République et canton de Genève

Grand Conseil

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PL 11978-A
Rapport de la commission d'aménagement du canton chargée d'étudier le projet de loi de MM. Christo Ivanov, Bernhard Riedweg, Stéphane Florey, Michel Baud relatif à l'accueil et à l'habitat des forains et des gens du voyage sur le site de la Bécassière
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session XIII des 22 et 23 mars 2018.
Rapport de majorité de M. François Lefort (Ve)
Rapport de minorité de M. André Pfeffer (UDC)

Premier débat

Le président. Mesdames et Messieurs, nous traitons le PL 11978-A en catégorie II, quarante minutes. Le rapport de majorité est de M. François Lefort, à qui je passe la parole.

M. François Lefort (Ve), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, il faut d'abord replacer ce projet de loi dans son contexte. En 2010, le Grand Conseil a voté la loi 10673 pour reloger les forains et les gens du voyage sur le site de la Bécassière, à Versoix, en remplacement du terrain qu'ils occupaient alors dans la zone inondable du Molard. Cette loi finançait l'équipement du terrain et 95 emplacements destinés à accueillir des habitations mobiles.

Un locataire a construit un logement inamovible de grande ampleur sur son emplacement, contrevenant au règlement du terrain mis à disposition par l'Etat, qui prévoit de n'y installer que des habitations mobiles. Il a mené une procédure judiciaire jusqu'au Tribunal fédéral, qui l'a débouté. En effet, le Tribunal fédéral a confirmé que les personnes logeant sur une aire d'accueil doivent être capables de partir rapidement en démontant leur structure.

La base légale est solide, car la loi 8836 de modification de zones, préalable à la loi d'investissement, stipule expressément qu'aucune construction fixe n'est admise, à l'exception bien sûr des deux bâtiments dévolus aux équipements financés par le projet d'investissement. Un arrêté départemental a été établi et mis en annexe du contrat de séjour que signent les forains et les gens du voyage; on retrouve à son article 2 l'interdiction des installations fixes.

Le cas a été dénoncé à la police des constructions et une procédure de résiliation de bail a été entamée pour cet emplacement. Le locataire l'a contestée, prétextant qu'il bénéficiait d'un contrat de bail pour une habitation, ce qui n'est pas le cas, puisqu'il ne s'agit pas d'une habitation. Le tribunal des baux et loyers a indiqué qu'il s'agissait d'un terrain nu, puis la Cour de justice et le Tribunal fédéral ont confirmé cette décision.

Ce genre d'affaire ne devrait pas finir en projet de loi. La situation est simple, vous l'aurez compris: un locataire, au contraire des 94 autres, ne respecte pas le règlement, il construit une habitation en dur de très grand gabarit - on parle ici d'un logement de 180 mètres carrés au sol, 7 mètres de haut et 250 mètres carrés de surface habitable sur deux niveaux ! - sur un emplacement destiné à une structure mobile, il se défend contre l'Etat jusqu'au Tribunal fédéral et il est débouté. La situation est simple, mais nous sommes obligés de la traiter ce soir, parce qu'un député UDC en a fait un projet de loi ad personam, prétextant l'iniquité et rendant les choses compliquées.

L'iniquité, Mesdames et Messieurs les députés, consisterait à traiter ce locataire différemment des 94 autres qui, eux, respectent la loi et le règlement qu'ils ont signé. Je le répète: les 94 autres forains et gens du voyage ont signé le règlement d'occupation des emplacements et le respectent ! Et ces locataires-là, Mesdames et Messieurs, ont justement droit à l'égalité de traitement. Voter ce projet de loi ad personam, ce serait voter un privilège pour un locataire quérulent et valider une solution illégale qui nuit au bon fonctionnement de cette aire d'accueil destinée aux forains et aux gens du voyage. Cet espace fournit précisément des places libres de constructions pour faciliter le mode de vie de ces personnes. Or le présent projet de loi vous propose l'inverse.

En résumé, la proposition du député Ivanov, premier auteur de ce projet de loi, est de transformer un bail de location pour un emplacement nu en un bail locatif pour une habitation, puisqu'il y aura un logement fixe. C'est une fausse voie, une voie illégale: deux précédentes lois confirment que cette proposition est illégale, le Tribunal fédéral a tranché et il tranchera encore si vous votez ce texte. Aujourd'hui, l'UDC nous propose un projet de loi illégal qui rend une inégalité légale. Ce n'est pas sa coutume, reconnaissez-le; d'ordinaire, ce parti est particulièrement soucieux de la légalité, particulièrement soucieux de pourchasser tout stigmate d'illégalité dans nos propositions à nous. Alors savourons ce moment rare - l'UDC qui nous propose un projet de loi totalement illégal ! - mais refusons ce projet de loi.

