République et canton de Genève

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RD 1220
Rapport de la Commission d'enquête parlementaire instituée par la motion 2252, chargée de faire rapport au Grand Conseil sur les dysfonctionnements ayant conduit à la mort d'Adeline M.
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session XIV des 26 et 27 avril 2018.
Rapport de MM. Thomas Bläsi (UDC) et Roger Deneys (S)

Débat

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous traitons maintenant le RD 1220 en catégorie II, septante minutes. Le rapport est de MM. Thomas Bläsi et Roger Deneys, mais je passe d'abord la parole à M. Voumard, président de la commission d'enquête parlementaire.

M. Jean-Marie Voumard (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, la commission d'enquête parlementaire a déposé son rapport le 17 avril dernier. Ses travaux l'ont amenée à procéder à 76 auditions en plénière et en sous-commission, elle a étudié et analysé des milliers de documents, archives et règlements qui ont permis de dresser des constats, lesquels font l'objet de recommandations adressées à diverses autorités. Ce rapport vous sera présenté par les deux corapporteurs; l'un s'est particulièrement penché sur les procès-verbaux d'auditions, l'autre sur l'examen des documents et archives.

Il est à noter, contrairement à ce qui peut se passer dans d'autres commissions de ce parlement, qu'aucune fuite ne s'est produite durant les travaux, ceci grâce à une organisation respectée par l'ensemble des commissaires. En parlant de ces derniers, je tiens à les remercier pour le travail accompli durant ces trois dernières années, tout comme le secrétariat général du Grand Conseil pour son important soutien. En guise de conclusion, je me permettrai de lire un courriel adressé lundi dernier par le collectif «Justice pour Adeline» à tous les membres de la CEP:

«Mesdames et Messieurs, nous avons pu lire en profondeur ce week-end l'intégralité de votre rapport et nous souhaitons vous remercier pour le travail important que vous avez fourni. Il nous permet d'assembler enfin toutes les pièces du puzzle et d'avoir une vision globale des dysfonctionnements, négligences, pratiques fautives et mauvaises directions qui ont, chacun et chacune à leur mesure, contribué au drame d'Adeline. Vous avez en ce sens parfaitement rempli votre mandat, et nous avouons qu'après trois ans d'attente, nous n'osions plus en espérer autant.

Nous mesurons l'engagement que ce travail a exigé de votre part au cours des trois dernières années et nous vous sommes reconnaissants de l'avoir mené à son terme, même si l'attente nous a semblé interminable et que les retards successifs ont suscité chez nous angoisse, colère et incompréhension. Nous comprenons que la bonne marche de la commission ait exigé la confidentialité de vos travaux, mais vous comprendrez également que l'absence totale de communication depuis le mois de janvier 2017 a été pour nous extrêmement dure à vivre et qu'elle a éveillé toute sorte de soupçons qui n'ont pas encore été totalement levés à ce jour.

Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, grâce à votre travail, on ne pourra plus dire que l'on ne savait pas. En dépit des réactions outrées des avocats, des directrices du SAPEM et de La Pâquerette, et du "Rien de nouveau sous le soleil" du Conseil d'Etat, votre rapport établit précisément les failles de ces instances qui avaient été minimisées, relativisées ou ignorées par les enquêtes Chappuis, Lador, et que l'enquête Ziegler n'avait pas pu examiner en profondeur. Ce rapport sonne comme un avertissement aux administrations et leur tutelle politique qui doivent impérativement faire leur autocritique pour que plus jamais une personne n'ait à subir le calvaire d'Adeline.

Enfin, vous avez donné une place à Adeline en mettant en évidence ses réactions et commentaires dans les PV des différentes réunions à La Pâquerette. Au-delà de son statut de victime, elle apparaît comme une professionnelle consciente et compétente, et nous vous remercions de lui avoir redonné cette dignité. Avec la reddition de ce rapport, nous pouvons enfin tourner la dernière page de cette tragédie et penser sereinement à notre amie. Merci d'y avoir contribué. Veuillez recevoir, Mesdames et Messieurs, nos meilleures salutations.»

Mesdames et Messieurs les députés, je vous prie d'approuver ce rapport divers 1220. Le groupe MCG, par ma voix, cède le temps de parole qui lui reste aux rapporteurs afin qu'ils puissent présenter correctement leur rapport. Merci, Monsieur le président.

M. Thomas Bläsi (UDC), rapporteur. Je vais commencer la présentation de ce rapport par la tache originelle, cause de beaucoup de choses dans le drame de La Pâquerette, à savoir le transfèrement de M. Fabrice Anthamatten de la France vers la Suisse. Ce processus s'est accompagné d'un certain nombre de problèmes qui ont été relevés par la commission d'enquête parlementaire.

A la base, le jugement français prévoyait une obligation de soins psychiatriques - la plus élevée du code de procédure pénale - assortie d'une augmentation de peine de cinq ans dans le cas où le détenu ne suivait pas la thérapie. Or l'Office fédéral de la justice n'a pas communiqué cette décision lors du transfèrement en Suisse de M. Fabrice Anthamatten, qui est alors devenu un prisonnier lambda. C'est finalement lui-même qui a exigé des soins psychothérapeutiques, de peur de voir appliquée l'augmentation de peine prévue par le système français. Nous sommes ainsi passés d'une obligation de soins psychiatriques - la plus élevée prévue par le code de procédure pénale français, je le répète - à un suivi thérapeutique volontaire.

Le deuxième point très important dans ce dossier, c'est l'évaluation de la dangerosité. Le cadre légal genevois présente une particularité: c'est le Conseil d'Etat, soutenu par la commission d'évaluation de la dangerosité, qui juge du caractère potentiellement dangereux des détenus accueillis dans notre système pénitentiaire. Pourtant, cette disposition n'a jamais été mise en application, bien qu'elle soit doublée d'une clause définissant cette tâche comme non délégable.

En fin de compte, le régime courant avant la modification du code pénal s'est poursuivi, c'est-à-dire que le SAPEM a continué de procéder à l'évaluation de la dangerosité. Comment les choses se sont-elles passées dans le cas de M. Anthamatten ? La dernière expertise psychiatrique dont disposait le SAPEM pour son analyse datait de 2011 et prévoyait des cautèles extrêmement strictes. La première était la poursuite du CFC qu'avait commencé le détenu aux Etablissements de la plaine de l'Orbe. Il était considéré que l'aboutissement de cette formation constituerait le signe d'une amélioration importante de sa condition, son interruption marquant a contrario une non-évolution, un signal d'alarme censé déclencher une nouvelle expertise. M. Fabrice Anthamatten, sachant qu'il ne pourrait rejoindre La Pâquerette en poursuivant un apprentissage à Bochuz, a décidé de l'interrompre trois jours après avoir été informé de cette limitation, avant de reprendre le même cursus à Genève.

