République et canton de Genève

Grand Conseil

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RD 1220-B
Rapport de la commission de contrôle de gestion chargée d'étudier le rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur le rapport de la commission d'enquête parlementaire instituée par la motion 2252 chargée de faire rapport au Grand Conseil sur les dysfonctionnements ayant conduit à la mort d'Adeline M.

Débat

Le président. Nous continuons nos urgences avec le RD 1220-B, classé en catégorie II, quarante minutes. La parole est à Mme Nicole Valiquer Grecuccio.

Mme Nicole Valiquer Grecuccio (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, j'interviens ici en ma qualité de présidente de la commission de contrôle de gestion pour témoigner du travail sérieux qu'ont mené les commissaires dans cette situation particulièrement délicate. Il nous appartient, d'un point de vue institutionnel, de suivre les recommandations émises par la commission d'enquête parlementaire - la CEP - d'autant plus que c'est la mission que nous a confiée le Grand Conseil. Cette mission, nous l'avons assumée, et avec sérieux, en auditionnant les partenaires concernés. Dès lors - vous transmettrez, Monsieur le président - nous déplorons que le conseiller d'Etat ait jugé bon d'affirmer qu'il s'agissait d'un rapport de trop plutôt que d'entendre les recommandations que nous formulons, dans l'intérêt du personnel de la détention et des personnes incarcérées.

Nous déplorons également les propos qui ont été tenus par un haut fonctionnaire: ce dernier aurait pu adresser ses remarques, qui se veulent semble-t-il constructives, à la commission de contrôle de gestion plutôt que de s'attaquer au rapport de cette même commission. Nous retenons notamment de sa déclaration qu'il n'y a pas de défaut de surveillance. Nous nous en réjouissons et espérons qu'il en sera ainsi dans la durée ! Nous relevons cependant dans le même temps qu'il est affirmé qu'il n'existe pas de structures adéquates permettant d'accueillir les personnes qui quittent Curabilis pour une détention en milieu ouvert - soit 70% des quelque trente détenus qui sont sortis de cet établissement en une année - et que les lieux d'accueil ne seraient pas adaptés car pas assez sécurisés. Voici ce qu'il a dit, je cite, au sujet de Belle-Idée: «Un lieu ouvert, où l'on entre et d'où l'on sort sans contrôle. Il faut sécuriser et agrandir un lieu dédié à la détention en milieu ouvert.» Vous conviendrez que de telles déclarations laissent songeur ! A nos yeux en tout cas, il s'agit quand même de situations problématiques, et nous espérons que le Conseil d'Etat saura y répondre. Pour le surplus, nous déplorons à nouveau que cette personne n'ait pas sollicité la commission de contrôle de gestion au lieu de critiquer son travail, un travail qui a été accompli au plus près de la conscience de chacun et de chacune de ses membres. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Bertrand Buchs (PDC), rapporteur. La commission de contrôle de gestion s'est réunie à dix reprises pour étudier la réponse du Conseil d'Etat au rapport de la commission d'enquête parlementaire. Notre souci a été de voir si le Conseil d'Etat avait agi pour donner suite aux remarques de la CEP, s'il restait des problèmes ou au contraire si tout avait été réglé. Au terme des auditions, nous avons pointé différents problèmes qui nous ont amenés à émettre des recommandations. En effet, sans accuser personne, nous avons quelques préoccupations.

Le premier problème a trait à la sociothérapie. La commission d'enquête parlementaire avait insisté pour que la sociothérapie soit maintenue et pratiquée à Curabilis, éventuellement moyennant une réforme, or le Conseil d'Etat répond ceci: «Oui, on va le faire, mais on ne sait pas quand ni comment; c'est beaucoup trop tôt, on va attendre.» Pour nous, la sociothérapie est le point essentiel si l'on veut réintégrer des personnes qui purgent une longue peine, surtout celles qui peuvent poser des problèmes d'ordre psychologique. Il est essentiel de préparer leur sortie ! Pratiquer des «sorties sèches», comme on les appelle, c'est-à-dire sans sociothérapie, peut amener d'énormes difficultés pour le suivi et l'avenir de ces gens qu'on libère.

