République et canton de Genève

Grand Conseil

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PL 12074-A
Rapport de la commission du logement chargée d'étudier le projet de loi de Mmes et MM. Christophe Aumeunier, Bénédicte Montant, Nathalie Fontanet, Olivier Cerutti, Cyril Aellen, Edouard Cuendet, Ronald Zacharias, Stéphane Florey, Jacques Béné, Christo Ivanov, Gabriel Barrillier modifiant la loi générale sur les zones de développement (LGZD) (L 1 35)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session III des 11 et 12 mai 2017.
Rapport de majorité de M. Cyril Aellen (PLR)
Rapport de minorité de M. Christian Dandrès (S)

Premier débat

Le président. Nous continuons nos urgences. Nous arrivons au PL 12074-A, que nous traiterons en catégorie II, cinquante minutes. Le rapporteur de majorité est remplacé par Mme Nathalie Fontanet, à qui je passe la parole.

Mme Nathalie Fontanet (PLR), rapporteuse de majorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Monsieur le président, chers collègues, je reprends l'excellent rapport de majorité rédigé par le député Cyril Aellen, excusé pour cette session. Ce projet de loi déposé par le député Christophe Aumeunier vise à proroger l'article 4A de la loi générale sur les zones de développement. Cet article définit les catégories de logements, dont les logements d'utilité publique, respectivement leur répartition et les proportions à respecter dans la construction en zone de développement. Il avait été adopté le 24 mai 2007 dans le cadre d'un processus de concertation large et de la conclusion de l'accord sur le logement. L'alinéa 4 de cette disposition fixait une validité de dix ans à cet article; à partir du 31 juillet 2017, il ne sera donc plus applicable. Le but de ce projet de loi est de pallier le vide juridique que créerait l'absence de disposition dans le domaine. En effet, si l'initiative 161 «Construisons des logements pour toutes et tous: davantage de coopératives et de logements bon marché !», qui vise à modifier l'article 4A LGZD, est actuellement devant la commission du logement, elle fait toutefois l'objet d'un recours et ne sera pas traitée immédiatement. Le PL 12093 déposé par le Conseil d'Etat, qui traite lui aussi de cette question, ne pourra pas non plus être adopté d'ici le 31 juillet 2017. Il y a ainsi, dans cette attente, un intérêt à ne rien changer au fond et à maintenir l'article 4A LGZD en vigueur jusqu'au débat sur l'initiative, respectivement un éventuel contreprojet qui pourrait être formé ou non sur la base du PL 12093. La majorité de la commission est consciente du fait que l'absence de norme légale n'empêcherait pas la construction de logements et que l'Etat pourrait délivrer des autorisations sur la base de l'article 5 LGZD, se référant à la notion de besoin prépondérant de la population. Il s'agirait néanmoins d'une régression, les proportions étant clairement définies dans l'article 4A. La mise en place d'une pratique administrative ne convainc pas non plus la majorité, qui estime qu'une base légale, même d'une durée transitoire, est indispensable. Il est en effet essentiel pour les acteurs de la construction, notamment au regard de l'équilibre des plans financiers, de connaître de façon certaine les proportions de catégories de logements, sans la moindre place au pouvoir d'appréciation ou à l'interprétation de l'autorité. Seul un article de loi en vigueur permet de donner cette assurance et ainsi de ne pas risquer de ralentir la construction pendant une période.

En quelques mots, vous me permettrez, Monsieur le président, chers collègues, de revenir sur le refus de la minorité de proroger cet article. Il est clair et avoué; dans son rapport de minorité, celle-ci plaide en effet pour une modification immédiate de la pratique administrative concernant les proportions de logements à construire. Pour la majorité, il ne s'agit ni plus ni moins que d'une tentative de violation des droits démocratiques, et nous ne pouvons y souscrire. Si l'initiative a effectivement réuni les signatures nécessaires, elle n'a pour l'heure pas été adoptée par le Grand Conseil et fait l'objet d'un recours, notamment sur la compatibilité au droit supérieur. Quant au PL 12093, déposé par le Conseil d'Etat, il n'a pas non plus été encore adopté. Monsieur le président, chers collègues, vous l'aurez compris, je vous encourage à accepter le rapport de majorité invitant à proroger l'article 4A LGZD pour une durée de deux ans, afin de ne pas laisser une place à l'incertitude et de permettre aux acteurs de la construction de continuer à construire des logements pour notre population. Merci, Monsieur le président.