Selon la deuxième cautèle, toute aggravation de la peine de M. Anthamatten devait faire l'objet d'une évaluation psychiatrique complémentaire. Celle-ci n'avait pas lieu d'être effectuée avant le transfèrement à La Pâquerette, puisque le passage du pénitencier de Bochuz au centre de La Pâquerette était celui d'un milieu fermé à un autre. Par contre, au moment de l'intégration du criminel au groupe de sortie de La Pâquerette, cette mesure aurait dû s'appliquer et une analyse psychiatrique être immédiatement réalisée, et ce avant qu'il ne puisse obtenir la moindre autorisation de sortie.

Malheureusement, la direction du SAPEM a décidé de repousser cette expertise afin d'évaluer le comportement de M. Anthamatten lors des premières sorties, ce qui signifie qu'un prisonnier considéré comme non dangereux, ainsi que le laissait supposer son intégration au groupe de sortie de La Pâquerette, a été confié à une sociothérapeute alors que cette institution ne disposait d'aucun élément pour juger de la situation. Je m'arrêterai là et reprendrai plus tard, Monsieur le président.

M. Roger Deneys (S), rapporteur. Mesdames et Messieurs les députés, en préambule, j'aimerais adresser quelques remerciements, tout d'abord aux membres de la CEP pour leur engagement tout au long des travaux. Notre mission a été difficile, contraignante et sans doute excessive sur une telle durée pour des parlementaires de milice. Je tiens également à saluer l'attitude constructive des représentants de deux partis initialement sceptiques quant à l'idée de constituer une commission d'enquête parlementaire, parce que leur apport a été extrêmement utile. Merci aussi aux collaborateurs du secrétariat général du Grand Conseil qui ont accordé beaucoup de temps et d'énergie à ce rapport, eu égard surtout à la masse de documents à traiter. Il me tient encore à coeur de saluer mon collègue rapporteur Thomas Bläsi; nous nous sommes réparti le travail, impliqués différemment selon les moments, ce qui a permis d'aboutir au résultat que vous avez sous les yeux aujourd'hui. Enfin, je souhaite brièvement remercier ma famille, ma compagne et mes enfants qui ont subi pendant plusieurs années l'importante charge de travail supplémentaire qu'a engendrée la rédaction de ce rapport, ça n'a pas toujours été simple.

S'agissant des travaux de la CEP, il faut insister sur une chose: pour minimiser les risques de fuite - d'ailleurs, il n'y en a pas eu - nous avons travaillé exclusivement avec des documents papier, sans envoyer les procès-verbaux sous forme informatique. Cette méthode de travail s'est avérée contraignante: quand vous menez des auditions particulièrement longues - certaines ont duré quatre heures - dans un contexte émotionnel chargé et douloureux, il n'est pas évident de revenir sur ce qui a été dit simplement de mémoire, sans PV disponible. Certes, cette façon de procéder nous a permis d'éviter des fuites, mais elle a aussi compliqué nos travaux.

Mesdames et Messieurs, ce rapport est celui de la commission dans son entier, pas uniquement de M. Bläsi et moi-même. Certaines parties ont été réduites afin qu'il conserve un volume acceptable - à notre désarroi initial, d'ailleurs, quand des passages que nous estimions particulièrement pertinents ont été retirés - quelques constats et recommandations ont fait l'objet de votes, parce que nous restons tout de même des politiciens, et il a pu arriver que certaines formulations ne correspondent pas totalement au point de vue des uns et des autres. Toutefois, de façon globale et fondamentale, il s'agit du rapport de l'ensemble de la CEP, même si chacun et chacune aurait sans doute voulu y ajouter ou enlever tel ou tel élément.

Ce soir, j'ai une pensée toute particulière pour la famille d'Adeline, son conjoint, sa fille, ses parents, comme pour ses amis du collectif «Justice pour Adeline» et une ancienne victime du criminel venue témoigner avec courage devant notre commission de son expérience traumatisante. Je tiens à la remercier sincèrement pour sa contribution, et j'espère que toutes ces personnes avec qui je suis en pensée ne nous tiendront pas rigueur pour la durée de nos travaux, qui se sont révélés bien plus longs que prévu - j'en sais quelque chose, puisque je suis l'auteur d'un amendement qui prévoyait la remise du rapport le 30 octobre 2015.

En ce qui concerne les dysfonctionnements relevés par la CEP dans ce rapport que je vous invite évidemment à lire attentivement, s'ils sont formulés de façon extrêmement succincte, c'est pour en favoriser la lisibilité. Ces constats posent de manière sous-jacente la question de la responsabilité respective des différents acteurs dans des décisions que nous pouvons aujourd'hui considérer comme erronées ou malheureuses. Il est cependant important de rappeler qu'à part le meurtrier, aucun protagoniste impliqué n'a souhaité ou même imaginé qu'un tel drame se produise un jour.

Des choix ont été effectués, généralement pour tenter d'améliorer des situations jugées à un moment donné, à tort ou à raison, comme problématiques, avec parfois des contraintes humaines - départs à la retraite, réorientations de carrière, mésententes - ou des contraintes financières, notamment budgétaires, importantes; parfois aussi avec des contraintes d'ordre législatif - nouveau code pénal - ou politique - élections et votations. Parfois, malheureusement, les prises de décision ou leur mise en oeuvre ont subi du retard.

Parmi ces problématiques, je voudrais en évoquer trois en particulier, en commençant par le rattachement de La Pâquerette au secrétariat général des HUG, une entité administrative s'il en est, et surtout pas pénitentiaire ni médicale. Notre rapport retrace le déroulement des événements: cette décision a été prise dans des circonstances mal étudiées, en ignorant un mémorandum du médecin-chef ad interim datant du 10 mai 2005 - il figure dans les annexes du rapport, aux pages 230 et suivantes - lequel soulignait justement un certain nombre de problèmes dans la gouvernance de La Pâquerette. Ce document n'a pas été pris en compte, et la gestion de l'institution a été attribuée au secrétariat général des HUG. Pis encore, ce rattachement a été opéré alors qu'il était auparavant prévu qu'un membre du secrétariat général des HUG participe au recrutement des futurs détenus de La Pâquerette conjointement avec sa directrice. Une personne avait donc cette mission dans son cahier des charges. Malheureusement, le secrétariat général des HUG a décidé par lui-même et sans chercher de solution de substitution d'y renoncer et donc de ne pas participer à cette sélection. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Ainsi, le principe des quatre yeux a été purement et simplement abandonné, sans alternative.