Le deuxième problème concerne Curabilis. Nous avons choisi Curabilis parce que les patients prisonniers dans cet établissement sont à peu près du type de l'agresseur d'Adeline: on y retrouve le même profil psychologique. Nous avons d'abord été étonnés du pourcentage d'absence des collaborateurs: le taux d'absentéisme atteint 12%, ce qui nous a semblé énorme. Nous nous sommes dit qu'il y avait peut-être un problème de gouvernance ou de satisfaction des collaborateurs.

Un autre élément nous a interpellés: le RD 1257 de la commission de contrôle de gestion sur la problématique «Pénitentiaire» avait très clairement recommandé de toujours intervenir à deux et d'éviter une proximité avec les prisonniers ou les prisonnières, or on s'aperçoit que les membres du personnel pénitentiaire oeuvrent la plupart du temps tout seuls et qu'il n'y a pas d'interventions en binôme. C'est une demande formulée par le personnel pénitentiaire ! Certaines fois, lorsque les effectifs manquent, c'est le personnel médical qui intervient, en binôme, alors qu'il ne bénéficie d'aucune formation sur la sécurité. On retrouve donc le même problème qu'à La Pâquerette, à savoir un problème de gestion de la sécurité.

Il existe aussi un manque de formation: on nous a dit que tout le monde était formé, mais les représentants des gardiens et gardiennes de prison nous ont appris quant à eux qu'il n'y avait pas de formation spécifique sur les troubles psychologiques. Il est pourtant important que les personnes amenées à travailler avec des détenus présentant de tels troubles puissent reconnaître certains symptômes et avoir une certaine vision des choses afin d'éviter d'être agressées. Je le dis honnêtement, nous avons entendu que beaucoup de gens n'avaient pas la formation nécessaire et qu'une des formations prévues à Fribourg n'avait jamais été suivie.

Troisième problème: la dangerosité et son évaluation. Pouvoir évaluer la dangerosité des personnes détenues dans ces lieux constituait aussi un point essentiel du rapport sur l'affaire Adeline. Cette évaluation, semble-t-il, fait fi des avis de la base, c'est-à-dire des gens qui travaillent sur le terrain et qui ont peut-être des remarques à communiquer sur le comportement des prisonniers ou des prisonnières. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Je prends sur le temps du groupe, Monsieur le président ! Il est clair qu'il manque une remontée de ces informations à la direction en vue d'éviter des problèmes.

Sur le point de la dangerosité aussi, on avait vu avec l'affaire Adeline que lorsque quelqu'un est transféré en Suisse en provenance d'un autre pays, c'est la Confédération qui décide d'accepter ou non le transfert, après quoi le dossier est transmis au procureur général. Nous souhaitons pour notre part que le SAPEM, le service de l'application des peines et mesures, soit obligatoirement impliqué lors d'un transfert de l'étranger et que ce service active la commission d'évaluation de la dangerosité. C'est en effet de cette manière qu'on évitera de retrouver dans certains lieux des gens qui n'ont rien à y faire. Je vous rappelle que l'agresseur d'Adeline n'aurait jamais dû être placé à La Pâquerette et qu'on aurait dû le soumettre à une expertise psychiatrique à son arrivée à Genève, ce qui n'a pas été fait.

Un quatrième élément nous cause du souci: le soutien au personnel. Dans les situations difficiles, il n'y a pas de soutien ! Le ou la psychologue théoriquement rattaché à l'office cantonal de la détention est en arrêt maladie de longue durée et on doit donc faire appel à la structure mise en place pour la police. Nous souhaiterions qu'il existe une vraie structure psychosociale qui vienne en aide aux gardiens et gardiennes de prison chargés de ces personnes.

Dernier point: l'Observatoire des violences domestiques. Nous voudrions que celui-ci assure un suivi des récidives. Actuellement, ce sont purement des données statistiques, il n'y a pas de suivi des récidives, ni d'ailleurs de gestion des menaces, alors qu'on sait très bien que s'agissant des femmes battues, par exemple, il faut mettre en place une gestion des menaces, car les personnes concernées ont déjà eu des problèmes. Cette gestion n'est pas du tout prise en compte dans l'observation des violences domestiques.

