République et canton de Genève

Grand Conseil

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PL 12519-A
Rapport de la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi de Mmes et MM. Sandro Pistis, Danièle Magnin, Ana Roch, Florian Gander, Daniel Sormanni, André Python, Christian Flury, Francisco Valentin, François Baertschi, Françoise Sapin modifiant la loi sur l'exercice des droits politiques (LEDP) (A 5 05) (Pour l'instauration de mesures visant à contrecarrer les mascarades électorales)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session X des 27 et 28 février 2020.
Rapport de majorité de M. Pierre Eckert (Ve)
Rapport de minorité de M. Christian Flury (MCG)

Premier débat

Le président. Nous passons à l'ordre du jour et au PL 12519-A, classé en catégorie II, trente minutes. Je donne la parole à M. le rapporteur de majorité, Pierre Eckert.

M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, ce projet de loi a essentiellement pour objectif de permettre l'expression explicite du vote blanc en introduisant une case dédiée à cet effet sur les bulletins de vote. A ce jour, le vote blanc est implicite: il peut être exprimé soit en ne cochant aucune des cases «oui» ou «non», soit en les cochant toutes les deux. Cette dernière possibilité, qui n'annule pas le vote, est moins connue.

Les auteurs du projet de loi craignent que des personnes mal intentionnées puissent ajouter des croix sur les bulletins de vote lors du processus de dépouillement. L'audition du service des votations et élections - le SVE - a montré que ce risque est négligeable et qu'ajouter une case «blanc» ne minimiserait pas le risque de manipulation. En fait, qu'il s'agisse du vote dans les communes ou du dépouillement centralisé, le dépouillement est toujours réalisé par un minimum de deux personnes, qui plus est avec une supervision.

Il a également été mis en évidence que l'expression explicite du vote blanc n'est pas reconnue au niveau fédéral: il est fort probable que la Chancellerie fédérale invaliderait le présent texte s'il était adopté. Et même si ce n'était pas le cas, une importante confusion serait introduite dans l'éventualité assez fréquente d'une votation combinant des sujets cantonaux et fédéraux: la case du vote blanc ne serait présente que pour les sujets cantonaux et ne le serait pas pour les sujets fédéraux.

Enfin, une partie de la commission souhaitait que l'on puisse distinguer, dans les résultats, le vote blanc du vote nul. Le SVE nous a rassurés à ce propos puisqu'il distingue de façon claire les bulletins nuls - où l'entier des votes du bulletin sont annulés - du vote blanc, qui peut concerner l'une ou l'autre des questions. Tous les résultats sont publiés avec le nombre de «oui», de «non» et de votes blancs. Si le verdict du vote ne tient compte que du nombre de «oui» et du nombre de «non», il est possible de recevoir le nombre de votes blancs, pour chacun des sujets du scrutin, au moyen des divers tableaux mis à disposition par le SVE.

L'ensemble de ces éléments a conduit la majorité de la commission à rejeter le projet de loi. Elle recommande toutefois à la chancellerie d'indiquer de façon claire, en haut de chaque bulletin de vote, les possibilités de voter blanc, notamment en cochant les deux cases. Je vous remercie.

M. Christian Flury (MCG), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, au moment de la rédaction de ce projet de loi, des soupçons de manipulation des bulletins de vote planaient sur le service des votations et élections - des interventions ayant pu être de nature à faire basculer le résultat des votes populaires. Rappelez-vous: la si controversée loi sur la police, dite loi Maudet, a été acceptée avec seulement 54 voix d'écart et le tout aussi contesté projet du Pré-du-Stand refusé avec une trentaine seulement. Il semblerait que des soupçons similaires planent actuellement sur des élections dans un autre canton romand. De fait, l'hypothétique ajout de petites croix sur une ligne d'un bulletin de vote aurait l'effet de transformer une abstention, ou un vote blanc, en un vote ciblé; un vote précis en bulletin nul.

