République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 17 mars 2022 à 20h30
2e législature - 4e année - 9e session - 50e séance -autres séances de la session
La séance est ouverte à 20h30, sous la présidence de M. Diego Esteban, président.
Assistent à la séance: Mmes et M. Mauro Poggia, Nathalie Fontanet et Fabienne Fischer, conseillers d'Etat.
Exhortation
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.
Personnes excusées
Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: Mme et MM. Serge Dal Busco, président du Conseil d'Etat, Anne Emery-Torracinta, Antonio Hodgers et Thierry Apothéloz, conseillers d'Etat, ainsi que Mmes et MM. Olivier Baud, Beatriz de Candolle, Joëlle Fiss, Adrien Genecand, Serge Hiltpold, Fabienne Monbaron et François Wolfisberg, députés.
Députés suppléants présents: Mmes et MM. Rémy Burri, Françoise Nyffeler, Jean-Pierre Pasquier, Helena Rigotti et Pascal Uehlinger.
Annonces et dépôts
Néant.
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, l'ordre du jour appelle la prestation de serment d'une procureure. Je prie le sautier de la faire entrer et l'assistance de bien vouloir rester debout. (La procureure entre dans la salle du Grand Conseil et se tient debout, face à l'estrade.)
Madame, vous êtes appelée à prêter serment. Je vais vous donner lecture de la formule du serment. Pendant ce temps, vous tiendrez la main droite levée et, lorsque cette lecture sera terminée, à l'appel de votre nom, vous répondrez soit «je le jure», soit «je le promets». Veuillez lever la main droite.
«Je jure ou je promets solennellement:
- d'être fidèle à la République et canton de Genève, comme citoyenne et comme magistrate du Ministère public;
- de constater avec exactitude les infractions, d'en rechercher activement les auteurs et de poursuivre ces derniers sans aucune acception de personne, le riche comme le pauvre, le puissant comme le faible, le Suisse comme l'étranger;
- de me conformer strictement aux lois;
- de remplir ma charge avec dignité, rigueur, assiduité, diligence et humanité;
- de ne point fléchir dans l'exercice de mes fonctions, ni par intérêt, ni par faiblesse, ni par espérance, ni par crainte, ni par faveur, ni par haine pour l'une ou l'autre des parties;
- de n'écouter, enfin, aucune sollicitation et de ne recevoir, ni directement ni indirectement, aucun présent, aucune faveur, aucune promesse à l'occasion de mes fonctions.»
A prêté serment: Mme Elsa Studer.
Veuillez baisser la main. Le Grand Conseil prend acte de votre serment et vous souhaite une heureuse carrière. La cérémonie est terminée. Vous pouvez vous retirer. (Applaudissements.)
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, l'ordre du jour appelle la prestation de serment de magistrats du Pouvoir judiciaire. Je prie le sautier de les faire entrer et l'assistance de bien vouloir rester debout. (Les magistrats entrent dans la salle du Grand Conseil et se tiennent debout, face à l'estrade.)
Mesdames et Monsieur, vous êtes appelés à prêter serment. Je vais vous donner lecture de la formule du serment. Pendant ce temps, vous tiendrez la main droite levée et, lorsque cette lecture sera terminée, à l'appel de votre nom, vous répondrez soit «je le jure», soit «je le promets». Veuillez lever la main droite.
«Je jure ou je promets solennellement:
- d'être fidèle à la République et canton de Genève, comme citoyen et comme juge;
- de rendre la justice à tous également, au pauvre comme au riche, au faible comme au puissant, au Suisse comme à l'étranger;
- de me conformer strictement aux lois;
- de remplir ma charge avec dignité, rigueur, assiduité, diligence et humanité;
- de ne point fléchir dans l'exercice de mes fonctions, ni par intérêt, ni par faiblesse, ni par espérance, ni par crainte, ni par faveur, ni par haine pour l'une ou l'autre des parties;
- de n'écouter, enfin, aucune sollicitation et de ne recevoir, ni directement ni indirectement, aucun présent, aucune faveur, aucune promesse à l'occasion de mes fonctions.»
Ont prêté serment:
M. Endri Gega, Mme Moïra Arrigoni et Mme Anne Roux-Fouillet.
Veuillez baisser la main. Le Grand Conseil prend acte de votre serment et vous souhaite une heureuse carrière. La cérémonie est terminée. Vous pouvez vous retirer. (Applaudissements.)
Débat
Le président. Nous entamons le programme des urgences avec le RD 1458, assorti de la R 990. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Mme Magnin, rapporteure, ne prend pas la parole, je la cède donc à M. le député André Pfeffer.
M. André Pfeffer (UDC). Merci, Monsieur le président. A l'exception du maintien de l'obligation des masques dans les transports publics et dans les institutions de santé, toutes les mesures sont levées, ce qui est une bonne nouvelle et est salué par tout le monde. Malheureusement, Genève a été durement frappée durant ces deux années de pandémie. Lors de la deuxième vague, Genève avait même le taux d'infection le plus élevé de toute l'Europe. Cette situation n'est et n'était pas due uniquement à la malchance.
Je rappelle quelques faits avérés: certaines déclarations déplacées de notre Conseil d'Etat, l'absence totale d'évaluation et de comparaison des mesures prises, la différenciation des mesures, des contrôles et des sanctions en fonction du secteur privé et du secteur public ainsi que des personnes et des acteurs. Certains modes de fonctionnement genevois sont tout de même particuliers. Notre Conseil d'Etat a régulièrement mobilisé la commission de la santé pour des discussions à huis clos qui n'ont amené aucun rapport et aucune information. Parallèlement, ce Conseil d'Etat a aussi mobilisé la commission législative pour les arrêtés covid afin d'en discuter, d'établir des rapports et finalement de soumettre le tout au Grand Conseil pour un vote qui n'a aucune conséquence et aucune influence: comme déjà dit plusieurs fois, il est écrit noir sur blanc dans notre constitution que le résultat est identique en cas d'adoption ou de refus par le Grand Conseil d'un arrêté covid. Malheureusement, le système genevois a ces particularités; nous avons aussi un virus dans la tuyauterie publique genevoise.
Un peu par nostalgie et en souvenir de mes treize rapports de minorité, je rappelle que ce coronavirus a été dramatique, tout particulièrement pour les plus faibles d'entre nous, soit les branches économiques les plus faibles, les couches sociales les plus faibles et les personnes les plus faibles, comme nos aînés. J'espère, comme vous tous, que cette pandémie se termine, d'autant que la guerre et le désastre en Ukraine nous replongent dans une nouvelle catastrophe. Merci de votre attention.
M. Edouard Cuendet (PLR). J'avais un secret espoir, il a été douché ! (Rires.) Je pense qu'à cette occasion, l'éternel rapporteur de minorité, M. Pfeffer, aurait pu s'abstenir de sa diatribe un peu à côté de la plaque - vous transmettrez, Monsieur le président. (Rires.) Mais bon, on n'est jamais déçu !
Pour revenir à nos moutons, évidemment que la commission législative dans son ensemble a salué la levée des mesures, a salué le fait que l'état de nécessité arrive à échéance le 31 mars, et surtout, a salué et remercié le conseiller d'Etat Mauro Poggia et ses équipes de leur disponibilité pendant les très nombreuses séances que nous avons consacrées à ces arrêtés. Ils ont répondu à nos très nombreuses questions avec diligence, dans le détail, avec compétence, en faisant souvent des comparaisons intercantonales - notamment avec Bâle-Ville, pour plaire à certains. (Rires.) Tout le monde a salué ces démarches, à part peut-être le crypto-rapporteur de minorité. (Rires.)
Nous avons eu une discussion intéressante sur la suite à donner à l'analyse de la situation: la commission a exprimé le souhait d'obtenir un rapport sur la gestion de la crise par l'Etat. Plusieurs approches sont possibles. Une approche raisonnable consiste à ce que le Grand Conseil demande au Conseil d'Etat, sous la forme d'un postulat ou d'une motion, de rendre un rapport; on a, sinon, la vision révolutionnaire d'Ensemble à Gauche, qui souhaite l'instauration d'une commission d'enquête parlementaire - ces CEP dont on a vu avec quelles compétence et diligence notre Grand Conseil les gérait, et surtout à quel coût: ce tribunal révolutionnaire n'a évidemment pas été du goût de la commission, qui plaide plutôt pour un postulat ou une motion.
Je me permets de citer le conseiller d'Etat Mauro Poggia sur la manière dont il faudrait considérer ce rapport: «M. Poggia remarque qu'il faudrait envisager un rapport externe. En effet, si le Conseil d'Etat fait un rapport sur la crise, il va juger sa propre gestion de crise. Ainsi il y aura des doutes légitimes sur l'objectivité du rapport. Donc un institut externe pour donner une appréciation pourrait être mis en oeuvre.» Je vois un parallèle saisissant avec une autre affaire, dans laquelle on a mandaté une ancienne employée du département concerné pour faire un rapport sur la gestion de l'Etat. Evitons cet écueil où la légitimité de l'Etat est mise en cause et demandons un rapport externe en en limitant clairement le mandat.
Je réitère mes remerciements au conseiller d'Etat Mauro Poggia pour sa disponibilité et celle de ses services.
Une voix. Bravo !
M. Jean-Marc Guinchard (PDC). Mesdames les députées, Messieurs les députés, je crois que notre collègue Cuendet a été assez clair dans l'appréciation qu'il a faite, qui reflète quasi l'unanimité de la commission, par rapport à ces décisions et aussi aux remerciements adressés au Conseil d'Etat et en particulier au conseiller d'Etat Poggia et à ses équipes, notamment la direction générale de la santé et la cellule covid cantonale.
Notre collègue Pfeffer a reproché au Conseil d'Etat d'avoir mobilisé la commission législative. Pour ma part, j'inverserais plutôt les termes: je dirais que la commission législative a systématiquement mobilisé M. Poggia, qui a été présent à pratiquement toutes nos séances, qui a répondu à toutes nos questions, qui précisait, lorsqu'il ne pouvait pas répondre, qu'il nous enverrait la réponse par écrit, ce qui a été fait dans tous les cas.
Notre collègue Pfeffer oublie peut-être que l'ensemble des membres de la commission ont reçu le rapport d'Avenir Suisse qui traite justement de la façon dont les cantons se sont débrouillés pour gérer cette pandémie durant ces deux ans. On peut éventuellement critiquer certains aspects d'Avenir Suisse, il n'empêche que le canton de Genève se trouve dans une excellente position par rapport à sa gestion de la crise, que ce soit sur le plan suisse ou même européen. Lorsque celle-ci est survenue, personne ne savait rien. Durant cette période, j'ai rencontré et écouté beaucoup d'épidémiologues, beaucoup de scientifiques, en particulier dans le cadre de la task force mise en place en collaboration avec la direction générale de la santé, notamment le secteur des EMS, et jamais je n'ai entendu autant de fois des gens dire: «on pense que», «on imagine que», «il est probable que». Nous étions dans une inconnue totale, nous ne savions pas ce qui allait nous arriver et comment cela pouvait être géré. Nous avions quelques exemples qui venaient de Chine ou de Lombardie, mais c'était encore assez lacunaire.
Je rappelle aussi, comme l'a fait M. Cuendet, que la majorité de la commission a décidé qu'il fallait faire une évaluation de cette situation et qu'elle devait être menée par une structure extérieure. Je rejoins M. Cuendet quand il dit qu'il ne s'agit pas de dépenser inutilement de l'argent en confiant à une CEP des travaux qu'elle ne sera pas capable d'effectuer - on ne s'improvise pas infectiologue ou technicien dans ce domaine. Je vous recommande donc vivement d'accepter les deux textes qui vous sont proposés et je remercie encore une fois très chaleureusement les services de l'Etat qui nous ont accompagnés et aidés dans cette crise difficile.
M. Pierre Vanek (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, je ne comptais pas prendre la parole, mais enfin, puisque j'ai été mis en cause par Edouard Cuendet comme étant un dangereux révolutionnaire... (Rires.) ...je me permets d'intervenir pour rappeler d'abord qu'une commission d'enquête parlementaire sur des faits graves et sérieux n'est évidemment pas un tribunal révolutionnaire, mais une institution parlementaire parfaitement respectable, mise en place par une loi parfaitement respectable pour laquelle j'ai beaucoup d'affection, qui est la loi portant règlement du Grand Conseil. Si j'ai en effet évoqué à la commission législative l'hypothèse d'une CEP, c'est parce que nous avons précisé le fonctionnement de ce type de commission, avec un système où la commission est nommée, rend dans les trente ou soixante jours - je ne sais plus - sous la forme d'un rapport un projet de travail qui comporte le périmètre de l'investigation, les étapes de celle-ci, les instruments auxquels elle entend avoir recours, le tout dans le but d'éviter les ratages ou les dérives qui ont pu se produire par le passé. De ce point de vue là, l'idée qu'une commission d'enquête parlementaire traite - c'était l'hypothèse que j'avais évoquée - le fonctionnement de l'Etat durant cette période extraordinaire n'a rien d'insoutenable; en effet, il y a évidemment un bilan à faire sur le fonctionnement de l'Etat. Je crois être l'un des premiers à l'avoir proposé, je suis revenu vers la commission avec cette idée; on peut bien sûr remercier les uns et les autres pour ce qui a été fait, mais on a aussi vu des insuffisances, des problèmes. C'est normal, mais un bilan critique doit en être tiré.
L'issue de la discussion à la commission législative n'a pas été d'instituer un tribunal révolutionnaire pour couper la tête à qui que ce soit, mais de confier à deux dangereux révolutionnaires qui sont dans cette salle, respectivement Jean-Marc Guinchard, du parti - j'allais dire du PDC - du Centre, et moi-même, le soin de préparer un brouillon de motion ou de postulat définissant le bilan que nous voulons. Nous aurons l'occasion d'en parler, Mesdames et Messieurs, et je rassure M. Cuendet: notre propos, à ce stade du moins, n'est pas de lui couper la tête ou celle de ses collègues...
Une voix. Pas encore ! (Commentaires.)
M. Pierre Vanek. Pas encore, me souffle-t-on - pas encore, en effet, mais de travailler à un bilan sérieux et indépendant sur la manière dont le canton de Genève a fait face à cette période de crise.
Le président. Merci, Monsieur le député. C'est un peu tôt dans la décennie pour avoir le seul postulat ! Madame la rapporteure de majorité, vous avez la parole.
Mme Danièle Magnin (MCG), rapporteuse. Merci, Monsieur le président. Je suis rapporteuse, pas de majorité en l'occurrence, puisqu'il n'y a pas eu d'opposition. J'aimerais simplement rappeler que suite à une décision du Conseil fédéral, qui a levé les mesures le 16 février 2022, notre Conseil d'Etat s'est adapté et n'a laissé d'obligations que pour les EMS et les foyers accueillant des personnes en situation de handicap, sans que les résidents eux-mêmes soient obligés de porter le masque. Ce n'est plus que dans les transports publics qu'on porte encore le masque à Genève, afin de protéger les autres.
On a pensé que la pandémie allait s'arrêter; je crois qu'au moment où le Conseil d'Etat a rendu cet arrêté, il avait l'espoir que l'affaire était plus ou moins classée. Or, l'actualité nous rappelle manifestement que ce n'est pas le cas. Toutefois, les personnes dont j'ai su récemment qu'elles avaient le covid sont beaucoup moins malades que tous les gens qui l'ont eu précédemment, avec cette immense mortalité du début.
