République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 5 mars 2021 à 18h35
2e législature - 3e année - 9e session - 58e séance
RD 1220-C
Débat
Le président. Nous continuons avec l'urgence suivante, le RD 1220-C, que nous traiterons en catégorie II, trente minutes. La parole est à M. le député Bertrand Buchs.
M. Bertrand Buchs (PDC). Merci beaucoup, Monsieur le président. En résumé, il y a comme un contentieux sur ce rapport entre le premier et le deuxième pouvoir. C'est dommage, parce qu'en lisant le rapport qui nous a été adressé - nous avions renvoyé au Conseil d'Etat son premier rapport, il nous adresse son deuxième maintenant - on s'aperçoit que le texte est en grande partie très intéressant, avec des avancées et des réponses claires à nos questions. Mais ce que nous n'acceptons pas, c'est le ton: le ton employé fait passer les députés pour des amateurs qui utilisent des méthodologies bizarres et dont les assertions sont, sinon erronées, à tout le moins discutables. Ce genre de ton n'est pas normal dans un rapport du Conseil d'Etat; il doit y avoir du respect entre les deux pouvoirs. Je rappelle qu'un député est un député de milice: ce n'est pas un professionnel, il travaille à côté et n'a pas les mêmes moyens que le gouvernement pour faire des rapports. Et donc tant qu'il y aura ces propos liminaires dans le rapport, nous le renverrons au Conseil d'Etat ! Je propose par conséquent de renvoyer ce rapport au Conseil d'Etat. Je vous remercie.
M. Boris Calame (Ve). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, arrogance, suffisance et mépris envers notre Grand Conseil suintent des rapports RD 1220-A et RD 1220-C du Conseil d'Etat relatifs au suivi du rapport de la commission d'enquête parlementaire CEP 2252, repris par la commission de contrôle de gestion.
Il faut se rappeler que les travaux de la CEP, qui ont duré trois ans, entre 2015 et 2018, avec 76 auditions et plus d'une centaine de séances, ont permis de lister cent constats et autres dysfonctionnements, mais aussi de formuler septante recommandations. Lors des travaux de la commission d'enquête parlementaire et de la commission de contrôle de gestion, l'exécutif a dit et écrit, à maintes reprises, qu'il ne nous avait pas attendus pour réagir et que tout, ou presque, était réglé. Force est malheureusement de constater que les mots du Conseil d'Etat et la réalité du terrain ne sont toujours pas en phase.
On comprend bien que le gouvernement et son administration veuillent se débarrasser de ce dramatique dossier; toutefois, il n'est pas concevable que le Conseil d'Etat respecte si peu notre Grand Conseil, ses commissions et ses commissaires. Le groupe des Verts tient à rappeler ici son total soutien aux proches de la victime et son empathie à leur égard. Il ne peut cependant pas souscrire aux propos parus dans un récent courrier des lecteurs qui blanchit un membre de l'exécutif, alors même que ce dernier porte une responsabilité particulière dans la survenue de ce drame.
La mémoire de Mme Adeline M. doit être respectée et ses proches préservés; le groupe des Verts n'entend dès lors pas aller plus loin en renvoyant à nouveau ce rapport au Conseil d'Etat. Nous déplorons toutefois le ton et la forme des explications qui nous sont apportées. Afin que pareil drame n'arrive plus jamais, nous réitérons ici notre souhait que la commission de contrôle de gestion maintienne une veille active sur la situation carcérale à Genève, mais aussi sur les programmes et les structures liées.
Cela étant, afin de garantir enfin que la protection des agents de l'Etat soit assurée en tout temps; que leur niveau de formation soit mis en adéquation avec les missions particulières qui leur sont dévolues; que les procédures soient respectées et que les collaboratrices et collaborateurs de terrain soient entendus; afin aussi d'accompagner au mieux et plus particulièrement certaines personnes détenues, nous rappelons à nouveau la conviction des Verts: il faut redévelopper rapidement et de manière effective la sociothérapie, qui est essentielle en prévision des libérations. Nous nous abstiendrons donc sur la demande de renvoi au Conseil d'Etat. Je vous remercie de votre attention.
M. Thomas Bläsi (UDC). Je vais aller dans le même sens que mes préopinants: le ton du rapport du Conseil d'Etat pose en effet vraiment problème quant aux indications qu'il donne sur son respect du premier pouvoir. Si on prend l'historique - et mon collègue, M. Calame, l'a rappelé -, l'exécutif n'a pas attendu la CEP pour mettre en place toutes les mesures nécessaires, il n'a pas attendu la commission de contrôle de gestion pour mettre en place toutes les mesures nécessaires; finalement, l'audition du personnel a montré que les recommandations n'étaient pas appliquées, en tout cas pas de manière satisfaisante ou suffisante.
