République et canton de Genève

Grand Conseil

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PL 12587-A
Rapport de la commission de l'économie chargée d'étudier le projet de loi de Mme et MM. Thierry Cerutti, Sandro Pistis, André Python, Daniel Sormanni, Danièle Magnin, Florian Gander modifiant la loi sur les jours fériés (LJF) (J 1 45) (Pour atténuer les inégalités que subissent les Genevois les jours fériés)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VII des 25, 26, 27 novembre, 3 et 4 décembre 2020.
Rapport de majorité de M. Pierre Eckert (Ve)
Rapport de minorité de M. Thierry Cerutti (MCG)

Premier débat

Le président. Nous passons au PL 12587-A, que nous traiterons en catégorie II, quarante minutes. Je donne la parole au rapporteur de majorité, M. Pierre Eckert.

M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, le présent projet de loi a pour objectif de réduire les inégalités entre les cantons et d'alléger quelque peu le stress des travailleurs et des travailleuses en leur accordant deux jours fériés supplémentaires. Il s'agirait, selon la proposition du projet de loi, des vendredis suivant l'Ascension et le jeûne genevois. Les auteurs du texte argumentent aussi du fait que les entreprises ont bénéficié de la réforme de l'imposition des entreprises - la RFFA - et pourraient partiellement reporter cette baisse de charges sur le personnel.

Cet objectif est bien entendu louable, mais le principal écueil auquel se heurte cet objet est que les deux jours concernés seraient de vrais fériés, assimilés par conséquent à des dimanches. Au fil des auditions, passablement d'éléments contraires sont apparus à ce propos. La difficulté première est d'ordre juridique. La loi fédérale sur le travail spécifie que «le jour de la fête nationale est assimilé au dimanche. Les cantons peuvent assimiler au dimanche huit autres jours fériés par an au plus et les fixer différemment selon les régions». Dans le canton de Genève, nous avons huit jours déclarés comme fériés, assimilables à des dimanches: le 1er janvier, le vendredi saint, le lundi de Pâques, l'Ascension, le lundi de Pentecôte, le jeûne genevois, Noël et le 31 décembre, anniversaire de la restauration de la République. Il n'est par conséquent pas possible légalement d'ajouter des jours fériés, à moins de modifier la loi fédérale sur le travail, ce qui n'est évidemment pas très facile. Le projet de loi en tant que tel n'est donc pas conforme au droit fédéral.

La commission a envisagé d'autres pistes, qui pourraient notamment consister en de nouveaux jours de congé ou de repos. Le problème, c'est que les jours de congé doivent la plupart du temps être compensés, par exemple en allongeant le temps de travail quotidien. Passablement de conventions collectives prévoient déjà la possibilité d'accorder des ponts en utilisant ce mécanisme. Le temps de travail total est donc maintenu, ce qui n'était pas vraiment l'intention déclarée du projet de loi. «L'employeur peut parfaitement faire travailler un salarié lors d'un jour de repos cantonal qui n'est pas un jour férié», a indiqué la directrice générale de l'OCIRT. On n'aurait par conséquent rien gagné en ajoutant ces deux jours de repos.

Les syndicats patronaux relèvent d'autre part que, dans une économie globalisée, l'attribution de deux jours de congé payés pourrait mettre en danger la compétitivité des entreprises genevoises. Le représentant des syndicats ouvriers affirme qu'un salarié sur cinq travaille le samedi, si bien que le vendredi de congé ne servirait pas dans ce cas à construire une série de quatre jours de repos consécutifs. Il a proposé d'autres solutions que vous trouverez dans le rapport.

La coordination avec le calendrier scolaire peut également revêtir de l'importance. Pour une famille avec enfants, il apparaît peu utile que les parents aient congé alors que les enfants vont à l'école. Le calendrier qui sera introduit dès 2022 donnera congé le vendredi suivant l'Ascension, mais pas le lendemain du jeûne genevois. Le texte, de ce point de vue, ne toucherait donc qu'à moitié sa cible.

En conclusion, ce projet de loi ne peut pas passer la rampe sous cette forme. Aucun amendement n'ayant été proposé, la majorité de la commission a refusé d'entrer en matière par dix non contre quatre oui. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de majorité. Je cède la parole à M. le député Thierry Cerutti, rapporteur de minorité. (Un instant s'écoule. Commentaires.) Il faut appuyer sur... Voilà, vous pouvez maintenant prendre la parole.

