syndicats n'avaient pas réagi, ce ne serait pas les partis de l'Entente qui défileraient dans les rues ! Je n'ai jamais vu la droite publier les longues listes de licenciements. Toute personne mise au chômage est une personne de trop qu'on condamne au silence. C'est une personne également dont la charge est transférée à la collectivité. La collectivité c'est les travailleurs et non pas les patrons. Un chômeur de plus ou de moins, cela ne vous émeut pas. La sainte formulation : vous compatissez au sort du chômeur et la crise est à vos yeux une fatalité toute-puissante. Tel est le sort des chômeurs et à cela vous répondrez : «Amen, ainsi soit-il pour la Suisse» !
M. Claude Blanc (PDC). Le débat de ce soir nous montre une fois de plus combien la mauvaise foi et la méchanceté peuvent être les moteurs de l'action politique !
Nous avons entendu des accusations insensées de la part de gens qui sont absolument disqualifiés pour les porter, puisqu'ils ont pendant des années fait tout ce qu'il fallait pour mettre à genoux l'économie genevoise dans son ensemble ! (Huées, contestation, invectives de la gauche. Applaudissements de la droite.) Lorsqu'ils avaient une parcelle du pouvoir...
Une voix. Moscou !
Une autre voix. Lève-toi, Staline !
M. Claude Blanc. Lorsqu'ils avaient une parcelle du pouvoir... (Le président tente désespérément de ramener le calme en tapant sur sa cloche.)
Une voix. Ta gueule, Staline !
M. Claude Blanc. (M. Blanc attend que le silence revienne.) J'aimerais quand même vous rappeler que vous avez participé au pouvoir et de quelle manière, puisque, celui de vos amis qui vous conseille aujourd'hui, lorsqu'il était au Conseil d'Etat, a fait tout ce qu'il a pu pour mettre des bâtons dans les roues des entreprises qui voulaient s'établir à Genève... (M. Blanc a beaucoup de peine à se faire entendre. Brouhaha intense.) Il a fait tout ce qu'il a pu pour faire fuir certaines entreprises, qui sont finalement parties tellement il a abusé de son pouvoir exorbitant pour décourager tous ceux qui dans ce canton...
Le président. Monsieur Spielmann, je vous prie de cesser de manifester !
M. Claude Blanc. ...tous ceux qui voulaient entreprendre pour que Genève gagne. Aujourd'hui, vous arrivez au chevet de «La Suisse» agonisante comme des chacals, je dirais même étymologiquement comme des charognards ! Vous voulez vous nourrir de la chair de «La Suisse», parce que vous pensez pouvoir vous engraisser politiquement à ses dépens ! Voilà ce que vous êtes : des charognards ! (Vifs applaudissements sur les bancs de la droite.) (Sifflements sur les bancs de la gauche.)
M. Christian Ferrazino. (M. Ferrazino claque le couvercle de son pupitre.) C'est pour le niveau de ton discours !
Des voix. De la part des chacals !
M. Claude Blanc. Charognards, c'est le mot ! Vous vous nourrissez de la chair des agonisants pour vous engraisser politiquement, je le répète !
M. Christian Grobet. C'est indigne d'un ancien président du Grand Conseil !
Le président. Si je n'obtiens pas le calme, je suspends la séance, je vous préviens ! (Le chahut est indescriptible.)
M. Claude Blanc. Votre attitude, Monsieur Grobet, est indigne d'un ancien conseiller d'Etat !
Le président. La séance est suspendue ! Fermez les micros ! (Le président fait évacuer la tribune par les huissiers.)
La séance est suspendue à 18 h 30.
La séance est reprise à 18 h 45.
M. Jean Spielmann (AdG). J'entendais reprendre la parole après M. Blanc et après les incidents de tout à l'heure, car je trouve que le débat, au-delà du débat économique, est éminemment politique. J'avais occulté cet aspect des choses dans ma première intervention, mais M. Blanc n'a pas tardé à me rappeler les réalités politiques de ce canton. Avant les dernières élections et avant votre majorité au Conseil d'Etat, jamais encore vous n'aviez pu compter sur une presse aussi zélée et aussi prête à vous cirer les bottes, comme c'est le cas depuis un an ! Votre choix politique de tuer un concurrent, c'est aussi celui d'avoir la presse à vos bottes, notamment la feuille de chou de Bussigny, distribuée à des milliers d'exemplaires !