M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de minorité. Les gens qui habitent sur le site de la Bécassière sont des forains et des gens du voyage. Ces deux groupes de personnes sont très différents: les forains travaillent dans des foires en Suisse et les gens du voyage se caractérisent par un mode de vie et une culture propres. Mais ce qui unit ces deux minorités, c'est qu'elles sont sédentarisées sur le site de la Bécassière où elles vivent en permanence. Je le répète: ces gens vivent en permanence sur le site de la Bécassière ! Leur nombre est conséquent: il y a environ cent familles - par famille, on entend les parents, les grands-parents, parfois les arrière-grands-parents, et beaucoup d'enfants - ce qui représente 600 à 700 personnes.

Ce projet de loi est absolument nécessaire, car ces gens habitent là en permanence, les enfants sont scolarisés dans la commune, il s'agit d'un habitat à l'année pour les familles. Naturellement, ces groupes minoritaires voyagent beaucoup. Quand les forains partent travailler à Bâle, Berne ou Zurich, ils utilisent une caravane spécifique pour leurs déplacements. Pour les gens du voyage, la situation est identique: ils se déplacent quasi uniquement lors des vacances scolaires et possèdent également des véhicules spécifiques pour les voyages.

Les constructions situées à la Bécassière sont conçues pour un usage permanent. La plupart sont certes des mobile homes, mais avec des surfaces de 150 à 160 mètres carrés, parfois avec un deuxième étage. Ces mobile homes ne sont évidemment pas déplaçables. Pour en déplacer un, il faudrait deux ou trois camions et une grue afin de charger les trois ou quatre containers ! Le règlement actuel autorise ces structures. Par ailleurs, il y a quatre ou cinq logements de type chalet - le nombre exact dépend de l'interprétation qu'on fait d'une construction de type chalet. Comme les mobile homes, les structures de type chalet sont non excavées et ne débordent pas des limites au sol. L'un des chalets a été officiellement autorisé tandis qu'un autre, plus haut et volumineux, adapté à une famille de dix personnes, a été interdit et devra être démoli. Le propriétaire du chalet illégal est en justice depuis 2013 et sous menace d'évacuation judiciaire.

Ce projet de loi propose tout simplement d'accorder à ces gens une location pour un habitat, ce qui correspond à la réalité. Actuellement, ils disposent d'une location pour un terrain sur lequel ils peuvent parquer un véhicule ou un logement mobile, ce qui ne correspond pas à la réalité. Ces personnes paient pour leur emplacement un prix proche de ce que la FTI facture sur les terrains en droit de superficie, c'est bien plus qu'un tarif de parking. Précisons encore que les forains et les gens du voyage ne bénéficient ni d'aides pour le logement ni d'autres subventions.

Aujourd'hui, seul un logement de type chalet est jugé illégal, mais est-ce que toutes les autres constructions sont légitimes ? Les critères d'appréciation sont subjectifs et interprétables. S'il fallait reloger tous ces habitants, il faudrait l'équivalent de six à huit allées dans le quartier du Lignon ! Le droit du bail actuel est inadapté et ne correspond absolument pas à la réalité. Si nous votons ce projet de loi, la situation de 600 à 700 Genevois et Suisses sera régularisée; sans notre acceptation, l'aventure judiciaire se poursuivra pendant des décennies. Pour ces raisons, je vous propose d'adopter ce texte. Merci.

M. Christo Ivanov (UDC). Monsieur le président, j'ai droit à trois minutes en tant qu'auteur du projet de loi et le reste sur le temps du groupe, on est bien d'accord ?

Le président. Non, non, vous avez droit à ce qui reste à votre groupe.

M. Christo Ivanov. Mais je suis l'auteur du projet de loi, j'ai normalement droit à trois minutes de plus !

Le président. Non, c'est le rapporteur.

M. Christo Ivanov. Bon, ce n'est pas grave. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi demande que les forains et les gens du voyage obtiennent un véritable bail. Sans refaire la genèse de l'histoire, de la Queue-d'Arve où ils ont été expropriés - les documents ont disparu, malheureusement - au déménagement sur la zone inondable du Molard, à Versoix, puis à la Bécassière, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts.