M. Christian Dandrès (S), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, le débat que nous avons aujourd'hui est issu d'un rendez-vous pris en 2007 suite à l'adoption de l'article 4A LGZD et de la loi sur les logements d'utilité publique, dans le cadre de la nouvelle politique du logement menée sous les auspices de Mark Muller. Il faut mettre à l'actif de cette politique un certain nombre de points très positifs, comme la création d'un fonds LUP de 35 millions de francs par année, limité dans le temps, au départ, puis pérennisé suite à un accord politique entre l'ASLOCA et M. Muller, grâce au dépôt et à l'aboutissement de l'initiative 133 qui prévoyait que 30% du produit de la Banque nationale suisse et 50% des dividendes de celle-ci soient attribués au logement. Cet accord a permis la constitution de ces 35 millions par année sur la durée. L'autre aspect positif est l'objectif de 20% de LUP, aussi prévu dans la loi sur les logements d'utilité publique, de manière à permettre une pérennisation des logements, parce que cette loi partait d'un constat: passablement de logements constitués en HLM sortaient du contrôle de l'Etat; on avait donc une diminution du nombre de logements d'utilité publique. Quelques chiffres avaient été donnés; malheureusement, la situation est toujours aussi problématique aujourd'hui. Les statistiques montrent qu'entre 2007 et 2015, il y a à peu près 2300 logements d'utilité publique en moins malgré la politique menée. C'est là qu'on arrive au bilan plus négatif de cette politique: on est encore très loin des 20% prévus en 2007; il nous faudrait pas loin d'un siècle pour atteindre ces objectifs, tandis que la population continue à souffrir de la crise du logement et aussi du fait que le marché immobilier construit d'abord des logements qui répondent aux besoins des personnes disposant des revenus les plus élevés, parce que c'est là qu'on obtient les rendements les plus importants.

La fin de cet article 4A LGZD permet de modifier, de corriger cette politique sur l'aspect problématique qu'est la question des ratios: l'article 5 de la loi, qui prévoit que les logements doivent répondre au besoin prépondérant et à l'intérêt général, permet au Conseil d'Etat de mener une politique. Ce dernier l'a fait durant plusieurs décennies, avant l'adoption de l'article 4A. L'article 5 permettrait aujourd'hui encore de répondre à l'impérieuse nécessité de construire des logements qui soient adaptés aux besoins de la population, ce qui représenterait 80% de logements locatifs, comme cela a pu être le cas par le passé. Naturellement, le problème est que si cette politique était menée aujourd'hui, elle ne plairait pas à tout le monde, et notamment aux milieux immobiliers, qui d'une part ont attaqué l'initiative 161 - le recourant est l'auteur du projet de loi dont nous traitons ce soir. Du coup, cela va repousser aux calendes grecques la mise en oeuvre d'une véritable politique du logement, laisser passer aussi un certain nombre de déclassements, ce qui est problématique. C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste appelle à ne pas accepter ce projet de loi et à permettre ainsi au Conseil d'Etat de pouvoir mener au plus vite une politique qui serait enfin adaptée à la situation des gens - il faut tout de même rappeler que si la propriété par étage a certaines vertus, elle a en tout cas un inconvénient majeur: elle coûte très cher. Si vous regardez les données de l'office cantonal de la statistique, il s'agit de 7800 F par mètre carré, ce qui fait pas loin de 800 000 F pour un appartement conventionnel. Ce n'est pas à la portée de tout le monde; cela correspond aux besoins de 15% à 20% de la population. Je ne parle même pas des villas: le prix médian est de 1,5 million de francs, alors que la population a d'abord besoin de logements locatifs. C'est pourquoi il faut permettre au Conseil d'Etat de mener au plus vite cette politique, politique que le Conseil d'Etat veut moins ambitieuse que l'initiative 161 qui fera l'objet d'un débat populaire une fois qu'elle sera sortie des tracas juridiques et des chausse-trapes qu'on met sur sa route. Je vous remercie.