Je l'ai déjà fait, mais je vais reprendre la correspondance échangée entre «L'opinion libérale» et la «Tribune de Genève» qui se félicitait d'être à l'origine de l'éviction de Christian Grobet et de la mise en avant d'un parlement homogène. Elle se félicitait aussi de sa prise de position...
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Ce n'est pas le sujet !
M. Jean Spielmann. On est en plein dans le sujet, Monsieur Maitre ! Si vous avez pris position de cette manière c'est aussi directement par intérêt politique, pour éviter une presse plus critique à votre égard. Cela pourrait vous gêner aux «entournures» ! Cet échange de correspondance entre le parti libéral et le rédacteur, ou plutôt le «bailli» nommé par Bussigny pour gérer la «Tribune de Genève» démontrait bien quelle était la situation de la presse dans ce canton !
Bien sûr vous pouvez vous en réjouir, vous avez eu une tentation totalitaire et vous avez obtenu la majorité au Conseil d'Etat. Il est clair que maintenant la presse va être derrière vous comme un seul homme, prête à vous cirer les bottes ! L'idéal serait peut-être même d'évacuer la tribune du public, mais il y a un «os» : c'est que nous sommes toujours là, et nous nous battrons pied à pied contre les démantèlements - oui, Monsieur Fontanet ! - comme nous nous sommes battus depuis plus de vingt ans à chacune des fermetures d'entreprise, à chacune des opérations spéculatives, ventes ou transferts des entreprises genevoises du secteur tertiaire ! (M. Jean Spielmann hausse le ton, car le brouhaha reprend progressivement.) Nous sommes toujours intervenus avec force. Nous avons tenté, avec M. Schmitt, d'abord, avec M. Borner, et d'autres ensuite, d'influencer le Conseil d'Etat pour qu'il utilise le minimum de ses moyens dans le domaine économique afin de sauvegarder un secteur secondaire viable à Genève. Pas la moindre ombre d'une politique de soutien au développement des emplois n'a été pratiquée par le Conseil d'Etat ! Aujourd'hui, il faut faire le triste constat de son choix politico-politicien de se soumettre !
Avant de me rasseoir, je voudrais demander au président de bien vouloir demander à M. Blanc de présenter ses excuses ici, car il n'est quand même pas habituel de remplacer des arguments par des insultes. En tant que président de ce Grand Conseil, vous auriez dû le rappeler à l'ordre ! Sans ces excuses, il ne sera plus possible de débattre sereinement dans ce parlement. (Applaudissements à la tribune.)
Le président. J'ai entendu un tel échange de noms d'oiseaux que j'ai suspendu la séance ! Je n'entends pas attribuer de responsabilité à qui que ce soit !
Mme Claire Torracinta-Pache (S). Cela fait bientôt neuf ans que je siège dans cette enceinte. J'ai déjà eu l'occasion d'assister à des débats extrêmement vifs, mais je crois véritablement que cette fois les limites de l'admissible ont été dépassées ! Il ne s'agit plus du tout d'avis divergents échangés sur un ton véhément, mais de véritables insultes ! Monsieur Blanc, ce n'est pas la première fois que votre discours dérape ! Vous vous déconsidérez en employant de tels termes !
Je fais donc deux demandes très fermes.
Premièrement, je demande à M. Blanc de bien vouloir retirer ses paroles et s'excuser.
Deuxièmement - et je rejoins M. Spielmann - Monsieur le président, je suis navrée de devoir vous rappeler l'article 90, alinéa C, qui stipule, je cite : «Le président rappelle à l'ordre le député, le conseiller d'Etat ou le fonctionnaire qui, en séance, emploie une expression méprisante ou outrageante.». Il est vrai que des termes très forts ont été employés sur tous les bancs, mais le terme de «charognard» est vraiment insultant. Je vous demande donc d'appliquer l'article de ce règlement. (Demande soutenue par les applaudissements de la gauche et de la tribune.)
Le président. Comme vous venez de le répéter, Madame, j'ai entendu des termes extrêmement forts sur tous les bancs de ce parlement, je n'entends donc pas attribuer de responsabilité aux uns plus qu'aux autres.
Mme Claire Torracinta-Pache. (Hors micro.) On ne peut pas continuer comme cela ! (Tous les députés des bancs de gauche se lèvent et quittent la salle.)