M. Thierry Cerutti (MCG), rapporteur de minorité. Voilà ! Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, il faut admettre que le rapporteur de majorité a raison ! Il a raison sur presque toute la ligne parce qu'il est vrai que les jours fériés sont de la compétence fédérale: leur nombre est imposé et Genève a effectivement déjà atteint le quota de jours que lui permet la loi fédérale. On peut par contre opter pour des jours de congé dits cantonaux, avec comme argument le fait que ces jours-là ont un lien direct avec notre histoire.

Si le département de l'instruction publique a déjà corrigé la donne pour le vendredi après l'Ascension en l'englobant dans les vacances scolaires des années futures, ce n'est pas le cas pour celui qui suit le jeûne genevois - lequel reste bien naturellement férié - et il serait donc possible de modifier le projet de loi qui vous est soumis; j'ai déposé un amendement dans ce sens la fois dernière, je ne sais pas si vous l'avez reçu ou pas. Dès lors, ce que je propose, c'est de renvoyer ce projet de loi à la commission de l'économie pour pouvoir discuter de cet amendement à tête reposée et sereinement afin que les Genevois - la population genevoise et plus particulièrement les classes ouvrières - puissent bénéficier d'un jour de congé supplémentaire le lendemain du jeûne genevois. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, le rapporteur de minorité demande le renvoi en commission; la parole est au rapporteur de majorité sur ce point.

M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Je pense que ce n'est pas nécessaire, tous les éléments ont été indiqués; l'incompatibilité avec la loi fédérale est patente. A mon sens, si on veut entrer en matière sur ce sujet, il vaut mieux que le groupe concerné - le groupe MCG - dépose un nouveau projet de loi. Ce serait plus utile, plutôt que d'amender celui-ci.

Le président. Très bien, merci. Mesdames et Messieurs les députés, la présidente du Conseil d'Etat ne désirant pas prendre la parole à ce stade, je vous fais voter sur le renvoi en commission.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12587 à la commission de l'économie est rejeté par 59 non contre 27 oui.

Le président. Nous continuons le débat, je donne la parole à M. le député André Pfeffer.

M. André Pfeffer (UDC). Merci, Monsieur le président. Comme cela a été dit, ce projet de loi part d'une bonne intention, mais, premièrement, il ne réduit pas les inégalités entre cantons et, deuxièmement, fixer des jours fériés est uniquement, exclusivement une compétence fédérale. Genève, comme tous les autres cantons, a huit jours fériés par année en plus de celui de la fête nationale. Encore une fois, cette inégalité entre cantons n'existe donc pas et ce texte n'est pas conforme au droit supérieur. Le rapporteur de minorité l'a relevé, il faudrait en réalité parler de jours de congé, mais les jours de congé sont essentiellement de la compétence des partenaires sociaux. Pour ces raisons, le groupe UDC ne soutiendra pas ce projet de loi. Merci de votre attention.

M. Jean-Marc Guinchard (PDC). Il est étonnant d'entendre le rapporteur de minorité déclarer que celui de majorité a raison sur quasiment toute la ligne. J'aimerais rappeler qu'on a proposé aux représentants du MCG, lors des travaux de la commission, de déposer un amendement, et nous l'avons attendu un certain temps. Il aurait peut-être été plus sensé de déposer l'amendement à ce moment-là au lieu de demander un renvoi en commission - renvoi heureusement refusé.

Le constat que l'on peut faire, et je tiens à remercier le rapporteur de majorité pour la qualité de son rapport, c'est que Genève a épuisé ses possibilités de déclarer des jours fériés supplémentaires, assimilables à des dimanches. Je pense que sur ce terrain, il faut laisser les partenaires sociaux et les employeurs agir; nombre d'entre eux octroient déjà, cela aussi a été dit, des jours de congé qui permettent de réaliser ces ponts - et donc de bénéficier de quatre jours de repos successifs -, mais en augmentant la durée du travail sur l'ensemble de l'année. Sur cette base, et je me rallie ici à la majorité de la commission, je vous recommande de refuser ce projet de loi. Je vous remercie.

M. Vincent Subilia (PLR). Nul ne conteste que le repos ait des vertus louables, comme le défend le projet de loi de nos amis du MCG. Cela étant, la hiérarchie des normes impose, dans notre démocratie fédéraliste, de se conformer au droit fédéral - cela a été dit et répété - et force est de constater, en l'état, que ledit projet ne lui est pas conforme. Cette absence de compatibilité, qu'ont relevée de nombreux auditionnés, le rend donc impraticable.