Nous avons effectivement apprécié la présence de M. Poggia et de ses services, qui sont venus nous tenir au courant au fur et à mesure et en fonction de nos demandes; c'était vraiment très appréciable. Nous avons apprécié les efforts de l'Etat pour venir en aide à la population, nous avons adressé des félicitations et des remerciements très chaleureux à M. Poggia et à ses services. M. Poggia lui-même a dit qu'il serait utile de faire une sorte de tour d'horizon avec la chronologie des décisions prises en fonction de telle ou telle situation. Nous avons jugé qu'une commission d'enquête parlementaire avait un côté punitif pour un fait grave, et nous n'en voulions pas.
Je vous recommande aujourd'hui d'adopter les objets qui portent les numéros... Je suis désolée, je ne les trouve pas immédiatement. (L'oratrice cherche dans ses documents.) Il s'agit du RD 1458 et de la R 990. Je vous invite donc à accepter ces deux objets. Je vous remercie.
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, d'abord, que les choses soient claires: nous souhaiterions tous que cette pandémie soit définitivement derrière nous. Elle ne l'est pas totalement. C'est la fin des mesures, je le crois du moins, en tout cas pour les mois allant jusqu'à l'automne prochain. Mais nous le savons, aujourd'hui, plus de quatre cents personnes sont dans nos hôpitaux universitaires, 52% des personnes qui se font tester sont positives. Il est vrai qu'actuellement, la population a déjà eu le covid ou est vaccinée, avec, pour la plupart des gens, deux doses, voire trois pour les plus vulnérables, j'espère, ce qui veut dire que cette maladie a des conséquences moins graves. Nous sommes confiants quant au fait que nous nous trouvons sur la pente descendante, même si le petit frémissement à partir du 7 mars doit nous laisser attentifs.
A mon tour de vous remercier - merci, d'abord, pour vos remerciements, je n'en mérite aucun. Lorsque vos commissions me demandent de venir, c'est pour moi un devoir de le faire, et, en plus, un plaisir. Il est extrêmement important pour nous d'échanger avec le parlement, de voir quelles sont ses inquiétudes, d'y répondre, ou alors de nous rendre compte des points sur lesquels nous ne pouvons pas répondre ou sur lesquels nous devons avoir une meilleure communication. Ce sont évidemment les équipes qui méritent nos remerciements, elles qui sont sur le terrain, qui l'ont été et qui le sont encore en grande partie. Elles ont fait un travail admirable.
En ce qui concerne le bilan de ce qui a été fait, de ce qui aurait pu être mieux fait - car il y a certainement des choses qui auraient pu être mieux faites, personne n'a la prétention d'avoir agi de la manière toujours la plus adéquate dans une situation aussi exceptionnelle, même si la bonne foi et la bonne volonté de chacun étaient présentes -, je pense aussi qu'il faut demander un avis externe pour éviter que l'on qualifie le rapport de complaisant, ce qui sera le cas s'il émane de l'Etat lui-même, et que l'on dise que c'est un satisfecit que le Conseil d'Etat accorde à sa propre activité. Il est juste que l'on ait un regard extérieur, aussi pour apprendre quelque chose: il faut notamment que l'on nous dise, le cas échéant, où nous devrons agir la prochaine fois, puisque la question n'est pas de savoir s'il y aura une prochaine fois, mais quand; nous savons que la situation se renouvellera, malheureusement. Sous quelle forme ? Certainement pas la même: nous avons beau avoir tous les plans de prévision des catastrophes, ce qui arrive n'est jamais ce que nous attendons, il suffit de regarder ce que nous vivons aujourd'hui pour nous demander si nous pensions, il y a quelques mois, voir cette situation aux portes de l'Europe. On voit bien que nous étions préparés, mais pas exactement comme il le fallait. Nous devons constamment, constamment adapter nos réponses aux problématiques envisagées.
En tout cas, cette crise sanitaire a démontré que l'Etat fait preuve d'agilité, ce que certains contestaient, et que l'Etat - j'en ai toujours été convaincu - possède en son sein des collaboratrices et des collaborateurs de très haute qualité, capables de réagir à des situations imprévues avec une rapidité remarquable. Nous devons aussi constater l'horizontalité des services: je m'en souviens, lorsqu'il a fallu monter au front pour les RHT quand on est passé de quelques cas mensuels à plus d'un millier, on a dû considérablement renforcer les équipes, et nous avons pu compter alors sur des gens qui venaient de la police, de l'OCIRT, des gens pleins de bonne volonté, qui, du fait de cette situation, avaient moins de travail et ont été à disposition pour apprendre un nouveau métier et appliquer leurs nouvelles connaissances. Je crois que c'est donc aussi une belle leçon d'efficacité de l'Etat, de même qu'une belle leçon de collaboration entre le privé et le public: on a vu en matière hospitalière à quel point, sans qu'on ait besoin de prendre de décision coercitive, le secteur privé s'est mis à disposition pour répondre à un défi qui touchait toute la population. Nous avons déjà exprimé notre gratitude à cet égard à maintes occasions, mais il faudra le faire de manière officielle à toutes celles et ceux, de tous les secteurs, privé et public, qui ont retroussé leurs manches durant cette période extrêmement difficile.
Je pense donc qu'un regard extérieur sera une bonne chose. Je ne vous cache pas que la direction générale de la santé travaille déjà dans ce sens: même sans injonction, nous avons décidé, au sein du département, de faire ce travail d'introspection, si j'ose dire, mais par d'autres, pour être certains que les réponses ont été du moins les moins mauvaises possible. Ce travail vous sera évidemment soumis. Qu'une sous-commission ou une commission d'enquête soit ensuite instaurée pour creuser certains points, pourquoi pas, mais laissez d'abord un travail extérieur être mené: il y a beaucoup de compétences dans ce parlement, bien sûr, mais là, il faudra vraiment des compétences bien spécifiques, y compris celles d'historiens, pour rechercher ce qu'on savait le jour J, quand on a pris telle décision - plus d'une centaine d'arrêtés du Conseil d'Etat ont été pris pendant cette période.
J'aimerais aussi remercier le parlement pour sa compréhension: il n'est pas simple pour un pouvoir comme le vôtre de voir finalement un exécutif prendre sa place, compte tenu de l'urgence et de l'état de nécessité, et prendre des décisions de nature législative, tout simplement parce qu'on ne peut pas se réunir ou qu'on ne peut pas se réunir rapidement. Ce n'est pas simple non plus pour l'exécutif, il n'a aucun plaisir à se substituer au législatif. Le fait que vous ayez compris cette situation exceptionnelle et que vous ayez saisi que ce regard porté a posteriori sur la justesse des décisions prises était aussi en un moment donné une manière d'exercer le pouvoir législatif a aidé l'exécutif à se sentir soutenu. Nous l'avons été, et je tiens, au nom du Conseil d'Etat, à vous en remercier, Mesdames et Messieurs. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. La parole n'étant plus demandée, j'invite l'assemblée à se prononcer sur la R 990.
Mise aux voix, la résolution 990 est adoptée par 76 oui contre 1 non et 1 abstention (vote nominal).
Le Grand Conseil prend acte du rapport divers 1458.
Débat
Le président. Nous passons à l'urgence suivante, la M 2697-A. Nous sommes en catégorie II, quarante minutes. Madame la rapporteure Céline Zuber-Roy, vous avez la parole.
Mme Céline Zuber-Roy (PLR), rapporteuse. Merci, Monsieur le président. La M 2697, déposée le 30 octobre 2020, a été initialement traitée par la commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport durant deux séances. Le 4 mars 2021, elle a été transmise à la commission des Droits de l'Homme, qui l'a à son tour étudiée au cours de trois séances.
Suite à ces travaux, la majorité de la commission des Droits de l'Homme a souhaité amender le texte pour le centrer sur l'usage de l'écriture inclusive, c'est-à-dire le recours à des pratiques rédactionnelles ou typographiques comme des barres obliques, parenthèses, points médians ou tirets dans les mots.
L'objectif de cette modification est d'exclure clairement la thématique plus large de la rédaction inclusive et du langage inclusif. En effet, le soutien à cette motion ne vise pas à nier l'existence d'une demande d'une partie de la population de féminiser le français, ni à proscrire le langage ou la rédaction inclusive. Ce débat se poursuivra dans le cadre du projet de loi 12843 sur l'égalité, qui est actuellement en traitement à la commission des Droits de l'Homme, ce qui laissera du temps aux linguistes pour poursuivre la réflexion sur le sujet.
En revanche, le soutien à cette motion vise à envoyer un message clair au Conseil d'Etat afin qu'il fasse cesser l'usage de l'écriture inclusive au sein de l'administration et des établissements publics. Comme l'a souligné lors de son audition le professeur de Saussure, linguiste à l'Université de Neuchâtel, si des interventions sur le lexique de la langue française comme la féminisation de fonctions ne posent aucun problème, ce n'est pas le cas des interventions sur la grammaire. En effet, la grammaire est une ossature rigide qui ne peut être modifiée sans donner l'impression d'une atteinte existentielle à la langue, associée inconsciemment à l'identité personnelle et culturelle de chacun. Et c'est exactement ce que fait l'écriture inclusive en intervenant sur des graphies, en ajoutant des lettres ainsi qu'en modifiant des accords, l'usage des pronoms et des déterminants.
Outre cette atteinte à l'identité de la langue, l'écriture inclusive induit un important surcoût à la lecture et à la compréhension. Cette difficulté supplémentaire a évidemment un impact direct sur l'accessibilité des textes, en particulier pour les personnes non francophones, souffrant de troubles «dys-» ou d'un handicap visuel.
Enfin, il est utile de rappeler que la langue reflète plus qu'elle ne construit les stéréotypes sociaux. Ainsi, les problèmes d'égalité ne se situent pas tant dans la langue française que dans notre société. Le professeur de Saussure donne les exemples suivants: le mot «mannequin», bien que de genre masculin, produit une représentation typifiée féminine; le mot «crapule», bien que de genre féminin, suscite une représentation masculine. Ces exemples confirment bien cet état de fait.
Pour ces raisons, la majorité de la commission des Droits de l'Homme vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à accepter cette motion amendée.
Présidence de M. Jean-Luc Forni, premier vice-président
Mme Christina Meissner (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, je vous propose pour commencer de faire un petit exercice pratique. Ecrivez en anglais: «The crazy spouse killed the beautiful neighbour». Maintenant, traduisez cette phrase en français. Vous avez de la peine ? En effet, sans autre information, la traduction exacte sera difficile. S'agit-il d'une épouse jalouse qui a tué la belle voisine supposée maîtresse de son mari ? Ou est-ce l'époux qui a tué la belle voisine par jalousie de la relation que son épouse aurait pu entretenir avec elle ? Et si vous tentez le langage inclusif, hors de toute suspicion mal placée - et je vous rappelle que l'écriture inclusive utilise des barres obliques, des parenthèses, des points médians ou des tirets -, cela donne la traduction suivante: «L'époux.se fou.olle a tué le/la beau.elle voisin.e.» Et non pas: «La folle épouse ou le fol époux a tué le beau voisin ou la belle voisine.»
Dans les deux cas, c'est soit incompréhensible soit illisible. Et si l'on prend le dernier adjectif «voisin.e», force est de constater qu'en français même inclusif, on fera passer le masculin avant le féminin, puisqu'on rajoute en général un «e» pour le féminin, un féminin qui se place forcément derrière le point médian, donc derrière le masculin.
Le langage inclusif ne résout rien, il rend le français encore plus compliqué, sa lecture illisible, et au final encore plus inaccessible non seulement pour les personnes en situation de handicap visuel, mais aussi pour tous les pays de la francophonie, qui entre parenthèses est en plein déclin: il suffit de voir le sommet France-Afrique de 2021. Faut-il un coup de grâce ?
Je répéterai ce qu'a relevé la rapporteure de majorité, que je remercie pour la qualité du travail: le professeur de Saussure nous a donné des exemples magnifiques montrant que l'inégalité, c'était finalement la société qui la produisait plutôt que le langage: le mot «mannequin», bien que de genre masculin, produit une représentation typifiée féminine, et le mot «crapule», bien que de genre féminin, suscite une représentation masculine. C'est bien cela.
Le débat se poursuivra dans le cadre du projet de loi sur l'égalité, mais à ce stade, le PDC, qui a adopté la loi 12440 prescrivant les règles à suivre en la matière pour la législation... Soyons conséquents et votons cette motion telle qu'amendée par la commission, qui s'adresse, elle, à l'administration et aux établissements publics pour que ceux-ci proscrivent l'usage de l'écriture inclusive, c'est-à-dire le recours à des pratiques rédactionnelles ou typographiques comme des barres obliques, parenthèses, points médians ou tirets, qui de toute façon ne règlent rien concernant le fait que le masculin est placé avant le féminin.
Une voix. Bravo !
Le président. Merci, Madame la députée, de votre intervention très éclairante. Je passe maintenant la parole à Mme Françoise Nyffeler. (Applaudissements.)
Des voix. Aaah !
Mme Françoise Nyffeler (EAG), députée suppléante. Me voilà ! (L'oratrice rit.)
Des voix. Aaah ! (Commentaires.)
Une voix. Enfin !
Mme Françoise Nyffeler. L'écriture inclusive, c'est une question de visibilité ou d'invisibilité. D'ailleurs, pour l'écriture du français, on a inventé des signes pour indiquer une invisibilisation; par exemple, l'accent circonflexe, qui signale la disparition de certains «s»: il est introduit au XVIIe siècle et devient effectif en 1740, comme dans le mot «tempête» ou «tête». L'inclusivité semble créer des tempêtes dans les têtes ! Mais il ne s'agit pas là d'une lettre comme le «s», mais de genre et de l'invisibilisation de plus de la moitié de la population. Dans cette motion, on refuse de visibiliser cette part importante de la population dans l'écrit, par l'ajout de signes inclusifs notamment. Des hommes ont décidé au XVIIe siècle que la langue devait témoigner que leur genre était le genre noble et dominant le féminin en l'invisibilisant. Depuis plus de trois siècles, l'écriture et la grammaire françaises affichent la domination et même la suprématie du masculin. Les liens entre la société et la langue orale et écrite sont ici bien clairs. Depuis quelques dizaines d'années, les féministes parlent et remettent en question cette domination et cette invisibilité et tentent d'inscrire ces changements dans la langue et l'écriture qui portent les stigmates de leur discrimination. Il est donc très important de laisser ouvert l'espace pour ces changements. En passant, j'en profite pour remercier Mme Fontanet pour son intervention allant dans ce sens lors de son audition en commission.
La langue et son écriture sont vivantes et n'ont cessé de se modifier. L'Académie française, malgré toute sa rigidité, n'a pas pu l'empêcher. D'ailleurs, nous sommes bien placés ici pour le savoir: les innombrables traces de germanismes dans la syntaxe et les autres curiosités locales démontrent la diversité et la faculté d'adaptation du français non seulement à la société, mais aussi aux particularismes régionaux, comme on peut le constater notamment dans ce noble hémicycle. Notre société doit lutter contre les inégalités et les discriminations basées sur la domination masculine et l'invisibilisation des femmes et des minorités de genre. Cela passe évidemment par l'éducation des enfants et la discussion autour de l'écriture inclusive notamment dans les écoles; cela permettra d'avancer sur le chemin de la justice et de l'égalité de genre.