M. Bernard Annen (L). Je voudrais ramener une certaine sérénité dans ce débat. A provocation, provocation égale, je devrais, par conséquent, me rasseoir, c'est ce que je vais faire non sans avoir dit tout le soutien que le groupe libéral apporte au Conseil d'Etat.
Mme Barbara Polla (L). Les accusations proférées par M. Spielmann à l'égard du Conseil d'Etat sont d'une telle gravité que si quelqu'un mérite qu'on lui présente des excuses, c'est bien le Conseil d'Etat ! Il est vrai que M. Blanc a employé le terme de «charognard», mais après que l'on a prétendu que le Conseil d'Etat était «à genoux» devant ceux qui le payent, le fossoyeur de «La Suisse» et - ce qui est une totale contradiction - que le Conseil d'Etat se faisait «cirer les bottes».
Dans ces conditions, les excuses seront bilatérales ou elles ne seront pas !
M. Claude Blanc (PDC). Que voulez-vous que je vous dise, Monsieur le président ! Je voulais dire exactement ce qui vient d'être dit : j'étais prêt à retirer mes paroles, si ceux qui ont outrageusement insulté le Conseil d'Etat retiraient aussi leurs propos. Puisqu'ils ont préféré prendre la fuite, eh bien, continuons à débattre sans eux ! (Applaudissements.)
M. Claude Haegi, président du Conseil d'Etat. Nous n'entendons pas porter de jugement sur le déroulement de ce débat. Nous voulons seulement rappeler que, dès le départ, dans cette affaire nous avons donné la priorité à l'emploi.
Le problème de «La Suisse» - comme l'a dit tout à l'heure mon collègue M. Maitre - nous touche autant que ceux qui ont participé à un certain nombre de faits à la rue des Savoises. Cela étant, nous devons tenir compte de l'intérêt majeur de notre canton, je veux parler des chômeurs qui sont déjà au nombre de seize mille. De nombreuses entreprises sont touchées par la crise, et nous devons garder une vision d'ensemble. (La salle est soudain plongée dans l'obscurité !)
M. Hausser a prétendu que nous trompions l'opinion publique. Bien au contraire, nous avons eu un langage de vérité qui n'a pas toujours été bien compris dans les moments les plus émotionnels. Sans polémiquer, j'aimerais rappeler qu'il y a douze jours nous étions - vous étiez - dans cette salle du Grand Conseil. On nous a alors parlé d'un projet tout à fait viable, auquel nous devions adhérer sans hésitation. Certains nous ont demandé de donner un appui moral, d'intervenir auprès de la Banque cantonale pour l'influencer à octroyer l'appui financier demandé...
(Parlant de la lumière qui revient.) Elle finit toujours par revenir !
Ce jour-là, en réalité, on nous avait donné une idée, mais il n'y avait pas de projet. Pendant les quatre jours qui ont suivi, nous avons parlé d'autre chose, à tel point que le lundi soir M. Gattoni, qui faisait partie de la délégation que nous recevions, et M. Montavon, président de la coopérative, nous signalaient qu'ils travaillaient sur ce projet depuis la veille seulement ! C'était donc un projet tout frais qui nous a été remis le lundi soir. Nous ne portons pas de jugement sur cette manière de travailler, mais, par contre, nous relevons l'inexistence du projet qui a suscité l'enthousiasme des collaborateurs de Sonor leur laissant penser qu'une solution sérieuse avait pu être trouvée. C'est une lourde responsabilité de faire naître de tels espoirs sans pouvoir les assumer !
Pendant ces journées - M. Maitre a eu raison de le signaler - nous n'avons pas cessé d'être en contact avec les différents partenaires, y compris avec la coopérative. Si nous ne nous sommes pas déplacés, par contre, nous avons reçu ses représentants à différentes reprises.
J'aimerais dire un mot sur l'expert. Avant qu'il n'accepte son mandat, nous avons eu une discussion avec lui, et je crois pouvoir dire que c'est en son âme et conscience qu'il l'a accepté, sachant qu'il allait entreprendre un travail, qu'il devait faire fi de ses appréciations, même de celles qu'il avait déjà formulées. Il devait remettre en question ses a priori pour se livrer à une étude sérieuse. C'est ce qu'il a fait, et tout le monde l'a compris, car personne n'a contesté le choix du Conseil d'Etat. Non seulement personne ne l'a contesté, mais il se trouve que M. Montavon a même salué ce choix sur les ondes de Radio-Lac !