Il doit y avoir une nouvelle discussion avec le Conseil d'Etat sur tous ces problèmes. C'est la raison pour laquelle la commission unanime a refusé ce rapport du Conseil d'Etat et demandé qu'il soit renvoyé à son auteur. Le but est de travailler ensemble à une meilleure sécurité afin d'éviter qu'un jour surgisse une nouvelle affaire Adeline. Il y a en effet eu des problèmes à Curabilis, dont un qui est traité par la justice; d'autres résultent d'une trop grande proximité entre les détenus et les gardiennes ou gardiens de prison. Je vous remercie.

M. Christian Zaugg (EAG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, la CEP a mis le doigt sur un certain nombre de dysfonctionnements, parmi lesquels la responsabilité du SAPEM et la confusion des rôles, en particulier entre les thérapeutes et les experts, l'absence quasi totale de supervision de La Pâquerette, son abandon par les HUG, qui ne la contrôlaient que par son secrétariat, l'existence d'une unité de sociothérapie pour des détenus en exécution de peine au sein d'un établissement de détention préventive, l'absence de cautèles lors des sorties, la confusion des rôles entre les sociothérapeutes et les agents de détention, et d'une manière générale le désintéressement presque total du Conseil d'Etat à l'égard d'une institution qui, malgré tous ces avatars, réalisait un travail remarquable. Dont acte.

Que s'est-il passé à la suite du terrible drame que l'on connaît, à savoir l'assassinat d'Adeline par un détenu manipulateur qui avait réussi, malgré quelques mises en garde de médecins, à tromper tout son entourage ? Un raidissement des attitudes, la suppression des sorties, la fermeture de La Pâquerette des champs et de Montfleury, la réaffectation de Curabilis et surtout la disparition presque totale de la sociothérapie. Une sociothérapie qui existe pourtant ailleurs, par exemple à St-Jean, un établissement sis dans le canton de Berne que la commission des visiteurs officiels a pu visiter à plusieurs reprises, notamment en compagnie du Conseil d'Etat, représenté par MM. Mauro Poggia et Pierre Maudet, lesquels ont semblé trouver un certain intérêt à cette démarche.

J'ajoute que la CEP elle-même a reçu le directeur de St-Jean, M. Manfred Stuber, pasteur, psychothérapeute et même - voilà qui va faire plaisir à Murat Julian Alder - officier... (Exclamations.) Ce dernier a fait une forte impression à la commission en lui présentant, sous forme de conférence, le fonctionnement de son institution et son mode de gouvernance. Chaque détenu y est placé sous la responsabilité de trois personnes - un psychiatre, un sociothérapeute et un maître socioprofessionnel - et toutes les décisions sont signées à trois, le directeur n'intervenant qu'en cas de litige. Les agents de détention ne fonctionnent que comme des membres d'un poste de police, opérant lorsqu'il y a des infractions uniquement. Faut-il ajouter que le fonctionnement de St-Jean, fondé sur trois unités progressivement ouvertes vers l'extérieur qui axent leur travail sur les stages et la réinsertion professionnelle, frise le 100% de réussite en matière de réintégration ?

Genève aurait pu tirer parti de cette expérience, d'autant que les recommandations de la CEP allaient dans ce sens, mais non, rien ! Le Conseil d'Etat a poursuivi sa politique restrictive, la tête dans un sac. L'instauration de bracelets électroniques, pourtant placée aujourd'hui sous la responsabilité du SAPEM, reste très timide, on continue à incarcérer beaucoup plus qu'à Zurich ou à Bâle et on persiste à affecter La Brenaz à de la détention administrative alors qu'elle est en chute libre dans toute la Suisse et que Favra et Frambois - qui sont des établissements concordataires - peinent à se remplir. Et comme si cela ne suffisait pas, on propose la construction d'un établissement de 450 places pour de l'exécution de peine en pleine zone agricole.