Ensemble à Gauche refuse donc cette motion qui aurait peut-être dû être traitée par la commission des droits humains et non par la commission des Droits de l'Homme. (Exclamations. Applaudissements.)
M. Yves de Matteis (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, je serai relativement bref pour cette urgence qui n'en est d'ailleurs pas une aux yeux de notre groupe parlementaire, lequel votera contre cette motion, ce pour plusieurs raisons.
Premièrement, notre parti est favorable à l'écriture inclusive, comme on peut d'ailleurs le constater au niveau suisse, puisque le nom même de notre parti a été modifié, en français, pour adopter une forme inclusive, ce en mars 2021; cela a été le cas au niveau genevois un peu plus récemment. Notre parti étant en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes - notamment en présentant des listes paritaires - il est également logique pour nous de visibiliser les femmes partout où cela est possible, y compris en ce qui concerne l'expression écrite. Notre parti est également en faveur d'une meilleure prise en compte des personnes non binaires, qui sont souvent ignorées dans le langage écrit, ainsi que des minorités sexuelles.
Deuxièmement, qu'on soit ou non convaincu par les bienfaits de l'écriture inclusive, cette motion est particulièrement inutile. En effet, si nos informations sont correctes, le Conseil d'Etat a d'ores et déjà fait circuler des directives demandant aux fonctionnaires de l'Etat de rédiger leurs textes de manière épicène mais non inclusive. (Commentaires.) Il s'agit donc d'une pratique qui est déjà mise en oeuvre. Cette motion n'avait pas de raison d'être, n'aurait pas dû être déposée. Son traitement urgent aurait également dû être refusé, puisque le Conseil d'Etat prône déjà ce que la motion demande. (Commentaires.)
Enfin, troisièmement, et de manière peut-être plus personnelle, je remarque, en tant que président de la commission des Droits de l'Homme, que cette motion n'a pas fait l'objet d'auditions incluant des spécialistes qui auraient pu parler en faveur de l'écriture inclusive, comme on peut le constater en lisant le rapport sur cet objet. Son traitement n'a donc pas véritablement été équitable.
Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas en faveur de ce texte. Merci, Monsieur le président.
Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)
M. Philippe Morel (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, le langage et l'écriture ont évolué au cours des siècles, dans la langue française comme dans les autres langues, reflétant souvent l'évolution sociale, le cours des pensées et les valeurs attribuées par la société. La langue reflète en fait plus les stéréotypes sociaux qu'elle ne les construit elle-même; elle répercute des courants d'idées, de pensées et consacre certaines valeurs.
La langue appartient à tout le monde, et littéralement, par définition, les mots n'ont pas de sexe, ils ont un genre ! Je vous épargnerai à ce titre-là la longue liste de mots qui sont féminins alors qu'ils reflètent des éléments masculins et, réciproquement, des mots masculins qui reflètent souvent des activités ou des particularités féminines.
Le latin connaissait le neutre, mais ce temps est révolu - malheureusement, peut-on dire ! Le français l'a remplacé par le masculin. Il est bien sûr heureusement très loin le temps où Scipion Dupleix, homme de lettres, écrivait - c'était en 1651 - que le genre masculin était, je cite, «le plus noble». L'évolution s'est faite dans le sens d'une égalité, au sens très large, de la femme et de l'homme. Cela s'est traduit progressivement par le respect de la femme dans l'ensemble de ses activités personnelles, familiales, artistiques, professionnelles et autres. (L'orateur est interpellé.) Notre société veut tendre à une égalité parfaite, ce qui, dans certains domaines, malheureusement, n'est à l'évidence pas encore le cas.
C'est dans cette mouvance que s'inscrit la proposition d'utiliser l'écriture inclusive, qui démasculinise et déféminise l'écriture, l'inondant de symboles graphiques et de signes qui seront propres à cette écriture et qui ne pourront à l'évidence pas être prononcés. Nous allons donc, en allant dans cette direction, vers une écriture qui devient illisible et un langage parlé qui ne sera toujours pas, au sens où on l'entend actuellement, inclusif.
Actuellement, l'écriture se matérialise essentiellement, pour les jeunes et les moins jeunes, par l'utilisation des messages véhiculés par les téléphones portables ou les réseaux sociaux, dans lesquels on écrit comme on prononce, on ne respecte plus du tout l'orthographe des mots, s'attachant exclusivement à l'aspect phonétique qui pourra être compris par le destinataire. Les abréviations phonétiques sont ainsi innombrables, estropiant sévèrement l'orthographe conventionnelle, mais permettant toujours, par le destinataire, une lecture phonétique du message reçu. Cette évolution semble inéluctable, et je suis convaincu que l'immense majorité des jeunes, et encore une fois des moins jeunes, qui utilisent le langage phonétique, sera totalement imperméable au langage de l'écriture inclusive telle qu'elle est proposée.
Cette écriture inclusive, sous prétexte de tendre à l'égalité des sexes et des genres, crée en fait une nouvelle catégorie d'exclus: les personnes dysphasiques, dyslexiques, dyspraxiques ou dysgraphiques, ainsi que les étrangers qui tentent d'apprendre le français, et un ensemble de pays francophones dans le monde qui n'adhèrent pas à ces modifications liées à l'écriture inclusive. En effet, les systèmes d'écriture connus ont pour vocation d'être oralisés, et cela deviendra, pour ces nouveaux exclus, soit impossible, soit très difficile.
L'écriture inclusive va à rebours de la logique grammaticale, ce qui pose un problème majeur, puisque l'on s'attaque là à la structure même de notre écriture, qui ne peut être modifiée sans que l'on considère qu'il s'agit d'une atteinte fondamentale à notre langue. L'écriture inclusive est littéralement un monstre orthographique lorsque l'on tente de la lire.
Une majorité de linguistes estime que l'écriture inclusive est problématique - malgré les rires que j'entends ! L'Académie française, dans une lettre ouverte du 7 mai 2021, réprouve l'utilisation sous sa forme actuelle de l'écriture inclusive. Elle souligne que la correspondance avec l'oralité est impraticable et qu'ainsi, l'écriture inclusive installerait une langue seconde, complexe, réservée à une élite, sans toutefois répondre au but qu'elle prétend atteindre, à savoir l'égalité des sexes et des genres.
Le langage épicène, dont la différence avec l'écriture inclusive est qu'il n'est pas encore défini, permettrait, lui, par l'utilisation de termes neutres, ou l'association du masculin et du féminin, de répondre à cette volonté. A cet effet, des règles devront être réfléchies, élaborées, discutées, avant d'être éventuellement appliquées. Le PLR vous recommande ainsi de soutenir la M 2697 telle qu'amendée en commission. Je vous remercie.
Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe maintenant la parole à M. Francisco Valentin.
M. Francisco Valentin (MCG). Merci, Monsieur le président. Mon prénom n'a pas de «z», mais... (Rire.) ...je déduis que c'est mon tour ! (Commentaires.) Je n'aime pas trop la redondance, je ne vais donc pas répéter ce qui a été dit par mes collègues de droite, que j'apprécie et que j'estime beaucoup. Je vais peut-être partir sur une autre voie.
Déclaration universelle des droits de l'homme, 1789, révolution des sans-culottes et des camarades de gauche pour renverser la monarchie française, article premier: «Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.» J'aimerais savoir ce qu'ils ne comprennent pas dans le mot «tous» ! (Rire.) C'est la première question.
La langue française, certainement pour des raisons de simplification, pour une fois, est par défaut masculine, mais non genrée. (Remarque.) Etonnamment, cette nouvelle tendance nihiliste de l'inclusivité sans discernement d'une pseudoélite autoproclamée et de certains groupuscules déconnectés des vraies attentes de la population ou même des femmes elles-mêmes ne fait que sectariser ou diviser notre civilisation, qui est déjà bien mise à mal par l'actualité.
Il existe en rhétorique une règle fondamentale qui a été dégagée par le psychologue Thierry Melchior. C'est ce qu'on appelle le principe de «proférence»: le simple fait de proférer un mot suffit à le faire exister. Même si les auditeurs ne savent pas exactement ce qu'il signifie, ils vont partir du principe qu'il possède une signification.
Une voix. Sus au patriarcat !
M. Francisco Valentin. Sus au patriarcat, absolument ! (Rire.) Notre très belle Berne fédérale, qui est aux Français ce que la musique militaire est à la grande musique... (Rire.) ...a elle-même édicté une directive interdisant la pratique de l'écriture inclusive. Le MCG in corpore vous recommande donc d'aimer les femmes et de les respecter autant qu'elles le méritent, mais de voter cette motion à deux mains. Je vous remercie. (Rire. Applaudissements.)
M. Marc Falquet (UDC). Je voudrais quand même remercier notre collègue Stéphane Florey. Contrairement à ce qu'a dit notre collègue d'Ensemble à Gauche, cette motion est tout à fait nécessaire et utile. C'est vrai qu'à la base, le but est peut-être de favoriser l'égalité hommes-femmes, mais alors là, c'est tombé totalement à côté de la plaque et cela rend difficile l'apprentissage de la langue ainsi que sa lecture et son écriture. Ce n'est donc en tout cas pas une amélioration et je vous propose de voter cette motion. C'est bizarre, parce qu'il n'y a pas eu tellement d'opposition à la commission des Droits de l'Homme; tout le monde était plus ou moins d'accord - je dis bien plus ou moins. Je crois qu'il y a eu une opposition d'Ensemble à Gauche... (Remarque.) ...et peut-être une ou deux abstentions, mais tout le monde s'est accordé à dire que c'était une véritable absurdité, qui ne favorisait en tout cas pas l'égalité entre hommes et femmes, au contraire. Merci.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe maintenant la parole à Mme Caroline Marti.
Une voix. Aaah !
Mme Caroline Marti (S). Merci ! Quel accueil ! (L'oratrice rit.) Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, force est de constater en écoutant ce débat que la langue évolue plus vite que les mentalités de certaines et certains. Effectivement, on le sait, la langue française, comme les autres langues d'ailleurs, n'est pas figée. Elle a de tout temps évolué, en suivant l'évolution de la réalité sociétale, et cela ne fait évidemment pas exception aujourd'hui. De plus en plus d'institutions, d'organisations, de structures, adoptent le langage épicène et le langage inclusif. D'ailleurs, le Grand Conseil, qu'on ne peut pas taxer de particulièrement progressiste, a récemment adopté une loi pour rédiger une législation qui soit écrite en langage inclusif. On peut donc très clairement dire ce soir que cette motion nage, certes avec beaucoup de vigueur, mais nage très clairement à contre-courant, en essayant de mettre en place une sorte de police de la typographie pour aller chercher et dénoncer les personnes qui auraient le malheur de laisser traîner un point médian dans leurs phrases.
Alors effectivement, si on se fiche pas mal de savoir avec qui couche la voisine ou le voisin, selon l'exemple donné par notre collègue Mme Meissner tout à l'heure, on se fiche nettement moins de la masculinisation de la langue française, qui est une manière, cela a été rappelé par notre collègue d'Ensemble à Gauche tout à l'heure, d'invisibiliser les femmes. Or on le sait, notre cerveau humain, que ce soit celui des hommes ou des femmes, est paresseux, et lorsqu'on entend une phrase comme «Des écoliers sont allés visiter des maraîchers genevois», notre cerveau imagine des garçons avec leur cartable qui sont allés visiter des maraîchers hommes qui labouraient leurs champs, quand bien même cela pourrait être des écolières filles qui iraient visiter des maraîchères femmes.
Le langage inclusif et épicène n'est pas une formule magique; il ne va pas à lui seul permettre de régler toute la problématique des inégalités entre les hommes et les femmes, mais cela permet néanmoins de s'attaquer au coeur du sujet, et c'est un levier absolument essentiel pour reconnaître que la place des femmes dans notre société est égale à celle des hommes.
Le groupe socialiste regrette que, dans le cadre des travaux sur cette motion, la bien nommée commission des Droits de l'Homme... (L'oratrice insiste sur le mot «homme».) ...et on sent bien toute la testostérone dans ce terme-là... (Remarque.) ...tout comme dans la décision de la majorité de la commission sur cette motion, n'ait pas jugé utile d'auditionner une organisation comme l'association DécadréE, qui est spécialiste de la question de l'égalité dans le langage. Raison pour laquelle nous vous proposons un renvoi en commission de cette motion, et si... (Exclamations de désapprobation.) ...et si - et je suppose que ce sera le cas - le Grand Conseil refuse ce renvoi en commission, nous vous appelons à rejeter cette motion. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. Je cède la parole à la rapporteuse, Mme Céline Zuber-Roy, sur le renvoi en commission.
Mme Céline Zuber-Roy (PLR), rapporteuse. Merci, Monsieur le président. Inclusif ou non, visiblement, le langage peine à se faire comprendre ! Il me semblait avoir clairement indiqué que c'était bien sur l'écriture inclusive que portait cette motion, c'est-à-dire l'usage de tirets, points médians, parenthèses et autres signes qui brouillent la lecture des textes. Là, Mme Marti nous parle de langage inclusif, de langage épicène, on peut rajouter la rédaction inclusive, or j'ai clairement précisé que ce n'était pas visé par cette motion, parce que ces sujets-là vont être traités en commission dans le cadre du projet de loi 12843 sur l'égalité, qui contient une disposition traitant de la rédaction inclusive, et le débat sera fait à ce moment-là.
Concernant cette motion, il est donc inutile de la renvoyer en commission. Les auditions ont été faites. Je ne l'ai pas précisé, mais un important travail avait déjà été effectué dans le cadre de la commission législative, quand elle avait adopté les règles concernant la législation, s'agissant de la manière d'intégrer cette rédaction inclusive. Je vous rappelle que la rédaction doit être inclusive. L'idée n'est donc absolument pas d'exclure les femmes ou de les invisibiliser. L'objectif est de maintenir une langue lisible, que pratiquement tout le monde puisse lire, y compris des personnes qui auraient moins de facilité à la lecture. Cette motion a uniquement pour objectif d'exclure ces usages graphiques.
Ensuite, j'ai entendu - parce que je réponds aux questions avant de savoir si on doit renvoyer la motion en commission - qu'elle était inutile, parce qu'une directive existait déjà. Effectivement, il existe la directive EGE-07-05 de l'Etat, qui est dans l'ensemble une bonne directive, personnellement je la soutiendrai; malheureusement, elle n'a pas été diffusée largement au sein de l'Etat. Or elle prévoit la rédaction inclusive et différentes mesures, dont le langage épicène, et elle termine avec l'interdiction d'utiliser cette écriture inclusive, c'est-à-dire ces tirets, points médians et autres. Malheureusement, cette directive n'est pas appliquée ! Je dois vous signaler que dans la décision de quarantaine que j'ai reçue comme beaucoup d'habitants du canton, à la fin, où il est dit qu'on doit rester chez nous, il y a un point médian ! (Remarque.) C'est terrible ! Ça s'insinue même jusque-là ! (Commentaires.) Donc non, cette motion n'est pas inutile ! Je vous invite à la voter aujourd'hui et à ne pas la renvoyer en commission. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la rapporteure. Mesdames et Messieurs, je vous fais voter sur le renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur la proposition de motion 2697 à la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne) est rejeté par 52 non contre 36 oui.