En 2010, ce Grand Conseil a accepté le PL 10673 ouvrant un crédit d'investissement de plus de 12 millions pour reloger les forains et les gens du voyage, dont environ 1 590 000 F pour la construction d'un parking à la route du Bois-Brûlé. Or ce parking n'a jamais été réalisé alors qu'il a été voté par le parlement !

En ce qui concerne la problématique du terrain de la Bécassière, je cite les propos de M. Bittel, président de l'Association des gens du voyage, qui reflètent bien la situation actuelle - ça figure à la page 8 du rapport: «Les gens du voyage ne se sont pas rendu compte d'un certain nombre de choses en signant le règlement. D'abord, il s'agit d'un simple parking, alors qu'au Molard, on avait certains droits, parce qu'on était logé là-bas. La constitution garantit notamment que les besoins des gens du voyage doivent être pris en compte. Or, ils se retrouvent ici sur un parking, sans aucun droit, sans aucune possibilité de faire valoir leurs droits fondamentaux.»

Ce qui a changé pour ces personnes auparavant nomades, c'est qu'elles se sont sédentarisées, elles sont devenues semi-sédentaires. A ce titre, elles ont droit à un bail, elles ont droit à un logement. Là est toute la problématique. Il faut mettre de côté les cas particuliers, parce qu'il y a toujours eu des problèmes, il y en avait déjà au Molard, qui n'ont d'ailleurs jamais été résolus par l'administration. Aujourd'hui, ce projet de loi offre à ces gens un vrai bail et un vrai droit au logement, et je demande à cette noble assemblée de bien vouloir l'accepter.

M. François Lance (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, les personnes concernées ont signé des contrats en toute connaissance de cause, elles étaient au courant du type d'aménagement autorisé et du nécessaire caractère mobile des structures. La plupart d'entre elles ont respecté les règles.

Le déclassement ne prévoyant pas de zone constructible, il est surprenant qu'un des locataires ait pu ériger une maison sans demande d'autorisation de construire. C'est clairement une situation illégale et une inégalité de traitement par rapport aux autres habitants du site. Il n'est pas possible de légiférer pour régler la situation d'un seul individu. Dans ces conditions, le groupe PDC n'entrera pas en matière sur ce projet de loi.

M. Yvan Rochat (Ve). Mesdames et Messieurs, chers collègues, les Verts refuseront ce projet de loi. Quelques éléments de principe nous paraissent clairement violés par la proposition de nos collègues Ivanov et Florey, notamment l'égalité devant la loi. En créant une loi d'exception pour légaliser un cas singulier de transgression de la législation actuelle, on tourne le dos à l'intérêt général, on valide le fait accompli, bref, on quitte les rivages de la république pour les marécages d'un certain clientélisme. Certes, c'est ce que fait parfois ce Grand Conseil - je pense par exemple à l'infraction crasse de la sablière du Cannelet, à Avusy - mais il est grand temps que ces petits arrangements cessent.

Au demeurant, les Verts rappellent que les forains et les gens du voyage sont les bienvenus et ont toute leur place à Genève. La Ville de Vernier, par exemple, loue des lieux d'entreposage aux forains genevois, mais cela ne peut se faire que dans le respect du droit et à l'écart du clientélisme. Malheureusement, ce projet de loi nous y plonge plutôt que de nous en préserver. Nous vous demandons de le refuser.

M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant. Mesdames les députées, Messieurs les députés, c'est un sujet compliqué, je ne vous le cache pas. Tout d'abord, je dois contredire M. Lefort: il ne s'agit pas d'une loi ad personam, mais d'une loi visant à résoudre la problématique d'une communauté dont le mode de vie est différent de celui de la majorité. On ne peut pas dire que ce projet de loi a été rédigé dans le but de régler un cas particulier, celui d'une personne ayant excédé ses droits en se construisant une sorte d'immense chalet - un petit palais sur un parking, ai-je envie de dire. Non, cette loi a été conçue pour régler une problématique qui n'est pas d'ordre individuel, mais communautaire. Cette communauté, qui existe depuis très longtemps, privilégie un mode de vie différent, qui nous pose sans doute problème parce qu'il ne s'intègre pas dans l'ordre juridique suisse; mais on ne peut pas simplement passer cette question sous silence et ne pas la traiter.