Tout le monde a compris que c'était un bon choix, puisque même après que l'expert eut déclaré que le premier rapport était catastrophiquement irréaliste, il a continué à rencontrer les représentants de la coopérative pour leur donner un certain nombre de conseils. En quelque sorte, il est allé plus loin que le travail demandé en échangeant des idées entre gens de métier. Cette participation à la discussion devait-elle le conduire à un a priori l'obligeant à déclarer que le projet était bon ? Si tel avait été le cas, nous aurions dû retirer le mandat de l'expert, car cela aurait signifié qu'il n'était plus un expert, mais le collaborateur d'une équipe, en l'occurrence celle de la coopérative. Il aurait pu le faire. Il avait une autre mission, et il l'a assumée !
Le Conseil d'Etat a tout de même été surpris. En effet, mardi soir nous avons reçu le rapport de l'expert, mercredi matin nous l'avons fait parvenir à la coopérative et, jusque-là, aucun mot négatif n'avait été prononcé à son égard. Deux heures après, quelqu'un est venu - que je ne citerai pas, mais que l'on connaît bien dans cette salle - porter ici une lettre signée par M. Montavon. C'était en fin de matinée. On venait de prendre connaissance du rapport de l'expert et, dès lors, l'expert a eu le profil négatif défini tout à l'heure. Nous pouvons le regretter, car, dans un premier temps, il avait été considéré compétent et personne n'avait mis en doute son objectivité.
M. Vodoz va vous donner une précision concernant l'expertise de la fiduciaire. Je vous signale auparavant que la lettre de la Société coopérative du 23 mars indique, dans un des derniers paragraphes, je cite : «Nous savons que ce rapport confidentiel - c'est souligné - a été remis à M. Vodoz, vice-président de la CIA...». On insiste sur la confidentialité. Dans le rapport en question, la fiduciaire elle-même dit : «Nous prenons maintenant la liberté d'en parler dès lors qu'un certain nombre de commentaires ont été faits.». Cela démontre que cette confidentialité n'existait en réalité pas et qu'on avait donc la possibilité d'en parler.
Voilà donc ce que je tenais à vous dire. M. Vodoz va vous donner quelques indications sur l'expertise de cette fiduciaire et M. Jean-Philippe Maitre apportera quelques précisions suite aux différentes interventions qui ont eu lieu.
M. Olivier Vodoz, conseiller d'Etat. A propos du volet CIA, permettez-moi de rappeler brièvement ce qui suit.
D'abord le comité de la CIA, dont je suis le vice-président, a été convoqué en séance extraordinaire le 14 mars. Dans le cadre de cette séance, le problème d'un éventuel fonds de 3 millions à mettre à disposition de la Coopérative des Savoises a été abordé. J'ai eu l'occasion d'expliquer au comité de la CIA, qui est compétent pour la gestion de la caisse - laquelle est juridiquement indépendante et sous le contrôle de l'autorité de surveillance des fondations - que, à teneur de l'ordonnance sur la prévoyance professionnelle et de sa modification du 1er juin 1993, toute créance envers l'employeur doit être assortie de garanties efficaces et suffisantes. L'ordonnance prévoit qu'une garantie suffisante est une garantie de la Confédération, d'un canton ou d'une commune. Elle peut également être donnée par une banque soumise à la loi fédérale sur les banques, ou bien par des gages immobiliers jusqu'à concurrence de deux tiers de la valeur vénale de l'immeuble. Dans d'autres cas particuliers, l'autorité de surveillance peut autoriser d'autres sortes de garanties.
J'ai expliqué pourquoi, de mon point de vue, et en tant que vice-président de la CIA, il me paraissait délicat d'imaginer un prêt de la CIA à la Coopérative des Savoises. Le comité, par un vote dans une proportion de deux tiers un tiers, a décidé d'accorder un prêt pour autant que le projet soit considéré comme viable par un expert que la CIA entendait désigner. C'est ainsi que le 15 mars un expert a été mandaté par la CIA. Le contrat signé par les parties précise ce qui suit, je cite : «Nous vous demandons cependant de limiter l'usage de ce rapport uniquement à votre comité ainsi qu'à la direction de la coopérative et à considérer notre intervention comme strictement confidentielle.». Je n'ai pu être présent à la deuxième séance du comité de la CIA convoqué d'urgence le 22 mars. Cependant, siégeant alors au Conseil d'Etat, j'ai été informé des résultats, le comité confirmant son souhait, dans la mesure où l'expert du Conseil d'Etat considérait que le projet était viable, de fournir une garantie de 3 millions. Donc, pas de changement ! Je vous rappelle que le Conseil municipal de la Ville de Genève, par arrêté, a fixé un certain nombre de conditions aux garanties précisément prévues par l'ordonnance sur la prévoyance professionnelle, vieillesse et survivants.