Le président. Nous poursuivons le débat, la parole va à M. Stéphane Florey pour trois minutes.
M. Stéphane Florey (UDC). Merci, Monsieur le président. D'abord, ce qui est étonnant dans ce débat, c'est le revirement de certains groupes. Certaines personnes, en tout cas les plus dogmatiques de ce parlement, ont pris le dessus sur le bon sens, parce qu'à la lecture du rapport, on voit qu'il y a eu un refus socialiste - là, on peut comprendre éventuellement... (Commentaires.) ...mais tous les autres groupes qui sont les fervents partisans, soi-disant, de l'écriture inclusive se sont abstenus. Donc si vous aviez des choses à revendiquer, par exemple des auditions qui n'auraient pas eu lieu, vous aviez déjà l'occasion d'exprimer clairement un refus et même d'accompagner notre excellente collègue rapporteuse...
Des voix. Aaah !
M. Stéphane Florey. ...avec des rapports de minorité ! Vous ne l'avez pas fait, parce que, quelque part, vous savez au fond de vous-mêmes que ce débat est purement, oui, dogmatique, et que le vote de ce soir ne sera pas historique, mais va dans le bon sens. Je voulais par ailleurs relever que le canton du Valais, en date du 8 mars, date chère à Mme Nyffeler, a voté exactement le même texte contre l'écriture inclusive, ce que nous serons le deuxième canton à faire. Il y en aura d'autres, puisque le vote de ce soir relève tout simplement du bon sens, qui veut que l'on parle de manière correcte, que l'on écrive en suivant les règles élémentaires du français. Finalement, cette écriture inclusive ne sert strictement à rien, sauf à convaincre ceux qui veulent y croire. Je vous invite par conséquent à suivre le rapport de majorité, qui parle tout simplement de bon sens, et à en rester là, avec l'écriture que l'on connaît tous, à savoir le français.
Une voix. A peu près ! (Rires.)
M. Stéphane Florey. Sauf peut-être moi, effectivement, qui ne suis pas un grand écrivain...
Une voix. Plus ou moins !
M. Stéphane Florey. ...comme le dit mon collègue ! (L'orateur rit.) Mais enfin bon, on fait ce qu'on peut avec ce qu'on a ! (Rires.) Je vous invite à suivre simplement les conclusions du rapport. Je vous remercie.
Une voix. Bravo !
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à Mme Danièle Magnin pour une minute et cinquante secondes.
Mme Danièle Magnin (MCG). Merci, Monsieur le président. Ce sera très très rapide. Je voudrais simplement rappeler qu'effectivement, la langue est vivante et que le fait de vouloir imposer toutes ces petites modifications à l'écrit, ça embrouille tout le monde; ça embrouille les enfants, les enseignants. Par ailleurs, les autorités cantonales genevoises ont reçu une communication de la Chancellerie fédérale, qui rejette les pratiques d'écriture alternative visant à marquer la diversité, et ce pour des motifs qui relèvent de la langue, de la politique linguistique et du cadre juridique. En gros, si, quand vous allez en France, une personne - une dame - qui travaille dans une pharmacie a un écriteau «tel ou tel» où, en dessous, il est écrit «pharmacien» et pas «pharmacienne», ça, c'est du sexisme, parce que certains de nos voisins sont d'épouvantables misogynes ! Ce n'est pas le cas chez nous ! (Eclats de rires. Exclamations.) Un pharmacien et une pharmacienne ont la même valeur ! (Rires. Commentaires.) On n'a pas besoin de dire «pharmacien» à une pharmacienne pour qu'elle ait le statut ! Ce que je veux vous dire, c'est que ce n'est pas en modifiant l'écriture, en rajoutant tous ces encombrements que nous ont cités aussi bien la rapporteuse que Mme Meissner avant moi... Je pense que c'est totalement ridicule et inutile, et je vous engage vivement à voter cette motion. Merci.
Des voix. Bravo !
Le président. Merci, Madame la députée. Je donne la parole à M. Francisco Valentin pour trente secondes.
M. Francisco Valentin (MCG). Merci, Monsieur le président de séance. Je serai bref. Je suis effaré ! Effaré de voir les soucis de Genève ! Alors que le monde est au bord du chaos, on s'inquiète de savoir combien de «x» et de points on doit mettre ! Franchement... (L'orateur est vivement interpellé. Protestations.) Merci, les communistes, de vous la coincer, on vous a rien demandé pour l'instant ! Vous n'avez pas la parole ! (Rires. Nombreux commentaires.) Retournez en Russie, ils vous attendent, là-bas ! Les camarades vous attendent ! (Rires. Vifs commentaires. Le président agite la cloche.) Merci, Monsieur le vice-président, de faire régner l'ordre dans cette séance ! (Commentaires. Un instant s'écoule. Des députés entonnent «L'Internationale». Rires. L'orateur rit.)
Le président. S'il vous plaît ! Gardons un peu de sérieux dans ce débat ! (Commentaires.) Monsieur le député, vous pouvez poursuivre.
M. Francisco Valentin. Est-ce que je peux poursuivre sereinement...
Le président. Poursuivez, Monsieur le député.
M. Francisco Valentin. ...ou je vais être interrompu par nos amis staliniens, là-bas ? (Rires. Commentaires.)
Le président. Poursuivez, Monsieur le député, mais peut-être sans remarque non plus qui pourrait servir de provocation ! (Commentaires.)
M. Francisco Valentin. Merci. Je vais être très bref, Monsieur le président de séance. (Commentaires.)
Le président. Allez-y, Monsieur le député.
M. Francisco Valentin. Effectivement, créer des débats pareils pour quelque chose qui n'a aucune raison d'exister, si ce n'est... (L'orateur est interpellé.) Son simple mérite, c'est d'avoir été créée.
Le président. Merci, Monsieur le député.
M. Francisco Valentin. Je pense que là, vraiment, on perd notre temps et il faut voter cette motion tout de suite. Merci.
Des voix. Bravo ! (Commentaires.)
Le président. Je vous remercie de garder votre calme. Je passe maintenant la parole à M. le député Jean-Marc Guinchard pour trente secondes.
Une voix. Dans le calme !
M. Jean-Marc Guinchard (PDC). Merci, Monsieur le président. Je vais garder mon calme, rassurez-vous ! Je voulais juste préciser que j'ai pris acte de la position du groupe socialiste, mais elle me laisse un peu perplexe, puisque ce même groupe a déposé un texte qui parle du FALC - le langage facile à lire et à comprendre -, que ce texte a été travaillé en commission et que les linguistes que nous avons auditionnés ont tous dit que ce FALC n'était pas compatible avec une écriture inclusive. Je vous remercie.
Une voix. Bravo !
Le président. Merci, Monsieur le député. Je donne enfin la parole à Mme la conseillère d'Etat Nathalie Fontanet pour qu'elle nous livre l'avis éclairé du Conseil d'Etat. (Exclamations.)
Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Merci beaucoup, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais rappeler quelques éléments. Le 26 mars 2021, le Grand Conseil a adopté la loi modifiant la loi sur la forme, la publication et la promulgation des actes officiels - il s'agit de la LFPP, B 2 05 - pour une rédaction officielle inclusive, en respectant l'égalité. Il s'agissait de la loi 12440. Le Conseil d'Etat souhaite évidemment privilégier une communication aussi inclusive que possible, qui soit de nature à sensibiliser la population aux enjeux liés à l'égalité, et il va sans dire que cette communication doit être impérativement aussi claire et simple que possible. Dès lors, et par souci d'harmonisation avec la loi, l'administration genevoise a adopté déjà le 20 mai 2021 la directive transversale définissant les règles à suivre concernant la communication inclusive, qu'elle soit orale, écrite ou visuelle. Cette directive est annexée au rapport de la commission des Droits de l'Homme - des droits humains, c'est ainsi que nous l'appelons au sein de l'Etat -, et elle proscrit le recours à des pratiques rédactionnelles de type typographique, au moyen notamment de barres obliques, de parenthèses, de points médians ou de tirets, et ce conformément aux voeux du Grand Conseil et de la commission qui avait voté le projet de loi.
J'ai entendu ce soir que cette directive n'était pas appliquée et que même l'extraordinaire département de M. Poggia, mon cher collègue... (Commentaires.) ...se permettait d'envoyer des courriers avec des points médians ! (Commentaires.) Je ferai évidemment remonter... (Brouhaha.) Je ferai évidemment remonter cet élément au Conseil d'Etat... (Rires.) ...pour que nous puissions prendre les mesures adaptées à une telle faute, Monsieur Poggia ! (Rires. Commentaires.) Nous aurons l'occasion d'échanger à cet égard.
Mesdames et Messieurs, le Conseil d'Etat fait en sorte que cette directive soit appliquée par les différents départements. Il a communiqué cette directive. Il le rappelle régulièrement. On a même - mais je ne regarderai personne - l'occasion de se le rappeler entre nous, de temps en temps. C'est donc ce que nous faisons. Cette directive est importante pour le Conseil d'Etat. J'ai soufflé à Mme la rapporteure de majorité - enfin, rapporteure tout court - qu'elle n'hésite pas à me faire savoir si elle devait recevoir de nouvelles communications qui contiendraient de tels signes, que ce soient des barres obliques, des points, des «e» ou des «x», et que le Conseil d'Etat ne manquerait pas d'agir avec célérité. Peut-être pourrait-on d'ailleurs - je m'adresse là plutôt aux groupes de droite - engager un ou deux ETP... (Eclats de rires. L'oratrice est interpellée.) ...pour s'assurer de l'application de cette directive dans l'ensemble de l'Etat ! Je regardais le chef de groupe PLR, mais il n'a pas l'air d'être d'accord ! (Commentaires.)
S'agissant en revanche de son application au sein des entités autonomes, c'est plus compliqué, parce qu'elles sont en effet, précisément, autonomes... (Commentaires.) ...et que le Conseil d'Etat n'est pas en... (L'oratrice hausse la voix pour couvrir le brouhaha.) En tout cas certaines, en tout cas certaines ! ...et que le Conseil d'Etat n'est pas en mesure de leur imposer l'application de cette directive.
Alors soyez rassurés, Mesdames et Messieurs les députés: si vous renvoyez cette motion au Conseil d'Etat, une réponse vous sera donnée. D'ailleurs, cette réponse avait déjà été apportée le 26 janvier 2022 à la QUE 1663...
Une voix. Ouais ouais !
Mme Nathalie Fontanet. ...et avec confirmation de ces différents éléments. Vous pouvez dodeliner de la tête, Monsieur... Non, je n'ai pas le droit de m'adresser à vous ! Vous transmettrez, Monsieur le président, au député qui dodeline de la tête qu'il n'hésite pas à m'envoyer lui aussi des éléments s'il estime que cette directive n'est pas appliquée. Nous ferons de notre mieux ! Voilà, Mesdames et Messieurs, bonne soirée ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, la parole n'étant plus demandée, nous passons au vote.
Une voix. Ouix !
Une autre voix. C'est ouix ! (Rire.)
Mise aux voix, la motion 2697 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 55 oui contre 35 non (vote nominal).
Premier débat
Le président. Voici notre prochaine urgence: il s'agit du PL 13082, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. La parole échoit à son auteur, M. Jacques Blondin.
M. Jacques Blondin (PDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, je me dois de vous ramener sur un terrain beaucoup plus grave que le sujet qui nous a occupés à l'instant, car depuis le 24 février, soit depuis l'invasion de l'Ukraine par l'armée russe, nous avons renoué avec des périodes très sombres de notre histoire, lesquelles rappellent des souvenirs dramatiques. Pour beaucoup - voire pour la majorité - d'entre nous, il paraissait impossible que de tels événements se répètent dans une Europe a priori unifiée. La guerre, parce que c'est ainsi qu'il faut l'appeler, sévit sur les terres européennes avec tout ce que cela implique comme barbarie, tortures, souffrances, destructions, morts.
Des milliers de réfugiés sont actuellement sur les routes, vous le savez: quasiment 10% du peuple ukrainien, femmes et enfants, a dû fuir. Ce problème est traité par le HCR, les cantons et d'autres intervenants que celui dont nous parlerons aujourd'hui. Et puis il y a une population captive qui se bat, qui se défend contre l'envahisseur avec courage et abnégation, mais qui, vous le voyez tous à la télévision, subit des pertes dramatiques, parce que le rapport de force est totalement déséquilibré, ce qui lui laisse peu de chances face à l'une des armées les plus importantes - pour ne pas dire puissantes - du monde.
Quelque part, nous avons le devoir - je ne devrais même pas dire «quelque part» - d'aider les gens sur place - je parle du cas d'espèce, cela ne signifie pas qu'on ne doit pas prêter assistance à ceux qui s'en vont -, parce que le dénuement est total: non seulement la météo n'est pas favorable, mais les bombes éclatent, les maisons sont éventrées, il n'y a plus à manger, il n'y a plus à boire, il n'y a plus rien, il faut lutter, les paysans qui devraient semer le blé ne peuvent pas le faire. On est vraiment face à une catastrophe d'ordre historique, mais je pense que vous en êtes conscients.
Le projet de loi que nous vous soumettons ce soir consiste à attribuer un budget supplémentaire au CICR. Le choix des auteurs s'est porté sur cette institution, parce que le CICR agit sur place pour soutenir les populations et ceux qui sont confrontés au conflit et à tout ce qu'il implique. Il est indispensable de s'occuper non seulement des personnes qui font la guerre, quelles que soient les parties impliquées - c'est la mission du CICR -, mais également des civils qui se retrouvent face à cette situation et qui manquent de tout. N'oublions pas que depuis 1863, l'objectif principal du CICR, selon ses statuts, est d'encourager et de développer le respect du droit dans les pays en guerre - ce qui est plus facile à dire qu'à faire, vous l'avez tous constaté.
Nous proposons dès lors d'augmenter la contribution du canton de Genève en faveur du CICR de 5 millions. Pour ceux qui ne sont peut-être pas au courant, il existe depuis 2004 un partenariat entre Genève et le CICR; les relations sont connues, les objectifs aussi. Une convention vient même d'être signée pour les années 2022 à 2025 qui fixe l'apport de Genève à 4,5 millions. Le Conseil d'Etat a offert une enveloppe supplémentaire d'un million qui a été acceptée hier à l'unanimité de la commission des finances; quant à nous, nous estimons que nous pouvons - et que nous devons - faire plus. Alors vous me direz, pourquoi 10 millions ? Pourquoi 10 millions et pas 5 ? Simplement parce que 10 millions, c'est le double de ce que nous mettions avant...
Des voix. 5 millions !
M. Jacques Blondin. Pardon ?
Une voix. Tu as dit: «Pourquoi 10 millions ?»
M. Jacques Blondin. Ah oui ! Oui, c'est 5 millions. 5 millions de plus, cela fait 10 millions, et c'est le double des contributions que nous versons habituellement de manière contractuelle au CICR. Ce montant permettra d'assister rapidement les populations qui ont besoin d'aide sur place, parce qu'elles manquent de tout. Faites le calcul: avec 10 millions... Cela paraît beaucoup d'argent, mais quand il faut venir au secours de 40 millions d'habitants, on ne va pas très loin.