Pour nous, le problème ne relève pas uniquement du secrétariat général des HUG, mais également de sa direction, voire de son conseil d'administration. En effet, tout changement relatif à un service ou à une entité doit faire l'objet d'une attention soutenue, et on parle ici de détenus dangereux. Il est vraiment difficile d'admettre que ce transfert a été réalisé sans la moindre option de remplacement.

Le président. Vous prenez sur le temps du groupe.

M. Roger Deneys. Aucune justification de cette décision n'a été retrouvée, rien ne semble indiquer qu'une solution de substitution ait été envisagée, par exemple en consultant un expert disposant de compétences médicales.

Le deuxième écueil concerne l'office cantonal de la détention - anciennement l'office pénitentiaire - qui n'a pas mis en oeuvre la modification de la LACP relative aux autorisations de sortie des détenus dangereux. Cette responsabilité lui revenait pourtant, mais il est vrai qu'il a été mis à rude épreuve pour concevoir la planification pénitentiaire 2012-2022 alors que son fonctionnement était loin d'être optimal.

Enfin, il y a la question des postes du SAPEM qui constituent toujours un sujet de préoccupation, notamment à la commission des visiteurs officiels, puisqu'il nous parvient régulièrement des échos quant aux difficultés que rencontrent les détenus s'agissant du suivi de leur dossier. Certes, des améliorations ont été apportées, mais la situation reste problématique. Rappelons à cet égard qu'en mars 2013 - ça figure à la page 59 du rapport - les magistrats chargés des départements de la sécurité et de la santé ont renoncé à porter devant le Conseil d'Etat le dossier du rattachement de La Pâquerette au département de la sécurité, estimant que le problème serait réglé à brève échéance avec l'ouverture de Curabilis. Certaines décisions ont dès lors été reportées.

Je ne vais pas m'étendre sur les autres dysfonctionnements. Quant aux recommandations, il convient de faire quelques remarques. Avant toute chose, je regrette que le Conseil d'Etat n'ait pas fait preuve d'une plus grande humilité dans sa réponse qui figure également dans les annexes - le collectif «Justice pour Adeline» l'a d'ailleurs signalé dans son message - notamment quand il évoque la mise en oeuvre de mesures correspondant aux recommandations de la CEP. A mon avis, chacune de celles-ci devrait faire l'objet d'une analyse critique de la part du gouvernement avant qu'il ne puisse affirmer avoir répondu à nos attentes. Durant la prochaine législature, le Grand Conseil devra se montrer attentif à cette question et s'assurer de la mise en application desdites mesures, si nécessaire en déposant des textes pour y parvenir.

Je prends quelques exemples. La question de la commission d'évaluation de la dangerosité n'a fait l'objet d'aucun examen, ni de la commission de contrôle de gestion ni de celle des visiteurs officiels, alors que la CEP propose la création d'une structure de ce genre au niveau intercantonal, si possible concordataire. Une telle entité n'existe pas actuellement, et je pense qu'il faudrait étudier cette option.

La prévention contre la violence à l'encontre des femmes constitue l'une des recommandations de notre rapport, c'est un axe extrêmement important. Certes, des moyens y sont déjà consacrés à l'heure actuelle, mais il reste un énorme travail à réaliser. Pour mémoire, lors de son jugement en première instance, le criminel a été condamné à du sursis pour un viol ! La décision a ensuite été cassée, mais il n'en demeure pas moins qu'on minimise les violences infligées aux femmes, et nous devons corriger cet état de fait.

J'en viens à la législation - il s'agit des recommandations figurant sous 10.1.1. Nous avons constaté qu'il manque au Grand Conseil un outil pour suivre le cheminement ultérieur des lois qu'il adopte: comment sont-elles mises en vigueur au niveau réglementaire, dans quels délais, par quelles dispositions, à quelles dates ? Un tel dispositif n'existe pas aujourd'hui, et il faudra que la commission de contrôle de gestion vérifie qu'il soit élaboré.

Le point 10.1.3 - il s'intitule «Archives» dans le rapport, mais une petite coquille s'y est glissée, c'est en fait «Archives et systèmes d'information» - fait référence à la gestion informatisée des données relatives aux détenus. S'agissant du rapport de l'ICF portant le numéro 12-32 et datant du 7 novembre 2012, nous avons justement procédé à une audition à la commission de contrôle de gestion ce lundi 23 avril afin de déterminer où en était sa mise en oeuvre. Je vous rends attentifs au fait qu'un certain nombre de mesures ont été instaurées ces deux derniers mois seulement, alors que le rapport mentionne des délais antérieurs. La CCG semble avoir oublié de s'en préoccuper, bien que ça figure dans son rapport annuel 2013.

Enfin, les services de médecine et psychiatrie pénitentiaires sont aujourd'hui rattachés aux HUG plutôt qu'au département de la sécurité. Il s'agit de réévaluer cette configuration afin de déterminer si elle est toujours pertinente. Notre canton fait figure d'exception au niveau suisse; il se peut que ce soit légitime, nous disposons en effet de compétences en la matière, mais est-ce que Genève doit toujours représenter un cas particulier, est-ce bien raisonnable de penser que nous sommes meilleurs que les autres ? La question est posée, et le Conseil d'Etat comme le Grand Conseil devront y répondre. Si ce choix est maintenu, il faudra argumenter et ne pas se contenter de dire que l'on continue comme avant.

Le président. Il vous reste très peu de temps, Monsieur, mais je vous laisse terminer tranquillement.

M. Roger Deneys. Bon, puisqu'il paraît que je n'ai plus de temps de parole, je conclus avec la formation à destination des directeurs de prison mentionnée par le Conseil d'Etat. Ce cursus n'existe pas non plus actuellement, et il faudra s'assurer de sa création pour que les futurs directeurs d'établissement carcéral soient bien préparés à leurs obligations. Pour le surplus, Mesdames et Messieurs, je vous renvoie au rapport.

Le président. Je vous remercie. Monsieur Bläsi, souhaitez-vous poursuivre votre intervention maintenant ?

M. Thomas Bläsi (UDC), rapporteur. Combien de temps me reste-t-il, Monsieur le président ?

Le président. Attendez que je vérifie... Huit minutes.

M. Thomas Bläsi. Temps du groupe inclus ?

Le président. Oui.

M. Thomas Bläsi. D'accord, alors je continue quelques instants, si vous le permettez.

Le président. Allez-y, je vous en prie.

M. Thomas Bläsi. Merci. Je m'associe bien évidemment aux remerciements de mon collègue M. Roger Deneys et exprime également ma reconnaissance à M. Voumard - je crois qu'il a été oublié - qui, bien qu'ayant repris la présidence de la CEP en cours de route, a fourni un travail remarquable.