Alors oui, Ensemble à Gauche souhaite que le Conseil d'Etat tienne compte des observations de la CEP et qu'il oriente sa politique carcérale dans une direction beaucoup plus proche de celle qui est suivie par les pays nordiques et une partie de la Suisse alémanique, qui vident progressivement leurs prisons, contrairement à d'autres pays moins soucieux des droits de l'Homme et de la réinsertion professionnelle, qui eux les remplissent ! (Applaudissements.)

Mme Delphine Bachmann (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, je serai brève. A l'issue de ces travaux, il a été navrant que la commission de contrôle de gestion constate que l'Etat, malgré une situation extrêmement grave, malgré les années écoulées, n'est toujours pas en mesure d'assurer pleinement la sécurité de ses employés lorsqu'ils se consacrent à leur tâche de gardiennage, que ce soit dans le cadre de la prison ou de la réinsertion.

Mon collègue Bertrand Buchs a suffisamment souligné les différents points que nous avons relevés comme n'étant pas encore résolus. Le parti démocrate-chrétien déplore vivement cet état de fait, et nous espérons que le Conseil d'Etat remédiera enfin avec efficacité et rapidité aux problématiques qui ne sont toujours pas réglées, afin d'éviter que nous devions attendre un autre drame pour prendre en main la situation et assumer nos responsabilités. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Thomas Bläsi (UDC). Le rapport de la commission d'enquête parlementaire faisait suite à quatre rapports ordonnés par le Conseil d'Etat, quatre rapports qui n'avaient absolument pas réussi à apaiser la situation, à apporter une transparence complète et à ramener finalement la paix à Genève. Le travail de la CEP, dont la mise en application avait été confiée au Conseil d'Etat, procédait essentiellement de la confiance dont fait évidemment preuve le parlement à l'égard du gouvernement, lequel n'a cessé de nous dire - principalement par la bouche de M. Pierre Maudet - que l'intégralité des recommandations étaient appliquées, et qu'elles l'avaient été en amont du rapport de la commission d'enquête parlementaire.

Le Conseil d'Etat nous a également indiqué qu'il existait une cellule de crise pour les collaborateurs en cas de problème, tel que préconisé par certaines recommandations de la CEP, mais il se trouve que la personne en question est en arrêt maladie depuis dix mois et qu'on ne sait pas si son poste sera reconduit.

Par ailleurs - on vous l'a dit - une formation continue a été mise en place, mais comme elle repose sur une base volontaire et qu'il n'y a pas suffisamment de personnes intéressées, elle est inopérante et inefficace.

Ce qui pose de très nombreux problèmes, dans cette situation, c'est qu'aujourd'hui encore on entend des cadres et des conseillers d'Etat expliquer que finalement tout va bien dans la république, alors que sur le terrain, ce qui se passe réellement et les différentes informations ne correspondent absolument pas à cette description idyllique. Ces éléments-là sont inquiétants, parce qu'ils font partie des prémisses qui ont créé, qui ont permis la survenue de l'affaire Adeline. Je le répète, cette dichotomie entre le terrain et la direction a posé énormément de problèmes.

J'ai également entendu le directeur médical de Curabilis, M. Giannakopoulos, expliquer que finalement tout roulait dans cet établissement. Pourtant, outre l'affaire qui s'y est produite - mes préopinants en ont parlé - et qui se trouve à l'heure actuelle devant la justice, un autre événement a eu lieu tout récemment: une gardienne s'est amourachée d'un détenu et a été dénoncée par une collègue, gardienne elle aussi. Or quelle a été la décision prise par la direction ? Cette dernière a choisi de placer la gardienne dénoncée à la surveillance vidéo de la collègue dénonciatrice lorsqu'elle s'occupe des détenus. De toute évidence, il ne s'agit pas là d'une bonne gouvernance !