Le 23 mars au matin, alors que je siégeais au Conseil d'Etat, une copie du rapport de ladite fiduciaire m'a été remise à titre de membre du comité de la CIA. En page 10, précédant la signature des experts mandatés par la CIA et la coopérative, il est mentionné en caractères gras : «Conformément à notre accord du 15 mars 1994, ce rapport est strictement confidentiel et n'est pas destiné à être publié.». Je m'en tiens à cela ! Je n'ai pas trouvé cependant dans ce rapport les propos allégués par M. Ferrazino.
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. A la suite de ce débat pénible, je tiens à dire que lorsque quelque chose va mal, il est assez usuel de tirer sur le gouvernement. Il est plus curieux de tirer sur la presse comme cela s'est passé !
Les propos que nous avons entendus, propices à diviser le monde de la presse en deux clans, les quelques journalistes qui seraient prêts à travailler pour la Coopérative des Savoises et tous les autres qui seraient «vendus» à je ne sais quels intérêts, me paraissent tout à fait indignes. Indépendamment des excuses qui pourraient être présentées par les uns et par les autres à la suite d'excès de langage qui se comprennent dans un parlement qui est vif, c'est la presse qui devrait recevoir des excuses ! En effet, ce qui s'est passé est absolument inacceptable ! Si l'on croit que dans ce pays les journalistes ne servent qu'à tenir leur plume à la solde de quelqu'un ou d'une entreprise, c'est faux ! Cette conception de la presse est peut-être chère à certains nostalgiques des beaux jours de la Pravda ! (M. Maitre montre les bancs vides de la gauche.) (Applaudissements.)
On a dit que le Conseil d'Etat avait considéré - et qu'il aurait même agi dans ce sens - qu'Edipresse était le seul sauveur possible. Cela n'est pas exact ! Vous vous souviendrez que lorsque nous avons débattu de cette affaire, dans le cadre de la motion que vous nous avez renvoyée, nous avons indiqué que nous nous battrions sur toutes les pistes de nature à sauvegarder le plus grand nombre d'emplois possible. Toutes ont été étudiées à fond, y compris, bien entendu, celle de la coopérative à laquelle nous avons consacré le plus de temps, le plus d'énergie, le plus de réunions, sans parler des rencontres avec les représentants de la coopérative et, en particulier, leur président, M. Montavon.
Nous avons étudié d'autres perspectives. La publication d'une «Suisse dimanche» permettant de sauver le titre, financée par des investisseurs genevois et compatible avec le retour de la «Tribune de Genève» au centre d'impression de Vernier. Cette piste pourra peut-être être actualisée si les conditions sont remplies.
Nous avons étudié - cela vous intéressera peut-être également - la possibilité d'un investisseur genevois - un professionnel du journalisme et de l'édition - qui a dit, compte tenu de l'émotion que nous partageons tous face à la disparition éventuelle d'un titre auquel nous sommes attachés, qu'il était prêt à retrousser ses manches et à organiser un tour de table pour réunir un certain nombre de partenaires investisseurs afin de relever le défi d'imprimer un quotidien. Il a présenté un budget au Conseil d'Etat, aux commissaires au sursis et à la Banque cantonale. On a dit - ce n'est pas moi qui l'ai dit, je n'en ai pas les compétences - tant du côté de la banque que du côté des commissaires que c'était le budget le plus complet qui avait été mis au point et le plus fouillé dans le concept d'un produit de presse. Cet éditeur a pris les contacts nécessaires et a engagé des pourparlers, en particulier avec la Banque cantonale. Il a complété son information. Après des jours et des nuits d'étude, il a jeté l'éponge, parce qu'il est arrivé à la conclusion que ce projet n'était malheureusement pas viable. Dans son projet, il sauvait, comme le projet de la coopérative, entre quatre-vingt-cinq et nonante emplois. Les bases étaient donc les mêmes. Il s'est simplement rendu compte que ce n'était pas viable du point de vue des recettes, et, comme par hasard, l'expert Baillod est arrivé aux mêmes conclusions !