M. Pierre Vanek (EAG). Monsieur le président, je n'ai pas grand-chose à ajouter aux propos de Christian Dandrès. Mme la cheffe de groupe du PLR, qui remplace Christophe Aumeunier à la table des rapporteurs, a dit que ce projet de loi s'inscrivait - les mots m'ont frappé - dans l'intérêt qu'il y aurait à ne rien changer au fond, ne fût-ce que pour un certain temps. Pour nous, il y a évidemment nécessité de changer les choses au fond. Mesdames et Messieurs, ce projet de loi du secrétaire général de la Chambre immobilière - c'est bien ça - c'est le service après-vente des recours dilatoires qui ont été mis en travers du chemin des initiatives déposées par la gauche, mais aussi les Verts, mais aussi l'ASLOCA, mais aussi toute une série de forces syndicales, qui répondent à la nécessité non pas de ne rien changer au fond, mais de changer en effet, et de changer en menant une politique qui aboutisse à fournir des logements répondant aux besoins de la population. M. Dandrès a évoqué le taux de progression de cette réponse avec le dispositif actuel comme devant aboutir dans cinquante ou cent ans, je ne sais pas...

Une voix. En 2080 !

M. Pierre Vanek. En 2080 ! Alors j'exagère, comme toujours. En 2080, la population serait en droit d'attendre que ses besoins en matière de logement soient reconnus et qu'on y réponde du point de vue de... (Remarque de M. Roger Deneys.) M. Deneys me dit qu'à ce moment-là il faut prévoir des places dans les cimetières. Non, Mesdames et Messieurs, sérieusement, le signal qu'on donnera probablement, que la droite, la majorité de ce parlement donnera en acceptant ce projet de loi, est un signal de refus de faire évoluer de manière radicale une politique du logement tout à fait insatisfaisante; refus par des mesures dilatoires, parce qu'en dernière instance, bien sûr qu'il y a un droit démocratique de plaider pour le refus des initiatives de l'ASLOCA et du rassemblement des associations de locataires, du Groupement des coopératives d'habitation genevoises, de la gauche, des syndicats, mais enfin, par un débat qui devrait se passer dans ce parlement et dans les urnes plutôt que devant les tribunaux. Or, les textes que nous avons déposés et qui ont recueilli... Bien sûr qu'ils n'ont pas été votés, Madame Fontanet, c'est tout à fait juste, mais quand même, plus de dix mille citoyens pour chacune des initiatives ont signé ces textes qui corrigent une situation tout à fait insatisfaisante. Ces textes prévoient non pas des solutions radicales ou extrémistes, mais proposent de calquer la proportion de logements construits sur les besoins réels de la population alors qu'aujourd'hui, on construit 50% de PPE: ça ne va pas du tout, il n'y a pas une proportion de 50% d'habitants de ce canton qui sont en mesure de s'offrir les logements qui sont effectivement produits. L'initiative propose des taux qui correspondent aux besoins et aux moyens réels de la population. C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs, nous nous refusons à participer au service après-vente de cette obstruction mise d'abord au débat politique et à la démocratie, puisque l'on confisque le sujet pour un certain nombre d'années pour permettre à un certain nombre de promoteurs et de spéculateurs de continuer à faire leur business juteux et à engranger des millions en ne répondant pas aux besoins de la population.

Mme Bénédicte Montant (PLR). Cette révision de l'article 4A LGZD est une équation qui comporte quelques certitudes, des invariables, mais aussi un grand nombre d'inconnues. Dans le langage mathématique, c'est une équation polynomiale. Je pensais qu'après l'école, je n'aurais plus à en résoudre, j'imagine que vous aussi.

Je voulais vous parler des inconnues. Elles appartiennent à différents registres. Elles sont, d'une part, législatives: les initiatives 160 et 161, qui ont fait l'objet de recours et seront très probablement étudiées par la commission du logement après décision des tribunaux. La deuxième inconnue législative est le projet de loi déposé par le Conseil d'Etat, en discussion devant cette même commission, mais dont le traitement ne fait que commencer. D'autre part, les inconnues sont aussi statistiques: même si cela déplaît à certains, il n'existe pas aujourd'hui de base de données fiable ni mise à jour régulièrement qui donnerait les chiffres exacts, détaillés et consolidés des besoins de la population en matière de logement.