J'ai par ailleurs entendu à la télévision un conseiller d'Etat dire qu'il était inadmissible que les députés fassent peur à la population. Eh bien je tiens à le rassurer: il n'y a aucune raison que le fait que les députés travaillent à la simple application des demandes qu'ils ont formulées à l'intention du Conseil d'Etat... Et ce n'est pas à ce dernier de fixer la latitude dont il dispose pour appliquer ces recommandations, mais bel et bien au parlement ! J'ai donc entendu ce conseiller d'Etat dire que ce serait anxiogène pour la population, mais je tiens à le rassurer, et du reste je trouve assez amusant que le même magistrat, la même semaine, ait décidé d'expliquer au Grand Conseil et au peuple qu'on ne maîtrisait finalement pas grand-chose en matière de terrorisme... Monsieur le conseiller d'Etat, je pense qu'il est bien plus rassurant pour les gens de savoir que les députés travaillent à l'application des mesures qu'ils ont réussi à instaurer, étant donné que les quatre rapports que vous avez commandités ont été incapables d'apaiser la population et d'expliquer ce qui s'était réellement passé à La Pâquerette. Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)

M. Charles Selleger (PLR). Il est toujours délicat d'intervenir sur un sujet aussi chargé d'émotion - on le voit ce soir - une émotion qui perdure depuis six ans puisque le drame de La Pâquerette est survenu en 2013.

S'agissant du retard invoqué par certains... (Le micro de l'orateur ne fonctionne plus.)

Le président. On ne vous entend plus, Monsieur le député, votre micro a cessé de fonctionner ! (Un instant s'écoule.)

M. Charles Selleger.  Ça marche, maintenant ?

Le président. Oui, c'est bon !

M. Charles Selleger. Certains se sont offusqués du fait que notre commission ait mis une année pour analyser la réponse du Conseil d'Etat au rapport de la CEP et pour rendre elle-même un rapport, mais il faut bien comprendre que, comme toutes les commissions du Grand Conseil, nous avons travaillé sérieusement et procédé à des auditions. On ne peut pas galoper sous prétexte que le temps a passé ! C'est vrai qu'une certaine période s'est écoulée, mais plusieurs raisons peuvent l'expliquer. Il a notamment fallu du temps pour que la commission d'enquête parlementaire établisse son premier rapport, et la justice aussi, si on doit parler d'elle, a pris son temps, puisqu'il s'est passé plus de trois ans entre les faits et la condamnation du coupable.

Je ne vais pas revenir sur toutes les notions abondamment décrites par mes préopinants, mais j'aimerais insister sur la nécessité de la sociothérapie, car ce n'est pas un gadget, mais bien un élément essentiel. En effet, s'agissant des détenus, et particulièrement des détenus dangereux, il faut que la sociothérapie, après une phase de psychothérapie - qui peut être ordonnée par une mesure de justice ou spontanément demandée par l'intéressé - prenne le relais et place la personne incarcérée dans une situation qui lui permette raisonnablement et de façon sécurisée d'être rendue à la vie civile.

Bien entendu, d'autres points sont importants, comme la prise en considération de l'avis des agents de détention dans l'évaluation de la dangerosité. Ça semble une évidence, mais ce n'est pas ce qui est fait ! Je pense aussi au respect - certains l'ont déjà évoqué - de la stricte séparation des missions de chacun: le thérapeutique s'occupe du thérapeutique, le carcéral s'occupe du carcéral. Voilà en substance ce que je voulais dire ce soir. Je vous remercie, Monsieur le président.

Une voix. Bien !

M. Jean Rossiaud (Ve). La commission a décidé à l'unanimité de renvoyer ce rapport du Conseil d'Etat à son auteur, car elle n'était pas satisfaite de la réponse apportée par ce dernier. Je ne vais pas répéter ce qui a été dit, mais les Verts se joignent aux autres partis pour demander que la sociothérapie soit rapidement rétablie, que l'on remédie au taux d'absence des collaborateurs, que les interventions se déroulent toujours à deux, en binôme, que l'on renforce la formation et que l'on évalue de manière plus précise la dangerosité des détenus.

Après un drame aussi terrible, après une affaire aussi horrible, les Verts veulent absolument éviter toute instrumentalisation politique. Mon intervention sera donc brève. En guise de conclusion, nous aimerions dire au Conseil d'Etat que nous continuerons à suivre ses travaux avec précision et que la commission de contrôle de gestion va reprendre, mesure après mesure, recommandation après recommandation, tout ce qui a été envoyé au Conseil d'Etat depuis le début. Nous continuerons à suivre de manière précise et déterminée ce dossier ! Merci.