Genève, à l'image de la Suisse, est un canton riche malgré les difficultés que nous rencontrons parfois au niveau budgétaire. Il faut replacer les choses dans leur contexte: nous sommes des privilégiés. L'histoire du HCR, Henry Dunant, les Conventions de Genève, tout cela nous donne certaines responsabilités. C'est la raison pour laquelle le PDC espère que nous aurons la force et l'ambition ce soir, sur le siège, d'envoyer un signe très fort à l'attention de ces personnes qui le méritent largement. Merci. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
Le président. Merci, Monsieur le député. Le texte mentionne bien une enveloppe de 5 millions. Je passe la parole à M. Emmanuel Deonna.
M. Emmanuel Deonna (S). Oui, merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, M. Blondin l'a rappelé avec solennité: depuis le début de l'agression militaire russe, plus de 3 millions d'Ukrainiennes et d'Ukrainiens ont trouvé refuge en Slovaquie, en Hongrie, en Roumanie, en Moldavie...
Des voix. En Pologne !
M. Emmanuel Deonna. ...en Allemagne, et la moitié d'entre eux en Pologne. Avec la guerre, l'engagement humanitaire de la Suisse a augmenté: la Confédération a accordé une aide supplémentaire de 80 millions de francs. Les petites villes ukrainiennes à l'intérieur du pays font face à l'afflux de réfugiés, elles se retrouvent face à des défis énormes comme l'approvisionnement en eau et en électricité, la gestion des déchets. Comme nous l'avons vu, les cessez-le-feu promis n'ont malheureusement toujours pas été respectés; des couloirs humanitaires vers l'Europe doivent être négociés.
Genève, capitale des droits humains, a un rôle essentiel à jouer au vu de son histoire, de son identité et de sa vocation internationale. La population genevoise manifeste déjà sa solidarité envers celle d'Ukraine avec la récolte et l'acheminement de matériel de première nécessité. Notre canton doit contribuer à prêter secours au peuple ukrainien en Europe, mais aussi aux personnes qui arrivent en Suisse et à Genève. Eu égard à l'aggravation de la situation et à l'importance des missions qui sont confiées au Comité international de la Croix-Rouge, le parti socialiste soutient l'octroi d'une aide urgente de 5 millions de francs. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Nous saluons la présence à la tribune de notre ancienne consoeur, Mme Verissimo de Freitas ! (Applaudissements.) La parole revient à Mme Dilara Bayrak.
Mme Dilara Bayrak (Ve). Oui, merci, Monsieur le président. Le travail du CICR sur place n'est absolument pas remis en cause, nous en connaissons la qualité et c'est tout naturellement que nous allons voter le montant de 5 millions en faveur de cette institution. Nous, Vertes et Verts, saluons également l'élan de solidarité envers les réfugiés ukrainiens - enfants, femmes, hommes - qui vivent une situation très difficile.
Il a été question de la responsabilité de Genève vis-à-vis du CICR et des personnes qui fuient le conflit; nous espérons qu'à l'avenir, cette solidarité se reproduira pour toutes les personnes qui subissent ce même phénomène qu'est la guerre, que des fonds seront débloqués pour assumer la responsabilité qui a été évoquée, pour aider les gens qui s'échappent de circonstances très difficiles, et ce sans distinction d'origine, de couleur de peau ou de religion.
Toutes les populations fuyant des luttes armées doivent être accueillies ici, en Suisse, et méritent notre empathie, notre soutien. Cela pourrait se faire avec l'octroi de ressources, mais aussi en nous assurant que les avions et le matériel de guerre suisses ne se retrouvent pas sur des territoires en conflit, comme cela a pu être le cas - peut-être pas en Ukraine, mais un peu plus loin. En bref, nous accepterons ce projet de loi de 5 millions et nous appelons à la solidarité pour l'ensemble des réfugiés qui tentent d'échapper à la guerre, ailleurs aussi, pas juste en Europe. Merci. (Applaudissements.)
M. Edouard Cuendet (PLR). Avec le PL 13082, il est question d'une contribution humanitaire d'urgence à hauteur de 5 millions afin de soutenir les activités du CICR en Ukraine. L'agression de l'Ukraine par la Russie, le 24 février dernier, nous a toutes et tous profondément choqués. Nous avons été scandalisés par les attaques visant des civils, des hôpitaux, des femmes enceintes, des enfants. Nous prenons conscience de l'horreur de cette guerre en voyant les réfugiés fuir leur pays en train, en voiture, à pied.
Ce conflit n'a pas grand-chose à envier à la bataille de Solférino, qui a eu lieu le 24 juin 1859 en Lombardie et opposait les armées française et autrichienne. Le parallèle va jusqu'à l'engagement des armes: comme à Solférino, le pilonnage incessant de l'artillerie russe en Ukraine fait des ravages dans les villes assiégées.
Or c'est précisément la sanglante bataille de Solférino qui a conduit à la création du CICR à Genève en 1863, il y a 159 ans. Cette institution est la fierté de Genève et contribue largement à en faire la capitale du droit humanitaire. Lundi prochain, le 21 mars, la Fondation pour Genève décernera d'ailleurs son prix à Peter Maurer, président du CICR. Sur un plan plus local, c'est aujourd'hui même, le 17 mars 2022, que la Croix-Rouge genevoise fête son 158e anniversaire; elle a été fondée en 1864.
En tant que berceau du CICR et de la Croix-Rouge, Genève délivrera un signal politique fort et concret en versant un montant supplémentaire de 5 millions au CICR dont l'engagement en Ukraine est indispensable pour répondre à l'urgence humanitaire. C'est pourquoi le groupe PLR vous invite à soutenir le PL 13082. Merci.
Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie. Monsieur Bertrand Buchs, vous avez la parole pour une minute vingt.
M. Bertrand Buchs (PDC). Oui, merci beaucoup, Monsieur le président. Il faut savoir que si on demande des fonds supplémentaires pour le CICR, c'est parce qu'il s'agit du seul organisme qui peut encore fonctionner en Ukraine. On ne parle pas seulement de l'aide aux blessés ou des négociations pour que les Conventions de Genève soient «respectées», entre guillemets, mais aussi d'un énorme travail logistique, puisque le CICR s'occupe d'amener de l'eau, d'approvisionner en électricité et de gérer les déchets. On ne se rend pas compte de la logistique nécessaire.
Il est normal que, par pragmatisme, notre canton, qui dispose de moyens financiers importants, appuie cette organisation typiquement genevoise qui fait rayonner l'esprit de Genève partout dans le monde. Je rappelle que les véhicules qui circulent maintenant en Ukraine sont immatriculés dans le canton de Genève et que c'est une fierté pour les Genevois, donc il est normal qu'on soutienne le CICR, il est normal qu'on soit derrière lui tout comme avec le peuple ukrainien. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Jean Batou (EAG). Bien entendu, le groupe Ensemble à Gauche votera ce supplément de subvention pour le CICR concernant l'aide humanitaire en Ukraine. Toutefois, au-delà du CICR, j'aimerais souligner que certaines banques privées et entreprises de trading genevoises - elles ont leurs amis ici - ont bâti d'énormes fortunes dans le commerce avec la Russie de Poutine, et il faudrait lancer un appel à ces banquiers, à ces traders pour qu'ils mettent la main au portefeuille et participent... (Exclamations. Commentaires.) ...de manière beaucoup plus importante au soutien qui doit être apporté à la population ukrainienne. C'est une évidence: la banque Pictet à Genève est celle qui investit le plus dans les hydrocarbures russes, donc il serait juste qu'en retour, elle contribue massivement sur le plan humanitaire pour porter secours aux victimes de cette pétrodynastie que constitue la famille Poutine, pour venir en aide aux réfugiés ukrainiens.
Ensuite, Mesdames et Messieurs, il faut agir sans délai. Aujourd'hui, des centaines d'Ukrainiens, voire de Russes qui s'opposent à la guerre de Poutine, arrivent à Genève, et il n'y a pas de réception, pas de prise en charge. Pour ma part, j'en appelle au Conseil d'Etat afin qu'il prenne vraiment très au sérieux cet afflux - qui n'a pas été organisé, qui est spontané - de centaines de réfugiés. Vous pouvez les croiser dans la rue. Il faut installer à l'aéroport, à la gare, à des endroits stratégiques de la ville des personnes qui les accueillent, qui les orientent vers les services sociaux, je pense que c'est le devoir de notre canton.
Il ne suffit pas de voter ici, en pressant sur le bouton vert, un montant de 5 millions - que nous n'allons pas tous sortir de notre poche - pour le verser au CICR, il faut intervenir immédiatement, notre assistance est nécessaire maintenant. Enfin, profitons de cet élan de générosité envers l'Ukraine pour l'étendre à tous les pays en guerre et à tous les réfugiés, quelle que soit leur provenance. Merci. (Applaudissements.)
M. André Pfeffer (UDC). Le groupe UDC soutient ce projet de loi. Le CICR, qui représente l'un des emblèmes de la Genève internationale, de notre tradition humanitaire et du droit international, est en première ligne pour l'aide d'urgence en Ukraine. Cet organisme fait également figure d'acteur important pour le rayonnement de la Suisse et de sa diplomatie. Pour ces raisons et pour tout ce qui a été mentionné précédemment, l'UDC votera ce texte. Merci de votre attention. (Applaudissements.)
M. François Baertschi (MCG). L'Ukraine vit un drame. Des enfants, des femmes sont en train de mourir, arrivent à Genève dans des conditions dramatiques. Beaucoup de nos concitoyennes et concitoyens suivent ces heures difficiles, se montrent solidaires. Que pouvons-nous faire, nous, Grand Conseil, que devons-nous faire ?
On nous propose d'attribuer 5 millions de francs au CICR. C'est une offre généreuse que le MCG va bien entendu soutenir. Nous nous trouvons dans une situation exceptionnelle, et le MCG a toujours été un parti pragmatique. Le pragmatisme, c'est aussi avoir du coeur: face à une tragédie aussi gigantesque qui frappe l'Europe, nous devons tous montrer que nous partageons cette douleur, que nous faisons notre possible pour aider les habitants de notre continent.
Cependant, nous sommes un petit peu surpris d'entendre dans cette enceinte que tout va bien à Genève au niveau budgétaire, que nous disposons de moyens financiers incommensurables; eh bien je suis véritablement heureux de l'apprendre ! Il y a quelque temps, on nous disait plutôt que nous étions dans une situation catastrophique, que nous ne pouvions pas nous permettre de dépenser quelques millions par-ci par-là pour améliorer les choses, pour fournir les services indispensables aux résidents de ce canton. Voilà ce qui a été indiqué; mais qu'est-ce qu'on nous a raconté comme sornettes ? Aujourd'hui, à travers ce projet de loi, on se rend compte que c'est faux, et je tiens à remercier le peuple ukrainien qui se bat de manière valeureuse pour son indépendance, comme la Suisse a lutté dans des temps immémoriaux pour la sienne, je remercie les Ukrainiens de nous remettre les pieds sur terre, de nous permettre de comprendre que la vision catastrophiste qu'on nous a présentée n'est pas réelle.
On a traité notre parti de girouette; permettez-moi de rendre la politesse à certains groupes de ce parlement en soulignant que si le MCG est une girouette, eh bien nous ne changeons pas beaucoup de cap alors que d'autres ici vont vraiment dans tous les sens ! Merci, Mesdames et Messieurs les députés.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je donne la parole à M. Vincent Subilia pour cinquante-neuf secondes.
M. Vincent Subilia (PLR). Et je la prends avec plaisir, Monsieur le président, pour m'indigner face à certains propos tenus dans cette noble assemblée, car il est impératif que d'une seule voix, à l'unanimité, dans un esprit oecuménique - le seul qui doit prévaloir face à la tragédie qui se joue au coeur de l'Europe -, nous soutenions ce projet de loi.
D'aucuns lancent des diatribes qui n'ont pas lieu d'être ici, surtout lorsqu'elles stigmatisent des acteurs économiques, nommément pour certains. Une institution a été pointée du doigt, laquelle aussi, à l'instar du CICR, fait la fierté de Genève - je parle d'une banque qui se déploie aujourd'hui au sein de notre place financière, qui a fait preuve d'une grande générosité... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...y compris à l'endroit des HUG durant la période covid, je m'insurge donc contre ce procédé.
Mesdames et Messieurs, la gauche n'a pas le monopole du coeur, il faut le rappeler, et s'agissant des 5 millions en faveur de cet ambassadeur de l'esprit de Genève que représente le CICR, eh bien c'est aux contribuables qui paient des impôts - et on les trouve moins dans vos rangs de l'hémicycle - que nous les devons. Ce n'est pas le lieu ici...
Le président. C'est terminé, Monsieur le député.
M. Vincent Subilia. ...de débattre de ce genre de chose, nous devons défendre unanimement cette donation importante en temps de crise. Merci. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie. Monsieur Murat-Julian Alder, il ne reste malheureusement plus de temps au groupe PLR.
Une voix masculine. Encore un coup du patriarcat ! (Rires.)
Une voix féminine. Oh, ça va, là !
Le président. La parole retourne pour quinze secondes à M. François Baertschi. Quinze secondes !
M. François Baertschi (MCG). Je vous remercie. C'était une erreur, mais puisque j'ai la parole, je tiens à demander à chacun d'aller dans le sens de la solidarité envers le peuple ukrainien.
Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les conseillers... Les députés, pardon ! Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat ne s'oppose bien entendu pas à ce projet de loi. Vous le savez, il a lui-même soumis à la commission des finances un crédit supplémentaire d'un million, lequel a été voté hier. Les besoins du CICR sont avérés. Il faut savoir qu'en ce moment, outre l'aide apportée directement dans les régions d'Ukraine, l'organisme a décidé d'étendre son action dans les pays voisins en ouvrant des centres logistiques, en travaillant avec les Croix-Rouges locales pour faciliter les opérations, parce que la situation est véritablement dramatique: il n'y a plus d'eau, plus de nourriture, les gens ont froid.
Dans le cadre des contacts que nous entretenons avec le CICR - nous en avons eu pas plus tard qu'aujourd'hui -, nous avons demandé quels avaient été les derniers achats en évoquant ce projet de loi ouvrant un crédit de 5 millions, et l'institution nous a répondu qu'il y avait des commandes en cours à hauteur de 4,7 millions juste pour des mesures de protection contre le froid, c'est-à-dire des couvertures, du matériel de cuisine, des générateurs - en effet, Mesdames et Messieurs les députés, il n'y a plus d'électricité. Les besoins actuels du CICR sont chiffrés entre 300 et 350 millions. De nouveaux appels aux dons vont être lancés, donc vous comprendrez que le Conseil d'Etat soutiendra votre texte.