Au-delà de ce paramètre strictement juridique, le présent texte suscite des inquiétudes - elles ont été soulignées - des milieux économiques, lesquels représentent des entreprises durement frappées, pour beaucoup, par la crise sans précédent qui s'abat aujourd'hui sur notre tissu économique. Il faut savoir et rappeler ici que deux jours de congé engendreraient 2% de charges en plus pour les entreprises, qui se les verraient imposer alors qu'elles n'ont absolument pas besoin aujourd'hui, pour une grande part, de ce type d'entrave additionnelle.

Et puis un fait assez cocasse, pour un projet de loi venant du MCG - c'est l'un des auditionnés qui le faisait observer: chaque jour férié à Genève se traduit par une translation massive de population, par un flux frontalier, mais dans le sens inverse de celui que dénonce le MCG, à destination des grandes surfaces de notre voisin hexagonal, pour y faire des courses. Or deux jours de fermeture, c'est autant de valeur économique qui traverse la frontière pour bénéficier aux commerçants de la ceinture genevoise. Ne pas créer deux jours fériés en plus, c'est donc aussi conserver et créer de la valeur économique ici, à Genève; je souhaitais le souligner, à la lumière des arguments souvent brandis par le MCG.

Vous l'aurez compris, pour cette triple raison, le PLR s'opposera à l'adoption de ce projet de loi. Je vous remercie, Monsieur le président.

Mme Jocelyne Haller (EAG). Comme l'ont évoqué ceux qui se sont exprimés avant moi, il n'y a pas d'inégalité, dans notre canton, en matière de jours fériés, puisque nous avons utilisé le maximum du quota que nous autorise la loi fédérale. De ce point de vue là, il n'y a donc pas de problème. En revanche, on aurait effectivement pu s'inquiéter d'augmenter le nombre de jours de congé: nous y aurions été beaucoup plus ouverts.

Ce projet de loi ne vise finalement qu'à établir deux ponts durant l'année en disant qu'il s'agit de lutter, de la sorte, contre le stress au travail. Un des moyens pour financer ces deux jours de congé supplémentaires, puisqu'ils ne peuvent être fériés, serait d'invoquer le bénéfice qu'un certain nombre d'entreprises ont retiré de la RFFA. Si notre groupe est tout à fait favorable à ce que ceux qui ont bénéficié, sans doute bien plus qu'ils ne l'auraient dû, de la RFFA en restituent ou en redistribuent une partie, nous devons néanmoins considérer le fait qu'une grande partie des entreprises n'a pas été touchée par la RFFA; celles-ci ne pourraient donc pas se voir invoquer ce motif.

Cela étant, il est évident que le constat d'une détérioration des conditions de travail et de l'augmentation du stress dans le cadre professionnel est largement partagé. Si l'on vise réellement, à travers l'argument de l'augmentation du nombre de jours de congé, une diminution du stress et l'amélioration des conditions de travail, on peut alors s'interroger sur la pertinence d'avoir seulement deux jours de trêve dans l'année plutôt que de réfléchir à des moyens d'améliorer la qualité du travail au quotidien ! C'est de cela qu'ont besoin les travailleurs et pas juste d'une coupure deux fois dans l'année.

Et puis je ferai une réflexion sur la durée du temps de travail: si on estime que les travailleurs et les travailleuses auraient besoin de plus de temps libre, à la fois pour leur confort mais également pour développer d'autres activités, eh bien posons-nous sérieusement la question de la réduction du temps de travail. Cela permettra non seulement de veiller à l'intérêt des travailleurs et des travailleuses, mais ce sera très certainement aussi une manière de mieux partager le temps de travail et de lutter contre le chômage et le stress au travail - ce à quoi nous vous invitons. Dans cette attente, notre position est plutôt de refuser ce projet de loi qui n'est pas pertinent en l'état. Je vous remercie de votre attention.

M. Romain de Sainte Marie (S). Mesdames et Messieurs les députés, nous avons pu l'entendre à la commission de l'économie, Genève, comme n'importe quel canton suisse, ne peut en effet avoir que huit jours fériés et véritablement considérés comme des congés pour les travailleuses et travailleurs. Toutefois, et nous avons pu nous en apercevoir, d'autres cantons ont entre huit et quatorze jours fériés inscrits comme tels dans leurs lois. Cela ne veut pas dire qu'il s'agit automatiquement de jours de congé: ils sont considérés, au sens de la loi fédérale, comme des jours ouvrables. C'est là toute la différence: il n'est en effet pas possible d'interdire le travail lors des jours fériés que nous souhaiterions rajouter. Il est par contre tout à fait possible, comme c'est le cas dans d'autres cantons, de pousser à considérer que ces jours déclarés fériés par la loi cantonale ne soient pas ouvrés et que les employeurs donnent ainsi congé à leurs salariés ces jours-là - et cela aussi par le biais du partenariat social.