Le travail de la commission de contrôle de gestion s'est effectué dans la continuité du rapport - en tant que rapporteur, je suis assez bien placé pour le dire - et un certain nombre de problématiques sont apparues. Il s'agissait de nouveaux questionnements relatifs à des incidents - des incidents graves - survenus à Curabilis, avec des rapprochements problématiques entre des membres du personnel et des détenus dangereux. Ces rapprochements ont été annoncés, expliqués, et la direction de l'OCD les a contestés deux fois en commission; il a fallu attendre un troisième passage pour que le directeur admette finalement qu'on avait proposé une mutation aux donneurs d'alerte sur cette crise. On a donc proposé aux donneurs d'alerte qui avaient dénoncé des faits graves d'aller dans un autre établissement, d'aller voir si ça allait mieux ailleurs, plutôt que de régler les faits graves !
Les propos du directeur de l'OCD devant la commission de contrôle de gestion ont été très lacunaires, voire mensongers, ce qui est inacceptable. Quant à savoir si le pouvoir exécutif a fait preuve d'arrogance ou de mépris vis-à-vis du premier pouvoir, le distinguo est très difficile à faire. Ce qui est certain, c'est que les anciens membres de la commission d'enquête parlementaire - je suppose que c'est également le cas du parlement puisqu'il a voté le rapport à l'unanimité - souhaitent que les recommandations, aussi coûteuses soient-elles, soient enfin mises en application pour la sécurité de la population. Merci, Monsieur le président.
M. Christian Zaugg (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, il faut revenir au début: la CEP a fait un travail titanesque ! Elle a travaillé pendant des mois et entendu un grand nombre de personnes, parmi lesquelles le Conseil d'Etat, les cadres des HUG, des gardiens, des responsables d'institution, des médecins, et j'en passe. Elle a rendu son rapport, qui a été présenté au gouvernement, et celui-ci a pu faire quelques observations. Je me souviens quant à moi d'avoir mis l'accent sur la sociothérapie, et nous avons été déçus de la première réponse de l'exécutif qui la laissait complètement de côté. Bien ! C'était là la situation ante, et avant ce rapport du Conseil d'Etat.
La situation a changé, car force est de constater que le rapport qui nous est présenté aujourd'hui est complet et qu'il répond à toutes les questions, tant en matière de chiffres que d'établissements ou de personnel, et qu'il met un accent très particulier sur la sociothérapie. Il n'y a donc plus aucune raison de renvoyer ce rapport au gouvernement, qui serait bien en peine de nous donner des renseignements supplémentaires. Nous nous opposerons par conséquent à l'éventuel renvoi de ce rapport au Conseil d'Etat, car cela n'a plus aucun sens !
M. Pierre Conne (PLR). Chers collègues, pour le groupe libéral-radical, ce rapport du Conseil d'Etat vient clore la suite du drame de La Pâquerette dans la mesure où il est complet et apporte toutes les réponses que nous étions en droit d'attendre, que ce soit sur l'organisation de Champ-Dollon, celle de Curabilis ou les niveaux de sécurité garantis - notamment, pour Curabilis, en assurant la double hiérarchie, médicale d'un côté et pénitentiaire de l'autre. En plus, toujours sous l'angle sécuritaire, la question de la sécurité des agents est abordée et désormais réglée. S'agissant de l'évaluation de la dangerosité des détenus en sortie accompagnée, les sorties accompagnées sont aujourd'hui garanties dans la mesure où elles s'effectuent systématiquement avec un binôme composé d'un agent de sécurité et d'un agent de détention.
Je pense qu'il faut également relever, et le rapport le montre très bien, que le concept de sociothérapie appliqué et son organisation étaient surannés et défaillants lorsque le drame de La Pâquerette est survenu. Le concept actuel est totalement différent - la réinsertion s'accompagne de «désistance», un terme que j'ai appris, je dois vous l'avouer, en lisant le rapport - et consiste à mettre en place toutes les stratégies de manière coordonnée pour permettre aux personnes de poursuivre une trajectoire de vie non délinquante. Cet ensemble de stratégies nous permet aujourd'hui, dans la mesure où nous constatons l'effort déployé et la qualité du travail accompli, de considérer que l'épisode est clos. S'agissant de ce rapport, le groupe PLR en prendra acte et il vous invite, Mesdames et Messieurs, chers collègues, à faire de même. Monsieur le président, merci de votre attention.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole n'étant plus demandée, j'invite l'assemblée à se prononcer sur la proposition de renvoi...
Des voix. Non !
Le président. Laissez-moi quand même finir ! ...de ce rapport au Conseil d'Etat.
Mis aux voix, le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport RD 1220-C est rejeté par 72 non contre 12 oui et 8 abstentions. (Commentaires pendant la procédure de vote. Exclamations à l'annonce du résultat.)
Le Grand Conseil prend donc acte du rapport du Conseil d'Etat RD 1220-C.