Face à ces inconnues existent des certitudes invariables: la première est la péremption de cet article de loi en juillet 2017. C'est demain; comme après l'expiration de Migros-Data, il n'y aura plus rien dans le rayon. La deuxième est le besoin de construction de logements, et la troisième est le besoin de construction de logements pour tous. Vous l'aurez compris, les délais imposés par la fin de vie annoncée de l'article 4A sont trop courts, ils ne donnent pas l'espace temps permettant de rechercher sérieusement les inconnues de cette équation, c'est-à-dire pas assez de temps pour attendre les conclusions des tribunaux saisis pour les initiatives, pas assez de temps pour compléter l'inventaire exact de la demande, inventaire qui d'ailleurs a régulièrement été demandé au service concerné de l'Etat par le biais d'un certain nombre d'objets parlementaires et qui est aujourd'hui attendu à la commission du logement. Pas assez de temps, enfin, pour rendre une réponse adéquate aux besoins, réponse qui doit être articulée sur la base de cette demande réelle et précise. C'est pourquoi il faut prolonger le délai inscrit dans cet article 4A. Il est issu d'un accord, et vous le savez. Cela limitera l'insécurité pour les acteurs de la construction - et par acteurs, on entend les acteurs publics, institutionnels ou privés, tous. Cela permettra de continuer l'effort de construction des environ deux mille logements annuels atteints ces dernières années, car l'article 4A porte ses fruits aujourd'hui. Cela évitera au département de devoir arbitrer au sein d'un vide juridique et d'être par là même soumis à des tensions; car dans ce cas, le département devrait naturellement justifier et défendre, face aux différents groupes politiques que nous représentons, les nouvelles pratiques qui n'auraient évidemment pas fait l'objet d'une concertation. J'imagine que vous imaginez le résultat que cela donnerait.

Enfin, est-il nécessaire de vous rappeler que la très grande majorité des logements construits dans le canton est située en zone de développement ? L'enjeu majeur de notre développement est donc la répartition de ces types de logements dans cette zone. Prolonger l'article en vigueur aujourd'hui, sans réinventer la roue, le prolonger de manière temporaire pour une durée maximale de deux ans - et non jusqu'en 2080 comme l'a exprimé le député Vanek - c'est ce que demande ce projet de loi. C'est évidemment la meilleure solution qui s'offre à nous pour trouver une réponse adéquate à la révision de cet article. C'est pourquoi le PLR vous demande, chers collègues, de voter le PL 12074 tel qu'il vous est soumis.

M. Christo Ivanov (UDC). Ce projet de loi propose de proroger de deux ans, soit jusqu'en juillet 2019, l'article 4A LGZD afin d'éviter une incertitude juridique et donc d'apporter la sécurité à tous les acteurs du marché du logement, que ce soient les fondations, l'Etat ou des privés. Le magistrat Antonio Hodgers nous a indiqué, à la commission du logement, que ce projet de loi ne lui posait pas de problème. Pour toutes ces raisons, le groupe UDC vous recommande d'accepter ce projet de loi. Je vous remercie.

Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, pour le parti démocrate-chrétien, les aspects techniques ont été magnifiquement décrits par Mmes Fontanet et Montant; nous adhérons totalement à leurs propos. Vous savez, Monsieur le président, dans ce domaine, il faut de la souplesse, encore de la souplesse, toujours de la souplesse et rien que de la souplesse. La prolongation de l'article 4A de la LGZD donne enfin un peu de cette souplesse à cette loi. Nous avons besoin de cette souplesse, Monsieur le président, en sus du rapport demandé pour le 31 juillet 2019, bien sûr; nous en avons besoin pour relancer la construction de logements à Genève: il est de plus en plus inacceptable que des jeunes doivent s'expatrier en France voisine, que de jeunes familles doivent partir dans le canton de Vaud pour simplement pouvoir se loger. C'est absolument insupportable, c'est inacceptable. Le parti démocrate-chrétien s'engage depuis très longtemps, mais là plus que jamais, pour défendre, dans le cadre de ce projet de loi, avec les cautèles garanties contrôlant les risques, la construction de logements. Monsieur le président, c'est oui, bien évidemment, et encore oui, à cette souplesse en matière de logement. Nous vous remercions de voter ce projet de loi.