Il faut aussi rappeler - on l'a dit tout à l'heure - qu'il ne s'agit pas d'une communauté nomade, mais sédentaire. Il y a eu une certaine hypocrisie jusqu'à maintenant, dans le sens où on a toujours considéré que ces gens étaient nomades, mais en réalité, ils ne le sont pas. La preuve, c'est qu'ils disposent de baux annuels renouvelés tacitement d'année en année et que leurs enfants sont scolarisés à Genève. Somme toute, la seule chose qu'ils ont de nomade, si je caricature un peu la situation, c'est qu'on leur interdit d'enlever les roues en dessous de leur mobile home.

Les gens du voyage et les forains ont le droit au logement, comme tous les habitants de ce canton, un droit garanti par l'article 38 de notre constitution. Que signifie le droit au logement dans ce contexte ? Cela signifie la sécurité du logement, l'assurance de ne pas perdre son habitation d'un jour ou d'un mois à l'autre. C'est là que ce projet de loi amène une innovation conséquente: il prévoit que s'appliquent les dispositions du code des obligations relatives aux baux d'habitation. On ne considérera plus qu'on leur loue une place de parking... Enfin si, on considérera qu'on leur loue une place de parking, mais qui sera soumise aux mêmes règles que si c'était un logement. Ainsi, on offre aux gens de cette communauté qui habitent là une protection identique à celle d'un locataire. Voilà l'innovation majeure de cette loi.

L'autre nouveauté importante, c'est que ce qui était jusqu'à présent prévu dans des règlements et pouvait être modifié à tout va par des décisions administratives sera désormais ancré dans la loi: on assure donc la sécurité du droit à des personnes qui en ont besoin pour être sûres qu'elles pourront continuer à résider sur place. On me rétorquera que si on accorde la sécurité du droit au logement aux personnes qui résident sur ce terrain, alors ce ne sera plus une aire de transit, on ne pourra plus y accueillir des gens du voyage de l'extérieur. Mais, Mesdames les députées, Messieurs les députés, ce n'est déjà plus une aire de transit aujourd'hui: ces gens sont des sédentaires, et on ne peut pas les pousser dehors pour en faire venir d'autres qui seraient en transit, ce serait un manque de respect envers ce mode de vie particulier qu'est celui des gens du voyage et des forains.

Pour ces motifs, Ensemble à Gauche soutiendra ce projet de loi. Certes, il introduit une certaine inégalité de traitement, c'est vrai, mais enfin, à situation inhabituelle - et c'est le cas de celle-ci - réglementation inhabituelle. Je vous remercie.

Mme Beatriz de Candolle (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, notre parlement traite d'un projet de loi qui n'a d'autre but que de contourner un règlement pour favoriser un locataire ne respectant pas le contrat de bail qu'il a pourtant signé en toute connaissance de cause. L'arrêté départemental est très clair: l'emplacement en question est réservé à des installations mobiles - caravanes et mobile homes - et toute construction non autorisée fera l'objet d'une dénonciation aux services compétents. L'ensemble des instances de justice et de recours ont d'ailleurs confirmé qu'il s'agissait bien d'un terrain nu. Le Tribunal fédéral a été limpide dans son jugement et a rejeté le fait qu'il s'agissait d'un contrat d'habitation. Est-ce notre rôle, en tant que députés, de rédiger et de voter des lois pour légaliser l'illégalité ? Je suis peut-être naïve, mais je nous crois tous honnêtes et respectueux des lois, des règlements et des institutions. Ce projet de loi n'a pas de raison d'être, et c'est pourquoi le groupe PLR vous invite à le refuser.

M. Sylvain Thévoz (S). Le groupe socialiste soutiendra ce projet de loi. On parle des gens du voyage, mais est-ce que tout le monde sait de qui il s'agit ? Ce sont les Yéniches, des Suisses et des Genevois qui forment une minorité nationale protégée, notamment par la Convention européenne des droits de l'homme.

Au XIXe siècle, on a forcé cette communauté à se sédentariser, et on se retrouve aujourd'hui dans une situation où l'Etat dit: «Vous devez vous sédentariser, vous ne pouvez plus vous déplacer librement, mais on ne vous donne pas les moyens de vous établir ni de construire.» Il y a là quelque chose de choquant. En 2019, ces gens n'ont pas le droit de construire, de disposer de logements de qualité alors que leurs enfants vont à l'école à Genève ! Le projet de loi permet, comme il a été dit, de régulariser leur situation. Ce n'est pas une loi d'exception, c'est au contraire une mesure prise en lien avec une communauté singulière.

En commission, nous avons été sensibles aux arguments avancés par les principaux intéressés, avec qui nous avons pu discuter, qui se sont heurtés à un certain légalisme, à une application extrêmement rigide des règlements de la part de l'OBA. Certes, un bail a été signé à l'entrée, mais c'était un bail limité, vu qu'il leur fallait se déplacer du lieu que l'Etat avait aménagé pour eux précédemment.