On l'a dit, notamment, je crois, le rapporteur de majorité: nous avons récemment été informés de la réforme des congés scolaires - nous ne le savions pas au moment des travaux de la commission de l'économie - qui prévoit notamment de déclarer comme jour de congé, pour les élèves de notre canton, le vendredi qui suit l'Ascension. C'est pourquoi le parti socialiste vient de déposer l'amendement suivant, qui vise à garder seulement la lettre h du projet de loi:

«1 Sont déclarés fériés les jours suivants:

h) le vendredi suivant le jeudi de l'Ascension,»

Nous proposons cela afin que les congés scolaires concordent avec la liste des jours fériés tels qu'inscrits dans la loi. Il est en effet parfaitement possible, je tiens à le rappeler, d'inscrire dans la loi cantonale sur les jours fériés des jours supplémentaires même si leur nombre est supérieur à huit. Par conséquent, il s'agit aussi ici, et Mme Haller soulevait la question, d'encourager une certaine réduction du temps de travail et de ne pas simplement parler de la compétitivité de l'économie genevoise dans un monde globalisé ou centré sur la productivité. Il y a également une notion de bonheur à prendre en considération, bonheur qui passe par des jours où les Genevoises et les Genevois peuvent occuper leur temps à autre chose qu'à travailler. Nous parlerons de l'extension des horaires d'ouverture des magasins: la logique est la même. Non, tout ne passe pas par l'ouverture des commerces ou par le travail ! Il y a une vie en dehors, une vie sociale, associative, culturelle, sportive. Ces éléments-là ne passent pas forcément par la compétitivité et la productivité économiques.

C'est dans ce sens que le parti socialiste vous invite à soutenir son amendement, qui vise à s'aligner, en matière de jours fériés, sur ceux qui seront en vigueur dans l'instruction publique, et à voter ce projet de loi ainsi amendé. Je vous remercie.

M. Thierry Cerutti (MCG), rapporteur de minorité. Je remercie le député Romain de Sainte Marie pour son amendement. Le MCG dépose également un amendement, qui dit ceci:

«Article 2 (nouvelle teneur)

Le vendredi suivant le jeudi du jeûne genevois est décrété par le Grand Conseil de la République et canton de Genève comme étant un jour de repos officiel.»

Il ne s'agirait donc pas d'un jour férié.

«Article 3 (nouveau)

Si les jours fériés actuellement au nombre de neuf annuels dans le canton de Genève tombent un dimanche, le jour qui suit est décrété comme étant un jour de repos.»

L'article 2 souligné relatif à l'entrée en vigueur reste quant à lui identique. Je vous invite toutes et tous à soutenir ces deux amendements de façon que nous puissions voter le projet de loi ainsi amendé, avec la modification du parti socialiste et celle du Mouvement Citoyens Genevois. Je vous remercie infiniment.

M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de majorité. Les deux amendements me laissent un peu perplexe; le premier, celui du parti socialiste, me semble une fois de plus non conforme à la loi fédérale puisqu'on ne peut rajouter aucun jour férié qui soit assimilable à un dimanche. On a totalement épuisé les possibilités, il ne me paraît donc malheureusement pas possible d'entrer en matière sur cet amendement. En outre - deuxième élément -, on peut rajouter des jours de repos tant qu'on veut, mais, on l'a dit, je ne suis pas convaincu que ce soit au bénéfice des travailleuses et des travailleurs. Comme l'a indiqué la directrice de l'OCIRT, l'employeur peut en effet faire travailler un salarié lors d'un jour de repos cantonal ! Une fois de plus, quelle est donc l'utilité ? La seule utilité sera peut-être que le fait de déclarer un jour de repos cantonal permettra la fermeture des administrations - on l'a dit -, ce qui sera bien entendu compatible avec la fermeture des écoles, mais je ne suis pas sûr que ce soit intéressant pour l'ensemble des autres travailleuses et travailleurs.

Si je pense donc que l'amendement du parti socialiste n'est malheureusement pas conforme à la loi fédérale, je n'ai pas d'opinion particulière sur l'amendement du MCG. On peut l'accepter si on veut, mais il aura malheureusement assez peu d'utilité pour la plus grande partie des travailleuses et des travailleurs.

Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, la parole n'étant plus demandée, je vous fais voter sur l'entrée en matière.

Mis aux voix, le projet de loi 12587 est rejeté en premier débat par 49 non contre 34 oui.