M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je suis effectivement inquiet, mais ce n'est pas en raison de ce rapport et de ses conclusions. Si je suis inquiet, c'est à cause de la légèreté du travail - et je pèse mes mots - accompli par la commission de contrôle de gestion... (Exclamations. Commentaires.) ...de la légèreté du rapport présenté ce soir. Certains sujets ne se prêtent pas à des actions de politique politicienne car ils sont graves, et lorsqu'on traite de problématiques de cette importance, les mots se pèsent et les conclusions se sous-pèsent. En l'occurrence, les affirmations assénées dans ce rapport sont tout simplement scandaleuses !

Dans ce dossier, on a présenté un parti pris qui est évident depuis le départ, un parti pris qui n'a d'égal que la souffrance qu'il génère pour la famille et les proches, lesquels sont convaincus - après avoir non seulement lu ce rapport, mais aussi entendu les propos tenus par certains membres de la commission devant les médias, puis sur les plateaux de télévision - que ce drame n'a servi à rien, que nous n'en avons tiré aucune conclusion et qu'une telle situation pourrait survenir à nouveau. «Nous craignons sérieusement», ont dit certains d'entre vous, «que ce drame puisse se reproduire.» Voilà les mots qui ont été prononcés.

Lorsque l'on consacre dix séances à l'étude d'un objet et que l'on rédige un rapport de treize pages, Mesdames et Messieurs, dont neuf ne contiennent que la reproduction des propos tenus devant la commission et une porte sur l'Observatoire des violences domestiques... On s'interroge du reste sur la raison de sa présence à cet endroit ! Donc avec trois pages seulement, tenir une conférence de presse et aller dire sur les plateaux de télévision que le Conseil d'Etat n'a rien fait et qu'il n'a pas pris la mesure de ce drame, je pense que c'est tout simplement scandaleux, je le répète. Curabilis compte 93 agents de sécurité et 130 collaborateurs médico-soignants pour 92 détenus, or la commission n'a entendu personne. Personne, Mesdames et Messieurs ! Elle a en revanche auditionné le président de la section prison du syndicat de police, qui ne travaille pas à Curabilis; ce dernier est venu expliquer comment les choses se passaient, et la commission a fixé ses accusations - puisqu'il s'agit de véritables accusations péremptoires - sur la base de ces déclarations. Ce n'est pas sérieux, Mesdames et Messieurs ! Il y a une famille qui souffre encore aujourd'hui et qui aimerait faire le deuil de cette perte. Il y a des soutiens, des proches dont la plaie se rouvre chaque fois qu'ils voient le prénom de cette malheureuse victime sur une manchette de journal. On ne doit pas faire les choses à la légère ! On doit agir avec discernement, avec sérieux, et lorsqu'on porte des accusations, il faut être prêt à les étayer par des faits, Mesdames et Messieurs. Ce ne doit pas être simplement pour se donner un rôle de contrôleur de la république lorsqu'on ne fait pas son travail comme il devrait l'être.

Parlons de la sociothérapie. Un concept de réinsertion et de désistance, qui comprend naturellement la sociothérapie, a été mis en place pour les détenus en 2017. Mais la sociothérapie ne s'adresse évidemment pas aux détenus qui présentent une pathologie psychiatrique aiguë, soit ceux qui sont précisément pris en charge par Curabilis. Cette méconnaissance crasse de la différence élémentaire qui existe entre une peine et une mesure montre à quel point ce rapport a été fait pour être orienté à l'encontre du Conseil d'Etat. J'accepte toutes les accusations, toutes les critiques, Mesdames et Messieurs, mais il faut qu'elles soient sérieuses. Lorsqu'elles visent uniquement à faire le buzz et qu'en plus ce buzz crée de la souffrance, je ne peux pas l'accepter, et le Conseil d'Etat avec moi.

Curabilis souffre d'un manque de gouvernance, peut-on lire dans votre rapport. Pire, vous dites qu'on ne sait toujours pas s'il s'agit d'une prison dans un hôpital ou d'un hôpital dans une prison.

Une voix. Eh oui !