En l'état, le projet de loi permet d'avancer vers une régularisation de la minorité yéniche, et à terme, l'administration pourra prononcer un déclassement ou organiser un PLQ afin de densifier la zone; c'est aussi l'un des enjeux pour l'Etat, à savoir construire du logement à la place d'un parking précaire pour des populations en balan, faire de ce lieu un espace de vie avec une population singulière, minorité nationale, qui verrait là un bel acte de reconnaissance. Nous vous remercions, Mesdames et Messieurs, d'accepter ce projet de loi.

M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, on est là face à une situation assez particulière, puisque ces gens ont été déplacés du secteur du Molard à celui de la Bécassière, sur une sorte de parking aménagé par l'Etat, avec des prises électriques, j'en passe et des meilleures. Un très beau terrain équipé, mais au final, quel est le statut de cet endroit ? C'est un parking, un site où les forains peuvent s'installer. Il est stipulé que les installations doivent être mobiles, mais on peut jouer sur les mots. Le chalet de M. Walder, puisque c'est de lui qu'il s'agit, est démontable; évidemment, il ne se démonte pas en cinq minutes, mais il est démontable, il n'y a pas d'autre ancrage que des plots posés sur le sol. Quelques autres constructions sont aussi un peu limite - ça figure dans le rapport - mais sont tolérées par le département.

Mesdames et Messieurs, c'est un faux problème. Sauf erreur, il s'agit d'une zone 4B, c'est-à-dire qu'on peut construire jusqu'à 10 mètres de haut, alors je ne vois pas pourquoi on fait subitement des chicaneries inutiles. Il faudrait juste adapter le règlement ou le rendre plus clair, parce qu'il est assez flou. Il y a eu des discussions avec la communauté suisse des gens du voyage, mais je ne sais pas où elles en sont - rien ne ressort dans le rapport, mais il date de la législature précédente, donc on ne sait pas ce qu'il en est.

A l'époque, il y a eu une tentative de délogement - j'étais d'ailleurs sur place pour apporter mon soutien physique, une personne contre beaucoup de Rambos ! - et il y avait déjà des discussions entre le département et les représentants suisses des gens du voyage. Alors on ne sait pas si ça a donné quelque chose, mais en raison d'une mauvaise situation, d'une mauvaise interprétation des règlements, de chicaneries excessives, eh bien on a abouti au projet de loi de notre collègue Ivanov que le MCG soutiendra résolument tout en vous invitant à faire de même !

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole revient à M. Christo Ivanov pour une minute.

M. Christo Ivanov (UDC). Merci, Monsieur le président. Je remercie mon préopinant Daniel Sormanni ainsi que Mme Salika Wenger, qui n'est malheureusement pas là aujourd'hui, pour leurs efforts de conciliation dans ce dossier. Aujourd'hui, Mesdames et Messieurs, Genève légalise les sans-papiers avec Papyrus, cela ne gêne personne dans cette noble assemblée, et vous voudriez refuser un droit du bail et un droit au logement avec une protection comme pour tout locataire à des familles suisses, des familles qui viennent du cirque, des familles Nock, Knie ? Où sont les humanistes dans ce parlement, Monsieur le président ? Je m'inquiète fortement. C'est pour ces raisons... (Remarque.) Oui, je suis le seul humaniste de ce Grand Conseil ! (Rires.) ...que je vous remercie de bien vouloir accepter l'entrée en matière et de voter ce projet de loi. Merci, Monsieur le président.

Le président. Vous en avez oublié quelques-uns, mais je vous accorde que vous êtes un humaniste ! Je passe maintenant la parole à M. François Lefort.

M. François Lefort (Ve), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Les gens du voyage et les forains ont un bail pour un emplacement nu, et on nous propose de créer un bail pour une habitation qui appartiendrait au locataire, pas au bailleur ! Ce projet de loi n'a ni queue ni tête et n'améliorera en rien la situation de ces personnes, même si le député Bayenet appelle cela une innovation majeure - oui, c'est une innovation, car le propriétaire de l'habitation va payer un loyer pour un logement qu'il possède !