S'agissant de l'aide déployée dans le canton, j'aimerais rassurer le député d'Ensemble à Gauche: heureusement pour les Ukrainiennes et Ukrainiens qui viennent chercher refuge à Genève, le Conseil d'Etat n'a pas attendu ses conseils ni qu'il nous fasse la leçon pour agir. Différentes personnes sont au front, mon collègue M. Poggia en fait partie, M. le conseiller d'Etat Apothéloz également. Une cellule de crise a été créée, l'hospice est sur le pied de guerre, nous accueillons des personnes jour après jour - plusieurs centaines sont déjà arrivées -, des logements sont mis à disposition, des moyens d'assistance aussi; il y a des propositions d'accueil au sein de la population, plusieurs hôtels ont offert d'eux-mêmes des chambres avec petit-déjeuner: ce sont d'importants témoignages de la solidarité qui se manifeste dans notre canton.
Dès lors, à mon sens, plutôt que d'adresser des reproches, que ce soit à des établissements bancaires ou à d'autres institutions, cet élan de solidarité devrait l'emporter et s'appliquer à l'ensemble des membres du Grand Conseil. Qu'on ne vienne pas donner des leçons à certains, surtout lorsqu'on ne sait rien de leur participation et de leur soutien. Je regrette que dans le cadre de ce débat, qui aurait dû être serein et sceller une union, d'aucuns tirent à boulets rouges sur des entités, qui plus est parmi celles qui mènent chaque année des actions philanthropiques. Voilà, Mesdames et Messieurs, le Conseil d'Etat vous recommande d'accepter ce projet de loi. Merci.
Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Présidence de M. Diego Esteban, président
Le président. Je vous remercie, Madame la conseillère d'Etat. Nous sommes maintenant en procédure de vote.
Mis aux voix, le projet de loi 13082 est adopté en premier débat par 87 oui et 1 abstention.
Deuxième débat
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que les art. 1 à 5.
Le président. Nous nous prononçons à présent sur l'article 6 «Clause d'urgence». Je rappelle que selon l'article 142 de la LRGC, pour être adoptée, la clause d'urgence doit être votée par le Grand Conseil à la majorité des deux tiers des voix exprimées, les abstentions n'étant pas prises en considération, mais au moins à la majorité de ses membres.
Mis aux voix, l'art. 6 est adopté par 83 oui et 2 abstentions (majorité des deux tiers atteinte).
Troisième débat
Mise aux voix, la loi 13082 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 88 oui et 1 abstention (vote nominal). (Applaudissements à l'annonce du résultat.)
Débat
Le président. Nous abordons l'urgence suivante, soit la M 2829 qui est classée en catégorie II, trente minutes. Pour commencer, la parole va à son auteur, M. Pablo Cruchon.
M. Pablo Cruchon (EAG). Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, pour rappel, le 2 novembre dernier, des employés de l'entreprise Smood se mettaient en grève à Yverdon, et durant les semaines qui ont suivi, jusqu'au 18 novembre, le conflit gagnait Neuchâtel, le canton de Vaud et Genève. De nombreux collaborateurs de Smood se sont élevés pour protester contre la situation qu'ils vivaient. Pourquoi exactement ? Ils s'insurgeaient contre des conditions de travail moyenâgeuses, indignes d'un employeur dans un pays comme la Suisse.
Les deux sociétés - puisqu'il s'agit à la fois de Smood et de son sous-traitant Simple Pay - ne respectent aucun cadre légal, ni la loi sur le travail ni celle sur le salaire minimum; elles n'ont aucun égard pour les salariés qu'elles traitent comme des moins que rien en les exploitant jusqu'à la moelle pour leurs propres bénéfices.
Ces gens se sont donc mis en grève, perdant de ce fait tous leurs revenus, se voyant congédiés pour certains en représailles de leur mobilisation, comme dans le canton de Vaud. Malgré leur statut extrêmement précaire, ils se sont révoltés afin de réclamer un certain nombre de choses pourtant évidentes. Comme quoi ? Comme le paiement rapide des heures supplémentaires, l'arrêt des pénalités abusives, la rémunération correcte du travail le dimanche, les jours fériés et les soirées, une meilleure planification du temps de travail, une répartition transparente et équitable des pourboires, le défraiement pour l'utilisation du véhicule, etc.
Les pratiques de Smood, quand vous écoutez les employés, sont totalement hallucinantes. Nous avons affaire à des patrons voyous - il n'y a pas d'autre mot - qui enfreignent la loi, qui exploitent le personnel et surtout n'éprouvent aucun remords à le faire. Ils l'ont indiqué eux-mêmes: s'ils voulaient respecter la loi, ils devraient licencier. Face à cela, le soulèvement s'est renforcé, les citoyens ont appuyé les revendications, notamment au travers de pétitions, et Mme Fischer a saisi la CRCT, la Chambre... Je ne me souviens jamais du nom...
Une voix. La Chambre des relations collectives de travail.
M. Pablo Cruchon. La Chambre des relations collectives de travail, merci ! ...pour qu'elle arbitre le conflit. Smood a freiné des quatre fers, n'a pas voulu négocier avec les représentants du personnel, a refusé plusieurs fois de discuter des revendications concrètes. Pour finir, la chambre a statué en formulant des recommandations très claires qui stipulent que l'entreprise doit agir rapidement pour se mettre en conformité avec la loi et que la majorité des conditions de travail sont insupportables. Et pourtant, Smood refuse d'obtempérer, gagne du temps et persiste.
Avec cette proposition de motion, nous souhaitons que le Grand Conseil prenne aujourd'hui position en énonçant que ce genre de pratiques n'a pas à avoir lieu à Genève. Nous ne voulons pas de patrons voyous, nous ne voulons pas de sociétés qui exploitent les travailleuses et travailleurs, il faut mettre un terme à ces agissements. Nous prions le Conseil d'Etat de s'investir pleinement dans ce dossier. Le texte d'origine comporte deux invites: la première demande au gouvernement d'intervenir pour que les recommandations de la CRCT soient respectées, la seconde l'appelle à faire pression sur les actionnaires en convoquant Migros.
Nous avons pris connaissance de l'amendement général déposé par le groupe PDC... Pardon: par le Centre ! (Commentaires.)
Une voix. Le Centre n'existe pas !
Une autre voix. Ça figure dans la LRGC.
M. Pablo Cruchon. Selon la LRGC...
Le président. Un instant, Monsieur le député !
Une voix. C'est l'UDC qui est du centre.
Le président. Monsieur Batou, vous n'avez pas la parole. Poursuivez, Monsieur Cruchon.
M. Pablo Cruchon. Alors le PDC, si vous préférez ! Le groupe PDC a présenté un amendement, et nous vous recommandons de le suivre. Pourquoi ? Parce que cette modification, une fois n'est pas coutume, reconnaissons-le, améliore la motion d'Ensemble à Gauche, ce qui est tout de même rare, je tiens à le souligner. En effet, une nouvelle invite énonce que l'Etat doit veiller à ce que les recommandations de la CRCT soient appliquées dans l'ensemble des entreprises actives dans le secteur de la livraison de repas à domicile. Et évidemment, dans la lutte que nous avons à mener contre l'ubérisation de nos sociétés, contre la précarisation massive des travailleuses et travailleurs de ce canton, cette proposition va dans le bon sens, et nous ne pouvons que nous y rallier. Ainsi, le groupe Ensemble à Gauche vous prie de bien vouloir soutenir cet objet ainsi que l'amendement du PDC. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Murat-Julian Alder (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, nous voici saisis d'une proposition de motion dont les invites ont de quoi surprendre. En effet, le Conseil d'Etat est convié d'une part «à poursuivre et intensifier les efforts afin que Smood se conforme aux recommandations de la CRCT le plus rapidement possible», d'autre part «à contacter et réunir les principaux actionnaires de Smood, dont Migros Genève fait partie, afin de s'assurer de leur engagement dans l'application des recommandations de la CRCT».
En d'autres termes, alors que les auteurs relèvent eux-mêmes dans les considérants que la Chambre des relations collectives de travail a été saisie par la conseillère d'Etat chargée de l'économie et de l'emploi, voilà que notre parlement cantonal est prié non seulement de dire à notre gouvernement d'effectuer son travail, mais également comment il doit le faire. Nous ne pouvons d'ailleurs que nous étonner que plusieurs membres du groupe des Vert, point médian, e, point médian, s... (Rires.) ...aient signé ce texte qui interpelle directement leur propre magistrate. Il nous est très difficile d'entrevoir ne serait-ce qu'un semblant de compatibilité de cet objet avec le principe de la séparation des pouvoirs.
Mais il y a plus. En règle générale, lorsqu'un litige survient entre des parties liées par un rapport de travail, des instances judiciaires sont appelées à le trancher. Et à Genève, la juridiction compétente n'est autre que le Tribunal des prud'hommes et des prud'femmes... (Rires.) ...un organe paritaire dans lequel siègent des juges assesseurs...
Une voix. Et des juges assesseuses !
M. Murat-Julian Alder. ...issus à la fois des syndicats de travailleurs et des associations patronales.
En outre, de par son libellé, la motion tend à trancher cette affaire d'emblée en mettant en cause tant la société Smood que la coopérative Migros, et ce sans même qu'on leur donne l'once d'une possibilité de se défendre, puisque les motionnaires souhaitent qu'elle soit adoptée immédiatement, sans traitement préalable en commission. L'auteur a d'ailleurs réitéré ses accusations parfaitement déplacées il y a quelques instants. L'immunité parlementaire dont nous jouissons ici n'excuse pas tout ! (Exclamations.) Ainsi, ce texte viole à double titre le principe de la séparation des pouvoirs et les droits les plus élémentaires de toute partie défenderesse dans une procédure, à commencer par le droit fondamental d'être entendu. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)
Par ailleurs, il a pour effet d'immiscer le Grand Conseil dans le dialogue entre partenaires sociaux et de minimiser de manière infondée et inacceptable le rôle d'ores et déjà joué par le Conseil d'Etat, la CRCT, l'OCIRT et les instances judiciaires compétentes. Quand bien même nous ne pouvons que respecter le combat des salariés concernés et recevoir avec empathie...
Le président. C'est terminé...
M. Murat-Julian Alder. ...et compréhension l'expression de leurs revendications, il ne nous appartient de nous substituer ni au gouvernement...
Le président. Il faut conclure...
M. Murat-Julian Alder. ...ni aux tribunaux.
Une voix. C'est terminé, il faut conclure !
M. Murat-Julian Alder. Merci de votre attention.
Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)
M. Sébastien Desfayes (PDC). Vous le savez, Mesdames et Messieurs, le PDC - Le Centre ! -... (Rire.) ...est attaché au dialogue social, au partenariat social, mais quand ceux-ci ne fonctionnent pas, quand certains acteurs dans un secteur d'activité donné ne jouent pas le jeu, c'est le rôle du politique d'intervenir. Cette proposition de motion a l'immense mérite de jeter un éclairage extrêmement cru sur la précarité des employés des plateformes numériques, en l'occurrence des livreurs de repas à domicile.
Pendant un certain temps, le monde politique a fait preuve d'une certaine naïveté à l'égard des plateformes digitales, on en vantait l'innovation. Toutefois, quand on regarde les choses de plus près, il n'y a pas d'innovation, mais seulement l'exploitation des gens par un petit nombre de protagonistes économiques. Peut-on tolérer que la loi sur le salaire minimum ne soit pas appliquée ? Peut-on accepter que le défraiement des frais professionnels ne soit pas respecté ? Peut-on consentir à ce que certaines heures de travail, dont celles d'attente, ne soient pas rémunérées ? Il est évident que non. Nous nous montrerions intraitables si un employeur classique violait ces obligations impératives du droit du travail, et pourtant, on fait preuve d'une certaine tolérance pour les plateformes numériques. Cela doit cesser.
L'exemple de Smood est significatif, mais cette société ne doit pas servir de bouc émissaire, car d'autres acteurs dans le même domaine de la livraison à domicile sont concernés. A cet égard, je vais vous lire un extrait d'un entretien avec M. Marc Aeschlimann, président du conseil d'administration de Smood, paru dans «Le Temps» du 11 février: «Une entreprise» - je ne vais pas citer son nom - «ne respecte pas la loi et organise un vaste marché noir en employant des gens qui ne déclarent pas leur revenu. Mais elle ne fait l'objet, par laxisme, d'aucun contrôle de la part du politique ni d'aucune protestation syndicale.»
C'est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement général. Smood ne doit pas être le seul employeur visé, toutes les compagnies actives dans le secteur de la livraison à domicile doivent respecter le droit. Innovation, disruption ne signifient pas violation du droit du travail suisse et de certains acquis obtenus après des années de lutte syndicale. Merci. (Applaudissements.)
M. Pierre Eckert (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, chères et chers collègues, Smood est une société active dans l'ensemble de la Suisse qui livre à domicile des plats provenant de divers restaurants ou des courses réalisées dans différents magasins. Migros est un important actionnaire de Smood de même que l'un de ses principaux clients.
Une voix. Migros, Coop, Denner et compagnie.
M. Pierre Eckert. Je peux faire de la publicité, ou bien ?
Une voix. Arrêtez d'interrompre !
Le président. Un instant, s'il vous plaît ! Monsieur Florey, je vous donne volontiers la parole si vous la demandez à votre place, mais sinon vous n'êtes pas autorisé à parler.
Une voix. Et c'est un membre du Bureau, en plus !
Le président. Continuez, Monsieur Eckert.
M. Pierre Eckert. Je continue, Monsieur le président, merci. Smood exploite le même créneau qu'un certain nombre de multinationales ubérisées qui opèrent dans le domaine de la livraison à domicile.
Ces dernières développent des méthodes de gestion du personnel très discutables, prétendant que les employés n'en sont pas et qu'il s'agit dans cette activité de bons rapports de voisinage consistant à apporter des pizzas en contrepartie de quelques piécettes glissées dans la poche ou de cryptomonnaies créditées dans l'éther. Le fonctionnement de ces entités constitue un problème en soi, et à cet égard, nous acceptons très volontiers l'amendement général déposé par le groupe PDC.
Tel n'est pas le cas de Smood, du moins pour l'instant: le personnel est réellement salarié dans l'entreprise, mais celle-ci essaie tout de même d'imiter les sociétés ubérisées que je viens d'évoquer. La loi fédérale sur le travail devrait au minimum être respectée, mais ce n'est pas le cas. Par exemple, seules les heures effectives de livraison sont comptées, cela a été dit, et pas le temps d'attente; le travail réalisé le dimanche et les jours fériés n'est pas rétribué selon les standards en vigueur; il n'y a pas de minimum garanti d'heures de fonction, si bien qu'il est possible de se retrouver à la fin du mois avec un revenu nul.
Cette proposition de motion que nous soutenons représente un signal politique de la part du parlement genevois ainsi qu'un message de soutien au Conseil d'Etat. Contrairement à ce qui a été prétendu, ce n'est pas un signe de défiance vis-à-vis du gouvernement, c'est une déclaration de soutien à notre magistrate afin que le Conseil d'Etat poursuive ses efforts pour faire respecter les droits du personnel et se montre ferme face à la direction de Smood, à ses actionnaires et à toutes les plateformes numériques actives dans la même branche. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. André Pfeffer (UDC). Tout le monde regrette bien entendu ce litige social ainsi que ses effets sur les salariés. Toutefois, les auteurs de la proposition de motion refusent de reconnaître notre cadre légal et notre pratique, qui reposent essentiellement sur le partenariat social. Pour rappel, c'est l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail qui fixe les conditions-cadres et effectue le contrôle, et non la Chambre des relations collectives de travail, comme le voudraient les motionnaires.