Le groupe MCG est d'avis que la présence de deux cases à cocher par objet soumis au vote est insuffisante. Il conviendrait donc d'ajouter une troisième case qui permettrait de tenir compte des votes blancs, ou des abstentions. Ce serait un gain important pour la compréhension de la volonté populaire. Ainsi, l'électeur pourra être prié de cocher une case par objet pour tous les objets du bulletin de vote, sans exception.

Dans nos séances plénières, Mesdames et Messieurs les députés, quatre possibilités existent: le oui - l'acceptation du projet ou du texte discuté -, le non - son rejet -, l'abstention, aussi utilisée par certains, et surtout la non-participation au vote - dite «vote buvette» -, quand un élu s'éclipse ou file à l'anglaise pour ne pas devoir voter sur un sujet qui fâche, ou d'une manière contraire à ses convictions profondes, ou pour ne pas blesser son électorat. Offrons cette possibilité au peuple souverain: offrons-lui l'opportunité d'inscrire sa volonté d'abstention, ou de vote blanc, en cochant la case appropriée. Ce petit ajout peut par ailleurs amener des abstentionnistes au vote, ce qui est tout à fait favorable à l'évolution du taux de participation à chacune des votations et élections cantonales ou fédérales.

Avec les moyens de dépouillement actuels, l'ajout d'une case sur les bulletins de vote ne tient pas de l'utopie, c'est juste une question de bonne volonté. La minorité de la commission vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, de soutenir ce projet de loi. Je vous remercie.

M. Pierre Vanek (EAG). Vous savez Ensemble à Gauche - comme tout le monde ici, j'espère - très attaché à l'expression la plus fidèle possible de la volonté populaire dans les urnes, et le vote blanc est une indication politique de l'avis de l'électeur qui doit être respectée et prise en compte. En commission, nous avons entendu l'excellent chef du service des votations, M. Ascheri, qui nous a expliqué que le vote blanc est en effet pris en compte; qu'il n'est pas noyé dans les bulletins de vote nuls; qu'il est rapporté et, le rapporteur de majorité l'a dit, que l'on considère que deux cases blanches - «oui» et «non» - équivalent à un vote blanc, ou qu'une croix dans la case du «oui» et une dans la case du «non» sont aussi prises en compte comme un vote blanc. Vous me connaissez - consensuel et parfois un peu suiviste et moutonnier: j'ai fait partie de la majorité qui, après cette audition, a de ce fait refusé d'entrer en matière sur ce texte du MCG qui soulevait un problème dont on nous a dit qu'il était de facto résolu !

Mais en y regardant de plus près, post hoc, j'ai relu l'article 57 de la LEDP que le projet de loi de M. Pistis et consorts entreprend de modifier, et celui-ci est très explicite. Il dit que lors d'une votation, l'électeur doit exprimer sa volonté exclusivement en cochant ou la case du «oui» ou la case du «non» ! Par conséquent, les formes d'expression qui sont en effet prises en compte au dépouillement - le double «cochage» du «oui» et du «non», ou les deux cases blanches - n'ont aucune espèce de base légale ! Ce qu'on nous a expliqué, c'est donc bien gentil - et c'est bien: c'est une bonne pratique, que je soutiens -, mais il y a un souci ! L'électeur qui consulte la loi n'y trouve pas cette possibilité d'expression: c'est une pratique qui a été développée et qu'il s'agirait à mon sens d'expliciter dans la loi, à l'article 57 - pas forcément en rajoutant une case, mais en explicitant la pratique actuelle.

C'est pourquoi je demanderai - vous noterez le futur, Monsieur le président - en fin de débat, pour ne pas couper la parole à tous ceux qui ont un avis sur cet objet, le renvoi à la commission des droits politiques, parce que ce projet de loi a été traité de manière un tout petit peu trop sommaire. D'autant qu'il vise aussi, par ailleurs, à régler le problème de deux lois modifiant la même loi, mais de contenu incompatible, qui seraient votées par le Grand Conseil; or, la commission n'a pas du tout abordé cet aspect-là. Mesdames et Messieurs, à la fin des débats, je demanderai donc, si vous le permettez, Monsieur le président, le renvoi en commission.

