République et canton de Genève

Grand Conseil

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M 2557-A
Rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier la proposition de motion de Mme et MM. Pierre Bayenet, Diego Esteban, François Baertschi, Anne Marie von Arx-Vernon pour un examen des conséquences de l'octroi de la qualité de partie aux victimes dans les procédures disciplinaires
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IV des 12 et 13 septembre 2019.
Rapport de Mme Marjorie de Chastonay (Ve)

Débat

Le président. Nous abordons maintenant la M 2557-A en catégorie II, trente minutes... (Brouhaha. Le président marque un temps d'arrêt en attendant que le silence se rétablisse.) Madame Marjorie de Chastonay, rapporteure, vous avez la parole.

Mme Marjorie de Chastonay (Ve), rapporteuse. Merci, Monsieur le président, et félicitations pour votre élection - je ne sais pas si je vous l'avais déjà dit ! Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de motion telle qu'amendée en commission a été acceptée par 10 voix pour contre 2 non - PDC et PLR. Examinée en 2019, elle s'inscrit dans le cadre des discussions coriaces qui ont eu lieu à la commission judiciaire et de la police lors du traitement de trois projets de lois émanant respectivement du PLR, des Verts et du Conseil d'Etat, déposés suite à des affaires au sein du DIP. Ces textes se focalisaient sur les droits des victimes lors de procédures administratives. Le PL 12392 du Conseil d'Etat a été adopté par ce Grand Conseil, c'est donc une loi à présent.

Cependant, M. Bayenet, premier signataire de la M 2557 «Pour un examen des conséquences de l'octroi de la qualité de partie aux victimes dans les procédures disciplinaires» que nous abordons maintenant, a souhaité revenir sur la notion de qualité de partie qui vise notamment à accroître les droits accordés aux victimes. Il s'agit ici d'étendre ce statut à l'entier de la procédure, qu'il ne soit pas uniquement valable durant l'audience comme dans la proposition des Verts. L'objectif principal est de permettre aux victimes entendues comme témoins de participer à la procédure, c'est-à-dire non seulement de s'exprimer pendant leur audition, mais également d'assister aux autres audiences, de prendre la parole à différents moments.

Il se trouve que cela n'est possible que si elles bénéficient de la qualité de partie. Ainsi, les personnes ne seraient pas juste convoquées par un juge et habilitées à répondre à ses questions, mais pourraient recevoir toutes les convocations, être informées du déroulement de l'affaire, assister aux audiences, se tenir face à l'auteur présumé des abus et réagir à ses propos. En effet, rappelons-le, les témoins entendus dans le cadre d'une procédure disciplinaire ne peuvent pas poser de questions, mais simplement y répondre. La qualité de partie permettrait également aux victimes de proposer des actes d'enquête. Bien sûr, cela ne serait pas une obligation, mais un choix.

L'objection principale soulevée pendant les travaux de commission était la suivante: en procédure administrative, il est question du rapport entre employé et employeur, les tiers n'ont pas à s'y immiscer. Or si un agent de l'Etat dysfonctionne dans ses activités, il est logique que les citoyennes et citoyens puissent exercer une influence sur la suite de cette relation.

Cette proposition de motion n'est pas un projet de loi qui modifierait la LPA, c'est-à-dire la loi sur la procédure administrative, elle demande simplement au Conseil d'Etat d'examiner dans quelle mesure nous pourrions améliorer encore la position des victimes dans le cadre des procédures administratives par une modification législative. Au cours de son traitement, de nombreuses questions ont été abordées. Malgré une tentative de gel, les travaux se sont poursuivis et le texte a été largement amendé. A l'époque, la commission judiciaire avait l'espoir - le grand espoir ! - que la révision de la LPA en cours à ce moment-là parvienne à bout touchant, mais tel n'est toujours pas le cas. Dès lors, cet objet conserve tout son sens.

Tout à l'heure, lors des extraits, nous avons approuvé le RD 1400 de la commission de contrôle de gestion sur l'intégrité sexuelle et le harcèlement en milieu scolaire, pris acte du rapport M 2465-A visant à faire la lumière sur le volet genevois de l'affaire Ramadan et adopté la motion 2595 relative aux dénonciations de dérapages et harcèlements à caractère sexuel au sein du DIP. Par souci de cohérence, il serait judicieux de soutenir le présent texte afin de doter la LPA, à terme, d'outils juridiques adéquats de lutte contre ces fléaux. C'est ce que vous recommande de faire la commission judiciaire et de la police. Merci.

M. Sébastien Desfayes (PDC). Le PDC soutiendra la présente proposition de motion dont l'une des cosignataires, je tiens à le signaler, est la regrettée Anne Marie von Arx-Vernon. Ce texte s'inscrit dans le cadre de l'affaire dite Ramadan où des victimes - ou plutôt, soyons précis, des victimes présumées - ont été entendues en tant que témoins lors de procédures disciplinaires. Il se trouve que ces personnes ont été jetées sans défense dans la fosse aux lions, elles ont été réduites en charpie.