Mesdames et Messieurs, je reprends là où j'en étais tout à l'heure. Ainsi que l'a expliqué mon collègue, La Pâquerette a connu une série de dysfonctionnements suite à son rattachement au secrétariat général des HUG. Je vais vous en énumérer la liste - vous retrouvez le détail dans le rapport: évasion, conflits quant aux installations de sécurité, aux fouilles, aux sorties et aux retours tardifs, soupçons contre la direction de La Pâquerette de transmettre des directives confidentielles de Champ-Dollon aux prisonniers, modification de l'horaire des gardiens, photos prises à l'intérieur de l'établissement, mise à disposition des clés de sécurité aux détenus pour qu'ils puissent s'approvisionner au magasin de la prison.

Ces éléments sont détaillés dans le rapport. Je m'attarderai pour ma part sur l'évolution des sorties à La Pâquerette, qui ont fonctionné de manière relativement autonome de 2000 à 2003. Puis, suite à l'évasion d'un détenu en 2003, le procureur général a décidé de les interrompre, générant une importante réflexion quant à l'avenir de La Pâquerette et à la mise en place de mesures plus sécuritaires pour la sociothérapie.

L'interdiction stricte de sortie formulée par le procureur général s'est rapidement transformée en une possibilité de sortie sous accompagnement policier. Or la direction de La Pâquerette a refusé le principe d'une escorte de police, estimant que cela mettait en danger le processus de rétablissement sociothérapeutique et posait problème par exemple lors de la conduite d'un détenu auprès d'un employeur. La mesure n'a été appliquée qu'aux détenus concordataires résidant à La Pâquerette bien que celle-ci ne fasse pas partie du concordat. De même, à cette époque, les criminels sous le coup de mesures étaient accueillis au sein de l'institution alors que le règlement, qui n'avait pas été amendé depuis 1988, prévoyait qu'ils en soient exclus.

En 2005, un groupe de travail a produit le mémorandum qu'a mentionné M. Deneys tout à l'heure, revenant à une vision de la sociothérapie plus sécuritaire. Bizarrement, les conclusions du groupe remises en 2006 n'ont pas été prises en compte dans l'établissement d'un protocole d'accord, l'année suivante, rétablissant la possibilité de sortie d'un détenu accompagné par une sociothérapeute.

Durant les années 2007 à 2010, quoique prévues et validées par le SAPEM, un certain nombre de sorties ont été supprimées, le procureur général ayant opposé son veto. Je n'en citerai qu'une seule, celle d'un détenu qui avait déjà passé par La Pâquerette en 2003 avant d'être transféré à La Pâquerette des Champs en 2004. Cet homme était accusé d'avoir commis 50 actes sexuels sur 35 enfants, son évasion de La Pâquerette des Champs lui ayant permis de récidiver à trois reprises. Lors de sa demande de sortie en 2009 durant un nouveau séjour à La Pâquerette, le procureur général a mis son veto, estimant que ses loisirs passaient après la sécurité de la population.

En 2010, suite au recours d'un prisonnier contre le veto du procureur sur sa sortie, le Tribunal administratif a décidé de casser le protocole. A partir de ce moment-là, La Pâquerette a perdu le verrou sécuritaire garanti par ce veto et retrouvé une autonomie de fonctionnement complète, le pouvoir judiciaire ne pouvant plus interdire la sortie d'un détenu jugé dangereux. L'établissement a fonctionné sous ce régime de 2010 à 2013, alors qu'il y avait un véritable noeud politique qui aurait permis d'envisager l'application du nouveau code de procédure pénale avec attribution de la compétence d'évaluation de la dangerosité, comme je l'ai dit tout à l'heure, au conseiller d'Etat.

Dans les faits, c'est l'enchaînement de toute une série de dysfonctionnements dans de nombreux services et à plusieurs échelons de l'administration et du pouvoir politique qui a conduit au drame. A cet égard, la commission des visiteurs officiels est intervenue à de multiples reprises, tout d'abord en 2004... (Remarque.) D'accord, alors je conclus: la commission des visiteurs est intervenue en 2004 s'agissant du problème des installations de sécurité, puis en 2005 et 2006 sur la question des fouilles. Son intervention a été inutile, au mieux intempestive, et a davantage compliqué l'évaluation de la situation. J'ai terminé. Merci, Monsieur le président.

M. Christian Zaugg (EAG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, le groupe Ensemble à Gauche tient tout d'abord à remercier les rapporteurs Thomas Bläsi et Roger Deneys d'avoir réalisé ce considérable travail de compilation et de synthèse qui fera date dans l'histoire du Grand Conseil. Il adresse également ses vifs remerciements au président de la CEP, Jean-Marie Voumard, qui ne s'est jamais départi de son calme pendant les travaux, qui a fait preuve de compétence et d'une très grande patience.

La commission a accompli un examen en profondeur, rien n'a été négligé. L'intégralité des dysfonctionnements ont été repérés, qui donnaient l'impression d'une montagne du tertiaire composée de schistes empilés: chaque fois que l'on en retirait des ardoises, on repérait une nouvelle anomalie. Un véritable travail de Sisyphe, en somme ! Il est profondément malheureux que l'expérience de communauté thérapeutique, bien encadrée par des médecins dans ses débuts, ait pareillement dérivé.

Tout a été dit, mais relevons pour commencer la mauvaise interprétation de la peine prononcée par le tribunal de Bourg-en-Bresse, assortie d'une expertise psychiatrique. Suivent les erreurs d'appréciation du SAPEM, l'abandon de La Pâquerette par les HUG laissant à leur seul secrétariat plein pouvoir sur cette structure thérapeutique, ce qui est totalement irresponsable, une permissivité et une proximité excessives, un manque de supervision patent, la caution et le désintéressement des autorités politiques, le mélange des genres entre médecins et experts, l'absence de toute prise en considération des avertissements lancés par des médecins, les rapports glissés puis oubliés au fond des tiroirs et j'en passe.

Bref, un incroyable gâchis qui a laissé le centre de La Pâquerette, tel le bateau ivre de Rimbaud, à la dérive, malgré les tentatives de M. Franziskakis, alors directeur à Champ-Dollon, et du procureur général Zappelli de remettre bon ordre dans les fouilles et les sorties, mais sans succès puisqu'elles ont été contrées par la direction. Que dire encore des rapports ? De celui de Bernard Ziegler, excellent au demeurant, qui a réussi en un temps record à rendre compte du problème ou, a contrario, de celui de M. Lador déchargeant le SAPEM de toute responsabilité en matière administrative ?

Rusé, le criminel a su ou pu utiliser toutes les failles qui se présentaient à lui afin de tromper son entourage et de commettre cet épouvantable assassinat. Tout cela est infiniment regrettable, et le groupe Ensemble à Gauche partage entièrement la douleur de la famille et des amis d'Adeline, et tient à le leur faire savoir. Nous relevons cependant que ce collectif semble satisfait des constats et recommandations présentés dans le rapport, ce qui nous réjouit.