Les deux invites d'origine sont contraires aux pratiques de ce pays, surtout celle qui demande au Conseil d'Etat de s'assurer que Smood applique les recommandations de la Chambre des relations collectives de travail. A ce jour, la société a accepté sept des neuf recommandations, notamment la rémunération, le paiement des jours fériés, les indemnités pour véhicules privés, la transparence pour les pourboires, la visibilité pour les bonus, une meilleure planification.
D'autre part, je rappelle que Smood est active dans un domaine hautement concurrentiel. Les livraisons de courte distance sont rémunérées en moyenne à hauteur de seulement 3 francs la course. De plus, certains concurrents comme Uber Eats, qui considère ses livreurs comme des indépendants et les rétribue exclusivement à la tâche, représentent un énorme handicap pour l'entreprise qui, elle, a un mode de fonctionnement basé sur le salariat.
Les amendements ne nous conviennent pas. L'ingérence de l'Etat reste trop importante et surtout, ce n'est pas à lui d'imposer des règles de fonctionnement à une branche professionnelle. Amendé ou pas, ce texte constitue une entrave au partenariat social et au bon fonctionnement de l'économie. Le groupe UDC souhaite que le projet soit renvoyé en commission afin que nous auditionnions tous les acteurs et que nous l'étudiions correctement. Merci de votre attention.
Le président. Il est pris bonne note de votre requête, Monsieur le député, nous la traiterons à la fin du débat. Je donne maintenant la parole à M. François Baertschi.
M. François Baertschi (MCG). Merci, Monsieur le président. Une fois de plus, nous nous retrouvons face au problème des plateformes numériques de livraison à domicile, un véritable scandale qui donne lieu à une nouvelle exploitation des gens, lesquels échappent aux législations ordinaires, avec des entreprises qui bénéficient d'avantages concurrentiels indécents dans le cadre d'un système qui s'apparente à la loi de la jungle. On a déjà vu ça auparavant avec Uber et Uber Eats, et le magistrat Poggia a obtenu des résultats devant les tribunaux. Comme quoi le travail de l'Etat, contrairement à ce que soutient l'UDC, est nécessaire: l'Etat doit être là pour faire respecter le cadre légal, faute de quoi c'est la loi de la jungle et les plus faibles, les résidents genevois sont menacés. Voilà le genre de libéralisme que visent le PLR et l'UDC !
Nous, le MCG, sommes opposés à cette vision du monde, parce qu'elle crée la misère et ne contribue pas du tout à la prospérité. (Rires.) Là, nous faisons face à quelque chose... Je constate que ça en fait rire certains quand on parle de la pauvreté de la population ! Il y a eu une belle unanimité tout à l'heure pour lutter contre les conditions de détresse en Ukraine, mais lorsque ça concerne Genève, d'aucuns rient et plaisantent ! On dirait que ça leur fait plaisir qu'il y ait de la misère dans notre canton. (Exclamations.) Je trouve ça triste...
Une voix. Mais comment est-ce qu'on peut raconter des conneries pareilles ?!
M. François Baertschi. Je trouve ça triste, certains députés ont vraiment une vision dégradante des Genevois et de l'être humain en général, et je les plains beaucoup.
Je les plains beaucoup tout comme je dénonce Migros, société coopérative à l'origine, qui devrait théoriquement appartenir à ses coopérateurs, mais qui est devenue une sorte de monstre capitaliste - enfin, capitaliste social, on ne sait pas trop ce que c'est -, qui exploite le personnel local, emploie des frontaliers sous-payés... (Commentaires.) Je vois que certains ici défendent le travail des frontaliers, trouvent ça normal, on le voit à droite, à l'UDC et au PLR, c'est leur politique.
En plus, la Migros refuse de vendre du lait GRTA, donc elle nuit aux agriculteurs locaux. La boucle est bouclée, on est dans un système de fous. Est-ce vraiment ce que nous voulons pour Genève ? Non, pour ma part, je m'oppose à la «smoodisation» de notre société, je défends une Genève libre, républicaine et démocratique.
Mme Léna Strasser (S). Mesdames et Messieurs les députés, d'un côté, une entreprise, Smood, qui vante sur son site internet pour ses employés - je cite: «Des horaires libres et des revenus complémentaires rapides et significatifs !» De l'autre, des livreuses et livreurs qui triment et revendiquent l'application de la loi sur le travail ainsi qu'un salaire convenable, le respect de leurs prestations et de leur dignité en tant qu'employés. Deux visions opposées qui n'ont pas réussi à être conciliées devant la Chambre des relations collectives de travail.
Notre parlement ne peut pas rester muet face à la précarisation de ces emplois, il doit soutenir la reprise des négociations et les efforts pour que Smood et ses actionnaires se conforment aux recommandations. Nous saluons l'amendement général qui permet d'élargir le point de vue. Le parti socialiste soutiendra cette proposition de motion, laquelle met en lumière les nouvelles pratiques professionnelles intolérables qui se glissent dans les interstices de la digitalisation de notre société. (Applaudissements.)
Le président. Merci bien. La parole retourne à M. Pablo Cruchon pour une minute vingt-quatre.
M. Pablo Cruchon (EAG). Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, j'aimerais réagir aux propos de M. Murat Alder, qui inverse complètement la tendance en s'exclamant: «Ce pauvre employeur qui ne peut pas être entendu, lui qu'on accuse à tort !» C'est risible ! Ce même employeur a refusé de discuter avec les syndicats, a refusé de s'exprimer devant la CRCT, a refusé des rendez-vous avec Mme la conseillère d'Etat Fischer ! Tout cela est proprement inadmissible quand on sait que des gens violent allégrement la loi et ont des comportements parfaitement intolérables.
Aujourd'hui, il ne s'agit pas d'apporter un soutien au Conseil d'Etat ou d'exprimer une défiance à son égard, nous voulons envoyer un message clair sur le fait que nous condamnons ces pratiques et défendons une économie qui ne tolère pas des patrons voyous exploitant éhontément les employés, ne leur permettant pas de vivre dignement de leur travail. Voilà le signal politique qui doit être transmis ce soir au gouvernement; ce n'est ni un soutien ni une critique, c'est un signe pour que dans notre canton, les employeurs se comportent correctement et surtout que les personnes puissent vivre de manière décente.
J'aimerais conclure en citant un exemple: les livreurs de Smood, sur le piquet de grève, me racontaient: «Parfois, nous patientons six heures à côté de la borne avant d'obtenir une course et nous ne sommes pas payés le moindre franc pour ces longues périodes d'attente.» C'est tout simplement inadmissible ! Merci. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie. Il ne reste plus de temps au groupe PLR.
Une voix. J'ai été mis en cause ! (Exclamations.)
Le président. Non, Monsieur Alder, vous n'avez pas été mis en cause. Madame la conseillère d'Etat Fabienne Fischer, vous avez la parole.
Mme Fabienne Fischer, conseillère d'Etat. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais tout d'abord vous remercier pour cette proposition de motion dont l'objectif croise les intentions du Conseil d'Etat telles que le département de l'économie et de l'emploi a eu l'occasion de les porter depuis le début du conflit social chez Smood. Vos préoccupations sont vraiment en phase avec celles qu'il me tient à coeur de faire valoir.
La ligne rouge, je l'affirme d'emblée, c'est le cadre de la loi. Le respect de la législation est une règle qui s'applique à tout un chacun, à toute une chacune - pour faire un petit clin d'oeil au débat précédent -, et dans cette perspective, il convient avant tout de s'assurer que les employeurs assument les responsabilités fondamentales qui leur incombent. Je commencerai par relever qu'une entreprise doit payer le temps pendant lequel le collaborateur ou la collaboratrice est à sa disposition pour travailler. Selon la Chambre des relations collectives de travail, que j'ai moi-même saisie - plusieurs d'entre vous l'ont rappelé - afin d'obtenir son avis sur un certain nombre de problèmes que la situation chez Smood pose sous l'angle du droit du travail, quand un salarié ou une salariée est sous la responsabilité de son employeur, clairement, le salaire est dû.
D'autres questions liées à l'application de la loi sur le travail sont soulevées par ce litige social, par exemple la rémunération au salaire minimum, le défraiement des frais et, de manière plus générale, les conditions de travail des livreurs et des livreuses. Les interrogations que vous soulevez, au-delà de l'exécution de la loi, révèlent une mutation dans le monde professionnel que nous devons accompagner. De mon point de vue et surtout de celui de la Chambre des relations collectives de travail, l'arsenal législatif actuel, en particulier la loi sur le travail et le code des obligations, permet de répondre aux enjeux et de préserver la dignité des travailleuses et des travailleurs dans le contexte d'une économie de plateforme. C'est précisément l'objectif que poursuit aujourd'hui le Conseil d'Etat, il s'agit de mettre en oeuvre les recommandations formulées par la Chambre des relations collectives de travail.
J'aimerais rassurer celles et ceux qui estiment que certaines des parties en présence n'auraient pas pu exercer leur droit d'être entendues: un nombre conséquent d'auditions ont eu lieu devant la Chambre des relations collectives de travail, de multiples témoins ont été entendus, des débats longs et approfondis ont été menés qui ont permis non seulement d'aboutir à plusieurs points de convergence, mais surtout de constater que sur un certain nombre de points, la loi n'était, en l'état, pas respectée et qu'il fallait y remédier, ce à quoi le Conseil d'Etat ne peut bien entendu que souscrire.
La question que pose l'avènement des plateformes numériques est la suivante: pouvons-nous accepter que ces mutations qui sont d'une part d'ordre technologique, mais s'insinuent d'autre part dans nos habitudes de consommation - il nous arrive sans doute à tous et à toutes de nous faire livrer des repas de temps à autre -, passent par la précarisation des personnes qui travaillent, la précarisation sous l'angle salarial ? En effet, bas revenu plus temps de travail restreint égale pas de moyens pour assurer ses obligations - paiement du loyer et des assurances sociales, prise en charge de sa vie. Aujourd'hui, il est important que les emplois que nous offrons à Genève soient de qualité, permettent aux travailleurs, aux travailleuses de vivre dignement.
Le dernier point que je tiens à relever est abordé dans l'amendement général déposé par le PDC. Il me semble juste d'insister sur le fait que les biais de l'économie de plateforme ne concernent pas uniquement Smood, mais d'autres entreprises également. En revanche, je m'inscris en faux contre celles et ceux qui soutiennent que nous aurions fait preuve de laxisme. Vous le savez, un autre conflit est en cours, mais il fait l'objet d'une procédure judiciaire dans laquelle l'effet suspensif a été demandé; la cause est actuellement pendante devant le Tribunal fédéral, et aussi longtemps qu'un jugement n'aura pas été rendu par celui-ci, eh bien nous n'avons tout simplement pas les moyens d'agir et il ne s'agit en aucun cas de laxisme.
En résumé, le Conseil d'Etat, je le répète, partage les préoccupations des motionnaires tout comme celles formulées dans l'amendement général du PDC. Les efforts que je déploie, au nom du département de l'économie et de l'emploi et pour le compte du Conseil d'Etat, depuis le début du litige, je vais m'employer à les poursuivre et vous ferai rapport si votre assemblée décide de renvoyer cet objet au Conseil d'Etat. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Nous avons été saisis d'une proposition de renvoi à la commission de l'économie; je la mets aux voix.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2829 à la commission de l'économie est rejeté par 56 non contre 33 oui.
Le président. Nous procédons dès lors au vote sur l'amendement général présenté par M. Sébastien Desfayes qui remplace les deux invites actuelles par la teneur suivante:
«Invites (nouvelle teneur)
invite le Conseil d'Etat
- à poursuivre et intensifier les efforts pour que Smood SA se conforme à l'ensemble des recommandations de la CRCT le plus rapidement possible;
- à fournir les efforts nécessaires afin que toutes les sociétés actives dans le secteur de la livraison de repas à domicile se conforment à l'ensemble des recommandations de la CRCT le plus rapidement possible.»
Mis aux voix, cet amendement général est adopté par 72 oui contre 14 non et 1 abstention.
Mise aux voix, la motion 2829 ainsi amendée est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 60 oui contre 28 non et 2 abstentions (vote nominal). (Applaudissements à l'annonce du résultat.)
Débat
Le président. Nous passons à l'urgence suivante. (Brouhaha. Le président s'interrompt.) Si le rang arrière du PLR pouvait continuer ses vociférations à l'extérieur de la salle ! (Commentaires.) Monsieur Burgermeister, vous pouvez les rejoindre dehors ! (Rires.) Nous sommes en catégorie II, trente minutes. (Remarque.) Un peu de tenue, s'il vous plaît ! Je cède la parole à M. le député Grégoire Carasso, auteur.
M. Grégoire Carasso (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, quels que soient notre formation ou notre bagage, que nous soyons pour une Suisse avec ou sans armée, que nous soyons pour ou contre l'Union européenne ou l'OTAN, que nous soyons nés avant ou après la chute du Mur, l'invasion militaire de l'Ukraine décidée par les autorités russes nous a glacé le sang. Les bombardements continus d'immeubles, de quartiers résidentiels, d'hôpitaux par l'armée russe suscitent des sentiments qui vont de la colère au désespoir. C'est par exemple l'histoire de cette femme tuée sous les bombes dans la maternité de Marioupol avec son bébé pas encore né.
Il ne s'est pas écoulé un mois de guerre que l'on compte déjà des milliers de morts civils, des dizaines de milliers de blessés et des millions de réfugiés jetés sur les routes. Alors que les vieux démons de l'Europe se réveillent, nous vous invitons à condamner sobrement, symboliquement et fortement cette agression militaire d'un Etat souverain européen contre un autre Etat souverain européen. Alors que les vieux démons de l'Europe se réveillent, nous invitons nos autorités genevoises et suisses à poursuivre leurs efforts pour venir en aide ici et sur place aux personnes victimes de cette effroyable guerre. Merci de votre accueil à cette résolution. (Applaudissements.)
M. Alexandre de Senarclens (PLR). Le PLR veut dire par ma voix sa tristesse, son émotion et son inquiétude à propos de la guerre en Ukraine. C'est un événement géopolitique majeur, peut-être un des événements les plus marquants depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, certainement d'une importance équivalente, voire plus grave, que la Hongrie en 1956, la Tchécoslovaquie en 1968 ou la guerre civile en ex-Yougoslavie. Des actes de guerre inqualifiables, une vraie barbarie - est-ce un génocide ? Les historiens le diront peut-être. Ce sont en tout cas des crimes de guerre et une violation crasse du droit international humanitaire: des villes rasées, Kharkiv, Kherson, Marioupol et peut-être bientôt Kiev; des villes en état de siège, des civils, des enfants visés, encore hier dans le théâtre de Marioupol où mille personnes avaient trouvé refuge; des personnes qui meurent de faim quand elles ne meurent pas des bombes.