Mme Caroline Marti (S). Mesdames et Messieurs les députés, il n'est peut-être pas inutile de rappeler l'article 38 de la constitution cantonale, qui consacre le droit au logement en ces termes: «Le droit au logement est garanti.» Il n'est pas non plus inutile de rappeler la loi sur les logements d'utilité publique, qui prévoit un objectif de 20% de telles habitations sur l'ensemble de notre parc de logements. Il n'est enfin pas inutile de rappeler l'article 5 LGZD, qui prévoit le principe général que la construction de logements doit répondre au besoin prépondérant de la population. Or, cet article 4A LGZD dont nous parlons aujourd'hui est un dispositif introduit en 2007, qui a pour but de réaliser tous ces objectifs formulés dans les lois que je viens de citer. Ce dispositif doit permettre de concrétiser cet impératif de construire du logement répondant aux besoins de l'ensemble de la population. Mais ce que l'on constate aujourd'hui, c'est qu'après dix ans d'introduction de cet article 4A LGZD, le bilan est loin d'être satisfaisant, dans la mesure où actuellement moins de 10% du parc de logements correspond aux critères du logement d'utilité publique et que ce pourcentage n'augmente que de quelques petits dixièmes de pourcentage chaque année. Globalement, nous ne construisons absolument pas assez d'habitations de type locatif pour loger la classe moyenne, et finalement, près de 50% des logements construits ces dernières années ont été destinés à la vente d'appartements, alors que - les statistiques le montrent - seuls 15% à 20% de la population ont les moyens financiers d'acquérir ce type de logement. Mesdames et Messieurs les députés, 50% des logements construits sont destinés aux 20% les plus riches de notre canton ! Aujourd'hui, cet article 4A LGZD ne nous permet pas d'atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés ni de construire des logements pour l'ensemble de la population. Or, c'est précisément ce dispositif-là, dont je viens de prouver l'inefficacité, que le PLR souhaite prolonger. Ce projet de loi a une visée purement dilatoire, et très concrètement, il fait obstacle au développement d'une politique sociale du logement.

Mesdames et Messieurs les députés, faisons nôtre aujourd'hui cette phrase comprise dans le préambule de notre Constitution nationale: «[...] la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres [...]» Arrêtons de construire pour les plus fortunés, construisons maintenant pour l'ensemble de la population, avec un regard attentif et un accent mis sur le logement pour les plus précaires d'entre nous. C'est d'ailleurs ce que nous avons proposé dans le cadre des initiatives - notamment de l'initiative 161 - que nous avons déposées et que les milieux immobiliers s'acharnent à combattre par tous les moyens et en particulier les moyens judiciaires. Le parti socialiste et les partis de gauche vous demandent de refuser ce projet de loi. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)

M. Mathias Buschbeck (Ve). S'il y a un domaine qui a besoin de stabilité, de prévisibilité et de sécurité, c'est bien celui du logement, pour que les investisseurs puissent s'engager à long terme dans les projets. Il ne faut pas changer constamment les conditions-cadres de la politique du logement. Cet article 4A arrive en effet à échéance, mais comme nous l'a garanti le magistrat en commission, on pourrait très bien le garder quelques mois, le temps de trouver une autre variante, puisque, d'un commun accord, on peut dire que l'article n'est pas satisfaisant. Simplement le prolonger de deux ans, ça ne crée pas la sécurité dont on a besoin pour le long terme et ça ne règle pas le problème à court terme non plus. Il est dommage que la commission ait souhaité voter dans l'urgence ce texte qui lui a été renvoyé il n'y a même pas deux mois; on aurait pu traiter ce projet de loi en parallèle avec le projet de loi déposé entre-temps par le Conseil d'Etat: cela permettrait de travailler de façon plus cohérente et plus intelligente en faveur de la politique du logement à Genève. C'est pourquoi je vous demande de renvoyer ce projet de loi en commission.

Le président. Merci, Monsieur le député. Les rapporteurs peuvent s'exprimer sur la demande de renvoi en commission. Madame Fontanet ?

Mme Nathalie Fontanet (PLR), rapporteuse de majorité ad interim. Merci, Monsieur le président. La majorité s'oppose au renvoi en commission. Ce projet de loi a été étudié, l'accord du magistrat a été donné pendant les débats, l'auteur et la majorité de la commission ont accepté de limiter cette prorogation à une durée de deux ans. Il s'agit d'une prorogation transitoire. Il nous faut maintenant adopter ce projet de loi et rendre la sérénité et surtout la stabilité aux milieux de la construction. Merci, Monsieur le président.

M. Christian Dandrès (S), rapporteur de minorité. Je suis favorable à un renvoi en commission, puisque ce projet de loi représente un blocage aux solutions qui permettraient de créer plus de logements pour toutes les catégories de la population. Naturellement, nous accepterons ce renvoi en commission.

Le président. Merci, Monsieur le député. J'invite l'assemblée à se prononcer sur la demande de renvoi en commission.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12074 à la commission du logement est rejeté par 62 non contre 32 oui.