Cela étant, nous n'aimerions pas que l'on jette le bébé avec l'eau du bain, car il existe des modèles de sociothérapie qui fonctionnent et dont nous devrions nous inspirer, notamment celui mis en place à la prison de Saint-Jean, dans le canton de Berne. Nous souhaitons qu'un tel concept ne soit pas abandonné, car il ne faut pas oublier qu'un criminel condamné par le Tribunal criminel ou, à titre définitif, par la Chambre pénale d'appel et de révision finit généralement par sortir de prison au bout de vingt ans d'internement. Il convient donc de préparer au mieux sa réinsertion, et c'est là tout le rôle de la sociothérapie qui, selon nous, doit être maintenue au sein des établissements pénitentiaires genevois. Merci.

M. Pierre Conne (PLR). Nous rendons compte aujourd'hui des travaux de la commission d'enquête parlementaire mandatée par notre Grand Conseil pour faire toute la lumière sur les dysfonctionnements survenus à tous les échelons de l'Etat et des Hôpitaux universitaires de Genève qui ont mené à l'assassinat, le 12 septembre 2013, de Mme Adeline Morel, une sociothérapeute du centre de La Pâquerette âgée de 34 ans, au cours de la sortie accompagnée d'un détenu.

La CEP a pris en considération les rapports précédents s'inscrivant dans le sujet de sa mission: les deux rapports de Me Bernard Ziegler, celui du professeur Benoît Chappuis et celui de M. Jean-Pierre Lador. Le mandat confié par le Conseil d'Etat à Me Bernard Ziegler, tout en ayant un champ plus restreint, présente une certaine analogie avec le nôtre. Il consistait à déterminer si la prise en charge de M. Fabrice A. depuis son arrivée à La Pâquerette avait été adéquate au regard du cadre législatif, réglementaire et procédural en vigueur, à identifier si la sortie accompagnée du 12 septembre 2013 avait été décidée et mise en oeuvre dans le respect de celui-ci et à proposer des réformes et des pistes d'amélioration.

La commission a analysé les constats et recommandations de Me Ziegler qu'elle fait en partie siens. Quant aux mandats confiés par le conseil d'administration des HUG au professeur Chappuis et par le Conseil d'Etat à M. Lador, il s'agissait d'enquêtes administratives à l'encontre des directrices respectives de La Pâquerette et du service de l'application des peines et mesures. La mission de la CEP, pour sa part, était de faire toute la lumière sur les dysfonctionnements ayant mené à cette tragédie, et non à rechercher des responsables, encore moins des coupables. Les conclusions des enquêtes administratives étaient donc situées hors du champ de la CEP. Cependant, ces deux rapports très bien documentés contenaient de précieuses informations qui ont servi à ses travaux.

Les commissaires n'ont pas suivi de méthode d'investigation strictement formalisée. Il est en effet inhabituel pour des députés de se départir du mode de fonctionnement politique qui constitue la règle dans les commissions ordinaires. La démarche adoptée s'est apparentée à une exploration inductive les conduisant à recueillir, de fil en aiguille, des masses d'informations. La CEP a toujours cherché à rester en lien avec son mandat, ce qui n'était pas évident. Pour ce faire, elle s'est entourée d'experts du droit pénal, du domaine pénitentiaire et de la médecine forensique. Elle a conduit 76 auditions en formation plénière ou en sous-commission - la liste détaillée figure dans le rapport - et a eu accès à tous les documents nécessaires, y compris les rapports médicaux et d'expertise concernant M. Fabrice A., ainsi que les documents d'archives de La Pâquerette et du SAPEM.

La majorité des membres de la CEP ne connaissaient pas ou peu le monde carcéral, qu'ils ont découvert à l'occasion de leurs travaux. Ainsi, en considérant l'immensité de la tâche que représente l'action pénitentiaire dans son ensemble, le niveau élevé d'exigences demandé à chaque collaborateur de même que les enjeux sociétaux, nous tenons à saluer le travail qu'accomplissent, jour après jour, l'ensemble des professionnels engagés dans la prise en charge des détenus; nous leur sommes reconnaissants et formons les voeux que le résultat de notre enquête serve aussi à améliorer leurs conditions de travail et leur sécurité, les conditions de détention et le processus de réinsertion des prisonniers.

L'intensité et l'ampleur de l'entreprise menée sont la démonstration que le mandat a été consciencieusement exécuté, nous n'avons plus à avoir de doutes quant à ce qui s'est vraiment passé. A l'heure du bilan, n'oublions pas qu'à tout problème complexe il n'existe pas de solution simple. Ainsi, nous ne sommes pas tombés dans le piège consistant à vouloir découvrir le fautif qui aurait éventuellement échappé aux enquêtes précédentes.

Le nombre et la variété des dysfonctionnements identifiés par la CEP comme de ses recommandations illustrent la multiplicité des problèmes relevés. Ceux qui ont lu ou liront l'intégralité du rapport découvriront la diversité et l'étendue des éléments constitutifs de ce drame, ils comprendront comment ceux-ci se sont construits avec le temps, du fait de pratiques faillibles, de décisions inconséquentes ou d'absence d'arbitrage.

Ce rapport établit précisément et sans complaisance les failles du système politique et administratif des domaines pénitentiaire et hospitalier concernés, il contient tous les éléments nécessaires adressés aux instances impliquées afin que les corrections qui n'auraient pas encore été entreprises le soient, pour que plus jamais une personne n'ait à subir le calvaire d'Adeline. Je vous remercie de votre attention.

M. Vincent Maitre (PDC). J'aimerais commencer par adresser mes sincères remerciements aux personnes du secrétariat général du Grand Conseil qui ont oeuvré au sein de la commission et sans qui ses travaux n'auraient sans doute pas abouti de la sorte: Messieurs Constant, Koelliker et Rudaz, soyez assurés de notre parfaite reconnaissance.

Pour ce qui est du rapport, chacun a pu en prendre connaissance, des observations ont été établies, des responsabilités institutionnelles et fonctionnelles soulevées, nous avons littéralement investigué deux départements de la cave au grenier et porté des constats parfois rudes et lourds. Cela étant, nous ne pourrons pas nous dispenser d'opérer notre propre critique, car la dernière institution qui n'a pas été examinée est celle de notre Grand Conseil, sous l'angle de l'outil parlementaire qu'est la commission d'enquête parlementaire.