Ces actes abominables sont sans possible justification. Seuls quelques idiots utiles, thuriféraires de Poutine, à la conscience certainement altérée par quelque récompense ou autre médaille honteuse, tentent de justifier l'injustifiable. L'Europe est attaquée, son Etat de droit, son intégrité, ses valeurs, et dans ces conditions, il appartient au Grand Conseil de s'élever, de dénoncer, de dire sa solidarité, de rappeler la vocation de notre canton à l'accueil, de rappeler les Conventions de Genève et le rôle de la Genève internationale. C'est pour ces motifs que le PLR soutiendra cette résolution, en espérant qu'elle sera adoptée à l'unanimité. Je vous remercie, Monsieur le président.
M. André Pfeffer (UDC). Halte à la guerre et solidarité avec les victimes, pour le peuple ukrainien: oui, et tout le monde est d'accord. Mais le groupe UDC ne peut pas accepter cette proposition de résolution. Certaines invites affaiblissent notre neutralité et notre tradition de médiation et de bons offices. Comme vous le savez, l'UDC suisse a dénoncé la manière dont le Conseil fédéral a traité notre neutralité. Un alignement complet sur l'Union européenne et une reprise intégrale de ses sanctions sont contraires à notre neutralité et à l'intérêt de la Suisse. Quelques heures après cette erreur, Moscou avait déjà déclassé la Suisse parmi les pays hostiles, comme tous ceux de l'OTAN. D'autre part, quand Moscou propose un statut de neutralité à l'Ukraine, elle cite pour exemples des pays neutres comme la Suède ou l'Autriche. La vocation de la Suisse est d'être une médiatrice et d'offrir ses bons offices. Durant les huit années de guerre dans le Donbass, la Suisse a joué un rôle important en tant qu'observatrice, médiatrice et intermédiaire sur le plan diplomatique. Aujourd'hui, il semble que la diplomatie suisse soit déclassée et que ce rôle soit repris par la Turquie et Israël. Il y a déjà eu suffisamment de communications et d'actions négatives relatives à notre neutralité. Ce texte n'apporte rien de plus que ce qui existe déjà et ce qui a déjà été décidé. Pour ces raisons, le groupe UDC le refusera. Merci pour votre attention.
M. Jean Batou (EAG). Je pense que le moment de l'unanimité pour condamner l'agression russe en Ukraine, pour exiger le retrait des troupes russes est important - il s'agit d'une violation absolument inacceptable du droit international. Il est aussi important que nous soyons unanimes à défendre les victimes de cette agression, c'est-à-dire les Ukrainiens, dont plus de trois millions ont trouvé refuge dans un pays voisin et plusieurs millions ont été déplacés à l'intérieur du pays.
Ce moment d'unanimité est important, mais il faut aussi réfléchir aux causes de ce terrible événement. La Russie est un énorme exportateur de matières premières et d'hydrocarbures qui nourrit l'économie mondiale, comme l'Arabie saoudite ou les Emirats arabes unis, qui mènent aujourd'hui une guerre terrifiante au Yémen. Il faut réfléchir à nos responsabilités, et - je m'excuse auprès de ceux qui se sentiront visés - à nos responsabilités quand nous considérons comme normal que Genève soit la principale plateforme de trading de matières premières, en particulier des matières premières russes, et que des oligarques de ce pays s'enrichissent grâce aux affaires qu'ils peuvent faire en Suisse. Je pense qu'il est aussi important de dire que cette richesse accumulée par les oligarques l'est aux dépens du peuple russe, et demain, peut-être, du peuple ukrainien, s'ils réussissent à annexer l'Ukraine.
Nous devons réfléchir aussi aux conséquences de cette guerre, pas seulement pour le peuple ukrainien, bien sûr principale victime, mais aussi pour les peuples du monde, c'est-à-dire les Africains qui n'auront plus les livraisons de blé et d'autres céréales de l'Ukraine, comme les gens aux revenus les plus modestes des pays occidentaux, de la Suisse aussi, qui vont voir l'inflation ronger leurs petites retraites ou leurs petits revenus. C'est donc la chaîne de ces événements qui doit nous faire réfléchir, la chaîne de ces événements que nous devons rompre pour qu'après cette unanimité contre la guerre, pour la paix, pour l'accueil des réfugiés, nous soyons aussi ensemble pour lutter contre le creusement des inégalités sociales. Merci. (Applaudissements.)
Mme Christina Meissner (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, je n'ai pas préparé de texte pour cette résolution, et vous m'excuserez si j'ai un peu de peine à m'exprimer: c'est mon coeur qui parle aujourd'hui, mon coeur de Suissesse, mais aussi mon coeur et ma nationalité polonais. A la frontière de l'Ukraine, la Pologne est le pays qui accueille aujourd'hui le plus de réfugiés. Il y a des réfugiés partout. Ma famille, nos familles les accueillent tous. Le gouvernement polonais est derrière, tout le monde est derrière. Evidemment, nous, petite Suisse, qu'est-ce qu'on est ? Un pays de 8 millions d'habitants face à un autre de 44 millions - nous représentons la Crimée: ce n'est rien ! Mais en même temps, on peut faire quelque chose. Nous l'avons fait aujourd'hui, et je tiens à remercier ce parlement d'avoir unanimement voté l'aide au CICR, parce que c'est là-bas qu'il faut d'abord apporter notre aide, où des gens ont froid, ont faim, n'ont plus rien et ne peuvent même pas arriver jusqu'aux frontières de l'Europe, jusqu'en Suisse.
Nous pouvons aussi agir ici, et je tiens à remercier très sincèrement le Conseil d'Etat pour ce qu'il fait déjà. Oui, le gouvernement fait déjà beaucoup de choses qui sont demandées dans cette résolution, qu'il s'agisse de participer à l'accueil des réfugiés, de favoriser tout ce qu'on peut faire, de mettre les moyens à disposition, et Dieu sait s'il en faut. Merci au Conseil d'Etat ! Non, cette résolution ne servira pas à rien: elle dit que nous aussi, parlement, nous soutenons ces actions, les voulons très fortement et nous engageons en leur faveur.
Je vous engage tous à hisser le drapeau ukrainien, je vous engage tous à accueillir des Ukrainiens, que ce ne soit pas que le Conseil d'Etat qui le fasse, je vous engage tous à espérer que cette guerre cesse, parce que les Ukrainiens ne demandent qu'une chose: retourner dans leur pays et le reconstruire. «Slava Oukraïni !» (Applaudissements.)
Mme Marjorie de Chastonay (Ve). Mesdames et Messieurs, les Vertes et les Verts condamnent fermement la guerre d'agression des autorités russes contre l'Ukraine. Cette guerre d'agression sans scrupules nous a toutes et tous choqués. Malgré la peur et la colère qui nous envahissent, nous ne devons pas perdre nos valeurs. En tant que Vertes et Verts, nous sommes issus du parti du mouvement pour la paix; c'est l'une de nos racines fortes. A long terme, pour garantir durablement la paix et la sécurité, il faut un renforcement de la coopération internationale, du droit international, des droits humains et de la démocratie, et non une spirale d'armement.
Néanmoins, les personnes qui commettent ces crimes de guerre en Ukraine - hier, aujourd'hui ou demain - doivent être jugées. Le Sénat américain a demandé que la Cour internationale de justice à La Haye soit saisie et mène des enquêtes pour chaque crime de guerre commis par le gouvernement russe et son commandement militaire. Même la France annonce aujourd'hui être prête à intervenir dans la procédure de la Cour internationale de justice.
La fin de la guerre en Ukraine doit être obtenue le plus rapidement possible. Nous condamnons fermement les actes commis contre des habitants non armés et des bâtiments civils. Hisser le drapeau de l'Ukraine en signe de solidarité avec son peuple est un acte symbolique fort. Participer à l'accueil des réfugiés de la guerre en Ukraine est un acte humanitaire fondamental.
Au-delà de toutes ces invites, si on tient encore au multilatéralisme, il faut faire fonctionner les outils multilatéraux. Au-delà de cette résolution que les Vertes et les Verts soutiennent, nous pensons fortement que l'outil le plus adéquat pour condamner le gouvernement russe et son commandement militaire, c'est l'activation de la Cour internationale de justice. Les Vertes et les Verts voteront cette résolution mais soutiennent également une action plus forte à travers la Cour internationale de justice. Merci. (Applaudissements.)
M. Patrick Dimier (MCG). Il y aurait une incohérence assez flagrante à avoir voté voici quelques heures 5 millions pour soutenir le CICR et à refuser ce texte maintenant. Cela dit, je ne suis pas sûr qu'on puisse tirer à boulets rouges comme on le fait sur les Russes en tant que tels. Certains pensent qu'à l'intérieur, tout le monde est d'accord avec ce que fait le gouvernement: il y a là une erreur assez lourde à ne pas commettre. L'intérêt de ce genre de débat, c'est précisément d'essayer de remettre la raison au centre. Bien entendu que ce que fait ce gouvernement et ses chefs en particulier - mais je me demande si l'on peut faire un distinguo entre les chefs et le gouvernement - est tout simplement inqualifiable. Si à Genève, berceau des conventions qui fixent des règles assez précises sur les combats - c'est de ça que nous parlons -, nous ne nous mettions pas du côté de ceux qui sont agressés, il y aurait une incohérence assez grave.
Cela pour dire que je ne suis pas certain que la Suisse dans son ensemble, et elle aussi par son gouvernement, ne commette pas une erreur en s'alignant bêtement et simplement sur deux de ses adversaires endémiques, l'OTAN et l'Union européenne, qui sont rarement nos amis et qui sont plus souvent là pour nous critiquer.
Mais ce n'est pas de cela qu'on parle ce soir: ce dont on parle, c'est d'afficher, nous, comme citoyens de cette petite république, notre soutien à un peuple qui souffre et qui est lâchement agressé par son voisin. C'est de ça, et de ça seulement, que nous pouvons parler. Le reste est laissé à la conscience de chacun. Merci. (Applaudissements.)
M. Sylvain Thévoz (S). Mesdames et Messieurs les députés, le 24 février, il y a trois semaines jour pour jour, alors que nous étions réunis ici même, la guerre commençait en Ukraine. Certains d'entre nous ont pris rapidement parti, ont surtout compris l'ampleur de la guerre qui commençait; pour d'autres, c'était encore trop tôt, mais nous avons tous été saisis.
Trois semaines plus tard, ce texte va rassembler très largement ce parlement - nous regrettons bien sûr que l'UDC ne s'y associe pas - et émettre une déclaration politique importante, qui «condamne fermement la guerre d'agression des autorités russes contre l'Ukraine». Il demande au Conseil d'Etat d'en faire de même: à notre connaissance, il ne l'a pas encore fait au cours de ces trois semaines. Des déclarations ont été émises, une task force a été mise en place, une aide s'organise, mais politiquement, nous attendons encore de notre côté une déclaration du Conseil d'Etat condamnant cette guerre impitoyable, menée sur territoire ukrainien contre des civils, des innocents. On commence à voir se dessiner aujourd'hui une guerre telle qu'on l'a connue en Syrie, une guerre d'éradication: certains parlent de génocide, de crimes de guerre; l'OTAN le précisera, mais on peut très clairement identifier derrière les bombardements de maternités, de théâtres, une horreur propre à des crimes de guerre. Le Conseil d'Etat doit se positionner: c'est aussi ce que vise cette proposition de résolution, et c'est important.
Elle demande aussi d'accueillir sans réserve la population fuyant la guerre: pas juste les Ukrainiens, mais toute la population qui fuit. On sait qu'elle est constituée d'Ukrainiens mais aussi, peut-être, de Russes, de migrants qui se trouvaient dans le pays, qui arriveront ces prochains jours à Genève. Ce texte demande de ne pas faire de distinction, de considérer les personnes qui fuient la guerre et les bombes comme méritant un refuge à Genève, qui, certains l'ont rappelé, est une ville refuge: les huguenots sont arrivés ici, d'autres communautés ont toujours trouvé ici une terre d'accueil et de protection.
Enfin, Mesdames et Messieurs, il faut prendre l'ampleur - un certain nombre d'invites nous y engagent - de l'accueil qu'il va falloir développer, des moyens qui vont devoir monter en puissance pour accueillir ces gens qui jour après jour arrivent à la gare, à l'aéroport, aux frontières: vingt, cinquante, cent personnes, des cars la nuit - 8000 Ukrainiens accueillis pour le moment en Suisse, et ça va se poursuivre aussi à Genève, on est encore loin du compte. Cette résolution nous permettra de continuer à mettre la pression en invitant le Conseil d'Etat à poursuivre les démarches qu'il a entreprises. Je salue, au nom du parti socialiste, la très large majorité qui va voter cette résolution. Merci.
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes tous choqués, meurtris, consternés, et cette souffrance partagée, le Conseil d'Etat comprend parfaitement qu'une majorité de ce parlement veuille la crier. La solidarité qui en est l'émanation première a été exprimée il y a peu par le soutien d'un crédit supplémentaire de 5 millions en faveur de notre diplomatie à nous, genevoise, celle de la Croix-Rouge, sur le terrain, neutre, qui soutient les personnes qui souffrent, tout simplement, comme la Suisse a toujours si bien su le faire. Cette solidarité, nous l'exprimons à Genève par la création d'une cellule de crise déjà active, avec des services de l'Etat qui sont au front, avec des bénévoles qui accueillent déjà des personnes qui viennent chez nous, qu'elles soient porteuses du passeport ukrainien ou non, personnes qui fuient la guerre et que nous accueillons, directement pour celles qui viennent chez nous, mais aussi par l'intermédiaire des centres fédéraux d'asile. La solidarité est donc là, tous les jours, à Genève; c'est, je dirais, notre ADN, notre marque de fabrique: montrer à quel point nous sommes concernés par la souffrance en essayant modestement, humblement, d'apporter un peu d'apaisement à ceux qui nous le demandent.
Faut-il pour autant prendre les décisions qui vous sont soumises ? Même si, j'en suis parfaitement conscient, une majorité de votre parlement s'apprête à adopter cet objet, nous devons nous demander s'il est plus courageux de dénoncer les faits que d'essayer humblement d'apporter du réconfort à ceux qui le méritent, mais aussi nos bons offices, comme nous avons toujours su le faire, afin d'arriver à une solution diplomatique qui, si une porte s'entrouvre, nous permettrait de sortir de ce conflit. Est-ce en formulant une condamnation, comme on nous le demande ici, en hissant des bannières, que nous allons pouvoir favoriser la recherche d'une solution diplomatique ? Ne pas parler revient-il à un soutien ou à une neutralité complice, comme certains la voient ? Le silence, selon eux, serait finalement un soutien à celles et ceux qui violent le droit international. Non, je pense que l'accueil que nous offrons aux personnes qui viennent chez nous est la preuve que nous ne sommes pas indifférents, et notre neutralité n'est pas synonyme d'indifférence.
Nous accueillerons bien sûr cette résolution, parce que vous allez nous la renvoyer, mais demandons-nous - ensemble ou peut-être dans l'intimité de nos consciences plutôt que devant les caméras pour celles et ceux qui nous écoutent - s'il est finalement plus courageux de condamner ici ouvertement que de travailler humblement pour apaiser la souffrance et aller vers une résolution diplomatique de ce conflit. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs, je vous invite à vous prononcer sur ce texte.
Mise aux voix, la résolution 989 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 69 oui contre 5 non et 5 abstentions (vote nominal).
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous avons bien travaillé. Nous nous retrouvons demain à 14h pour la séance des extraits. Bon retour dans vos foyers !
La séance est levée à 23h.