Pour que tout soit clair et qu'on n'impute pas au Conseil d'Etat des attitudes qui ne sont pas les siennes, parce que cela ne correspond pas à sa manière de travailler, je tiens à dire qu'à partir du moment où Edipresse, à la suite de l'intervention pour le moins insolite du Syndicat du livre et du papier, a retiré son offre, nous n'avons plus eu aucun contact avec cet éditeur jusqu'au deuxième rapport de l'expert, car nous ne voulions en aucune façon compromettre l'objectivité d'une étude sur le projet de la Société coopérative. Nous ne voulions pas du tout, non plus, laisser penser que les dés étaient pipés pour le Conseil d'Etat, en demeurant en contact avec celui à qui on attribuait la qualité d'être le seul sauveur possible.
On a dit que l'expert était «vendu» à Edipresse. Notre président à fort pertinemment donné quelques indications à ce sujet. J'en ajouterai une seule, car je ne crois pas pouvoir être trahi par ceux-là même qui nous contestent puisqu'elle émane de la Société coopérative d'édition des Savoises elle-même. Lorsque nous avons mis l'expert en oeuvre, nous l'avons immédiatement mis en rapport avec la Société coopérative. Celle-ci nous a écrit le lendemain pour nous dire, je cite : «Nous tenons tout d'abord à vous remercier d'être entrés en matière sur le projet que nous vous avons soumis et d'avoir commis un expert en la personne de M. Gil Baillod pour l'analyser.». Lorsque la coopérative a pris connaissance de l'identité de l'expert, elle en a été satisfaite sachant que cet homme avait des qualités, notamment celle d'être un journaliste et un éditeur engagé.
Notre seul objectif - je l'ai dit tout à l'heure - est de parvenir à sauvegarder le plus grand nombre d'emplois possible. Dans ce contexte, les représentants de la coopérative que nous avons reçus nous ont dit qu'il serait peut-être opportun - ils sont lucides - d'organiser un tour de table permettant de regrouper l'ensemble des partenaires concernés, y compris Edipresse. Nous leur avons dit que nous avions le même projet et que cela nous semblait indispensable. En effet, à un moment donné, il faut communiquer et tenter de reconstruire ce qui a été détruit.
Cependant, nous avons spécifié qu'il était indispensable de réunir les conditions nécessaires pour que ce tour de table soit possible. Le groupe de presse qui a voulu transférer l'impression de la «Tribune de Genève» de Lausanne à Genève, et qui, à deux reprises, a été éconduit dans son offre, estime qu'il ne peut pas prendre des décisions qui ne reposeraient pas sur un climat social suffisamment stable et serein. Cela se comprend.
Je me pose une seule question. Le dernier projet de la coopérative - cela est dit noir sur blanc - se rapporte à une publication qui ne serait pas imprimée à Genève. Alors de deux choses l'une : ou bien on dit que ce projet n'est pas imprimé à Genève - et on se moque complètement de savoir ce qui se passe au CITP, à savoir qu'on ne compte pas sur le retour de «La Tribune» à Genève, et ce serait de la pure provocation de mépriser totalement des emplois dans le secteur des arts graphiques, ou bien - je crois que c'est le cas, parce que je persiste, quels que soient les excès de langage des uns et des autres, à croire en un minimum de bonne foi pour construire - on a pris le risque de choisir un imprimeur en dehors du canton en pensant que cela serait compatible avec un éventuel retour de «La Tribune» pour sauver le CITP. Cela impliquerait alors un accord d'Edipresse. Or, on vient d'entendre toute une série de choses insensées qui excluent qu'Edipresse puisse se remettre autour d'une table pour admettre de transférer l'impression de la «Tribune de Genève» au CITP. Croyez-vous qu'Edipresse - dont nous n'avons à faire ni la critique ni l'apologie - peut accepter de revenir à Genève, alors qu'on la qualifie politiquement de «groupe cannibale qui phagocyte tout» et que l'on prétend que tout le monde est «à sa botte», même le gouvernement genevois ! En politisant ce dossier de la sorte, on est en train de détruire les conditions qui permettront de sauvegarder le plus grand nombre d'emplois possible.
Au quotidien, Genève a seize mille chômeurs ! Eh bien, je suis indigné par cette attitude ! Je la trouve répugnante ! (M. Maitre dit ces derniers mots avec force et émotion.) (Vifs applaudissements.)
Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.
M. Patrick Blaser est assermenté. (Applaudissements.)
La séance est levée à 19 h 20.