Le président. Nous continuons notre débat. La parole est à M. Dimier.

M. Patrick Dimier (MCG), député suppléant. Merci, Monsieur le président. En quelques mots, quand on dit que les logements sont pour tout le monde, ils sont effectivement pour tout le monde. Or, aujourd'hui, que constate-t-on ? Un asséchement assez dramatique de l'offre de logements pour la classe moyenne. Tout à l'heure, notre collègue parlait de la classe moyenne et parlait très justement du texte constitutionnel selon lequel le droit au logement est général: c'est juste, mais s'il est général, il concerne aussi la classe moyenne dite supérieure - et encore, il faut savoir comment on calcule les revenus qui caractérisent cette classe. Ce projet de loi est donc bien évidemment un bon texte que nous devons soutenir.

Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC). Très brièvement, j'ai entendu le mot «blocage»: mais justement, c'est le contraire, ce projet de loi consiste à apporter un peu de déblocage. Je vous remercie.

M. Mathias Buschbeck (Ve). Je voulais répondre à M. Dimier qui s'inquiète pour la classe moyenne: justement, Monsieur Dimier, le projet de loi du Conseil d'Etat prévoit de réserver 50% à la classe moyenne, et encore les 25% restants à la classe moyenne supérieure, comme vous le souhaitez. Je pense que la classe moyenne serait bien mieux traitée avec le projet de loi du Conseil d'Etat.

M. Patrick Dimier (MCG), député suppléant. En deux secondes: j'ai bien précisé tout à l'heure que c'est une question de calcul: comment détermine-t-on la classe moyenne ? Votre façon de la déterminer n'est pas la nôtre.

M. Christian Dandrès (S), rapporteur de minorité. J'aimerais répondre à Mme von Arx: je veux bien que vous souhaitiez de la souplesse en toute circonstance, mais là, vous vous trompez de débat. En somme, sans l'article 4A LGZD, ce sont des pratiques administratives qui vont s'appliquer, et les pratiques administratives offrent un maximum de souplesse. L'article 4A prévoit une contrainte administrative qui malheureusement montre aujourd'hui ses faiblesses et nécessite un correctif. Nous appelons aujourd'hui à ce correctif-là, en passant à une pratique qui permettrait de répondre aux divers besoins de la population, et notamment de la classe moyenne, qui, pour l'essentiel des personnes qui la composent, ne peut pas accéder à des appartements en propriété par étage, dont les prix sont surfaits.

Le président. Merci, Monsieur le député. Madame von Arx, exceptionnellement, je vous donne la parole.

Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC). Vous êtes trop bon, Monsieur le président !

Le président. Oui, je sais !

Mme Anne Marie von Arx-Vernon. Je voulais juste faire remarquer que nous n'avons pas les mêmes considérations pour la notion de souplesse. Pour moi, la souplesse, c'est de garder les familles à Genève. Merci beaucoup.

Mme Nathalie Fontanet (PLR), rapporteuse de majorité ad interim. Il faut faire attention à ne pas se laisser piéger par l'art oratoire du rapporteur de minorité. La prévisibilité ne sera pas au rendez-vous dans le cadre d'une pratique administrative, parce que la pratique administrative est justement laissée à l'appréciation du département du magistrat. Ce n'est pas bon et c'est ce que nous voulons éviter par le vote de cette disposition pour une durée de deux ans au maximum. Cela n'empêche pas que si la commission, respectivement les intervenants, se mettent d'accord avant cela avec un projet de loi, celui-ci pourra être adopté. Merci, Monsieur le président.

M. Antonio Hodgers, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, comme vous le savez, cet article 4A de la loi générale sur les zones de développement définit pour qui l'on construit; pas tant la quantité, qui est l'affaire du plan directeur cantonal, mais pour qui. C'est très important d'avoir à Genève une loi-cadre qui définit à qui l'on destine les logements construits: en effet, sans la zone de développement et l'outil qui permet de la réguler, la demande est telle à Genève, il y a tellement d'investisseurs, tellement de grandes fortunes que notre canton pourrait très facilement se transformer en un Monaco-sur-Léman. Ce serait le cas si les autorités, depuis 1957, n'avaient pas développé à travers cette zone une capacité à maîtriser les prix du logement et par conséquent à répartir les proportions pour la classe populaire, pour la classe moyenne et pour la classe moyenne haute, la classe plus aisée.