M. Mauro Poggia. La personne qui vient de s'exclamer ferait peut-être mieux de lire le règlement de Curabilis ! Je vous en donne même la référence: F 1 50.15. En voici un extrait: «1 L'établissement de Curabilis (ci-après: Curabilis) est un établissement pénitentiaire fermé avec une prise en charge thérapeutique élevée [...]». C'est donc bien un hôpital dans une prison, le personnel médico-soignant n'étant là que pour apporter les soins ordonnés par la justice. Je vous cite également un extrait du ROAC, soit le règlement sur l'organisation de l'administration cantonale - B 4 05.10: «c) l'office cantonal de la détention, auquel est rattaché le service des mesures institutionnelles pour les aspects sécuritaires [...]». De quoi est-il question ? Que sont ces mesures institutionnelles ? Il s'agit précisément du service médical qui apporte les soins ordonnés par la justice au niveau carcéral. Mesdames et Messieurs, dans un contexte aussi sensible et aussi douloureux, lorsqu'on ne lit même pas les textes de lois et que l'on assène des contrevérités, ce n'est pas faire preuve de sérieux.

Il y aurait tant à dire au sujet du contenu de ce rapport, Mesdames et Messieurs: mise en danger des agents de détention, manque de formation... Si vous aviez auditionné les personnes responsables, elles vous auraient expliqué quelles sont les formations dispensées régulièrement à Fribourg pour que les collaborateurs puissent savoir comment prendre en charge ce type de détenus. Bien sûr qu'il y a des dysfonctionnements individuels, comme dans toute prison ! Ne dites pas que les dysfonctionnements individuels sont dus à des problèmes organisationnels, car on en rencontre dans toutes les prisons du monde. Il n'est pas responsable de faire courir le bruit dans la population que le Conseil d'Etat n'a rien compris, que la situation est délicate et que nous vivons dans une société dangereuse. Je dirais même que c'est à la limite de l'irresponsabilité institutionnelle.

Mesdames et Messieurs, vous allez nous renvoyer ce rapport et nous allons bien sûr y répondre. Je pense toutefois qu'il serait temps de tourner la page, non pas pour oublier - personne n'oubliera ce drame et tout le monde continuera à en tirer les conséquences - mais parce qu'aujourd'hui nous nous trouvons dans un autre contexte. L'unité de sociothérapie a été fermée, et vous êtes d'ailleurs celles et ceux qui ont à l'époque applaudi à sa fermeture. Est-ce à dire que nous allons préconiser des sorties sèches, pour reprendre les termes que j'ai entendus ? Bien évidemment que non ! Cela dit, Mesdames et Messieurs, savez-vous depuis combien de temps nous essayons de construire une prison destinée à l'exécution de peine qui soit digne de Genève et qui permette de prendre en charge correctement les personnes condamnées, avec précisément ce concept de réinsertion et de désistance ? Nous attendons toujours que vous votiez les lois que nous vous avons soumises pour enfin donner les premiers coups de pioche. Aujourd'hui, la prison de Champ-Dollon compte plus de 620 détenus alors qu'elle devrait normalement en accueillir seulement 398, ce qui signifie que l'on doit mélanger les personnes en attente de jugement avec celles qui sont condamnées. Il existe pourtant une obligation de travail pour ces dernières ! Hélas, la prison ne dispose pas de suffisamment d'ateliers.

Tout cela se prépare, mais il faut en avoir les moyens. Vous ne pouvez pas nous reprocher des conséquences dont vous êtes la cause ! Mesdames et Messieurs, renvoyez-nous ce rapport, nous ferons le nécessaire pour y répondre, mais maintenant, je vous en prie, ne serait-ce que par respect pour cette famille qui a suffisamment souffert, ne parlons plus de l'affaire de cette malheureuse jeune fille, parlons de l'organisation pénitentiaire de ce canton. Je vous remercie.

Une voix. Ouh !

Le président. Merci bien. Mesdames et Messieurs, je vous invite à vous prononcer sur ce rapport du Conseil d'Etat, en vous rappelant que la commission a voté son refus et son renvoi à son auteur.

Mis aux voix, le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport sur le RD 1220 est adopté par 63 oui contre 9 non et 14 abstentions.

Le rapport du Conseil d'Etat sur le RD 1220 est donc refusé.