Le président. Merci, Monsieur le député. Votre demande est notée et je la ferai voter à l'issue des débats. La parole va maintenant à M. le député Jacques Apothéloz.

M. Jacques Apothéloz (PLR). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, les défenseurs de ce projet de loi pensent que l'ajout d'une croix, sur le bulletin de vote, à chaque question cantonale ou communale serait de nature à rapprocher les votants de l'urne et à réduire l'abstentionnisme. Nous pensons exactement le contraire ! Du fait des questions parfois complexes posées au corps électoral d'une part et de l'incompatibilité d'un tel système avec les objets fédéraux d'autre part, cette proposition serait plutôt de nature à compliquer la tâche des électeurs. Partant de là, l'effet pervers de ce système serait certainement une augmentation de l'abstentionnisme, contrairement au souhait des auteurs.

L'argumentation avancée en commission par les tenants de cet objet variait entre la clarté du vote et sa sécurité; on ne sait finalement plus très bien quelle était leur motivation première. Toujours est-il qu'en matière de sécurité du vote, celle-ci est déjà assurée par un accès restreint aux bulletins, et c'est la seule chose qui compte. Le système actuel est à nos yeux suffisant puisque le vote blanc, on l'a déjà dit, peut s'exprimer de deux manières: soit en ne cochant aucune case, soit en cochant les deux cases, «oui» et «non», ce qui pourrait effectivement être - et nous en avons discuté en commission - mieux explicité pour les électeurs sur le bulletin de vote. Mais contrairement à ce qui a été prétendu, s'ils n'apparaissent pas dans le résultat du vote, les votes blancs, comme d'ailleurs les votes nuls, sont bel et bien comptabilisés et communiqués sur la plateforme internet du service des votations et élections. C'est du reste en consultant les informations sur cette plateforme que nous pouvons nous rendre compte que le pourcentage de votes blancs ne dépasse jamais 5%, sauf à de rares exceptions.

La sécurité du vote étant assurée, il est disproportionné d'apporter une telle complexité pour un risque si négligeable, celui de voir un membre du dépouillement ajouter une croix là où l'électeur aurait exprimé son abstention en laissant les deux cases vides. Et que penser du cas de figure où, par hypothèse, le votant laisserait les trois cases vides ou cocherait les trois cases ? Le groupe PLR est convaincu que ce n'est pas en compliquant le bulletin de vote que nous augmenterons l'intérêt du corps électoral et le taux de participation aux votations. L'ajout d'une case pour exprimer d'une autre manière un avis qui peut déjà être exprimé aujourd'hui de deux façons différentes est à nos yeux inutile. Le groupe PLR refusera donc ce projet de loi et vous invite à faire de même. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Jean-Marc Guinchard (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, les auteurs de ce projet de loi avaient sans doute les meilleures intentions en le déposant. Au-delà de son titre inutilement accrocheur, son but était vraisemblablement de simplifier - voire de clarifier - la possibilité pour les électeurs et les électrices du canton de voter blanc, alors que n'existent actuellement qu'un «oui» et un «non» à cocher.

Cette proposition soulève néanmoins deux problèmes: le premier, c'est que la Chancellerie fédérale serait appelée à valider cette modification. Or, selon les renseignements que nous avons obtenus en séance, rien n'est moins sûr. Le deuxième, c'est que si cette modification devait également concerner les scrutins fédéraux, elle ne pourrait se faire, là non plus, sans ce même accord de la Chancellerie fédérale - notre Grand Conseil ne pourrait en aucun cas imposer une case «vote blanc» de sa propre initiative.