Trois ans, c'est long, beaucoup trop long, et par cette durée, nous avons nous-mêmes indéniablement contribué à alimenter les frustrations, voire les souffrances, des proches et de la famille d'Adeline. Cette durée, cela a déjà été évoqué, s'explique notamment par l'ampleur de la tâche à accomplir, mais pas seulement. En réalité, elle nous renvoie à nos propres limites, celles d'un parlement de milice dont la substantifique moelle est précisément de ne pas être composé de spécialistes. Or le travail qui était à effectuer était un travail de spécialistes, puisqu'il consistait en des audits approfondis de différentes entités, de leur fonctionnement, de leur cadre juridique et de leurs contraintes scientifiques.

Nous, membres du parlement, devrons donc faire preuve d'un peu plus d'humilité à l'avenir. A titre personnel, je constate une tendance de notre assemblée à vouloir toujours davantage intervenir, davantage contrôler, davantage scruter l'ensemble des activités étatiques. Ceci n'est tout simplement pas possible à long terme, nous n'en avons ni les moyens ni les compétences, précisément parce que ce parlement est constitué de représentants dits de la société civile et que nous ne disposons pas, je le répète, des qualités requises pour intervenir partout où cela nous semblerait justifié.

C'est notamment dans ce sens que des réformes pourront - devront ! - être menées lors de la toute prochaine législature, et je crois ne pas être le seul à émettre cet avis - je me réfère au projet de loi des Verts qui vise à restructurer la commission d'enquête parlementaire, pour tenter de rendre cet outil plus efficace, plus efficient, pour limiter les risques d'un échec aussi, parce que cet organe en tant que tel n'est pas infaillible. Le PDC se joindra d'ailleurs à leur effort par le biais d'un projet de loi qu'il déposera sous peu afin de réformer la CEP.

En effet, les risques n'étaient pas anodins ni exclus d'emblée dans le cadre de cette recherche des responsabilités ayant entraîné le drame d'Adeline. Encore une fois, nous devrons en tirer les conséquences, faire notre propre examen de conscience et essayer d'améliorer cette institution qui, objectivement, n'est aujourd'hui pas totalement satisfaisante.

Je me réjouis néanmoins que ce rapport ait finalement été rendu sous une forme et dans des circonstances qui, ma foi, satisfont apparemment aux attentes des uns et des autres, et je parle évidemment des premières personnes concernées que sont les proches d'Adeline; tant mieux, ce n'était pas gagné d'avance et c'est notamment pour ces raisons que le PDC, dès le début, n'était pas favorable à la constitution d'une commission d'enquête parlementaire, non pas parce qu'il ne souhaitait pas exécuter le mandat, mais parce qu'il avait les plus grands doutes quant aux capacités de la commission à aboutir à un résultat concluant.

Heureusement, la CEP a manifestement relevé le défi, puisque la plupart des représentants de ce Grand Conseil semblent eux aussi approuver ses conclusions. Nous ne pouvons que nous en féliciter, saluer le travail réalisé et surtout tâcher de renforcer cette structure en la rendant, autant que faire se peut, la plus sûre possible. Je vous remercie.

M. Boris Calame (Ve). Monsieur le président, chères et chers collègues, trois ans de travaux, des milliers de pages de documents consultées, pour une part extraites avec difficulté des archives de La Pâquerette, pour l'autre remises par les autorités ou les personnes entendues, 76 auditions, plus d'une centaine de séances de commission et de sous-commission, de très nombreuses heures de lecture individuelle, des débats nourris mais respectueux, plusieurs versions du projet allant de rien ou presque à beaucoup trop pour, au final, aboutir au rapport que nous discutons ce jour, des travaux confidentiels, avec des commissaires plus ou moins présents, intéressés ou encore impliqués...

Pour les Verts, cela a représenté un engagement constant, entièrement concentré sur l'aboutissement de la mission que vous autres, membres du Grand Conseil, avez confiée à la commission d'enquête parlementaire. Chaque composante de ce rapport a été longuement analysée et débattue au sein de la CEP, tant sur le fond que sur la forme. Conformément à la LRGC, les personnes concernées ont pu s'exprimer dans le cadre d'une consultation avant la publication finale - les observations écrites sont d'ailleurs publiées intégralement dans les annexes.

Ces années de travail intense ont conduit à la conclusion que l'Etat - au sens large - a dysfonctionné dans son devoir de protection de l'une de ses collaboratrices, mais aussi que le chemin était tout tracé pour que cela arrive. Ce rapport n'épargne personne: ni le pouvoir politique ni les entités publiques concernées. Toutefois, il ne désigne pas de responsable ad personam, car cela n'était pas notre mandat.

La Pâquerette est née du constat que tout prisonnier finit par sortir de détention un jour et qu'il convient, pour certains plus que pour d'autres, de mieux anticiper les remises en liberté afin de protéger la société d'éventuelles récidives. Dans ce sens, la sociothérapie a toute sa raison d'être. Or, au fil du temps, cette structure s'est retrouvée à fonctionner - ou à devoir fonctionner - de manière autonome, elle a été délaissée par celles et ceux qui en avaient la responsabilité. Coupée de l'extérieur, elle n'avait plus les moyens de contrôle et de supervision indispensables à son bon fonctionnement. Elle est ainsi partie à la dérive, bien aidée par celles et ceux qui n'ont pas rempli leurs obligations légales, administratives, médicales et morales.

Pourtant, l'histoire de La Pâquerette a été jalonnée de multiples signaux d'alerte; malheureusement, personne n'a su ou voulu les prendre en considération. L'Etat porte de ce fait une responsabilité particulière et bien réelle. Nous avons relevé plus de cent dysfonctionnements, et plus de septante recommandations sont adressées aux acteurs institutionnels concernés. Tel est le bilan de nos travaux.

De l'avis des Verts, le mandat assigné à la CEP a été rempli par la publication de ce rapport. Certes, celui-ci est bien trop tardif, mais il est complet et critique: étayé par les très nombreux documents en notre possession, corroboré par les auditions effectuées, il survole l'histoire de La Pâquerette, dressant un portait moins idéalisé de cette institution que cela a pu être fait auparavant. Le rapport s'attache également à relever les interactions entre le centre et les autres acteurs de la chaîne carcérale.

Le système ayant cours au moment des faits, avec ses règles particulières, a permis l'intégration d'un détenu particulièrement dangereux et multirécidiviste, sans évaluation de sa dangerosité, au sein d'un établissement et d'un programme qui n'étaient pas prévus pour cela. L'intégration de ce détenu à La Pâquerette et son programme de sorties accompagnées, tous deux proposés par La Pâquerette et validés par le SAPEM, ont été les prémices du drame.