Dans une procédure administrative et contrairement à ce qui se passe dans le pénal, le statut de personnes appelées à donner des renseignements, les PADR, qui ont la possibilité d'être défendues par un avocat, n'existe pas. Depuis le dépôt de cet objet, cela a été rappelé par Mme de Chastonay, notre Grand Conseil a voté la loi 12392 qui permet aux victimes présumées d'être assistées par un avocat durant leur témoignage. Ce nonobstant, elles ne bénéficient d'aucun autre droit: elles ne peuvent pas participer aux autres audiences, elles ne peuvent pas requérir des actes d'instruction, elles ne peuvent pas faire recours contre telle ou telle décision.

Si, je le répète, la motion s'inscrit dans le cadre de l'affaire Ramadan, de manière assez notable, notamment dans les procédures en réintégration, les victimes entendues comme témoins sont souvent soumises à des pressions importantes de la part d'avocats de parties directement visées dans les procédures, et il n'est pas rare qu'elles ressortent de ces audiences profondément atteintes dans leur santé.

La LPA, c'est-à-dire la loi sur la procédure administrative, va faire l'objet de modifications conséquentes ces prochains mois - on l'espère, du moins -, si bien qu'il apparaît opportun de mener une réflexion quant à une extension de statut pour les victimes présumées dans le cadre de ces procédures. Pour toutes ces raisons, le PDC votera cette proposition de motion. (Applaudissements.)

M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant. Vous l'aurez compris, Mesdames et Messieurs, le but de cette proposition de motion est de renforcer la protection des victimes entendues comme témoins dans les procédures administratives. Les choses sont à la fois simples et complexes: lorsqu'une victime participe à une procédure civile ou pénale, elle dispose de passablement de droits, des droits codifiés depuis longtemps au niveau fédéral, tandis que dans le cadre des procédures administratives et en particulier des procédures disciplinaires, si l'auteur d'une agression ou de harcèlement est fonctionnaire à l'Etat de Genève, eh bien jusqu'en 2019, ces victimes n'avaient absolument aucun droit. Depuis le 6 juin 2019, nous en avons introduit quelques-uns par le biais de la loi 12392, mais pas grand-chose, essentiellement le droit d'être accompagné par une personne de confiance ou par un avocat. C'est un vrai problème !

Il faut savoir que lors d'une procédure administrative, la victime entre dans la salle d'audience, le juge ou l'enquêteur lui pose des questions, puis l'avocat de l'auteur présumé lui en pose également, et une fois que cela est terminé, la personne doit sortir et n'a plus accès à la procédure, elle ne sait pas ce qui va être dit sur elle. Ainsi, l'agent de l'Etat incriminé pourrait prendre la parole et, pendant quinze ou vingt minutes, décrédibiliser tout ce que la victime aura indiqué ! Il pourrait même commencer à discréditer la victime en sa présence, et celle-ci n'a pas le droit d'objecter. La victime entendue comme témoin n'a pas le droit de préparer son audition en prenant connaissance du dossier, en lisant les pièces, en étudiant ce qui y figure, elle n'a pas le droit de proposer d'autres auditions de témoins, elle n'a pas le droit de rectifier ce qui est indiqué par l'auteur. En somme, aujourd'hui, les victimes bénéficient d'une protection proche de zéro.

L'objectif de cet objet est de faire évoluer la situation. Nous sommes bien conscients que ce n'est pas évident, peut-être faudra-t-il prévoir une solution sur mesure, ne pas simplement accorder la qualité de partie, mais définir un statut partiel. C'est complexe, mais il vaut la peine d'y réfléchir soigneusement. Les victimes méritent qu'on s'occupe d'elles, et c'est pourquoi les différents projets de lois qui avaient été déposés par certains partis - ce sont principalement les Verts qui en étaient à l'origine - ont finalement abouti à cette proposition de motion qui invite le Conseil d'Etat à se pencher sérieusement sur la question et à nous présenter une solution adéquate et pérenne. (Applaudissements.)

M. Murat-Julian Alder (PLR). Monsieur le président, je tiens à mon tour à féliciter le chef d'orchestre flegmatique que vous êtes en vous adressant ce message: «Congratulations, Mister Speaker !»

Mesdames et Messieurs les députés, comme cela a été relevé à juste titre dans le cadre des interventions précédentes, on constate à Genève une asymétrie quant au statut de victime selon que celle-ci prenne part à une procédure pénale ou à une procédure administrative, plus précisément à une enquête administrative dirigée contre la personne qui l'a agressée. Il faut insister sur le contenu des droits en procédure pénale qui ne comprennent pas seulement celui de se faire assister par un avocat, mais également celui d'être accompagné d'une personne de confiance.

Ces options-là n'existent pas dans la LPA, et une telle irrégularité doit cesser. Il n'est pas acceptable qu'une victime qui se présente dans une salle d'audience et qui est confrontée à un agresseur accompagné, lui - ou elle -, d'un avocat ou d'une avocate ne puisse pas se défendre, poser des questions, faire figurer des notes au procès-verbal d'audition, etc. Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe PLR - qui avait lui aussi déposé un projet de loi dans ce sens, et pas seulement les Verts, je le rappelle ici - soutiendra cette proposition de motion et vous prie d'en faire autant. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur le député. Je vous remercie également pour le contenu de votre introduction, mais je me vois dans l'obligation de faire la même remarque que tout à l'heure: «Auf Französisch, bitte !» Monsieur François Baertschi, à vous la parole.