Le bilan de l'article 4A LGZD voté en 2007 sur l'impulsion de Mark Muller est le suivant: 50% des logements construits l'ont été en PPE et en villas; un logement sur deux, donc, l'a été en propriété individuelle. De l'autre côté, 33% des logements construits ont été des logements subventionnés; enfin, seuls 17% des logements locatifs non subventionnés ont été réalisés pour cette classe moyenne qui se situe, avec son revenu, hors des barèmes de l'office du logement - elle ne peut pas bénéficier de logements subventionnés, mais n'a pas assez de revenus ou de fortune pour accéder à la propriété. Cette classe moyenne, que nous avons définie statistiquement de manière précise, gagne entre 70% et 150% du revenu genevois médian. Cette classe moyenne, pour sa part haute, peut accéder à la propriété, notamment à celle en zone de développement, puisque la propriété en zone ordinaire est de 29% plus chère que la PPE en zone de développement, mais une grande partie - surtout avec les mesures fédérales - ne peut pas accéder à la propriété. Mesdames et Messieurs, telle est la conclusion de ces dix années de politique du logement: la classe moyenne a été la grande oubliée. Elle s'est expatriée en France voisine ou est partie dans le canton de Vaud, elle est étranglée par des charges d'assurance-maladie extrêmement importantes, par un coût du loyer ou de l'habitat extrêmement important à Genève; c'est peut-être elle qui souffre le plus de l'évolution de notre canton, puisqu'une partie de la classe plus fragilisée a accès aux aides sociales, à l'aide à l'assurance-maladie, à l'aide au logement, alors que cette classe moyenne, elle, ne vit que par ses propres moyens, et elle est étranglée par les charges mensuelles, dont évidemment l'habitat représente une part très importante. Le Conseil d'Etat entend corriger ces prochaines années la politique du logement en faveur des classes moyennes, c'est pourquoi il a déposé un projet de loi qui introduit cette notion dans l'article 4A LGZD, puisque l'article actuel part d'une proportion de logements subventionnés et que le reste est à la libre appréciation du promoteur. Ainsi, Mesdames et Messieurs, avec le dispositif actuel, notamment en zone de fond villa, nous pourrions avoir de nouveaux quartiers avec 70% de PPE et 30% de logements subventionnés. Vous voyez le problème pour la classe moyenne: si elle ne rentre pas dans les barèmes des logements subventionnés et n'a pas assez d'argent pour accéder à la PPE, elle peut se retrouver, avec l'article 4A LGZD actuel, avec des quartiers où il ne se construit pas un seul logement pour elle. Ceci est effectivement inacceptable et doit être corrigé.

Maintenant, j'entends que la majorité parlementaire veut se donner le temps du débat. Les rencontres du logement n'ont pas permis d'obtenir un consensus entre les acteurs; j'espère pouvoir trouver avec vous ce consensus en commission, autour de la proposition du Conseil d'Etat, je l'espère, ou d'une proposition dérivée, et dès lors, j'ai effectivement accepté le projet de loi corrigé, puisque le texte tel que déposé n'introduisait pas cette limite des deux ans. Avec cette limite, la majorité rend crédible le fait qu'il s'agit d'un projet de loi de transition pour permettre un espace de discussion. Mon seul souhait est que cette discussion ne dure pas deux ans: peut-être que le parlement peut aussi être plus rapide, plus efficace - si vous me permettez, Monsieur le président - de sorte que nous aboutissions assez rapidement à un article 4A LGZD qui, lui, sera de longue durée, car les milieux immobiliers savent que durant ces deux ans, l'article 4A LGZD actuel reste, alors que leurs projets, vous le savez, prennent généralement deux, trois, quatre ans: ils ne savent donc pas non plus exactement ce qui va se passer ensuite. Je crois qu'une clarification la plus rapide possible est vraiment dans l'intérêt de tous les acteurs de la construction, et évidemment des futurs locataires. C'est dans ce sens-là que le Conseil d'Etat ne s'oppose pas à ce projet de loi et peut vivre avec; mais il invite aussi les parlementaires membres de la commission du logement à rapidement avancer sur les travaux inhérents à l'article 4A LGZD. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous allons maintenant nous prononcer sur ce projet de loi.

Mis aux voix, le projet de loi 12074 est adopté en premier débat par 62 oui contre 32 non.

La loi 12074 est adoptée article par article en deuxième débat et en troisième débat.

Mise aux voix, la loi 12074 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 61 oui contre 33 non.

Loi 12074