A la lecture du rapport, on constate que les signaux d'alarme ont été nombreux. Dans ce contexte, le principe selon lequel «tout ce qui se passe à La Pâquerette reste à La Pâquerette» apparaît parfaitement inadéquat et inacceptable. La prise en considération des informations transmises par des lanceurs d'alerte ainsi que la protection de ceux-ci revêtent aux yeux des Verts une importance toute particulière. D'ailleurs, le Grand Conseil traitera prochainement de cette question. Ne vous trompez pas, Mesdames et Messieurs les députés, vous aurez alors une responsabilité fondamentale en la matière. Il faudra que l'entité créée dispose d'une autonomie absolue et d'une autorité reconnue; il ne s'agira pas de médiation, mais bien d'entendre des personnes qui avertissent l'autorité de problèmes pouvant nuire gravement à l'Etat, à ses agents ou encore à la population.

Celles et ceux qui souhaitent mieux cerner les dysfonctionnements politiques et institutionnels ayant abouti à la tragédie de 2013 les trouveront décrits tout au long du rapport. Que dire notamment de l'absence de contrôles internes que l'Etat se doit pourtant de mettre en place, de la passivité décisionnelle ou encore de l'absence de suivi pendant toutes ces années par le Conseil d'Etat, le conseil d'administration et la direction des HUG, les autorités pénitentiaires, voire notre parlement en tant qu'autorité de haute surveillance ? Les dysfonctionnements humains et institutionnels qui ont permis la survenance de cette tragédie sont graves et inacceptables. Si les responsabilités sont multiples, elles sont bien réelles.

Nous apprenons pas plus tard que cette semaine, par la bande, que des mesures importantes s'agissant de l'établissement et du suivi des dossiers des détenus viendraient seulement d'être mises en oeuvre, alors même qu'elles étaient inscrites dans un rapport de l'ICF de 2012. Il devient dès lors insupportable d'entendre le Conseil d'Etat dire et écrire qu'il ne nous avait pas attendus pour mettre en oeuvre la plupart des recommandations de la CEP.

Au vu de ce qui précède, le groupe des Verts invite la commission de contrôle de gestion à se saisir du RD 1220, à en assurer le suivi en vérifiant la mise en oeuvre des septante recommandations formulées, puis à tenir le Grand Conseil informé au travers d'un rapport spécifique.

Je conclurai avec une pensée personnelle pour la famille et les proches de Mme Adeline M. qui, je l'espère, trouveront au travers de ce rapport et des propos échangés ce jour une forme d'empathie de la part de notre assemblée. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur. La parole est à M. de Sainte Marie pour deux minutes.

M. Romain de Sainte Marie (S). Merci, Monsieur le président, de m'accorder encore deux minutes. Le groupe socialiste tient à saluer le travail accompli avec sérieux par les quinze commissaires de la CEP et à les féliciter pour les 76 auditions qu'ils ont conduites. Si les travaux ont duré trois ans, c'est qu'un tel laps de temps était nécessaire pour aboutir à ce rapport de qualité apportant de riches recommandations qui, nous l'espérons, seront prises en compte par le Conseil d'Etat. La commission d'enquête parlementaire a procédé à un examen fouillé des dysfonctionnements, erreurs et approximations survenus dans différents services de l'Etat et des HUG. De là résulte que l'Etat a failli, malheureusement.

Il convient dès lors d'en tirer une conclusion, Mesdames et Messieurs: l'Etat doit changer, et c'est la raison pour laquelle les recommandations émises doivent être prises en considération. Il ne s'agit pas de faire le procès de la sociothérapie, bien au contraire, ni de verser dans une logique du tout-sécuritaire en contournant la véritable problématique que constitue la réinsertion de détenus potentiellement dangereux. Non, il s'agit à l'inverse de réfléchir au concept de sociothérapie et de revoir les processus défaillants ayant mené au drame, ce que le Conseil d'Etat ne s'est pas engagé à faire suite à ce que révèle la CEP.

Les socialistes attendent du gouvernement qu'il commente les constats figurant dans le rapport et leur apporte une réponse détaillée, sans botter en touche ni contourner la question de la sociothérapie en tombant dans le piège du tout-sécuritaire. Tout l'opposé de sa première réaction, en somme. Mesdames et Messieurs les députés, merci d'adopter ce rapport divers 1220 afin que nous obtenions un retour circonstancié de la part du Conseil d'Etat. Pour conclure, nous adressons toutes nos pensées à la famille d'Adeline et à ses proches.

M. Stéphane Florey (UDC). J'ai écouté avec attention le discours de chacun. Le groupe UDC se joint évidemment aux remerciements adressés jusqu'à maintenant et adhère quasi complètement aux interventions précédentes présentant le déroulement de nos travaux, à quelques éléments près.

Tout d'abord, on se pose des questions quant à certains projets de lois qui ont été évoqués ce soir: est-ce qu'une commission d'enquête parlementaire déjà constituée ou réduite à neuf membres, ainsi que d'aucuns l'auraient souhaité, aurait effectué un meilleur travail, est-ce qu'on aurait pu économiser ou mieux faire ? Personnellement, j'en doute. Pour ceux qui ont lu le rapport, ce qui ne semble pas être le cas de tout le monde, malheureusement - mais c'est comme ça pour l'ensemble des objets que nous traitons dans ce Grand Conseil, n'est-ce pas ! - on peut dire...

Le président. Je vous prie de rester calme, Monsieur, tout s'est déroulé sereinement jusqu'à présent.

M. Stéphane Florey. Tout le monde n'a pas lu le rapport, c'est une évidence que l'on constate une fois de plus aujourd'hui ! Pour l'UDC, d'un point de vue démocratique et législatif, les travaux de la CEP sont un succès, quoi qu'en disent certaines personnes ici présentes. En effet, Mesdames et Messieurs, ils ont permis de mettre en lumière un certain nombre de dysfonctionnements et de dérives dont découlent forcément un certain nombre de responsabilités. Ce rapport, et c'est là sa force, n'accuse personne, il relate des faits qui, comme vous pouvez le lire, amènent à des constats et à des recommandations.

Ainsi, la CEP a mené à bien son mandat, elle a «fait le travail», entre guillemets, et exécuté tout ce que demandait la motion 2252, ce dont nous pouvons être satisfaits d'un point de vue démocratique et législatif, comme je viens de le dire. Le but de cette commission n'était pas de satisfaire aux attentes des uns et des autres, mais tout simplement d'accomplir la mission instituée par cette motion, et le groupe UDC souligne qu'elle a parfaitement rempli son contrat, même si les travaux ont été longs et difficiles. Nous avons eu beaucoup de problèmes, il faut le dire ici, à nous organiser pour nous mettre au travail: il a fallu réfléchir aux exigences de la motion, trouver des experts externes, entendre un certain nombre de personnes. Par ailleurs, il a été compliqué d'obtenir tous les documents nécessaires, notamment de la part du Conseil d'Etat. Ça n'a pas été facile ! Comme mes préopinants l'ont indiqué avant moi, nous avons conduit de nombreuses auditions, ça a pris du temps.