Quelles seraient les conséquences de cette loi si elle venait à entrer en vigueur ? Eh bien si la possibilité est offerte à tous de construire des chalets sur ces emplacements, des chalets du type de celui qui existe, alors il n'y aura plus d'emplacements libres pour les forains et les gens du voyage qui se déplacent. Les 95 emplacements seront tous accaparés par des occupants sédentaires et privilégiés qui priveront les autres de ces espaces prévus précisément pour leurs déplacements. Cela, Mesdames et Messieurs les députés, risque de se faire avec votre assentiment prétendument humaniste et respectueux des minorités !

Pour ma part, je vous demande de ne surtout pas le faire; si vous aimez les forains et les gens du voyage, si vous aimez les manouches, les gitans et les Yéniches, eh bien il ne faut justement pas le faire ! C'est vous tromper, c'est du faux humanisme, c'est faire le bonheur de certains contre celui de tous les autres. Les emplacements doivent rester libres pour permettre à ces personnes de poursuivre leur mode de vie en toute liberté, voilà ce que vous devez comprendre. Merci.

M. Serge Dal Busco, conseiller d'Etat. Tout d'abord, Mesdames et Messieurs les députés, je voudrais dire que le Conseil d'Etat porte la plus haute estime et le plus grand respect aux gens qui habitent sur ce site, dont le mode de vie leur appartient. Un grand nombre de personnes vivent là-bas, l'écrasante majorité sans poser le moindre problème. Il faut préciser qu'il y a deux communautés distinctes, d'un côté les gens du voyage, de l'autre les forains - j'ai entendu des intervenants dans cette salle mélanger allégrement les choses.

Plusieurs centaines de personnes vivent sur ce terrain et connaissent les règles établies, notamment la règle de base décidée en 2003 par ce parlement qui, en déclassant cette zone agricole en une zone 4B, a spécifié qu'aucune construction ou installation fixe n'y serait admise. C'est écrit dans la loi. Le vote du projet qui vous est proposé ce soir ne changera rien au caractère inconstructible de cette zone. Voilà pour le premier élément.

Je disais que plusieurs centaines de personnes vivent sur le site; si le plus grand nombre ne pose aucun problème, il y a un locataire qui pose un énorme problème depuis plusieurs années: en 2013, il a érigé une construction sur la parcelle qu'il loue sans demander d'autorisation. Les services de l'administration l'y ont rendu attentif, l'ont mis en demeure, lui ont même infligé des amendes, rien n'y a fait, c'était la politique du fait accompli. Le Conseil d'Etat a fait preuve de la plus grande des patiences envers cette personne, des rencontres directes ont eu lieu, des solutions ont été proposées - qui sont d'ailleurs toujours possibles - pour le démontage de cette installation. D'aucuns ont dit qu'elle est démontable en quelques heures, mais c'est archifaux, il faudrait des jours et des jours de travail pour démonter ce qui constitue une véritable villa de plus de 250 mètres carrés. Mesdames et Messieurs, voilà la réalité. Il n'y a d'ailleurs pas d'objet équivalent sur le site. Certains d'entre vous ont parlé d'autres chalets du même acabit: non, il n'y en a pas. Je peux vous attester que toutes les autres habitations, même si leur apparence est coquette et semble fixe, sont déplaçables en quelques heures. Ainsi, pratiquement la totalité des personnes respectent non seulement les dispositions légales relatives à cette zone, mais également les documents, les baux qu'elles ont signés, à l'exception du cas dont on parle ce soir. Je dis bien: à l'exception du cas dont on parle ce soir !

M. le rapporteur de minorité a mentionné que les procédures judiciaires pourraient durer encore je ne sais combien de temps; mais non, les procédures judiciaires sont terminées ! L'intéressé est allé jusqu'au Tribunal fédéral s'agissant de son bail, il a été débouté. Le bail a été résilié, la construction est illégale, elle doit être démolie et il y a un jugement d'évacuation en force. Toute l'opération a eu lieu, l'Etat a fait preuve de la plus grande des patiences dans cette affaire.

Maintenant, la situation est claire: ce que propose ce projet de loi, c'est de régulariser une situation non seulement proscrite par la loi, mais à propos de laquelle la justice s'est déterminée jusque dans ses plus hautes instances. A notre sens, votre Grand Conseil commettrait une vraie erreur en votant une loi comme celle-ci, il y aurait une contradiction flagrante et totale avec les décisions prises précédemment par ce même parlement. Aussi, Mesdames et Messieurs, je ne peux que vous inviter à refuser ce projet de loi de la manière la plus large possible. Merci de votre attention.

Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat, et je lance le vote sur l'entrée en matière.

Mis aux voix, le projet de loi 11978 est rejeté en premier débat par 47 non contre 42 oui.