M. François Baertschi (MCG). Merci, Monsieur le président. Le groupe MCG soutiendra cette proposition de motion. L'affaire Ramadan a montré qu'il existait encore quelques lacunes en ce qui concerne le statut des victimes dans certaines procédures administratives, d'où le dépôt de ce texte par des députés de divers groupes. Il ne s'agit pas d'une prise de position partisane, Mesdames et Messieurs, mais plutôt d'une tentative de chercher des solutions, car l'objet ne propose pas de réponse en soi, il demande au Conseil d'Etat de nous aider à trouver des pistes adéquates en matière législative afin d'améliorer la protection des victimes qui peuvent se retrouver dans des situations similaires à celles qu'on a constatées dans l'affaire Ramadan. Je ne vais pas revenir sur ces éléments ni répéter ce qu'ont indiqué mes préopinants, qui l'ont sans doute exprimé mieux que moi du fait de leur expérience d'avocats et de leur pratique du barreau, mais je vous encourage en tout cas, cela ne pose aucun problème, à voter la présente proposition de motion.

M. Alberto Velasco (S). Le groupe socialiste a voté cette proposition de motion à l'unanimité. Les propos tenus tant par la rapporteure que par l'auteur et mes autres collègues justifient totalement que l'on appuie ce texte. Nous n'avons rien d'autre à ajouter. Merci.

Mme Anne Emery-Torracinta, présidente du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, votre parlement a adopté en 2019 une modification de la loi sur la procédure administrative qui répond déjà en bonne partie aux critiques que vous venez d'émettre. Nous sommes tous d'accord pour dire qu'il est extrêmement difficile pour une élève qui aurait été harcelée par un enseignant - je reprends cet exemple, puisque vous évoquiez l'affaire Ramadan - de se présenter toute seule devant un enquêteur administratif pour raconter ce qui s'est passé. A l'époque, le Conseil d'Etat avait d'ailleurs proposé un certain nombre d'amendements, et vous aviez eu parfaitement raison d'accepter cette loi in fine. Mais qu'avez-vous voté exactement ? Je ne comprends pas très bien vos propos, Monsieur Alder, parce que ce Grand Conseil avait tout de même introduit plusieurs mesures.

D'abord, le fait que la victime puisse être accompagnée d'une personne de confiance et assistée d'un conseil de son choix; cela signifie qu'on peut se présenter à une audience à la fois avec un avocat et un proche qui pourra apporter un soutien d'ordre psychologique. Ensuite, le témoin a le droit de refuser de répondre aux questions relevant de sa sphère intime. Il peut également, et c'est extrêmement important, être entendu en l'absence des parties, donc si l'élève que je mentionnais tout à l'heure ne souhaite pas être confrontée à son ancien professeur, elle peut en faire la demande, et en général, celle-ci est bien entendu acceptée. Enfin, un aspect essentiel: la personne en question est informée - du moins sur sa requête - de la prise en compte de sa dénonciation et, le cas échéant, du résultat de l'enquête. Aussi, plusieurs éléments de droit ont déjà été intégrés aux procédures administratives.

Il faut bien insister sur le type de procédures dont il est question ici, il ne s'agit pas d'affaires pénales. Naturellement, en cas de faute très grave, rien n'empêche la justice de mener une instruction en parallèle, voire de prononcer une condamnation si nécessaire, mais dans le cas d'espèce, on parle de situations où l'Etat employeur a des doutes quant à l'un de ses employés et a simplement besoin d'éclaircissements sur certains événements. La personne qui a subi un abus ou du harcèlement peut porter plainte, lancer certaines démarches pénales, mais ici, l'objectif pour l'Etat est tout simplement d'établir des faits qui lui permettront de déterminer si, oui ou non, ce fonctionnaire mérite de rester à l'Etat ou s'il faut s'en séparer.

Le Conseil d'Etat n'a pas d'objection à formuler à l'encontre de cet objet, puisque vous nous demandez d'estimer s'il est possible de faire mieux; nous tenterons de faire mieux, mais comme l'a souligné le député Bayenet, il n'existe pas de solution idéale. En l'occurrence, je le répète, nous ne parlons pas de procédures pénales avec un avocat susceptible de persécuter une victime, nous parlons de procédures administratives avec un enquêteur qui invite une victime ou quelqu'un se sentant victime à exposer le déroulement des faits afin d'établir la vérité. Nous verrons s'il y a des solutions à proposer. Vous savez également que la loi sur la procédure administrative est en cours de réforme, un groupe de travail planche sur ce dossier; il faudra définir si certaines propositions peuvent aller plus loin afin d'être encore plus favorables aux personnes concernées.

Le président. Merci, Madame la présidente du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs, c'est le moment de voter.

Mise aux voix, la motion 2557 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 87 oui et 4 abstentions.

Motion 2557