Ce que les gens ne savent pas, ce qui n'a pas été dit ici, c'est le temps écoulé entre les séances pour permettre aux rapporteurs de faire leur travail, parce qu'avec toutes les informations qu'ils ont dû recueillir, on ne pouvait pas siéger juste pour siéger, il fallait prévoir du temps pour qu'ils puissent rédiger. D'où la longueur des travaux, qui a été tellement relevée qu'on se croirait presque accusés... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...d'avoir siégé longtemps juste pour siéger. Non, ce n'est pas vrai, il a fallu du temps pour faire le travail, rédiger le rapport, l'analyser, discuter des recommandations...

Le président. Il vous faut terminer, Monsieur.

M. Stéphane Florey. Voilà ce qui a généré ces longueurs ! Je le répète: pour le groupe UDC, nous avons rempli le mandat, nous pouvons affirmer que c'est un succès démocratique. C'est la raison pour laquelle nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, d'accepter ce rapport afin que ses recommandations soient renvoyées à toutes les entités concernées et que celles-ci puissent les mettre en oeuvre. Je vous remercie.

Le président. Merci. Madame Engelberts, vous disposez de trois minutes trente.

Mme Marie-Thérèse Engelberts (HP). Merci, Monsieur le président. Je ne réitérerai pas tous les remerciements qui ont déjà été adressés à nos collègues de la CEP en ravivant l'émotion que peut susciter la discussion d'un tel objet. Au départ, je n'étais pas du tout favorable - et je ne le suis d'ailleurs toujours pas - à ce type d'examen par une commission d'enquête parlementaire. Je m'explique: si on doit faire appel à un si grand nombre de spécialistes extérieurs au Grand Conseil, ça signifie que nous ne disposons pas des compétences propres nécessaires pour mener une investigation de cette envergure.

D'autre part, le parlement n'est pas habilité à entreprendre l'analyse de l'ensemble des processus et structures mis en place dans le cadre d'un service ou d'une institution, il peut tout au plus dénoncer une politique publique et proposer des réformes. Pour ma part, j'aurais davantage envie d'interroger la stratégie pénitentiaire de notre canton et de déterminer la manière dont ce Conseil peut apporter sa contribution: quels moyens sont indispensables au fonctionnement du système carcéral tel qu'on l'aura défini ? En effet, on parle peu de ça.

Certes, le rapport a mis en lumière la manière dont fonctionnent le secrétariat général des HUG et la prison, mais il me semblerait plus judicieux, afin d'appréhender les problèmes en amont et ne plus se retrouver face à ce type de situations qui, Dieu merci, arrivent rarement, d'examiner la politique mise en place pour ces prochaines années, les besoins spécifiques de la population incarcérée et du personnel qui en est responsable, l'organisation des structures et la gouvernance.

Par exemple, qu'on soulève maintenant seulement la question de la formation des directeurs de prison m'interpelle, j'ai l'impression de débarquer dans un pays en voie de développement ! Evidemment, c'est indispensable: si on veut instaurer une gouvernance efficace, il est certain que les directeurs de prison doivent être formés, tout comme le personnel. Ce n'est pas que le nombre qui compte, mais aussi la qualité des formations qui permettront d'instituer un certain état de veille au sein des établissements pénitentiaires.

Quant au reporting, à la manière de rapporter la sociothérapie à un service ou à un autre... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...soyons clairs: la sociothérapie, avec ses activités pédagogiques, relève prioritairement du domaine médical, et le fait de la placer à cheval entre les systèmes carcéral et médical ne peut que porter à confusion et illustre le manque de clarté des politiques publiques en matière de sécurité. Je suis désolée d'exprimer un avis...

Le président. Il vous faut conclure, Madame.

Mme Marie-Thérèse Engelberts. Oui, je termine. ...plus nuancé que les autres. Si la qualité du rapport est indéniable eu égard au but qui avait été fixé, je pense en revanche que les problèmes de base se situent ailleurs.

Le président. Merci. La parole revient à M. Spuhler pour trois minutes trente.

M. Pascal Spuhler (HP). Je vous remercie, Monsieur le président, ce sera très bref. Mesdames et Messieurs les députés, j'ai entendu certains de mes collègues de la commission se flageller s'agissant de la longueur du rapport, du coût des travaux, de la difficulté de l'entreprise. A mon avis, là n'est pas la question; en définitive, nos travaux nous ont fait aboutir à des conclusions positives et constructives, et c'est ça qui compte. Qu'un tel drame n'arrive plus jamais. Merci, Monsieur le président.

Le président. Merci, Monsieur. Mesdames et Messieurs, avant de passer la parole à M. le conseiller d'Etat Maudet, je tiens à vous remercier pour le silence respectueux dont vous avez fait preuve lors de ce difficile débat. Vous avez la parole, Monsieur Maudet.

M. Pierre Maudet, conseiller d'Etat. Merci, Monsieur le président. Le Conseil d'Etat s'associe à vos remerciements comme aux propos de sympathie exprimés par certains députés à l'endroit des proches de la victime. Nous avons pris connaissance du rapport de la commission d'enquête parlementaire et considérons à ce stade que tout a été dit dans une tragédie qui commande de l'humilité et une extrême circonspection.

Le Conseil d'Etat n'entend pas participer au débat visant à déterminer si le travail de la CEP est un échec, s'il s'agit de réformer les commissions d'enquête parlementaire, de la même façon qu'il n'entend pas refaire l'histoire. En revanche, il compte tout mettre en oeuvre pour que celle-ci ne se reproduise pas et espère en avoir témoigné dans la collaboration qui a été la sienne tout au long des travaux de la commission. A cet égard, je m'inscris en faux contre les propos du député Florey: nous avons coopéré à tout instant, transmis les documents nécessaires. Il est important de rétablir ici cette vérité. Dès le premier jour, le Conseil d'Etat s'est engagé, après avoir reconnu que l'Etat avait failli, à faire en sorte que dans les limites de sa responsabilité, tout soit entrepris pour que ce drame ne se reproduise pas. Il n'a pas attendu ce rapport, qui arrive cinq ans après, pour en faire la démonstration et se réjouit de pouvoir la faire à nouveau à la faveur de celui qu'il rendra sur ses conclusions et recommandations.

Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. A présent, Mesdames et Messieurs, je lance la procédure de vote sur ce rapport.

Mis aux voix, le rapport divers 1220 est approuvé et ses recommandations sont renvoyées aux autorités concernées par 82 oui (unanimité des votants).

La commission d'enquête parlementaire est dissoute selon l'article 230J, alinéa 3, de la LRGC.