Le service des votations et élections nous a précisé en commission que tous les bulletins, sans exception, sont initialement contrôlés par des personnes, car il est possible qu'un électeur se trompe de case et fasse ensuite une croix sur la case d'à côté. Il a également indiqué que la machine à lecture optique ne pourrait comptabiliser correctement ce vote bien que, dans cette situation, l'intention de l'électeur soit claire. C'est pour cette raison qu'il est obligatoire qu'une personne vérifie physiquement les bulletins avant de les soumettre à la machine à lecture optique. Il s'agit dès lors d'un reconditionnement des bulletins; lors des élections au Conseil d'Etat ou au Conseil des Etats, le SVE est amené à reconditionner environ cent bulletins par jour ! Le but est de respecter la volonté de l'électeur et, à notre connaissance, seul le canton de Genève réalise ce type d'opération.

L'ensemble de ces éléments a conduit la majorité de la commission à rejeter le projet de loi. Elle recommande toutefois à la chancellerie, le rapporteur de majorité l'a mentionné, d'indiquer de façon plus claire, en haut de chaque bulletin, les possibilités de voter blanc, notamment en utilisant la double croix. Le groupe démocrate-chrétien vous recommande donc de rejeter ce texte et s'opposera à son renvoi en commission dans la mesure où les travaux ont été correctement menés et les auditions nécessaires réalisées. Je vous remercie.

M. Romain de Sainte Marie (S). Mesdames et Messieurs les députés, malgré son titre, qui d'ailleurs ne correspond en effet pas vraiment au contenu de l'objet, l'intention de ce projet de loi est bonne ! Le but est de prendre davantage en compte le vote blanc. C'est vrai que les travaux en commission ont été utiles pour comprendre que le vote blanc est aujourd'hui d'ores et déjà comptabilisé, mais il l'est d'une manière qui comprend en fait les votes nuls - c'est-à-dire ceux déclarés comme tels parce que les bulletins, pour une raison x ou y, comporteraient des inscriptions manuscrites ou des dessins, ou toute autre chose qui ferait considérer ces bulletins comme nuls. Le vote blanc se caractérise par exemple par un bulletin où aucune des deux cases, ni celle du «oui» ni celle du «non», n'est cochée; il est d'ailleurs maintenant indiqué sur le bulletin de vote que celui-ci sera considéré comme blanc. On va dire qu'une partie du projet de loi est par conséquent déjà en oeuvre, mais c'est vrai que le vote blanc en tant que tel - comme l'expression d'un vote blanc - n'est pas formellement comptabilisé aujourd'hui puisque, je l'ai signalé, il est groupé avec les votes nuls.

On peut éventuellement s'interroger sur la façon dont on peut faire figurer les explications sur les bulletins. Comme l'a mentionné mon préopinant, M. Guinchard, nous avons quand même la limite du droit fédéral et nous ne pouvons pas ajouter une case, soit une case pour le vote blanc en plus de celles du «oui» et du «non». Par contre, et je rejoins là M. Vanek qui proposait un renvoi en commission, il serait intéressant de réétudier la loi sur l'exercice des droits politiques, qui ne prend pas en compte la dimension du vote blanc, alors que le service des votations nous explique le prendre en compte d'une certaine manière dans la formulation des bulletins de vote et ensuite dans le décompte final. C'est pourquoi le groupe socialiste votera également le renvoi de cet objet à la commission des droits politiques, pour voir s'il n'y aurait pas lieu d'effectuer d'autres modifications de la LEDP. Cela pourrait se faire par le biais d'un amendement général au projet de loi, qui inclurait son but actuel, à savoir comptabiliser le vote blanc. A ce moment-là, il serait clairement inscrit dans la loi sur l'exercice des droits politiques. (Applaudissements.)

M. Thierry Cerutti (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, j'ai bien entendu que toutes et tous estiment que ce projet de loi part d'une bonne intention, que la thématique est fort intéressante, voire à développer. Je vous invite donc à le renvoyer à la commission des droits politiques. Merci.

Le président. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs, à la demande de M. Vanek, nous allons voter sur le renvoi en commission de ce projet de loi.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12519 à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil est adopté par 51 oui contre 22 non.